migration de transit au maghreb

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migration de transit au maghreb
MIGRATION DE TRANSIT AU MAGHREB . LE CAS DU MAROC
Lorenzo Coslovi (CeSPI, Roma)
Préambule
La gestion des flux migratoires qui transitent dans les pays du Maghreb met en cause le
rapport délicat existant entre les problèmes liés aux migrations et aux droits de l’homme, et souligne
la forte contradiction du message adressé par l’Union Européenne aux pays arabes du bassin
méditerranéen. Il semble que les pressions exercées sur ces pays pour les faire se conformer aux
paramètres européens de démocratie et de respect des droits de l’homme, ainsi que les efforts
financiers et de programmation réalisés dans le but d’élever les standards de représentation
politique et de protection des droits des individus, passent au second plan dès lors que l’engagement
de ces pays dans la lutte et pour le contrôle des flux migratoires irréguliers devient fondamental. Il
est alors demandé à des régimes caractérisés par un manque de démocratie d’améliorer le contrôle
et la répression des flux de migration irréguliers, en impliquant et en misant avant tout sur leurs
instruments traditionnels les plus sinistres: les forces de police et les forces armées.
Dans le même temps, au sein de ces pays, la présence et le passage d’une population sub-saharienne
numériquement importante, visible, décrite et perçue comme menaçante et envahissante, risque de
réveiller de vieux préjugés et stéréotypes, capables de déchaîner des épisodes d’intolérance et de
xénophobie analogues à ceux déjà constatés en Libye.
Criminalisés, en proie à l’outrecuidance des forces de police, exposés à un racisme quotidien et
négligés par une société civile, encore peu attentive et peu influente, les émigrants sub-sahariens
confrontent l’Europe à ses propres contradictions et attestent de l’état réel du processus de
démocratisation qui est en cours dans la zone Maghrébine.
Introduction
Composante naturelle du parcours migratoire, l’émigration de transit a commencé d’assumer une acception
spécifique dans les années 90, en référence au contexte géographique de l’Europe centro-orientale.
La chute des systèmes autoritaires de l’Europe de l’Est est à l’origine des profonds bouleversements qui
affectent les dynamiques migratoires de cette zone. La libéralisation des politiques migratoires, la position
géographique favorable, les opportunités économiques offertes par ces pays, facteurs auxquels s’ajoute une
incapacité substantielle à combattre l’immigration illégale, ont permis le développement d’un flux important
d’émigration en direction de et à travers ces pays1. Le flux qui parcourt ces territoires, pour s’être dirigé vers
l’Europe occidentale, commence à être reconnu comme “émigration de transit”2, c’est-à-dire, comme
1
2
Consiglio d’Europa doc. 8904
International Migration Bulletin, n°3, 1993
“l’émigration en direction d’un pays dans l’intention d’y chercher la possibilité d’émigrer dans un autre pays
ou vers le pays de destination finale”, de façon partiellement ou complètement illégale. Dans les années 90,
les études sur les émigrations de transit se sont multipliées, ainsi que sur le rôle des réseaux de trafiquants et
de passeurs dans des pays comme l’Ukraine, la Pologne, la République Tchèque, la Hongrie, la Turquie et
l’Arménie.
D’après Içduygu (Içduygu 2003), auteur d’une étude récente examinant le rôle de la Turquie dans les
émigrations de transit, “il existe une typologie de l’émigration internationale largement acceptée, qui
comprend 6 types principaux d’émigrants: 1) résidents permanents, 2) travailleurs à contrat temporaires, 3)
professionnels employés temporairement, 4) travailleurs clandestins ou illégaux 5) demandeurs d’asile et 6)
réfugiés. A cette classification, il est possible d’ajouter une autre catégorie, celle des émigrants de transit, qui
correspond aux personnes entrant dans un pays dans l’intention d’accéder à un autre et de s’y installer” [...]
“ bienque les émigrants de transit soient fréquemment associés à des contextes migratoires spécifiques, ceuxci prennent souvent la forme d’un réseau d’autres genres d’émigration. Par exemple, les émigrants de transit
sont souvent assimilés aux émigrants clandestins et illégaux, aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. En
d’autres termes, la catégorie d’émigrants de transit consiste en un amalgame de différents types
d’émigrants”3.
Ainsi, est considéré comme émigrant de transit celui qui reste dans un pays donné le temps nécessaire à la
préparation de son voyage en direction du pays de destination (ou d’un autre pays de transit). Par conséquent,
l’appartenance à cette catégorie se construit à travers deux considérations de principe: l’intention (de ne pas
demeurer sur le territoire de transit) et la pratique (l’abandon effectif du territoire de transit). Pour ce qui est
des temps de transit, ceux-ci dépendent d’une multitude de facteurs, et varient évidemment suivant que le
voyage est mené légalement ou illégalement (illégalité partielle ou totale). Dans le second cas, traité ici, les
temps de permanence dans le pays de transit ne forment qu’une partie d’ordre subjectif (possibilité physique
de supporter le voyage), et dépendent de deux éléments étroitement liés :
- la capacité des réseaux de trafiquants à transporter l’émigrant – victime en direction du pays de
destination (ou vers un autre pays de transit);
- le degré de contrôle que les autorités du pays d’origine, de transit et de destination sont en mesure de
développer afin d’empêcher ce séjour temporaire.
Jouxtant la zone de l’Europe centro-orientale et celle médiorientale, la zone du Maghreb s’avère toujours
plus entrainée par le phénomène des émigrations de transit. La difficulté extrême à rejoindre l’Europe de
manière directe, la présence de réseaux de trafiquants toujours mieux organisés et flexibles, le pôle
d’attraction que l’Europe continue de représenter et la perméabilité des frontières ont métamorphosé la
Libye, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc en un important bassin de transit pour les émigrants provenant de
l’Afrique sub – saharienne et du sub – continent indien.
L’évolution de la politique d’émigration euro – maghrébine, entendue comme une collaboration active pour
la gestion et l’arrêt des flux migratoires irréguliers, impose à ces pays un rôle toujours plus actif, non plus
adressé exclusivement à ces propres citoyens, mais de façon croissante aux citoyens de pays tiers et en
particulier, aux émigrants sub – sahariens.
La présente communication, en se focalisant de manière exclusive sur l’une des zones de transit de la
Méditerranée, à savoir le Maghreb, et au sein de cette zone, sur le Maroc, entend exposer une réflexion et
poser certaines questions par rapport au défi lancé au respect et à la diffusion des droits de l’homme, que
représente la gestion euro – maghrébine des flux migratoires de transit. Au cours du premier paragraphe,
nous analyserons les dimensions, les origines et les routes de l’émigration sub – saharienne dans les pays du
Maghreb. Le second paragraphe se concentrera, en revanche, sur le cas marocain et sur le débat naissant dans
ce pays concernant les émigrations de transit, ainsi que sur la dimension des droits de l’homme. Nous
tenterons, en conclusion, de fournir une réponse aux problèmes posés par l’urgence du phénomène des
émigrations de transit.
3
Traduzione propria
1. Dimensions, origine et routes de l’immigration subsaharienne au Maghreb
En limitant notre étude à la zone du Maghreb, il est utile de rappeler que l’immigration subsaharienne n’est
pas, dans cette zone, un phénomène nouveau. Celle-ci, en effet, existe depuis toujours mais concernait
principalement les citoyens du Mali, du Chad et du Niger qui se déplaçaient en Libye et dans le sud algérien
pour y effectuer des travaux saisonniers, et occasionnellement, de manière stable (Lahlou 2003) . Ce qui, en
revanche, est relativement récent est l’ampleur du phénomène et sa mutation progressive.
L’ampleur du flux dépend de l’évolution de plusieurs facteurs : des facteurs macro-économiques et sociaux
tels que la progression de la pauvreté et l’impossibilité pour une grande part de la population africaine
d’accéder aux ressources, ceci y compris pour les citoyens de pays qui, jusqu’à la fin des années quatrevingt, étaient des pays d’immigration. De même, la présence de conflits entre « ethnies »4 ou entre états et la
pression sur le marché du travail que doit subir une population au taux de croissance encore élevé peuvent
entrer dans cette catégorie et la force d’attraction exercée par l’Europe ( et dans une certaine mesure, par les
pays du Maghreb eux-mêmes), la capacité des réseaux de trafiquants et des passeurs, ainsi que le
changement survenu dans les politiques migratoires des pays européens et dans celles des pays maghrébins.
Les sources utiles pour mesurer les immigrations de transit dans les pays du Maghreb ne sont pas
nombreuses et diffèrent souvent entre elles. Les autorités maghrébines fournissent des chiffres correspondant
aux opérations de contrôle et d’expulsion de citoyens sub-sahariens de façon instrumentale, imitant, d’une
certaine façon, le mauvais usage qui a été fait de ces données constaté dans certains pays européens. Par
ailleurs, et comme nous le verrons, c’est dans le but de faire montre d’une participation et d’une entière
collaboration avec l’U.E. en matière de gestion et de contrôle des flux migratoires que la plus grande
visibilité possible est procurée à ce type d’opérations.
Aux sources émanant des pays maghrébins, il est possible d’ajouter des sources relatives à la composante
sub-saharienne, dans les flux irréguliers interceptés sur les territoires maritimes italiens et espagnols (les
deux pays les plus concernés par les arrivées des ces émigrants par voie de mer) dans les dernières années.
Ainsi, s’il n’est pas possible de fournir le nombre exact des émigrants de transit, il est cependant possible de
démontrer l’augmentation présumée de pareils flux. En ce qui regarde les routes, nous nous référons
principalement aux études de Bensaad (Bensaad 2001) et de Lahlou (Lahlou 2003).
D’après Bensaad, l’immigration africaine dans les pays du Maghreb est devenue un phénomène de masse au
début des années 90, atteignant son apogée en 2000, en dépit du massacre (entre 100 et 500 morts) perpétré
par les Libyens aux mois de septembre/octobre de cette année-là au détriment des émigrants africains. Cet
auteur évalue à 100000 par an les émigrants sub-sahariens qui transitent par le Maghreb, dont 80 % en
direction de la Libye et 20% vers l’Algérie. Lahlou réduit le nombre à 65000/80000 personnes, et rappelle
que sur ces 20% un pourcentage toujours plus important se dirige ensuite vers le Maroc, de même qu’une
partie des 80 % s’achemine, dans un second temps, vers l’Algérie.
En ce que concerne le Maroc, de façon synthétique, comme le dit la Rapporteuse spéciale Rodriguez Pizarro,
on peut dire que dans ce pays, la présence migratoire subsaharienne est devenue très forte à partir des années
1997-1998 à la suite des événements qui se sont déroulés dans des pays comme la république démocratique
du Congo, la République du Congo, la région des Grand Lacs, la Sierra Leone, Nigeria, Libéria et Côte
d’Ivoire. De la même source émerge que les principaux pays d’origine des candidats à l’immigration
irrégulière sont la Guinée- Bissau, le Mali, le Libéria, la Sierra Leone le Nigeria5, la Guinée, le Sénégal.
(Rodriguez Pizarro 2004)
4
Nous conservons entre guillemêts le terme “ethnie” dans la mesure où, ainsi que le remarque M.Emiliani (Emiliani
2004) “comme la littérature l’a largement révélé, les catégories ethniques qui sont utilisées aujourd’hui par les
occidentaux et les africains eux-mêmes ont été élaborées et divulguées en pleine période coloniale: l’”enfermement”
des populations africaines dans des définitions linguistico-culturelles et des frontières territoriales précises était
fonction des intérêts des états coloniaux. L’ethnie n’est cependant pas qu’une simple invention instrumentale : elle est
devenue avec le temps une réalité...”
5
Il est opportun de rappeller qu’un flux irrégulier d’émigrants se déplace aussi du Nigeria vers l’Arabie Saoudite. Il
s’agit pour la plus grande part de jeunes femmes qui font l’objet d’un trafic. On peut constater l’ampleur du phénomène,
en examinant le nombre des rapatriés de force en 2002 par l’Arabie Saoudite à l’aéroport de Kano : environ 4300.
Le premier point de rassemblement et point de départ des routes principales qui vont de l’Afrique
subsaharienne au Maghreb est Agadez. Située au nord du Niger, cette ville “est devenue le nouveau carrefour
migratoire vers lequel convergent presque tous les flux en provenance de l’Afrique de l’Ouest, y compris le
Nigeria et le Ghana anglophones” .(Bensaad 2001- Lahlou 2004)
Différentes études s’accordent pour reconnaître le rôle central assumé par Agadez en ce qui concerne les
routes et les trafics d’émigrants subsahariens. A Agadez, des “agences de voyage” agissent au vu et au su de
chacun, organisant le voyage d’émigrants par camion à destination du lieu choisi. (Bensaad 2001)
Les camions qui partent d’Agadez prennent deux directions: celle de la Libye, en transitant par Dirkou, et
celle de l’Algérie, en direction de Tamanrasset.
A partir de Dirkou, les émigrants sont mélangés dans des camions de dimensions plus importantes ou placés
dans des pick up pour être acheminés vers le sud de la Libye. Une part des émigrants s’arrête dans le sud
libyen, tandis qu’une petite partie essaie de rejoindre directement Tripoli pour tenter la traversée en direction
des côtes italiennes ou passer par la Tunisie voisine (dans le segment de côte compris entre Cap Bon et
Sfax), afin de poursuivre le voyage en Sicile. Une partie non quantifiable repasse en Algérie, en reprenant la
route vers le Maroc (Lahlou 2003).
D’après les données fournies par le ministère de l’Intérieur italien, si l’on confronte les années 1999-2002,
une forte augmentation des débarquements sur les côtes siciliennes se révèle (Lampedusa et Pantelleria
incluses), en provenance de la Tunisie, mais aussi, et d’une manière croissante, de la Libye6. Dans le cas de
la Libye, en particulier, celle-ci s’est caractérisée comme étant un pays de transit de l’immigration subsaharienne de l’Afrique centrale et orientale (Chad – Soudan, Ethiopie, Erythrée, Somalie) et occidentale
(Libéria – Sierra Leone): les débarquements sur les côtes siciliennes s’élevaient, en effet, à 1973 en 1999,
2782 en 2000, 5504 en 2001, 18225 en 2002, pour atteindre enfin, 14017 en 2003 (Ministère de l’Intérieur,
Rapport 2003). Le nombre de sub-sahariens inclus dans ces flux est incertain mais le rapport cité indique que
leur poids statistique est en constante augmentation.
Dans les trente dernières années, la Libye a attiré un nombre constant d’émigrants provenant d’autres pays
arabes et subsahariens. Le nombre et la situation des émigrants irréguliers en Libye ne sont connus qu’en
partie et semblent évoluer en fonction de la politique migratoire entreprise par Khadafi. Un grand nombre de
ces immigrants résident illégalement en Libye, ne disposant tout au plus que d’une carte sanitaire, obligatoire
pour travailler (Bensaad 2001). Leur présence est tolérée et se concentre surtout dans sud du pays, où ils sont
employés dans l’agriculture ou dans le secteur pétrolifère. La politique migratoire de la Libye semble
correspondre, dans l’état actuel des choses, à un principe de réversibilité. Les émigrants sont maintenus dans
une situation administrative précaire qui menace à tout instant de les éloigner chaque fois que la contingence
et le climat politique réclament un changement de leur nationalité. Diverses sources témoignent de
l’existence de camps de détention au sud de la Libye au sein desquels sont rassemblés les émigrants dans
l’attente d’etre expulsés. Bien que ne filtrent que peu d’informations au sujet de ces camps, il semble que les
conditions de vie des détenus y soient blâmables et que des exécutions liées à des tentatives de fuite y aient
eu lieu. (Grégoire 2004)
En Libye, précisément, on a vérifié récemment un des épisodes d’intolérance et de racisme les plus violents
de ces dernières années. En septembre 2000, la nouvelle relatant un acte de violence sexuelle commis par un
jeune soudanais sur la personne d’une libyenne à Zaouia, au nord-ouest de la Libye, a déclenché une chasse à
l’homme dans différentes villes libyennes, provoquant la mort et blessant un nombre indéterminé
d’immigrants subsahariens7, ainsi que la fuite de milliers de personnes, rapatriées aussi sur des charters loués
par les pays d’origine. Suite à ces évènements, dans lesquels les membres des comités populaires de base,
détenteurs du pouvoir local, semblent avoir joué un rôle de premier plan, un procès a été ouvert, auquel
figuraient environ 300 coupables, dont 26 subsahariens. Le verdict a annoncé sept condamnations à mort : 4
nigérians, un ghanéen et deux libyens. Les deux citoyens libyens ont été déclarés coupables de complot
contre la politique africaine de Khadafi!( Barrouhi 2002)
Les accords récents entre l’Italie et les autorités libyennes ne semblent pas avoir donné lieu aux effets
désirés, étant donné que les débarquements en provenance de ce pays n’ont que partiellement diminué. Dans
6
Les partances à partir de la Libye ne sont pas seulement orientées vers l’Italie, mais aussi “accidentellement” en
direction des rivages maltais.
7
Les chiffres officiels parlent de 6 morts et de dizaines de blessés. Les estimations plus réalistes oscillent entre 20 et
500 morts.
le même temps, l’importance et la priorité données à de tels accords, capables de faire sortir l’embargo de ses
gonds, embargo auquel la Libye était soumise depuis les temps de Lockerbie, révèlent la priorité et le fort
pouvoir contractuel acquis par les flux de transit, sans parler de la forte instrumentalisation dont ils font
l’objet.
Pour ce qui est de la Tunisie, les premiers débarquements importants sur les côtes siciliennes surviennent au
début des années 90, mais c’est à partir de la moitié de cette même décennie qu’ils se répètent avec intensité
et régularité. La signature des accords de réadmission en 1998 a réduit de façon drastique le nombre et le
volume des débarquements en provenance de la Tunisie. La forte collaboration avec la Tunisie en matière de
contrôle de l’émigration irrégulière, en échange d’importants efforts au niveau de la coopération et des
quotas privilégiant l’entrée des travailleurs tunisiens en Italie semble avoir porté ses fruits. Le renforcement
des contrôles a fait s’élever le prix de la traversée. Les départs, la plupart du temps organisés de manière
autonome par les migrants eux-mêmes, s’effectuent sur de petites embarcations improvisées. Tandis qu’un
nouveau Projet de loi sur les passeports et les documents de voyage (qui modifiera et complètera la loi en
vigueur n° 40 de 1975) a été adopté par la Chambre des députés8, la Tunisie semble avoir déjà introduit une
criminalisation de l’émigration et de l’immigration illégales. Les peines de détention vont de 15 jours à un
mois pour les immigrés clandestins. A l’emprisonnement succède l’expulsion. Les tunisiens interceptés alors
qu’ils tentaient d’émigrer de façon clandestine sont incarcérés9. En Tunisie, comme dans le cas du Maroc, un
nouveau projet de loi migratoire accompagne la présentation d’une nouvelle loi anti-terrorisme qui a été
soumis au vote des députés, a été approuvé par le Conseil constitutionnel le 4 juin 2003 et qui a déjà
provoqué la plainte de Amnesty International.10
Comme nous l’avons indiqué, la seconde route qui mène les migrants à Tamanrasset (au sud de l’Algérie) et
qui, de là, les conduit vers la Libye ou le Maroc, part d’Agadèz.
Les départs à destination du Maroc traversent, pour la plupart, la frontière de Oujda, frontière officiellement
fermée entre l’Algérie et le Maroc. A Partir de Oujda, trois routes principales se forment:
- La première joint Rabat à A El Ayun d’ou les migrants essaient d’approcher les îles Canaries. Le
nombre de migrants interceptés sur ces côtes n’a cessé de croître ces dernières années, et le nombre
des émigrants subsahariens, quant à lui, s’est accru. En 1999, 875 émigrants furent interceptés, dont
50% de subsahariens (Lahlou 2003). En 2000, le nombre atteint 224111, dont 1386 de subsahariens,
et en 2001, 4094, dont 2667 de subsahariens.
- La seconde route est celle qui unit le segment de côte entre Oujda et Nador et la côte espagnole
comprise entre Malaga et Almeria.
- La troisième route se ramifie à partir de la côte comprise entre Tanger et Tetouan, pour finir sur les
côtes andalouses. C’est la route la plus fréquentée et aussi la plus contrôlée par les autorités
marocaines et espagnoles. Pour cette raison, précisément, le voyage est souvent mené jusqu’aux
limites de la sécurité: on a calculé que dans les cinq dernières années 3286 corps d’émigrants morts
au cours de la traversée du détroit ont été récupérés12.
En examinant le nombre d’émigrants subsahariens interceptés par les autorités espagnoles sur ces trois
routes, on constate, ces dernières années, une forte augmentation:
- En 2001, les données diffusées par le Ministère de l’Intérieur espagnol correspondant à
l’immigration irrégulière au moyen d’embarcations parlent de 18517 détenus, dont 4860 de
subsahariens;
8
Loi organique n° 2004-6 du 3 février 2004, modifiant et complétant la loi n° 75-40 du 14 mai 1975, relative aux
passeports et aux documents de voyage, adopté par la chambre des députés dans sa séance du 27 janvier 2004,
http://www.jurisitetunisie.com/tunisie/codes/passeport/passeport2000.htm
9
Source internet: Gatti, F “Clandestini, ora la Tunisia adotta la linea dura” Corriere della sera, 26 agosto 2003.
10
http://web.amnesty.org/library/Index/FRAMDE300212003?open&of=FRA-TUN
11
www.elpais.es
12
www.afvic.org
- En 2002, jusqu’au 25 novembre, celles-ci parlaient de 14585, dont 6109 de subsahariens13.
Parallèlement, on remarque comment, et avec quelle flexibilité, les réseaux de trafiquants, qui ont déplacé
leur propre rayon d’action sur la route des Canaries, répondent au durcissement du contrôle sur le détroit de
Gibraltar14.
En étudiant le cas marocain, nous chercherons à déterminer comment les changements survenus en matière
d’émigration dans l’espace euro-maghrébin semblent contraindre le Maroc à entreprendre une réforme
profonde de ses propres politiques d’émigration, et comment les mutations déjà survenues ont apporté une
stabilité substantielle, si ce n’est une augmentation, du flux migratoire arrivant au Maroc. Une partie de ce
flux d’émigrants, arrêté à l’intérieur du Maroc, a commencé à se stabiliser et à considérer ce pays comme
une destination finale. Afin de réguler ce nouveau phénomène, le Maroc s’est doté d’une nouvelle législation
concernant les migrations qui, bien que nécessaire, subit différentes critiques.
2. Le cas marocain
Au cours des deux dernières années, les pages des principaux quotidiens marocains présentaient de
nombreux articles et nouvelles concernant l’immigration subsaharienne au Maroc et l’oeuvre de controle et
de répression des forces de police et de protection des frontières à l’égard de cette immigration. Des
nouvelles au sujet d’arrestations et d’expulsions d’émigrants illégaux maghrébins et subsahariens sont
diffusées presque quotidiennement. Des mises sous scellés embarcations et le démantellement de réseaux
criminels intéressés à l’émigration illégale complètent un cadre qui semble étudié pour rendre plus difficile
encore l’effort du Maroc en matière d’opposition aux émigrations illégales. La pression des médias risque de
déformer un phénomène dont l’importance réelle est encore difficilement mesurable, et contribue en
revanche à créer un climat de suspiçion et d’encerclement qui ne permet pas une observation objective et
équilibrée.
Les nouvelles diffusées ont principalement pour objet le nombre de clandestins arrêtés à la frontière
algérienne (Oujda), dans le segment de cote compris entre Oujda et Nador, à Tanger et el Ayoune (en
partance pour les Iles Canaries), et révèlent la concentration d’une population de migrants clandestins
irréguliers dans les zones de départ des trois routes indiquées précédemment. Les chiffres officiels diffusés
par l’agence de presse MAP parlent de 3017 clandestins arrêtés en 2002 à la frontière algérienne, de 1240
subsahariens candidats à l’émigration clandestine arrêtés et expulsés la même année de el Ayoune et de 1400
en 2003. En ce qui concerne la zone du nord, les nouvelles regardant des arrestations et des expulsions de
masse d’émigrants subsahariens se multiplient15. Les chiffres rapportés directement par les autorités
13
Mais le nombre des immigrants subsahariens est bien plus important s’il est vrai que le Ministère de l’Intérieur a
effectué le transport par voie aérienne de 10000 immigrants irréguliers des Canaries à la Péninsule entre le mois de
janvier 2002 et octobre dernier. Tous ces individus étaient subsahariens et étaient arrivés jusqu’aux îles Canaries en
patera. Ils furent conduits aux centres d’internement (centros de internamiento) (CIE) de Barcelone, Valence, Murcie,
Madrid et Málaga. TOMÁS BÁRBULO Interior ha enviado a 10.000 subsaharianos desde Canarias a la Península en
22 meses EL PAIS | España - 01-12-2003
14
Bien qu’en 2002 il y ait eu plus d’arrestations dans la zone des Canaries que dans le détroit, en 2003, le nombre
d'arrestations était le même dans les deux zones.
15
Dans la medina de Tanger, où les migrants subsahariens attendent leur tour dans des hôtels, ou par exemple, sur la
côte contigüe à Nador ou sur le mont Gourougou. Les autorités locales et de la police ont signalé à Gabriela Rodriguez
Pizarro, Rapporteuse Spéciale de la Commision des droits de l’homme, qu’en «2002 il y aurait eu le démantèlement de
60 réseaux et l’arrestaion de 195 organisateurs de passages. Pour les neuf premiers mois de 2003, 30 réseaux auraient
été démantelés et on aurait procédé à 99 arrestations. Les personnes arrêtées seraient de nationalité marocaine et de
provenance de l’Afrique subsaharienne, en particulier du Nìgeria». Voir Gabriela Rodríguez Pizarro, rapport soumis par
la Rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme des migrants, visite au Maroc, E/CN.4/2004/76/Add.3
15 janvier 2004, http://www.december18.net/web/docpapers/doc1271.pdf . Pour un plus rapport plus récent sur la
situation du champ de Gourougou voir le «Rapport sur les évènements du camp de Gourougou –Maroc» réalisé par
l’AFVIC (l’Association des Amis et Familles des Victimes de l’Immigration Clandestine)
http://madiaq.indymedia.org/news/2004/04/6508.php
marocaines à une délégation de la Commission Européenne parlent de 24409 émigrants clandestins arrêtés
en 2000, dont 9353 marocains et de 26427 en 2001, dont 6993 subsahariens (Lahlou 2003). D’autres sources
indiquent un total de 14 630 candidats à l'immigration clandestine subsaharienne qui ont été appréhendés par
les services de sécurité marocains (Cournoyer 2004).
Outre le fait de ne pas être vérifiables, ces chiffres ne sont absolument pas représentatifs. La conflictualité
avec l’Algérie voisine fait que la frontière de Oujda, l’une des plus impliquées que ce soit en ce qui concerne
les entrées ou les expulsions d’émigrants irréguliers, est en réalité une frontière officiellement close qui est
absolument perméable. Les émigrants expulsés du Maroc vers l’Algérie attendent de pouvoir repasser la
frontière et ont été souvent expulsés à maintes reprises du Maroc. Au cours de l’expulsion et de la
permanence dans certaines localités algériennes comme Maghnia, les émigrants sont la proie d’abus et de
violences constatés à plusieurs reprises.
Alors qu’une grande importance a été donnée au nombre de clandestins arrêtés et expulsés, il est plus
complexe d’obtenir des estimations de la population de migrants illégaux présents à l’intérieur du pays. En
2002, la délégation de la commission européenne a estimé entre 6000 et 15000 le nombre d’émigrants
irréguliers et clandestins présents sur le territoire marocain (Lahlou 2003).
L’attention que les médias donnent aux migrations illégales a coïncidé avec la présentation, en
janvier 2003, du projet de loi nº 02-03 relatif à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et
à l’immigration irrégulières, adopté par le Parlement le 26 juin 2003, au lendemain des attentats du 16 mai à
Casablanca.
Avec cette nouvelle loi, le Maroc entend se donner une base législative et légale capable de répondre aux
transformations survenues dans le panorama migratoire qui le voit impliqué au premier plan, non plus
seulement comme pays d’émigration mais aussi comme pays de transit et, bien que cela soit dans une
moindre mesure, de destination.
En résumé, la nouvelle loi tend à renforcer le contrôle aux frontières. Elle criminalise les migrations illégales
et irrégulières (trafiquants et victimes), alors que garde le silence sur les droit protecteur des migrants16 et sur
le regroupement familial; augmente le degré de non-discrimination des expulsions (en fournissant une
justification juridique à une pratique déjà expérimentée); décide de l’interdiction d’entrée et de séjour des
émigrants en vertu de leur dangerosité présumée pour l’ordre public ou d’antécédents pénaux. Elle institue
des zones d’attente pour les émigrants qui attendent l’expulsion, et établit un rapport dangereux entre
migrations et terrorisme.
Beaucoup ont émis l’hypothèse que cette nouvelle loi répondait plus aux nécessités de l’Europe voisine (et
en particulier, de l’Espagne) qu’à celles du Maroc (I), du fait qu’elle introduise une inversion de tendance
dans la tradition d’accueil séculaire du Maroc, en en préjugeant les rapports avec les pays africains voisins et
en compliquant les relations difficiles existant entre le règne et la diaspora marocaine(II). Les innovations de
la loi, - criminalisation des émigrants, institution de zones de attente temporaire, pouvoir plus grand laissé
aux autorités des frontières et aux forces de police – auraient pour conséquence le risque d’une violation
systématique des droits de l’homme (III).
(I)
Dans une publication récente, Pumares (Pumares 2003) met en évidence le rôle des deux enclaves espagnoles
de Ceuta et Melilla concernant les migrations subsahariennes en Espagne. La capacité d’attraction de ces
villes est un des motifs pour lequel des filières migratoires se sont renforcées en direction et à travers le
Maroc. La difficulté de gérer ce phénomène, ainsi que celle d’obtenir une collaboration réelle avec les pays
subsahariens en matière de réadmission17 ont poussé l’Espagne à exercer une forte pression sur le Maroc afin
qu’il rappelle les migrants en transit sur son territoire avant qu’ils n’entrent en Espagne (par voie de mer ou
par Ceuta et Melilla). Pour différentes raisons, cette demande, effectuée depuis l’accord de coopération de
1992, n’a jamais été entendue.
16
Il convient ici rappeler que le Maroc est parmi les pays à avoir ratifié la Convention international sur la protection
de tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille entrée en vigueur le 1er juillet 2003
17
On rappelle qu’un accord passé avec le Nigeria et avec la Guinée Bissau est depuis peu entré en vigueur (B.O.E. de
27.03.03)
Belguendouz (Belguendouz 2003) souligne que le Plan Indicatif national (P.I.N) 2002-2004, signé le 24
janvier 2001, contraignait le Maroc à adapter les instruments législatifs à sa disposition afin de gérer
l’émigration légale et de contrarier l’émigration et l’immigration irrégulières. Un des indices de
l’engagement qui fut pris dans ce sens, mentionné dans le Plan, est le nombre des arrestations effectuées par
les autorités chargées du contrôle des frontières et celui des réseaux criminels démantelés. En 2002, en effet,
une série d’opérations menée par la police des frontières et les forces de l’ordre contre les migrants illégaux
et les réseaux criminels impliqués dans les migrations illégales devient un des sujets favoris des médias
marocains. Il nous semble possible d’affirmer, pour l’avoir déjà constaté, que la visibilité de ces opérations
est fonction de la demande formulée par l’Union Européenne.
Ces deux brefs exemples, choisis parmi tant d’autres, corroborent la thèse qui compte au nombre des
nécessités européennes l’introduction de la nouvelle législation migratoire au Maroc. Incapable d’une
approche globale sur la question des migrations, et concentrée sur les seuls aspects répressifs et de control,
l’Europe délègue aux pays d’émigration et de transit, comme c’est le cas ici pour le Maroc, la réception des
flux migratoire irréguliers. Pour ces pays, manifester aux yeux de l’Europe un engagement déterminé dans la
lutte contre les migrations illégales apparaît comme un impératif évident, dès lors que l’on est conscient du
fait qu’en dépendent non seulement le maintien et l’ouverture même d’un canal migratoire régulier, mais
toujours plus la coopération et l’aide émanant de l’Union Européenne, et en un sens plus large, les rapports
avec celle-ci.
Par ailleurs, le renforcement des contrôles déjà effectué par l’Europe voisine, et l’ouverture de négociations
pour la signature de l’accord de réadmission UE/Maroc laissent présager une augmentation du nombre de
migrants présents sur le territoire marocain, soit du fait de la difficulté à rejoindre l’Europe18, soit du fait de
l’augmentation des réadmissions. Face à cette éventualité, le Maroc a été “invité” à adopter, ce qu’il semble
avoir fait d’ailleurs, une stratégie de militarisation pure et simple des frontières et de renforcement des
instruments et des pratiques d’éloignement. S’il est donc exact que la nouvelle législation réponde à des
nécessités d’origine européen, il est également vrai que ces nécessités sont toujours plus partagées – de force
– par le Maroc. A l’«externalisation» des frontières européennes correspond la «Schengennisation»
(Belguendouz 2003) des politiques migratoires marocaines et de la zone du Maghreb dans son ensemble.
(II)
Tel est l’argument sur lequel se fonde non seulement le discours des détracteurs de la nouvelle loi, mais aussi
celui des différents représentants du gouvernement marocains. La crainte de perdre sa crédibilité aux yeux de
sa propre communauté à l’étranger comme aux yeux de la population autochtone suscite, en effet, de
profondes préoccupations. Le Maroc a toujours cherché, de façon plus ou moins éclairée, à maintenir des
liens étroits avec sa population installée à l’étranger, et d’exercer sur elle un contrôle, soit de façon à
maintenir le flux de remises et à encourager les investissements au Maroc des marocains résidant à
l’étranger, soit en vue de contenir les éventuels effets déstabilisants de la politisation et de la syndicalisation
des ses migrants. Au cours des dernières années, le leitmotiv de cette politique a été, au moins dans le
discours officiel, celui d’une vision attentive aux aspects positifs des migrations et du refus de la logique
répressive des politiques migratoires des pays de destination.
Outre le fait que leur gestion ne soit centrée presque exclusivement que sur les aspects répressifs, la nouvelle
législation présuppose une inversion de tendance et l’acceptation d’une vision fondamentalement négative
des migrations. Ceci peut signifier implicitement perdre tout droit de récriminer pour le traitement auquel
sont soumis ses propres immigrants.
Ce n’est pas par hasard si la Rapporteuse Gabriela Rodriguez Pizarro a enjoint le Maroc «à poursuivre une
politique migratoire visant à mettre fin à la dichotomie entre ce que les pays demande pour ses migrants à
l’étranger en termes de protection et le degré de protection et d’assistance ainsi que le traitement qu’il offre
aux migrants étrangers qui se trouvent au Maroc» (Rodriguez Pizarro 2003).
De la même façon, les protestations émises par l’Association des Travailleurs maghrébins en France,
concernant les récentes expulsions effectuées par le Maroc aux dépens de quelques centaines d’immigrants
18
Le renforcement des contrôles au sein du Maroc a contribué à l’augmentation des immigrants de transit ce qui a eu
pour conséquence une augmentation des prix imposés par les passeurs et ainsi, une diminution des flux en direction de
l’Espagne.
nigérians19, révèlent combien cette nouvelle attitude du gouvernement marocain peut s’avérer être un
obstacle à la volonté de ce pays de se rapprocher de ses ressortissants à l’étranger.
Aux préoccupations internes s’ajoutent des craintes de caractère régional. En ce sens, Hassan II disait que
« le Maroc ressemble a un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d'Afrique,
et qui respire grâce a son feuillage bruissant aux vents de l'Europe »20.
Même si le Maroc n’a jamais cessé de regarder en direction du nord de la Méditerranée, des liens de nature
historique, économique, culturelle et religieuse existent entre lui et les pays subsahariens voisins.
S’il est vrai, ainsi que le rappelle Bensad (Bensaad 2001) que le contact entre l’espace subsaharien et
l’espace maghrébin a été marqué par des rapports inégalitaires, en particulier lors de la traite des esclaves et
ce, jusqu’à la fin du XIXème siècle, Charef souligne quant à lui que “ le second axe structurel de la
migration marocaine pré-coloniale suit une orientation nord-sud, qui relie le Maroc septentrional à l’Afrique
subsaharienne (bulad es Saudane) à travers les montagnes de l’Atlas, les oasis sahariens et une série de villes
mythiques telles Sijilmassa ou Tombouctou. Les échanges commerciaux et l’existence de liens confraternels
ont de fait favorisé l’installation de nombreux marocains, et l’on retrouve d’ailleurs aujourd’hui encore les
traces de leurs descendants. 8000 marocains environ vivent au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Mali ”(Charef
2003).
Aux liens historiques, particulièrement forts aux temps où l’influence des sultans marocains avait atteint le
sud du Sahel, s’ajoute, de nos jours, la construction d’une politique africaine au cœur de la politique
étrangère développée par le Maroc à partir de l’Indépendance.
Dans la période qui suit l’indépendance, la politique africaine du Maroc, fortement conditionnée par les
rapports difficiles avec la Mauritanie, se concrétisera, au cours des années 70, par une série d’accords
bilatéraux de coopération passés avec différents pays de l’Afrique subsaharienne (francophone, en
particulier). Comme l’écrit Antil, c’est à partir de cette date qu’ « une véritable coopération se met en place,
elle a deux dimension : une affirmation de la solidarité sud-sud d’une part et une volonté de renforcement
des relations bilatérales » (Antil 2003). Après la marche verte (1975), les rapports entre le Maroc et certains
pays africains ( notamment ceux qui avaient reconnu la République Arabe Sahraoui Démocratique) se
tendent et amènent le Maroc à quitter la OUA lorsque celle-ci décide d’admettre la RASD parmi ses
membres (1984). Toutefois, c’est indiscutablement l’exigence de s’assurer le soutien des pays africains dans
le dossier difficile du Sahara Occidental qui poussera le Maroc à se rapprocher de certains des pays qui
avaient reconnu la RASD. Ces dernières années, la AGUIMCO (Agence Guinéo-Marocaine de Coopération),
l’AMAMCO (Agence Maroco-Malienne de Coopération) et le CMPE (Centre Marocain de Promotion des
Exportations) ont été institués. Selon différents spécialistes (Barre – 2004; Antil 2003), la politique africaine
de Mohamed VI s’inscrit dans une ligne de continuité avec celle dessinée par son père depuis 1985. Elle se
développe autour de trois actions principales:
- le dialogue et la coopération avec les pays africains pour s’assurer une base de soutien à la
maroquinité du Sahara occidental,
la constitution d’une élite africaine “marocophile” par le biais de la création de l’AMCI en 1986
(Agence Marocaine de Cooperation Internazionale) et l’offre de bourses d’étude du Mali aux
étudiants sénégalais et ivoiriens, et du Niger, aux étudiants guinéens. Cette politique avait d’ailleurs
déjà été inaugurée par l’ouverture des universités et des grandes écoles adressée aux étudiants de
l’Afrique subsaharienne après l’indépendance (Lahlou 2003),
- une forte pénétration économique ayant débuté, comme le souligne Antil (Antil 2003), à partir de
1996.
L’augmentation des investissements enregistrée dans cette zone dans les deux dernières années (160 millions
d’euros), la construction de la route directe Dakar – Tanger et la présence de secteurs d’entreprise marocains
au sein de très nombreuses activités productives et économiques au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali, au
Niger et en Guinée témoignent de l’attention que le Maroc renouvelle aux pays de l’Afrique occidental. Le
19
“Les associations d'immigrés marocains d'Europe impliquées dans une campagne européenne contre les charters de
l'humiliation qui touchent, entre autre, des marocains migrants en Europe, s'insurgent contre le sort réservé aux migrants
africains au Maroc”http://www.atmf.ras.eu.org/article.php3?id_article=167
20
Message de sa Majesté le Roi Mohammed VI aux participants au colloque sur le « Monde Arabe et l'Afrique: défis du
présent et de l'avenir » Rabat,15-10-2003. http://www.maec.gov.ma/fr/default.asp
choix de cette pénétration économique dans un marché qui, à court terme, ne garantit pas un retour
économique important fait dire à Antil que la «politique africaine» de Mohamed VI vise à un double objectif.
D’un côté le nouveau monarque se propose d’être le porte-parole des requêtes des pays africains en terme de
lutte contre la pauvreté et de réduction de la dette, prenant des initiatives telles que l’ouverture unilatérale du
marché marocains aux PMA africains et l’annulation de leur dette. Dans la même temps, Mohamed VI
semble vouloir dessiner pour le Maroc un rôle de pont entre l’Afrique et l’Europe. À cette fin, le nouveau
monarque semble avancer l’hypothèse d’une intégration régionale du Maroc aux pays de l’Afrique
occidentale, qui se déploie sur différents axes de pénétration.À côté du plus important, l’axe solidaire avec la
Mauritanie et le Sénégal, on note un rapprochement avec l’Afrqie occidentale en général et avec certaine de
ces organisations régionales. L’intervention économiqie du Maroc, remarque encore Antil, qui se concentre
dans des secteurs à forte technicité et qui se déploie à travers des accords de coopération revient ainsi dans
les intentions de Mohamed VI à restituer l’image d’un Maroc «actif dans la lutte contre la pauvreté et le
sous –développement, d’un pays qui souhaite partager sa technologie, et un pays qui envoi sur place des
équipes à la fois compétentes techniquement mais également plus proches des pays africains et de leurs
populations que ne le sont les occidentaux. Le ciblage de ces zones : Sénégal/Mauritanie et OUEMOA, audelà de sa dimension diplomatique dans le cadre du dossier saharien, doit servir, à terme, un double objectif:
ces zones seront les vitrines du savoir-faire marocain en zone africaine, et le Maroc vise une certain
régionalisation par le bas en densifiant ses actions, multipliants les rencontres et les actions» (Antil 2003)
Face à ce dessin politico-économique, dans lequel la campagne d’image joue un rôle fondamental,
l’introduction d’une nouvelle législation restrictive en matière d’immigration risque de se révéler être un
élément fortement contre-productif.
Le Maroc dispose déjà d’un régime de visas étendu pour une bonne part aux pays de l’Afrique21. Une autre
chose est toutefois d’introduire une politique restrictive des entrées à la frontière et de procéder à l’expulsion
de masse de citoyens de ces pays. Le risque de répercussions négatives sur les rapports politiques et
économiques entre le Maroc et les pays africains voisins ne doit pas être sous-estimé.
(III)
L’”externalisation” des frontières européennes risque de coûter cher en termes de violation des droits de
l’homme.
Le renforcement des contrôles aux frontières exigé des pays du Maghreb, facilité par des instruments
appropriés de coopération technique et financière22, se traduit par une augmentation du pouvoir
discrétionnaire et décisionnel des forces de police, et en général, de l’appareil répressif de ces pays, auquel
les nouvelles législations confient un rôle de premier ordre. Le renforcement des systèmes de contrôle
augmente les risques auxquels les migrants illégaux sont confrontés au cours de leur trajet et pousse
passeurs et trafiquants à expérimenter d’autres parcours, comme le montre l’accroissement du nombre de
migrants subsahariens noyés en tentant de rejoindre l’Europe, et les témoignages concernant de nouvelles
routes partant de la Mauritanie et traversant le Sahara occidental(Barbulo 2004). En outre, s’il est vrai que le
“ développement des systèmes de contrôle a généré la nécessité et la demande de services illégaux
[…]induisant un processus de professionnalisation progressive des sujets criminels qui y opèrent ” 23(Pastore
2003), le risque est élevé que dans des pays comme le Maroc se développe une forte connivence entre
fonctionnaires sous-payés et aisément corruptibles et réseaux de trafiquants, ceci ayant pour résultat une
augmentation du volume des affaires déjà florissantes des migrations irrégulières.
Benchemsi écrit: «d’après les autorités portuaires marocaines, 2533 candidats à l’émigration clandestine ont
été interpellés en 2002. Tout récemment, 142 ont été raflés en une seule fois – il aura sufi d’une descente
21
A l’exception des citoyens des Congo, Côte d’Ivoire, Guinée, Libye, Mali, Niger, Sénégal, Tunisie, qui ne sont tenus
qu’à la présentation d’un passeport en cours de validité, tous les ressortissants des pays africains sont tenus de
présenter aussi un visa d’entrée au Maroc.
22
Pour un cadre de référence plus exhaustif de ressources dans le cadre du MEDA II voir Programme Indicatif
National Maroc (P.I.N. –Maroc) : http://europa.eu.int/comm/external_relations/morocco/csp/
23
Goldschmidt souligne que l’augmentation des contrôles a déjà eu pour conséquence une augmentation des prix et une
criminalisation des réseaux de passeurs qui s’est traduite par une série de réglements de comptes entre organisations
diiverses, et entre celles-ci et les forces de police marocaines. (Goldschmidt 2004)
dans un quartier périphérique de Tanger bien connu pour abriter les futurs harraga. Ces faits d’armes sont à
l’actif de la police, ainsi que de la gendarmerie et la marine royales. Quand on veut, donc, on peut. La
question est : veut-on vraiment?» (Benchemsi ). De son coté, Rodriguez Pizarro a déclaré que lors de sa
visite au Maroc «La Rapporteuse spéciale a reçu plusieurs renseignements concernant la corruption de
quelques fonctionnaires publics, en particulier d’agents de police, mais aucun relatifs à des trafiquants. Selon
ces renseignements, des agents de police, qui reçoivent un salaire peu élevé, sont corrompus par des
organisateurs du trafic de migrants pour que les migrants soient libérés, en cas d’arrestation, ou pour qu’ils
ne soient pas conduits au poste de police» (Rodriguez Pizarro 2003).
Une fois les accords de réadmission entre Union Européenne et Maroc signés et devenus effectifs, les
migrants subsahariens interceptés durant les débarquements se verront rapatriés directement au Maroc24. Les
personnes qui auraient en théorie droit d’accéder au système d’asile devront présenter une demande à des
pays qui ne sont pas caractérisés par un respect scrupuleux des droits civils et des droits de l’homme.
La condition des réfugiés au Maroc n’est pas facile à connaître, comme le rappelle Channe Lindstrom
(Lindstrom 2002). S’il a signé et ratifié les instruments légaux internationaux et régionaux les plus
importants concernant les réfugiés et les droits de l’homme, le Maroc dispose en outre d’une série de lois
nationales largement inspirées du droit islamique, parmi lesquelles la plus importante est le décret 2/57/ 1256
du 29 août 1957. Au Maroc, le bureau de UNHCR est actif, ainsi qu’un Bureau des Réfugiés et Apatrides
(B.R.A.), créé en 1957, qui relève du Ministère des Affaires Etrangères et qui est chargé d’assister et de
protéger les réfugiés. D’après le décret cité, la création du B.R.A. aurait dû être suivie par la constitution
d’une commission de Recours chargée de réexaminer les demandes rejetées, présidée par le Ministère de la
Justice et composée de représentants du Ministère des affaires étrangères, de l'UNHCR et du B.R.A.
Toutefois, comme le souligne Lindstrom (lindstrom 2002), cette commission n’est jamais devenue
opérationnelle et la loi nationale continue d’être très vague, ne spécifiant pas les procédures à suivre dans la
définition du statut de réfugié. Le décret établissait, en particulier, que la demande d’asile soit déposée à la
frontière, tandis que, comme Lindstrom le remarque encore, l’article 12 du décret du 15 novembre 1934 (un
des décrets réglementant l’immigration au Maroc25) établit que “toutes les personnes entrées illégalement au
Maroc doivent être expulsées” et que Elmadmad signale que “la plupart des demandes d’asile proviennent de
personnes entrées régulièrement au Maroc. Les personnes entrées irrégulièrement sont considérées
généralement comme des immigrants clandestins, mais le cas des demandeurs d’asile est parfois pris en
considération” (Elmadmad 2002).
De la même façon, il ne semble pas qu’existe une définition claire des fonctions que se partagent le B.R.A. et
l’UNHCR. Pour être reconnu réfugié par le B.R.A. ( seule institution autorisée à délivrer la carte de séjour, la
carte de réfugié ou tout document de voyage), il est d’abord nécessaire d’être reconnu tel par l’ UNHCR,
mais il semble que la plupart des réfugiés reconnus tels par l’UNHCR ne s’adresse pas dans un second temps
au B.R.A. Il est intéressant de souligner que si le réfugié ne parvient pas à être reconnu tel par le B.R.A., le
réfugié reconnu tel par l’UNHCR est autorisé à demeurer au Maroc dans l’attente d’une installation
définitive. Cependant, comme l’écrit encore Lindstrom, des cas de réfugiés expulsés en territoire algérien
suite à une rafle d’immigrants illégaux ont été enregistrés.
Les ONG et les associations pour les droits de l’homme disposent d’une marge de manœuvre réduite et
auront difficilement l’opportunité d’exercer des pressions et de garantir un contrôle sur le traitement et
l’évaluation des pratiques des demandeurs d’asile au Maroc. La proposition d’instituer, dans les pays du
Maghreb, certains centres d’identification pour un premier screening des demandeurs d’asile comme celle
d’instituer des centres de attente dans les ports et les aéroports prévus par la nouvelle loi marocaine pour les
migrants de transit dans l’attente d’être expulsés, génèrent des craintes pour l’avenir. La permission donnée à
des observateurs et des représentants de la société civile d’accéder à ces structures pourrait s’avérer plus
difficile à obtenir qu’elle ne l’est déjà dans des pays comme le Maroc, la Tunisie ou la Libye.
Si les innovations de la nouvelle loi provoquent de sérieuses interrogations quant au respect des droits de
l’homme et à celui du droit d’asile, c’est la pratique des expulsions de masse et des refoulements à la
24
Fin janvier, on a révélé le rapatriement de 30 subsahariens de Fuerteventura jusqu’au Maroc.
http://wwwd.lavanguardia.es/Cerca/Cerca?p_any=2004&p_totes=marruecos+readmite
25
Pour une vision plus approfondie de la législation en matière d’immigration au Maroc, cf. Belguendouz, A. Le Maroc
non africain, gendarme de l’Europe ? Sochepress, Rabat, 2003
frontière qui ont déjà attiré l’attention des meilleurs observateurs. Si on exclut les cas d’expulsion récents par
avion du Maroc aux dépens de migrants nigérians26, le plus grand nombre d’expulsions et de refoulements
s’est effectué sur terre en direction de la frontière algérienne. Même si la volonté d’un effort commun en
matière de contrôle migratoire et de gestion des frontières a, suite à une rencontre récente entre Mohammed
VI et le président algérien Bouteflika27au terme de laquelle avait été décidée la création d’un groupe de
travail ad hoc, la frontière entre l’Algérie et le Maroc demeure officiellement fermée depuis le 199428. Les
expulsions vers l’Algérie s’effectuent de manière improvisée, en arrêtant les migrants dans la rue, en les
conduisant en camion jusqu’à la frontière algérienne et en les laissant dans un no man’s land compris entre
Oujda et Maghnia. Certains témoignages laissent supposer que les femmes aient été souvent violées par des
soldats algériens avant que de parvenir à retourner au Maroc (Hauptmeier 2003). Les cas de personnes
expulsées plusieurs fois sont communs29.
Outre les rapatriés à la frontière algérienne, on a pu constater au moins un cas de rapatrié effectué dans la
Mauritanie voisine(Hennion 2003). Les réseaux de trafiquants ont de fait agrandit leur propre rayon d’action
en opérant dans le segment de mer qui sépare la côte du Sahara des Iles Canaries.
Si les expulsions représentent un moment particulièrement propice aux violations possibles des droits de
l’homme, la permanence quotidienne dans les pays du Maghreb de certains aspects préoccupants en est un
autre.
Lors d’une rencontre survenue à Tanger, une opératrice de Medicus Mundi m’a déclaré qu’un pourcentage
élevé de fractures et de lésions avait été relevées parmi la population subsaharienne de la medina, liée pour la
plupart à des coups. Cournoyer (Cournoyer 2004) souligne, en rapportant une déclaration émanant de
l’organisation Médecins sans frontières, que «les migrants en transit sont maltraités lors des contrôles, arrêtés
et jugés sans avocat, sans interprète dans une langue qu'ils ne comprennent pas, l'arabe».
En fait, la condition des immigrants irréguliers et/ou clandestins fait des migrants subsahariens des victimes
d’abus de la part des autorités, d’extorsion, de menace et de chantage. En réalité, comme dans le cas du
Maroc, pour lequel l’exercice de la citoyenneté présente encore de fortes limites, il est aisé d’imaginer qu’un
tel droit soit totalement nié à qui n’est pas, par définition, un citoyen.
Les migrants subissent quotidiennement un climat de méfiance et de racisme qui peuvent déchaîner des
épisodes de xénophobie et d’intolérance à grande échelle, à l’image de la chasse à l’homme, citée plus haut,
qui s’est déchaînée en Libye.
3. Conclusions
L’analyse des flux de transit dans le Maghreb met en évidence l’impossibilité d’effectuer un lecture correcte
de ce phénomène en dehors du cadre plus vaste que constitue l’espace régional euro-maghrébin.
L’interdépendance existant entre les deux rives de la méditerranée ne s’épuise pourtant pas en un cercle
fermé délimitant un espace défini et sûr, mais s’étend en incluant des espaces apparemment éloignés. Ainsi,
les migrations subsahariennes créent et traversent un ensemble géographique composé de plusieurs espaces
26
Entre novembre 2003 et janvier 2004, 1460 nigerians ont été rapatriés dans quatre vols au départ de Fez, Nador,
Oujda et Tanger: http://www.map.co.ma/mapfr/info_2004/maroc_negiria.htm
http://www.bladi.net/modules/news/article.php?storyid=2781
27
New York 24 septembre 2003. Voir à http://www.maec.gov.ma/comm/comm516.htm
28
L’ancien ministre de l’intérieur Driss Basri avait accusé les services de sécurité algériens pour l’attentat islamiste à
Marrakech dans cet année et avait imposé le visa pour les ressortissants algériens. La réponse de l’Algérie fut la
fermeture des frontières terrestres entre les deux pays.
29
Lors de ma mission de recherche effectuée récemment au Nigeria, une jeune fille nigériane rapatriée de l’Italie a
affirmé avoir passé huit mois au Maroc en attendant de pouvoir traverser le détroit de Gibraltar. Durant ces huit mois,
elle a été expulsée du Maroc à deux reprises. Abandonnée à la frontière algérienne, elle a trouvé refuge à Maghnia où
elle est allée grossir la masse de population qui y est déjà concentrée. Elle est finalement parvenue à passer en Espagne,
et de là en Italie, pour y faire l’objet d’une nouvelle expulsion vers la Nigeria.
liés entre eux par l’histoire, la politique, l’économie et opposés par des rapports de force et des marges de
négociations différentes.
Au cœur de cet ensemble à la fois hétérogène et unitaire, chaque élément possède sa propre autonomie et ses
propres responsabilités.
L’U.E. semble adresser au Maroc ainsi qu’aux autres pays maghrébins des demandes fortement
contradictoires. D’un côté, elle exerce une grande pression pour faire en sorte que ces pays entreprennent
avec conviction des processus concrets de démocratisation et de respect de droits de l’Homme. De l’autre,
elle oblige ces mêmes pays à participer activement à la gestion des flux migratoires, en contribuant au
renforcement des instruments de contrôle et de répression. Dans le climat de l’après-11 septembre, sur une
échelle globale, et plus encore après le 16 mai de l’an passé (attentats de Casablanca) au Maroc, le risque de
contribuer à la naissance d’une nouvelle dérive autoritaire, dont les premiers symptômes sont déjà visibles à
travers les arrestations et les procès sommaires aux sympathisants de mouvements islamiques ne doit pas être
sous-estimé. Dans le domaine des migrations, ces symptômes se révèlent dans certains articles de la nouvelle
loi migratoire qui permettent de refuser l’entrée et le séjour pour des raisons de sécurité généraux et dans la
présentation en contemporanéité de ce projet de loi et du projet de loi anti-terrorisme (projet de loi 03/03)
Le déplacement des frontières européennes vers l’extérieur n’est absolument pas la solution aux grandes
difficultés et aux fortes contradictions dont souffre la politique migratoire européenne, mais risque de rendre
certains équilibres de la région africaine plus fragiles encore: par exemple, le difficile rapport
algérien/marocain, ou les rapports entre la zone maghrébine et l’Afrique subsaharienne.
Les incongruences qui émergent de la gestion des flux de transit dans les pays du Maghreb, ainsi que le fort
lien qui s’institue dans ces pays entre répression et garantie d’un canal migratoire régulier vital, met en
évidence l’impossibilité de continuer à penser les migrations comme un phénomène auquel on doit
s’opposer, et en revanche, la nécessité d’en accepter la responsabilité, partagée, de les gouverner. Pour que
cela soit possible, il est nécessaire de repenser les politiques migratoires, de les intégrer au sein d’un plus
large cadre de références, dans lequel celles-ci formeraient la part d’une approche globale de politique
étrangère et de coopération au développement. La création d’un espace de sécurité, de justice et de liberté ne
peut pas se fonder sur une délégation aux pays voisins des pratiques illégales et contraires à ces mêmes
principes.
S’il est possible d’assigner à l’Union Européenne le rôle de deus ex machina des politiques migratoires
actuelles, ceci ne suffit pas à relever le Maroc de ses propres responsabilités.
Il semble que dans ce pays, les pratiques d’expulsion de masse et de blindage des frontières aillent de paire
avec l’élaboration d’un discours officiel potentiellement très dangereux.
À l’occasion de rencontres avec des représentants institutionnels, on a remarqué comment les migrations de
transit sont utilisées pour construire un terrain et un besoin commun entre les pays européens et le Maroc.
Ceci se traduit, d’un côté, par une demande de fonds plus importants, et de l’autre, présente la ligne officielle
du Maroc par rapport à la question migratoire dans son ensemble.Après avoir pris acte de l’impossibilité de
contrôler les migrations par le biais de mécanismes répressifs, il est nécessaire de considérer celles-ci comme
un phénomène naturel qui peut être résolu uniquement au moyen d’une participation au développement des
pays d’origine et d’une co-gestion des flux migratoires. Le contrôle des frontières, et en particulier de celles
qui jouxtent le voisin algérien, introduisent en second lieu une série de récriminations à l’égard du rôle
déstabilisant de ce pays accusé d’être le vrai responsable de la présence et de l’augmentation des immigrants
de transit au Maroc. La question algérienne, comme on sait, se réduit à des revendications territoriales. De la
même façon, comme le souligne Goldschmidt, l’exagération donnée au rôle de Ceuta et Melilla comme pôles
d’attraction des immigrations de transit est liée aux revendications que les Marocains n’ont jamais
abandonnées concernant les deux enclaves espagnoles. Enfin, et ainsi que le suggère encore Goldschmidt, «si
le discours sur l’immigration subsaharienne, postérieur à l’ère hassanienne n’a pas été un moyen pour les
Marocains de lever un tabou, et de débattre de leur propre émigration. Cette figuration dans les médias a eu
pour effet de fragiliser les migrants subsahariens car leur stigmatisation s’est traduite par de nombreuse
délations et agressions physiques». (Goldschmidt 2004)
Bibliographie
Barbulo,T., La Guarida de los negreros del Sahara, El País, 9/02/2004
Barre, A., «Les relations entre le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne», in Marfaing,L; Wippel, S.,
Les relations transsahariennes à l’époque contemporaine, Khartala, Paris, 2004
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