Une phénoménale Filtimena
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Une phénoménale Filtimena
ARTS-SPECTACLES OPÉRA Strauss au pays des éléphants Françoise Fabian à Chaill t . - Une phénoménale Filtimena A Toulouse, un metteur en scène confond la Vienne du « Chevalier à la rose » avec le royaume de Bohai-. Mais la musique est sauve Toulouse possède ainsi un opéra, il est vrai fort laid, chocolat, ou, pis encore, gai comme un film pornographique (I), mais où l'on peut entendre des choses remarquables. La mise en scène du « Chevalier à la rose » qu'on y reprenait il y a quelques jours ne mérite pas qu'on parle d'elle : elle n'existe pas. Le lecteur assidu de « Babar » se rappelle sans doute à quoi ressemble le palais que le roi des éléphants se fait construire : une sorte de réplique simplifiée du château de Versailles, agrémentée de jardins à la française, au centre desquels un sympathique pachyderme de pierre, tenant en sa trompe un trident, figure Neptune dans sa fontaine. La Vienne de Peter Busse rappelle le Versailles de Jean de Brunhoff. Mais dans la fosse, l'orchestre de Michel Plasson, dirigé pour cette série par Friedemann Layer, n'a rien d'un orphéon. Un peu figé au début, comme refroidi, ou paralysé par la crainte (car « le Chevalier » est un opéra redoutable, long et difficile), il s'est mis en place petit à petit, et a montré de remarquables qualités de finesse et d'endurance. Friedmann Layer n'est pas Karl Bôhrn, même si Nicolas Joël, directeur du Capitole, lui en confie le répertoire ; mais il jouit d'une placidité qui , semble, en la circonstance, un véritable don du ciel. Il est le parfait allié des chanteurs et des instrumentistes. En sorte que le spectateur, dont l'esprit n'est occupé d'aucune métaphysique et gêné d'aucun problème orchestral, peut jouir tout à son aise de ce que les chanteurs lui offrent. Et ils donnent beaucoup. Aux côtés d'une Françoise Pollet qui se surpasse dans le rôle de la Maréchale, et de rOctavian splendide de Jane Bunnell, qui chantait le rôle pour la première fois (2), Donna Brown était Sophie. La plus jolie Sophie qu'on ait vue depuis longtemps. Une voix agile, à l'aigu sans effort, au timbre transparent. Qu'elle ait été abandonnée par son metteur en scène lui adonné un air un peu timide et perdu qui allait bien à son rôle de jeune fille somme toute vendue par son père à un gros dégoûtant. La technique forcément brillante d'une chanteuse qui interprète Sophie est un peu l'image musicale de la pureté du personnage, et de la force induite. Donna Brown, française d'origine canadienne, fait une carrière lente, sûre, irrésistible. Choisie par des chefs aussi divers que John Eliot Gardiner ou Wolfgang Sawallisch, à l'aise à l'opéra comme dans le répertoire du lied ou de l'oratorio, elle s'apprête à affronter l'Opéra Bastille, où Chung lui a offert la tête d'affiche dans « Benvenuto Cellini » de Berlioz. Pour d'autres beaux Strauss, il faudra donc attendre. Jacques Drillon (1)Il devrait être refait d'ici à un ou deux ans. (2)Le baron Ochs de Walter Pink tombe dans tous les pièges du rôle. Encore Raban 94 /LE NÔ UVEL OBSERVATEUR - Eduardo de Fili ppo n' aurait pas pu rêver meilleure interprète que « la » Fabian pour incarner son héroïne liez savoir si Françoise Fabian est Filumena Marturano ou si Filumena est Françoise. Impatiente, rusée, brillante, belle si belle, de mauvaise foi et de bon coeur, cette Napolitaine bat le plancher et son prochain. On se rappelle peut-être l'argument de la pièce d'Eduardo de Filippo. Filumena, femme entretenue, s'est fait épouser grâce à un chantage matrimonial. Elle a trois fils. Lequel est de son époux ? Celui-ci en vacille d'inquiétude. Séducteur sur le retour, assez crapulard, un tantinet lâche aussi, il finira dans la poche de Filumena. Belle revanche des femmes au pays des machos. La pièce est mise en scène par Marcel Maréchal, qui tient le rôle du monsieur en question. Et F.E, donc, est Filumena. C'était d'ailleurs le voeu le plus cher d'Eduardo de Filippo. Dans la distribution, on relève encore les noms de quelques « sociétaires » du Théâtre de la Criée, à Marseille comme Angelo Bardi, Michel Demiautte, Mo ussa Maaskri, Matthias Maréchal, Mama Prassinos, tous épatants. Avec enguest star cette comédienne sublime dont le bleu des yeux nous donne toujours du bonheur : Dora Dol!. Pour en finir avec l'énumération façon « Au théâtre ce soir», signalons que les lumières sont de Jacques Wenger, les costumes d'Agostino Cavalca et le décor (sublime) de Nicolas Sire. A la ville comme à la scène, Françoise Fabian est habillée par... Entre nous, le nom du couturier n'a que peu d'importance. Car « la » Fabian, à la ville comme à la scène, c'est la magie du théâtre. La voix et le geste, une façon de se poser dans la vie et dans notre imaginaire. Françoise est mieux qu'une actrice, elle est un poème, l'inspiratrice même ou, mieux, la provocatrice. Quand on la croise, Françoise, on a des mots, des phrases qui montent à la surface, qui fourmillent dans les mains (et nous, on en sait quelque chose). Louis Malle et Rohmer (vous rappelez-vous cette Maud chez qui nous passâmes une nuit ?), Delvaux et Bunuel (chez qui Françoise fut bien coquine, en qualité de pensionnaire de Mine Anaïs, dans « Belle de jour »), Bolognini et Sagan (dans son seul film, « les Fougères bleues », une rareté), Mme Fabian a bien mérité de nos fantasmes collectifs. Et individuels. Michèle Cortes de Leone y Fabianera, née en Algérie de père (comme son nom l'indique) espagnol et de mère polonaise, épouse de Jacques Becker puis de cet acteur lumineux, hélas disparu trop tôt, Marcel Bozzuffi, c'est le plaisir du spectacle. Comme on le disait à l'instant, on a envie d'écrire pour elle. C'est même une nécessité. On l'a fait naguère, on va le refaire tout à l'heure. Et en attendant, si vous alliez voir « Filumena Marturano » ? Attention, méfiez-vous : les places sont comptées. Et comme à Chaillot ce n'est malheureusement pas conune, au paradis, les derniers ne seront pas nécessairement les premiers. JEAN-FRANÇOIS JOSSELIN « Filumena Marturano », d'Eduardo de Filippo, au Théâtre national de Chaillot (Salle Gémier), à 20h 30,jusqu'au 13 mars (47-27-81-15). Françoise Fabian dans le rôle de Filumena Marturano. Elle a la voix et le geste, une façon de se poser dans la vie et dans notre imaginaire. r--