Interview with Georges Berthoin - Historical Archives of the
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Interview with Georges Berthoin - Historical Archives of the
Interview with Georges Berthoin Interview by G. Bossuat Paris 27/05/1998 Voices on Europe collection M. Georges Berthoin )EAN MONNET ORAL PROJECf, CHAIRES JEAN MONNET D'mSTOIRE HISTOIRE DES DEBUTS DE LA CONSTRUCfION EUROPEENNE INTERVIEW DES DECIDEURS DE L'UNlTE EUROPEENNE PROGRAMMEFRAN~MS 1998 Entretien avec M. Georges Berthoin , par Gerard Bossuat, professeur a l'universite de Cergy-Pontoise, 27 mai 1998, 22 septembre 1998 Transcription realisee par Christophe Gouel, doctorant en histoire, decembre 1998-janvier 1999 et par Marie-Laure Boubass, etudiante en Droit, janvier 1999. UE 4 cassettes assette n° 4, face A. HA EU AH ... A ceux qui entendront, nous sommes donc Ie 27 mai 1998. Ie suis chez Georges Berthoin qui a accepte de me recevoir pour parler de Monnet et de Schuman, de son experience d'ambassadeur de la CEE a Londres entre 1956 et 1973, de la Trilaterale aussi, il nous expliquera ce dont il s'agit, et enfin parlera du Mouvement Europeen. Peut-etre serait-il utile que vous presentiez vos activites professionnelles et en particulier celles qui sont liees a I'Europe. HA EU AH UE Alors indirectement, j'etais de 1947 a 1948 a Harvard, comme etudiant de Ph D. mele a des ateliers organises au ... Center sur la mise en application du concept du Plan Marshall, je l'ai done vu du cote americain. Done nous etions un certain nombre d'etudiants europeens utilises comme cobayes par les chercheurs americains qui avaient ete charges, ils n'etaient pas les seuls je crois, par Ie departement d'Etat de mettre en ceuvre Ie discours de Marshall en 1947. Ensuite aux Finances de 1948 a 1950 avec Maurice Petsche, qui etait Ministre des Finances, a son cabinet. Ensuite je suis entre dans Ie corps pretectoral en 1950, et j'ai ete nomme directeur de cabinet de l'Inspecteur general de l' administration en mission extraordinaire, IGAME, qui etait a la fois pretet de la Moselle, et parmi les deputes il y avait Robert ,Schuman. Done j 'ai ete envoye la en 1950, quelques semaines apres l'annonce... Ie lancement du Plan Schuman qui eut lieu Ie 9 mai, et nous sommes arrives avec Ie pretet qui etait AndreLouis Dubois, et moi, fin juin 1950. Et j'y suis reste deux ans, et de la je suis parti pour Luxembourg en octobre 1952 pour devenir apres une toute petite periode interimaire, chef de cabinet de Jean Monnet, ce que l'on appelait en France directeur de cabinet, mais qui dans Ie jargon europeen s'appelait chef de cabinet de Jean Monnet. Je suis reste avec lui apres toute une serie d'episodes assez rocambolesques, jusqu'a son depart en 1955, ou 1954... Il demissionne en 1954, novembre 1954 et il reste en place en fait jusqu'en 1955, jusqu'en juin 1955. Jusqu'a Messine. Qui. © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin AH UE Je reste formellement avec lui. Et puis la, lorsque Rene Mayer devient President de la Haute Autorite, il m'envoie a Londres pour seconder Max Kohnstamm qui etait charge de creer la premiere mission diplomatique de la Communaute Europeenne, de la CECA a l'epoque. Je suis reste a Londres jusqu'en 1973, date a laquelle la mission diplomatique etait fermee puisque les Anglais devenaient membres de la Communaute Europeenne, c'etait en juillet 1973, il y a eu une petite periode de six mois, interimaire. Ensuite en octobre 1973 j'ai participe a la creation de la Commission Trilaterale qui est une organisation privee, qui n'est pas une institution publique, composee du Japon, de l'Europe de l'Ouest et de I' Amerique du Nord. Max Kohnstamm en a ete Ie premier President europeen, ensuite il est parti pour Florence pour diriger l'Universite de Florence. Et j'ai ete elu pour Ie succeder en 1975 et je suis reste co-president puisqu'il y avait une co-presidence japonaise, americaine et europeenne, je suis reste 17 ans. C'etaient des mandats de 3 ans, j'ai ete renouvele pendant 17 ans, jusqu'en 1992. Entre temps en 1978 j'ai ete elu president international du Mouvement Europeen, ce sont des mandats de 2 ans renouvelables une seule fois, donc jusqu'en 1981. Je succedais a Jean Rey, et mon successeur etait Petrilli ... Ensuite apres 1992 je suis entre dans des activites beaucoup plus globales si vous voulez, l' Academie internationale de la paix a New-York etc. Mais je n'ai plus...arriver a un age ou l'on a plus de mandat si je puis dire, tres contraignant. On prefere etre beaucoup plus libre, voila. C' est un resume qui repond a votre question? HA EU Tout a fait. Merci bien M. Berthoin. Est-ce que vous pouvez preciser, d'ou. vous vient ce sentiment europeen ou cet interet pour ['unite europeenne ? AH UE D'abord une tradition de famille. Mon pere quand il etait jeune, et avec son propre pere a Grenoble, animait un petit groupe pour les Etats Unis d'Europe qui s'appelait « Pour les Etats Unis d'Europe ». Donc j'ai toujours entendu parler de l'ideal europeen. Mais sur un plan personnel c'est pendant la guerre et pendant la Resistance que j'ai considere que notre avenir passait par l'unite europeenne. « HA . De laquelle ? EU Oui, est-ce que vous pouvez preciser [es origines de ['association... Des Etats Unis d'Europe ». Celle de mon grand-pere ? Je crois que c'est une association qui devait exister un petit peu partout. Mais j' ai dans mes papiers les comptes-rendus de la section grenobloise de l'association « Pour les Etats Unis d'Europe » puisqu'il doit dater de 1911, 1912. De 1911 ? Oui. C' est une tres vieille idee. On parle de l' idee des Etats Unis d 'Europe et de l' unite Europeenne comme si c'etait une idee totalement nouvelle et imposee par les americains. Mais c'est totalement faux. Victor Hugo a plante a Guernesey, j'ai un tableau d'ailleurs, un 2 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin chene. 11 a dit « lorsque ce chene produira... », vous connaissez tout cela, «les Etats Unis d'Europe existeront ». Donc c'est une vieille idee. Garibaldi... Vous venez de m'apprendre OU ill'a plante. A Guemesey. Je l'ai meme ecris dans un article en disant.· Maintenant je le sais. « je ne sais pas OU est plante ce chene ». UE 11 existe toujours, il existe toujours. AH Ah c'est extraordinaire! EU 11 existe toujours, on peut Ie photographier. HA Je pense que votre famille est d'un milieu politique radical ? Qui UE Vous vous rappe/ez qu 'Edouard Herriot a place ce mot les « Etats Unis d'Europe ». HA EU AH Edouard Herriot bien sur ! Les Etats Unis d'Europe ... Le mot et Ie concept «Etats Unis d'Europe» appartient aux Europeens et il n'appartient pas aux autres. Et si l'on veut remonter, alors vous etes historien et je ne Ie suis pas, mais Ie concept «Etats Unis d' Amerique », quand meme, descend des inspirations des philosophes. Et puis on peut "remonter jusqu'a l'epoque de Sully, etc. Bon mais, dans les greves du XIXeme siecle, il y a eu deux grands reves ... il y a eu trois grands reves: Ie reve social, bon cela c'etait Ie marxisme etc, Ie reve universaliste et Ie reve des Etats Unis d'Europe. D'ailleurs ce qui est interessant c'est que la fin du XX e siecle a un rendez-vous extraordinaire avec ces trois reves. Est-ce que vous pouvez expliquer ? Qui, aujourd'hui nous avons la globalisation et Ie gros probleme c'est de gerer la globalisation, I'QNU, toutes ces grandes organisations. La deuxieme, comment rendre humaine la revolution industrielle et Ie developpement du capitalisme. Et I' autre, comment creer en Europe un systeme librement consenti qui reunit les etats, qui ne cree pas un empire ou un imperialisme, les Etats Unis d'Europe. Voila les trois grands reves du XIXe siecle. D'accord. 3 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin II Y a eu des convulsions fantastiques dans Ie XXe siecle, et sanglantes pour ces trois luttes. Or nous arrivons au debut du XXle siecle, c' est un rendez-vous extraordinaire, et vraisemblablement en mesure de repondre positivement a ces trois defis et a ces trois reyes. Et l'action de Jean Monnet on Ie verra plus tard, a ete un element tres important dans Ie developpement de ces trois questions, dans Ie traitement de ces trois questions. Est-ce que vous pensez que Jean Monnet aurait pu poser des probLemes des rapports avec son temps de La maniere dont vous Les posez actuellement ? HA EU AH UE HA EU AH UE Non parce qu'il n'aimait pas poser les problemes. Parce que j'ai souvent discute avec lui, et alors il me disait: « vous etes intellectuel », bon en fait je ne suis pas intellectuel, « vous etes intellectuel », et dans sa bouche ce n'etait pas necessairement un eloge. Parce que lui, et c'est cela qui a ete pour nous une grande le~on, lui avait un instinct des choses qu'il fallait faire que nous n'avions pas, parce que souvent nous allions par Ie raisonnement. II ne faut pas oublier que la vie de Monnet est une vie qui monte, et il a en partie les qualites de l'autodidacte. Donc il avait un instinct tres sur. Et la deuxieme chose qu'il avait, c'est il disait: « bon alors qu'estce qu'on fait ». Donc Ie passage a l'acte pour lui etait aussi important que la discussion. Quelquefois l'intellectuel s'arrete avant Ie passage a l'acte. Bon, mais pour revenir a l'origine sur Ie plan personnel, pendant la Resistance, je me souviens des discussions que nous avions. Mais en 19... J'etais dans la region grenobloise, a Grenoble ... , mais il y avait les maquis etc. II y a eu un probleme ideologique. C'est que, on pensait que les debarquements auraient lieu en 1943, alors qu'ils ont eu lieu un an plus tard. Le probleme etait de donner un contenu ideologique beaucoup plus structure a la vie des maquis, des lendemains qui chante, etc. Or a l' epoque il y avait trois mouvements tres forts, des mouvements je ne dis pas nationalistes mais patriotiques, avec une teinte sociale, qui etaient au fond les gaullistes, Ie mouvement communiste qui etait extremement fort parce que c' est la les lendemains qui chantent, etc; et un troisieme qui n' etait ni I' un ni I' autre et d' ailleurs on se retrouvera plus tard dans les batailles politiques, c'est ceux qui revaient d'une Europe unie. Mais a I'epoque il etait tres difficile d'aller sur Ie plan personnel, on reprenait les themes des Etats Unis d'Europe. Moi j'ai fais des conferences dans des groupes de resistance dans Ie Vercors etc, en parlant des Etats Unis d'Europe. Parce que c'etait un vieux slogan qui a quand meme fait vibrer pas mal . de gens autrefois. Mais la difficulte qu'on avait, c'est que Hitler a la fin de la guerre, a voulu utiliser certains slogans europeens pour dire « l'Europe unie contre Ie bolchevisme ». II y a meme eu des affiches qui essayaient de reprendre ... La division fran~aise des gens qui ont collabore dans l'armee allemande s'appelait precisement la division Charlemagne. Donc, apres la guerre, beaucoup d' entre nous se sont sentis liberes des difficultes, ou des ambigu"ites qu'Hitler avait impose a l'idee europeenne, nous n'avions rien a voir evidemment avec lui. Lorsque Churchill a propose en 1946 quelque chose comme les Etats Unis d'Europe. Et c'est Winston Churchill, grand vainqueur europeen, Ie seul grand europeen vainqueur de la guerre mondiale, qui a rehabilite Ie slogan des Etats Unis d'Europe. Et cela a amene a la Conference de La Haye etc., voila. J e vais vous dire ce que vous m'avez appris. Vous m'avez appris que L'idee d'Europe preexistait,. certes, je savais qu'elLe existait en France, mais dans Le cadre de La Resistance vous temoignez qu'elle etait forte ... Absolument 4 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin Et qu'elle existait meme avant qu 'Hitler n 'utilise lui-meme ce slogan. Bien avant. II a essaye de capter, il n'y a pas reussi, ce qui a ete autrefois avant la guerre une idee forte. Le mouvement de Coudenhove-Kalergi date de l'entre deux guerres. Paneuropa etait un mouvement a vocation europeenne. Donc ce n'est pas, c'est plus qu'un slogan,... La croyance, Ie reve europeen datait de bien avant toutes ces periodes lao Si vous regardez la carriere de quelqu'un comme Spinelli, Spinelli c'est dans les camps, c'est dans les prisons! Tous les gens qui sont au debut de l'action europeenne, aucun n'a ete un collaborateur, aucun! Ce sont des gens qui ont ete victimes de la guerre, victimes d'Hitler ! UE - Vous savez qu'il y a certains briandistes qui ont mal tourne quand meme pendant la guerre. AH Oui, je vous parle des gens qui ont ete a l'origine de l'action europeenne apres la guerre. EU Qui bien sur. HA Oui il y a aussi des communistes qui ont mal tourne, et des socialistes. Non, je vous parle des gens qui ont commence a militer ouvertement apres 1945. UE Une question encore pour l'idee europeenne dans la Resistance, et plus particulierement dans la region grenobloise. Quels etaient vos mouvements de Resistance, vous n'avez pas precise d'ailleurs Ie nom... AH Combat. EU Cela ne m'etonne pas. HA Mais entre nous on ne savait pas tres bien ce que l'on choisissait. N'oubliez pas ce qui etait organise sur Ie systeme des sizaines. On n'allait pas dans une boutique s'inscrire au mouvement Combat. Moi j'ai realise plus tard que c'etait cela. Je l'ai realise assez vite parce que 1'on distribuait Ie journal « Combat », et les petites feuilles que l'on collait sur les murs. Mais c'est Ie hasard. Est-ce que vous eriez en rapport eventuellement avec d'autres personnes qui pensaient a l'unite europeenne? Je pense en particulier a d'autres mouvements de Resistance par l'intermediaire de la Suisse, parce que la Suisse a ete un grand lieu de rendez-vous entre les resistants, en particulier en 1944 avec Spinelli, et ensuite... Oui, Je suis entre dans la Resistance en octobre 1940, j'avais 15 ans. Alars j'etais vraiment a la base de la base. II ne faut pas oublier ! Mais nous etions des etudiants, vous savez l'Universite de Grenoble pendant la guerre a ete extremement bouillonnante. on discutait 5 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin enormement. Et l'Europe etait un des themes dont on discutait. D'ailleurs cela me revient, en automne 1944, alors que la guerre n'etait pas terminee, nous avons organise une reunion sur l'Europe ... Le nom de l'organisation c'etait l'UEP, l'Union des Etudiants Patriotes, et c'est done un des themes dont nous avons discute avant la fin de la guerre. Est-ce que vous pouvez preciser Ie contenu que vous mettiez dans cette Europe unie ? Etats Unis d'Europe. UE D'accord, mais Etats Unis d'Europe c'est relativement vague. Est-ce que c'est l'Europe de Coudenhove-Kalergi, est-ce que c'est l'Europe deja occidentale ou pas? AH Qu'est-ce que vous voulez dire? EU Je veux dire, est-ce que vous aviez deja une vision de la geographie de l'Europe, de l'etendue de I'Europe ? EU AH UE HA C'etait a l'epoque oil il n'y avait pas de rideau de fer, il n'y avait pas de division. Par consequent c'etait... Le grand reve, qui etait d'ailleurs un reve «rooseveltien », etait la rencontre, la convergence de la revolution ou de l'existence communiste et de la revolution democratique. On ne pensait pas qu'ils seraient necessairement ennemis. On commen~ait a Ie voir. Moi j'ai raconte un incident par ailleurs qui etait Ie 6 juin 1945, lorsque Jacques Duclos est venu a Grenoble pour celebrer Ie 6 juin. Et tous les discours etaient sur la brillante victoire de Stalingrad. Nous avons ete quelques uns a vouloir prendre Ie micro, nous avions parle d'ailleurs, mais on nous a interdit Ie micro. Nous avons quitte... c'etait au velodrome de Grenoble, il y avait 35 000 personnes, nous avons quitte... Et la j' ai vu la falsification historique. Alors que j'avais des amis, de tres proches amis qui etaient dans Ie Parti communiste, alors ils ont tous petit a petit quitte. Done l'Europe etait pour nous une idee forte. Absolument. HA D'accord, est-ce que vous mettiez I'Angleterre dedans ? Ce n'etait pas Ie cas de Churchill a Zurich en 1946 ? Non, mais vous savez quand vous etes a la base, vous nagez dans l'illusion des bonnes intentions. Qui d'accord. 6 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin UE Mais, Ie discours de Churchill est de 1946. Je vous parle en 1945. Pour notre generation, Ie pays phare, c'etait la Grande Bretagne, Ie pays qui avait resiste. C'etait la BBC, c'etait la revolution sociale egalement, les travaillistes, etc. Done pour nous la reference c'etait la Grande Bretagne, c'etait Londres. Et d'ailleurs beaucoup d' Anglais aujourd'hui vous diront, c'est une enorme, c'est une grande occasion qu'ils ont rate. IIs avaient un leadership total. Et c'est la France qui a pris ce leadership. Parce qu'il y a beaucoup d'occasion ratees dans l'histoire. Alors 1946 si vous voulez, c'est d'ailleurs l'impact de ce qu'a dit Churchill etait precisement... Apres tout Churchill a l'epoque etait une personne privee, il n'etait plus public. Mais Ie fait que ce soit un Britannique qui dise cela, et il n'y avait qu'un Britannique qui pouvait redonner Ie cachet de la grande victoire democratique a l'idee europeenne, qui n'avait pas ete abimee par Hitler, mais elle avait besoin de quelque chose. II fallait que cela vienne de l'Angleterre. Et Ie fait que cela vienne d'Angleterre ... Le congres de La Haye de 1948 a ete organise en grande partie sous Ie leadership britannique. Churchill a mis son gendre, DuncanSandys, comme organisateur, etc. Et tout Ie monde est venu sauf les socialistes d'un certain pays, notamment en France ils ont eu l'interdiction de venir. AH Ramadier est venu, c'est lui qui presidait la commission. EU Qui, mais en dissidence. HA Non, avec l'approbation... UE Non, non! J'ai eu une conversation a ce sujet avec Gerard Jaquet, Mitterrand, a l'Elysee, bon. et bien justement. Mitterrand nous disait: « J'etais au Congres de La Haye parce que je n'etais pas socialiste a l'epoque ». EU AH D'accord.- Donc 1946-1948, il me semble que vous n'etes pas encore dans Ie corps prefectoral ? HA Non, pas du tout. Alars je pars pour l'Amerique. Je pars pour l'Amerique pour apprendre l'Anglais parce que j'etais tres faible. Et la, j'ai raconte recemment dans un papier que j'ai fait, nous etions un tout petit nombre d' etudiants europeens. Et la il y avait des gens d' origine allemande, enfin il y avait plusieurs... Et Ie fait... Et aux Etats Vnis nous avons decouvert les uns et les autres, je dirais physiquement, ce que la notion d'Etats Vnis pouvait apporter de plus a des europeens, qui deux ou trois ans avant etaient de part et d'autre dans Ie conflit. Et cela nous /a donner une dimension individuelle beaucoup plus grande, avec un effet liberatoire. Et on nous a tous offert des jobs. Et tous dans Ie groupe d'amis, sauf deux, nous avons decide de rentrer en Europe, pour faire les Etats Vnis d'Europe. Alors je ne dis pas cela d'une maniere romantique si vous voulez. Mais quand on a, quand on decouvrait, surtout a l'epoque, en 1947, les Etats-Vnis, c'etait une planete totalement differente. Et on voyait realiser dans la realite, realiser Ie vieux reve. A la fois Ie reve de nos peres et grands-peres, et Ie reve que l'on avait eu pendant la periode de la Resistance. D'oll non seulement la notion Etats Vnis d'Europe - Etats-Vnis d' Amerique a stade voisin, mais l'inspiration que nous cherchions les uns et les autres dans Ie modele americain. Et cela a eu une enorme influence etc. Et vous Ie retrouvez dans l'action de Jean Monnet. Alars, done, rentrer en Europe pour cela. C'est-a-dire il faut apprendre un metier parce que bien avant l'idealisme... Alors aux Finances j'ai appris evidemment beaucoup de choses. Ensuite a la Prefectorale, mais j'avais 7 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin toujours cette idee lao Et quand j'ai entendu comme tout Ie monde la declaration de Schuman, j'etais a Paris. Si vous regardez d'ailleurs la presse de l'epoque... Tout Ie monde a compris que cette fois c'etait une proposition serieuse. Parce qu'il y avait eu beaucoup de proposition avant cela, il y avait eu Ie FRITALUX, toute une serie de choses. La on s'est dit, la il y a quelque chose de totalement nouveau. Et ce qui etait nouveau et ce qui a frappe, c'est qu'il y avait un element de transfert de souverainete. Et il y avait Ie mot « Federation Europeenne ». Ceci venant d'un Ministre des Affaires etrangeres franc;ais, cela avait une credibilite toute speciale. Est-ce que vous pouvez apporter un temoignage en contre point sur Bidault, non pas forcement pour I'enfoncer, mais quelle etait sa maniere de percevoir les questions europeennes par rapport aSchuman ? HA EU AH UE HA EU AH UE A l'epoque il n'y avait pas de contraste entre eux les deux. C'est plus tard que c'est venu. Bidault a rate l'occasion parce qu'il n'a pas ouvert Ie fameux tiroir dans Ie quel Monnet avait mis Ie texte. II etait president du Conseil. Mais il n'y avait pas a l'epoque, je parle d'un temoignage, je ne sais pas ce que les documents ..., il n'y avait pas un contraste fondamental entre les deux hommes. La raison de la difference, et cela je l'ai compris en allant en Lorraine, en Moselle, c'est que pour Schuman, cette idee la je dirais, etait consubstantielle a ce qu'il etait et ce qu'il avait toujours ete. Parce que Ie drame de Schuman c'est Ie drame de la Lorraine, de cette region lao Et l'offre d'une communaute europeenne de charbon et d'acier, liberer cette zone d'une malediction historique. Et Bidault ne pouvait pas comprendre cela, il ne l'avait pas vecu. Moi j'ai souvent discute avec Schuman alors qu'il etait Ie depute de la Moselle, donc je suis aIle en juin-juillet 1950 prendre mon poste, j'ai souvent discute avec lui. A l'origine de sa demarche il y a la logique d'un bon depute lorrain, pas simplement l'homme d' etat europeen, franc;ais etc, autre chose. C' est en tant que depute lorrain. Et j' ai compris lorsque nous avons fait les visites dans les differentes villes, villages de la Moselle et puis de la Lorraine en regardant les monuments aux morts. Vous avez a « nos morts », et puis deux colonnes: armee allemande, armee franc;aise. C'est cela sur les monuments. La j'ai compris qu'il y avait une dimension toute speciale. Et en plus quand on a vu la reconstruction de la siderurgie et la reorganisation des charbonnages, et que dans certaines usines ou certaines mines, la frontiere qui etait une frontiere strategique, passait a travers la mine, dans la region . de Forbach par exemple, etc. Ou la frontiere dans la region d'Esch sur Alzette et du cote de Longwy. Et quand j'ai vu, - j'ai bien connu la famille Wendel- , que la frontiere de 1870 passait a travers leurs propres usines. Proposer une politique qui permettait aces differentes entites divisees par l'histoire et les necessites militaires, de vivre dans une seule communaute, cela la liberait totalement et lui rendait ses possibilites de richesses. Et cela c' est une des raisons pour lesquelles Schuman a compris si vous voulez, beaucoup mieux que n'importe quel parlementaire de l'interieur, comment dire, en Lorraine, la portee de ce que Monnet suggerait. Et ce n' etait pas une proposition politique ou technique, c' etait une proposition vitale. Qui, vous avez vraiment tres bien explique cela. J e voudrais vous poser une question a ce propos La. Souvent on presente Adenauer, Monnet, Schuman, De Gasperi comme les hommes de la Frontiere. Ils Ie sont d'une certaine maniere. Est-ce que vous pensez que les motivations d'Adenauer par exemple, etaient les memes que celles de Schuman? 8 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin AH UE Elles etaient les memes, avec egalement une dimension qui existait chez les deux, et chez Gasperi que je n'ai pas mentionne, une dimension spirituelle. La notion du pardon. II est tres difficile de pardonner au niveau de l'offense, vous ne pouvez pardonner qu'en etant a un niveau superieur a celui de l'offense. Et en proposant et en acceptant la requete d' Adenauer, un ideal qui depassait les contraintes et les logiques purement nationalistes et guerrieres, on avait une meilleure chance de se rassembler, et de se rassembler sincerement. Cela n'a jamais ete... Cette affaire des Ie debut n'a pas ete un element superpose a la realite de maniere artificielle. C'etait vecu profondement. Moi j'ai vu dans des reunions europeennes des gens pleurer ! Quand Adenauer d'ailleurs est venu voir De Gaulle et qu'il y a eu la messe commune a Reims, les gens qui etaient la avaient les larmes aux yeux ! Et pas par une emotion facile, mais de ces larmes que l'on contient parce qu'on ne pleure pas. Et cela sortait de choses, d'etat de souffrance, de desillusions. A l'origine, on l'a oublie malheureusement parce qu'on parle de l'harmonisation de la TVA, de tous ces trucs la, cela fait partie des choses de la vie si vous voulez. Mais l'origine de cette affaire qui etait credible parce qu'on s'appliquait au charbon et a l'acier, autrement dit on rentrait dans la realite industrielle des choses, une dimension humaine et spirituelle extremement puissante, qui a ete sentie des Ie debut. D'ailleurs Denis de Rougemont, vous n'avez qu'a voir tout ce qu'il a ecrit la-dessus. Et Schuman pour lui, cela a ete Ie couronnement de sa vie en tant que Lorrain, en tant qu'individu Schuman. II etait Ministre des Affaires etrangeres, donc il avait Ie pouvoir. a 1952. HA De 1950 EU Puisque vous aviez des responsabilites prefectorales a ce moment la, c'est-a-dire en 1950... AH UE De 1950 a 1952. Est-ce que vous pouvez preciser si au-de/a des elites, - Schuman fait partie des elites, il est depute -, les gens a la base partageaient le sentiment que la proposition de Schuman etait l'avenir pour eux? HA EU Alors, d'abord la jeunesse, certainement. Les elites en place, les elites oui, mais il y avait en Lorraine une division et qui va m'amener a vous racontez un episode interessant parce qu'il a eu une influence sur Ie cours de l'histoire. Je l'ai deja raconte dans une interview, mais jusque 'la, cela a ete secret. Quand Andre Dubois a ete nomme, il a ete convoque par Ie President de la Republique Vincent Auriol, pour succeder a Perillier qui est devenu resident en Tunisie. Vincent Auriol lui a donne une instruction qui n'etait pas censee exister, en lui disant: « les rapports que j'ai indiquent qu'aux elections de 1951 Robert Schuman sera battu. Je ne suis pas partisan du Plan Schuman », il n'etait pas europeen, « mais on ne peut pas laisser mettre en cause la politique de la France a l'occasion d'une defaite electorale locale. Donc, faites en sorte que Robert Schuman soit elu ». Et nous sommes partis avec cette instruction qui n'etait pas censee exister, et une partie de mon activite a consister a faire en sorte qu'il soit elu. Cela c'est absolument..., c'est une des raisons du lien tres fort qui existait entre Schuman et moi. II est venu ici meme pour me remercier, mon pere habitait ici. Et alors nous avons fait une manipulation. Schuman etant Ministre des Affaires etrangeres, etait oblige de voyager enormement. Donc il etait souvent absent. Et il avait contre lui une partie des maitres de forges qui voyaient d'un mauvais ceil la creation de cette communaute du charbon et de l'acier, ils preferaient reorganiser par Ie comite des forges les rapports excellents d'ailleurs, qui existaient entre maitres de forge des differents pays , hollandais, belges, allemands, luxembourgeois, etc. Donc ils etaient contre, plus pour cette raison que pour des raisons de transferts de souverainete etc. Cela existait mais ce n'etait pas encore Ie gros debat. Le debat 9 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin UE c'etait que la Chambre syndicale de Ia siderurgie etait contre, absolument contre, tres fortement contre. Donc, Schuman avait toujours ete elu sur Ies Iistes d'Union Lorraine, n'estce pas. En Lorraine la politique n'etait pas violente, c'est elle qui etait patronnee par Ies Wendel. Et Ia il y a eu divorce. D'un cote il y a eu les Wendel, allies avec Ie RPF, et de l'autre cote Schuman toujours absent, ou tres souvent absent, avec son Plan, et qui etait minoritaire. J'ajoute qu'a l'epoque en Lorraine, les radicaux, les socialistes, tout cela etaient presque consideres comme des communistes-, c' etait vraiment la gauche, c' etait la gauche de Ia gauche. Et Ie MRP n'etait pas tres solide en Lorraine, il l'etait grace si vous voulez, a Schuman et quelques... Mais il n'avait pas l'implantation assez forte qu'il avait dans d'autres regions de France. Donc dans toutes les reunions locales tous les dimanches, les commissions agricoles, les salons, etc. il y avait toujours Ie message adresse par Robert Schuman pour que son nom soit la, dans Ie journal local, etc. Ces messages etaient faits dans mon bureau en accord avec Metsdorff qui etait son secretaire prive. Mais on a systematiquement redonne a Schuman une presence forte et quotidienne. Et cela compte la chronique locale. Puis, enfin tout cela ce n'est pas si bien. Alors il venait...Pardon... AH Il a ete elu ? HA EU 11 a ete elu alors, parce qu'il y a eu un subterfuge. Pas de choses fausses, mais il y a eu un subterfuge. A l'epoque Ie gouvernement pour essayer d'ecarter les gaullistes, Ie RPF, a cree la loi sur l'apparentement. Vous vous souvenez du systeme ? Qui, je connais. HA EU AH UE Ce n'etait pas tres democratique. Or, Ie depute-maire de Metz qui etait Ie chef de file, etait Mondon. Un homme tres sympathique, tres dynamique etc, plutot europeen finalement, mais enfin il etait dans une logique differente. Et la loi sur l'apparentement disait que les chefs des listes, les H~tes de listes devaient signer ensemble la declaration d'apparentement qui etait conclue avant I' election. La difficulte c' est que celui qui se serait apparente avec les socialistes et les radicaux risquait de declencher des reactions chez d'autres parties, tous les details il faut que je les retrouve etc. Mais Ie scenario etait de creer un apparentement entre .Schuman, Ies radicaux et les socialistes, auquel les gaullistes ne croyaient absolument pas parce que cela paraissait contre nature. Donc Ie soir du depot des dernieres listes j' ai appele Ie chef de division charge des operations electorales vers 11 heures, en lui disant « bon, il n'y a rien », alors les gaullistes qui avaient leurs informations etaient tranquilles. On avait combine que ce soir la Schuman donnait une conference a Sarrebourg, qui est a 120 kilometres. 11 etait convenu que dans la nuitj'allais Ie voir, j'avais une declaration d'apparentement signe par les socialistes et les radicaux, il ne manquait que sa signature, c' est totalement secret. Donc j' ai pris moi-meme une voiture avec Ie dossier, j'ai fait signer. Schuman s'amusait beaucoup ; il disait : «Ah, Monsieur !». Donc vers 2 heures du matin, j'ai fait signer, je suis rentre et Ie Iendemain j'ai dit: «ecoutez il y a eu une declaration d'apparentement ». Alors les gens ne savaient pas comment cela c'etait passe. C'etait signe, et c'est grace c;a ceia qu'il a ete elu a 300 voix pres sur un corps electoral de 800, 700 000 personnes. Et s'il avait ete battu Ie Plan Schuman ne pouvait pas demarrer. 11 l'a reconnu, il l'a dit lui-meme. C'est une petite contribution. Autrement avez-vous continue a voir Robert Schuman apres ? 10 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin Qh oui, jusqu'a la fin de sa vie! Nous etions fideles si vous voulez Est-ce que vous pouvez preciser s'il avait evoLue par rapport aux questions europeennes ? Est-ce qu'iL a toujours soutenu pLeinement Les differentes propositions d'unite ? Absolument. UE Est-ce que vous pensez qu'iL a, a certains moments, cherche a intervenir dans Le processus d'unite? EU AH UE HA EU AH D'abord, parce que nous avions des rapports personnels extremement forts, j'ai suggere que l'on celebre Ie 9 mai 1953, ce qui est devenue la fete de l'Europe, la declaration Schuman. Qu'on en fasse une fete, et qu'on invite Schuman. Et Schuman a fait un discours a Luxembourg, dans Ieque 1 il a raconte comment l'affaire s'est deroulee. C'est un manuscrit de 11 pages qu'il m'a donne d'ailleurs. Ce qui est un drame c'est que je ne sais plus ou il est, il est dans cet appartement, mais j'ai la photocopie, c'est 11 pages ou il explique lui-meme. Donc il recommen~ait a reprendre un role. Ensuite, lorsqu'il y a eu l' Assemblee commune, Ie Parlement Europeen, j'etais de ceux qui ont beaucoup milite pour qu'il devienne President du Parlement. Donc il a ete President du Parlement Europeen. II avait une action et une influence considerable en matiere europeenne. Et tout ce qui s'est passe par la suite, ill'a soutenu. II y a eu un livre que 1'0n a publie qui s'appelle« Pour I'Europe », quelque chose comme cela, qui est un decoupage d'articles etc, et qui donne l'impression qu'il a recule par rapport aux natiORs supranationales etc. Mais... Ce que certains ont utilise si vous voulez dans les debats en disant: «vous voyez Robert Schuman a dit cela ». Non, pas du tout. II a ete toujours favorable, d'ailleurs c'est dans la Declaration, a une conception de caractere federal. II a parle de la federation europeenne a la declaration du 9 maio II n'a jamais renie cela. HA . Pardon, La vous abordez une autre question qui est importante. Est-ce que vous estimez que Robert Schuman a trempe, Le mot n'est peut-etre pas bon, dans La redaction de La declaration du 9 mai ? Parce que vous venez de me dire que Le mot « federation» est dans La declaration, je suis d'accord avec vous. Federation europeenne. Ie mot federaL, je ne sais pLus exactement, mais c' est du Monnet, ce n 'est pas du Schuman ? Qui c'est du Monnet. Donc je vouLais vous demander de bien vouLoir preciser si vous estimez qu'iL a apporte quelque chose a La declaration ? 11 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin UE Alors, j'ai entendu des theses si vous voulez apres. Mais je ne peux pas vous donner de temoignage direct la-dessus. Sauf que, quand il parlait de la declaration, elle correspondait a ce que toute sa vie il avait souhaite. C'est un rhenan comme Adenauer, c'est Ie vieux reve rhenan. Mais sur Ie plan de ..., sur la fabrication, la redaction de la declaration, je ne sais pas quelle part personnelle il a joue. En tout cas il a joue Ie role principal, c'est qu'ill'a accepte. Or vous savez, un ministre, meme s' il n' a pas redige, il a pris la responsabilite politique, et il l'a pris sciemment. Bidault n'a pas compris. S'il avait compris il aurait peut-etre saisi l'occasion. Mais Schuman a compris, Rene Mayer a compris, Pleven a compris, c'etait en fait des gens qui etaient proches de Monnet. Mais Schuman a pris Ie risque politique et historique. Et rna these, il y a des gens qui diront peut-etre Ie contraire, c' est que vous ne pouvez bien Ie comprendre qu'en regardant la dimension Lorraine, les drames de la Lorraine. Et donc c'etait tres fort. De meme que vous ne pouvez pas comprendre, cela Eric Roussell'a utilise, Monnet si vous n'allez pas a Cognac. Ce sont des hommes, ce ne sont pas des machines. Pour Schuman, si vous voulez, c'est Ie chemin de Damas et puis Notre Dame, tout ce que vous voulez, C' est cela. Toute sa carriere et toute sa lutte politique a ete determinee par ce choix lao EU AH Est-ce que vous pouvez apporter un temoignage sur l'attitude de Schuman par rapport a l'Allemagne anterieurement a la declaration? Vous vous rappelez qu'il a fait un voyage en Allemagne qui ne s'est pas tres bien passe, c'etait en... HA Qui, j' aime bien ce mot. EU AH UE HA Mars 1950, en tant que Ministre des Affaires etrangeres fran<;ais, parce que la politique etrangere fran<;aise a l'egard de l' Allemagne redevenait traditionnelle, l'esprit de Versailles. Et a ce moment la l'esprit de Versailles etait rejete par tout Ie monde, et nous n'avions plus la force que nous avions apres la premiere guerre mondiale pour l'imposer. Par consequent nous nous trouvions de plus en plus dans l'impasse, n'est-ce pas, dans l'impasse. Et ce qui etait grave dans les malentendus de Schuman dans ce voyage la, c' est que, etant de culture allemande il n'y avait pas de questions de mauvaise interpretation etc. Et il y avait une grande inquietude, et c'est a ce moment la que Monnet a pu dire: « bon, on va vers Ie mur ». Et on a transforme ce qui etait une crise en initiative de politique etrangere dont les effets benefiques pour la France, durent toujours. Et Adenauer, parce que Ie rapport avec Adenauer avait ete difficile en mars. Les rapports avec Adenauer sont devenus ... Parce que lui aussi a ete libere. Le phenomene europeen, c'est cela que l'on explique mal, a un aspect liberatoire. Cela vous libere. Vous ne trahissez pas votre patriotisme, mais votre patriotisme vous impose quelque chose. Et tout d'un coup on vous offre avec la paix, quelque chose de plus large. D'ailleurs Monnet l'a raconte je crois dans une sorte de temoignage, et Kohnstamm un jour m' en a parle. Lorsque ces diplomates allaient a la conference, enfin on anticipe, mais a la conference pour la mise en reuvre de la negociation du Traite de Paris, ces diplomates arrivaient avec des instructions limitatives. Monnet ne les mettait pas en cause, il les sublimait. Et les gens tout d'un coup sentaient qu'il fallait aller au-dela des instructions. Et en allant au-dela ils entraient dans un espace beaucoup plus libre et ou tout Ie monde se retrouvait. Quand je parle d' effet liberatoire je crois que c' est l' expression qui se rapproche Ie plus du phenomene psychologique dont vous avez l'experience quand vous passe du national a l'europeen, par cette methode lao Et vous ne trahissez pas Ie national. Un peu pour moi en experience, Ie me me effet que j'ai ressenti en arrivant aux Etats-Unis d'Amerique. On a une autre dimension mais on est toujours soi-meme. Alars l'erreur c'est que l'on a mal explique 12 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin cela par la suite, et que l'Europe est apparue comme ennuyeuse, tatillonne, etc, Mais c'est comme la vie quotidienne. Mais cela a fait cet effet liberatoire, a produit cet effet. Et pour Adenauer cela a ete Ie cas, pour Gasperi cela a ete Ie cas. D' ailleurs ce qui est amusant c' est que taus les gens qui venaient a Luxembourg, meme les gens de la siderurgie qui etaient contre, tout d'un coup avait une dimension plus large. Et cette dimension va petit a petit s'imposer. Et il y a enormement de gens qui sont venus dans les institutions europeennes qui etaient totalement hostiles, qui sont devenus des neophytes tres convaincus. Parce que c'est une experience psychologique individuelle. Meme avec les Britanniques cela a ete la meme chose. Et il se trouve que l'architecte de cette transformation psychologique est l'homme qui a ete toujours en permanence en train de creuser Ie meme sillon, c' etait Monnet et Ie seul. Les autres ils sont passes, ils avaient autre chose etc. Monnet a toujours pousse dans cette meme direction depuis la note d' Alger. La conception du plan, du commissariat au plan fran<$ais, la remise en ordre de la France pour etre en mesure d' etre dans Ie systeme europeen fort. UE Interruption. AH Face B cassette n04. HA EU [Schuman] Bon vous savez qu'il n'a jamais ete dans l'armee allemande contrairement a ce que l'on a dit n'est-ce pas. AH 11 a ete officier d' administration. UE Qui, j' aimerais bien que vous evoquiez ce point. Cela c'est pendant La premiere guerre. HA EU Premiere guerre mondiale. Et dans la deuxieme guerre il a ete interne par les Allemands. . Donc quand on l'a traite de Boche, vaus vous souvenez, a l' Assemblee Nationale, cela a ete, c'etait ignoble de faire cela parce que c'est un homme qui a souffert des Allemands. Mais il avait une formation germanique comme Gasperi etc. Et il comprenait certaines chases. Mais je raconte une histoire precise, les Allemands... les familIes d'allemands qui avaient habite en Lorraine, ne pouvaient pas habiter, il fallait une autorisation de sejour. Et l'un des voisins de Robert Schuman etait Ie fils de l'ancien maire allemand de Metz a l'epoque et apres 1970 et il avait une petite maison, et il n'avait pas l'autorisation de sejour. J'avais vu Ie dossier puisque c'est moi qui ai traite ces dossiers sur Ie plan politique, et vraiment il n'y avait rien, il n'y avait pas de criminels de guerre ... Donc j' avais donne l' autorisation. Et Schuman quand il venait, venait me voir ou j'allais Ie voir dans sa petite maison, on avait des conversations la. C'etait un erudit. J'ai vu Gide annote par Schuman. 11 avait une bibliotheque extraordinaire qui a ete dispersee en partie d'ailleurs. C'etait un amateur d'autographes ... C'etait un tres, tres grand lettre, un tres tres grand lettre. Ou alors il venait a la prefecture, alors il frappait a rna porte, et puis je voyais son nez... Et il me dit: « a propos )), je ne me souviens plus du nom de ce fils de maire allemand, « vous avez donne une autorisation, tres bien, vous comprenez nos regions )). C'est tout, voila. 13 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin Pouvez-vous dire un petit mot sur la situation de Robert Schuman en 1944. Parce que j'ai lu quelque part qu'if avait eu, quand meme des ennuis sinon avec le gouvernement provisoire, du "Loins avec l'administration franc;aise ? EU AH UE Je ne peux pas, je n'ai pas de temoignage direct d'abord, et aucun souvenir de discussions a ce sujet. La situation de ces regions la etait tres complexe, c' est pour cela que je vous ai rappele « a nos morts» et puis les deux armees. II y a eu beaucoup de gens de ces regions qui etaient annexees n'est-ce pas. Ce n'etait pas la France occupee, c'etait annexe. II y avait un gauleiter qui etait la prefecture, je crois que c' etait Ie gauleiter Sauckel n' est-ce pas. Donc c' etait un territoire allemand mais avec un statut special. II y a done eu des incorporations de force ce qu'on appelait les « malgre nous », et il y a une association d'anciens combattants « Les malgre nous ». Et cela a rendu Ie traitement de la relation franco-allemande dans la perspective vainqueur-vaincu, extremement complexe dans cette region lao Et notamment pour juger un certain nombre d'actions, notamment Oradour sur Glane, puisque a Oradour sur Glane, il y avait dans cette division des gens qui avaient ete incorpores de force. C' est pour cela... Ce sont des situations et ce sont des destins personnels extremement difficiles a juger en blanc ou noir. Je me souviens en faisant des visites chez les conseillers generaux, voyant dans la salle a manger de ce brave elu local Ie dipl6me et la croix de fer du grand-pere, la croix de guerre du fils, etc. C'est pour cela que cette region de France a ete totalement liberee par la politique europeenne. II n'y a plus d'antagonisme. Et n'ayant plus d'antagonisme ils s'en sont sentis encore plus a l'aise comme Franc;ais. UE HA Donc je retiendrais que la perspective Lorraine de Robert Schuman dans l' acceptation du projet de Declaration... EU AH Et dans l'interiorisation, pas autorite, c'est communaute europeenne, communaute. Le mot « communaute» que l'on a eu tort d'abandonner, a une notion beaucoup plus humaine, beaucoup plus chaleureuse, «une communaute », que la notion «union ». C'est d'ailleurs faux parce que « union» theoriquement va beaucoup plus loin que «communaute », mais cela a ete... II y a eu une epoque ou l'on a fait du vocabulaire europeen. Mais « communaute europeenne» c'etait une formule qui avait cette chaleur et ce contenu humain a l'interieur .duquel chacun etait a l'aise. Voila, d'ailleurs sur Ie passeport c'est toujours « communaute europeenne ». HA Alors on termine sur Schuman ? Simplement pour dire que sans Schuman, ou sans l'homme politique qui a pris la responsabilite, les choses n' auraient pas pu se faire. Donc Monnet avait besoin du vehicule politique et de quelqu'un qui prenait la responsabilite politique, mais en meme temps aucun des hommes politiques n'aurait eu l'idee, la conception... parce qu'il y a tout l'itineraire personnel de Monnet, la premiere, deuxieme guerres mondiales, les pools de ... etc. II a ete Ie seul parce que c'est quand meme un homme politique, ce n'est pas un fonctionnaire, Ie seul qui a eu cette permanence dans l'action, cette tenacite. VOLtS parlez de Monnet la ? Je parle de Monnet. L'un au debut avait besoin de l'autre et reciproquement. 14 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin Peut-etre est-ce le moment de passer aMonnet. Quand avez-vous rencontre Monnet ? AH UE Monnet je l'ai rencontre deux fois, mais rencontre totalement anonymes si je puis dire, lorsqu'il venait au Ministere des Finances voir Petsche. Et la premiere fois que je l'ai vu il y a eu un dejeuner dans la petite salle a manger a cote du bureau au Louvre, et Monnet etait la, mais c'etait Ie Haut commissaire au plan. II y avait une certaine tension entre Ie Ministere des Finances et Ie Haut commissariat au plan parce qu'en fait, aux Finances, je n'etais pas un des cadres mais j'etais dans Ie cabinet du ministre, Monnet et Ie Haut Commissariat etaient pen;us comme a beaucoup d'egards, une institution plus forte que les Finances. Ce n'est pas l'habitude du Ministere des Finances de ne pas se sentir... Pourquoi ? Parce qu'il avait une influence enorme sur Ie deblocage des contre-valeurs du Plan Marshall, et son amitie avec Hoffman. Et en meme temps les deblocages se faisaient selon une utilisation assez rationnelle des fonds. Donc Ie Plan avait une enorme importance. Et derriere l'idee du Plan il y avait l'arme du deblocage. Donc il avait une position plus forte que celle du Ministere des Finances d'une part. D'autre part Monnet avait toujours eu l'art de trouver des formules institutionnelles originales, il n' etait pas fonctionnaire, il n' etait pas ministre, il etait Haut commissaire, et il avait pour lui la duree que les ministres n'avaient pas. Donc c'etait aussi une superiorite. EU Donc cela c' etait votre periode avant... UE HA C'est 1948-1950. Donc cela c'est la rencontre. Mais c'est une rencontre vraiment la... j'etais vraiment Ie preneur de notes. AH Avant de continuer sur Monnet puisque vous venez de citer Maurice Petsche, qui est aussi un Ministre des Finances oublie, comment pouvez-vous qualifier ses sentiments europeens ? Estce qu 'if a fait quelque chose pour l'unite europeenne d'apres vous. EU II n'y avait pas grand chose. II y avait des conversations. II y a eu la creation de l'QECE bien sur... HA Qui c'est dans le cadre de I'OECE. Qui, mais c'etait une organisation theoriquement europeenne. Mais enfin elle etait la pour gerer la contre-valeur, enfin la perspective Marshall et l'union europeenne des paiements si vous voulez. Donc la oui, tres bien. Petsche personnellement etait europeen. Enfin je me souviens quand il y a eu la declaration Schuman il etait enthousiaste. Je ne sais pas s'il etait encore Ministre des Finances, je ne Ie crois pas, mais ill' etait personnellement. Mais Petsche etait sur une carriere si vous voulez, sur une trajectoire politique qui l'aurait conduit vraisemblablement a devenir President du Conseil, mais enfin il a eu ses problemes de sante donc il n'a pas pu continue. Mais Petsche etait place sur l'echiquier politique de telle sorte, a un tel endroit qu'il avait cet avenir lao Donc ille gerait certainement, mais il etait europeen et je sais qu'il a soutenu, enfin je Ie sais parce que cela je l'ai entendu me me chez lui, rue de la Faisanderie, il soutenait l'action europeenne de Schuman et de Monnet. 15 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin Donc vous ne voyez pas de contradiction eventuellement entre ses propres positions l'OECE et celles de Schuman? a Non, parce que l'une etait la continuation de l'autre. De meme que Ie Conseil de l'Europe au debut c'etait la solution, et puis ensuite on a vu que l'on etait bloque, donc il fallait aller plus loin, d'ou la demission de Spaak de la presidence de l' Assemblee consultative du Conseil de l'Europe. Est-ce que vous pensez que les hauts fonctionnaires du Ministere des Finances mettons ceux de la Direction du Tresor ou de la DFE, approuvaient Ie plan Schuman? UE HA EU AH UE Je ne peux pas vous Ie dire de fa~on directe parce que Ie secteur dans lequel je... Vous savez au Cabinet du Ministre ai' epoque, je ne sais pas si cela existe, on appelait cela les portefeuilles. Donc j'avais les profits illicites et les sequestres et c'etait quelque chose de grande confiance. II fallait voir ce que c'etait. Les relations parlementaires sur un certain nombre de dossiers et parfois de maniere episodique, Ie Plan Marshall. Mais enfin il y avait des gens pour Ie Plan Marshall, mais en fait de maniere episodique, puisque j'avais ete... Bon, mais a l'epoque, alors la vous pouvez encore, ils sont toujours la Jean Guyot, etc ... jouaient un role important, donc il a temoigne la-dessus. Gaudet etait aux Finances aussi, on a meme ete collegues parce qu'il etait directeur de cabinet de Tinguy du Pouet qui etait secretaire d'etat pour la perequation des pensions. C'est Ia que j 'ai connu Duhamel et un peu Giscard quand il etait chez Edgar Faure. Mais les questions europeennes si vous voulez n'etaient pas dans mon domaine administratif. Et l'approbation de Petsche vient de conversations que j'ai entendues chez lui rue de la Faisanderie, ou il recevait enormement de gens notamment quand il a re~u Sir Stafford Cripps ou il y avait eu un choc tres fort. AH Oui, tout a fait, fevrier 1948 vraisemblablement.- Non, fevrier 1949. EU 1949, parce que moi je suis rentre en octobre 1948 d' Amerique, oui, oui c'est cela. Et puis il .l'a invite dans les Hautes Alpes pour essayer de Ie seduire etc. HA D'accord, donc voila pour Petsche. Alors Monnet vous Ie retrouvez... Alors laj'etais totalement anonyme, enfin Ie sous preneur de notes. Et puis, quand Ie Traite de Paris a ete ratifie, c' etait la mise en place, je voulais aller travailler avec lui. l' en avais parle a Schuman, mais Schuman ne faisait jamais d'intervention pour qui que ce soit, jamais. II n'a jamais fait d'intervention. Ce n'etait pas du tout Ie genre. Mais il m'avait dit: «allez voir Monnet, allez voir Monnet ». Donc j'ai demande a voir Monnet, je suis aIle Ie voir au Plan, et la conversation a ete assez breve d'ailleurs. II m'a dit: «pourquoi vous voulez venir ? », et moi: « parce que j'y crois ». Je Ie lui ai dit d'une maniere a la fois simple et forte si vous voulez, parce que bon j'y croyais. Et il m'a dit: «est-ce que vous parlez allemand? », j'ai dit non, il a dit: «il faudrait l'apprendre parce que j'ai besoin de quelqu'un qui parle allemand ». Cela a toujours ete son probleme d'avoir quelqu'un qui parle l'allemand. Et je parle l'anglais d'ou l'importance de Kohnstam pour l' Allemagne... Et il a dit: "bon et bien on verra", et puis c'est tout. Et je sais qu'il s'est informe aupres de Dreyfus qui etait president 16 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin des Houilleres de Lorraine, qui a du donner de bans renseignements parce qu'il y a eu des grandes greves dans Ie charbonnage et la siderurgie, et Ia j' etais en premiere ligne donc il m' a vu agir si vaus voulez. Et je sais que Dreyfus lui a donne des jugements assez positifs, et c' est cela qui a fait qu'il a dit « bon et bien voila» et qu'il m'a pris. Et je devais Ie rejoindre des Ie debut, mais je ne pouvais pas, on ne quitte pas la pretectorale comme cela. Done il y a eu un petit delai... Interruption. Done vous en etiez a Monnet, vous aviez demande vous a renvoye La premiere fois. a Le voir, if vous a reru et dans Le fond if UE Non. Monnet quand il prenait ses decisions il ne vous Ie disait pas comme cela. AH Ah d'aeeord, iL prenait son temps! UE HA EU II prenait son temps, il prenait ses renseignements. Mais si je puis dire, au fond de lui la decision etait prise sur Ie champ. Vous savez Monnet c'etait un paysan des Charentes, c'etait un homme prudent. Son instinct lui disait je prends celui au pas, donc de ce point de vue il etait rapide. Mais apres Ia mise en reuvre etait tres prudente, patiente etc. Alors Ia c'est un cas particulier, il m' a pris et j' ai ... II voulait me prendre comme chef de cabinet, mais. Done il y a eu des delais et au lieu d'arriver tout de suite en aout je ne suis arrive qu'en decembre. Entre temps... AH Deeembre 1951 ? HA EU 1952. Non, non, Ia mise en reuvre. A ce moment Ia Ie chaos createur existait a Luxembourg. J'etais quelques temps avec Kohnstam, et puis au debut de 1953 j'ai pris mes fonctions avec Monnet. Mais avec Monnet ce n' etait pas des fonctions, c' etait une sorte de galaxie qui etait . assez penible a vivre pour tout Ie monde, mais finalement sortait de nous Ie meilleur. On etait sans cesse broye, remis en cause etc. II n'y avait pas d'organisation a I'epoque, mais cela a ete Ia periode Ia plus feconde. C' est quand nous avons commence a nous organise mieux que Ies chases sont devenues plus bureaucratiques etc. Et alors j' ai d' ailleurs dans mes papiers aussi, vous savez Ies papiers roses de Monnet, il y a une note rose, il y ales ... Monnet faisait des petits dessins quand il parlait etc. Et il y en a eu des premieres reunions de Ia Haute autorite. J'ai cette note la, il fait un petit schema de Ia Haute autorite avec des noms, et il y a ecrit dessus: « 100, pas plus ». Et Iorsqu'il est parti, rna femme, qui est morte maintenant, elle etait ceramiste, alors on a fait une table que I'on a offerte a Monnet qui etait une interpretation artistique de cette premiere note, qui est quelque part. Ie ne sais pas si elle est dans Ia famille, chez Marianne au bien a Lausanne, je ne sais pas. Ie sais que la table existe toujours. Avenue Foch elle etait dans I'entree. Done vous ites reste aLuxembourg? Oui. 17 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin J usqu 'a quand ? 1956. Mais il y a eu une periode de tension entre Monnet et moi. Quand je dis Monnet et moi cela a I'air de dire que 1'on etait a egalite, evidemment que l'on n'etait pas a egalite, j'etais a son service. Mais c'est quand il y a eu Ie ministere Mendes France. Qui, si vous voulez bien deve/opper cela, cela a l'air important. Excusez-moi, votre pere etait ministre de Mendes France. UE - Ministre de Mendes France. AH Ce/a a un rapport ou pas? EU Oui, direct. Non seulement ministre de Mendes France, mais ami intime de Mendes France depuis longtemps. Et ils avaient tous les deux Ie meme genre de rigueur, la vie politique etait quelque chose, un sacerdoce. HA C'est une amitie qui venait du Parti radical ou de Grenoble HA EU AH UE Non, Mais une amitie... Mon pere n'etait pas tres militant radical. Mais bon! on a toujours ete dans la famille radical. Il etait Ie collaborateur d' Albert Sarraut pendant la guerre. Mais, non, c'etait une amitie personnelle. Il se trouvait qu'ils etaient dans Ie meme parti d'accord, mais enfin c' etait une amitie, un respect personnel. Enfin il est dans son ministere. Monnet etait gene que je sois avec lui et que mon pere soit dans Ie gouvernement de Mendes France, et il souhaitait que je ne sois pas trop meIe a ce qu'il voulait faire, je ne sais pas. Et Kohnstam m'avait fait comprendre que je devais demissionner de mon poste. Et j'ai dit que je ~emissionnerais si Monnet me Ie demandait parce que, a Monnet on ne refusait nen. Vous savez, pour nous Monnet etait un patron assez dur, difficile, mais il y avait, il representait une cause si forte, et il etait tellement la cause si vous voulez, ... il n'y avait pas de servilite autour de Monnet. C'est un homme qui detestait cela d'ailleurs. Mais ce qu'il demandait et qui representait la cause, avait un caractere quasi-sacre vous comprenez. Cela n'a rien a voir avec les rapports entre les fonctionnaires et M. Santer et tout cela, c'est tout a fait autre chose. C'etait... On avait un petit cote jeunes marechaux d'empire avec Napoleon, sans tout l'element contestable de certains aspects de Napoleon. Mais il etait Ie chef d'une grande aventure. C'etait fort. Vous Ie retrouvez chez tous les gens qui vous parleront de lui. Meme en nous faisant souffrir, mais cela n'avait aucune importance. Vous l'avez dit tout a l'heure, if en tirait le meilleur. Ah oui en en tirant Ie meilleur. Donc s'il me Ie demande je Ie fais, il ne me l'a jamais demande, il ne me l'a jamais demande. Donc j'ai dit je ne demissionne pas, mais il a fait occuper mon bureau par Eric Westphal. Un jour j'ai trouve mon bureau occupe, mon bureau etait a cote du sien. Alars je suis assez tetu donc je m'asseyai a cote de l'huissier qui passait 18 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin UE HA EU AH UE comme ~a gene etc... Et puis je continuais a avoir enormement de demandes de discours, et comme j'etais assez disponible par definition, j' acceptais et j' allais faire des discours dans toute I'Europe etc. Et il Y avait les revues de presse, Ie chef de cabinet de Jean Monnet a dit que ... Et il ne me l'a jamais demande, et puis apres Eric Westphal, il a pris Fernand Spaak comme chef de cabinet, mais cela n'a jamais ete formalise, j'etais toujours ... C'etait assez delicat. Et alors on arrive en aout 1954, Ie debat. Monnet est avenue Foch et moi j 'habite chez mon pere rue de Grenelle. J'avais passe toute une serie de notes a mon pere pour essayer de trouver un compromis entre les Europeens et les non-europeens etc, sur la CED, notamment avec Ie general Koenig qui etait dans Ie gouvernement a l'epoque. Et je passais cela avenue Foch, donc on a cherche des formules. Finalement j' etais actif quand meme. Et puis Ie jour du vote de la question prealable je suis aIle voir Monnet, alors on avait une relation emotionnelle evidemment: tu m'aimes, tu m'aimes plus, vous voyez Ie genre. Et il a pris cet echec d'une maniere tres forte. Je me souviens de toute une serie de details ... Et cela a ete Ie debut d' une reconciliation, parce que l'on a continue a sa fa~on, moi a mon niveau modeste, lui a son grand niveau, a toujours essayer d'avancer. Et puis quand tout Ie monde est rentre a Luxembourg, il a un peu plus tard presente sa lettre de demission, et ensuite il a fait une autre lettre reprenant, retirant sa lettre de demission. J'etais contre cela. Westphal raconte d'ailleurs dans Ie texte des reflexions que je lui ai faites que vous avez du lire, quand on a ramasse la lettre dechiree dans la corbeille a papier. Et puis retrait de la lettre de demission qui etait totalement ignoree par la Conference de Messine dont l'objet principal etait d'ailleurs de trouver un successeur pour Monnet. Et il Y a eu un episode a la fin, il habitait a Bricherhof pres de Luxembourg. Et a la fin il y avait un petit cote adieux de Fontainebleau, il n'y avait pas grand monde. Et il Y avait Ie demenagement, enlever tous les meubles, etc, et il y avait une table de bridge, il y avait une lampe, Mme Monnet, Monnet et moi un peu apres la bataille etc. Et cela c' est tres Monnet. Des adieux assez emouvants etc. La il etait touche . II me dit: « a propos Berthoin, to utes vos conferences que vous avez faites, j' ai lu cela, vous avez eu raison », voila. AH Il se rattrapait d'une eertaine maniere avos yeux, par rapport a... EU Oui, parce qu'en fait il etait tres humain, tres humain. Mais on etait tous a la limite de soimeme si vous voulez. HA Et done vous avez eu une rupture nerveuse, psyehoLogique ? Non pas rupture nerveuse. II y a des gens qui ont eu des depressions, Fontaine en a eu une tres serieuse au debut, et bien d'autres d'ailleurs. Et puis un jour. .. II n'y avait pas de vacances. On appelait cela la maison du fou a Luxembourg, parce que cela n'arretait pas, cela ne fermait pas. Au moins La nuit quand meme ? Ah, cela ne fermait pas. Moi je partais vers quatre heures du matin, j 'habitais chez des amis qui avaient un chateau pres de Thionville a ..., qui etaient des grands amis de Schuman, surtout qu'a l'epoque, Thionville etait la circonscription de Schuman. Donc je partais en voiture, je partais a trois heures, quatre heures du matin, et puis sa lumiere etait lao Et pas de vacances jusqu'a un jour ou la notion de vacances est arrivee chez Monnet lorsque Ie collegue 19 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin de Gaudet a eu une crise cardiaque dans Ie bureau de Monnet. Et vous en parlerez a Gaudet, ... vous avez dfr voir son nom c'etait un allemand, il y avait deux chefs du service juridique: Gaudet et .... Alors on a dit que peut-etre on pouvait prendre des vacances, non ? Alors on envoyait les uns et les autres aller regulierement a Saint Paul de Vence se refaire un petit peu et repartir sur Ie ring. Ah non, Ie rythme a ete dement. Le rythme est devenu un peu meilleur, un peu plus humain vers l'ete 1953. Parce qu'a l'epoque il fallait mettre, il fallait creer toutes les institutions. Elies partaient d 'un texte des traites c' est tout! Quand vous repensez a cette periode, est-ce que... (Interruption). HA EU AH UE Vous savez je me souviens ici d'un dejeuner avec mon pere, avec Schuman justement. Mon pere pensait qu'il aurait fallu commencer par un grand referendum fondateur, Ies Etats Unis d'Europe, etc. On aurait vraisembiablement eu un oui, mais qui tres rapidement aurait ete dementi par les faits et les interets, la tres rapidement. Moi personnellement j' etais convaincu que c'etait la bonne formule a cause de mon experience lorraine. Parce que Ie charbon et l'acier a l'epoque, on faisait des investissements a tour de bras, enfin bon... A l'epoque Ie charbon et l' acier etaient des bases industrielles veritables, c' etaient des bases de pouvoir. Bien, cela a change, apres on ne savait plus comment faire pour Ie reduire, mais Ie fait de placer des interets economiques... Si vous voulez il y avait quelque chose de marxiste dans la demarche. Comme j 'ai beaucoup fait de marxisme par mes amis a l'universite, etc... Si vous voulez c' est une demarche qui me paraissait beaucoup plus solide que les declarations, les sentiments, c'est important d'ailleurs... UE Une action volontaire ? HA EU AH Non. C'est faire que les interets economiques soient places dans Ie cadre que vous voulez atteindre politiquement plus tard. Alors on a appele cela Ie fonctionnalisrne parce que Monnet n'etait pas du tout marxiste. Mais mon analyse etait plus marxiste tout c;a parce que je suis d'une generation..., on a baigne la dedans. Et c'est d'ailleurs une bonne methode d'analyse. Un referendum purement politique a l'epoque, maintenant avec l'euro c'est tout a fait different, mais la mise en commun des interets... D'abord deplacer certains acteurs economiques du cote europeen d'une part, d'autre part montrer dans un domaine d'ailleurs pour reprendre la declaration, limite rnais reel, que c'etait possible. Moi je me souviens au debut, puis qu'il y avait ce que l'on appelle Ie prelevement, vous connaissez, bon, cet impot europeen. Alors on a fait, on a improvise au moment de Noel 1952 un journal officiel, je me souviens j'etais charge de faire ce truc lao On a fait les premiers numeros sur l'imprimerie de l'Eveche de Luxembourg, puis envoyes par avion dans tous les sens pour qu'il ait une base juridique bien. Puis on a attendu pour voir si les gens allaient payer, oh miracle ils ont payes. Mais la on etait un peu dans la situation des gens dans un laboratoire de chimie qui disent: mais cela marche ! Et oui parce que c'etait un element, c'etait un transfert, mais on etait totalement incertain. Et ce qui etait d' ailleurs, on l' a dit souvent ce n' est peut-etre pas original ce que je vais dire, mais la CECA a ete un banc d'essai pour enormement de gens pour montrer que c' etait possible et comment les choses devraient evoluees. Et a certains egards la conception supranationale creait une directive, non pas dirigiste mais une directive, qui en fait se substituait un peu a l'autorite des Etats dans Ie bassin de la Ruhr. Alors cela c'etait une maniere de presentation: « Alors vous voyez les Allemands ne seront pas les seuls qui ... ~~, comme on dit aujourd'hui Ie Deutsche Mark ne sera plus ... bon. C'est vrai et ce n'est pas vrai parce que c'est autre chose qui est en train de se creer. Mais quand on fait ce transfert, 20 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin HA EU AH UE beaucoup de gens ont vu cela comme un bane d' essai tres utile, ce qui etait tres interessant par exemple dans les milieux syndicalistes. Les syndicalistes non communistes ont ete tres meles au debut de l'affaire de la CECA. Et quand je vous disais les trois defis, Ie defi social, Ie principe de la readaptation que vous connaissez, qui a ete repris apres par Ie gouvemement Mendes France, qui a introduit une notion totalement nouvelle qui est la responsabilite de l'entreprise et de l'Etat sur la permanence du revenu du salarie. C'est la premiere fois que c' etait fait. Bon alors la on a experimente des tas de choses. Par exemple, il y a un debat aujourd 'hui sur I' introduction des etudes europeennes dans I' enseignement secondaire et meme primaire. Monnet avait fait faire un projet la-dessus, il m'avait demande de travailler la-dessus, on y avait deja pense a l'epoque. Donc c'etait Ie banc d'essai. Charbon et acier a montre que c'etait reel, qu'on entrait dans Ie vif du sujet dans des domaines importants, mais en memes temps que cela pouvait etre utilisable ailleurs. Et alors la l'experience sur Ie plan institutionnel etait importante, on faisait fonctionner un executif europeen tres independant, la Haute Autorite, elle avait des pouvoirs considerables, un Conseil des ministres qui etait une sorte de boite de vitesse entre les souverainetes nationales et cette souverainete supranationale de la Haute Autorite, et une assemblee parlementaire qui a la difference d 'une assemblee consultative avait un pouvoir nouveau qui etait tres important, celui de pouvoir voter une motion de censure a l'occasion de la presentation du rapport general, c'est la premiere fois. Et il Yavait egalement la notion de, peut-etre, que cette assemblee serait elue au suffrage universeI direct. Tout cela etait parfois tres clair, parfois en filigrane, mais cela permettait d'envisager d'autres progres, non pas sur Ie plan de l'idealisme plus ou moins irreel, mais en disant on a des choses a dire. Et souvent on pouvait dans nos debats europeens allant plus loin dire: « vous voyez cela marche ». UE D 'accord, cela c' est tres important ce que vous dites lao J e voudrais tout simplement pour I'Histoire et pour enregistrer tout cela savoir si cela vient de Monnet ? Ou est-ce que cela vient du travail de groupe realise dans cette maison de tous ou du tou ? Est-ce que cela a ere pense par Monnet ou est-ce que ce sont des idees que vous avez amenees , les uns et les autres AH ? EU II Y a un travail collectif, vous y trouverez du Jean Guyot, vous y trouverez du Gaudet, vous y trouverez du Kohnstamm ... C'est un cocktail permanent, si vous voulez, mais avec un .animateur de genie. Parce que c'est un homme que l'on voyait de pres comme etant un homme de genie. HA Interruption, fin de la cassette n 0 4. Debut de la cassette 1 Vous avez ere Ie representant des Communautes europeennes a Londres ? En ce qui me conceme personnellement, j' ai ete numero 2 pendant un certain nombre d'annees et numero 1. Mais dans Ie cadre de cette delegation, a son debut, elle etait dirigee par un ambassadeur neerlandais. II y a toujours eu des Neerlandais qui ont cherche a conserver ce poste. C'etait des gens exterieurs a la Communaute europeenne, exterieurs au groupe des vieux pionniers. Par consequent, rna position de numero 2 etait un peu speciale. C'etait quelque fois 1 bis, quelque fois 1. Cela a cree d'ailleurs quelques problemes. Bon, la delegation a ete creee en 1956, dans l'automne 1956 pour permettre la mise en ceuvre du Traite d'association entre Ie gouvemement de la Grande-Bretagne et la Haute 21 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin Autorite de la CE.CA. Et petit a petit, au fur et a mesure que Ie domaine communautaire s' elargissait, les competences de la delegation se sont elargies parallelement. Donc ouverture en automne 1956. Cela coincide avec la crise de Suez. Nous avons eu des difficultes considerables dans notre installation a Londres parce que les autorites britanniques ne savaient pas quel statut nous donner, nous reconnaitre. Nous ne representions pas un pouvoir souverain et nous etions un animal totalement nouveau dans la vie diplomatique. Si on peut raconter une anecdote: nous avions trouve un batiment dans un quartier central de Londres et les voisins de l'immeuble que nous avions choisi avaient bloque la negociation parce qu'ils avaient peur que nous entreposions sur Ie trottoir de ce quartier chic des sacs de charbon. Et il a fallu que je fasse faire une etude par un avocat britannique pour expliquer que nous ne faisions pas Ie commerce de l'acier et du charbon! Voila. Le voisin etait Lord Mountbatten, pour ne pas Ie nommer. UE Bon, alors c'est pour vous montrer a quel point Ie domaine que nous avions a traiter etait totalement nouveau et ce que nous avons fait etait Ie resultat de creation sans aucun precedent. <;a a fonctionne. ~a, c'est Ie debut. Je ne sais pas si vous avez des questions precises sur HA Voila, alors cette periode-Ia. EU AH Alors, j'ai dit 1956, Suez. C'est tres important parce que, tres rapidement, nous avons vu ... j'ai vu personnellement l'impact psychologique et historique de cette crise de Suez sur l'esprit de pas mal de dirigeants et c'est la que certains, Macmillan etait de ceux-la d'ailleurs, ont pense qu'il fallait rejoindre Ie mouvement de l'idee europeenne. AH UE Est-ce que vous pouvez apporter un temoignage sur la maniere dont les Anglais ont accepte d'entrer en relations avec la Haute Autorite ? Est-ce que c'est que/que chose qui est venu d'eux ou est-ce que c'est la Haute Autorite du Charbon et de l'Acier qui l'a demande et suscite? HA EU Jean Monnet voulait etablir les relations les plus etroites avec les Britanniques parce qu'il pensait que, lorsqu'ils auraient compris, premierement que ce que nous commencions allait . durer, deuxiemement que notre volonte de developpement europeen etait extremement forte et que, finalement, nous arriverions a des faits europeens concrets, il fallait leur donner la possibilite de sentir qu'ils n'etaient pas exclus. Mais, lorsqu'ils auraient fait leur mutation psychologique et politique, ils seraient les bienvenus dans notre groupe, mais qu'ils ne pourraient pas lui interdire d' exister. D'ou ce concept du Traite d'association qui etait une formule tres originale. Les Britanniques gardaient leur souverainete, evidemment, dans Ie domaine du charbon et de l'acier et nous dans ce que nous faisions a l'interieur de la C.E.CA. Mais ce Conseil d' association permettait de discuter de mesures paralleles et concordantes. Done, ~a leur permettait de se familiariser petit a petit, et de fa~on tres concrete avec ce que nous faisions et avec ce que nous avions l'intention de faire. Pour gerer ce Conseil d'association qui se tenait entre Gouvemement britannique et autorites britanniques chargees du charbon et de l' acier et Haute Autorite de I' autre cote, pour gerer ce Conseil d'association, il fallait une representation de la Haute Autorite a Londres, alors qu'il y avait une representation diplomatique britannique a Luxembourg aupres de la Haute Autorite. D'ailleurs la representation britannique a ete la premiere des missions diplomatiques accreditees aupres de la Haute Autorite. Et les Britanniques qui etaient dans 22 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin cette mission, sous la direction de Sir Cecil Weir, ont ete totalement convaincus, des Ie debut, que la place de la Grande-Bretagne etait dans cette entreprise communautaire. Si bien que ce petit noyau-Ia representant les industries charbon - acier, Lord Ezra, par exemple ... Je disais que la mission diplomatique anglaise etait composee de gens qui consideraient que la place de la Grande-Bretagne etait dans la C.E.C.A. et que l'avenir allait dans cette direction. Done, ils ont agi considerablement a Londres pour favoriser la creation de liens speciaux entre la Haute Autorite et les auto rites britanniques. En plus de cela, il y avait un certain nombre de Britanniques qui, sur Ie plan politique et historique, avaient fait l'option europeenne. II y avait notamment une section britannique du Mouvement europeen qui etait tres puissante, dirigee par Sir Edward Beddington-B nski (?) qui etait un tres vieil ami de Macmillan, et Macmillan, personnellement, etait pro europeen. UE Passons maintenant au deuxieme point. Les negociations apres Messine. UE HA EU AH Messine, vous vous souvenez, les Britanniques sont invites a cette relance europeenne et Ie Gouvernement britannique a retire son representant dans les discussions pendant la periode du Comite Spaak, et une strategie differente s'est esquissee en Grande-Bretagne. Le Gouvernement et les milieux dirigeants britanniques etaient tres sceptiques sur les chances de la negociation qui a finalement conduit aux Traites de Rome. Parce qu'ils avaient compris, notamment en lisant Ie rapport Spaak, que la mise en ceuvre de ce qu'il contenait supposait certains transferts de souverainete et que la plupart des pays, notamment les Fran~ais, ne l'accepteraient pas. Par consequent, ils se sont retires en pensant que la tentative echouait. Lorsqu'ils ont vu que la negociation s' engageait assez bien, alors ils ont essaye de contourner Ie probleme et ont propose ce qui est devenu la Zone de libre-echange. EU AH Concernant la presence britannique au Comite Spaak, d'abord, qui etait le representant britannique et d'autre part, commen.t se fait-it que les Britanniques ressentent que les Franr;ais n'accepteront pas des transferts de souverainete ? Comment se fait-il qu'its aient pu imaginer que les Franr;ais n'accepteraient pas ces transferts de souverainete ? HA Parce que les Fran~ais n'acceptaient pas les transferts de souverainete. Les batailles pour la creation de la C.E.C.A. ont ete terribles. L'echec de la C.E.D. en France. L'echec de la Communaute politique. C'est Ie pays ou l'affaire europeenne a cree les crises sur les problemes de souverainete les plus graves et les plus visibles. Par consequent, Ie drame qui c'etait produit en 1954, l'affaire de la C.E.D. n'a pas ouvert uniquement un debat militaire, mais un debat de souverainete. Voyant ces reaction fran~aises, ils se sont dit qu'on n'allait pas, par la force economique, reposer des problemes que la France avait refuse de resoudre. C' etait assez raisonnable de Ie penser. Les Britanniques, au debut, puisqu'a Messine on a invite les Britanniques, ont envoye un fonctionnaire de niveau moyen qui, personnellement, etait un monsieur fort bien, d'ailleurs, il s'appelait Bretherton, mais qui etait du Board of Trade qui n'etait pas des grands ministeres et il etait la comme observateur. Et il a ete retire lorsque Ie rapport Spaak s'est elabore. Moi, je l'ai tres bien connu. II a considere personnellement que, ce jour-la, Ie Gouvernement britannique avait fait une enorme erreur et, d'ailleurs, il l'a dit brutalement. Enfin, les fonctionnaires britanniques sont des gens extremement disciplines, corrects, etc ... Mais, a son opinion personnelle, il me l'a dit parce que je l'ai vu tres rapidement apres : « C'est notre plus 23 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union - \)) M. Georges Berthoin grande erreur ete. », et ~'a ete une erreur strategique. On en commet quelque fois, mais la, ~a l'a EU AH UE Donc, ils ont voulu contourner ... Et alors, au debut, ce que l' on a oublie, pas les historiens mais l'opinion en general, la proposition de zone de libre-echange a ete faite, non pas pour completer Ie Marche Commun, mais a la place du Marche Commun. La, mes souvenirs ne sont assez precis, mais c' est une chose a exploiter sur Ie plan historique. II y a eu les discussions du plan Eccles, du plan Maudling a 1'O.E.c.E. qui montre qu'il s'agissait de remplacer la tentative des Six, et non pas de l'entourex. La, j'ai ete, a titre personnel, assez engage. A titre personnel, parce que la delegation n'avait pas a s'occuper d'autre chose que du charbon et de 1'acier. En ouvrant les yeux d'un certain nombre d'amis, notamment les diplomates fran~ais, sur ce que je pensais etre, a l' epoque, la strategie britannique de remplacement et non pas de complementarite, mais je sais que Ie lien franco-britannique au moment de Suez a ete extremement fort. M. Pineau et M. Guy Mollet ont failli tomber dans Ie piege. II y a des circonstances tres precises ou j' ai eu I' occasion d' alerter l' Ambassadeur de France, Chauvel, avant une reunion Pineau au Chequers , sur ce qu'a mon avis, je croyais etre la strategie britannique de remplacement. Et dans cette analyse, j'ai ete aide par un certain nombre de Britanniques qui etaient evidemment beaucoup plus inforrnes que moi, qui etaient des militants europeens, et qui voyaient dans Ie systeme communautaire l'espoir pour l'organisation de 1'Europe et trouvaient que Ie systeme propose par Ie Gouvemement detruisait cet espoir, parce qu'indirectement, on revenait au systeme du Conseil de l'Europe. Et on revenait a toutes ces veilles crises. Ce n' etaient pas des crises nouvelles ou des tensions nouvelles, mais c' etait Ie retour a ces anciennes crises. HA Done, sur Ie plan officieux, je crois que nous avons incontestablement aide, si je puis dire, a contenir Ie flanc britannique de la negociation. AH UE Pourriez-vous indiquer pLus precisement en quoi Christian Pineau ou Guy Mollet avaient ete seduits par L'offre de La zone de libre-echange britannique dans Le cadre du contexte de Suez? HA EU La, je ne suis pas sur de ce que je dis, scientifiquement, si je puis dire. Mais, c'est Ie sentiment que j'avais a l'epoque, et qui provient de conversations que j'avais eues avec des .diplomates fran~ais. La France negociait Ie Marche Commun et Euratom dans deux etats d'esprit. II y en a un que je dirais l'approche Jean Monnet de la negociation et l'autre, c'etait l'approche plutat semblable a celIe des Britanniques. II y a toujours eu dans la position fran~aise, et vous Ie voyez meme aujourd'hui, la dualite : on va vers les institutions de caractere federal, ... enfin la dynamique Monnet mais en meme temps, on va vers la dynamique britannique. Je dirais qu'il y a toujours cela. Or, les Britanniques ont toujours essaye de voir s'ils pouvaient attirer une certaine partie de la reflexion fran~aise vers leur these, l'Europe a la britannique, sachant que ces deux theses etaient en conflit a l'interieur de la position de negociation fran~aise. En meme temps, il ne faut pas oublier que les elites politiques fran~aises, sorties de la guerre, consideraient, a juste titre d'ailleurs, qu'on ne pouvait pas faire l'Europe sans la Grande-Bretagne, parce que, non seulement, eIle etait la Grande-Bretagne mais pour Ie role qu'elle avait joue pendant la guerre. Beaucoup de gens disait en prive, Marjolin etait un de ceux-Ia, qu'il fallait 1'amitie franco-allemande. Tout Ie monde savait que c'etait essentiel, mais il y avait une affinite intellectuelle, des souvenirs communs beaucoup plus constructifs avec les Britanniques qu'avec les Allemands. Alors les Britanniques ont joue cette carte. 24 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin Lorsque Ie couple franco-allemand s'est forme, s'est renforce, etc ... et, en plus, quand de Gaulle, plus tard, lui a donne Ie sceau final du heros de la Resistance, jusque la, les Britanniques pensaient qu' ils avaient une carte. Cette carte existait, elle existe meme aujourd'hui. A certains egards, il y a cette dualite. Alors, proposer en disant : vous allez faire ce Marche Commun a Six, vous allez couper l'Europe en deux, vous allez former une sorte de blocus continental, nous, nous sommes pret a venir avec vous dans une zone, on va etre tous ensemble; a ce moment-la, cela a rassure enormement de Franc;ais. D'ailleurs, on venait de Ie voir par la crise de la C.E.D., MendesFrance etait gene que la Grande-Bretagne ne soit pas dans Ie systeme de la C.E.D. 11 etait plus a l'aise, et on Ie comprend, dans un systeme de securite ou il y avait les Britanniques, que dans un systeme de securite ou il y avait les Allemands. Non parce que c' etaient les Allemands, ... bon les souvenirs de la guerre, chacun les a digeres a sa fac;on, les a traites ... mais en se disant : on ne peut pas se couper des Britanniques. UE HA EU AH UE A l'epoque, les armes diplomatiques de la Grande-Bretagne, les moyens de pression etaient considerables. Aujourd'hui, la Grande-Bretagne est un pays comme les autres pays europeens et quelques fois, beaucoup moins puissant. Elle a un savoir-faire tres superieur a beaucoup de pays mais pas la puissance de la I' Allemagne, pas la puissance meme de I' Italie dans beaucoup de domaines. Mais, elle a un savoir-faire extraordinaire. A l'epoque, nous sommes en 1956, les cartes britanniques etaient considerables. Par consequent, Pineau et Mollet, n'oubliez pas que chez les socialistes notamment, la gauche franc;aise etait divisee entre deux grands courants : la gauche marxisante, communisante qui voyait Ie grand modele dans l'Union sovietique et la gauche socialiste et sociale-democrate qui voyait Ie grand modele dans l' Angleterre d' Attlee. Donc, pour un socialiste, se couper de la Grande-Bretagne, c'etait egalement se couper du grand mouvement travailliste, social-democrate de gauche qu'on voulait. Donc, on comprend la tentation. Elle etait sur plusieurs plans. Et en plus, on etait complice dans une situation un peu bizarre a Suez, ce qui cree des liens. AH Est-ce que vous pouvez nous parler de la position des Americains par rapport a ce choU: possible de la France et donc de l'Europe continentale aussi, du choU: entre une zone de libre-echange et un marche commun ? EU .Les Americains, sans la moindre ambigu"ite, etaient favorables a l'approche communautaire. HA Comment ont reagi les Anglais ? 11 faut revenir a Suez. Suez est un cas, Ie premier cas visible apres la guerre, d'une cassure entre Britanniques et Americains. Cela a ete politique, psychologique. En plus, c'est une operation qui a ete montee avec les Franc;ais, dans Ie secret britannique par rapport aux Americains. La, il y avait une rupture dans ce contrat ecrit et non-ecrit tres fort qui a existe avant la guerre, pendant la guerre, apres la guerre, dans la relation anglo-americaine tres etroite. Cela a ete, si je puis dire, une infidelite tres grave. Mais, les Americains, de plus en plus clairement, ont montre qu'ils soutenaient l'effort de Jean Monnet en fait. Non, parce que, comme on l'a dit idiotement, Monnet etait l'agent des Americains. Pas du tout! Monnet a su se servir des Americains pour convaincre les Anglais, c'est tout a fait different. Et, entre l'Europe qui etait organisee, la volonte d'aller de l'avant, l'entente de plus en plus forte entre Franc;ais et Allemands, et Ie soutien americain a ce qui se faisait en Europe continentale, petit a petit, la situation anglaise devenait de plus en plus 25 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin inconfortable. Cela a mene finalement a 1961, a l'initiative prise par Macmillan de demander l'ouverture de negociations. Mais, on anticipe un peu, quand Macmillan a demande l'ouverture de negociations, il faut se souvenir des termes dans lequel ill'a presentee. Il n'a pas demande a ouvrir des negociations pour entrer dans la Communaute, il a demande a ouvrir des negociations pour savoir si les conditions pouvaient etre reunies qui permettaient l'ouverture de negociations. II les a enumerees: Ie Commonwealth, les balances Sterling, etc ... UE Mais, nous revenons a la periode de la negociation du Traite de Rome. Nous arrivons en 1958. Les Traites sont ratifies pendant l'annee 1957. Les Britanniques se sont aperc;;us que la ratification, les debats de la ratification n'avaient pas remis en cause les negociations, que Ie drame de la C.E.D. ne s'etait pas renouvele. Donc, la, ils se sont dits que c;;a va etre fait. lIs ont reagi. lIs ont fait Ie Traite de Stockholm pour organiser tout autour de cette Communaute des Six un ensemble economique qui pourrait a la fois aider les non-membres a organiser leurs relations economiques normales mais, en me me temps, pouvait creer une coalition diplomatique permanente ... pour un jour negocier des accords techniques, faire pression, etc ... Autrement dit ne pas etre isolee, Grande-Bretagne face a la Communaute des Six. HA EU AH Mais arrive de Gaulle. Un point, je Ie dis parce que cela a beaucoup joue dans les relations anglo-franc;;aises avant la guerre, a l'epoque de Suez et apres. Lorsque, et cela justifie beaucoup de choses de de Gaulle, c;;a les explique en tous les cas, ... lorsqu'il y avait des gouvemements faibles, dependants de majorites parlementaires variables, la Grande-Bretagne et d'autres pays pensaient qu'ils avaient certains moyens d'influence sur Ie gouvemement. II faut se souvenir, par exempIe, de l'epoque de l'occupation de la Rhenanie, de l'epoque Sarraut, etc ... Les Britanniques savaient qu'il n'y avait pas de majorite pour telle ou telle chose au sein de la Chambre des Deputes. AH UE A l'epoque, on l'oublie, mais quand il y avait des traites difficiles, toutes les Arnbassades, et meme nous avec Monnet, on faisait des pointages parlementaires quasi quotidiens, je me souviens, pour la C.E.D. pour savoir s'il y avait la majorite. On ajoute un protocole, c;;a fait faire peut-etre 10 voix de plus, etc ... Sur l'affaire du Marche Commun, qui avait ete une negociation difficile et Maurice Faure, qui avait remarquablement bien negocie pour la France, avait ete oblige d'etre sur qu'il ne risquait pas un accident parlementaire. Donc, sans cesse pendant qu'il negociait a Bruxelles, il negociait egalement avec Ie Palais Bourbon. HA EU Donc, la signature du gouvemement franc;;ais n' etait pas la fin de toute cette histoire. II fallait savoir si Ie Parlement, finalement, signait. II y avait toute une serie de mesures d'exception que la France avait obtenues dans Ie Traite pour que cela apparaisse. Car nous etions encore dans une economie tres franc;;aise, il y avait donc des grandes frilosites, des craintes ... et c'est normal. Par consequent, il n'etait pas sur que la ratification se passe bien, puis ils voient qu'elle se passe bien. Et de Gaulle arrive. Je me souviens que Ie negociateur britannique de la zone de libre-echange, qui etait un de mes amis, lui, a titre personnel, avait aussi une opinion: «Evidemment, c'est vous qui allez gagner }}. Mais, il avait des instructions. Quand de Gaulle est arrive au pouvoir, il m'a dit : « Ah, c;;a, c'est fichu! On ne pourra plus influencer comme avant.}} C'est une des raisons pour laquelle la politique etrangere est de facto du domaine reserve, c'est qu'elle n'est pas soumise a des fluctuations parlementaires dont certaines peuvent etre plus ou moins influencees de I' exterieur. Le negociateur britannique, vous ne l'avez pas precise, c'est... ? Sir Franck Figgures, qui etait d'ailleurs un Autrichien. Enormement de Britanniques que j'ai rencontre avaient des noms britanniques mais etaient de familIes europeennes : Leon Brittan 26 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin qui vient des pays baltes mais Ie nom change. II etait aussi de l'equipe Maudling a I'O.E.C.E. Les experts de ces negociations, il n'y en a pas beaucoup parce que c'est extremement complexe. II a ete d'ailleurs, apres Ie Secretaire General d'E.F.T.A. (European Free Trade Association). Des gens de tres grande qualite et avec Iesquels vous pouviez parler technique et geopolitique. La coincidence de la mise en reuvre des Traites de Rome et de Ia mise en reuvre de la Constitution de la Verne Republique a renforce les deux ... Les deux ? UE HA EU AH UE C'est-a-dire que les Britanniques se sont demandes, au debut, si de Gaulle n'allait pas remettre en question tout <;a, parce que les gaullistes n'etaient pas des enthousiastes des Traites de Rome. Mais de Gaulle avait des principes. D'abord Ia signature de la France, elle ne change pas, elle est respectee. D'autre part, il a ete convaincu par un certain nombre de personnes, dont Rueff, dont Armand, dont Monnet par I'intermediaire de Couve, etc ... que sur Ie plan economique, la question politique n'etait pas posee d'une maniere claire, Ie Marche Commun etait dans l'interet de la France et que c'etait un moyen de fa<;on graduelle d'ouvrir, de liberer la France de ses habitudes protectionnistes qui, finalement, allaient contre ses interets a long terme. De Gaulle, ensuite, a eu la reunion de Colombey-Ies-Deux-Eglises avec Ie Chancelier Adenauer et nous avons eu tres vite des rapports du cote allemand qui montraient que <;a s'etait extremement bien passe. D'abord, ces deux hommes se sont sentis au meme niveau historique. lIs se sont compris. C' est la que Ia relation franco-allemande ouverte par Robert Schuman et Jean Monnet a pris, avec de Gaulle, une dimension encore plus considerable. II est aIle plus loin sur Ie plan de l' emotion historique. Cela a totalement marginalise les Britanniques. On Ie sentait tres bien de Londres et Ie petit espoir qu'ils ont eu que de Gaulle remettrait en cause cette construction qui commen<;ait, a disparu au bout de quelques semaines. EU AH Est-ce que Monnet pensait vraiment que de Gaulle s'etait converti a l'Europe et je dirais meme a I'Europe tederale. II y a des mots, des phrases de lui qui impliquent qu 'il pensait que de Gaulle marchait... HA Ce que Monnet pensait sur la conversion de de Gaulle au federalisme, je ne peux pas vous donner de temoignage direct donc, je ne veux pas faire dire a l'un ou a l'autre ce qu'ils n'ont pas dit. A l'epoque, en 1958, la question agricole, dans la Communaute europeenne, n'avait pas ete reglee. Elle avait ete Iaissee hors negociations. Donc, Monnet, Hallstein qui etait Ie President de la Commission, beaucoup de gens pensaient que la France avait besoin d'une politique agricole commune et que de Gaulle, avec Pisani, avaient besoin de la politique agricole commune et que c'etait un engrenage qui pouvait l'amener a aller plus loin dans les faits, vers des formes federales que ne Ie faisaient la theorie et la rhetorique. II y a eu ce pari implicite en disant qu'il y aura un engrenage qui amenera de Gaulle a accepter la realite de structures federales et non pas l' ideologie. L' etau pouvait se resserrer. Le grand moment a ete Ie passage a la deuxieme periode d' application des institutions, c'est-a-dire Ie vote majoritaire. Et c'est la qu'il y a eu la crise de la chaise vide. Donc de Gaulle a echappe a ce piege vers lequel il etait petit a petit conduit de maniere assez naturelle et logique par des negociations techniques sur toute une serie de domaines. C' est vrai que de Gaulle a parle de federation une ou deux fois dans sa vie: avant Ia guerre et apres Ia guerre ... [fin de la face A de la cassette]]. 27 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin HA EU AH UE ... qui vient de discussions assez poussees avec des collaborateurs directs de De Gaulle. C'est qu'a la longue, il aurait accepte des institutions, qu'apres coup on aurait decrites comme federales, parce qu'il etait pret a accepter la notion confederale, comme la Confederation helvetique, et toute formule confederale est une formule intermediaire et instable. On revient vers les nations d'origine et les souverainetes d'origine, ou on va vers les formules de caractere federal. Mais quand vous regardez la creation de toutes les federations et ce que, dans Ie debat europeen, on n'a pas dit parce qu'on a pris sur un autre plan, il n'y a pas deux systemes federaux qui se ressemblent et tous les systemes federaux sont Ie resultat d'une bataille et d'un compromis entre l'affirmation du tout et l'affirmation des composantes. C'est une resultante de caractere politique, de rapports de puissance. Ce n'est pas une formule toute faite et quand on a voulu decrire, et la je crois que nous, les Europeens, on s'est tres mal de£endu la-dessus, l'Europe comme etant destinee a faire disparaitre les nations, a plonger tout Ie monde dans un magma, etc ... on s'est laisse entrainer sur un terrain qui n'etait absolument pas celui de nos actions et de nos intentions. Cela aurait ete stupide ! Les nations existent toujours. Les provinces existent toujours. II yale Pays basque qui existe toujours. II y a l'Alsace qui existe toujours, meme dans un Etat centralise et jacobin comme l'est la France. Ces realites ne meurent pas et, d'ailleurs, pour reprendre de Gaulle, les nations ne meurent pas. II y a une nation galloise ; il Y a une nation ecossaise, alors que Ie centralisme britannique etait considerable. Tout <;a, on Ie savait, mais on ne s'est pas assez de£endu sur Ie debat et nous avons souffert en partie de l'echec de la C.E.D. parce que la Conference de Messine a fait reprendre Ie dossier europeen par Ie do maine economique, technique pour revenir a l'intention politique, qui n'a jamais ete reellement discutee. Alors, de Gaulle a essaye plus tard avec Ie Plan Fouchet de passer au niveau politique. Aujourd'hui, beaucoup regrettent que cette operation ait echoue. AH UE Comment expliquez-vous cette aprete du debat ideologique parce que actuellement dans le debat sur 1'Europe, je crois qu'on ne se bagarre plus vraiment sur Les termes de federation ou de confederation ? Il n 'y a que queLques hommes politiques que je ne nommerai pas qui denoncent La federation. Mais, Le debat sembLe moins apre. Est-ce votre avis? HA EU II est moins apre, parce que l'Europe est devenue pour pratiquement tout Ie monde une "habitude. Tout Ie monde utilise la dimension europeenne. A l'epoque, je me souviens avoir eu des discussions avec Monnet. J' etais un collaborateur jeune, modeste et alors on ne negociait pas ... mais avec Monnet, on pouvait discuter sincerement. Je pense que l'erreur qui etait commise, c'etait d'aller a un rythme beaucoup plus rapide que la prise de conscience de l'opinion publique ne Ie permettait. On a explique Ie charbon, on a explique l'acier, on a explique la politique agricole commune, etc ... Mais, on n' expliquait pas assez, sur Ie plan politique, aux gens ce que cela signifiait. J'ai fait des milliers de conferences dans toute cette periode de cinquante ans. J'ai bien vu les reactions d'auditoires et les plus interessantes, d'auditoires hostiles. IIs etaient hostiles pour de bonnes raisons, parce qu'il y avait des craintes. On n'expliquait pas et quand on ne vous explique pas les choses, vous avez des craintes, vous avez des reactions extremement negatives. Si on vous explique ce qu'on fait, ... Mon metier a ete passionnant en GrandeBretagne parce que j'ai du expliquer a un pays tres mefiant a l'egard du continent, tous ces pays qui ont ete battus pendant la guerre, etc ... II Y avait donc un prejuge tres negatif, mais j'ai vu des reactions extraordinairement positives des differents auditoires, parce qu'on leur expliquait. D'habitude, on n'expliquait pas d'ou l'on venait, ou on etait, ou on allait. Si vous appliquez a priori une formule : une federation, Ie federalisme, vous declenchez chez les gens 28 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin des reflexes qui viennent de leur definition du federalisme. Or, dans la tradition politique franc;aise, qui n'est pas tres girondine, Ie federalisme, tel qu'il etait compris, voulait dire en fait l'Etat, un Etat europeen qui dirigeait tout. Or, ce n'est pas c;a Ie federalisme. D'ailleurs, n'oubliez pas, cela a ete souvent rappele dans Ie debat europeen, que si I' Allemagne d'aujourd'hui a une structure federale, c'est a la demande de la France. Et Rocard l'a rappele dans un article de L'Observateur, c'etait pour affaiblir l'Allemagne alors que c;a I'a renforcee ; parce que pour nous, une structure federale, c' est une structure qui limite I' action de l'Etat done affaiblit un pays. On a vu ce que cela a donne. AH UE D'ailleurs, la grande tradition de gauche etait federaliste et jacobine et heureusement, qu'il y a eu Gaston Defferre. Defferre est, a mon avis, un des hommes les plus importants. Il a fait, et d'ailleurs cela a ete dans la negociation du Traite de Rome, l'autonomie, Ie selfgovernment pour les colonies, la loi Defferre. Grace a c;a, nos collegues de la Communaute europeenne ont accepte la liaison Europe-Afrique, parce qu'ils ne voulaient pas que l'Europe serve a renforcer et a prolonger Ie colonialisme franc;ais. Done, il y a eu la loi Defferre et sur Ie plan interieur, la loi Defferre de la decentralisation. C'est un homme qui occupera une place tres importante. C'est dans Ie debat europeen et l'Europe est un element de decentralisation et quand vous voyagez aujourd'hui en France, vous voyez Ie moindre village, il est bien tenu, il est fier de ce qu'il est, et c'est Ie resultat de la decentralisation. Les regions egalement. UE HA EU Tout c;a n'est pas hors du sujet parce que c;'a ete implicitement Ie grand debat entre Britanniques et Franc;ais. Les Britanniques ont une conception beaucoup plus federale. Mais, ils ne prononcent pas Ie mot parce qu'il y a eu des debats interieurs pendant des decades en Grande-Bretagne sur Ie federalisme ; l'Ecosse avait sa monnaie. Mais, dans la realite des faits, les Britanniques sont capables de s'adapter a ce genre de structure, et d'ailleurs ils ont cree, lorsque les colonies se sont transformees en Commonwealth, des constitutions multiples de structure federale. AH A propos des Britanniques en 1958, lorsque de Gaulle revient au pouvoir, qu'il y a cette entente franco-allemande, est-ce que vous pouvez donner un temoignage sur les reactions de vos interlocuteurs britanniques. Ont-ils ere etonnes, peines... ? HA EU Ils ont ete divises. Dans toute la politique, tout Ie monde est divise entre l'attitude .traditionnelle de l'equilibre des puissances et la construction d'un monde nouveau. Je prend des termes qui ont l'air un peu romantique mais c'est c;a. C'est Churchill, en 1946, qui a parle d'une sorte d'Etats-Unis d'Europe. c'est Churchill, en 1946, qui a dit que Ie premier pas, c' etait la reorganisation de I' amitie franco-allemande. Ce n' etait pas un Vichyssois. C' etait un homme qui etait un des leaders europeens de la victoire qui disait: il faut passer par la et sortir de cette malediction historique. Par consequent, quand de Gaulle a adhere a cette creation de ce couple franco-allemand et lui a donne une dimension considerable, enormement de Britanniques, de ce point de vue, s'en sont rejouis. Mais, par ailleurs, la diplomatie traditionnelle a la Metternich l'a deplore car cela creait une puissance continentale, chose que les Britanniques traditionnellement n'ont jamais souhaite. Mais, c'est la ou la politique europeenne, Dieu sait si on I'a souvent explique, qui a ete inaugure avec Monnet, est une autre maniere de faire de la politique. C'est-a-dire lorsque les gens s'unissent dans ce secteur-Ia, c'est un plus pour vous et non un moins. Et dans les circonstances historiques de I'epoque, j'ai souvent explique aux Britanniques, que s'il y a une bonne entente entre Franc;ais et Allemands, cela renforce votre securite et ne la menace pas. C'a ete long a faire comprendre cette chose-la, et c'est toujours long meme aujourd'hui quand on parle du triangle entre les Trois. C' est un triangle. Ce n' est pas fait pour separer France et Allemagne. II y a des operations de ce genre: la Bourse de Londres et de Francfort, vous voyez. Non, c;a depend 29 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin en partie de ce que les uns et les autres veulent faire, notamment de l'attitude franc;aise. Mais, a l'epoque, certains se sont inquietes et certains ont applaudi et quelques fois, c'etait la meme personne divisee. Alors, on arrive a la Conference de Stresa sur l'agriculture. Beaucoup de Britanniques ont cru que c;a allait capoter. C'etait une negociation extremement difficile. Elle a reussi. En fait, c;a, les experts britanniques ne s'y sont pas trompes, de Gaulle acceptait une gestion de caractere quasi federale de la Politique agricole commune. Elle a ete a l' epoque, incontestablement, un renforcement tres puissant du mouvement vers la cohesion communautaire. J'avais parle de Rueff aussi, sur la reforme Armand-Pinay-Rueff, si vous voulez. La devaluation qui est intervenue a l'epoque, a mis la France en situation de mieux participer a l'elaboration du Marche commun, et quand on a vu de Gaulle devenir partisan de l'acceleration des demantelements tarifaires, alors les Britanniques ont compris que la Communaute etait la pour rester. Donc, probleme : qu'est-ce qu'on fait? AH UE HA EU AH UE En 1961, il Y a deux evenement qui, personnellement, m'ont beaucoup frappe. Je l'ai souvent utilise dans des discours. C'est que Ie meme mois, il y a reconnaissance de fait de I'importance et de la solidite de la Communaute europeenne par Khrouchtchev et Macmillan. C'est en juillet 1961. Or, dans les deux cas, ce sont des gens qui avaient un sens du realisme politique. J'ai souvent dit a Monnet: "Cela vaut to utes les reconnaissances diplomatiques qu'on veut". C'est la ou Khrouchtchev a fait un article theorique en disant que tout Ie Marche commun, la Communaute europeenne etait un element positif, objectif, etc ... Et Macmillan, a la Chambre des Communes, demandait a ouvrir des conversations. Alors la, il y a un incident que j'ai explique a la television anglaise, donc ce n'est pas un secret, mais assez amusant. Ce qui m'avait frappe dans la discussion a la Chambre des Communes, c'est que Macmillan entourait cette demarche de to ute une serie de precautions, etc ... et Michael Foot, a un moment donne, interrompt Macmillan a la Chambre des Communes et dit: "Mais si on comprend bien Ie Premier Ministre, nous avons demande a entrer dans une equipe de football a condition que les regles soient amenagees de telle sorte que finalement (at the end of the day) on va leur demander de jouer au cricket". Alors, c;a m'avait interesse ... Michael Foot etait un des hommes politiques les plus intelligents qui soient, un Premier ministre impossible. J'ai bien connu cet homme. Tres attachant. HA EU Je n'avais pas la confirmation que c'etait c;a, la strategie. Mais, un jour, je suis en weekend chez des amis anglais, et a cote de moi une petite jeune fille, charmante, vingt ans. Je ne savais pas tres bien de quoi parler et je lui dis: "Quand vous dansez, est-ce que vous aimez parler ou etre silencieuse". C'est important. Alors, elle me dit: "C'est amusant, la question que vous me posez. Vous savez avec qui j'ai danse hier soir? ". J'ai dit : "Non, racontez-moi un petit peu", un peu leger, vous savez. "Eh bien, j'ai danse avec Ie Premier ministre, M. Macmillan !". "Ab, ai-je dit alors, il parle ou il ne parle pas? ". Elle m'a dit: «J'etais tres intimidee (c'etait Ie mois ou il avait fait ce discours), je ne savais pas quoi lui dire. II ne disait rien, lui ne devait pas tres bien savoir quoi lui dire, et alors je lui dit : alors on va entrer dans ce Marche commun ? Alors en dansant, il m'a dit : Don't worry, my dear ... et il m'a bien serree ... we shall embrace them destructively (on les embrasse pour les detruire) ". Alorsj'ai dit: "Ab, tiens, c'est amusant !", etc ... C'est Ie petit point qui manquait dans Ie puzzle, et j'ai ecrit une lettre personnelle a Monnet et a Hallstein, mais Hallstein pas du tout a la Commission, en leur disant : voila, je vous raconte cette histoire ; et grace a c;a, cela a eclaire pour moi, la comprehension de toute une serie de negociations, d'attitudes techniques, de discours ... We shall embrace them destructively! ... Et plus tard, en lisant les memoires de Macmillan, il expliquait, d'apres ses dires, au cabinet britannique qu'il n'y avait pas a s'inquieter, que cette negociation allait permettre de changer les choses de maniere positive pour la Grande-Bretagne. Mais, Ie "We shall embrace them destructively", pour moi, cela a ete la cleo Et cette cle, je I'ai eu debut aout 30 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin 1961. C'etait tres peu de jours apres Ie discours. C'etait une anecdote. Mais, comme quoi, quelques fois, les jeunes femmes disent plus qu'elles ne Ie croient. Est-ce que vous avez eu des reactions de Monnet a votre lettre ? AH UE Oui. Mais Monnet n'etait pas aveugle. II avait compris. Mais c'etait la confirmation directe et amusante. J'ai vu beaucoup Monnet pendant cette periode-Ia. Mais, si vous voulez, Monnet, ... moi je connaissais les Anglais comme c;a ; Monnet les connaissait mieux. II les estimait. Tout ce que je dis, ce n'est pas du mepris qu'il y a dans mon commentaire. Les Anglais se battent dur et quand ils voient que cela ne marche pas, ils s'adaptent dur, n'est-ce pas? Donc, il faut savoir ce qu'on veux, ce qu'on est, et a ce moment-Ia, d'abord, on se fait respecter, et finalement on avance. II ne s'agit pas de faire Ie roquet, de faire des grandes declarations puis de s'aplatir. Ce que souvent certains de nos hommes politiques faisaient dans la relation britannique. IIs etaient impressionnes par les Britanniques, parce que les Britanniques ont une technique, meme personnelle, qui consiste a impressionner c'elui avec lequel il negocie. Des details. Par exemple, vous allez chez certain ministre. II est sur un fauteuil, vous etes assis sur un fauteuil qui est pratiquement a ras du sol. HA EU AH UE HA EU Alors, j'expliquais cela. Je me souviens expliquant c;a a Lapie. Pierre-Olivier Lapie connaissait pourtant tres bien les Britanniques. II etait President du groupe parlementaire franco-britannique. Je lui disais: "Attention. Faites attention, on Ie paiera ... " Bon, les silences. IIs ne disent rien, alors vous voulez combler Ie silence et alors vous racontez tout ce que vous ne deviez pas raconter. Ce sont de petits details. Ou alors lorsqu'il y a une reception ou on veut vous seduire, vous recompenser, alors il y a un decorum extraordinaire et puis vous ne cedez pas, alors tout se refroidit. II y a un film d'ailleurs que j'ai fait montrer a des tas de gens, un film britannique "Carlton Brown from the Foreign Office", qui montre toute cette technique britannique extraordinaire. IIs ont raison. C' est comme les Chinois. Chaque pays, c'est ... Chez nous, c;a sera un grand diner, c;a sera les Folies Bergeres, c;a sera tout ce que vous voulez. Mais ces negociations, ce sont des hommes qui negocient, ce ne sont pas des machines, ce ne sont pas des ordinateurs. Donc, tout Ie decorum de la negociation, tout l'enveloppement psychologique de la negociation a une enorme importance. Donc, ils ont utilise tout c;a. Monnet les connaissait bien, ayant ete ... , apres tout, travaillant pour eux a Washington pendant la guerre, penetrait leur psychologie et savait quelles etaient leurs forces 'et leurs faiblesses ; comment la mecanique se declenchait. Donc, quand je lui racontais tout c;a, c'etait pour lui beaucoup plus familier qu'a l'epoque pour moi. Aujourd'hui, je les connais par cceur. C'est pour c;a qu'ils se mefient. IIs n'aiment pas etre connus si vous voulez. Mais quand on connait la mecanique, on sait comment elle marche. C'est une mecanique tres realiste. Alors Ie fait qu'en 1961, Khrouchtchev, moi je connais bien Ie communisme, les Sovietiques, etc... Ie fait que Khrouchtchev fasse cet article a une enorme importance. Et 1961, pour moi, cette double reconnaissance, presentant des dangers, mais egalement des zones tres positives, c' etait la consecration du succes. Apres, il faut gerer. Je pense que ce que je vous dis a certainement figure dans les papiers envoyes a de Gaulle, la reflex ion de de Gaulle. C'est-a-dire qu'on avait la certitude que tout l'aspect economique de cette affaire allait perdurer, donc il fallait passer au stade politique. D'ou l'idee du Plan Fouchet. Et quand vous regardez Ie Plan Fouchet, vous constatez que de Gaulle s'est preoccupe personnellement de toute une serie de contacts, de conversations avec les chefs d' Etat et de Gouvernement des Six. De Gaulle s'est saisi personnellement du dossier. II n'a pas envoye tel ou tel diplomate. II a eu des conversations bilaterales avec Ie President du Conseil italien, etc ... II a certainement 31 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin fait cette analyse qui etait evidente : c'est qu'on etait la, c'est que Ie Marche commun etait la maintenant pour durer. Mais, vous vous hiez a l'epoque Ie n° 1 ou Ie n° 2... N° 2 ... Ie n° 2 de la delegation... UE Mais, il Y a eu des vacances donc j' etais charge d' affaire longtemps, etc ... Si bien que Ie numero 1, franchement, il etait la, mais, bon, c'etait, je ne veux pas etre pretentieux, c'etait moi qui etait Ie delegue. C'est avec moi, d'ailleurs, que les ministres conversaient, etc ... AH Done, est-ce que vous avez ete amene aparler du Plan Fouchet aux Britanniques ? HA Qui, done dans queI sens en avez-vous parle et ... EU Bien sur. AH Et queUes ont ete leurs reactions? UE Positif. EU Ce n'etait pas tout a fait l'attitude de Bruxelles mais cela n'avait pas beaucoup d'influence sur mon jugement parce qu'on ne recevait jamais d'instructions. HA C' est important que vous Ie disiez ! On n'a jamais re<;u d'instructions. La machine diplomatique de Bruxelles, maintenant il y en a une qui existe ; elle n'existait pas. Donc, il n'y a jamais eu d'instruction et je l'expliquais aux Britanniques lorsqu'ils sont entres. J'ai eu une reunion avec une serie de hauts diplomates anglais. IIs m'ont dit, parce qu'ils cherchaient a voir, a essayer de dechiffrer les telegrammes, etc ... On avait droit au chiffre. II a fallu Ie negocier au debut, pour avoir droit au chiffre. On n'en a jamais utilise. Et ils n'ont jamais pu deceler les instructions parce qu'il n'y en avait pas. IIs se sont dits que Ie secret etait formidablement bien garde. Et alors, quand je leur ai dit que les instructions, c'est moi qui me les donnaient, ils ont cru que je me fichais d'eux. Ce n'est plus du tout comme <;a maintenant. II y a une machine diplomatique tres bien huilee. La machine diplomatique europeenne est tres bien huilee. C'est pour <;a que je regrette que l'on n'utilise pas ... on ne donne pas a la Commission un role determinant dans l'elaboration de la politique etrangere commune parce qu'il y a toujours ce conflit : intergouvernemental, etc ... Mais a l' epoque, il n 'y avait rien du tout. 32 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin HA EU AH UE Donc Ie Plan Fouchet. Moi, j'etais accuse ... II y a eu des tas de drames. On a demande de me renvoyer, etc ... Du cote britannique, il y a eu des pressions, parce qu'on a cru que j'etais un agent du Quai d'Orsay. Le Quai d'Orsay a cru que j'etais un agent des Britanniques. Enfin, une rigolade tout c;a. Mais, il y a eu des operations assez penibles. II y a eu, a l' epoque de Wilson, une fuite ... un rapport qui a ete fait par l'attache economique de la delegation, qui etait un Allemand, un rapport en allemand, moi je ne parie pas un mot d'allemand, qui a ete une fuite a Bruxelles. II y a des rapports qui ont ete passes aux Britanniques par un des Commissaires. Et cela a declenche une baisse de la livre sterling, ce rapport. Donc cela a declenche une enquete, etc ... pour dire que j'etais responsable. Donc, j'ai demande qu'il y ait une enquete serieuse qui n' a pas eu lieu puisque Ie Commissaire qui avait passe Ie rapport ne voulait pas qu'on Ie sache. Mais, je ne dis pas son nom encore. Voila. Tous les procedes ont ete utilises, vous savez. Mais c;a, c' est de bonne guerre. II faut savoir que c;a existe, et il faut savoir que j'ai ete cambriole plusieurs fois. II y a des micros qui ont ete mis chez moi, etc ... Ce n'est pas de tout repos ce genre de choses, mais cela ne m'a jamais perturbe, parce que les interets qui etaient en cause etaient tellement considerables, que toute une serie de moyens etait a prendre, sauf que ces moyens ... J'ai souvent explique, j'ai dit : "Vous perdez votre temps". La conviction qu'on avait avec Monnet, est qu'on travaillait avec la force de l'histoire derriere soi et non pas les trucs habiles d'un Etat. On avait l'impression d'etre vraiment, non seulement de changer, mais d'aller dans Ie sens de l'histoire. Quand vous avez cette conviction, c'est ce que les communistes ont essaye de faire en disant : on va dans Ie sens de I'histoire, je ne dis pas que c'est du determinisme historique ... Quand vous avez la conviction que vous avez c;a et que ce que vous faites est pour Ie bien de tous, ce n'est pas asseoir un imperium; vous comprenez, c;a vous donne une force considerable, si bien que tous ces moyens classiques de la diplomatie apparaissent comme derisoires et ils ne marchent pas. Moi, j'ai souvent explique cela a des gens du Foreign Office en rigolant, je leur ai dit : "Cela ne sert a rien et la preuve, vous la voyez la". HA En s'appuyant sur qui? EU AH UE Alors, Ie plan Fouchet. Donc, je parle du plan Fouchet premiere maniere. On considerait que c'etait tres positif. Le fait que de Gaulle se preoccupe de ce probleme etait un element tres positif et la fac;on dont il voulait aborder l'affaire politique n'etait pas celIe a laquelle je croyais moi-meme, c' est autre chose, mais c' est celIe qui me paraissait politiquement viable pour l'epoque. Quand on fait de la politique, on est sans cesse a faire Ie partage entre ce que l'on croit et ce que I'on peut. A l'epoque, c'etait un progres considerable. Les Britanniques ont, lorsqu'il y a eu Ie plan Fouchet II, agi pour faire capoter l'affaire. IIs ont ete tres actifs, ils se sont servis ... Sur Spaak. Et Spaak l'a absolument regrette par la suite. II l'a dit publiquement. C'est dans ses Memoires. C'est dans les memoires de Rothschild, etc ... Ils ne se sont pas appuyes sur Luns ? Les deux. Spaak a ete beaucoup plus eloquent. Luns etait connu pour etre un antifranc;ais visceral, parce qu'il avait un complexe puisque sa mere etait franc;aise. J'ai eu des discussions avec lui, un homme remarquablement intelligent, mais psychologiquement, il avait un probleme. J'ai ete en dialogue avec lui, dans les conferences et je ne I'ai pas, comme je n'ai jamais eu Ie sens de la hierarchie, je pouvais etre numero 2, 3 ou 4, pour moi, cela n'avait aucune importance; j' avais mon point de vue et c;a enervait certains mais cela en 33 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin impressionnait d' autres et avec, Luns ... II etait supremement intelligent, Luns, habile. Mais, il n'etait pas europeen. II etait anti-europeen, il etait atlantique. Ce n'est pas la meme chose. Ce n'est pas contradictoire, mais ce Il'est pas la meme chose. On etait europeen et il y avait des alliances, c'est tout a fait autre chose, mais pas des integrations. Dans Ie cas de Luns, il etait diabolique et il s'arrangeait toujours pour que ... il prenait une position tres europeenne qu'il savait ne pas pouvoir etre acceptable pour la France de de Gaulle, pour amener de Gaulle a dire ou faire entendre: non, pas question; ce qui permettait a Luns de dire: ecoutez, nous on veut faire l'Europe, mais la France bloque. AH UE Je vais meme vous raconter une histoire qui n'a pas ete racontee: les instructions neerlandaises qui m'a ete racontee par un tres grand diplomate neerlandais. Quand il y avait des discussions a Bruxelles, notamment sur les affaires anglaises, etc ... , il Y avait des tours de table des representants permanents. Deux hypotheses. Si Ie tour de table faisait que Ie Franc;ais parlait avant, c'etait ennuyeux. II fallait que Ie Neerlandais parle avant. Donc, il presentait une these ultra-europeenne. A ce moment-la, Ie Franc;ais freinait. Ensuite, Ie Neerlandais pouvait dire: on a voulu, mais la France a dit non. Donc Ie truc, c'etait d'essayer de parler avant la France et c;a 'etait une instruction qui etait donnee aux diplomates neerlandais a l'epoque. <;a, c'etait Luns, si vous voulez. L'attitude qu'il a eue sur l'histoire du plan Fouchet a ete negative, mais habilement negative. Mais on savait que Luns etait comme c;a. HA EU Dans Ie cas de Spaak, cela a porte beaucoup plus parce que Spaak etait un francophile dans les tripes et, en meme temps, il etait anti-gaulliste. Anti-gaulliste pour des tas de raisons: est-ce que c'est un general Boulanger; est-ce que c'est Bonaparte, enfin tout ce que vous voulez. Mais, il avait ... [Fin de La cassette 1 face BJ UE Debut de La cassette 2 face A HA EU AH Le plan Fouchet, 1961. La situation de la delegation etait un peu speciale, parce que la gestion d'accord d'association, qui etait notre raison d'etre, n'etait pas tres lourde. II y avait beaucoup de temps libre et c'est la raison pour laquelle, Hallstein, avec lequel je m'entendais tres bien, me demandaitquelques fois de remplir certaines missions pour lui a 1'exterieur. Vous savez qu'Hallstein avait une notion de la Presidence de la Commission tres forte, ce qui .a amene des conflits avec de Gaulle et 1'une des consequences de cette conception, c'est qu'il voulait etre informe sur les problemes de politique internationale, etc ... Donc, j' ai discretement voyage quelques fois pour voir. Ainsi, je suis aIle a Moscou. Et a l'epoque, il y avait une tres bonne excuse. C'est qu'il y avait l'Exposition franc;aise a Moscou qui durait un mois. Donc, j'y suis aIle et j'ai loge chez un ami de l' Ambassade, Emmanuel de Margerie, qui est devenu Ambassadeur plus tard a Washington. C'est un vieil ami. Et la, a l'epoque, les Ambassades avaient des difficultes pour avoir des rapports avec les dirigeants sovietiques. Mais, a l'occasion d'une exposition, on pouvait en avoir enormement, si bien que j 'ai vu en quelques semaines, ... C'etait Ie mois du Mur de Berlin. Je dinais a I' Ambassade britannique Ie soir ou Ie Mur de Berlin commenc;ait a etre construit et j' ai vu dans la conversation tout de suite les grandes lignes du nouveau paysage international qui se dessinait. Les Sovietiques etaient silrs ce soir-Ia qu'il n'y aurait pas de reactions militaires occidentales. Je me souviens d'un Americain qui etait tres dechaine, etc ... Le Sovietique etait la ... j'ai marque les noms sur mes carnets, mais je ne les ai plus en memoire. Le Sovietique, important, disait aux deux Americains qui etaient la: "Ecoutez, vous ne comprenez pas I'Histoire. Nous autres vieux pays (en parlant des Anglais et des Franc;ais), nous savons comment on traite ce genre de probleme". II y avait ce cote: nous, les vieux pays. 34 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin EU AH UE HA EU AH UE J'ai donc parle avec enormement de gens de cette histoire du Marche commun. Pourquoi on avait <;a. L'attitude de l'Allemagne. Notre attitude vis-a-vis de l' Allemagne, etc ... J'ai eu un avant-gout de choses qui se sont produites me me 10 ans apres, une conversation avec IIya Erhenbourg qui etait passionnant de cynisme et de culture, sur l' opinion des partis communistes occidentaux, toute une serie de choses. J' en suis revenu avec Ia conviction, que j' ai fait partager d' ailleurs dans des conversations, pas dans des ecrits, avec Jean Monnet qu'un jour, nous aurions, en tant que Marche commun, une influence decisive sur l'evolution sovietique et sur l' evolution du rideau de fer. C' etait clair. Quand vous avez des conversations a ce niveau-Ia, c' est I'interet de ces organisations comme Ia Trilaterale, etc ... , quand vous avez avec des gens a ce niveau-la, dans Ia mesure ou iis ne sont pas bornes dans leur travail quotidien, vous voyez clairement dix ans a l'avance. C'est limpide. Et c'est depuis, d'ailleurs, cette epoque-la qu'a Londres, j'avais en moyenne tous Ies deux mois une longue conversation avec l' Ambassadeur sovietique, tantot chez moi, tantot chez lui. Et j'etais numero 2 au debut, mais iis avaient compris, si vous voulez. lIs etaient bien renseignes. Les conversations se passaient a l'Ambassade dans une piece qui etait merveilleuse du point de vue acoustique, donc je suis sur de ne pas etre cite hors contexte puisque c'etait enregistre. Et j'ai demande, depuis Ie changement, si on pouvait retrouver Ies rapports des conversations que j' ai eues parce que ce sont des conversations tres fortes. Alors la, j' en tenais informe Hallstein, Monnet mais personnellement. Je ne faisais pas d'ecrit parce que vous ne savez jamais ou vont les ecrits et que les circuits a Bruxelles n' etaient pas surs. lIs etaient truffes de trucs, etc ... Alors la, il n'etait pas question que <;a sorte. Mais, ce qui s'est passe apres etait ... Si vous voulez, ce qu'il y avait de bien, parce que j'avais beaucoup d'amis dans Ia Resistance qui etaient comrnunistes, on a beaucoup discute, c'est que vous aviez une analyse et une perspective historique. Par consequent, on pouvait parler histoire. Ce n'est pas la gestion de Ia securite sociale, c' est autre chose. Pour moi, dans mes conversations politiques, il y a quatre endroits ou cela vaut la peine de discuter de politique, c'est-a-dire Washington, Ie Vatican, Moscou et selon Ies cas, un peu Paris, un peu Londres, un peu Tokyo parce que la, vous aviez une vision du deroulement historique, tel qu'on Ie voulait ou tel qu'il se produisait. Et a I'epoque, iis etaient intrigues par cette histoire du Marche commun, tres intrigues et Ie fait, d'ailleurs, que Macmillan ait demande a ouvrir les negociations, pour eux, etait aussi un test parce que Ies Sovietiques etaient tres attentifs a la diplomatie britannique. Elle etait prise au serieux. lIs avaient raison, parce qu'elle est tres superieure a Ia diplomatie americaine, qui est tres sporadique, si vous voulez. Donc Ie fait que cela bouge du cote britannique, cela voulait dire quelque chose. HA Je suis aIle ensuite en Amerique Iatine, au moment ou de Gaulle avait envoye Chauvel pour preparer sa strategie fran<;aise et accessoirement europeenne vis-a-vis de l' Amerique latine, dans Ie rapport Amerique Iatine - Amerique du Nord. Bon, moi, j'ai fait Ia tournee de mon cote. Je suis aIle en Islande, parce qu'il y avait une question de peche. Enfin, il y a eu toute une serie de voyages. Donc je pouvais faire <;a sans que Ie microcosme intergouvernemental qui etait a Bruxelles s'inquiete parce que voila, on ne savait pas exactement, et c'est <;a qui m'a donne une vue des choses extraordinaire. Est-ce que vous etiez en contact avec la diplomatie fram;aise ? Peu. En tant que diplomate, non. Avec les individus, oui. Par exemple, Iorsqu'il y a eu Ie veto, on arrive a 1963 ... l'ai une question a vous poser quand meme pour 1962. Est-ce que vous avez un temoignage a apporter sur les rencontres, et en particulier je pense ala rencontre de Rambouillet d'octobre 35 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin 1962 entre de Gaulle et Macmillan ? C' est une rencontre importante parce qu'iL sembLe que de Gaulle ait propose a Macmillan une sorte de travaiL en commun pour monter peut-etre une force de defense europeenne nucleaire, puis apres c' est L'histoire des PoLaris... EU AH UE D'accord. Je n'ai pas de temoignage direct. J'ai eu les informations diplomatiques. Mais de temoignage direct, non. Alars, sur l'histoire du plan Fouchet. La, il y a un temoignage direct. C'est a une reunion de l'D.E.O. que la rupture s'est faite, je crois, sur Ie plan Fouchet. Je crois me souvenir, Georges Brown y assistait et puis il y avait Spaak, etc... Je crois que c' est la qu'il y a eu cette rupture. Mais, simplement je savais que les Britanniques allaient utiliser cette reunion ministerielle de I'D.E.O. pour, dans des circonstances que j'oublie mais qu'on peut toujours retrouver parce qu'elles sont clairement rapportees, casser, stopper l'operation Fouchet II. Et la, j'ai fait des demarches personnelles aupres de Brown. J'ai vu l' Ambassadeur de France. J'ai vu d'autres ministres pour leur ... Mais je sais que la demarche que j 'ai faite etait de dire: "Faites attention. Ne stoppez pas Ie plan Fouchet parce que vous allez creer une crise considerable dans les affaires europeennes. Mais vous n' en serez pas Ie beneticiaire interne. Tout Ie monde va etre perdant". Bon, cette demarche n' a abouti a rien, mais je me souviens de <sa. Alars la, il faudrait que je retrouve mes carnets de l'epoque. Je ne les ai pas ici avec moi. Ils sont en province. Je vous dis <sa parce qu'avec les elements que vous avez, sur Ie plan historique, vous pouvez trouver. Alors, negociations, 1962, on negocie Ie traite. On etait tres actif a la marge puisque ce n'etait pas nous les negociateurs. Mais tres actif parce que ... HA Negociations entre La Communaute europeenne et I'AngLeterre ? UE Oui, cela se passait a Bruxelles. AH La, on parLe de La candidature de La Grande-Bretagne. HA EU C'est <sa, qui a abouti au veto de 1963. Mais il y a eu des negociations, negociations considerables et en fait, elles n'ont pas ete perdues. Et quand on a recommence, ... vous savez, ces negociations, on a a peu pres des zones d'accord et puis apres, <sa echoue. Mais, on ajoute Ie petit supplement ... Donc La, vous etes intervenu dans cette negociation ? Dans la negociation directe, non puisqu' elle etait menee a Bruxelles. Elle etait menee par les representants des Etats et par la Commission. Mais, on avait besoin d'alimenter la Commission en informations, sur ce qui allait se passer et comment telle chose passait, etc ... N'oubliez pas qu'on est a la peripherie quand on est a Londres. Il y a des choses sur lesquelles on etait au centre, mais la, dans ce cas des negociations, on est en peripherie. Mais, j'etais a une epoque presque chaque semaine a Bruxelles. Je voyais les negociateurs. De la Commission, pas ceux des Etats ! C'est une negociation qui a ete bien menee. Chacun faisait bien, la OU il etait, son travail. Moi, j'informais. Je passais quelques fois des messages. Je pouvais apprecier ce qui, politiquement, etait possible en Grande-Bretagne ou les pressions ; ce qui se passait du cote du Commonwealth, ce qui etait important; suivais tres attentivement les reactions australiennes ou neo-zelandaises parce que c'etait une des grandes difficultes de 36 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin la negociation. Je voyais les Hauts Commissaires de taus les pays du Commonwealth parce qu'ils faisaient plus au mains pression. Les Hauts Commissaires, c'est-a-dire les Ambassadeurs dans Ie systeme anglais. Donc la, c' etait une periode de travail intense et j'alimentais en informations, en suggestions, enfin toute une serie de chases. Mais ce n' etait pas la negociation a proprement parler. Mais j' etais souvent a Bruxelles dans la salle au on negociait pour passer une reaction ... Dans vos rapports avec les Britanniques, au sens large du terme, Commonwealth compris, quels sont les points forts qui vous ont peut-etre marque? Est-ce que les Australiens, les Neo-Zelandais etaient opposes a l'entree de la Grande-Bretagne dans Ie Marche commun ? EU AH UE HA EU AH UE lIs etaient tres negatifs. Tres negatifs, parce que Ie developpement economique de ces deux pays a l'epoque reposait quasi exclusivement sur la relation avec la Grande-Bretagne, au par la Grande-Bretagne. lIs n'avaient pas organise leurs relations economiques sur un plan regional, ce qui est Ie cas maintenant. II y avait des raisons historiques, des raisons raciales ... Les Japonais n' avaient pas laisse un tres bon souvenir dans cette region, etc... II y a eu des pressions morales enormes: visites aux champs de bataille, aux cimetieres des anciens combattants qui sont morts de l' Australie, etc ... La pression est tres nette et sur des plans technique, politique et emotionnel : on est venu se faire tuer chez vous et maintenant vaus nous laissez tomber. II faut dire, et d'ailleurs on Ie voit quand on arrive a Londres aujourd'hui, que la transformation que nous demandions aux Britanniques, si nous l'avions demande a des Fran~ais a cette taille, elle aurait ete refusee. On demandait notamment sur Ie plan des passeports, de l' accueil dans un pays ... Quand j' arrivais a Londres au debut, moi, je faisais la queue dans la colonne "Aliens" et puis il y avait "British and Commonweatlh". Bon, aujourd'hui, quand vous etre Canadien au Australien, vous faites la queue dans ce qui est maintenant "Aliens" et moi, je passe comme ~a. Cela n'a l'air de rien mais c'est enorme comme transformation. Et, ces gens, parce que la Reine est reine, ont des titres. Un Australien, - quand ce sera la Republique, ~a sera different-, peut devenir Sir quelque chose au Lord quelque chose. Donc, il va a la Reine qui lui pose l' epee sur l' epaule, etc ... II Y a une allegeance. Dans Ie domaine religieux, l'Eglise d'Ecosse a une enorme influence sur Ie Nouvelle-Zelande. Les textes de priere, j'ai decouvert ~a un jour par un de mes amis qui etait au Secretariat des Eglises britanniques, les textes sont decides par Ie Roi en son Parlement. . Par consequent, toute la substance, et cela a ete mal compris ... HA L 'Eglise d'Ecosse ou d'Angleterre ? L'Eglise d' Angleterre mais je crois que l'Ecosse aussi, rnais il y a un autre statuto Mais, on demandait a la Grande-Bretagne sur Ie plan financier de liquider les balances sterling, sur Ie plan commercial de mettre des tarifs exterieurs communs contre des gens, surtout Ie Commonwealth blanc en plus. Bon, Ie vieux Commonwealth. Bon, on leur demandait des transformations. On leur demandait d'introduire Ie systeme metrique. On leur demandait d'utiliser les centigrades. On leur a meme demande a une epoque, au je me suis fait renvoyer sur les roses, la circulation a droite, etc... et qui avait ete prevue et elle etait prevue. Donc, les transformations que l'on demandait a l'Empire et ensuite au Commonwealth britannique, a cette communaute de pays, d'habitudes, de droits, etc ... fantastiques d'entrer dans un systeme, et quand meme assez romain. La transformation etait enorme. Elle a ete faite. 37 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin UE Donc, pendant la periode ou on commen<;ait a negocier, les resistances etaient enormes. II y a eu des resistances canadiennes, ... Mais les plus fortes etaient les resistances neozelandaises et australiennes. Mais alors, les Neo-Zelandais qui sont en general des Ecossais, pas des gens qui ont ete condamnes comme on envoyait en Autralie ; mais les Neo-Zelandais, tres solides, ils ont quand meme obtenu une derogation pour la forme du mouton. Elle dure toujours, je crois d'ailleurs. II n'y a pas eu a l'egard du Commonwealth des resistances institutionnelles. C' etait axe a la Grande-Bretagne, comme avant. Sur Ie plan des autres obstacles, il y a eu la discussion sur la souverainete. Mais les Britanniques n' ont pas les memes reflexes a l' egard de la souverainete que chez nous. Sauf deux choses que je retiens comme <;a en parlant. C'est qu'il n'y a pas de constitution ecrite en Grande-Bretagne. Maintenant, il y en a une: ce sont les Traites de Rome. On l'oublie. C'est une sacree transformation. Deuxiemement, il y a un principe que Ie Parlement est totalement souverain et qu'un Parlement qui suit un autre Parlement peut detaire ce qu'a fait l'autre Parlement. Maintenant, ce n'est plus possible parce qu'il y ales Traites. Vous vous rendez compte de la transformation que cela apporte ! EU AH Ceci dit en France aussi. Ie m'aper~ois a longueur de temps que les Communautes europeennes, rUnion, prend des decisions pour notre vie et que c'est extremement difficile de revenir dessus ... UE HA Oui, mais l'Union, c' est la combinaison de la Commission et des Gouvernements representes au Conseil des Ministres. Ce n'est pas l'oukase, une espece de pouvoir, etc ... Et vous savez, cela a ete dit maintenant dans les journaux, qu'il y a beaucoup de decisions qui sont prises a Bruxelles suggerees par les Gouvernements qui preterent que cela passe par Bruxelles que de Ie faire directement. AH Oui, Mais cela, on Ie dira dans la campagne. Les Europeennes, c'est faits pour ~a. EU Je ne sais pas si cela sera entendu mais cela sera dit. Bon, dans Ie cas des negociations, vous parliez des difficultes ... HA Oui, des difficultes, des resistances ou des gens qUl ont pu vous marquer parmi les negociateurs britanniques. Des gens interessants ... Le grand negociateur pour cette affaire-la, nous sommes en 1963, c'est Heath Ie ministrenegociateur. II a tres bien negocie. Mais ils ont fait une serie d'erreurs, psychologiques d'ailleurs. Moi, je leur ai dites. J'etais devenu tres ami avec Heath a l'epoque. Petit detail. La delegation britannique avec Heath, son chef, arrive a Luxembourg. La negociation, Luxembourg, un peu a la bonne franquette, etc ... Vne Rolls grise, merveilleuse, Ie drapeau britannique, etc ... Enfin, on arrivait. lIs nous faisaient l'honneur de venir negocier avec nous. C'est tombe a plat. Mais, il voulait ... Le Britannique considere que Ie decorum est une element important, il a raison, pour impressionner les indigenes. Mais la, cela n'a pas marche. Voila un detail. Sur Ie plan de la negociation elle-meme, la, j 'ai eu une discussion avec Courcel qui etait Ambassadeur de France. Je dirais que la diplomatie fran<;aise redoutait Ie succes de cette negociation. En mai ou juin 1962, il Ya un dejeuner a l' Ambassade, je crois que Lapie etait la 38 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin je crois que oui ... II etait beaucoup la, parce qu'il etait un specialiste des affaires britanniques, et il etait dans la Haute Autorite encore, si je me souviens bien. Et les Fran~ais, l' Ambassade consideraient que la negociation allait reussir ... Vous parlez de Luxembourg quand vous dites France... a l'Ambassade? C'est l'Ambassade de AH UE A Londres. Les gens disaient: "Voila, ~a va reussir (MIas)". Et moi, j'ai dit: "Cela va echouer". Je me souviens que Nanteuil qui est a Paris maintenant m'a dit : " Enfin, Georges (j' avais meme parie une caisse de champagne). Ce n' est pas serieux. Vous faites des paris comme ~a. Non, c'est gagne !". "Oui. Bon, on verra". J'avais fait une analyse pour Bruxelles, qui doit etre dans les papiers, et pourquoi ~a allait echouer. Parce qu'il faut connaitre Ie rythme, je ne sais pas si c'est Ie sujet, de la vie politique britannique. Parce que c'est la rentree de septembre. C'est l'epoque ou vous avez Ie Congres du T.U.c., Ie Congres des partis politiques, la Conference des Premiers ministres du Commonwealth ... II y a toute une serie de rendez-vous tres importants, ou Ie bilan de l'annee ecoulee est elaboree, et ou les strategies en cours sont modifiees. C' est tres important. EU AH UE HA EU Ce qui m'avait frappe dans la maniere de negocier des Britanniques, c'est qu'avant l'ete 1962, ils avaient negocie sur des petites choses. C'etaient des escarmouches. Bon, il y a eu des petits accords. Mais que les gros dossiers difficiles etaient remis a I' automne. Je considerais ... je leur avais dit: "C'est une erreur considerable". Pourquoi? Je Ie dis parce que je l'ai ecrit a la Commission avant. Ce n'est pas des choses que l'on dit apres, si vous voulez. C'est que les dossiers difficiles n'ayant pas ete traites au fond et des zones d'accords n'ayant pas ete delimitees, les Congres, les lobbies, Ie Commonwealth etaient en mesure de faire une pression considerable au lieu, si je puis dire, d'avaler ce qui avait ete plus ou moins decide a Bruxelles. lIs mettaient un a priori considerable dans la negociation britannique. C'est-a-dire qu'ils reduisaient la flexibilite. Pourquoi cela a ete fait? Certains Britanniques me l'ont explique. Et ~a, c'est souvent les erreurs qu'on fait et notamment dans les negociations avec les Americains. C'est-a-dire quand vous negociez : "La-dessus, c'est facile. On peut s'entendre. Mais, la, j 'ai un gros probleme. Le pays ne va pas suivre. Faites une concession". Autrement dit, de dire: "Aidez-moi vis a vis de mon opinion ou vis a vis du Congres. Mais en faisant ~a, avalez ce que je vous demande". Autrement dit, utiliser la pression qui va venir pour faire lacher l'adversaire. HA Donc, la strategie de Macmillan a ete de laisser ces gros dossiers, afin qu'il y ait une prise de position tres dure de la part du 'Commonwealth qui voulait garder les balances sterling, tres dure de la part des Neo-Zelandais, etc ... , tres dure de la part du T.U.C., syndicat qui ne voulait pas ceci, et ensuite de reaborder la negociation avec nous en disant : "Voyez. Ecoutez. La, j'ai les mains liees. II faut ceder". C'est souvent comme ~a qu'on fait. Moi, j'avais dit aux Britanniques: "vous allez rater", et j'etais sur que ~a raterait. Ma these qui n'est pas la these des historiens en general, c'est que quand de Gaulle a impose son veto en 1963, la negociation etait deja morte. Effectivement, ce n'est pas la these que l'on defend habituellement. Pas du tout, et je crois que de Gaulle voulait etre vu comme ayant tue Ie cadavre, c' etait deja un cadavre. Parce qu'en faisant ~a, il montrait aux Anglais pour la prochaine fois, et quand vous lisez de tres pres ce qu'a dit de Gaulle: la prochaine fois quand vous voulez, parce 39 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin qu'un jour vous viendrez, la porte n'est pas a Bruxelles, elle est a Paris. Et c'est ce qui s'est passe. Autrement dit, il a voulu apparaitre comme celui qui a tue la negociation, mais elle etait deja morte. Pour vous, La negociation, est morte d'une mauvaise preparation... Non. De cette strategie-Ia ! Que s'est-il passe? II y a eu les reunions des congres politiques, syndicaux, Commonwealth, etc ... et des prises de position publiques, de pression ... Ce n'etait pas une strategie qui etait vouLue par Le Gouvernement britannique ? HA EU AH UE HA EU AH UE Les Britanniques ont cru ... Je prend un exemple facile. Vous allez acheter quelque chose et vous dites a la personne : "Ecoutez. D'accord mais c'est un gros achat, il faut que j'en parle a rna femme". Et puis apres vous en parlez et vous revenez en disant : " Elle ne veut pas". Si l'autre veut vous vendre, il va vous faire une concession. Donc, vous utilisez la perspective d'une imposition de certains elements composants pour dire a l'adversaire, celui qui est en face est l'adversaire : "Je ne pourrais pas aller au-dela. Avalez ce que je vous dit"'. Or, les gros dossiers difficiles etaient des dossiers qui concernaient Ie Commonwealth, les syndicats, les partis politiques et comme ils ont vu l'occasion d'imposer a priori des restrictions a la liberte de negociation, lorsque tous ces congres, toutes ces reunions se sont produits fin octobre novembre, la marge de negociation, la marge de flexibilite des negociants britanniques etait tres etroite. Et, ils nous pla~aient devant Ie sujet : "Bon, vous nous voulez. Deja, on a essaye. Une bonne atmosphere. Alors, cedez". Et nous, on ne pouvait pas ceder. Par consequent, on a pietine et quand vous regardez Ie detail des comptes-rendus de negociations, vous constaterez que fin decembre, debut janvier, on pietine. Cela ne bouge pas. Cela ne pouvait plus bouger ! Puce que c'etait : "Take or leave it. Make or Break". Bon, et ce n'est plus possible. Je ne dis pas que c'etait un ultimatum mais on ne pouvait pas negocier. On n'avait plus la flexibilite des deux cotes. C'est ce que, quelques fois, les Americains font en disant : "II yale Congres, etc ... " et c' est vrai ! Cela a ete une strategie habituelle. C' est souvent ~a. On montre que sur les dossiers, ... parce que les gros dossiers, c'etaient les dossiers qui interessaient I'interet de tous ces gens dont j'ai parle, de tous ces groupes mais egalement qui etaient de l'interet . national britannique tel qu'il etait con~u. Bon, donc c'etait fini. On ne pouvait plus avancer et on Ie sentait. Et si vous relisez les journaux de l' epoque, avant Ie veto de de Gaulle, vous verrez que les gens disent : on est bloque, ~a n'avance pas. Alars, cela n'avan~ait pas, mais comme on voulait, et pour des raisons politiques, d'equilibre, "on avait deja commence", que les Britanniques viennent, ils pensaient que plus on attendait, plus la pression sur nous, les Six, allait s'exercer, ce qui allait dans leur sens. Mais, c'etait mort. Alars, de Gaulle, a ce moment-la, clac ! Apres, la crise, etc ... En plus, I'avantage, c'est qu'on pouvait designer du doigt cet homme, de Gaulle. "C' est toujours de Gaulle". C' etait facile. Apres Ie veto, il y a eu une crise considerable. L' Ambassadeur de France a ete boycotte. Bon, moi, j' etais Fran~ais mais j'etais Europeen aussi, donc je n' etais pas boycotte. Courcel, c'est a ce moment-la qu'on s'est vu. Je Ie voyais regulierement, chaque semaine, au moins une fois par semaine, et je lui expliquais un peu ce qui se passait a l'exterieur, ce qui je n'avais jamais fait. Je n'ai jamais ete en position de subordination vis a vis de la diplomatie fran~aise et elle ne me l'a jamais demande. Cela a toujours ete tres correct. La tradition de l'Etat en France, on sait qu'elle y est encore. Ce n'est pas corrompu moralement quand meme. Mais la, j'allais Ie voir pour lui dire, parce qu'on ne Ie recevait plus, les gens ne Ie voyaient plus. Un boycott terrible! Ce n' etait pas facile. II a tenu avec une dignite absolument 40 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin remarquable. Moi, j'allais Ie voir. Je lui racontais un peu ce qui se passait et, sans instructions, je me suis dis: "Cela ne va pas durer, tout <;a". 1'ai decide d'inviter chez moi Ie Secretaire des syndicats europeens, Ie syndicat ouvrier europeen, Max Kohnstamm, des Anglais tres importants, Ie Conseiller diplomatique prive de ... [Fin de La face A, 2eme cassette] Debut face B, 2 e cassette HA EU AH UE ... pesante, comme on disait en Italie. Les Anglais etaient persuades que Ie veto de De Gaulle allait faire eclater la Communaute europeenne. Persuades! Relisez tous les joumaux. lIs en etaient persuades. II y avait trois ou quatre bons Neerlandais aussi. Et Ie but etait de faire comprendre aux Anglais, pas par moi, que la Communaute allait survivre a cette crise et qu' elle continuerait. "Et je sais, par Ie conseiller diplomatique de Macmillan, qui etait Sir Philip Zuileta ( ?) qui est mort maintenant, mais qui me l'a dit quelques temps apres, pas tout de suite, que cette reunion ... il Yavait egalement les grands editorialistes des grands joumaux ... cette reunion etait un toumant pour eux. Les Anglais se sont aper<;us que <;a n'eclaterait pas et je leur ai dit : "Preparez-vous de continuer de deal with us". Certains ont voulu dire que cette reunion que j'avais faite avait ete teleguidee par la diplomatie fran<;aise. C'est totalement faux. C'est teleguide par moi ! Mais, <;a a ete un toumant et alors <;a, Zuiletta (?) me l'a raconte. II a fait evidemment son rapport personnel a Macmillan et c'est la qu'ils se sont dits que les tentatives d'exploitation du trouble ne meneraient a rien et finalement, ils n'en ont pas fait beaucoup. Cette reunion, je la cite pas pour me vanter mais parce qu'apres, les gens qui y ont assistes m'ont tous dit que <;'avait ete Ie demarrage. Et <;'a ete fait quelques semaines apres Ie fameux veto de de Gaulle ... Fevrier 1963 ? HA EU AH UE Jen' ai plus la date en tete mais c' est tres peu de temps apres. Toute Ie monde etait a chaud. Et alors, Macmillan a quitte Ie pouvoir quelques temps apres. II y avait l'affaire Profumo. Toute une histoire. Donc, Lord Hume qui je connaissais bien, que j'avais amene a Bruxelles lorsqu'il etait ministre des Affaires etrangeres pour visiter la Commission, etc ... a dit: "L'histoire europeenne is a dead dud issue". C' est-a-dire qu'on ne veut plus en discuter. Donc, il n'ont pas perdu de temps a attaquer, a essayer de detruire, etc ... Bon, il y a eu les petits trucs habituels, mais enfin ce n'est pas grave. Mais, ils ont compris la strategie : il fallait se recomposer soi-meme et on verra la prochaine fois. La, je sais que <;a joue un role. J e crois que votre temoignage sur La periode britannique est important. <;a eclaire. Est-ce que vous pouvez encore dire queLque chose sur 1965, peut-etre ? C'est-a-dire sur La crise de La chaise vide. La, on a ete indirect sur la chaise vide sauf que j' avais forme avec Ie fils de Spaak un club ou il y avait des gens qui sont tous devenus assez puissants. II y avait Davignon, Umberto Agnelli, etc ... lIs etaient tous plus jeunes. l' avais fait ce club, dont j' ai les archives d' ailleurs, puisque c'est chez moi que <;a se tenait. On faisait des reunions soit chez moi, soit chez Spaak 41 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin UE fils qui etait Directeur general a Euratom. Des reunions ou on elaborait des strategies. On faisait notre petit comite d'action, sije puis dire, a notre fa<son. Sur l'histoire de la chaise vide, on a fait passer pas mal de papiers a Spaak pere pour sortir de l' impasse. Ce qui est interessant a l'epoque de la chaise vide, c'est qu'on a vu que les Anglais ont suivi avec enormement d'attention toutes crises intra-europeennes qui leur donnaient un peu d'espoir, si je puis dire. Ce qui est interessant, on m'a dit a l'epoque ... je n'en ai pas eu la confirmation formelle, mais peut-etre que l' acces aux documents devrait permettre de Ie confirmer aujourd'hui. Les gens en avaient assez de ces crises avec la France parmi les Six, et ont m'a dit a l' epoque que, dans plusieurs ministeres des Affaires etrangeres, sinon tous, parmi les Six, on avait envisage la fin de la Communaute europeenne et que les constats qui avaient ete etablis au nom des interets nationaux de chaque pays, c' etait qu'il valait mieux continuer. On me l'a dit a l'epoque. Je n'en ai pas eu une preuve directe, mais je me suis servi de <sa pour expliquer aux Britanniques, que la solidite de la Communaute europeenne venait du fait que l'interpretation de l'interet national de ses composantes jouait desormais en faveur de l'Europe. AH UE HA EU AH Et, c'est 130 ou Ie pari de Monnet etait gagne. C'est-a-dire qu'il fallait que les interets fondamentaux des pays deviennent des interets europeens et qu'au nom des interets, on resterait europeen. Ceci permettait d'arriver a la conclusion suivante que les Britanniques ont tres bien compris : comme les interets de chacun des pays individuellement est que l'Europe continue, elle continuera. Si les interets fondamentaux d'un pays ou de plusieurs pays nationaux etaient contre l'Europe, elle ne continuera pas. Donc, ne vous faites pas d'illusion, maintenant, dans la balance des interets. Alors vous regardiez les syndicats, ils etaient europeens. Les agriculteurs, ils etaient europeens. Les industriels, ils etaient europeens. Les banquiers, partisans europeens. Finalement, il y avait les bureaucrates, les fonctionnaires qui n'etaient pas tres europeens pour des tas de raisons, parce qu'ils avaient peu de '" Bon. Mais les interets objectifs etaient passes europeens ce qui n' etait pas du tout Ie cas autrefois. Et la, a mon avis, Ie pari de Monnet etait gagne. C' etait un pari marxiste : les interets sont devenues europeens, les superstructures ne I' etaient pas encore. D' ailleurs dans la demarche d' origine, on l'a souvent dit, on l'a dit me me a Pierre Uri, que c'etait une demarche de type marxiste, ce qui n'est pas vrai d'ailleurs. Mais cela pouvait etre analyse comme <sa. Donc la, ce n'est pas la delegation, c' est l' action personnelle. Le fait d' etre a Londres facilitait beaucoup de choses et puis, surtout, c'etait un poste de reflexion,d'observation bien superieur a Bruxelles ou a Luxembourg, evidemment. HA EU La, c'est 1965. Ensuite, on arrive a la tentative de Wilson. Tentative de Wilson. Wilson etait un homme bizarre. C'etait un homme supremement intelligent, qui n'etait pas sur de l'etre et qui voulait demontrer qu'il l'etait. Et cela lui a fait faire des betises. C'etait assez etonnant. Meme dans des conversations a Downing Street, il avait besoin de montrer a quel point il etait intelligent. Ce n'est pas vraiment necessaire, ce qui n'etait pas Ie style de Macmillan ou de Douglas Home. C'est tres inhabituel en Angleterre de montrer qu'on est intelligent. En general, on essaye de montrer qu'on est stupide et on ne l'est pas, evidemment. Mais Wilson avait ce cote-lao II a voulu montrer qu'il serait capable d'etre un Europeen beaucoup plus sophistique que tout Ie monde et certainement que de Gaulle. Et alors, je crois qu'il a joue un jeu complexe, c'est-a-dire qu'il voulait ... et je vous dirais comment cette interpretation a ete confirmee ... il voulait par Ie discours, par la presence, mettre de Gaulle sans cesse sur la defensive, en demontrant a l'opinion europeenne et aux dirigeants europeens que lui, Wilson, s'ille pouvait, serait beaucoup plus europeen que de Gaulle et qu'en plus, il ne voulait pas faire une Europe a la fran<saise, mais l'Europe pour tout Ie monde. Autrement dit, il a utilise Lord Chalfon qui etait son ministre pour les affaires europeennes pour faire des discours europeens impeccables. J'ai eu des conflits assez graves avec Chalfon, ou il a ete assez petit et personnel, comme on dit. Et quand on devient personnel dans les pays anglosaxons, c'est grave. C'etait un journaliste a l'origine, tres intelligent, etc ... II faisait des 42 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin EU AH UE HA EU AH UE discours invraisemblables, europeens ... On vibrait. Alors je lui ai dit, un jour, que ses discours europeens, quel est Ie contenu de tout <sa. Vne espece de surenchere. II m'a dit : "Moi, mon probleme, c'est la longueur des articles citant mes discours europeens dans la presse continentale qui compte". Donc, il y a eu cette espece d'harcelement europeen permanent. Alors, un jour, ce jeu s'est devoile. C'est Ie jour 00 de Gaulle a demissionne. Saragat, comme President d'Italie, etait en visite officielle a Londres. Les Italiens voulaient aller tres loin dans Ie sens federal et notamment, voulaient donner au Parlement europeen une importante plus grande: l'election du Parlement au suffrage universel, etc ... Sur la base des discours britanniques et de l'action britannique a Rome tres forte, Wilson, Brown (ou Brand ?) et Chalfon se sont beaucoup servis de certains relais italiens pour montrer a quel point on etait europeen, puisque les Italiens etaient les plus europeens au fond. Le communique final qui concluait la visite de Saragat, visite d'Etat, contenait une declaration commune, italienne et britannique, pour Ie Parlement europeen, etc ... impeccable. Du Spinelli presque. Tout etait en preparation. Le Conseiller diplomatique de Saragat etait un vieil ami, Staderini ( ?), qui avait ete un des directeurs a Bruxelles. Et, on apprend que Ie referendum de de Gaulle est perdu et qu'il demissionne et ne rentre pas a l'Elysee. Staderini ( ?) m'appelle chez moi, vers 10 heures du soir, il me dit: "Est-ce que vous pouvez venir? Je vais vous raconter ... Venez". C'etait au Claridge, et il m'explique que les Britanniques disent, alors qu'ils etaient d'accord sur ce communique commun-: "On n'est plus d'accord sur ce communique commun. Enlevez tous ces trucs sur Ie Parlement europeen, etc ... ". Puisqu'il n'y avait plus de Gaulle. Alors, il dit: "Qu'est-ce qu'on fait ?". Dans to utes les affaires europeennes, maintenant, c'est fini tout <sa, mais j'avais une petite situation un peu speciale, parce que les gens qui avaient ete avec Monnet au debut, on etait traites un peu a part. C'est pour <sa qu'on se permettait aussi des choses, sans abuser. Mais enfin, il y avait ... Bon, Staderini (?): "Qu'est-ce qu'on fait ?". "<;a a ete negocie. Vous etiez d'accord. Vous insistez". Alors, on voit Saragat. Saragat n'etait pas un homme qui cassait les choses. C'est un homme de conciliation. Sympathique, d'ailleurs. II parlait un fran<sais extraordinaire. Moi, j'ai dit: "Non". Enfin, je passe tous les details. Donc, ils sont decides. C'est parfait. Les Britanniques : "II n'y a rien a faire. On ne publiera pas de communique commun". Pour moi, cela a ete la confirmation a posteriori de cette chose-lao Mais <sa, ce que je vous dis est absolument authentique et j' en prend la responsabilite. Dans certains cas, je dis: je pense que ... <;a, je l'ai vecu directement, dans la suite presidentielle du Claridge. Entre nous, les Britanniques savaient que je savais tout <sa. lIs savaient que j'y voyais un peu plus clair, etc ... D'oo Ie prix que j' allais payer en 1973 ; dont je vous parlerais tout a l'heure. HA Bon, il y a echec. Wilson perd les elections et Heath arrive comme Premier ministre. Et l'election de Heath, ce dont on ne souvient pas assez, Ie peuple britannique, en votant, votait implicitement pour aller vers l'Europe parce que Heath avait ete Ie negociateur de Macmillan. Heath etait un Europeen depuis son election. II a ete elu en 1950 et comme jeune parlementaire, -vous savez Ie premier discours qu'on fait-, a ete sur l'Europe. Heath a toujours ete un Europeen. Ce n'est pas une girouette qui a suivi les modes. II l'a toujours ete. Et en plus, il avait pour la personne de Monnet et pour les idees de Monnet la plus grande reverence. II avait compris d'ailleurs Monnet. II avait compris ce que Monnet voulait. Heath est incontestablement Ie Premier ministre Ie plus europeen. Macmillan etait europeen parce qu'il avait ete traumatise par les carnages de la Premiere Guerre mondiale, par la crise sociale de 1929, etc ... Macmillan etait un conservateur de gauche, plut6t internationaliste. Mais il avait cette approche romantique de I'homme qui a vu les tragedies des champs de bataille. Plus jamais <sa, si vous voulez. Heath etait different. Heath etait beaucoup plus proche de Monnet, parce qu'il n'avait pas une approche emotionnelle et romantique de I'Europe. II aimait l'Europe a la Jean Monnet. Vous connaissez Monnet, done c'etait <sa. II a ete elu avec ce programme. II a ete elu pour la modernisation de la Grande-Bretagne par et grace a l'Europe. II ne faut pas oublier qu'il a eu un mandat populaire pour <sa. II est elu et la 43 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin negociation reprend assez vite parce que la negociation a laquelle il avait participe avant avait deblaye tout Ie terrain. Les gros dossiers difficiles, on avait vu I' erreur. Dieu sait si j' en ai discute avec les Britanniques de ce que je pensais avoir ete une erreur strategique, parce qu'elle etait de la negociation d'autrefois. Monnet a eu une enorme influence. Les Britanniques etaient de son Comite d' action, etc ... Donc, on ne negociait pas tellement en adversaires qui ne se connaissaient pas rna is qui se decouvraient. On negociait dans un etat d'esprit de gens qui etaient deja passes par la ; on avait beaucoup de choses en commun et, si je puis dire, au lieu d'avoir des jeunes epoux qui se decouvraient Ie jour du mariage comme dans la premiere negociation, on avait vecu ensemble, on avait travaille ensemble, donc c'etait presque un phenomene relativement naturel et facile. En plus, la situation objective de la Grande-Bretagne avait change dans I' economie mondiale, etc ... AH UE HA EU AH UE Donc, c;a a reussi et avant d'arriver a la reussite, il faut quand meme penser au changement avec Pompidou, l'influence de Christopher Soames qui avait deja ete envoye par Wilson, qui a joue un jeu complexe, dont la complexite a ete realisee lorsqu'il y a eu la fameuse affaire Soames. La, j' ai ete assez meIe a c;a. Retombees anglaises. l' ai vu Ie rapport qui avait ete edite et envoye aux Allemands. Il y a eu fabrication, un petit cote depeche d'Ems si vous voulez. Incontestable! <:;a, c'est verifie. 1'ai eu a Ie voir de tres pres, parce que j'ai ete interviewe a la television britannique lorsque toute cette affaire a eclate et l'autre, c'etait Ie negociateur britannique et alors fonctionnaire Sir Connonhill (?), homme remarquable, un Irlandais du Nord, protestant, grande integrite, tres grande integrite! Un negociateur remarquable, c' etait du super Couve de Murville. Donc, il fallait a la television ... il Ya eu un debat. Donc, je representais Ie point de vue sage, europeen sur cette affaire qui etait une manipulation. Manipulation, d'ailleurs, dont l'origine etait tres complexe et qui n'a jamais ete totalement elucidee. Enfin, a rna connaissance. Peut-etre que les historiens sont alles plus loin. Mais Christopher Soames, lui-meme, a considere que cette affaire-la, que cette manipulation au Foreign Office, manipulation de documents, de son rapport, avait ete faite pour Ie discrediter a Paris. Lui l'a interprete comme un moyen des professionnels du Foreign Office de la, de la ... Bon. C' etait un homme assez voyant, assez arrogant et il avait une maniere de traiter Ie Foreign Office un peu cavaliere. Il y a eu plusieurs intentions et plusieurs, en tout cas, sous-produits, plusieurs effets. La crise a ete tres grave. Donc, c;a insinuait, en tous les cas, tant que de Gaulle etait la, il n'y aurait plus de negociations ... fran~ais ou plus HA EU Vous ne mettez pas du tout dans cette affaire Soames le Gouvernement €xactement de Gaulle. Le Gouvemement a ete completement court-circuite dans cette affaire-Ia. J e parlais de De Gaulle. Ah, oui ! De Gaulle. Non, parce que j'ai parle a Soames tout de suite. Il n'y a pas eu de temoin, sauf les epouses. Soames est quelqu'un que je voyais enormement. Quand il a eu ses deboires politiques en ... Moi, les relations institutionnelles ne m' interessent pas. l' ai des relations personnelles, ou je n'en ai pas. Et avec lui, j'avais une relation personnelle. La famille de Churchill, par Ie peintre qui peignait avec lui, dont les tableaux sont la, Paul Mase ( ?), un Franc;ais. C'etait un ami. C'est lui qui a fait rencontrer Blum et Churchill avant la guerre. Il y a beaucoup d'artistes qui jouent des roles dans tout c;a. Ce n'est pas que des diplomates un peu froid. 1'avais donc avec la famille Churchill, Duncan Sandys, des rapports personnels, tres bons ; Mary Soames, Mary Churchill qui etait la femme de Soames. Donc, il 44 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin UE HA EU AH UE y avait de tres bons rapports. Et, je Ie voyais frequemment, et il m'a parle aussi sincerement qu'un homme qui fait de la diplomatie peut Ie faire, il ne faut pas etre un naIf. La conversation avec de Gaulle, de Gaulle avait fait une ouverture et avait brosse une architecture de ce que devait etre l'Europe qui etait a la taille de ce que vous lisez dans ses Memoires. D'ailleurs, vous lisez les trucs de Peyrefitte, De Gaulle m'a dit. C'etait un homme d'Etat. II n'y en a pas beaucoup, vous savez. Depuis lui, il n'y en a pas eu. II y a eu des hommes politiques. Mais, il y a une vision de l'Histoire, une vision de la fac;on dont elle se deroulait, etc '" Alors, il a esquisse tout c;a parce que ... Ma comprehension de De Gaulle, pour moi, est illustree par les discours qu'il avait fait en Pologne. De Gaulle savait et a l'age qu'il avait, et comme je suis dans ces ages-la, je sais tres bien comment on reagit, plus on est vieux, plus on pense a l'avenir, parce qu'on pense sans arret a ce qui se passera apres. C'est les deux ages de la vie, 18 ans et quand on a plus de 70 ans, qu'on pense a l'avenir. Le reste, on est dans Ie present. Donc, il y a des tas de choses qu'il disait pour apres. C'est les discours de Pologne. Quand vous les relisez, je l'ai fait recemment, c'est extraordinaire. C'est ce qui s'est passe. Mais, il mettait les graines. Et la, il mettait des graines dans la tete de Soames. II savait que Soames faisait partie de I' Establishment, etc ... II passait c;a au Gouvernement, mais ne c' etait pas un papier confie a un ambassadeur. Une conversation avec un ambassadeur, c'est tout a fait autre chose. Tout Ie monde dans Ie metier Ie sait, ce n' est pas la meme chose. Donc la, il revait un peu. II voyait l'avenir. Vous ne revez pas devant un ambassadeur. Alors, Machin ( ?) a fait Ie papier. Bon, vous connaissez les circonstances, ce n' est pas la peine de les developper. II verifie avec Tricot, etc ... Bon, Tricot avait entendu de Gaulle un petit peu, mais, de Gaulle, avec ses collaborateurs, ne parlait pas de ces grandes visions-lao II reservait c;a a des types comme Soames, et puis, en plus, c'est Ie gendre de Churchill. Le Gouvernement n'avait rien a voir avec tout c;a. La diplomatie franc;aise, ce n' est pas Ie meme niveau historique. Le Gouvernement, c'est la gestion de ce qui existe. Donc, je ne mets pas en cause Ie Gouvernement, d'autant qu'il fait partie de cette generation, comme Monnet d'ailleurs, qui ne concevait l'Europe qu'avec la Grande-Bretagne. La generation actuelle, bon, c'est les Beatles et puis voila. Ce n'est pas la meme chose. Si on est toujours la, c'est quand meme la GrandeBretagne qui a joue ce role. HA EU AH Alors, c'etait fini avec de Gaulle. Pompidou arrive et il a essaye de descendre un peu de niveau et de revenir un petit peu aux choses realistes dans beaucoup de domaines. La France etait un peu essoufflee de De Gaulle. 11 faut se souvenir quand meme. Bon, du calme, du calme. Done, il a repris Ie dossier britannique, enfin de I'ouverture. II savait que c'etait possible et en meme temps, certains etaient assez favorables a la reprise du dossier, parce que c'etait un frein vers la supranationalite. Des tas d'elements franc;ais ne l'acceptent toujours pas, notamment au Quai d' Orsay. Le dossier etait relativement bon et cela sortait de l'isolement. il y avait un certain isolement franc;ais, quand meme, avec de Gaulle. 11 y a eu une coalition de mauvaise volonte. La negociation a marche et alors la, il y a eu un malentendu considerable et sur lequel j'apporte un temoignage direct. 11 y a eu l'accord de l'Elysee entre Pompidou et Heath. La Grande-Bretagne de Heath etait, la je parle de conversations que j 'ai eu avec lui et avec toute son equipe, decidee, sachant que la de de l'Europe etait a Paris et non plus a Bruxelles, d'accepter l'entree dans la Communaute europeenne par la porte franc;aise. C'est c;a, l'accord Pompidou. Ce n'est pas une soumission, evidemment que non. Mais, on l'acceptait. Pompidou a un petit peu pousse. II y a une chose symbolique qui a echappe peut-etre aux gens. C' est qu'il a demande a la Reine Elizabeth et au Prince Philip de revenir en France. Vous vous souvenez. Regardez, il y a eu une seconde visite officielle. Or, il n'y a pas deux visites en general. 11 l'a demande. Cela faisait partie un peu de ses exigences. Vous savez qu'on disait : "Je veux l' Angleterre tout nue". II avait un peu ces exigences-la. Et, ils I'ont fait. Mais, il y a eu un signal. Le Duc d'Edimbourg etait a to utes les ceremonies et notamment a l' Arc de Triomphe avec un manteau couleur mastic. Pas Ie manteau noir. Quand on connait les Britanniques, on comprend ce que cela veut dire: ah, vous voulez que je 45 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin vienne; alors, je viens mais je serais en sport, en poil de chameau. C'est Ie signe: vous m'avez force, etc ... La Reine fait ce que Ie Gouvemement lui dit, bon. Mais c;:a faisait partie des exigences. Les bons connaisseurs de La Grande-Bretagne peuvent comprendre fa ... [fin de La cassette 2 face B] AH UE HA EU AH UE Mais, c'est visible. Poils de chameau ! Regardez les photos, vous verrez. On n'a pas besoin de faire de grandes declarations, vous verifierez ! Bon, ils ont accepte. On ne l' a pas eu to ute nue, mais on I' a eu en poils de chameau, I' Angleterre. II y a des accords sur I' utilisation de la langue franc;:aise, sur les fonctionnaires. Toute une serie de choses. Mais, Heath voulait jouer Ie jeu et il dit : "Bon, d'accord. Vous avez Ie leadership". Et cela a ete en partie, cet accord reel et ces accords d' intention, d' arriere-pensees, remis en cause au niveau de I' execution des deux cotes, anglais et franc;:ais. Et I'entente entre Pompidou et Heath qui pouvait mener a une relance europeenne faite en harmonie entre Britanniques et Franc;:ais, incluant les Allemands, a ete dans certains cas sabotee. J'ai demande meme, quand je suis rentre en France apres avoir termine rna mission, a etre entendu pas des commissions parlementaires pour expliquer ce qu'il s'etait passe. Mais, evidemment, cela a ete refuse. Mais, j'etais temoin direct et quelques fois, acteur direct, intermediaire, que l'esprit de l'accord Heath-Pompidou etait remis en cause au niveau des professionnels des deux cotes. Cela a destabilise Heath et cette destabilisation, parce que Heath voulait la regeneration incontestablement de I' economie britannique, qui en avait bien besoin, par l'Europe, comme cela avait ete Ie cas pour I'economie franc;:aise par l'Europe. Le Marche commun nous a reveilles, no us a modernises, etc ... II voulait faire la meme chose. Mais comme il a ete tres clair qu'a un niveau, working level comme disait Monnet, on n'appliquait pas la chose, c;:a a bloque. II y a des choses que je ne veux pas encore dire Ia-dessus, parce qu'il y a encore des gens vivants la-dessus, de ce sabotage. Une chose assez revelatrice. Les Britanniques entrent Ie 1er juillet 1973 formellement et nous avons ferme la delegation en juillet 1973. Donc, il y a eu six mois de periode de la liquidation, etc ... Pendant cette periode-Ia, j'ai vu individuellement, - je n'ai pas fait de reception de depart -, individuellement tous les personnages cles que j' avais vus pendant to utes ces annees et notamment les antieuropeens ... EU [Cassette n° 3, face A] HA ... Les grands anti-europeens. Parce que j'ai toujours eu si vous voulez, quand j'ai presente I'affaire europeenne des ..., j'avais autant de contacts avec les pro-europeens qu'avec les antieuropeens ....Les gens comme Peter Shaw, Barbara Castle, des gens comme cela si vous voulez, Enoch Powell. Je les voyais beaucoup. En general des gens fort intelligents et interessants. Donc j'avais des discussions qui me permettaient egalement d'affiner rna propre conviction, parce que quand vous avez des gens intelligents qui essayent de vous contrer si vous voulez, vous etes amene a aller plus loin, et c' etait des gens intelligents. Alors dans Ie cas de ces receptions individualisees, je me souviens d' un dejeuner que j' avais donne ou il y avait, alors la c'etaient des travaillistes, des anti-europeens et des pro-europeens, bon. Les anti-europeens, alors que I'on pensait que I'esprit des accords Heath-Pompidou allait triompher et etre mis en application, ces gens la, etant des realistes, etaient en train de se rallier aux idees europeennes, parce que ce n'etait plus des idees, c'etait des faits. Et c'est lorsqu'ils ont vu, ils me l'ont dit d'ailleurs apres, lorsqu'ils ont vu que les bonnes intentions exprimees par ces deux hommes n'etaient pas suivies d'effet ou etaient sabotees, qu'ils se sont replaces dans une attitude anti-europeenne. Et notamment sur la question du Parlement. II y avait un espoir considerable notamment dans les milieux federalistes, que je partageais, c'est que la logique d'une participation britannique aux institutions europeennes, allait donner 46 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin a l'institution parlementaire une importance plus grande, et c'est ce qui a d'ailleurs ete Ie cas dans l'examen des comptes, dans les questions, «the question time », etc. Donc Ie retlexe normal d'un homme politique britannique meme s'il est contre, c'est de donner a l'institution parlementaire l'importance qu'il a l'habitude de voir dans son propre contexte, puisque ils sont plus de tradition parlementaire que de tradition jacobine, bonapartiste. Donc c' etait un plus pour les institutions europeennes et cela a amene a transformer Ie pari du debut qui etait apres Messine, Ie passage par l'economique et les techniques pour Ie politique. Et bien! l'arrivee britannique permettait tout naturellement de developper Ie politique, par consequent la legitimite de tout Ie systeme. Parce que les institutions europeennes du point de vue democratique ont un probleme de legitimite. Le Conseil des ministres legifere, ce n'est pas son role dans les Etats membres, ce n'est pas bon...enfin toute une serie de choses. Mais, il y a eu cet espoir reel. II a ete malheureusement de<;u, parce que l'on a vu que les accords HeathPompidou etaient assez systematiquement ignores, voila. AH UE A propos des accords Heath-Pompidou dont vous parlez, est-ce que vous pensez que Pompidou pariait vraiment sur le triangle Heath, Brandt et lui-meme ? AH UE HA EU Le cote Brandt-Pompidou n'etait pas Ie plus fort comme vous Ie savez, mais je crois que oui, mais <;a, je ne peux pas interpreter la pensee. Moi je Ie juge de l'exterieur, mais il faut demander, mais vu de Londres, c'etait, vu de Londres, vu de Heath... , certainement c'etait pris au serieux et cru. Et ce n'etait pas parce que ..., n'oubliez pas que Heath a approche cela dans l'esprit de Jean Monnet. Jean Monnet voyait ce triangle non pas pour detruire la relation franco-allemande, mais pour la renforcer. Et pour faire en sorte que les allemands n'aient pas a choisir entre Londres et Paris, parce que les allemands ne veulent pas choisir entre Londres et Paris, parce qu'ils avaient Ie souvenir... IIs ne veulent pas, ils n' aiment pas cela. IIs n'aiment pas cela, parce que pour eux, Londres c'est Londres-Washington, or si l'on demande a un allemand de choisir entre Londres et Paris ou Washington et Paris, il ne choisira pas Paris si cela exclut les deux autres, il voudra avoir les trois. EU Est-ce que vous pensez que la Grande Bretagne a joue un role dans l'ichec de l'Union economique et monetaire prevue dans ces annees la ? HA Je vous reponds, pas sur la base d'une information indirecte, mais sur la base d'une analyse . Je dirais, elle n'a pas instinctive, ce que j'ai d'ailleurs dfi faire souvent quand j'etais a eu d'influence sur cet echec. Je crois que les causes de l'echec etaient a l'interieur des six. Mais l'influence dans ce domaine de la Grande Bretagne etait marginale. Tout m'amene a penser qu'ils n'ont pas, ils n'ont pas, je n'ai pas eu de cas concrets d'action directe alors que dans d'autres domaines je vous ai dit que je l'ai vu, de la part des Britanniques, cherchant a saboter cette affaire. IIs n'y croyaient pas, ils n'y croyaient pas, entre nous Ie vieux plan Werner, Barre, etc, Triffin, allait tres, tres loin. Les gens ne se rendent pas compte de ce qu'ils ont decide avec l'euro. Et cela va poser des problemes politiques, autrement cela casse, parce que cela n' est pas gerable tel que c' est. Donc c' est Ie plus gros pari depuis Ie Traite de Rome. C'est un pari qui depend de circonstances exterieures, un pari entre nous que les Anglais acceptent. Ils sont tous dans I' euro. Tout Ie monde Ie saito Vous avez evoque votre depart en 1973 de Londres. J'ai cru comprendre que ce depart avait ete difficile. 47 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin HA EU AH UE HA EU AH UE Non, c'est a dire, il y a eu une chose. C'est que, la Commission Rey qui cessait ses fonctions pour donner la place a la Commission Ortoli, qui elle s'est elargie, Christopher Soames etait dedans, la Commission Rey...Le fait que j'avais si vous voulez une situation en Grande Bretagne assez rare, qui n' etait pas celIe d' un ambassadeur mais qui etait differente. Bon, on me creditait d'une influence assez grande, c'est vrai, c;a c'etait l'opinion de chacun. Mais en tout cas la commission de Jean Rey avait decide a l'unanimite de demander, de suggerer a la commission qui suivait, de me nommer comme premier ambassadeur de la Communaute elargie a Washington. Et c' etait bien vu par tout Ie monde. J' etais aIle voir M. Ortoli, dont je ne dirai pas grand chose, mais enfin il est, il n' est pas tres haut dans l' estime des vieux pionniers de l'Europe parce qu'on l'a vu agir. Et j'ai compris parfaitement bien qu'il ne me soutiendrait en rien. Pas personnel d' ailleurs, mais il y avait Monnet, tout c;a. Ortoli a quand meme trahi Monnet donc c'est un peu genant. II Ie savait et il savait qu'on Ie savait. J'ai vu Ortoli comme President, je l'ai accompagne quand il a fait des visites aux Britanniques dans cette periode interimaire. II avait une conception de la Commission de 1'Europe totalement contraire aux idees de Monnet. Je me souviens d'une reunion ou Alec-Douglas Home lui pose la question: « quel est Ie role de la Commission par rapport au Conseil des ministres ? ». Moi j'avais expliquer toujours l'equilibre, vous savez Ie coup classique, la Commission propose, dispose, enfin tout c;a, et lui repond: «la Commission est a la disposition du Conseil des ministres », etc. Et je vois la tete de Michael Paliser, etc, qui me regarde comme cela en me disant: «pauvre Georges, tout ton truc », etc. Et meme un detail, Alec-Douglas Home que j'avais finalement convaincu, a laisse tomber son crayon par terre de stupeur. Cela a ete tres penible tout cela. Et j'ai dit a Ortoli apres dans la voiture, je lui ai dit: « ecoutez cela ne va pas, vous ne pouvez pas en tant que President de la Commission dire cela ». Parce qu'il a senti qu'il y avait tout de meme un etonnement, parce qu'il me dit: « est-ce que j'ai ete mauvais ? », mais je lui dit :« c'est atroce ce que vous avez fait. Vous avez dit Ie contraire de ce que l'on dit depuis des annees, Ie contraire de la realite », etc. Ortoli, avant, etait europeen dans les debuts, mais enfin, je n'en dis pas plus sur Ie micro mais enfin c'est triste. Et alors c'etait tres genant du point de vue donc... , les Anglais ont bu du petit lait, mais ils n'y croyaient pas si vous voulez, a tout cela. Alors les r€flexions que je lui ai fait dans la voiture n'ont pas dG. lui plaire, mais enfin mon devoir c'etait de lui dire l'erreur, parce que si l'on developpait cette chose on allait abimer les fameux accords Heath-Pompidou, c'etait un des elements qui n'ont pas ete... Donc il y avait la question de la nomination de l'ambassadeur et cela devait etre fait dans les premiers mois de 1973, et Ortoli s'est oppose. Et Soames m'a dit, on etait en voiture ensemble a Paris, a Londres, il me dit: « ecoute, je ne peux pas etre plus royaliste que Ie roi, si Ie president franc;ais ne veut pas que tu y sois, je ne vais pas me battre pour que tu y sois ». Bon, les Anglais n'etaient pas tellement chauds pour que j'y ailIe, parce que cela a meme ete explique tres clairement au Foreing Office, ils ne voulaient pas que je risque d'avoir une influence plus grande a Washington que l'ambassadeur britannique, et l'ambassadeur britannique, c'est celui qui a Ie plus d'influence comme ambassadeur. Et ils avaient vu comment je travaillais et ils savaient que je pouvais avoir une enorme influence a Washington. C'etait un vieux reve pour moi d'etre Ie premier ambassadeur des Etats Unis d'Europe si je puis dire, a Washington, enfin bon. C'est un vieux reve d'etudiant. Mais Soames m'a dit: «je ne peux pas te soutenir contre Ortoli ». Bon, tres bien, mais voyant cela j'ai decide de quitter la Commission, et Dieu merci, je l'ai fait. Ce qui m'a permis apres une periode un peu difficile pendant quelques temps, de me lancer dans l'aventure de la Trilaterale qui a pris une ampleur considerable, ou j'ai pu utiliser finalement toute l'experience, et la developper, que j'ai pu acquerir aLondres. 48 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin Ensuite j'ai peut-etre une question a vous poser, on peut considerer que c' est la derniere. Estce que vous pouvez brosser un portrait de vos relations avec Monnet a la fin de sa vze, puisqu'il est mort en 1979. Quelles etaient vos relations? Monnet, je Ie voyais en permanence. II venait tres souvent a Londres. II logeait au Hyde Park Hotel, il dinait a la maison, on etait en famille. Le hasard a voulu que je dine avec lui Ie soir de la mort de De Gaulle, puisque c'est l'anniversaire de Monnet. Donc Ie lendemain matin c'est moi qui Ie lui ai appris au telephone. Les rapports humains etaient excellents. Est-ce que son jugement sur [,Europe, ou sa vision de l'Europe telle qu'elle se construisait, avait ere modifiee ? HA EU AH UE HA EU AH UE Non, parce que c'est l'Europe qui allait vers sa vision a lui. Ab non, mais c'est extraordinaire! Vous savez Monnet n'etait pas quelqu'un qui cherchait a faire des constructions intellectuelles. II avait, il trac;ait un sillon dans Ie paysage, enfin je ne parle pas ..., c'etait un sillon qu'il n'avait pas improvise et qui etait Ie resultat de... II a commence a etre tres actif en matiere europeenne, il avait cinquante ou soixante ans ! Une experience enorme! Et si je puis dire, si on lui avait dit, il aurait dit cela n'existe pas. J'ai dit la vue strategique, parce qu'il n'aimait pas ces mots la, «vue strategique », il m'a dit c'est un truc d'intellectuel cela. Mais il savait instinctivement, il savait ou cela devait aller... Qui, mais strategie qu' il n' aimait pas. Mais il avait une vision des choses, vision c'est-a-dire voir clair, ce n'est pas Ie «vision think », c'est voir clair et non pas aller dans les nuages; et les analyses qu'il avait faites, les actions qu'il avait entreprises sur la base de ces analyses s'averaient justes. Parce qu'il incorporait egalement l'echec. La force de Monnet c'est qu'il incorporait l'echec ou l'obstacle dans ce qu'il faisait de positif. D'ou l'histoire de l'obstacle. Par consequent il a vu a peu pres se developper les choses dans la direction qu'il pensait. II a eu une deception a l'egard des Anglais. Deception qui l'a touche personnellement, c'est que par exemple Ie Comite d'action etait finance par les partis politiques et les syndicats qui en etaient membres. Et en fait les Anglais n'ont pas paye leur cotisations. IIs ont un peu paye avant l'entree, apres ils n'ont plus paye. J'ai ete temoin parce qu'il y avait dans la chambre de Monnet, il y avait Lord Alec qui devait negocier pour les conservateurs, qui a commence a discuter. .. La il a ete dec;u. Je lui ai raconte un peu les reactions de certains apres l'entree, mais il a dit: «cela n'a aucune importance ». II voyait plus loin. C'est un homme qui n'aimait pas les mesquineries politiciennes ou diplomatiques. Est-ce qu'il avait garde de l'influence a la fin de sa vie? Mais voulez vous me faire une reponse objective, car il est evident que sur vous, sur ses amis, sur les gens qui etaient proches de lui, il avait de I'influence, puisqu'il en a encore tellement actuellement a vous en entendre parler. Ab, il en a plus aujourd'hui presque, a titre posthume parce que l'on interprete. Voila, exactement. Est-ce que vous pensez qu'il avait autant d'influence dans les annees 1970 qu 'auparavant ? 49 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin II Y a eu un petit creux apres l'entree des Anglais peut-etre, parce qu'il y a des tas de gens qui avaient moins besoin de lui peut-etre. Mais il a repris tres vite son influence. Et il n'exerc;ait pas son influence de la meme fac;on si vous voulez. Sa sante n' etait pas excellente, il ne faut pas l'oublier, ce n'etait pas un homme jeune, il avait des soucis de ce cote Ia qu'il gardait secrets evidemment, mais enfin il savait et il vivait. Je l'ai beaucoup vu je vais vous dire parce qu'il m'a meme offert de travailler quotidiennement avec lui apres mon retour en 1973 ici. Vous avez refuse. J' ai refuse. J' ai refuse parce qu' il faut un age pour tout. J' avais plutot Ie sens du grand large si UE vous voulez, donc je lui ai dit: «vous m'appelez et je viendrai », etc. Donc je Ie voyais quelque fois quatre fois dans la semaine, et puis je partais en voyage etc. Et puis cette histoire de « Trilaterale » a commence en octobre 1973 n'est-ce pas. AH Il a trempe dans cette affaire ? HA EU AH UE HA EU Pas du tout. II etait assez sceptique meme a ce sujet. II y avait Kohnstamm. Kohnstamm a ete Ie premier President europeen avant qu'il aille a Florence pendant un an, un an et demi. Avec Kohnstamm on a travaille ensemble a la creation de la partie europeenne de la Trilaterale , il y avait Duchene, il y avait toute une serie de gens. Mais Monnet a ete une reference indispensable pour beaucoup de gens. Je parle d'hommes politiques au pouvoir. Alors que Schuman etait beaucoup plus puissant que cela, il y avait Ie cote...ou les gens allaient voir Pinay vous savez. Quand ils voulaient avoir une credibilite financiere, on allait voir Pinay. Bon mais enfin cela n'allait pas tres loin avec Pinay. Monnet cela allait beaucoup plus loin, mais il fallait voir Monnet, avoir l'opinion de Monnet, pouvoir dire « Monnet pense que ». C'est cela l'influence, ce n'est pas Ie pouvoir, c'est l'influence. Alors il y a un cas, un cas tres precis que je vais raconter, un temoignage: l'histoire de l'election du Parlement Europeen au suffrage universel. Monnet n'avait pas une fibre parlementaire tres developpee, il respectait cela, mais enfin ce n'etait pas dans son instinct. Et un jour je Ie vois avenue Foch, et il devait rencontrer Giscard qui souhaitait avoir son soutien pour l'idee du Conseil Europeen, qui est devenu une institution maintenant, qui avant etait une situation de fait. Et Giscard avait besoin ·du soutien de Monnet parce que beaucoup de gens avaient besoin de Monnet..., si on disait « Monnet est d'accord », cela ouvrait des portes. Si on disait « Monnet n'est pas d'accord », ou si on verifiait si Monnet n'etait pas d'accord, donc vous voyez c'etait l'influence. Et Ie hasard veut, Monnet me dit: « cela m'etonne, qu'est-ce que vous en pensez ? ». Enfin il posait souvent des questions, ou il avait l'air completement perdu, je ne sais pas ce qu'il fait. Alors il vous forc;ait a parler et, il etait hesitant sur cette histoire la 'parce que cette institution, c'etait un etat d'esprit intergouvememental quand meme. Mais il y avait de bonnes raisons pour penser a cela, et Schmidt etait de ceux qui etait pour, c' est que les ministres des gouvemements en allant a Bruxelles echappaient un peu a la tutelle coordinatrice des chanceliers ou des premiers ministres. Parce que Ie ministre de l' agriculture ou des transports revenait de Bruxelles en disait: « on a un accord a Bruxelles ». Donc si vous voulez les chefs de gouvemement voulaient se retrouver pour reprendre leur attitude de synthese, de strategie generale, etc. Donc il y avait une bonne alchimie, M. Schmidt m'a souvent raconte cela.. Mais enfin c' est Ie cote gouvememental. Alors c' est la ou j' ai dit, il y a des temoins d' ailleurs de ce que j'ai dit a Monnet, «mais pourquoi vous n'echangez pas cela contre l'election du Parlement europeen au suffrage universel ? » Ce qu'on va aller dans l'intergouvememental avec cela, on compense par l'element parlementaire etc. Moi j'ai toujours ete pour l'histoire 50 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union M. Georges Berthoin du Parlement. Et je dois dire qu'ayant vu fonctionner un Parlement en Grande Bretagne, j' etais encore plus dans cette tradition la. Et Monnet a ete convaincu de cela. Donc il a dit a Giscard: « Je soutiens Ie Conseil, vous me donnez l'election du Parlement au suffrage universel direct ». C'est comme cela que cela c'est passe. Et cela je m'en suis beaucoup occupe apres de cette affaire du Parlernent Europeen, ici avec Barre, etc. C'est vrai que Monnet n'a pas La tete parLementaire. HA EU AH UE Non parce qu'il n'etait pas orateur, ill'a toujours regrette. II etait conscient de ce qu'il savait faire et de ce qu'il ne savait pas faire. II avait beaucoup d'admiration pour les orateurs notamment pour Spaak: « c'est formidable de parler comme cela ». Spaak etait un orateur, c'etait un delice de l'entendre. Et en plus il y avait de la substance, ce n'etait pas simplement du beau violon. Et, il avait beaucoup de respect pour cela. D'ailleurs, un jour, j'ai demande a Monnet pourquoi il n'avait pas fait de politique. II me dit: « c'est parce que je ne suis pas orateur, je ne sais pas », il ne sait pas. Alors il a pris les moyens ou il etait bon, et pour finalement faire la meme chose, finalernent plus efficace d'ailleurs. Mais il a obtenu cela. Alors l'autre jour au colloque, a votre colloque a Lausanne, j'avais dernande a Pascal Fontaine qui avait pris une note de cette conversation, s'il avait Ie papier de cette conversation. Parce qu'il prenait des notes de conversation, et celle-Ia, mon souvenir, rnais verifiez Ie, mon souvenir, c'est qu'il etait la pour prendre note de la conversation, alors je ne salS pas... Vous pensez qu'ilL'a? AH UE Je ne sais pas. Mais je Ie lui ai dit, et il ne s' en souvient pas, bon tres bien. Remarquez je me souviens tres bien de cela parce que, apres Monnet m' en a reparle, et il etait tres content d'avoir fait cette suggestion lao Voila. EU J e voudrais vous dire que ceLa a ete tres passionnant, et je vous remerde vraiment. HA [Fin de La cassette n°3J 51 © Archives historiques de l'Union européenne © Historical Archives of the European Union
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