université paris i - pantheon sorbonne - Escola de Belas Artes

Transcrição

université paris i - pantheon sorbonne - Escola de Belas Artes
UNIVERSITÉ PARIS I - PANTHÉON SORBONNE
U.F.R. D’HISTOIRE DE L’ART ET ARCHÉOLOGIE
Année de 1999
N. attribué par la bibliothèque
THESE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS I
Discipline : Histoire de l’Art
présentée et soutenue publiquement
par
Ana Maria Tavares Cavalcanti
le 29 Juin 1999
Titre :
LES ARTISTES BRÉSILIENS ET “ LES PRIX DE VOYAGE EN EUROPE ” À LA
FIN DU XIXe SIÈCLE : VISION D’ENSEMBLE ET ÉTUDE APPROFONDIE SUR
LE PEINTRE ELISEU D’ANGELO VISCONTI (1866 - 1944).
Directeur de thèse :
M. Eric DARRAGON
JURY
Mme Armelle ENDERS président
M. Gérard MONNIER
M.Claude FRONTISI
A mon père.
in memoriam
Avant-Propos
Avant que le lecteur ne passe aux pages suivantes, il est bon de l’éclairer sur la
motivation de cette recherche sur les artistes brésiliens et les Prix de Voyage en Europe. Le
désir de réaliser cette étude est né de l’expérience personnelle de l’auteur, boursière de la
CAPES, institution gouvernementale brésilienne qui a pour but de promouvoir la recherche et
le perfectionnement des professeurs universitaires brésiliens, soit dans leur propre pays, soit à
l’étranger.
Lorsqu’on se trouve éloigné de tout ce qui est familier, le regard devient plus sensible
et la réflexion sur des réalités jusque-là habituelles s’approfondit. Avant l’expérience de
l’éloignement on ne ressent pas le besoin de s’interroger sur des phénomènes qui semblent être
tout à fait ‘naturels’, car toujours présents au quotidien. C’est la disparition des repères qui
pousse le sujet vers quelque démarche susceptible de lui faire comprendre le chemin qu’il a
pris: il lui faut retrouver la signification de l’expérience vécue. Le travail de recherche sur les
voyages d’études des artistes brésiliens au XIXe siècle est issu donc de ce besoin de saisir les
circonstances de la propre histoire de l’auteur.
L’intérêt de l’expérience du peintre Visconti, lauréat du Prix de Voyage de 1892 et
pensionnaire de l’Etat brésilien à Paris entre 1893 et 1900 est apparu dès les premières
recherches. Sa carrière se situe entre deux siècles, et il représente parfaitement le moment de
transition entre deux époques distinctes. Parmi les artistes étudiés, il est celui dont le parcours
permet le mieux de réfléchir sur les transformations survenues au cours du siècle suivant.
Si la motivation première de ce travail a été de caractère personnel, la recherche s’est
montrée d’intérêt général. Les rapports des artistes brésiliens avec l’Europe ne datent pas
d’aujourd’hui. Par l’étude de l’expérience de voyage des artistes brésiliens du XIXe siècle et
par l’approfondissement de la recherche sur le séjour européen d’Eliseu Visconti et les
influences de ce séjour sur son oeuvre, on espère apporter une contribution utile à la réflexion
sur l’art brésilien dans ses rapports avec l’art français.
Remerciements
Que toutes les personnes qui ont aidé l’auteur à un moment ou à un autre pendant la
réalisation de cette thèse trouvent ici l’expression de sa gratitude. Ses remerciements
s'adressent tout particulièrement à :
Adriana Lages
Alayde P. Mascarenhas in memoriam
Ângela Grando
Anne Marie Reglade
Bernadette Maria Prestes Froes
Bernard Wacquez
Elisa Teixeira
Fátima Couto
Hiroko Nakamura
Ilene Lara
Irma Leticia Orozco Santoyo
Isabel Travancas et Francisco Vieira
João Araujo Ribeiro
José Franceschi
Katia Busch
Laurence Wacquez
Prof. Margareth da Silva Pereira
Maria Futerman
Mariluz Rey
Michelle Humbert-Droz
Mônica Zielinsky
Pauline Ridel
Paulo Novaes
Pedro Alvim
Renato Laclette
Sana Dari
Simone Lúcia Freire da Silva Bava
Sophie Afonso
Ces remerciements s’adressent également aux personnes responsables des collections
des Musées et Bibliothèques, pour leur gentillesse et leur assistance efficace:
Anaíldo Bernardo Baraçal - Museu da
Chácara do Céu, Rio de Janeiro.
Cybele Fernandes, Jurema Fernandes,
Paulo Venâncio Filho, coordinateurs
successifs du Museu Dom João VI, EBA RJ, ainsi que toute l’équipe de recherche,
particulièrement Albino.
Luiz Rafael Vieira Souto de la section de
peinture brésilienne du Museu Nacional de
Belas Artes, Rio de Janeiro.
Simone Trindade, conservateur du Museu
Carlos Costa Pinto et Rosina Bahia Alice
Carvalho dos Santos, bibliothécaire de la
Biblioteca Margarida Costa Pinto (Museu
Carlos Costa Pinto) - Salvador, Bahia.
Vinícius Esteves, assistant de
communication de la Pinacoteca do Estado de São Paulo.
L’auteur souhaite remercier Carlos Roberto Maciel Levy qui a mis à sa disposition la
base de données sur les artistes brésiliens du XIXe siècle, et a été toujours prêt à l’écouter et à
faire des remarques sur ses recherches. Son concours a été précieux.
L’auteur doit beaucoup à Inês Cavalcanti pour son travail irremplaçable de relecture
et correction du texte, pour son amitié et ses encouragements. Cette thèse ne serait pas la
même sans son aide généreuse.
Un remerciement particulier est adressé à Leonardo Cavalleiro, petit-fils d’Eliseu
Visconti, et plus spécialement à Tobias d’Angelo Visconti, fils d’Eliseu Visconti. Son appui
enthousiaste, l’accès aux documents qu’il a conservés soigneusement, sa participation dans le
déchiffrage des manuscrits de son père et son amitié ne sont pas oubliés. On tient à remercier
également Marie Louise Palombe et Pierre Palombe pour leur accueil chaleureux à SaintHubert, là où Visconti a vécu et peint plusieurs paysages.
Les pensées de l’auteur se tournent enfin tout naturellement vers sa mère Maria
Isabel Tavares Cavalcanti, vers ses soeurs et frère Margarida, Inês, Maria, Lourdinha, Manoel,
Bebel, Lula, vers le souvenir de son père Manoel Niederauer Tavares Cavalcanti et vers tous
ceux, membres de sa famille ou amis, qui n’ont pas été nommés ici et dont le soutien, la
présence et l’amitié ont été inestimables pendant toute la période, pas toujours tranquille, de
préparation de ce travail. Pour être anonymes, les remerciements qui leurs sont adressés n’en
sont pas moins vifs.
Finalement, l’auteur veut remercier la direction du professeur M. Eric Darragon, ainsi
que l’appui de l’institution brésilienne CAPES, Coordenação de aperfeiçoamento de pessoal
de nível superior, sans lesquels cette thèse n’existerait pas .
TABLE DE MATIÈRES
INTRODUCTION.....................................................................................................................8
I - LES ARTISTES BRÉSILIENS PENSIONNAIRES EN EUROPE ET LES PRIX DE
VOYAGE : une vision d’ensemble (1845 - 1887)................................................................. 15
1 - Genèse de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro...................................................... 17
2 - Historique des Prix de Voyage en Europe ...............................................................................................29
2.1 - Les concours des Prix de Voyage, les règlements et leur mise en oeuvre........................................... 37
2.2 - Les obligations des pensionnaires........................................................................................................ 57
3 - Doléances et espoirs des artistes et des critiques brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle...... 72
4 - La signification du Prix de Voyage en Europe pour les artistes brésiliens de la seconde moitié du
XIXe siècle ........................................................................................................................................................90
5 - Les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887)............................................................ 105
5.1 - Le parcours de Victor Meirelles de Lima (1832 - 1903)....................................................................120
5.2 - Le parcours de Rodolpho Amoêdo (1857 - 1941).............................................................................. 125
5.3 - Le parcours d’Almeida Júnior (1850-1899).......................................................................................139
II - L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE D’ELISEU D’ANGELO VISCONTI (1866-1944),
le jugement esthétique porté sur son oeuvre par les critiques d’art brésiliens et une
nouvelle analyse de l’évolution de sa peinture au contact de l’art français de la fin du
XIXe siècle..............................................................................................................................146
1 - Les antécédents du concours du Prix de Voyage de 1892 : l’agitation du milieu artistique à Rio de
Janeiro pendant les dernières années de l’Academia Imperial de Belas Artes.......................................146
2 - Eliseu d’Angelo Visconti, premier pensionnaire de l’Escola Nacional de Belas Artes - données
biographiques..................................................................................................................................................161
3 - La question de la Ligne de Démarcation : Visconti et les Modernistes de 1922................................ 172
4 - Le style ‘impressionniste’ de Visconti : une interprétation des historiens de l’art brésilien............183
5 - La vie artistique parisienne pendant les années du séjour d’études de Visconti : les trois Salons et
l’absorption de l’impressionnisme................................................................................................................ 198
6 - Analyse de l’oeuvre de Visconti...............................................................................................................206
6.1 - Les oeuvres de la première période parisienne (de 1893 à 1900)...................................................... 207
6.2 - Les peintures décoratives du Théâtre municipal de Rio de Janeiro...................................................226
6.2.1 - Le Théâtre municipal de Rio de Janeiro vu par les contemporains - modernité, splendeur et
influence française...............................................................................................................................229
6.2.2 - L’Oeuvre et sa réalisation........................................................................................................235
III - CONCLUSION..............................................................................................................255
IV - BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................ 263
1 - Usuels :....................................................................................................................................................... 263
2 - Sur l’art en France au XIXe siècle: ....................................................................................................... 263
3 - Sur le XIXe siècle à Rio de Janeiro et sur l’Histoire du Brésil:.......................................................... 264
4 - Sur l’Art Brésilien:................................................................................................................................... 265
4.1 - Revues et annales sur l’art brésilien :.................................................................................................268
4.2 - Catalogues d’expositions et de musées sur l’art brésilien :................................................................268
4.3 - Articles de journaux sur l’art brésilien :.............................................................................................268
5 - À propos de Visconti : ............................................................................................................................. 269
5.1 - Articles de journaux et revues sur Eliseu Visconti :.......................................................................... 269
5.2 - Catalogues d’expositions des oeuvres de Visconti............................................................................. 270
5.3 - Thèses sur Visconti.............................................................................................................................270
6 - Sources en Archives :................................................................................................................................270
ANNEXE 1.............................................................................................................................271
Fiches de renseignements sur les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887)................271
1 - Les pensionnaires de l’Academia Imperial das Belas Artes................................................................. 271
2 - Les pensionnaires de l’Empereur Dom Pedro II .................................................................................. 309
ANNEXE 2.............................................................................................................................325
Recherche sur le nombre de Brésiliens inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris entre 1841 et 1900
.......................................................................................................................................................................... 325
1 - Les lettres de présentation - 1879 / 1889...............................................................................................326
2 - Registre d’immatriculations - 1841 / 1871............................................................................................332
3 - Registre d’immatriculations - 1871 / 1894............................................................................................333
4 - Registre des inscriptions dans les ateliers - 1863 / 1874...................................................................... 336
5 - Registre des inscriptions dans les ateliers - 1874 / 1900...................................................................... 341
6 - Dernières conclusions sur le nombre d’étrangers à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris.......................... 345
8
INTRODUCTION
(...) Visconti [a été] notre premier peintre révolutionnaire, aussi
révolutionnaire dans son temps que Portinari, presque un demi-siècle plus
tard, pour l’époque actuelle [ce texte date du début des années 1950].
Frederico Barata situe très bien cet aspect de la personnalité du maître
brésilien, lorsqu’il compare son oeuvre à l’oeuvre d’un Almeida Júnior, de
même que l’on pourrait la comparer à celle d’un Victor Meirelles et
spécialement à celle d’un Pedro Américo.
Tandis que ceux-là, surtout le dernier, n’ont pas été touchés par la révolution
de l’impressionnisme, en vogue en Europe lors de leurs séjours à l’étranger,
Eliseu Visconti n’allait pas passer par le séjour européen sans expérimenter
de vives réactions, s’intéressant à toutes les manifestations esthétiques de son
temps, même les plus révolutionnaires (...). 1
Cette affirmation d’Herman Lima est un exemple d’une idée très répandue à propos
du peintre Eliseu d’Angelo Visconti (1866-1944). Lima compare l’oeuvre de Visconti à la
production de Victor Meirelles (1832-1903), Pedro Américo (1840-1905) et Almeida Júnior
(1850-1899), pour affirmer que Visconti a été le seul parmi ces quatre peintres brésiliens à
s’intéresser, lors de son séjour en Europe, aux manifestations esthétiques de son temps. De
plus, Herman Lima dit de façon explicite qu’à l’exception de Visconti les artistes mentionnés
ont ignoré l’impressionnisme, “ en vogue en Europe lors de leurs séjours à l’étranger ”.
En effet, chacun des quatre peintres cités est venu se perfectionner en Europe après
avoir suivi une formation dans l’Academia Imperial de Belas Artes à Rio. Cependant, des trois
1
- LIMA, Herman. In : Catálogo da Exposição Retrospectiva de Visconti. II Bienal do Museu de Arte Moderna de São Paulo. São Paulo, 1954, p. X. Obs. : Ce texte d’Herman de
Lima avait déjà été publié dans le journal Diário de Notícias le 1er janvier 1950, lors de la
première rétrospective de Visconti dans le Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro
en 1949.
“ (...) Visconti [foi] o nosso primeiro pintor revolucionário, tão marcadamente revolucionário no seu tempo, quanto seria, passado quase meio século, Portinari, para a época
atual.
Frederico Barata situa muito bem esse aspecto da personalidade do mestre brasileiro,
quando lhe põe em confronto a obra de um Almeida Júnior, como poderia pôr a de um
Victor Meirelles e especialmente a de um Pedro Américo.
Ao passo que esses, principalmente o último, permaneceriam indenes à revolução do impressionismo, em voga na Europa, quando de sua permanência no estrangeiro, Eliseu
Visconti não passaria pelo estágio europeu sem experimentar vivas reações, interessado
por todas as manifestações estéticas do seu tempo, mesmo as mais revolucionárias,
(...). ”
9
peintres critiqués, seul Almeida Júnior aurait pu être accusé d’avoir ignoré l’impressionnisme
lors de son séjour parisien. En tant que pensionnaire de l’empereur Dom Pedro II, Almeida
Júnior arriva à Paris en 1876. La durée de son séjour d’études ayant été de six années, en 1882
il était de retour au Brésil. Pendant ses années parisiennes, les impressionnistes exposaient
leurs oeuvres de façon privée et se trouvaient écartés des circuits officiels. Malgré cela, ils
agitaient les milieux artistiques et leurs oeuvres étaient un sujet de discussion et de polémique
chez le public autant que dans la presse. Effectivement, Almeida Júnior, élève de Cabanel à
l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, est resté à l’écart de ces événements.
En ce qui concerne Victor Meirelles et Pedro Américo, l’accusation d’Herman Lima
n’a aucun sens. Victor Meirelles, lauréat du concours de Prix de Voyage de 1852, arriva en
Europe en 1853 et y accomplit un séjour de huit ans. En 1861 il était de retour au Brésil.
Pedro Américo, quant à lui, est resté en Europe de 1859 à 1864 comme pensionnaire aux frais
de l’empereur Dom Pedro II, après quoi il est rentré à Rio de Janeiro. Il est vrai qu’il est
revenu en Europe en 1865, mais en 1870 il retourna encore une fois à Rio, pour devenir
professeur de l’Academia Imperial. Les dates des séjours d’études2 de ces deux peintres ne
correspondent pas à la période impressionniste.
L’inexactitude si frappante du reproche fait à Victor Meirelles et à Pedro Américo est
le résultat d’idées reçues sur la période qu’ils représentent. Car le raisonnement d’Herman
Lima met en évidence des préjugés issus d’une méconnaissance qui ne lui est pas exclusive.
L’oeuvre de Visconti, lauréat du concours de Prix de Voyage de 1892, a toujours été
comparée à l’oeuvre des artistes brésiliens qui l’ont précédé dans l’expérience européenne. De
cette comparaison, les historiens de l’art au Brésil ont tiré la conclusion selon laquelle Visconti
a été le seul d’entre tous à s’ouvrir aux nouvelles tendances artistiques. Les artistes précédents
furent durement critiqués, accusés d’être restés enfermés dans les milieux officiels, liés aux
enseignements des maîtres de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, lors de leur séjour européen.
Voilà la comparaison fondamentale qui a été établie entre Visconti et les autres
artistes lauréats du Prix de Voyage. Cependant, l’argumentation développée par les historiens
de l’art à ce propos présente des incohérences et manque d’exactitude, l’exemple cité ci-dessus
2
- Pedro Américo a vécu en Florence postérieurement, mais il ne s’agissait plus d’un séjour
d’études, ou d’une période de formation.
le prouvant bien3. Il faut repenser la question avec un regard neuf, car on constate que
l’interprétation donnée à la peinture brésilienne du XIXe siècle a été marquée par des
conclusions rapides. De plus, l’interprétation donnée à la carrière et à l’oeuvre de Visconti luimême fut marquée elle aussi par ces déductions hâtives. Par conséquent, le besoin d’une
recherche poussée devient évident, et une étude approfondie et réfléchie sur le sujet est très
opportune.
Pour essayer de combler ces lacunes, cette recherche a été organisée autour de deux
centres d’intérêt complémentaires : d’une part, on a voulu étudier les Prix de Voyage qui ont
permis aux artistes brésiliens de venir se perfectionner en Europe à partir de 1845 ; d’autre
part, on s’est intéressé à l’itinéraire et à l’oeuvre du peintre brésilien Eliseu d’Angelo Visconti,
pensionnaire en Europe à la fin du XIXe siècle. Ces deux objets d’études sont examinés
séparément dans les deux parties qui constituent cette thèse. Ces parties gardent leur
autonomie et peuvent être lues indépendamment l’une de l’autre. Néanmoins, elles se
complètent, car l’étude sur les Prix de Voyage situe le peintre Eliseu Visconti dans le contexte
de sa formation reçue à l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. De plus,
l’analyse de l’oeuvre de Visconti et de l’influence qu’il a reçue de l’art français, l’examen des
diverses interprétations critiques sur sa peinture et de ses divers écrits, où il expose sa notion
esthétique, tout cela rend possible un approfondissement de la réflexion sur les voyages
d’études des artistes brésiliens en Europe.
Pour se conformer à l’ordre chronologique, la première partie de la thèse est celle qui
aborde les Prix de Voyage depuis leur origine. Elle se compose de cinq chapitres réunis sous
l’intitulé “ Les Artistes brésiliens pensionnaires en Europe et les Prix de Voyage : une vision
d’ensemble (1845 - 1887) ”.
Dans le premier chapitre, on retrace l’historique de l’Academia Imperial de Belas
Artes de Rio de Janeiro. Cela était nécessaire parce que les rapports des artistes brésiliens avec
l’Europe, s’il est vrai qu’ils existaient de façon embryonnaire avant la fondation de l’Académie,
ne sont véritablement nés qu’à ce moment-là.
3
- La citation d’Herman Lima date des années 1950, mais d’autres textes plus récents seront
présentés dans les chapitres trois (La question de la Ligne de Démarcation : Visconti et les
Modernistes de 1922) et quatre (Le style ‘impressionniste’ de Visconti : une interprétation
des historiens de l’art brésilien) dans la deuxième partie de la thèse.
Le deuxième chapitre traite de l’origine des concours des Prix de Voyage, et de tous
les changements survenus, soit dans les règlements de ces concours, soit dans les obligations
des pensionnaires en Europe le long des années, y sont rappelés. L’intérêt de cette mise au
point sur les règlements des concours et les obligations des lauréats est d’organiser des
informations jusqu’aujourd’hui éparpillées dans les archives, de façon à ce que les
interprétations postérieures soient basées sur des données historiques fiables.
Les chapitres trois et quatre introduisent la question de la mentalité de l’époque. Ils
sont comme une promenade à travers quelques textes de la période, examinés à la lumière de
deux questions : quels étaient les plaintes et les espoirs des artistes et critiques d’art brésiliens
de la seconde moitié du XIXe siècle? (troisième chapitre) ; et que signifiait pour eux le Prix de
Voyage en Europe? (quatrième chapitre). Les textes cités proviennent de sources diverses. On
y étudie aussi bien des extraits de la correspondance des artistes que des articles publiés dans
les journaux, des passages de discours et des documents officiels. Le but de cette analyse est
de saisir l’idéologie dominante à l’époque, et de discerner les idées flottantes, acceptées du
plus grand nombre, à propos des questions artistiques. Dans l’impossibilité de reproduire la
totalité des textes étudiés, on en présente quelques extraits significatifs permettant de bâtir une
analyse cohérente de ces idées.
Le cinquième chapitre, intitulé “ Les artistes brésiliens pensionnaires en Europe
(1845 à 1887) ”, exigea un grand effort de l’auteur de cette thèse. Son but est d’étudier
l’itinéraire des pensionnaires de l’Académie et des pensionnaires de l’Empereur, artistes
brésiliens venus se perfectionner en Europe avant le peintre Visconti, en essayant d’arriver à
une vision globale de leur formation et de leur expérience à l’étranger.
Lors de la préparation de ce chapitre un maximum de données sur le séjour d’études
de chaque pensionnaire brésilien en Europe de 1845 à 1887 a été recueilli. Cet ensemble de
données est présenté à la fin de la thèse, dans l’annexe 1 - Fiches de renseignements sur les
artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887). Ce qui ressort de ce recueil est le
caractère très varié du séjour d’études de chaque artiste.
En outre, une recherche sur le nombre de brésiliens inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts
de Paris entre 1841 et 1900 a été réalisée. Ces données, présentées dans l’annexe 2, ont été
analysées à l’aide d’une comparaison entre le nombre de Brésiliens et le nombre d’étrangers
originaires d’autres pays inscrits à l’Ecole. Cette recherche dans les archives a permis d’insérer
le sujet dans un contexte plus large et de montrer que le nombre d’élèves étrangers aux BeauxArts de Paris était très important pendant la période étudiée, le groupe des Brésiliens ‘n’étant
qu’une goutte d’eau dans l’océan’.
Mais il fallait ébaucher une vision d’ensemble qui embrassât tout entier ce petit
groupe hétérogène. Pour y arriver, on a suivi trois chemins différents et complémentaires.
D’abord, on présente des tableaux comparatifs qui répondent aux cinq questions suivantes : (1)
Quel fut le nombre de pensionnaires venus étudier en Europe pendant chaque décennie ? (2)
Quelles furent les villes européennes le plus souvent choisies pour leur séjour artistique ? (3)
Parmi les spécialités des artistes (architecture, peinture, sculpture, gravure en médailles),
quelles furent celles le plus concernées par les voyages d’études ? (4) Combien d’années les
pensionnaires restaient-ils en Europe ? (5) Combien de pensionnaires, de retour au Brésil, sont
devenus professeurs ou directeurs des Beaux-Arts ?
Après l’obtention d’informations précises sur ces premières questions, l’étape
suivante a été la présentation et l’analyse d’un ensemble d’oeuvres représentatives du travail
des pensionnaires. Dans cette analyse on a cherché à établir en quoi ces oeuvres se
ressemblaient-elles les unes aux autres, et en quoi étaient-elles dissemblables.
Finalement, le troisième stade pour arriver à une vision globale mais en même temps
approfondie de l’expérience des pensionnaires en Europe a été l’exposition, plus détaillée et
réfléchie, de l’itinéraire de trois peintres représentatifs chacun de leur période : Victor
Meirelles (1832-1903), Rodolpho Amoêdo (1857-1941), et Almeida Júnior (1850-1899). On y
présente leur expérience en tant que pensionnaires en Europe, leurs rapports avec l’Academia
Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro, les jugements portés par les professeurs de cette
institution sur leurs envois, aussi bien que sur leurs oeuvres exposées aux Salons parisiens et
aux Expositions générales des beaux-arts au Brésil.
Ce chapitre marque la fin de la première partie de la thèse. La seconde partie,
intitulée “ L’Expérience européenne d’Eliseu d’Angelo Visconti (1866-1944) ”, développe
l’étude sur ce peintre, premier pensionnaire de l’Escola Nacional de Belas Artes en Europe,
l’un des peintres brésiliens les plus significatifs de la période située entre le XIXe et le XXe
siècles. Six chapitres composent cette seconde partie de la thèse, dont le sous-titre - “ le
jugement esthétique porté sur son oeuvre par les critiques d’art brésiliens et une nouvelle
analyse de l’évolution de sa peinture au contact de l’art français de la fin du XIXe siècle ” exprime bien le contenu qui y est exploré.
Le premier chapitre - Les Antécédents du concours du Prix de Voyage de 1892 :
l’agitation du milieu artistique à Rio de Janeiro pendant les dernières années de l’Academia
Imperial de Belas Artes - introduit le contexte historique dans lequel le voyage de Visconti a
été préparé. On y présente les événements qui ont précédé le concours remporté par Visconti.
Cette période fut marquée au Brésil par la crise du système politique monarchique, ce qui eut
des conséquences évidentes sur l’Academia Imperial de Belas Artes. L’époque a vu naître des
discussions dans le milieu artistique, et l’agitation des étudiants des beaux-arts qui demandaient
des réformes au sein de l’institution académique, fut diffusée par la presse. L’objectif de ce
chapitre est de situer l’esprit du moment vécu par Visconti en tant qu’étudiant des Beaux-Arts
au Brésil, avant son départ pour Paris.
Le deuxième chapitre contient des données biographiques sur Eliseu d’Angelo
Visconti, et une attention particulière a été prêtée à ses activités à Paris en tant que
pensionnaire. A partir de l’examen des documents, son itinéraire d’étudiant a pu être retracé
aussi bien à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris qu’à l’Ecole Guérin et à l’Académie Julian. Les
oeuvres qu’il a envoyées à l’Ecole brésilienne dans le cadre de ses obligations de pensionnaire
sont indiquées, et on y mentionne aussi ses participations aux Salons parisiens. Toujours dans
ce chapitre, les événements de la carrière artistique d’Eliseu Visconti qui se sont produits après
la fin de son séjour d’études à Paris sont signalés. Parmi eux, les deux voyages du peintre en
France, où il a peint sur commande les grands ensembles décoratifs pour le Théâtre municipal
de Rio de Janeiro. Le souci d’exactitude a été présent tout au long de ce chapitre. Après cette
mise au point des données concernant l’itinéraire de Visconti, on a pu aborder, dans les
chapitres suivants, les questions sur son oeuvre et son rôle dans l’histoire de l’art brésilien.
Le troisième et le quatrième chapitres, intitulés respectivement “ La Question de la
Ligne de Démarcation : Visconti et les Modernistes de 1922 ” et “ Le Style ‘impressionniste’
de Visconti : une interprétation des historiens de l’art brésilien ”, sont le résultat de l’étude de
l’interprétation que les critiques brésiliens ont portée sur l’oeuvre du peintre. Cette étude
comparative des textes sur Visconti nous amène à percevoir la construction théorique qui se
cache derrière le discours des critiques. On y présente également un point de vue personnel sur
ces discussions.
Le cinquième chapitre introduit une vision générale de la vie artistique parisienne
connue par Visconti pendant les années de son séjour d’études. L’intérêt ici est de fournir des
renseignements touchant l’atmosphère d’une époque et d’un lieu où, outre l’impressionnisme,
de nouvelles tendances et mouvements artistiques se manifestaient. La mise en évidence de cet
aspect pluriel de la vie artistique à Paris à la fin du siècle enrichit l’interprétation de l’oeuvre de
Visconti dans la mesure où l’on comprend par là que les influences subies par le peintre ont été
très diverses.
Une analyse personnelle de l’oeuvre de Visconti est développée dans le sixième
chapitre. Ce qui a intéressé particulièrement l’auteur de cette thèse ce fut l’étude de l’évolution
de la peinture de Visconti au contact de l’art français. Ainsi, deux moments de cette évolution
se sont imposés à son attention. Le premier est celui de la période d’études à Paris, qui va de
1893 à 1900. Le second est celui de la réalisation des peintures décoratives pour le Théâtre
municipal de Rio de Janeiro qui s’étend, avec des interruptions, de 1905 à 1916.
De l’analyse de ces deux moments il ressort que le poids de l’influence
impressionniste sur l’oeuvre de Visconti doit être relativisé. Sans que l’on en vienne à nier
cette influence, il est clair que Visconti suivait déjà, au moment où elle s’est produite, un
chemin très personnel qui l’a amené à s’approprier non seulement les méthodes pointillistes,
mais aussi des procédés proches de ceux de l’art décoratif, sous l’empreinte de Grasset. L’idée
du caractère novateur de l’oeuvre de Visconti en sort nuancée.
Dans la conclusion on organise les observations faites dans le corps du texte.
Quelques questions soulevées dans les chapitres successifs sont alors reprises dans le but de
souligner les réponses apportées par la recherche.
15
I - LES ARTISTES BRÉSILIENS PENSIONNAIRES EN EUROPE ET LES
PRIX DE VOYAGE : une vision d’ensemble (1845 - 1887)
Avant Eliseu d’Angelo Visconti, lauréat du concours de Prix de Voyage de 1892,
vingt-deux artistes brésiliens, dont treize peintres, sont venus se perfectionner en Europe, ou
bien comme pensionnaires de l’Academia Imperial de Belas Artes, ou bien comme
pensionnaires soutenus par l’empereur Pedro II. Parmi ces pensionnaires, quatorze firent des
séjours à Paris, les autres allèrent à Rome1.
On trouve une référence aux étudiants brésiliens venus à Paris dans le rapport
présenté par le directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris au commencement de l’année
scolaire de 1874/1875. Le directeur écrivait :
(...)Par leur caractère en quelque sorte officiel, par la surveillance qu’on y
exerce, les ateliers de l’Ecole offrent certaines garanties et sont d'ailleurs
extrêmement connus. Les boursiers des départements et des villes viennent
pour la plupart y étudier; (...). D’un autre côté, il est à remarquer que le
nombre des étrangers qui recherchent nos enseignements augmente chaque
année depuis la guerre. En ce moment, l'Angleterre, la Belgique, la Suisse,
l’Italie, l’Autriche-Hongrie, la Roumanie, la Russie et jusqu’à la Perse nous
envoient des élèves choisis; le Portugal continue à entretenir chez nous une
colonie de pensionnaires. Mais le plus grand nombre de ces étudiants est
fourni par les deux Amériques et en particulier par le Brésil et par les
Etats-Unis. 2
Les propos du directeur nous offrent une piste sur la nature du séjour parisien de ces
artistes venus du Brésil. Ils présentent de façon très nette l’esprit qui présidait aux ateliers de
l’école : Par leur caractère en quelque sorte officiel, par la surveillance qu’on y exerce, les
ateliers de l’Ecole offrent certaines garanties et sont d’ailleurs extrêmement connus. En effet,
1
2
- Des treize peintres, dix ont fait des séjours à Paris.
- Guillaume, Eugène. Rapport présenté au Conseil par le Directeur de l'Ecole au
commencement de l'année scolaire 1874-1875. (pp.16-17). Archives Nationales - AJ/52/440.
Selon le directeur, parmi les étudiants étrangers attirés par les enseignements des maîtres de
l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, le plus grand nombre venait des Etats-Unis et du Brésil.
Cependant, après avoir examiné les archives de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, on n’est pas
arrivé à la même conclusion qu’Eugène Guillaume. Il est certain que les brésiliens
cherchaient l’enseignement de l’Ecole parisienne, mais ils n’étaient pas plus nombreux que
les espagnols ou les italiens par exemple. Les plus nombreux parmi les étrangers étaient les
américains et les anglais. À propos du nombre d’élèves brésiliens inscrits à l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, voir l’annexe 2 qui se
trouve à la fin de cette thèse.
16
cet esprit de surveillance s’accordait bien aux buts de l’Academia Imperial de Belas Artes de
Rio de Janeiro. Le stage européen des artistes brésiliens avait un caractère officiel. La plupart
de ces artistes séjournaient à l’étranger aux frais du gouvernement de leur pays et étaient
contrôlés de façon rigoureuse par leurs professeurs brésiliens.
Mais pour bien évaluer la portée des liens très forts que le milieu artistique brésilien
entretenait avec Paris, il convient de présenter quelques données historiques. Penchons-nous
donc sur l’origine de ces échanges.
17
1 - Genèse de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro
La première Académie des Beaux-Arts du Brésil, installée à Rio de Janeiro, eut son
origine dans l’enseignement d’un groupe d’artistes français qui, au début du XIXe siècle, est
allé se fixer à Rio. Engagé par Dom João VI, Roi du Portugal et du Brésil, ce groupe d’artistes
venus de France a été dénommé La Mission Artistique Française. L’institution officielle de
l’enseignement artistique au Brésil, fruit de cette Mission Française, a été instaurée par l’arrêté
du 12 août 1816.
S’il n’y a pas lieu de détailler ici l’histoire des missionnaires français, il convient
cependant de présenter l’ensemble des circonstances dans lesquelles elle s’insère. Cela
permettra de comprendre les conséquences qui en découlent. Commençons par rappeler de
façon succincte les événements qui ont amené ces artistes à chercher un avenir professionnel à
Rio et disposé le roi portugais à les y inviter.
Les faits qui ont provoqué la venue de ce groupe d’artistes français à Rio de Janeiro
appartiennent à l’histoire des guerres napoléoniennes. Ce fut l’invasion du Portugal par les
troupes françaises qui amena le prince Dom João VI3 à prendre la décision de partir au Brésil,
à l’époque une simple colonie, en se faisant accompagner par toute la Cour. Cela s’est produit
à la fin de l'année 1807. Napoléon faisait la guerre contre l’Angleterre. Après avoir contrôlé
presque toute l’Europe occidentale, il imposa le blocus continental, l’interdiction des
transactions commerciales entre le continent et l’Angleterre. Le Portugal représentait une
brèche dans ce blocus et il fallait supprimer cette communication des Anglais avec le continent.
En novembre 1807, des troupes françaises ont passé la frontière entre le Portugal et l’Espagne
et avançaient en direction de Lisbonne. En quelques jours, le prince Dom João VI s’est décidé
à transférer la Cour au Brésil. Entre le 25 et le 27 novembre 1807, à peu près 10 ou 15 mille
personnes se sont embarquées dans les navires portugais vers le Brésil, sous la protection de la
flotte anglaise. Tout un appareil bureaucratique partait vers la Colonie. Celle-ci allait vivre de
grandes transformations. Plus tard, la défaite de Napoléon laissant démunis les artistes français
liés aux bonapartistes, ceux-ci eurent intérêt à aller vivre à l’étranger sous la protection de
3
- Dom João VI, qui n’était pas encore sacré roi, régnait au Portugal depuis le jour où sa
mère, la Reine Dona Maria, avait été déclarée folle.
18
nouveaux mécènes. La volonté de Dom João VI de fonder une Académie dans le nouveau
siège de la Couronne portugaise, jointe au besoin des artistes français, fut à l’origine de
l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro4...
Avec l’arrivée de la famille royale, le Brésil acquit, du jour au lendemain, le statut de
siège de la Cour. Selon Caio Prado Júnior5, l’époque coloniale se termine, au Brésil, à cette
date (1808), bien que l’indépendance n’eût été proclamée officiellement qu’en 1822. Malgré
l’exagération de cette affirmation, on ne peut pas nier que la présence de la Cour à Rio de
Janeiro a contribué à donner à l’Indépendance le caractère d’une transition sans grands
sursauts. S’il est vrai qu’en 1808 le Brésil était officiellement encore une colonie portugaise, le
nouveau statut de Rio de Janeiro allait provoquer des changements radicaux.
La physionomie de la ville se transforma, car Rio devint l’axe de la vie administrative
de la Colonie. Une vie culturelle commença à s’ébaucher. L’accès aux livres et la circulation
des idées ont été des marques distinctives qui différencient cette période de celle qui l’a
précédée. En septembre 1808 apparut le premier journal édité au Brésil ; des théâtres
s’ouvrirent, des bibliothèques, des académies littéraires et scientifiques virent le jour. Tout ce
mouvement venait répondre à la demande de la Cour et de la population urbaine en expansion
rapide. Pendant le séjour de Dom João VI6 au Brésil, c’est-à-dire, au long d’une décennie, le
nombre d’habitants de la capitale doubla et passa d’environ cinquante mille à cent mille
personnes. Parmi les nouveaux habitants, les immigrants étaient nombreux. Des Espagnols, des
Français et des Anglais sont venus s’installer à Rio, de même que des Portugais. Les uns et les
autres formèrent une classe moyenne de professionnels et d’artisans qualifiés. D’autre part, le
Brésil attirait des scientifiques et des voyageurs étrangers qui désiraient s’y livrer à des
recherches. Naturalistes, minéralogistes, zoologistes et botanistes européens arrivèrent pour
connaître le Nouveau Monde.7
4
5
6
- Quelques auteurs soulignent cependant qu’à l’origine l’idée n’était pas de fonder une
Académie des Beaux-Arts, mais bel et bien une Ecole des Arts et Métiers orientée vers
l’application des arts à l’industrie. On développera ce sujet par la suite.
- PRADO JUNIOR, Caio. História econômica do Brasil. 22a ed., Brasiliense, São Paulo,
1979.
- Dom João VI a vécu au Brésil de 1808 jusqu'en avril 1821. À cette date, il retourne au
Portugal pour ne pas perdre son trône. À la suite d’une profonde crise politique, économique
et militaire, en août 1820 les Portugais s’étaient révoltés. À la fin de 1820 les
révolutionnaires ont établi un comité provisoire pour gouverner au nom du roi et ont exigé
son retour à la Métropole.
19
Entre-temps, en 1814, Napoléon était vaincu et la guerre en Europe était finie. Il n’y
avait plus de raison pour que la Cour portugaise reste au Brésil. Pourtant, Dom João VI décide
de s’y fixer et en décembre 1815 il élève le Brésil à la condition de Royaume Uni au Portugal
et à l’Algarve. Quelques mois plus tard, la reine décédée, Dom João était sacré roi. C’est à ce
moment qu’a eu lieu l’engagement des artistes français.
Dom João VI prenait alors les mesures nécessaires pour faire de Rio de Janeiro un
centre capable d’exercer son rôle de siège du Royaume Uni. Dans le cadre de préparation du
nouveau siège métropolitain, le roi a envisagé l’engagement d’artistes et d’artisans étrangers
pour créer une Ecole des Arts et Métiers. Le Ministre des Affaires étrangères, Antônio de
Araújo de Azevedo, Comte da Barca, fit chercher des artistes en France, centre artistique de
renommée internationale. Conformément à ce qui est écrit ci-dessus, la carrière européenne
des artistes qui ont formé la Mission française s’était déroulée sous le patronage des partisans
de Bonaparte. La chute de l’Empire leur fit perdre leurs protecteurs, et ils ont dû chercher les
moyens de vivre ailleurs. Leur besoin s’accordait bien à l’initiative du roi du Portugal et du
Brésil.
Le groupe d’artistes et artisans qui formaient la Mission française était dirigé par
Joachim Le Breton (Saint-Meens, Bretagne, 1760 - Rio de Janeiro, 1819), homme de lettres,
critique d’art et secrétaire perpétuel de la Classe des Beaux-Arts de l’Institut Royal de France.
Le 26 mars 1816, Le Breton débarquait à Rio accompagné des artistes suivants :
• l’architecte Auguste-Henri Victor Grandjean de Montigny
(Paris, 1776 - Rio de Janeiro, 1850)
• le peintre d’histoire Jean Baptiste Debret (Paris, 1768 - id., 1848)
• le peintre d’histoire Nicolas-Antoine Taunay (Paris, 1755 - id.,1830)
• le sculpteur Auguste-Marie Taunay, frère de Nicolas-Antoine
(Paris, 1768 - Rio de Janeiro, 1824)
• le graveur de médailles Charles Simon Pradier
(Genève, 1786 - id.1848)
• le spécialiste en mécanique François Ovide
7
- On peut en citer quelques-uns comme le naturaliste et minéralogiste anglais John Mawe ;
les deux bavarois Johan Baptiste von Spix, zoologiste, et Carl Friederich Philip von Martius,
botaniste ; le naturaliste français Saint-Hilaire. Tous furent auteurs d’ouvrages qui
constituent des sources importantes de renseignements sur le Brésil de cette époque.
20
• les spécialistes en stéréotomie, disciples et auxiliaires de Grandjean de Montigny,
Charles Henri Lavasseur et Louis Symphorien Meunier
• le sculpteur auxiliaire d’Auguste-Marie Taunay, François Bonrepos
Six mois après, deux autres artistes sont arrivés à Rio pour s’incorporer au groupe:
• le sculpteur Marc Ferrez (France, 1788 - Rio de Janeiro, 1850)
• et le graveur Zéphyrin Ferrez, frère de Marc
(France, 1797 - Rio de Janeiro, 1851)
Les onze formaient un noyau lié aux Beaux-Arts et à l’Architecture. Quant aux
Métiers, Le Breton a amené avec lui six autres Français artisans spécialisés:
• le maître serrurier Nicolas Magliori Enout
• le maître forgeron et spécialiste en construction navale Jean Baptiste Level
• les charpentiers et constructeurs de voitures Louis-Joseph et Hippolyte Roy
(père et fils)
• les corroyeurs de peaux Fabre et Pilitié
Donc, au total, 18 Français formaient la Mission.
Six mois après l’arrivée de Le Breton, un arrêté daté du 12 août 1816 a déterminé la
création de l’Ecole des arts et métiers, dans les termes suivants :
( ...) une École royale des sciences, arts et métiers, dans laquelle soient
encouragées et diffusées l’instruction et les connaissances indispensables aux
hommes destinés aux postes publics de l’administration de l’Etat, mais aussi
à ceux qui travailleront pour le progrès de l’Agriculture, de la Minéralogie,
l’Industrie et le Commerce,(...). 8
Cet énoncé exprime une ambition si large qu’on dirait qu’il représente le désir de
créer tout un ensemble d’établissements d’enseignement supérieur. Nous le lisons aujourd’hui
en sachant que les buts à atteindre étaient inaccessibles, au moins dans un futur immédiat. Il est
intéressant cependant d’observer que l’introduction de l’enseignement artistique au Brésil se
voulait liée à un projet de développement économique. Les arts devraient servir au progrès de
l’industrie.
8
- “ ... uma Escola Real de Ciências, Artes e Ofícios, em que se promovam e difundam a instrução e conhecimento indispensáveis aos homens destinados aos empregos públicos de administração do Estado, mas também ao progresso da Agricultura, Mineralogia, Indústria e
Comércio, ... ” [Cité par Cipiniuk, p.22].
21
De façon plus modeste, c’est la même intention que l’on voit exprimée dans une
lettre de Joachim Le Breton au Comte da Barca, l’année de son arrivée au Brésil (1816) :
Les arts du dessin, qui ont produit dans un court délai de temps, au
Mexique, une surprenante amélioration dans plusieurs branches de
l’industrie et des Beaux-Arts, et la diffusion simultanée du dessin parmi les
arts et les métiers qui peuvent l’utiliser, doivent produire n’importe où les
mêmes effets ; (...). Je m’offre pour organiser, avec l’enseignement des
Beaux-Arts, la propagation simultanée du dessin dans les arts et métiers qui
peuvent bénéficier de cet enseignement. 9
Dans ces mots, on remarque que le premier plan est réservé aux beaux-arts.
Néanmoins, les métiers ne sont pas écartés des préoccupations de Le Breton, chef de la
Mission.
Quoi qu’il en soit, l’Ecole royale des sciences, arts et métiers n’a jamais vu le jour.
Quatre ans plus tard, le 12 octobre 1820, un nouvel arrêté déterminait la création d’une
“ Académie royale de dessin, peinture, sculpture et architecture civile ”. Le 23 novembre de la
même année, un autre arrêté changeait le nom de l’Ecole, qui devenait simplement Academia
de Belas Artes. Ce même arrêté nommait, comme directeur de l’Académie, le peintre portugais
Henrique José da Silva, Le Breton étant décédé depuis le 9 juin 1819, et il ne restait aux
Français que des postes d’enseignant. De plus, l’Académie n’engageait pas les maîtres artisans
qui
étaient venus avec la Mission. N’ayant pas été employés dans l’enseignement, ils se sont
tournés vers des activités dans l’industrie naissante.
Mais ce n’est pas sans regret que le premier projet fut abandonné. L’énoncé de
l’arrêté du 23 novembre 1820 explique qu’il avait été impossible de faire fonctionner une Ecole
royale des sciences, arts et métiers. Pour compenser cet échec, il fallait au moins mettre en
9
- Cité par Alberto Cipiniuk, In : A Estética da Academia de Belas Artes do Rio de Janeiro.
Thèse soutenue à Rio de Janeiro, UFRJ - Instituto de Filosofia e Ciências Sociais - Departamento de Filosofia - julho de 1985, p.24.
“ As artes do desenho, que produziram em poucos anos, no México, surpreendente melhoria
em muitos ramos da indústria e das Belas Artes, e a propagação simultânea do desenho nas
artes e ofícios que dele podem aproveitar, devem ter em todos os lugares o mesmo efeito ;
(...), e ofereço-me para organizar, com o ensino das Belas Artes, a propagação simultânea do
desenho nas artes e ofícios que dele podem tirar proveito. ”
22
oeuvre quelques cours de beaux-arts. 10 On remarque le décalage entre l’ambition initiale et les
possibilités réelles de mise en oeuvre du projet.
Cependant, l’Académie n’avait toujours pas de siège, et des cours privés furent
assurés par les professeurs français jusqu’au 5 novembre 1826, date où l’Academia Imperial
de Belas Artes s’installa définitivement dans un espace approprié. Elle fut enfin organisée et
divisée en six classes :
1 - dessin de figure, paysage et ornements ;
2 - peinture d’histoire ;
3 - sculpture et ornements ;
4 - architecture civile, perspective et géométrie pratique ;
5 - gravure ;
6 - mécanique.
Bref, dix ans après l’arrivée des missionnaires, l’Académie des Beaux-Arts était
effectivement inaugurée et fonctionnait avec la rigueur désirée par les Français. À partir de ce
moment, avec l’enseignement des maîtres, la technique et les normes propres au néoclassicisme
furent transplantées au Brésil.
Récapitulons : en 1816, la Mission artistique française arrive à Rio ; en 1820,
l’Académie est créée; en 1826, l’Académie est inaugurée et installée dans son siège. D’après
l’observation de ces simples dates, il est évident que les premières années d’activité du groupe
des Français ont été très difficiles. En effet, ils étaient pratiquement empêchés d’accomplir ce
pour quoi ils étaient venus au Brésil : s’occuper de l’enseignement officiel des arts et métiers. Il
n’est pas étonnant que les missionnaires aient déchanté, car ils ont dû travailler dans des
conditions très différentes de celles qu’ils souhaitaient. Certains (Le Breton, Auguste Taunay)
moururent prématurément ; d’autres, déçus, regagnèrent la France : Pradier dès 1818, NicolasAntoine Taunay en 1821, et enfin Debret en 1831.
Selon le témoignage de Manuel de Araújo Porto-Alegre, qui fut successivement élève
de Jean Baptiste Debret, professeur et finalement directeur de l’Académie, “ l’histoire de
l’Academia das Belas Artes montre que la pensée du gouvernement, au Brésil, a toujours
10
- Cité par Campofiorito, p. 50.
23
souffert des idées du provisoire. Cela se voit dans l’histoire de l’édification de l’Académie...”
Dans un document écrit en 1853, il raconte :
De 1816 jusqu’à 1826, le Corps Académique n’a rien fait, puisqu’on ne lui
a jamais donné une maison où travailler, ni même à ceux qui l’ont tellement
demandée. On a eu l’idée de faire fonctionner les cours dans la maison
appelée du Núncio ; on a eu l’idée d’envoyer les classes à la Guarda Velha,
et on a eu aussi l’idée de construire un édifice nouveau. Ce dernier, même
pendant la construction de l’édifice actuel, a passé par plusieurs avatars, à
tel point qu’en 1851 on a eu l’idée d’incorporer au Trésor Public la maison
de l’Académie, et envoyer les classes à la Guarda Velha : le provisoire
réapparut !11
Les débuts difficiles de l’installation de l’enseignement officiel des beaux-arts au
Brésil sont cités par les divers auteurs qui ont écrit sur la période. Lorsqu’ils expliquent les
causes des ajournements et modifications du projet initial, ils présentent, cependant, quelques
nuances dans leurs interprétations. On peut citer ici trois positions différentes :
11
- PORTO-ALEGRE, Manuel de Araújo. Apontamentos sobre os meios práticos de desenvolver o gosto e a necessidade das Belas Artes no Rio de Janeiro, feitos por ordem de Sua
Majestade Imperial o Senhor Dom Pedro II Imperador do Brasil. Rio de Janeiro, 1853.
(Reproduit en “ Revista Crítica de Arte, n.4 ”, p.32).
“ De 1816 a 1826 ficou o Corpo Acadêmico sem nada fazer, porque nunca se lhe deu uma
casa para trabalhar, nem mesmo àqueles que tanto a reclamaram. Houve o pensamento de
colocar as aulas na casa chamada do Núncio ; houve o de as mandar para a Guarda Velha, e
houve o de se fazer um edifício próprio. Este último, mesmo durante a construção do edifício atual, passou por várias alternativas, a ponto de em 1851 reaparecer a idéia de incorporar
ao Erário a casa da Academia, e mandar as aulas para a Guarda Velha : o provisório renasceu ! ”
24
La première position veut comprendre ces difficultés comme la conséquence de faits
fortuits émanant de la responsabilité des individus. C’est la position de Campofiorito12. Selon
cet auteur, l’indécision qui s’est prolongée pendant quatre ans (de 1816 à 1820) a eu trois
causes : les conflits entre les groupes de Portugais anglophiles et francophiles qui interféraient
dans les démarches officielles; l’animosité qui opposait les professeurs français et les
administrateurs portugais ; l’hostilité de l’ambassadeur français envers ses compatriotes qui
avaient des positions politiques contraires au régime en vigueur en France.
Cipiniuk13 présente une deuxième interprétation marquée par une conception marxiste
de l’histoire. Il affirme que l’Ecole royale des sciences, arts et métiers serait anachronique dans
sa prétention, comme n’importe quelle autre entreprise capitaliste subordonnée aux intérêts
esclavagistes. Il met en valeur le contexte de dépendance économique du Brésil vis-à-vis de
l’Angleterre, et déclare que le projet brésilien d’enseignement de l’art appliqué à l’industrie fut
abandonné parce que le développement des industries brésiliennes n’intéressait pas à
l’Angleterre.
La troisième position nous semble plus raisonnable. Elle envisage l'histoire de
l’Académie dans le contexte de l’Histoire du Brésil, mais cette histoire ne se réduit pas aux
disputes autour des enjeux économiques. Ce point de vue est présenté dans un texte plus
récent, où Tadeu Chiarelli14 affirme que le grand obstacle au bon fonctionnement de
l’Academia Imperial a été le caractère intempestif de sa propre fondation. Il observe qu’elle a
été créée à un moment où le Brésil passait par des transformations politiques et sociales
intenses. Cette situation aurait provoqué la mise à l’écart de ce projet, qui fut ainsi placé dans
un plan secondaire. Forcément, l’Académie et l’intention de former des artistes professionnels
et érudits furent abandonnées pendant des longues années par les pouvoirs publics.
Mais Tadeu Chiarelli ne mentionne pas l’antinomie qui se trouve dans la création
même de l’Académie. Sa fondation avait été voulue comme un élément de progrès. Et c’est
l’absence de ce progrès qui a fait obstacle à son implantation. En effet, les ajournements et
modifications du projet initial dénotent que l’Academia de Belas Artes souffrait d’une
12
- CAMPOFIORITO, Quirino. História da Pintura brasileira no século XIX. Rio de Janeiro,
Pinakotheke, 1983, p.p. 49 et 50.
13
- CIPINIUK, A Estética da Academia de Belas Artes do Rio de Janeiro, 1985, p.28.
14
- CHIARELLI. “ Préface ”, In : GONZAGA-DUQUE, Luís. A Arte Brasileira. Mercado de
Letras, Campinas, 1995, p.14.
25
contradiction fondamentale. Cette contradiction, qui était ressentie par ses contemporains, fut
explicitée par Spix et Martius, scientifiques allemands qui ont voyagé au Brésil entre 1817 et
1820. L’année de leur visite, l’Académie brésilienne se limitait au groupe des professeurs qui
recevaient des pensions et donnaient des leçons privées. Dans leur livre Reise nach
Brasilien (Voyage au Brésil), ils écrivent :
Une autre institution créée par le Ministre Araújo, Comte da Barca, (...) est
l’Academia de Belas Artes. Alors qu’en Europe on considérait la fondation
d’un tel établissement comme une preuve, qui semblait être concluante, du
développement rapide du nouvel Etat, on observe néanmoins, après un
examen plus rigoureux, qu’actuellement une telle fondation ne correspond
pas entièrement aux besoins du peuple, et, par conséquent, ne peut pas
encore être développée... Très tôt, cependant, il [le Comte da Barca] a
reconnu que les beaux-arts ne pouvaient s’établir ici [ au Brésil ] qu’après
l’installation des arts mécaniques qui, en satisfaisant aux besoins essentiels
de la population, auraient rendu possible l’installation des premières. Aussi
a-t-il compris que ce n’est qu’après la fondation et l’affirmation des
échanges commerciaux d’un peuple avec l’étranger, qu’il est possible de
réveiller en lui les aspirations de l’art et la culture artistique. 15
Effectivement, quand on examine l’histoire de l’installation de l’Académie à Rio de
Janeiro, on vérifie que l’introduction de l’enseignement artistique officiel ne répondait pas à un
besoin ressenti par la population locale. La création de l’Academia de Belas Artes, issue d’une
résolution gouvernementale, faisait partie des nombreux changements qui eurent lieu à Rio
pendant cette période agitée. En réalité, cet aménagement de la ville de Rio de Janeiro signifiait
l’émergence de la société brésilienne reconnue en tant que telle. Pas à pas, les caractéristiques
visibles qui rappelaient l’ancienne colonie portugaise disparaissaient. Ce qui s’ébauchait c’était
la construction d’une nation. Mais cette construction était accélérée par la volonté des
gouverneurs. Les textes des arrêtés montrent bien le caractère d’urgence des mesures destinées
à adapter la ville à son nouveau rôle, mais aussi l’incapacité de tout réaliser dans l’immédiat.
15
- Cité par Cipiniuk dans sa thèse A Estética da Academia de Belas Artes do Rio de Janeiro. Rio de Janeiro, 1985 (p.p.26 et 27).
“ Outra instituição que teve como seu criador o Ministro Araújo, Conde da Barca, (...), é a
Academia de Belas Artes. Ao passo que a Europa considerava a fundação de tal estabelecimento concludente prova, como parecia, do rápido desenvolvimento do novo Estado, notase todavia, com observação mais rigorosa, que atualmente tal fundação não corresponde de
todo às necessidades do povo, e, portanto, não pode ainda ser desenvolvida... Não tardou
porém, a reconhecer que aqui só se poderiam estabelecer as belas artes, quando as artes mecânicas ; que satisfazem às primeiras necessidades, houvessem feito o preparo para aquelas, e
que num povo, só depois de fundada e firmada a sua vida comercial com o estrangeiro, é que
se podem despertar as aspirações de arte e a cultura artística. ”
26
En tout cas, le passé colonial était définitivement révolu et, après ce commencement
difficile, l’Academia Imperial a évolué dans le sens déterminé par les Français.
Pour comprendre l’étendue des transformations qui se sont produites sur la scène
artistique brésilienne, il faut penser à la production des beaux-arts au Brésil avant l’arrivée de
la famille royale. Il faut rappeler que le système colonial portugais avait limité la production
artistique brésilienne aux besoins religieux. Pendant la période coloniale, presque toutes les
commandes de peintures concernaient la décoration des églises et des portraits commandés par
les confréries religieuses.
L’enseignement officiel des beaux-arts au Brésil vint interrompre cette tradition
coloniale, religieuse et baroque. Le nouvel enseignement austère et académique de fond
néoclassique est venu marquer de façon très forte l’évolution de la peinture brésilienne au long
du XIXe siècle. Au cours de ce siècle, les arts allaient devoir remplir une nouvelle tâche : la
création d’une image pour la nation brésilienne. L’indépendance du pays en 1822 vit naître la
préoccupation de la classe dirigeante de créer une conscience nationale, une Histoire du Brésil
indépendante de l’Histoire du Portugal. L’Académie aura son rôle dans la construction de cette
image à travers la production des tableaux de peinture d’histoire.
En outre, l’Académie deviendra le coeur du mouvement artistique brésilien. Depuis
son installation en 1826, c’est autour d’elle que le monde de l’art s’organisa. Dès le milieu du
siècle, l’Académie se trouva au centre du développement des beaux-arts au Brésil. Et toutes
ces transformations se sont produites au cours de moins de trois décennies.
C’est en conséquence de ces changements radicaux qu’aucun historien de l’art
brésilien n’hésite à considérer la Mission artistique française comme un jalon qui marque le
passage d’une époque à une autre entièrement différente.
Les premiers auteurs brésiliens qui se sont occupés des beaux-arts ont divisé
l’histoire de l’art au Brésil en périodes. Malgré quelques divergences, l’arrivée des artistes
français à Rio, en 1816, est un jalon présent dans tous ces classements. Un autre repère partagé
par tous c’est l’année de 1826, date de l’ouverture de l’Académie. Ensuite, la plupart d’entre
eux indiquent le début d’une nouvelle période en 1840, année où l’exposition annuelle des
élèves de l’Académie passa par quelques transformations et devint ce que l’on appelle un Salon
27
des Beaux-Arts. Cette année de 1840 marque le début de l’affermissement de l’Académie et de
son enseignement.
On remarque que les dates choisies pour jalonner l’histoire de l’art brésilien du XIXe
siècle se réfèrent toutes à des événements liés à l’histoire de l’Academia Imperial de Belas Artes. Cette coïncidence est encore un signe de la réussite du projet de l’Académie. Après les
débuts difficiles, elle a fini par s’imposer.
Le travail d’artistes comme Jean Baptiste Debret et Grandjean de Montigny trouva
finalement terrain propice à l’implantation de l’enseignement de la peinture et de l’architecture
au Brésil. Mais celui qui fut présenté comme le grand responsable de l’essor de l’Académie, ce
fut le peintre Félix-Émile Taunay (Montmorency, 1795 - Rio de Janeiro, 1881).
Félix-Émile, fils de Nicolas-Antoine Taunay, l’un des participants de la Mission, avait
21 ans quand il arriva à Rio avec son père. Lorsqu’en 1821, Nicolas-Antoine retourna en
France, Félix-Émile Taunay voulut rester au Brésil. Il remplaça son père comme professeur de
peinture et en 1834 il fut nommé directeur de l’Académie.16 Il a gardé ce poste jusqu’en 1851.
C’est sous sa direction que l’Académie s’est structurée, et a, peu à peu, acquis une
reconnaissance plus effective de l’Etat. À partir de 1835, des réalisations significatives furent
concrétisées. Des améliorations rendirent possible l’accomplissement de l’objectif premier de
cette institution : former des artistes. Taunay ouvrit le cours de modèle vivant, prépara le
premier catalogue de la collection d’oeuvres d’art de l’Académie, acheva les travaux de
l’édifice projeté par Grandjean de Montigny, institua les Expositions Générales des BeauxArts, la distribution de médailles aux meilleurs exposants, le Prix de Voyage en Europe, et créa
les places de “ Membre correspondant ” et “ Membre honoraire ”.17
Les écrivains qui ont étudié l’histoire de l’Academia Imperial ont toujours mentionné
le rôle très important joué par Félix-Émile Taunay dans la structuration de l’institution. Mais
on ne doit pas oublier que cet épanouissement de l’Académie correspond aussi à une période
où la stabilité politique du pays avait été retrouvée. La période précédente avait été l’une des
plus agitées de l’histoire politique brésilienne. De 1831 à 1840 le centre du débat politique fut
16
- Le 29 octobre 1834, Henrique José da Silva, directeur de l’Académie est décédé.
Grandjean de Montigny est nommé provisoirement pour occuper ce poste. Mais bientôt il
passe la charge à Félix-Émile Taunay.
17
- Titres accordés aux maîtres qui orientaient les pensionnaires brésiliens en Europe.
28
dominé par les thèmes de la centralisation du pouvoir et du degré d’autonomie des provinces,
et même l’unité territoriale du Brésil était en jeu. Ce n’est qu’après la majorité de Dom Pedro
II, sacré empereur en 1840, que la situation s’apaisa18. Et dix ans plus tard, vers 1850, la
Monarchie centralisée s’est enfin consolidée, à l’heure où les dernières rébellions provinciales
s’éteignaient.
Bref, grâce à la direction de Félix-Émile Taunay et à la période plus favorable
pendant laquelle elle s’est exercée, l’Academia Imperial de Belas Artes devint une institution
reconnue par le pouvoir public. La création du Prix de Voyage, l’une des réalisations du
nouveau directeur, concerne particulièrement le présent travail. Nous examinerons donc la
façon dont ce Prix fut créé, et comment il a évolué et influé sur la formation des artistes
brésiliens de la fin du siècle dernier.
18
- Dom Pedro II (Rio de Janeiro, 1825 - Paris, 1891) - fils de Dom Pedro I et petit-fils de
Dom João VI, il fut empereur du Brésil de 1831 à 1889. Mais entre 1831 et 1840 le Pays fut
gouverné par un groupe d'hommes d'Etat au nom de l’empereur qui était mineur. En 1840 la
majorité de Dom Pedro II fut anticipé. Il a lutté pour la pacification du pays, se confrontant
aux dernières révoltes de la période impériale. Après la proclamation de la République en
1898, Pedro II fut déporté en Europe.
29
2 - Historique des Prix de Voyage en Europe
Le Prix de Voyage en Europe était le prix le plus important accordé par l’Academia
Imperial de Belas Artes. Appelé aussi Prix de Premier Ordre, il était remis à l’étudiant des
Beaux-Arts lauréat du concours prévu à cette fin. Ce prix était un séjour en Europe pour s’y
perfectionner aux frais de l’Etat brésilien et impliquait des obligations pour l’élève récompensé.
Celui-ci devait envoyer ses travaux à l’Académie, où les professeurs jugeaient de ses progrès et
décidaient de la poursuite ou de l’interruption de son séjour.
Le Prix de Voyage est né du besoin ressenti par les artistes brésiliens d’aller se
perfectionner en Europe. Ce besoin qui s’est fait beaucoup plus fort après l’indépendance
politique du Brésil (1822), existait en effet depuis la période coloniale. On observe que même
avant l’arrivée de la Mission française et avant l’institution de l’enseignement officiel des
beaux-arts à Rio de Janeiro, quelques peintres et sculpteurs avaient réalisé des voyages
d’études. Gonzaga-Duque commente qu’avant l’arrivée du groupe des Français,
l’éducation de nos artistes dépendait de leurs propres efforts, et heureux
furent ceux qui réussirent à se transporter en Métropole pour cultiver leur
art préféré.19
Si par cette remarque il voulait attirer l’attention sur les difficultés de formation
rencontrées par les artistes brésiliens avant l’installation de l’Academia Imperial de Belas
Artes à Rio de Janeiro, il nous informe aussi que déjà à cette époque certains d’entre eux
partaient étudier en Europe. C’est à dire que les voyages de perfectionnement n’ont pas été
une invention de l’Académie, ils existaient déjà, de façon embryonnaire, pendant la période
coloniale.
Pourtant, quelques différences importantes s’imposent à l’analyse si l’on compare ces
premiers voyages artistiques et les voyages entrepris postérieurement par les élèves de
l’Académie. La première différence est leur caractère officiel ou pas. Les voyages des
pensionnaires de l’Académie étaient subventionnés par l’Etat, et ceux qui en bénéficiaient
19
- GONZAGA-DUQUE, A Arte Brasileira, 1995, p.90.(La première édition date de 1888).
“ Até então a educação dos nossos artistas dependia dos seus próprios esforços, e felizes foram aqueles que conseguiram transportar-se ao reino para o cultivo da arte predileta. ”
30
devaient rendre compte de leurs activités aux professeurs brésiliens, tandis que les voyages de
la période précédente ne présentaient pas ce caractère officiel.
La deuxième différence est celle du nombre d’artistes envoyés en Europe. Les artistes
de la période coloniale étaient d’origine très modeste ; parmi les peintres et sculpteurs il y avait
même des esclaves, ou des fils d’esclaves. Ceux qui ont eu la chance de trouver un protecteur
qui leur a permis d’aller en Europe ont été très peu nombreux. À partir de l’institution du Prix
de Voyage l’envoi des pensionnaires en Europe fut plus régulier, un plus grand nombre
d’artistes en bénéficièrent, et même ceux qui entreprirent le voyage d’études à leurs frais se
multiplièrent.
La troisième différence concerne la destination des étudiants. Lorsque le Brésil était
encore une colonie portugaise, les rapports des Brésiliens avec l’Europe se limitaient aux
relations avec la métropole, c’est-à-dire, le Portugal. Ainsi, la ville choisie comme lieu d’études
par les artistes de cette période a été presque toujours Lisbonne. Après un séjour dans la
capitale du Royaume, ils continuaient parfois leurs études à Rome.20
Le séjour d’études à Paris apparaît pour la première fois, d’après les connaissances
actuelles, dans la biographie du peintre Manuel de Araújo Porto-Alegre (1806-1879). Disciple
de Jean Baptiste Debret, il a été formé par la Mission française. C’est lui le prédécesseur des
pensionnaires de l’Etat, le premier des élèves de l’Académie à suivre le chemin du
perfectionnement en Europe. Plus tard, Araújo Porto-Alegre deviendra directeur de
l’Académie et sera le responsable des changements qu’y adviendront au niveau de
l’enseignement.
Gonzaga-Duque, dans son livre A Arte Brasileira, oeuvre de référence à propos de
l’art brésilien du XIXe siècle, raconte une anecdote à propos du départ d’Araújo Porto-Alegre
pour l’Europe. On résume ci-dessous le récit de Gonzaga-Duque.
Le 27 janvier 1827, Manuel de Araújo Porto-Alegre
devient élève en peinture de Jean Baptiste Debret à l’Académie.
20
- Campofiorito cite les peintres Manuel da Cunha (Rio de Janeiro, 1737 - 1809) et José
Teófilo de Jesus (Bahia, v. 1757 - 1847) qui ont étudié à Lisbonne ; José Joaquim da Rocha
(Bahia, 1737-1807) qui a étudié à Lisbonne et à Rome ; Manuel Dias de Oliveira (Rio de
Janeiro, 1764 - 1837) qui a étudié à Lisbonne et à Rome où il a vécu pendant dix années.
Gonzaga Duque cite le sculpteur Valentim da Fonseca e Silva, Maître Valentim (1740/50 1813) qui a été formé sculpteur en partie au Portugal.
31
Ensuite il y fréquente les cours d’architecture et de sculpture. Son
avancement dans les trois disciplines est remarquable et dans
l’Exposition de 1830 il obtient trois prix : l’un de peinture, l’un
d’architecture et l’autre de sculpture.
L’empereur Dom Pedro I21 lui passe alors la commande
d’un portrait et lui promet de financer ses études en Italie, ou dans
un autre centre européen, une fois l’oeuvre terminée. Mais cette
promesse n’a pas été concrétisée, car Porto-Alegre est tombé
malade, et peu de temps après l’empereur abdiqua.
Le jeune artiste a voulu réaliser le voyage à ses propres
frais, car il venait d’hériter de son père. Mais ayant prêté l’argent à
un ami d’enfance, membre de sa famille, il s’est vu empêché de
voyager. À la fin, avec l’aide de trois amis importants il put partir
en compagnie de son maître Debret. Ces amis étaient Evaristo
Ferreira da Veiga22 et Monseigneur A.V. da Soledade, qui lui ont
accordé des moyens financiers, et José Bonifácio,23 qui lui obtint
un billet gratuit dans le navire de guerre français Durance. Debret
quitta le Brésil en compagnie de Porto-Alegre pour retourner en
France le 25 juillet 1831, et il arriva à Paris en septembre de la
même année.
21
- Pedro I (Queluz, Portugal, 1798 - id., 1834). Il fut nommé prince régent, remplaçant son
père, Dom João VI, en 1821. Il a déclaré l’Indépendance du Brésil le 7 septembre 1822. À la
suite d’une réaction populaire au Portugal, il abdiqua du trône du Brésil en faveur de son fils
Pedro II (1831) et partit briguer le trône portugais contre son frère Dom Miguel.
22
- Evaristo da Veiga (Rio de Janeiro, 1799 - id., 1837) - Politicien, journaliste et écrivain. Il
a fondé et dirigé le journal Aurora Fluminense (1827 - 1835). Il fut réélu député trois fois à
partir de 1830. Il s’est retiré à Minas Gerais (1835), et s’est dédié à son activité d’écrivain. Il
fut l’un des précurseurs du romantisme au Brésil. [Boris Fausto, p.638]
23
- José Bonifácio de Andrada e Silva (Santos, SP, 1763 - Niterói, RJ, 1838) - scientifique et
politicien. Il a étudié au Portugal (1787) et lors de son retour au Brésil (1819), il fut indiqué
pour faire partie du gouvernement de São Paulo (1820) ; ensuite, il devient Ministre d’Etat
(1821). Il s’est dévoué à la cause de l’Indépendance (1822), en soutenant la monarchie
constitutionnelle. Après la fermeture de l’Assemblée Constituante, il fut exilé en France
(1823). Il retourne au Brésil et se maintient éloigné de la politique jusqu’en 1831, lorsqu’il
est nommé tuteur de Dom Pedro II. [Boris Fausto, p. 598].
32
À Paris, Araújo Porto-Alegre reçut une formation
philosophique, littéraire et artistique ; il se perfectionna en
peinture sous l’orientation du baron Le Gros. Cependant Soledade
et Ferreira da Veiga sont décédés24 et Manuel de Araujo PortoAlegre s’est retrouvé dépourvu de ressources. C’est alors que le
Ministre du Brésil en France l’assista en lui offrant vingt mille
francs pour partir en Italie afin d’achever ses études. De cette
somme généreuse, Porto-Alegre n’a utilisé que quatre mille francs.
En 1835 l’Assemblée Générale du Brésil lui avait accordé une
pension annuelle de six cent mille réis pendant trois ans. PortoAlegre est alors revenu à Rio en 1837, mais avant son retour il
visita Londres et fit des voyages en Belgique et Hollande. Revenu
au Brésil, il fut nommé professeur de peinture d’histoire à
l’Académie. En 1854 il devint directeur de l’Académie, d’où il
s’est retiré en 1857. 25
La façon dont Gonzaga-Duque nous présente les événements qui ont précédé le
voyage de Manuel de Araújo Porto-Alegre est curieuse. Le récit se construit à la manière
d’une petite fable où le héros doit surmonter une série de difficultés avant de parvenir à son
but, car ce n’est qu’après le troisième essai que le voyage se réalisa. En tout cas, après toutes
ces péripéties, le peintre reçut une pension de l’Etat brésilien, et à son retour il fut intégré à
l’Académie en tant professeur. On verra que son itinéraire est une espèce de prototype de celui
des pensionnaires qui l’ont suivi.
La systématisation de l’envoi d’artistes élèves brésiliens en Europe commence avec la
réglementation du Prix de Voyage, huit ans après le retour d’Araújo Porto-Alegre au Brésil.
L’institution de ce Prix, décerné après concours au meilleur élève de l’Academia Imperial, eut
lieu en 1845. Sa création se produisit dans une période où l’action de la Mission française
commençait à donner des fruits. L’Académie, jouissant de la reconnaissance des pouvoirs
publics, tend alors à jouer le rôle principal dans la scène artistique brésilienne. Cette période
qui commence en 1840 et coïncide avec la direction de Félix-Émile Taunay, fut appelée la
24
- Selon les sources consultées, Ferreira da Veiga n’est mort qu’en 1837. Peut-être que
Gonzaga Duque fait référence à la date de son retrait de la vie politique en 1835.
25
- GONZAGA-DUQUE, A Arte Brasileira, 1995, p.p.111, 112 et 113.
33
période de “ Consolidation ”26, ou de “ Mouvement ”27 et représente le moment où le milieu
artistique brésilien s’organisa autour des Expositions Générales qui se succédaient chaque
année.
Ces Expositions Générales furent un développement des expositions annuelles des
élèves de l’Academia Imperial, dont la première avait été réalisée en 1826. À cette occasion,
les oeuvres ayant été exposées dans l’atelier de Jean-Baptiste Debret, l’exposition eut un
caractère privé. En 1829, une nouvelle exposition se réalisa, cette fois-ci ouverte au public.
Ensuite, à partir de 1830, elles se succédèrent tous les ans. À partir de 1840 cette exposition
annuelle s’ouvrit à la participation de tous les artistes, nationaux ou étrangers, membres ou pas
de l’Académie, et des prix furent décernés aux meilleurs exposants. Les expositions sont
devenues dès lors de véritables Salons des Beaux-Arts. Ce changement a été déterminé par un
Avis du gouvernement daté du 31 mars 1840. C’est alors que l’exposition annuelle reçut le
nom d’Exposition Générale des Beaux-Arts.
Mais si les expositions gagnaient de l’ouverture et de l’amplitude, elles restaient
attachées à l’Académie. Les Expositions Générales étaient organisées par les professeurs de cet
établissement, et les oeuvres choisies étaient exposées dans ses salons.
Pour se rendre compte de l’esprit qui dominait alors le milieu artistique, il est
intéressant de reproduire ici la description faite par Laudelino Freire à propos de cette période:
Les expositions publiques et officielles voient le jour, et des prix pour les
meilleurs exposants sont institués. Les effets bienfaisants de ces premières
mesures se font sentir - la vie artistique entre dans une phase d’activité
féconde. Des expositions publiques et générales se réalisent jusqu’en 1850,
sans interruption, avec la concurrence d’artistes nationaux et étrangers, tous
récompensés selon leurs mérites.
Almeida Torres, ministre de l’Empire, le 2 février 1844, en soulignant les
avantages de ces prix, a déclaré que "la munificence impériale, récompensant
les auteurs des principales oeuvres qui figurent dans les expositions
annuelles de l’Academia de Belas Artes, arrivait à éveiller parmi ceux qui
cultivent les arts une salutaire rivalité, et stimulait les élèves à faire des
efforts pour mériter ces récompenses." 28
26
- Morales de los Rios Filho. O ensino artístico : subsídios para a sua História. Rio de
Janeiro, 1938.
27
- Gonzaga-Duque. A Arte Brasileira. Rio de Janeiro, 1888.
28
- FREIRE, Laudelino. Pedro II e a arte no Brasil, discurso proferido em 30 de setembro de
1916 na Escola Nacional de Belas Artes, p.18.
34
Cinq ans après la première Exposition Générale, le 17 septembre 1845, l’Empereur
Dom Pedro II sanctionna29 la résolution de l’Assemblée Générale Législative qui autorisait le
Gouvernement à envoyer en Italie l’élève de l’Academia de Belas Artes, Raphael Mendes de
Carvalho. Celui-ci allait à Rome se perfectionner dans l’art de la peinture aux frais de l’Etat. Le
montant de la pension était fixé en quatre-vingt mille réis par mois.
Après cette décision du Gouvernement, Taunay, directeur de l’Académie, réussit à
organiser le premier concours de Prix de Voyage, le 23 octobre de la même année (1845). Dès
lors le directeur fut autorisé à organiser des concours tous les ans et le séjour des pensionnaires
fut fixé pour une durée de trois ans. L’institution du Prix de Voyage en Europe venait s’ajouter
aux Expositions Générales pour stimuler la production artistique brésilienne.
Les concours de Prix de Voyage ont eu lieu régulièrement tous les ans de 1845 à
1850. Après cette année, ils eurent lieu à des intervalles irréguliers. L’Académie passa par une
réforme en 1855 et les nouveaux statuts déterminèrent la réalisation des concours tous les trois
ans. Cette consigne fut relativement respectée jusqu’en 1878. Ensuite, il y eut un grand
intervalle de neuf ans et le concours suivant fut réalisé en 1887. 30 Ce concours de 1887 fut le
dernier de la période monarchique. Au total, depuis la création du Prix de Voyage en 1845 et
jusqu’à la fin de l’existence de l’Academia Imperial, quinze concours furent réalisés le long
d’une période de quarante-cinq ans.
Le concours suivant eut lieu en 1892, déjà sous le régime républicain. La période qui
précéda la proclamation de la République fut marquée par des agitations dans le domaine
“ Iniciaram-se então as exposições públicas e oficiais e instituíram-se prêmios para os
expositores que nelas mais se distinguissem. E não se fizeram esperar os salutares efeitos
destas primeiras medidas: - abre-se à vida artística um período de fecunda animação. Realizaram-se anualmente exposições públicas e gerais até 1850, sem interrupção, com a concorrência de artistas nacionais e estrangeiros, todos devidamente recompensados nos seus méritos.
Almeida Torres, ministro do Império (...), acentuando as vantagens desses prêmios, disse que
‘a Munificência imperial galardoando com distinções os autores das principais obras que figuravam nas exposições anuais da Academia de Belas Artes, ía despertando entre os que as
cultivavam, salutar rivalidade, e estimulando os alunos a se esforçarem por merecê-las.’ ”
29
-L’arrêté du 17 septembre 1845 fut signé par l’empereur Dom Pedro II et par le Ministre de
l’Empire José Carlos Pereira de Almeida Torres, le second Vicomte de Macaé (Adolpho
Morales de los Rios Filho. Grandjean de Montigny e a evolução da arte brasileira. Rio de
Janeiro, A Noite, 1941. p.161)
30
- Les dates précises de chaque concours, les noms des lauréats et d’autres renseignements
plus détaillés seront donnés dans le chapitre 5 - Les artistes brésiliens pensionnaires en
Europe (1845 à 1887).
35
politique. Cette agitation se refléta au sein de l’Académie, et celle-ci fera l’objet d’une nouvelle
réforme.31 Le nom de l’Academia Imperial de Belas Artes change et elle devient l’Escola
Nacional de Belas Artes. Les Expositions Générales, dont la réalisation avait été très
irrégulière – après l'exposition de 1884, la suivante eu lieu seulement en 1890 - sont rétablies et
un nouvel acte gouvernemental crée le Prix de Voyage décerné au meilleur exposant. Si
jusque-là seuls les élèves de l’Académie pouvaient se présenter aux concours de Prix de
Voyage, à partir de ce moment deux Prix vont coexister, l’un réservé aux élèves de l’Ecole,
héritière de l’ancienne Académie, et l’autre accessible à tous les artistes participant à
l’Exposition Générale annuelle.
Cependant, il faut souligner que la plupart des lauréats du Prix de Voyage de
l’Exposition furent des élèves auditeurs libres à l’Ecole. C’est-à-dire, des élèves non
immatriculés, mais qui suivaient les cours des professeurs à l’Escola Nacional de Belas Artes.
Cette pratique d’admettre des élèves non immatriculés était courante depuis l’époque de
l’Academia Imperial. C’était un usage dont bénéficiaient les élèves les plus démunis qui
n’avaient pas les moyens de payer les droits d’inscription, ou ceux qui n’étaient pas
suffisamment préparés pour passer avec succès les épreuves littéraires qui faisaient partie des
concours d’admission. Ces élèves étaient reçus après avoir réalisé un dessin d’après un modèle
antique.
Dans un texte sur l’enseignement des Beaux-Arts publié en 1915, Modesto Brocos
(1852-1936), ancien élève et plus tard professeur à l’Escola de Belas Artes, fait l’éloge de
cette pratique, disparue après la réforme de 1911. De plus il affirme que tous les Prix de
Voyage des Expositions Générales ont été remportés par ces élèves non immatriculés. Il
convient de citer :
Combien de noms aujourd’hui reconnus et honorés sont redevables de la
pratique de l’audition libre permise par les règlements de 1890 et de 1901,
période pendant laquelle ils ont étudié à l’Ecole! Si cette pratique n’avait pas
existé, les dispositions artistiques de ces jeunes auraient échoué et le Brésil
n’aurait pas eu la satisfaction de les voir devenir des artistes consacrés.
Citons les noms de Corrêa Lima, Helios Seelinger, Fernandes Machado,
Freitas, Latour, les Chambellands, les Thimoteos, le caricaturiste Calixto et
31
- À propos des bouleversements qui ont eu lieu à l’intérieur de l’Academia Imperial de
Belas Artes pendant le passage du régime monarchique au régime républicain, voir ensuite,
dans la deuxième partie de ce travail, le chapitre Le Concours du Prix de Voyage de 1892 :
les antécédents.
36
bien d’autres, tous des auditeurs libres. En outre, il faut rappeler que toutes
les bourses de voyage des Expositions Générales des Beaux Arts ont été
obtenues par les élèves qui n’étaient pas immatriculés à l’Ecole. 32
On voit que le prestige et le pouvoir de l’École étaient grands. Même les prix
décernés à l’Exposition Générale revenaient à ses élèves.
Les concours des Prix de Voyage de l’Escola Nacional de Belas Artes eurent lieu
tous les ans, de 1892 à 1896. Après cette année-là, il advint une interruption. Ce n’est qu’en
1899 qu’un nouveau concours fut réalisé, suivi d’un autre en 1900. Par la suite, il y eut une
nouvelle interruption qui dura pendant cinq ans. Les concours furent repris en 1906, et à partir
de 1908 ils se succédèrent tous les ans jusqu’en 1913.33 Ensuite, à nouveau, les concours furent
suspendus pendant trois ans. Après cela, trois concours successifs eurent lieu en 1916, 1917 et
1918. A partir de 1920 les concours recommencèrent, toujours avec des intervalles irréguliers,
jusqu’en 1933.
La remise du Prix décerné à l’Exposition Générale fut plus régulière que celle du Prix
de Voyage de l’Ecole. Le premier de ces concours eut lieu en 1894. Après cela, de 1898 à
1930, chaque année, un lauréat choisi parmi les exposants fut envoyé à l’étranger. En 1931 il
n’y a pas eu de remise du Prix de Voyage. En 1933 la création du Salão Nacional34 vient
remplacer les Expositions Générales, mais le Prix de Voyage continue à être décerné au
meilleur exposant. À partir de cette date, chaque année, régulièrement, un lauréat a bénéficié
du Prix de Voyage du Salon.35
32
- BROCOS, Modesto. A questão do ensino de Belas Artes, seguido da crítica sobre a direção Bernardelli e justificação do autor. Rio de Janeiro, 1915. (p.p.12 et 13)
“ Quantos nomes hoje conhecidos e laureados devem-no à livre freqüência permitida nos regulamentos de 1890 e de 1901, em cuja vigência estudaram! Não fosse ela consentida, que as
disposições artísticas desses moços ter-se-iam malogrado e o Brasil não teria a satisfação de
vê-los artistas consagrados. Citemos para demonstra-lo os nomes de Corrêa Lima, Helios
Seelinger, Fernandes Machado, Freitas, Latour, os Chambellands, os Thimoteos, o caricaturista Calixto e outros, que foram todos alunos de livre freqüência.
Acresce ainda, que todas as bolsas de viagem das Exposições Gerais de Belas Artes, foram obtidas pelos alunos não matriculados na Escola. ”
33
- Il n’a pas eu de concours en 1907 et en 1909 aucun étudiant fut envoyé en Europe car le
candidat unique ne fut pas considéré au niveau d’être lauréat.
34
- Le Salão Nacional fut créé par l’Arrêté n. 22.897, du 6 juillet 1933.
35
- Jusqu’en 1974 le Prix eut une valeur reconnue et permettait aux lauréats de vivre à
l’étranger pendant deux ans. Après cette date, la somme commence à être insuffisante. En
1979, la somme ne permettait même pas de rester un mois à l’étranger et la valeur du Prix
devient symbolique. Enfin, l’esprit de cette récompense avait changé complètement, ce qui
est naturel, après un si long temps d'existence.
37
Les Expositions Générales des Beaux-Arts et les Prix de Voyage à l’étranger furent
les moteurs du mouvement artistique brésilien pendant la période du Segundo Reinado36, et
subsistèrent jusqu’à la dernière décennie du XIXe siècle, déjà dans les premières années de la
République. Selon Campofiorito, ces deux instruments (les Expositions Générales et les Prix
de Voyage) favorisèrent paradoxalement deux orientations contradictoires : d’une part, ils
furent un élément d’actualisation des méthodes conventionnelles d’apprentissage, mais d’autre
part ils renfermèrent les artistes dans un ensemble de règles et possibilités prévues à l’avance.
Ainsi, ils aidaient au maintien de la discipline académique. 37 Ce point de vue est partagé par
d’autres auteurs et on y reviendra, dans le chapitre 4 - La Signification du Prix.
Penchons-nous maintenant sur les règlements des concours, en examinant les
changements qui s’y sont produits au cours des décennies et en vérifiant s’il y a des différences
entre ce qui était déterminé dans les règlements et la pratique.
2.1 - Les concours des Prix de Voyage, les règlements et leur mise en oeuvre
Comment se déroulaient les concours de Prix de Voyage ? Quelles étaient les
épreuves proposées aux concurrents ? Ces questions ont plus d’une réponse. Les concours de
Prix de Voyage, malgré quelques caractéristiques qui restèrent immuables, n’ont pas toujours
obéi aux mêmes règles. L’Academia Imperial et ensuite l’Escola Nacional de Belas Artes
connurent plusieurs réformes au long des années. Ces réformes entraînèrent à chaque fois de
nouveaux règlements pour les concours. On se propose ici de faire une analyse des règlements
qui se sont succédé et dans la mesure du possible d’observer la façon dont les concours se
déroulaient en réalité. On examinera les règlements de 1855, 1892 (qui se rapporte à la réforme
de 1890), et ceux de 1901 et 1911.
On a vu que les concours de Prix de Voyage furent instaurés sous la direction de
Félix-Émile Taunay, plus précisément en l’année de 1845. Pourtant, la première réglementation
Sur les Prix de Voyage du Salon décernés entre 1934 et 1976, consulter : SIQUEIRA, Dylla
Rodrigues de. 42 anos de premiações nos salões oficiais (1934/1976). Funarte, Rio de Janeiro, 1980.
À propos des Prix décernés entre 1940 et 1982, voir : MEC/Secretaria da Cultura/ FUNARTE. Arte Moderna no Salão Nacional, 1940/1982. 6o Salão nacional de Artes Plásticas,
Sala Especial. Rio de Janeiro, 1983.
36
- Le “ Segundo Reinado ”, ou Second Règne, c’est la période du règne de Dom Pedro II, et
s’étend de 1840 à 1889. Le 15 novembre 1889 la République est proclamée.
37
- Campofiorito. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.98.
38
rigoureuse des concours n’eut lieu qu’en 1855, avec la Reforma Pedreira. Cette réforme a
suivi l’orientation donnée par le directeur Manuel de Araújo Porto-Alegre qui a voulu
renforcer le contrôle sur les pensionnaires de l’Etat en Europe.
Avant de devenir directeur et de réaliser la réforme de 1855, Porto-Alegre était
professeur à l’Académie. En 1849 il démissionna, à la suite d’un conflit avec le directeur FélixÉmile Taunay38, et commença à faire paraître dans la presse des articles dénonçant ce qu’il
considérait comme la décadence de l’Académie. En août 1853, l’empereur Dom Pedro II invita
Manuel de Araújo Porto-Alegre à exposer ses idées sur l’enseignement des Beaux-Arts. Celuici, accepta l’invitation et écrivit un mémoire39 où il défendait ses idées pour une nouvelle
organisation de l’Académie. En 1854 il fut nommé directeur de l’Academia Imperial, et
promut la réforme de l’enseignement artistique. Afin d’actualiser l’Académie brésilienne,
Porto-Alegre s’inspira des modèles qu’il avait connus pendant son séjour en Europe.
Penchons-nous donc sur les déterminations des statuts de 1855 au sujet des Prix de
Voyage. Dans l’article 10 du Titre IV “ À propos des travaux académiques ”, les buts de
l’institution sont présentés et les activités de l’Académie sont énumérées de la manière
suivante :
Art. 10 - L’Académie des Beaux-Arts pour exécuter les objectifs de son
institution et dans le dessein de promouvoir le progrès des Arts au Brésil, de
combattre les fautes qui y ont été introduites en matière de goût, de donner à
tous les artefacts de l’industrie nationale la perfection convenable, (...),
appliquera les moyens suivants :
1 - L’enseignement théorique et pratique des disciplines déterminées dans
l’article 4.
2 - Les concours publics et privés ;
3 - Les Expositions Publiques ;
4 - Les prix aux meilleurs travaux artistiques ;
5 - Les voyages de ses meilleurs élèves en Europe, afin de se perfectionner ;
38
- Le conflit éclate lors du concours de Prix de Voyage de 1849. Voir les données sur ce
concours, dont le lauréat fut le peintre Jean Léon Grandjean Pallière Ferreira, dans l’annexe
1 - Fiches de renseignements sur les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à
1887).
39
- En effet Manuel de Araújo Porto-Alegre a écrit deux mémoires : “ Apontamentos para a
organização da Academia Imperial de Belas Artes feitos por ordem de Sua Majestade O Senhor Dom Pedro II ”, daté du 29 novembre 1853 [Arquivo Nacional - IE7 - 15, pages 107 à
124], et “ Apontamentos sobre os meios práticos de desenvolver o gosto e a necessidade das
Belas Artes no Rio de Janeiro ”, daté du 4 décembre 1853 [Arquivo Nacional - Códice 807,
v.14]. Le deuxième mémoire sera cité dans ce travail au chapitre “ Doléances et espoirs des
artistes et critiques brésiliens du XIXe siècle ”.
39
6 - L’application à l’industrie nationale des disciplines qui forment son
programme d’enseignement ;
7 - La création d’une bibliothèque spécialisée;
8 - Des réunions publiques dans lesquelles on lira des écrits sur les arts et
on discutera des matières concernant leur progrès ;
9 - La publication d’un périodique qui contiendra des textes et des estampes
appropriées.40
On observe que les voyages des élèves étaient considérés comme l’un des moyens
parmi d’autres utilisés par l’Académie dans le dessein de promouvoir le progrès des Arts au
Brésil. Des règles précises sur le Prix de Voyage sont données dans les articles suivants :
Titre VI - À propos des prix
Art. 70 - Les prix remis par l’Académie seront de premier, deuxième et
troisième ordre.
Le prix de premier ordre sera donné au meilleur élève brésilien de
l’Académie. L’élève recevra une pension annuelle en Europe pendant le
temps désigné dans l’article 76.
(...)
Titre VII - À propos des pensionnaires de l’Etat
Art. 75 - Les Concours pour le prix de premier ordre auront lieu toujours
après la fin de l’Exposition annuelle et après la clôture de l’année scolaire.
Cette mesure aura lieu jusqu’à ce que l’Académie puisse bénéficier de locaux
appropriés à ce type de concours.
Art. 76 - Tous les trois ans un pensionnaire partira pour l’Europe, où il
restera pendant six ans s’il est peintre d’histoire, sculpteur ou architecte, et
quatre ans s’il est graveur ou paysagiste. 41
40
- Statuts de l’Académie des Beaux-Arts - Arrêté n. 1603 du 14 mai 1855, signé par le
Ministre Luiz Pedreira do Couto Ferraz, reproduit dans la Revista Crítica de Arte, n.4. Rio
de Janeiro, dezembro 1981. (p. 36)
“ Art. 10 - A Academia das Belas Artes no desempenho do fim de sua instituição, e no
intuito de promover o progresso das Artes no Brasil, de combater os erros introduzidos
em matéria de gosto, de dar a todos os artefatos da indústria nacional a conveniente
perfeição, e enfim no de auxiliar o Governo em tão importante objeto, empregará na
proporção dos recursos que tiver os seguintes meios : 1. O ensino teórico e prático das
matérias declaradas no art. 4 o ; 2. Concursos públicos e particulares ; 3. Exposições públicas ; 4. Prêmios aos melhores trabalhos artísticos ; 5. Viagens de seus alunos mais
distintos à Europa a fim de se aperfeiçoarem ; 6. Aplicação das matérias que formam o
plano do seu ensino à indústria nacional ; 7. Uma Biblioteca especial ao objeto de sua
instituição ; 8. Sessões públicas, em que se leiam escritos sobre as artes, e se discutam
matérias concernentes ao seu progresso ; 9. Publicação de um periódico constando de
texto e estampas apropriadas
41
- Idem, (p. 42.)
40
On observe que l’Académie ne disposait pas d’espace suffisant pour la réalisation des
concours. Il fallait attendre la fin de l’année scolaire et de l’Exposition Générale pour avoir des
salles libres adéquates à l’exécution des épreuves. Par ailleurs, il faut souligner la décision de
“ Título VI - Dos Prêmios. Art. 70 - Os prêmios conferidos pela Academia serão de 1a
, 2 a e 3a ordem. O de primeira ordem será dado ao aluno brasileiro mais distinto da
Academia, e constará de uma Pensão anual na Europa pelo tempo que lhe for designado na conformidade do Art. 76. (...) Título VII - Dos Pensionistas do Estado. Art. 75 Os Concursos para prêmio de primeira Ordem só se farão depois da Exposição anual,
de que trata o artigo 64 e depois de fechada a Academia. Esta disposição só terá vigor
enquanto não houver no edifício os cômodos próprios para esta sorte de concursos.
Art. 76 - De três em três anos partirá um Pensionista, o qual ficará seis anos na Europa
se for Pintor Histórico, Escultor, ou Arquiteto, e quatro se for Gravador ou Paisagista.
41
ne pas réaliser des concours tous les ans. Cela faisait une différence par rapport à la période
antérieure, car entre 1845 et 1850, un concours avait eu lieu chaque année. Sur ce point,
l’énoncé est très clair, l’arrêté déterminait que les concours seraient réalisés tous les trois ans.
Néanmoins, on trouve dans des textes récents des interprétations erronées à ce propos. On fait
référence spécialement à l’interprétation de José Carlos Durand qui, dans son livre Arte, Privilégio e Distinção..., écrit :
Il semble que le régime de pensionnat reformé par Araújo Porto-Alegre n’ait
pas aussitôt réussi à mettre en oeuvre des conditions objectives qui auraient
permis d’implanter et de créer une routine des voyages de
‘ perfectionnement’ . En effet il y eut seulement sept concours de Prix de
Voyage entre 1852 et 1879 ; la même quantité, d’ailleurs, que de 1845 à
1852. Evidemment, une telle discontinuité se doit aux difficultés de budget et
aux disputes politiques et administratives internes qui ont toujours joué
contre la consolidation des concours. 42
Or, cette “ discontinuité ” était prévue par les statuts. Il n’y a rien d’inattendu ici ; les
sept concours de la période eurent lieu selon le règlement. Les disputes et difficultés
financières peuvent avoir joué contre la réalisation des concours entre 1855 et 1860, mais non
pas après cette date. En effet, après la réforme de 1855 le premier concours de Prix de Voyage
n’a eu lieu qu’en 1860. À partir de cette date-là les concours furent réalisés plus ou moins
selon la fréquence déterminée par l’arrêté, c’est-à-dire en 1862, 1865, 1868, 1871, 1876 et
1878. La situation n’est devenue précaire qu’après 1878. Alors, il a fallu attendre neuf ans
pour qu’un nouveau concours voie le jour en 1887.
L’analyse des statuts contredit ainsi la version de Durand. Ce qu’elle vient confirmer,
par contre, c’est la préférence marquée de l’Académie pour les peintres d’histoire, au préjudice
des paysagistes. La durée du séjour, variant selon la spécialité du pensionnaire, était de six ans
pour les peintres d’histoire, sculpteurs ou architectes, et de quatre ans pour les graveurs et
paysagistes. Cette différence montre bien les priorités de l’Académie.
42
- DURAND, p.10.
“ Mas, parece que o regime de pensionato reformulado por Araújo Porto-Alegre não
logrou desde logo condições objetivas para implantar e rotinizar as viagens de “ aperfeiçoamento ”. Afinal houve apenas sete concursos com prêmios de viagem entre 1852
e 1879 ; o mesmo número, aliás, que entre 1845 e 1852. Tal descontinuidade certamente tem a ver com carências orçamentárias e discórdias políticas e administrativas internas que sempre dificultaram sua consolidação. ”
42
Une autre idée courante qui se confirme après l’examen des instructions données aux
pensionnaires à la suite de l’arrêté de 1855, est celle selon laquelle la destination de Paris fut
privilégiée et renforcée à cette époque. En effet, la réforme fixait une permanence de trois
années en France, et la visite aux grands centres d’art européens, surtout en Italie, était
réservée aux années qui restaient. C’est ce que l’on constate à la lecture de l’extrait cidessous :
L’élève de l’Académie qui obtiendra le prix de premier ordre étudiera aux
dépens de l’Etat et aura une pension annuelle de trois mille francs, payés
par trimestres anticipés ; (...). Le pensionnaire, 15 jours après son arrivée à
Paris, choisira un maître et fera connaître son choix au ministre du Brésil
qui doit le présenter et le recommander. (...).
Celui qui aura accompli de façon satisfaisante ses obligations en France
pendant trois ans, pourra voyager. Pour cela, il recevra une aide
supplémentaire de trois cents francs, outre sa pension. (...).
43
Les paysagistes et les graveurs, après un séjour de trois années en France,
partiront pour l’Italie où ils resteront le temps nécessaire à leurs études. Ils
pourront de même partager la dernière année entre l’Italie et d’autres pays.
(...). Les peintres d’histoire, les sculpteurs et les architectes, devront rester
en Italie pour exécuter les travaux déterminés dans ces instructions. Après
quoi ils pourront partir connaître d’autres pays. Ils ne s’absenteront pas de
Rome sans la permission du ministre du Brésil, et ceux qui l’auront fait
perdront leur pension.(...). En tout cas, ils devront travailler à Rome
pendant un an et demi, au minimum. 43
On voit que les instructions obligeaient les pensionnaires à accomplir trois années
d’études à Paris avant de partir en Italie. Les paysagistes et les graveurs avaient une plus
grande liberté de mouvement. Après le séjour parisien, il leur était permis de partager la
dernière année entre l’Italie et d’autres pays de leur choix. Quant aux peintres d’histoire,
sculpteurs et architectes, après leur séjour à Paris ils devaient accomplir un séjour encore très
suivi en Italie. Mais après s’être acquittés de leurs obligations, eux aussi pouvaient parcourir
d’autres pays.
Dans la pratique, le choix de Paris comme lieu d’études des pensionnaires se
confirme jusqu’en 1865. Si l’on examine la destination des pensionnaires, on vérifie que ceux
qui sont partis en 1860, 62 et 65, sont venus étudier à Paris. Mais les pensionnaires des années
1868, 1871 et 1876 se sont établis à Rome et n’ont pas suivi d’études à Paris. Celui de 1878 et
les deux lauréats de 188744, par contre, ont respecté la destination parisienne indiquée dans ces
instructions.
43
- PRIMITIVO MOACYR. A Instrução e o Império : Subsídios para a História da Educação no Brasil : 1850-1855. Companhia Editora Nacional, São Paulo, 1936-1938, pp. 177,
178. Cité par DURAND. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855 / 1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p.p.11 et 12)
“ O aluno da Academia que obtiver o prêmio de primeira ordem irá estudar à custa do Estado, e terá uma pensão anual de três mil francos, pagos em trimestres, adiantados ; (...). O
pensionista quinze dias depois de chegar a Paris escolherá um mestre e participará ao ministro do Brasil para que este o apresente e recomende. (...). O que tiver satisfatoriamente cumprido com os seus deveres em França durante três anos, poderá viajar, para o que receberá
uma ajuda de custo de trezentos francos, a qual não fará parte de sua pensão. (...). Os paisagistas e gravadores, depois de três anos em França, partirão para a Itália onde se demorarão
o tempo necessário a seus estudos, podendo dividir este último ano por outros países. (...).
Os pintores históricos, escultores e arquitetos, deverão demorar-se na Itália, para executarem
os trabalhos prescritos nestas instruções, findos os quais poderão viajar por outros países.
Não se ausentarão de Roma sem licença do ministro do Brasil, e os que o fizerem perderão a
pensão. (...) devendo em todo caso demorar-se em Roma pelo menos ano e meio. ”
44
- En 1887, il y avait deux places disponibles de pensionnaires en Europe et le concours de
cette année eut deux lauréats.
44
Cette destination déterminée d’avance et toujours la même pour tous les
pensionnaires va disparaître après la réforme de 1890. On verra qu’à partir du concours de
1892, à chaque fois, le jury était chargé de délibérer sur le lieu d’études du pensionnaire en
Europe. Cette modification fut l’une de celles apportées par le nouveau règlement. Mais avant
d’y revenir il convient de présenter l’ensemble des nouvelles règles.
Dans la partie précédente, Historique des Prix de Voyage, on a déjà abordé les
changements qui eurent lieu au sein de l’Académie après la Proclamation de la République, en
novembre 1889. L’Académie fit l’objet d’une nouvelle réforme et le 8 novembre 1890 l’arrêté
n. 983 établit les nouveaux statuts de l’Escola Nacional de Belas Artes. Le grand changement,
et l’on en a déjà parlé, ce fut la création du Prix de Voyage des Expositions Générales. Dans le
Titre IX des statuts de 1890, sous l’intitulé À propos des expositions générales, on peut lire :
Art. 56 - L’Escola Nacional cédera une partie de son édifice pour la
réalisation d’une exposition annuelle qui sera ouverte aux artistes brésiliens
et étrangers qui désirent montrer leurs travaux. Le Conseil Supérieur des
Beaux-Arts va diriger cette exposition et pourra concéder des prix
semblables aux prix décernés par l’Escola Nacional, et même d’autres prix
jugés utiles pour animer le mouvement artistique.
Le Prix de voyage ne pourra être attribué qu’aux artistes de nationalité
brésilienne et âgés de moins de trente ans. 45
Ces statuts ne contiennent pas d’autres informations ou règles concernant le Prix de
Voyage de l’Ecole. Ce n’est que dans le “ Règlement des concours de l’Escola Nacional de
Belas Artes, pour les places de pensionnaire de l’Etat en Europe ”, daté d’octobre 1892, que
45
- “ Título IX - Das Exposições Gerais. Art. 56 - A Escola Nacional cederá uma parte do
seu edifício para uma exposição, todos os anos, à qual poderão concorrer artistas nacionais e
estrangeiros que desejem exibir os seus trabalhos. O movimento destas exposições gerais
será dirigido pelo conselho superior de belas artes, que poderá conferir aos expositores que
concorrerem, prêmios semelhantes aos que confere a Escola Nacional e os mais que forem
julgados convenientes para a animação do movimento artístico. O prêmio de viagem é dependente da condição de ser o artista premiado de nacionalidade brasileira e de ter idade menor de trinta anos. ”
45
l’on trouvera des orientations plus précises. C’est alors qu’un nouveau concours de Prix de
Voyage sera organisé et que de nouvelles règles seront établies. Le premier changement par
rapport au règlement de la période monarchique concernera la fréquence des concours et la
durée des pensions. Les passages de ce règlement qui nous intéressent particulièrement sont les
suivants :
Chapitre 1
Art. 1o - Il y aura tous les ans un concours de Prix de Voyage en Europe.
Art. 2o - Le lauréat de ce prix recevra une pension pendant la période de
cinq ans maximum.
o
Art. 3 - Les concours seront réalisés dans l’ordre suivant : 1ère année,
peinture ; 2ème année, sculpture ; 3ème année, architecture ; 4ème
année, gravure.
o
Art. 4 - Les concours auront lieu dans le premier ou dans le dernier
trimestre de chaque année scolaire et ils auront une durée d’un
minimum de trente jours pour la peinture, la sculpture et la
gravure en médailles, et de soixante jours pour l’architecture.
o
Art. 5
- Le concours sera annoncé un mois avant son exécution et
l’inscription se fera par le moyen d’une demande au Directeur.
Art. 6 o - Les concours seront réalisés conformément à ce qui est déterminé
dans l’article 3 o.
Art. 7 o - Le concurrent qui aura reçu le prix devra partir en voyage dans
un délai de trois mois maximum. Au delà de ce délai, le lauréat
perdra ses droits et le concours sera considéré comme nul et non
avenu, sauf dans les cas de force majeure prouvée et justifiée par
le concurrent.
o
Art. 8 - Dans le cas d’inexistence de concurrents dans la discipline
déterminée par l’ordre des concours, on passera à la discipline
suivante en respectant l’ordre établi dans l’article 3 o . Cependant
les concours de gravure ne devront jamais se succéder dans un
intervalle de moins de trois ans.
Chapitre 2 - Des conditions de l’admission
Pour l’admission aux concours, le candidat doit prouver :
1 o - Etre citoyen brésilien âgé de moins de trente ans.
2o - Etre instruit aux cours spéciaux de cette école ; excepté ceux qui
appartenaient à l’ancienne Académie.
o
3 - Ne pas avoir suivi d’études en dehors du territoire de la République.
Chapitre 3 - Des épreuves du concours
Les épreuves du concours seront exclusivement pratiques et consisteront en
ce qui est déterminé dans le chapitre 4.
46
Chapitre 4 - Les épreuves du concours de voyage
Élèves de peinture
Les élèves de peinture devront se présenter aux épreuves suivantes :
1ère épreuve - dessin de modèle vivant, réalisé au cours de deux séances d’une
durée de trois heures chacune ; le jugement se fera en
présence du modèle. Cette épreuve est éliminatoire.
ème
2 épreuve - modèle vivant peint. Dimension de l’oeuvre : moitié de la
grandeur nature. L’épreuve durera trente jours, et à chaque
jour la durée de la séance sera de trois heures.
3ème épreuve - Esquisse d’une composition de thème mythologique, biblique
ou historique, tiré au sort au moment du concours parmi les
dix sujets préparés d’avance par les professeurs des cours
techniques. L’exécution prendra huit heures pendant
lesquelles les élèves travailleront isolés et sans aucune
communication externe.
(...)
Chapitre 5 - Du jugement des concours de voyage
Art.1 o - Le jury du concours sera composé de trois membres, professeurs de
la section choisie (peinture, sculpture, architecture ou gravure).
Art. 2 o - Dans le cas de manque d’un membre, le Directeur indiquera l’un
des professeurs de l’École, selon l’article 18 des statuts, pour
compléter le jury.
Art. 3 o - Le Directeur présidera aux travaux du jury, assisté par le
Secrétaire de l’Ecole et s’abstiendra de voter.
o
Art. 4 - Le vote devra être déclaré et motivé. Le jury fixera le lieu de
permanence du pensionnaire et ensuite demandera l’approbation
du Conseil des Professeurs de l’Ecole.
o
Art. 5 - À la fin des épreuves du concours, dans un délai de 48 heures, une
exposition des travaux des concurrents sera réalisée.
o
Art. 6 - Cette exposition aura lieu pendant huit jours et sera interrompue
l’espace d’une journée pour que le jugement puisse se faire.
Art. 7 o - Dans le cas où il y aurait deux ou plus de deux concurrents de
même niveau on gardera celui qui aura obtenu le plus de
récompenses à l’Ecole. Si l’égalité se maintient, on choisira le plus
âgé.
o
Art. 8 - Dans le cas où il n’y aurait qu’un seul concurrent le concours
pourra être ajourné, et aura lieu, au plus tard, dans trente jours.
47
Art. 9
o
- Si l’un des concurrents n’accepte pas le jugement il pourra faire
appel au Directeur, lequel pourra réunir le Conseil Supérieur des
48
Beaux-Arts pour solutionner l’affaire. 46
A la lecture de ce règlement, on observe une série de différences par rapport à la
pratique antérieure. La première concerne la fréquence des concours. À partir de cette date, ils
auront lieu tous les ans au lieu de tous les trois ans comme dans le règlement précédent. En
réalité cela représentait un retour au système qui avait prévalu entre 1845 et 1850.
46
- Regulamento para o processo dos concursos, na Escola Nacional de Belas Artes, para
os lugares de pensionistas do Estado na Europa, a que se refere o aviso desta data. Capital
Federal (Rio de Janeiro), 26 de Outubro de 1892. “ Capítulo 1o - Art. 1 - Haverá anualmente
um concurso para prêmio de viagem à Europa. Art. 2 - Este prêmio consistirá em uma pensão durante o prazo improrrogável de cinco anos. Art. 3 - Os concursos serão feitos na ordem seguinte : 1o Ano, pintura ; 2 o ano, escultura ; 3 o ano, arquitetura ; 4 o ano, gravura.
Art. 4 - Os concursos efetuar-se-ão no primeiro ou no último trimestre do ano escolar e não
durarão menos de trinta dias para pintura, escultura e gravura em medalhas, e de sessenta
dias para arquitetura. Art. 5 - O concurso será anunciado com um mês de antecedência e a
inscrição se fará por meio de requerimento ao Diretor. Art. 6 - Os concursos serão feitos
conforme determina o art. 3 o. Art. 7 - O concorrente que obtiver o prêmio deverá seguir viagem dentro do prazo de três meses, findo o qual o premiado perderá seus direitos e considerar-se-á sem efeito o concurso, salvo caso de força maior de que o concorrente dará provas
justificativas. Art. 8 - Não havendo concorrente na matéria em que deve efetuar-se o concurso, passar-se-á à seguinte, e assim sucessivamente, conforme a ordem estabelecida no artigo
3o, entendendo-se porém que os concursos de gravura nunca se sucederão com intervalo menor de três anos. Capítulo 2 o - Das condições de admissão - Para a admissão nos concursos
provará o candidato : 1o ser cidadão brasileiro e menor de trinta anos de idade. 2 o estar habilitado aos cursos especiais desta escola ; excetuados os que forem da antiga Academia. 3 o
que não tenha feito estudos fora do território da República. Capítulo 3 o - Das provas do
concurso - As provas de concursos serão exclusivamente práticas e constarão do disposto no
capítulo 6 o. Capítulo 4 o - Provas dos concursos de viagem - Alunos de pintura - Os alunos
de pintura serão obrigados a prestar as seguintes provas : 1a Prova de modelo vivo em duas
sessões de três horas cada uma : o julgamento far-se-á com o modelo presente. Esta prova é
eliminatória. 2a Prova de modelo vivo pintado, metade do tamanho natural, trabalhando quatro horas por dia, durando a prova trinta dias. 3a Composição em esboço de um ponto mitológico, bíblico ou histórico, tirado à sorte dentre dez organizados no ato do concurso pelos
professores dos cursos técnicos. A execução durará oito horas, durante as quais os alunos se
acharão isolados e sem comunicação alguma externa. (...). Capítulo 5 o - Do julgamento dos
concursos para viagem - Art. 1 - A comissão julgadora do concurso será composta de três
membros da sessão em que se proceder o concurso. Art. 2 - Na falta de algum membro, o
Diretor nomeará para completar o número dentre os professores da Escola especializados
pelo art. 18 dos estatutos. Art. 3 - O Diretor presidirá os trabalhos da comissão auxiliado
pelo Secretário da Escola e se absterá de votar. Art. 4 - O voto será motivado. A comissão
marcará o lugar de permanência do pensionista apresentando em seguida à aprovação do
Conselho Escolar. Art. 5 - Concluído o concurso proceder-se-á à exposição dos trabalhos
antes de 48 horas. Art. 6 - Esta exposição durará oito dias dentro dos quais o Diretor a suspenderá por um dia para proceder ao julgamento. Art. 7 - Se dois ou mais concorrentes se
49
La deuxième différence porte sur la durée du séjour en Europe, qui passe à cinq ans
pour tous les lauréats confondus, peintres, architectes, graveurs ou sculpteurs.47 La troisième
différence est explicitée dans l’article où il est établi que “ les concours seront réalisés dans
l’ordre suivant : 1ère année, peinture ; 2ème année, sculpture ; 3ème année, architecture ; 4ème
année, gravure ”. Sur ce point, on peut faire deux remarques. La première concerne un usage
consacré par l’Academia Imperial dans le déroulement des concours pendant la période
monarchique. À ce moment-là il était fréquent que des concurrents de spécialités différentes
disputassent la même pension. Par exemple, en 1845, année du premier concours de Prix de
Voyage, sept élèves entrèrent en concurrence: Maximiniano Mafra et Paulo José Freire,
peintres d’histoire ; Virginius Alves de Brito et Francisco Ferreira Serpa, paysagistes ;
Francisco Elydeo Pamphyro et Antunes Teixeira, sculpteurs ; et Antônio Baptista da Rocha,
l’architecte lauréat, élève de Grandjean de Montigny.48
De même, le lauréat de 1860, Joaquim José da Silva Guimarães, graveur en
médailles, eut comme concurrents un peintre d’histoire et un architecte. En 1862, l’architecte
José Rodrigues Moreira Júnior a obtenu le prix après l’avoir disputé à un sculpteur. En 1865,
Almeida Reis, le sculpteur lauréat, eut comme concurrents un peintre d’histoire et un
paysagiste. En 1871, Heitor Branco de Cordoville, architecte, fut le lauréat. Un peintre
d’histoire fut le concurrent vaincu. En 1878, un peintre d’histoire et un paysagiste disputèrent
le prix au lauréat
encontrarem em mérito igual, nomear-se-á aquele que houver obtido maiores recompensas
na Escola, e se ainda assim empatar, irá aquele de maior idade. Art. 8 - Havendo um só concorrente, o concurso poderá ser adiado até 30 dias. Art. 9 - Se algum dos concorrentes não
se conformar com o julgamento poderá recorrer ao Diretor, o qual poderá reunir o Conselho
Superior das Belas Artes. ”
47
- Il faut cependant souligner que de nombreux lauréats réussissaient à obtenir de longues
prolongations de leur séjour en Europe.
48
- Données citées dans l’article : “ O Prêmio de Viagem , resumo histórico ”, In : Boletim de
Belas Artes, número especial. Edição da Sociedade Brasileira de Belas Artes. Rio de Janeiro,
outubro/ novembro 1945. (p.98).
50
Rodolpho Amoedo, peintre d’histoire.49 Une exception à cette habitude eut lieu en 1868,
lorsque Zeferino da Costa, le peintre d’histoire qui a remporté le prix, fut choisi parmi quatre
autres concurrents, tous peintres d’histoire.50
On observe ainsi que l’orientation indiquée par le règlement de 1892, institué après la
réforme de 1890, de réaliser un concours pour les peintres, un autre pour les architectes, et
ainsi de suite, a été une nouveauté par rapport à la tradition.
La seconde remarque à faire, toujours à propos de cet article, contredit en partie le
texte du règlement. Car, en effet, les six premiers concours de la période républicaine ont été
disputés par des peintres. On en conclut qu’il n’y a pas eu de concurrents dans les autres
spécialités, ou bien que les artistes sculpteurs, graveurs et architectes étaient défavorisés par
rapport aux peintres. Ce n’est qu’en 1900, lors du septième concours de l’Escola Nacional de
Belas Artes, que le lauréat fut un sculpteur, une femme sculpteur, Julieta França.
La quatrième orientation qui différencie ce règlement républicain du règlement
précédent se rapporte à la destination des pensionnaires. On a vu que le règlement instauré par
Manuel de Araújo Porto-Alegre mentionnait que les artistes devaient accomplir les trois
premières années du pensionnat à Paris, et que les années restantes seraient partagées entre
Rome et d’autres villes au choix du pensionnaire. Au contraire, le règlement de 1892
déterminait que “ le jury fixera le lieu de permanence du pensionnaire et ensuite demandera
l’approbation du Conseil des Professeurs de l’Ecole ”. En examinant les procès-verbaux des
séances de jugement des concours, on constate que cela s’est effectivement passé ainsi. À
chaque fois, le jury discutait de la destination du pensionnaire et le lauréat se soumettait à cette
décision. On observe que parfois un accord était difficile, les professeurs n’étant pas tous du
même avis, et ce fut souvent le choix du directeur, Rodolpho Bernardelli, qui s’imposa51.
49
- Le procès-verbal de la séance du jugement de ce concours est cité par Laudelino (Um
Século de Pintura, p.136). Il est intéressant de noter que tous les trois peintres concurrents
ont dû réaliser un tableau historique sur le sujet “ Sacrifice offert par Abel ”. Evidemment ce
sujet bénéficiait aux peintres d’histoire.
50
- Données citées par Laudelino Freire, (Um Século de Pintura, p.p.135-137)
51
- Voir le procès-verbal de la séance du Conseil des professeurs le 10 Décembre 1894, où le
Jury du Concours de Prix de Voyage de cette année présente son rapport et décide
d’envoyer Bento Barbosa, le peintre lauréat, à Rome. Le professeur Brocos met en question
ce choix, et demande la raison de ne pas envoyer le candidat à Paris. Rodolpho Amoedo,
membre du jury se déclare de la même opinion. Le directeur, Rodolpho Bernardelli, affirme
que Rome offre des conditions également favorables au progrès des élèves, et fait de
51
Dans la séance du Conseil des professeurs, le 26 novembre 1895, par exemple, après
la lecture du rapport fait par le Jury du Concours de Voyage de l’année, le directeur Rodolpho
Bernardelli proposa que le lauréat fût envoyé étudier à Munich, “ car jusqu'à cette date les
élèves ne furent envoyés qu’à Rome ou Paris, et il n’y a pas de raisons qui justifient cette
habitude, puisque la ville proposée présente un développement progressif des beaux-arts et un
goût artistique cultivé ”. La proposition du directeur approuvée, le peintre José Fiúza
Guimarães fut envoyé à Munich.
Cependant, après trois années d’études à Munich, Fiúza Guimarães se décida à
changer de lieu d’études. La quatrième année il s’est rendu à Paris et en informa le directeur de
l’Ecole par lettre :
Monsieur le Directeur,
J’ai l’honneur de vous communiquer que je suis à Paris où je donnerai suite
à mes études... 52
Cette lettre fut lue dans la séance du Conseil des professeurs du 17 mars 1900. Le
directeur déclara que le pensionnaire Fiúza ne pouvait absolument pas changer de lieu d’études
sans une autorisation préalable de la part du Conseil. L’ensemble de professeurs fut appelé à se
prononcer sur le cas. Un long débat eut lieu, à la fin duquel, en considération de son progrès et
des bons travaux qu’il avait envoyés, le transfert du pensionnaire fut approuvé.
Quant aux épreuves du concours, le règlement de 1892 présente une modification par
rapport à la pratique antérieure. Ce changement fut la cause d’une discussion qu’eut lieu
quelques années plus tard, à propos des méthodes d’appréciation des candidats au Prix de
Voyage. On y reviendra.
Mais examinons d’abord les modifications apportées par la réforme de 1901. Un
nouveau règlement fut institué par l’arrêté n. 3987 du 13 avril 1901. En lisant l’énoncé du
chapitre X qui réglemente les concours pour les pensionnaires, on ne trouve presque aucun
changement par rapport au règlement de 1892. De l’article 140 jusqu’au 146, le texte est quasi
identique à celui des articles 1 à 8 du premier chapitre du règlement de 1892. De même, de
52
nombreux éloges à ce choix. Le rapport du Jury est voté et approuvé par le Conseil.
- Cité dans le procès-verbal de la séance du Conseil des professeurs du 17 mars 1900.
“ Exmo Sr. Diretor. Tenho a honra de participar a V. Exa. Que me acho em Paris onde
ficarei continuando os meus trabalhos... ”
52
l’article 148 jusqu'à l’article 154, aucune nouveauté ne se présente. La première différence se
trouve dans l’article 147 :
Art.147 - Pour être admis au concours le candidat doit prouver :
1o - Etre citoyen brésilien âgé de moins de trente ans.
2o - Avoir reçu la médaille d’or dont il s’agit dans l’art. 138. 53
La seconde condition n’existait pas encore en 1892. Cela peut signifier un
renforcement de la structure académique.
La seule nouveauté de ce règlement par rapport aux statuts de 1890, en ce qui
concerne les Prix de Voyage, se trouve dans le Chapitre XI où il s’agit des Expositions
Générales. En effet, ce n’est pas exactement une nouveauté, mais l’apport d’une plus grande
précision. Voici le texte :
Art.155 - L’Ecole cédera une partie de son édifice pour la réalisation d’une
exposition annuelle qui sera ouverte aux artistes brésiliens et
étrangers désirant montrer leurs travaux. Le Conseil Supérieur des
Beaux-Arts va diriger cette exposition et pourra concéder les prix
dont il s’agit dans les articles suivants.
Art.156 - Au meilleur artiste de l’Exposition, soit de la section de peinture,
de sculpture, de gravure ou d’architecture, il sera concédé un prix
de voyage semblable au Prix de Voyage des pensionnaires de
l’Ecole, mais avec la différence de ne durer que deux ans.
Art.157 - Pour obtenir ce prix il est indispensable que l’artiste soit de
nationalité brésilienne et âgé de moins de 35 ans. 54
Si l’on compare ce passage au texte des statuts de 1890, on trouve deux différences.
L’une se réfère à la limite d’âge des candidats au prix. En 1890, cette limite était de trente ans.
En 1901 les candidats âgés de trente cinq ans pouvaient envisager de concourir en vue du
53
- “ Art. 147 - Para ser admitido ao concurso provará o candidato : 1o Ser cidadão brasileiro
e menor de trinta anos de idade ; 2 o Ter a medalha de ouro de que trata o art. 138. ”
L’article 138, détermine que les élèves des cours pratiques, habiletés en concours, auront droit
aux prix suivants, selon leur mérite :1 o - Médaille d’or ; 2 o - Médaille d’argent ; 3 o Mention honorable.
54
- “ Art. 155 - A Escola cederá todos os anos uma parte do seu edifício para uma exposição,
à qual poderão concorrer artistas nacionais e estrangeiros que desejem exibir os seus trabalhos. O movimento destas exposições gerais será dirigido pelo conselho superior de belas artes, que poderá conferir aos expositores os prêmios de que tratam os artigos seguintes.
Art. 156 - Ao artista de qualquer das seções de pintura, escultura, gravura ou arquitetura,
que mais se distinguir na exposição, será concedido um prêmio de viagem como aos pensionistas da Escola, mas apenas pelo prazo de dois anos.
Art. 157 - Para obter este prêmio é indispensável que o artista seja de nacionalidade brasileira e tenha menos de 35 anos de idade. ”
53
prix. L’autre différence, c’est la précision sur la durée de la pension qui est déterminée comme
étant de deux ans. Antérieurement, le texte n'explicitait pas cette durée.
L’Ecole passa par une nouvelle réforme en 1911. Le règlement imposé par cette
réforme ne diffère pas beaucoup de celui de 1901 en ce qui concerne les concours de Prix de
Voyage. Comme auparavant, les concours devraient se réaliser tous les ans et le prix consistait
en une pension d’une durée de cinq ans en Europe. Les concours se succédaient selon le même
ordre déjà proposé : première année, peinture ; deuxième année, sculpture ; troisième année,
architecture ; quatrième année, gravure. Pour être admis au concours, le candidat devait
toujours prouver qu’il était brésilien, âgé de moins de trente ans, et qu’il avait obtenu la grande
médaille d’or. Il y avait toujours trois épreuves pour les élèves peintres, exactement les mêmes
qu’en 1892. Une petite différence se trouve dans l’article 5 du premier chapitre : le délai pour
le départ du pensionnaire avait augmenté de trois mois, désormais il pouvait partir dans un
délai de six mois à compter de la fin du concours.
Pour achever la comparaison entre les règlements successifs, il ne nous reste qu’à
revenir à la question des épreuves des concours. On a affirmé ci-dessus que le règlement de
1892 présenta une modification des épreuves par rapport à la pratique antérieure. On a dit
également que ce changement fut la cause d’une discussion à propos des méthodes
d’appréciation des candidats au Prix de Voyage. En effet, cette discussion fut entamée par
Modesto Brocos55 dans un texte de 1915 où il présente ses idées sur l’enseignement des beauxarts au Brésil.56
En écrivant à propos du concours de 1914, Modesto Brocos raconte qu’il avait été
nommé membre de la commission chargée d’organiser les instructions pour le Prix de Voyage
et les devoirs des pensionnaires. À ce moment-là, il a proposé que l’épreuve du concours de
peinture consiste en un tableau de composition où le candidat aurait pu montrer “ non
seulement ses aptitudes techniques, mais aussi son talent inventif ”. Cependant, la Commission
n’a pas accepté sa proposition. Selon Brocos, la décision finale fut de limiter l’examen à
l’exécution d’une académie peinte. Il écrit alors, en insistant sur son idée :
55
- Modesto Brocos - peintre brésilien d’origine espagnole, ancien élève de l’Academia
Imperial, il fut professeur dans l’Escola de Belas Artes.
56
- BROCOS, Modesto. A questão do ensino de Belas Artes, seguido da crítica sobre a direção Bernardelli e justificação do autor. Rio de Janeiro, 1915.
54
Je continue à penser que la peinture d’un tableau s’impose pour obtenir le
Prix de Voyage, d’ailleurs elle est exigée dans toutes les écoles européennes.
(...). La peinture d’une simple académie n’est pas suffisante pour révéler les
qualités exigées d’un futur artiste, (...). 57
Il ajoute ensuite, comme exemple, la pratique de l’Academia Imperial de Belas
Artes:
Dans l’ancienne Académie, le concours de Prix de Voyage consistait en un
tableau de sujet biblique, dans lequel les élèves pouvaient montrer les
diverses qualités qui sont exigées d’un futur artiste. Voilà, comme preuve de
cette pratique, les concours de Zeferino da Costa, qui a peint ‘ Moïse
recevant les tables de la loi’; de Amoedo, avec son ‘Abel’; de Oscar Pereira
da Silva, avec le tableau ‘La Flagellation de Jesus’. 58
L’absence d’une appréciation du talent inventif, de la capacité de composer et de
l’imagination des candidats au Prix de Voyage était donc regrettée par Brocos. Il croyait qu’il
fallait retourner aux méthodes de l’Academia Imperial, pour exiger des élèves ces qualités.
Cependant il n’est pas vrai que l’Escola Nacional de Belas Artes n’ait pas eu les
mêmes exigences. La seule différence entre les deux pratiques se trouve dans le fait que la
composition historique exigée des peintres de l’ancienne Académie était un tableau achevé,
tandis que les concurrents de la période républicaine n’exécutaient qu’une esquisse de
composition historique, après les épreuves de modèle vivant dessiné et peint.
On trouve l’origine de cette discussion dans le procès-verbal de la séance du Conseil
des professeurs de l’Escola Nacional de Belas Artes, le 9 mai 1914. À ce moment-là, le
57
- BROCOS, (p.7).
“ Continuo a pensar que a pintura de um quadro se impõe, para obter o prêmio de viagem, como aliás se o exige em todas as escolas da Europa. (...). A pintura de uma simples academia não é suficiente para serem reveladas as qualidades exigidas para um futuro artista, (...). ”
58
- BROCOS, (p.8). [Zeferino da Costa - peintre, lauréat en 1868 ; Rodolpho Amoêdo peintre, lauréat en 1878, avec son tableau Le Sacrifice d’Abel ; Oscar Pereira da Silva peintre, il fut l’un des deux lauréats du concours de 1887. Le second lauréat fut l’architecte
Ludovico Maria Berna.]
“ Na antiga Academia, o concurso ao prêmio de viagem consistia na pintura de um assunto bíblico, no qual os alunos podiam mostrar as diversas qualidades que se exigem
de um futuro artista. Aí estão para prova os concursos de Zeferino da Costa, que pintou "Moisés recebendo as tábuas da lei"; de Amoedo, com seu "Abel"; de Oscar Pereira
da Silva, com o quadro "A flagelação de Jesus". ”
55
règlement daté du 14 septembre 1911 fut examiné et approuvé par l’ensemble de professeurs,
sauf par Modesto Brocos.
Examinons le texte de l’article neuf du deuxième chapitre de ce règlement, où il s’agit
des épreuves qui devaient être présentées par les peintres lors du concours du Prix de Voyage :
Article 9 : Les concurrents de peinture seront obligés à se présenter aux
épreuves suivantes :
Première épreuve - Dessiner une académie de modèle vivant (80 centimètres
de hauteur), pendant dix séances de quatre heures
chacune.
Deuxième épreuve - Peindre une figure d’après nature (1 mètre de hauteur),
pendant cinquante séances de quatre heures chacune.
Troisième épreuve - Esquisser une composition (peinture) d’un sujet tiré au
sort parmi dix thèmes organisés par les professeurs du
jury du concours. L’exécution de cette épreuve durera
huit heures, pendant lesquelles les concurrents seront
isolés et n’auront accès à aucune communication
externe. 59
59
- Règlement du 14 septembre 1911. Cité dans le procès-verbal de la séance du corps
enseignant le 9 mai 1914. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
“ Artigo 9 : Os concorrentes de pintura serão obrigados a prestar as seguintes provas :
1a prova - Desenhar uma academia do modelo vivo, com 80 centímetros de altura, em
10 sessões de 4 horas cada uma. 2 a prova - Pintar uma figura do natural com um metro
de altura em 50 sessões de 4 horas cada uma. (...). 3 a prova - Composição em esboço
(pintura) de um assunto que será tirado à sorte dentre 10 organizados na ocasião pelos
professores da comissão julgadora. A execução dessa prova durará 8 horas, durante as
quais os concorrentes se acharão isolados e sem comunicação externa. ”
56
On observe que ce sont les mêmes épreuves exigées des candidats au prix de 1892.
Les seules différences se trouvent dans le temps destiné à l’exécution de chacune d’entre elles.
En 1892, deux séances de trois heures chacune étaient prévues pour l’exécution de l’épreuve
de dessin de modèle vivant, tandis qu’en 1911 cette épreuve durait dix séances de quatre
heures chacune. Pour l’épreuve de modèle vivant peint il était prévu, en 1892, trente jours, et à
chaque jour la séance était de quatre heures. En 1911, la même épreuve durait cinquante
séances de quatre heures chacune. La troisième épreuve, en 1892, avait la même durée qu’en
1911, c’est-à-dire huit heures.
Penchons-nous, maintenant, sur la règle en vigueur pendant la période monarchique.
Grâce au procès-verbal de la séance du Conseil réalisée le dix-huit août 1887 on peut suivre les
démarches préparatoires du concours de Prix de Voyage de cette année. Au cours de la
réunion, plusieurs sujets de composition historique furent présentés par les professeurs. Parmi
tous ces sujets, six furent choisis. Il fut déterminé ensuite que, le jour du concours, un seul
sujet serait tiré au sort parmi les six thèmes sélectionnés. L’esquisse de la composition serait
faite le premier jour, et pour la réaliser chaque candidat aurait le temps d’une séance qui
durerait de dix heures du matin jusqu’à cinq heures de l’après-midi (sept heures au total). Pour
l’exécution du projet définitif seraient accordés cinq heures par jour, pendant une période de
soixante jours utiles.
Le dessin de modèle vivant ne faisait pas partie des épreuves, l’académie peinte non
plus. Le concours n’était constitué que de la réalisation d’une seule composition historique.
Lorsque Modesto Brocos a défendu cette ancienne pratique, pendant la séance du neuf mai
1914, Zeferino da Costa, professeur de l’Ecole et ancien élève de l’Académie, lauréat du Prix
de Voyage de 1868, s’est opposé à son intervention, en déclarant :
(...) il est de mon devoir de présenter ma propre opinion sur la proposition
(...) du digne collègue M. Brocos. À mon avis, malgré la bonne préparation
de nos élèves, l’exigence de l’exécution d’un tableau pour le Prix de Voyage
(...), est excessive. Justement, si l’Ecole accorde un séjour de cinq années
en Europe au pensionnaire c’est pour qu’il apprenne à exécuter des
tableaux. Si le candidat exécute donc un travail d’après nature faisant
preuve de ses connaissances dans le domaine du dessin et du coloris, non
seulement en ce qui concerne le caractère de la ligne, mais encore par
rapport à tous les accidents et valeurs de clair-obscur et harmonie du
coloris, il me semble que pour que l’on puisse juger de sa capacité
57
imaginative il suffit qu’il présente, en supplément, une esquisse d’un sujet
conçu, composé et exécuté pendant quelques heures. 60
En tout cas la composition historique, soit sous la forme de tableau accompli, soit
sous la forme d’esquisse, était toujours exigée des peintres qui envisageaient d’obtenir le Prix
de Voyage. Ainsi, le mécontentement de Modesto Brocos paraît démesuré. De toute façon, il
reflète la mentalité de l’ancienne Académie, et nous indique les changements qui se sont
produits alors, même s’ils nous semblent, aujourd’hui, trop subtils.
Après cette comparaison des différents règlements des concours, penchons-nous sur
l’analyse des obligations des pensionnaires après leur arrivée en Europe.
2.2 - Les obligations des pensionnaires
On a vu jusqu’ici comment se déroulaient les concours de Prix de Voyage, comment
les règlements des concours ont varié et quelles étaient les qualités exigées des concurrents.
Maintenant on passe à l’analyse des règlements en ce qui concerne les obligations des lauréats
en tant que pensionnaires de l’Etat en Europe.
Ce fut au moment de la réforme organisée par le directeur Araújo Porto-Alegre en
1855 que l’Académie augmenta son contrôle sur les pensionnaires en leur donnant des
instructions précises sur leurs obligations et sur les travaux qu’ils devraient accomplir à chaque
semestre. En outre, pour rendre ce contrôle plus fin, les statuts de 1855 déterminaient que les
pensionnaires avaient l’obligation de maintenir une correspondance personnelle avec le
Directeur de l’Académie :
60
- Zeferino da Costa a écrit et signé cette note le 9 mai 1914. (Procès-verbal de la séance du
Conseil des professeurs de l’Escola Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro, le 9 mai
1914)
“ Concluindo, resta-me o dever de emitir também a minha opinião a respeito da proposta divergente do digno colega Sr. Brocos. A mim, me parece que para o prêmio de viagem aos alunos da nossa Escola, embora estejam eles bem preparados, a exigência da
execução de um quadro, é demasiada, porquanto é precisamente para que o pensionista
aprenda a executar quadros, que a Escola lhe concede 5 anos de prazo na Europa para
essa aprendizagem. Assim, quando o candidato ao prêmio, apresentando um trabalho
plástico, executado do natural, prove ter bastante conhecimento do desenho e do colorido, não só quanto ao caráter da linha, como em todos os demais acidentes e valorização do claro-escuro e harmonia do colorido, me parece que, para se julgar da sua capacidade de imaginação, bastará que ele apresente mais o esboceto de um assunto concebido, composto e executado em poucas horas de tempo. Rio de Janeiro, 9 de Maio de
1914 (assinado) Professor Zeferino da Costa. ”
58
Art. 77 - Les Pensionnaires suivront les instructions qui leur seront
envoyées par le Corps Académique. Les instructions doivent être approuvées
par le Ministre et le Secrétaire d’Etat des affaires de l’Empire. Les
pensionnaires suivront aussi les orientations du Corps Académique, et
devront maintenir une correspondance continue avec le Directeur en le
renseignant sur l’état de leurs travaux, et sur la manière employée pour
exécuter les instructions qui les concernent. 61
Cette correspondance que le pensionnaire devait entretenir avec le directeur de
l’Académie de façon à le mettre au courant de toutes ses activités venait renforcer la
surveillance à laquelle il se soumettait. Le pensionnaire devait respecter les instructions reçues
d’avance et accomplir les travaux exigés par le règlement, mais le directeur orientait la suite de
son travail, lui donnant des conseils ou parfois lui faisant des réprimandes. Cette pratique
imprimait un caractère particulier, individuel et personnel à l’accompagnement des
pensionnaires par l’Académie, car elle leur procurait une relation directe et privée avec le
directeur. Voyons, par exemple, la lettre adressée par Araújo Porto-Alegre le 16 mai 1854 à
Victor Meirelles, pensionnaire qui se trouvait à Rome :
Je viens d’être nommé directeur de cette Académie et, en tant que directeur,
je dois vous prévenir qu’à partir d’aujourd’hui vous devrez avoir la bonté de
m’écrire le plus souvent possible à propos de vos études et projets, afin que
je puisse informer l’Académie et le gouvernement de vos progrès. Dites à M.
Motta [Agostinho José da Motta], qu’il m’écrive, car il n’est pas courant ni
tolérable qu’il ne le fasse pas, puisque maintenant il a ici un vieil ami. Il
peut s’ouvrir à moi comme il le veut. Dites lui d’écrire sur l’art, sur ses
projets et ce qu’il envisage de faire, parce que ce sont ceux-là nos affaires.
61
- Estatutos da Academia das Belas Artes - Arrêté n. 1603 du 14 mai 1855, signé par le
Ministre Luiz Pedreira do Couto Ferraz, reproduit dans la Revista Crítica de Arte, n.4. Rio
de Janeiro, dezembro 1981.(p. 42)
“ Art. 77 - Os Pensionistas seguirão as instruções que lhe forem expedidas pelo Corpo
Acadêmico, depois de aprovadas pelo Ministro e Secretário de Estado dos Negócios
do Império, e as recomendações do mesmo Corpo, e deverão corresponder-se com o
Diretor freqüentemente sobre o estado de seus trabalhos, e a maneira por que forem
desempenhando as ditas instruções. ”
59
Je n’écris rien à M. Pallière [Grandjean Ferreira], parce que je sais qu’il
n’est plus là. 62
Les pensionnaires étaient ainsi suivis de près par le directeur qui leur offrait un appui
et une attention particuliers. On ne doit pas oublier que la plupart des pensionnaires devenaient
par la suite professeurs à l’Académie. C’est-à-dire qu’ils étaient sur le chemin de devenir les
pairs du directeur et des autres professeurs.
Voyons maintenant quelles furent les instructions approuvées en 1855 :
L’élève de l’Académie qui obtiendra le prix de premier ordre étudiera aux
dépens de l’Etat, et aura une pension annuelle de trois mille francs, payés
par trimestres anticipés ; (...). Le pensionnaire, 15 jours après son arrivée à
Paris, choisira son maître et fera connaître son choix au ministre du Brésil.
Celui-ci devra lui procurer une lettre de présentation et recommandation. Le
maître doit être membre de l’Institut et professeur de l’Ecole de Beaux-Arts,
de façon à orienter l’élève dans les concours et lui permettre l’entrée dans
les établissements publics et dans les établissements privés renommés.
Le pensionnaire ne pourra pas changer de maître sans l’accord du ministre
du Brésil, de façon à ce que celui-ci connaisse les causes qui l’auront amené
à cette décision et les présente au nouveau maître choisi.
Le pensionnaire ne pourra pas recevoir sa pension sans présenter à la
Légation une attestation d’assiduité aux cours signée par son maître.
En outre de l’étude journalière chez le maître, l’élève, qu’il soit peintre,
sculpteur ou graveur, doit fréquenter les lieux de cours de modèle vivant à
l’Ecole des Beaux-Arts.
(...). Tous les six mois le pensionnaire doit remettre à la Légation ses
travaux bien emballés et prêts à être envoyés à l’Académie.63
62
- Lettre d'Araújo Porto-Alegre adressée à Victor Meirelles (le 16 mai 1854). [Citée par
MORAIS, Frederico. Cronologia das artes plásticas no Rio de Janeiro, 1816 - 1994, p.76].
“ Acabo de ser nomeado diretor desta academia e, como tal, tomo a liberdade de preveni-lo que doravante tenha a bondade de me escrever o mais amiudadamente possível
sobre os seus estudos e projetos, para que eu possa informar à Academia e ao governo
de seus progressos. Diga ao Sr. Motta (Agostinho José da Motta), que me escreva, e
que não é corrente nem tolerável o deixar de escrever, pois ele agora tem um velho
amigo aqui. E pode abrir-se comigo como quiser. Nada escrevo ao Sr. Pallière (Grandjean Ferreira), por saber que ele aí já não está. Mande falar de arte, dos seus projetos e
do que intenta fazer, porque são estes os nossos negócios. ”
63
- PRIMITIVO MOACYR. A Instrução e o Império : Subsídios para a História da Educação
no Brasil : 1850-1855. Companhia Editora Nacional, São Paulo, 1936-1938, pp. 177/8.
[DURAND, pp.11 - 12]
60
On voit que le rôle de vérifier le bon cours des études du pensionnaire revenait aussi
au corps diplomatique qui devrait exiger la présentation d’une attestation d’assiduité aux cours
avant de lui payer la pension de chaque trimestre. C’était encore au ministre que l’étudiant
devait s’adresser pour demander une autorisation au cas où il envisagerait de changer de maître
ou d’atelier. Enfin, la Légation du Brésil en France était chargée d’envoyer à Rio de Janeiro les
oeuvres remises par les pensionnaires à chaque semestre. Mais le contrôle proprement dit des
études du pensionnaire revenait aux maîtres et aux institutions françaises :
(...) Le pensionnaire refusé deux fois de suite à l’Ecole de Beaux-Arts de
Paris et qui n’est pas admis aux amphithéâtres, et celui qui n’aura pas
accompli fidèlement tout ce qui a été déterminé plus haut, sera immédiatement
renvoyé au Brésil et perdra sa pension. L’élève qui, à la fin de trois ans,
n’aura pas reçu ni médaille ni mention honorable dans les concours
d’émulation de l’Ecole de Paris, ou celui qui n’aura pas justifié l’absence de
médailles ou de mentions, sera renvoyé et perdra sa pension.
(...). Celui qui aura remporté un prix dans une des expositions de beauxarts à Paris, Bruxelles, Londres, Berlin ou Munich, recevra mille francs de
plus comme gratification annuelle jusqu’à la fin de son séjour en Europe. 64
L’Académie brésilienne subordonnait ainsi ses pensionnaires à l’autorité de l’Ecole
des Beaux-Arts de Paris et aux institutions artistiques françaises. L’élève brésilien devait
satisfaire au système français pour continuer à jouir de sa pension. En effet, le but de
64
“ O aluno da Academia que obtiver o prêmio de primeira ordem irá estudar à custa do
Estado, e terá uma pensão anual de três mil francos, pagos em trimestres adiantados ;
(...). O pensionista quinze dias depois de chegar a Paris escolherá um mestre e participará ao ministro do Brasil para que este o apresente e recomende. O mestre deve ser
membro do Instituto e professor da Escola de Belas Artes, a fim de o encaminhar nos
concursos e dar-lhes entrada nos estabelecimentos públicos e nos particulares de nomeada. O pensionista não poderá receber a sua pensão sem apresentar à Legação um atestado de freqüência passado pelo mestre. Deverá além do estudo e particular que fizer
na aula do mestre, concorrer aos lugares de aula de modelo vivo na Escola de Belas
Artes (...). O pensionista não poderá mudar de mestre sem o assentimento do ministro
do Brasil para que este conheça as causas e as apresente ao novo mestre que escolher. ”
- PRIMITIVO MOACYR, idem.
“ O pensionista que por duas vezes consecutivas for recusado pela Escola de Belas Artes de Paris, e ficar fora do número de alunos admitidos e chamados nos anfiteatros, e o
que não cumprir fielmente o disposto acima, será imediatamente mandado para o Brasil, perdendo a pensão. O que no fim de três anos não obtiver uma medalha ou menção
honrosa nos concursos de emulação da Escola de Paris ou não justificar esta falta, será
reenviado e perderá toda a pensão. (...). O que for premiado em alguma das exposições
gerais de belas artes que se fazem em Paris, Bruxelas, Londres, Berlim ou Munique, receberá mil francos mais de gratificação anual até completar o seu tempo. ”
61
l’Academia Imperial était de perfectionner le contrôle sur le pensionnaire, de l’obliger à faire
des efforts, de parer à un possible fléchissement de la discipline.
Continuons à lire les instructions de 1855 :
(...). Les pensionnaires qui étudieront en France pendant trois ans seront
obligés d’envoyer chaque semestre les travaux suivants:
Dans la première année :
Les peintres : douze académies ou études de figures d’après nature ou
d’après l’antique, et une copie d’un tableau qui lui sera indiqué par
l’Académie de Rio de Janeiro;(...);
Les paysagistes : une copie indiquée par l’Académie et leurs études de la
nature ;(...).
Tous ces travaux seront parafés par les maîtres respectifs. Dans les deux
années suivantes, les travaux remis doivent être plus développés et complexes.
(...).
De l’Italie, ils remettront à l’Académie :
Les peintres : une copie d’un tableau de maître de premier ordre, de
préférence indiqué par l’Académie, et un tableau historique de sa propre
composition, dont les figures seront en grandeur nature ; (...). 65
Il existait une différence remarquable entre les consignes destinées aux ‘peintres’,
c’est-à-dire les ‘peintres d’histoire’, et celles destinées aux paysagistes. Pour ces derniers,
l’Académie ne déterminait pas le nombre de travaux obligatoires, tandis que pour les premiers
ce nombre était explicité : douze académies ou études de figures, et une copie d’un tableau
indiqué d’avance par les professeurs brésiliens. Mais, en tout cas, d’après la lecture de ces
instructions, on observe que le contrôle exercé par la direction de l’Académie sur tous ses
pensionnaires était rigoureux et pointu.
65
- PRIMITIVO MOACYR, idem. [DURAND, p.12].
“ Os pensionistas que, durante três anos, estudarem na França, serão obrigados a mandar semestralmente os trabalhos abaixo : No primeiro ano : os pintores : doze academias ou estudos de modelos vivos, ou de estátuas antigas, e uma cópia de painel que lhes
for designada pela Academia do Rio de Janeiro ; (...). Os paisagistas : uma cópia indicada pela Academia e os seus estudos do natural ; (...). Todos estes trabalhos serão rubricados pelos respectivos mestres. Nos dois anos seguintes os trabalhos remetidos devem ser mais desenvolvidos e complexos. (...). Da Itália mandarão : os pintores : uma
cópia de algum painel de mestre de primeira ordem com preferência o que lhes for indicado pela Academia, e um quadro histórico de sua composição, cujas figuras serão de
tamanho natural ; (...). ”
62
Pour compléter ces informations générales, voici maintenant un exemple de cas
particulier : les instructions transmises en avril 1856 par le corps d’enseignants à Victor
Meirelles qui se trouvait à Paris après avoir obtenu une prolongation de trois ans de sa
pension.
Instructions données par le Corps Académique à M. Victor Meirelles de
Lima, pensionnaire de l’Academia Imperial de Belas Artes, à Paris :
Le pensionnaire du Gouvernement Impérial, M. Victor Meirelles de Lima,
devra, pendant ses études à Paris, en plus des obligations imposées par le
règlement spécial qui le concerne, exécuter les travaux suivants déterminés
par le Corps Académique :
1o - Conformément à ce qui est prescrit dans l’article 12 du règlement, il
fera la copie en grandeur nature du tableau n o 360 de Salvador Roza, qui
se trouve au Louvre dans la collection de l’école italienne ; si ce tableau ne
lui plaît pas, il fera la copie de la figure de Léonidas dans le tableau du
Passage des Thermopyles, de Louis David. On sollicite de lui la plus
grande perfection d’exécution, car ces travaux sont destinés à servir de
norme aux élèves de peinture et doivent leur procurer une idée du style et de
la couleur des maîtres.
2o - Pendant la deuxième année d’études à Paris, il fera tout l’effort possible
pour nous envoyer une copie du célèbre torse Pagnesse, qui se trouve à
l’Ecole des Beaux-Arts, parce que ce travail aura la même destination, vu
que ce chef-d’oeuvre est un modèle accompli de dessin et de peinture pour
l’étude du nu. 66
On remarque que les copies réalisées par les pensionnaires en Europe répondaient à
un double objectif. D’une part elles servaient au perfectionnement technique de l’artiste,
d’autre part elles allaient joindre les oeuvres appartenant à la pinacothèque de l’Académie, et
66
- Cité par Rangel de S. Paio, dans O Quadro da Batalha dos Guararapes, seu Autor e seus
Críticos. Serafim J. Alves Ed., Rio de Janeiro, 1880, p.129. [DURAND, p. 13].“ Instruções
dadas pelo Corpo Acadêmico ao Sr. Victor Meirelles de Lima, Pensionista da Academia Imperial de Belas Artes, em Paris. - O Sr. Victor Meirelles de Lima, Pensionista do Governo
Imperial, além dos deveres impostos pelo regulamento especial que lhe é próprio, deverá, no
curso dos seus estudos em Paris, preencher as seguintes obrigações, aprovadas pelo Corpo
Acadêmico : 1o - Em cumprimento do art. 12 do citado regulamento, copiará do mesmo tamanho o quadro n. 360, do Salvador Roza, que se acha no Louvre, na coleção da escola italiana ; e se esse painel desagradar-lhe, copiará no ponto maior que puder a figura de Leônidas no quadro da Passagem de
Termophilas, de Louis David. Pede-se-lhe todo o esmero possível na execução destes trabalhos, porque são destinados a servirem de norma aos alunos de pintura e darem idéia do estilo e colorido dos mestre. 2o - No segundo ano, fará todo o possível para nos mandar uma cópia do famoso tronco de Pagnesse, que está na Escola de Belas Artes, porque é ainda para o
mesmo efeito, visto que este primor d’arte é um modelo completo de desenho e pintura para
o estudo do nu. ”
63
seraient utilisées dans l’enseignement. Le pensionnaire faisait partie d’une chaîne, aidant à
perfectionner l’enseignement académique à une époque où les méthodes modernes de
reproduction de tableaux n’existaient pas.
La rigueur de l’Académie vis-à-vis des pensionnaires fut renforcée par la
communication du 4 novembre 1865. Les obligations des peintres à partir de ce moment furent
encore plus détaillées :
(...), les peintres devraient envoyer : pendant la première année de leur
séjour, huit académies, une copie de tableau préalablement indiqué par
l’Académie de Rio, et une tête d’expression ; dans la deuxième année, douze
académies, une composition ou esquisse d’un sujet de l’histoire brésilienne
ou de l’histoire religieuse, et une copie d’un travail de maître, indiqué par
l’Académie ; dans la troisième année, une composition comprenant plus de
trois figures dans une toile de numéro cinquante ou soixante, une tête
d’expression, et un torse grandeur nature ; dans la quatrième et la
cinquième années, une copie d’un tableau de maître célèbre, de préférence
indiqué par l’Académie brésilienne, et un tableau historique, comprenant des
figures grandeur nature. 67
67
- MORALES DE LOS RIOS FILHO, O Ensino Artístico : Subsídios para a sua História,
Rio de Janeiro, 1938, p. 294. [DURAND, p.14].
“ Assim, os pintores deviam mandar : no primeiro ano de estadia, oito academias, uma
cópia de painel (ou quadro) previamente indicado pela Academia do Rio, e uma cabeça de expressão ; no segundo ano, doze academias, uma composição ou esboço de assunto da história nacional ou da religiosa, e uma cópia de trabalho de mestre, que fosse
designado pela Academia ; no terceiro ano, uma composição contendo mais de três figuras em tela de número cinqüenta ou sessenta, uma cabeça expressiva, e um tronco de
tamanho natural ; no quarto e quinto anos, uma cópia de quadro de mestre consagrado,
preferentemente indicado pela Academia do Brasil, e um quadro histórico com figuras
no tamanho natural. ”
64
Pour la première fois, la réalisation de tableaux représentant de scènes de l’histoire du
Brésil était expressément commandée aux pensionnaires. Cependant il est vrai que leurs
prédécesseurs avaient déjà réalisé des tableaux historiques abordant la thématique brésilienne.
Les instructions de l’Académie venaient officialiser ce choix qui répondait à une demande de
l’époque. Enfin, la minutie de ces déterminations profitait à l’Académie de Rio désireuse
d’enrichir sa collection de copies d’oeuvres célèbres, en même temps qu’elle encadrait le
pensionnaire dans des obligations très strictes.
Ces instructions subsistèrent pendant toute la période monarchique. Il est intéressant
de noter cependant que, lors de la séance du 6 octobre 1890, l’avant-dernière séance de
l’Academia Imperial avant la réforme entamée par la République, le 8 novembre de la même
année, Victor Meirelles proposa une modification des instructions destinées aux pensionnaires.
Il désirait que les sujets des tableaux envoyés par le pensionnaire ne fussent plus déterminés par
l’Académie, autrement dit, il désirait que le pensionnaire soit libre du choix de ses sujets. Il
déclara :
Sur ce point, il serait préférable qu’il bénéficie d’une entière liberté, en ayant
seulement l’obligation d’envoyer [à l’Académie] toutes les études qu’il aura
faites sous la conduite des maîtres qui l’orientent en Europe. 68
On observe donc une volonté de simplifier les obligations du pensionnaire. Le corps
enseignant approuva cette résolution, mais les changements ne seront mis à l’oeuvre qu’après
la réforme républicaine, et les responsables en seront les professeurs de l’Escola Nacional de
Belas Artes. La réglementation à propos des concours et des obligations des pensionnaires de
l’Ecole fut mise au point en 1892, année du premier concours de Prix de Voyage réalisé après
ladite réforme. Voici les nouvelles obligations des pensionnaires :
Pensionnaires de peinture
Les pensionnaires de peinture seront obligés d’envoyer les travaux suivants :
1ère année : huit études [de modèle vivant] peintes ou dessinées.
2ème année : huit études [de modèle vivant] peintes.
3ème année : une copie d’un tableau désigné par le Conseil des Professeurs de
l’Ecole et une esquisse pour l’exécution d’un tableau d’au moins trois
68
- Procès-verbal de la séance du 6 octobre 1890. Arquivo Museu Dom João VI / EBA /
UFRJ, Rio de Janeiro.
“ Fora preferível que nesse particular lhe concedessem plena liberdade com obrigação
de enviar todos os estudos que fizer aconselhado pelos mestres que o dirigirem. ”
65
figures accompagnée du respectif devis des dépenses destinées aux matériaux
pour sa réalisation .
4ème et 5ème années - Exécution du tableau qui sera acheté par l’Ecole si le
Conseil des Professeurs l’a jugé digne de l’être. 69
Ce règlement concernait aussi les devoirs des pensionnaires de sculpture, de gravure
et d’architecture, mais pour les peintres, on ne trouve plus de distinction entre les peintres
d’histoire et les paysagistes, qui sont tous désignés, simplement, par le mot ‘peintres’. Une
autre différence par rapport au règlement antérieur concerne les copies de tableaux de maîtres.
Auparavant, le pensionnaire devait en préparer une copie par an, pendant les trois premières
années de son séjour à Paris. Avec le nouveau règlement, une seule copie était réalisée, au
cours de la troisième année du séjour. En dehors de ces deux points, on observe une
simplification des obligations, mais il n’y a pas de changement en profondeur.
Par la suite, à l’occasion d’une nouvelle réforme en 1911, le règlement fut encore une
fois remodelé :
Règlement du 14 septembre 1911
À propos des devoirs des pensionnaires
Pensionnaires de Peinture
Article 18 : Les pensionnaires de peinture seront obligés d’envoyer les
travaux suivants :
1ère année : trois études de modèle vivant peintes et trois études de modèle
vivant dessinées ;
2ème année : deux têtes d’expression et un torse (grandeur nature) peints, et
trois études de modèle vivant (dessinées) ;
3ème année : une copie d’un tableau de maître exposé dans une des galeries
d’art de la ville désignée comme lieu d’études du pensionnaire ; et qui ne
figure pas encore dans les galeries de l’Ecole ;
4ème année : exécution d’un tableau de composition de deux ou plus de deux
figures.
69
- Règlement pour le processus des concours de l’Escola Nacional de Belas Artes, pour les
places de pensionnaires de l’Etat en Europe, auquel fait référence la Communication de ce
jour [le 26 octobre 1892].
“ Pensionistas de Pintura : Os pensionistas de pintura serão obrigados a enviar as seguintes provas : 1o ano - Oito estudos [de modelo vivo] pintados ou desenhados ; 2o
ano - Oito estudos [de modelo vivo] pintados ; 3o ano - Uma cópia designada pelo
Conselho Escolar e um esboceto para execução de um quadro de três ou mais figuras
acompanhando o respectivo orçamento para as despesas com o material para o mesmo
quadro. 4o e 5o anos - Execução do quadro que será comprado pela Escola se o Conselho Escolar julgar digno de ser adquirido. ”
66
5ème année : la cinquième année est réservée à la visite des musées, des
galeries et des oeuvres d’art choisies par le pensionnaire.
Article 25 : Tous les travaux mentionnés dans ces instructions et envoyés par
les pensionnaires, deviendront propriété de l’Ecole après avoir été exposés
dans les salons de la même Ecole. 70
Par rapport au règlement de 1892, il n’y a pas de différence significative. On trouve
des modifications dans le nombre d’esquisses exigées, une plus grande précision sur ces études
(torse, tête d’expression, modèle vivant peint ou dessiné), mais le fond reste le même. Pour la
copie de la troisième année, l’étudiant devrait choisir un tableau dont la reproduction “ ne
figure pas encore dans les galeries de l’Ecole ”. Cette donnée explicite une fois de plus l’un des
objectifs de la copie, qui devait enrichir les collections de l’Ecole.
Même la liberté laissée au pensionnaire pendant la cinquième année de son séjour
n’était pas vraiment une nouveauté. On sait que pendant la période de l’Academia Imperial
cette liberté fut accordée aussi à d’autres pensionnaires, car la visite des musées et des galeries
était considérée comme nécessaire à la préparation de l’artiste. Dans le cas de Rodolpho
Bernardelli, par exemple, lorsqu’il a obtenu une prolongation de sa pension le 22 décembre
1883, l’ensemble de professeurs explicita que cette prolongation lui était accordé “ afin qu’il
puisse conclure le travail qu’il est en train d’exécuter, et visiter en Europe les musées et les
galeries des pays riches en monuments artistiques ”.71
En 1914, une commission de professeurs fut chargée d’examiner la réglementation du
concours du Prix de Voyage. Dans le procès-verbal de la séance du Conseil d’enseignement du
70
- Règlement du 14 septembre 1911. Cité dans le procès-verbal de la séance du corps
enseignant le 9 mai 1914. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
“ Regulamento de 14 de setembro de 1911 - (...) - Dos deveres dos pensionistas. Pensionistas de Pintura. Artigo 18 : Os pensionistas de pintura serão obrigados a enviar as
seguintes provas : 1o ano - Três estudos de modelo vivo pintados e três desenhados ; 2o
ano - Duas cabeças de expressão e um torso (tamanho natural) pintados, e três estudos
de modelo vivo (desenhados) ; 3o ano - Cópia de um quadro de mestre, existente em
qualquer das galerias da cidade designada para permanência do pensionista, e que já
não figure nas galerias da Escola ; 4o ano - Execução de um quadro de composição de
duas ou mais figuras. (...). O quinto ano fica reservado ao pensionista para fazer visitas
aos museus, às galerias e às obras de arte que lhe aprouver. (...). Artigo 25 - Todos os
trabalhos mencionados nestas instruções e enviados pelos pensionistas, depois de expostos nos salões da Escola, ficarão sendo de propriedade da mesma Escola. (...). ”
71
- Procès-verbal de la séance du 22 décembre 1883. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
“ ... afim de que possa concluir o trabalho que está executando, e visitar na Europa os
museus e galerias existentes nos países ricos de monumentos d’arte... ”
67
9 mai 1914, on peut lire la proposition de cette commission concernant les obligations des
pensionnaires :
Dans les instructions qui déterminent les devoirs des pensionnaires, notre
proposition établit le contrôle de leurs travaux jusqu’à la quatrième année,
mais accorde aux dits pensionnaires une plus grande liberté de choix lors de
la composition du travail qu’ils doivent envoyer au début de la cinquième
année. Nous proposons aussi qu’ils puissent se vouer pendant la cinquième
année à des visites aux musées, aux galeries et à toutes les oeuvres d’art de
leur choix. 72
En réalité, la commission ne fit que ratifier le règlement de 1911. Au cours de la
séance, les devoirs des pensionnaires déterminés trois années auparavant furent présentés à
l’ensemble des professeurs, qui les ont approuvés intégralement.
Bref, en observant l’ensemble des règlements que nous venons d’analyser, on
constate que les changements qui se sont opérés n’ont pas modifié ce qui était l’essentiel des
envois des pensionnaires. En effet, au long d’une période qui commence dans la seconde
moitié du XIXe siècle et qui va jusqu’à la deuxième décennie du XXe siècle, les obligations des
pensionnaires n’ont pas changé en profondeur. Ils devaient toujours envoyer des études de
modèle vivant, réaliser une copie d’un tableau de maître et accomplir une oeuvre de leur cru la
dernière année. Ce qui a varié, c’est le nombre d’études à remettre.
72
- Procès-verbal de la séance du 9 mai 1914. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
“ Nas instruções que determinam os deveres dos pensionistas, a nossa proposta estende
a fiscalização até o quarto ano, mas, concede mais liberdade na escolha da composição
do trabalho que o pensionista deve enviar no começo do quinto ano. Propomos que o
pensionista possa aproveitar o quinto ano nas visitas aos museus, às galerias e a todas
as obras de Arte que lhe aprouver. ”
68
Peut-être que la différence la plus significative concerne les copies de tableaux de
maître. À ce propos on vérifie que pendant la période républicaine il revenait souvent aux
pensionnaires de proposer le tableau qui serait copié, et les professeurs se mettaient, en
principe, d’accord avec le choix du pensionnaire. On peut citer deux exemples parmi d’autres.
Le premier date du mois de juillet 1900. Dans la séance du Conseil, les professeurs furent mis
au courant d’une lettre où Antonio de Souza Vianna, pensionnaire à Munich (Prix de Voyage
de 1896) demandait l’autorisation d’exécuter, comme obligation de troisième année de séjour,
la copie d’un tableau d’Arnold Böcklin - Das Wellen Spill. Le pensionnaire envoyait une
photographie du tableau. Sa demande fut approuvée.73
Le second exemple date de 1908. Dans une lettre datée du 30 mars 1908, Lucílio de
Albuquerque (Prix de Voyage de 1906), pensionnaire à Paris, communiquait au Directeur de
l’Ecole qu’il avait déjà expédié les travaux obligatoires de la deuxième année : huit académies
peintes, deux torses peints en grandeur nature et deux têtes d’expression. Après cette
communication, il demandait quel serait le tableau qu’il devrait copier comme travail
obligatoire de troisième année d’études. Cependant, il indiquait déjà son choix personnel :
Je serais extrêmement heureux si l’Ecole désignait la fresque de Botticelli -:
‘Giovanna degli Albizzi, femme de Lorenzo Tornabuoni, et les Grâces’ qui se trouve exposée au Louvre. 74
Sa demande fut approuvée. Donc, même si le choix des pensionnaires devait
obligatoirement entrer dans les canons de l’Ecole, les artistes avaient la possibilité de choisir
des tableaux plus en accord avec leur évolution personnelle.
Avant de finir ce chapitre, il serait intéressant de comparer les règlements brésiliens
au règlement qui déterminait les obligations des pensionnaires français à Rome, en 1891 :
Institut de France
Académie des Beaux-Arts
Règlement de l’Académie de France à Rome
73
74
- Procès-verbal de la séance du 10 juillet 1900, p. 93. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
- Procès-verbal de la séance du 17 novembre 1908, p. 43. Museu Dom João VI, Rio de
Janeiro. Lucílio de Albuquerque fait référence aux fresques de la villa Lemmi qui
représentent le mariage de Lorenzo Tornabuoni (entouré des Arts libéraux) avec Giovanna
degli Albizzi (qui offre son voile de mariée à Vénus suivie des trois Grâces).
“ Muito feliz me julgarei se a Escola designar o fresco de Botticelli : Giovanna degli Albizzi, mulher de Lorenzo Tornabuoni, e as Graças - existente no Museu do Louvre. ”
69
1891
Art. 27 - (...)
Les pensionnaires peintres ou sculpteurs sont tenus de soumettre les
esquisses de leurs envois au Directeur de l’Académie. L’examen de ces
esquisses porte sur le choix du sujet et sur les dimensions des ouvrages.
(...) L’acceptation de ces divers sujets d’envoi, de leur développement et de
leurs dimensions, sera inscrite sur un registre spécial. Elle sera contresignée
par chaque pensionnaire en ce qui le concerne. (...).
Art. 28 - Le pensionnaire peintre devra exécuter :
Dans la première année de sa pension
1o - Une figure peinte d’après nature et de grandeur naturelle ; cette figure
représentera un sujet qui sera emprunté soit à la mythologie, soit à l’histoire
ancienne sacrée ou profane ;
2o - un dessin d’après les peintures des grands maîtres de deux figures au
moins ;
3o - un dessin d’après une oeuvre remarquable de sculpture de l’antiquité
ou de la Renaissance, soit statue, soit bas-relief.
Dans la 2e année
Un tableau d’au moins deux figures nues ou en partie drapées, de grandeur
naturelle.
Dans la 3e année
1o - Une copie peinte soit d’après un tableau ou une fresque de grand
maître, soit d’après un fragment de tableau ou de fresque de trois figures
au moins. Ce fragment sera copié de la grandeur de l’original ; si toutefois
l’original était de proportion colossale et que le pensionnaire voulût le
réduire, les figures ne devraient point avoir moins de deux mètres de
proportion. Cette copie demeure la propriété de l’Etat ; 2 o - Une esquisse
peinte de sa composition, dont le champ aura au moins cinquante
centimètres sur son plus petit côté.
Dans la 4e année
Un tableau de sa composition, de plusieurs figures de grandeur naturelle :
le sujet sera tiré soit de la mythologie, soit des littératures, soit de l’histoire
ancienne, sacrée ou profane. Ce tableau n’aura plus de quatre mètres dans
sa plus grande dimension.
70
Le tableau qui constitue l’envoi de dernière année des pensionnaires peintres
sera, lorsqu’il en paraîtra digne, signalé par l’Académie des beaux-arts à
l’administration, dans une lettre spéciale qui sera jointe au rapport annuel
adressé au ministre. (...). 75
La première différence observée concerne le contrôle des travaux des pensionnaires.
Les pensionnaires français étaient soumis à l’autorité du Directeur de l’Académie de France à
Rome. Les pensionnaires brésiliens, n’étant pas suivis de près par un représentant de
l’Académie brésilienne en Europe, devraient se soumettre à l’autorité des maîtres européens.
Le contrôle exercé par les professeurs brésiliens se faisait de loin, par le moyen de l’analyse des
envois des pensionnaires.76
L’autre différence concerne les envois. Les Français devaient, dès la première année,
présenter des copies, en commençant par un “ dessin d’après les peintures des grands maîtres ”
et le dessin d’une “ sculpture de l’antiquité ou de la Renaissance, soit statue, soit bas-relief ”.
Même lorsqu’il s’agissait d’une figure peinte d’après nature, cette figure devait représenter
“ un sujet qui sera emprunté soit à la mythologie, soit à l’histoire ancienne sacrée ou profane ”.
Il est clair que les études à Rome étaient exclusivement liées à la présence sur place des
oeuvres de l’antiquité classique et de la Renaissance.
La deuxième année, le pensionnaire français ne faisait pas de copies, mais exécutait
une composition de son cru. Cependant, il était obligé de présenter dans cette composition des
figures nues, ou en partie drapées, ce qui l’amenait à s’inspirer encore une fois de l’antiquité
classique. La troisième année, il recommençait à copier. Maintenant il s’agissait d’une copie
peinte, et non pas dessinée, soit d’un tableau, soit d’une fresque de grand maître. Il devait
encore, comme obligation de troisième année, présenter une esquisse peinte de la composition
qu’il prétendait réaliser pendant la quatrième année.
Enfin, la dernière année de son séjour à Rome, le pensionnaire français réalisait un
tableau de son cru comportant “ plusieurs figures de grandeur naturelle ”. Mais le sujet était
déterminé d’avance comme étant puisé soit dans la mythologie, soit dans les littératures, soit
dans l’histoire ancienne, sacrée ou profane.
75
- Archives Nationales (France) - AJ / 52 / 438. Règlement de l’Académie de France à
Rome - 1891. (p. 9 à p.11).
76
- Et l’on verra dans l’annexe 1 qu’il est arrivé qu’un pensionnaire soit renvoyé après avoir
fait un travail jugé de qualité insuffisante.
71
Si l’on compare ce programme à celui imposé aux pensionnaires brésiliens en Europe,
on peut dire que les Brésiliens jouissaient d’une plus grande liberté que les pensionnaires
français à Rome. Leurs premiers envois n’étaient pas des copies et, après la réforme
républicaine, une seule copie était exigée pendant tout leur séjour.
Mais le plus important à comprendre c’est la différence qu’il y avait entre les objectifs
des Brésiliens lauréats du Prix de Voyage et ceux des Français lauréats du Prix de Rome. En
effet, ces buts n’étaient pas les mêmes, ils étaient même plutôt dissemblables.
En analysant les travaux obligatoires pour les Brésiliens, on s’étonne de les voir
envoyer des études de modèle vivant, des têtes d’expression, des torses. En effet, le séjour en
Europe se présentait ainsi comme une simple continuation des études commencées au Brésil. Il
s’agissait simplement, en ce qui concerne la réalisation picturale, de perfectionner la maîtrise de
la technique et de profiter de la facilité pour trouver des modèles, des ateliers et des matériaux.
Mais le séjour en Europe représentait aussi la possibilité de contempler toutes les
oeuvres des collections des musées européens, d’être en contact avec la peinture
contemporaine à travers les expositions, et d’exposer ses propres oeuvres dans les Salons
parisiens. Tous les pensionnaires brésiliens ont essayé de participer à la vitrine européenne des
arts plastiques et plusieurs ont réussi à le faire. L’effet recherché c’était d’impressionner le
public brésilien, car n’importe quel artiste ayant exposé aux côtés des Français était valorisé au
Brésil.
Dans les deux prochains chapitres on cherchera à comprendre la mentalité des artistes
et des critiques d’art brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle, et à déceler quelle était la
signification qu’ils attribuaient aux Prix de Voyage.
72
3 - Doléances et espoirs des artistes et des critiques brésiliens de la seconde
moitié du XIXe siècle
Parmi la production récente des historiens de l’art au Brésil, on remarque l’effort
entamé par quelques auteurs pour étudier l’oeuvre des artistes brésiliens du XIXe siècle d’un
point de vue libéré des idées conçues par les modernistes de 1922. En effet, il faut comprendre
ces artistes comme des individus qui ont interagi avec leur époque. On ne doit pas chercher
dans leurs créations des réponses à des questions qui ne se posaient pas à ce moment-là. Il est
donc utile, pour bien comprendre cette période de l’histoire de l’art brésilien, d’étudier les
écrits des hommes liés aux milieux artistiques d’alors. Quels étaient leurs plaintes, leurs
croyances, leurs désirs, leurs espoirs ? En essayant de connaître leur façon de raisonner sur les
événements du monde de l’art, on évitera d’utiliser une interprétation marquée par des idées
datées d’au moins un demi-siècle plus tard pour analyser leurs choix, leurs goûts et leurs
ambitions artistiques.
La première particularité qui nous frappe lorsqu’on se penche sur les textes écrits à
l’époque, c’est le mécontentement des artistes et des gens liés au milieu artistique. Dans tous
les textes, aussi bien dans les articles de journaux que dans la correspondance privée des
artistes ou dans les documents officiels on entend une plainte continuelle : le manque
d’amateurs susceptibles d’acheter des oeuvres d’art. Ce manque rendait précaire la situation
des artistes. Deux passages tirés de la correspondance d’Eliseu Visconti77 lorsqu’il était
pensionnaire de l’Etat en Europe, peuvent en servir d’exemple.
Le 8 septembre 1895, Visconti reçut une lettre de Rodolpho Bernardelli, directeur de
l’Escola Nacional de Belas Artes, qui lui dit :
Parlons maintenant de l’Exposition Générale. (...) Aujourd’hui et hier, (...)
deux beaux jours, les spectateurs ont rempli les salles et le public se
montrait satisfait ; mais en ce qui concerne les achats, il n’y en eut que très
peu. Cela est-il dû à un manque d’argent ? Non pas, cela vient du manque
d’amateurs. Ils sont toujours les mêmes et veulent collectionner des noms, et
non pas des tableaux. Enfin, il nous reste les achats de l’Ecole. 78
77
78
- Les lettres citées appartiennent à Tobias Visconti, fils du peintre.
- “ Passemos a falar-lhe da Exposição [Geral]. (...). Hoje e ontem (...), que os dias estavam
bons, encheu-se a botar fora, e o público mostra-se satisfeito ; quanto a compras, muito poucas. Isso dependerá de falta de dinheiro ? Não, isso depende da falta de amadores, os que há
são sempre os mesmos e estes querem fazer coleção de nomes, e não de quadros. ”
73
Le public ne faisait pas défaut, l’Exposition Générale attirait un grand nombre de
spectateurs. Mais quant aux acheteurs, ils n’étaient pas nombreux.
Le 24 avril 1896, Rodolpho Bernardelli écrit encore une fois à Visconti :
Oscar [Pereira da Silva] s’en va à Paris le 29. Il ne veut plus rester ici. Il a
vendu deux tableaux, il a fait quelques portraits, et il s’en va. Il dit qu’il
peut vivre beaucoup mieux là-bas qu’ici [au Brésil]. Pensez à cela ... 79
Oscar Pereira da Silva, peintre lauréat du Prix de Voyage de 1887, avait suivi des
études de perfectionnement à Paris. Après avoir appris à Visconti le désir de Pereira da Silva
de retourner vivre à Paris, Rodolpho Bernardelli lui conseille de penser à cela ! Ce conseil,
venu de la part du directeur même de l’Ecole, est étonnant. En tout cas, il démontre que le
mécontentement des artistes envers le milieu brésilien et que leur désir de vivre en Europe
étaient devenus une tendance générale.
Mais les lamentations ne venaient pas seulement de la part des artistes. Les mêmes
problèmes étaient dénoncés par les critiques dans les journaux. Voici, par exemple, ce que
Gonzaga-Duque écrit en 1887 à propos de l’oeuvre du sculpteur Almeida Reis :
La conception de l’artiste naît du milieu dans lequel il vit. Les luttes contre
les nécessités de l’existence, l’indifférentisme tenace d’une société avide de
richesses inutiles stupidement gardées, société qui n’a pas encore fait son
émancipation morale parce qu’elle vit encore dans un milieu à moitié
barbare en ayant comme aspiration exclusive la politique (...), l’ont amené
vers un autre courant d’inspiration. (...). Cette statue en plâtre, Le Crime
(...), n’est que le produit d’une âme agitée par les désagréments. Après Le
Crime (...) est venu Génie et Misère (...). On dirait qu’Almeida Reis a senti
la misère, et une telle affirmation n’étonnera personne puisque personne
n’ignore les vicissitudes qu’un artiste traverse dans un pays où les profits
obtenus dans cette profession sont fréquemment insuffisants à sa
subsistance ! 80
Pourtant, la situation semblait s’améliorer à la fin des années 1880. Une augmentation
du nombre d’expositions privées se fit sentir à ce moment-là, ce qui indiquait une amorce
timide du marché de l’art. En juillet 1889, les journalistes annoncèrent avec joie l’inauguration
79
- “ O Oscar [Pereira da Silva] parte para aí no dia 29, não quer saber de ficar aqui. Vendeu
dois quadros e fez uns retratos, e lá vai ele contudo [sic] e diz que lá ele pode viver muito
melhor do que aqui. Pense no caso e vá preparando pão para o forno ! ”
80
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, pp. 247 - 248.
“ A concepção do artista nasce do meio em que ele vive e as lutas com as necessidades da
existência, o tenaz indiferentismo de uma sociedade ávida de riquezas inúteis avara e
74
d’un nouvel espace d’expositions à Rio de Janeiro. L’Atelier Moderno était le premier espace
conçu comme une vraie galerie d’art à Rio, un espace “ dont la salle peut être une école pour
‘l’éducation de la vue’ ”, d’après la rubrique Belas Artes, de la Revista Ilustrada. Angelo
Agostini, l’auteur de cet article affirmait alors :
Il existe maintenant un espace permanent, avec d’excellentes conditions de
localisation et de lumière, où il est possible de réunir le talent et le travail
représentés dans les toiles, bustes, statues, etc. Il faut maintenant que les
artistes, unis comme un seul homme, viennent donner leur contribution à
l’entreprise civilisatrice, en travaillant avec ardeur et en exposant leurs
productions de façon à s’imposer au public, au moins comme des utopistes
impertinents. Il faut qu’une critique sans fanfreluches, sensée et vraie,
indique ce qui est un chef-d’oeuvre, ce qui ne dépasse pas les limites du
bon; ce qui est passable et ce qui n’a aucune valeur - afin que le public
apprenne à apprécier et à distinguer. Il faut que ce bon public, tellement
diffamé, encourage les efforts des artistes consciencieux et de la critique
sensée, en applaudissant leur mérite et - par Dieu! - en achetant des
tableaux, convaincu qu’en agissant de la sorte il est plus digne d’une patrie
libre que lorsqu’il détrempe son intelligence en combinaisons - presque
toujours ratées - de courses de chevaux et... loteries. Il nous manque encore
beaucoup, mais heureusement qu’il ne nous manque pas tout. 81
estupidamente guardadas, sociedade que ainda não fez a sua emancipação moral porque ainda vive em meio-barbarismo tendo por exclusiva aspiração a política (...), levaram-no para
outra corrente de inspiração. (...) essa estátua em gesso, o Crime, tão elogiada pelos periódicos americanos, em 1876, não é mais que o produto de uma alma agitada pelos dissabores.
Depois do Crime (...) veio o ‘Gênio e Miséria’ (...). Dir-se-á (...) que Almeida Reis a sentiu [
a miséria], e tal afirmação não faz pasmar a ninguém já que ninguém ignora as vicissitudes
pelas quais passa um artista em país onde os lucros obtidos pela profissão muitas vezes são
minguados para a própria subsistência ! ”
81
- XISTO GRAPHITE (Angelo Agostini). Revista Ilustrada, colonne “ Belas Artes ”, 20 -789. [Cité par PRADO, p.88]
“ Há agora um ponto permanente, com excelentes condições de localidade e de luz, onde se
podem reunir o talento e o trabalho, representados em telas, bustos, estátuas, etc. Resta que
os artistas, unindo-se como um só homem, metam ombros à civilizadora empresa, trabalhando com afinco, e expondo as suas produções de modo a se imporem ao público, ainda que
não seja senão como utopistas impertinentes. Resta que uma crítica sem fanfreluches, sensata e verdadeira, aponte o que é a obra prima, o que não ultrapassa os limites do bom ; o que
é sofrível e o que não presta - a fim de que o público saiba apreciar e distinguir. Resta que
este bom público, tão caluniado, secunde e ultime os esforços dos artistas conscienciosos e
da crítica sensata, aplaudindo-lhes o mérito e - por Deus ! - comprando quadros, convencido
de que assim procedendo, é mais digno de uma pátria livre do que andando a delir a inteligência em combinações - quase sempre frustradas - de corridas de cavalos... e loterias. Resta, pois, muita coisa ; mas ainda bem que não resta tudo. ”
75
On remarque à la fin de l’article la demande, presque une supplique adressée au
public pour qu’il achète des oeuvres d’art. Même lorsqu’il s’agissait de se réjouir au sujet
d’une amélioration, la plainte se renouvelait.
Si l’on se penche sur des textes plus anciens, datés des années 1850, on voit que cette
plainte existait déjà. Pendant longtemps, les artistes n’eurent qu’un choix : se faire portraitistes.
Pour répondre aux difficultés, ils s’appliquaient au genre du portrait, genre le plus demandé par
les riches brésiliens. En 1856, Victor Meirelles, lauréat du Prix de Voyage et pensionnaire en
Europe, reçut d'Araújo Porto-Alegre, Directeur de l’Académie, le conseil suivant :
Comme celui qui pense aux choses pratiques, (...) je vous conseille
instamment d’étudier le genre du portrait, parce que c’est ce dont vous
obtiendrez les ressources vous permettant de vivre ; notre patrie n’est pas
encore ouverte à la grande peinture. L’artiste ici doit être double : peindre
pour soi-même, pour la gloire, et être portraitiste, parce qu’il a besoin de
vivre. 82
Araújo Porto-Alegre, qui envoyait les pensionnaires de l’Academia Imperial se
perfectionner dans les techniques et sujets du néoclassicisme en France et en Italie, conseillait
Victor Meirelles à faire des portraits afin de survivre ! On remarque un décalage entre les
intentions de l’Académie qui formait les artistes brésiliens, et la réalité sociale que ces mêmes
artistes retrouvaient à la fin des années de préparation et spécialisation.
Pour proposer des solutions à ce décalage et à la situation précaire des artistes
brésiliens, Araújo Porto-Alegre avait écrit deux mémoires à la demande de l’empereur Dom
Pedro II, en 1853.83 Le premier consista dans un ensemble de notes à propos de l’organisation
de
l’Academia Imperial de Belas Artes. L’autre a eu comme titre Notes sur les moyens pratiques
de développer le goût et le besoin des beaux-arts à Rio de Janeiro. Il est intéressant
d’examiner ce dernier mémoire en suivant le raisonnement de Porto-Alegre qui approfondit ses
82
- Cité par DURAND, p.37.
“ Como homem prático, e como particular, recomendo-lhe muito o estudo do retrato, porque é dele que há de tirar o maior fruto de sua vida : a nossa pátria ainda não está para a
grande pintura. O artista aqui deve ser uma dualidade : pintar para si, para a glória, e retratista, para o homem que precisa de meios. ”
83
- On a déjà mentionné, dans le chapitre 2.1 - Les Concours, que Porto-Alegre avait été
professeur de l’Académie et, après avoir démissionné de son poste, publia quelques articles
critiques dans la presse. Les textes cités ici datent de cette période. Plus tard Porto-Alegre
fut réintégré dans l’Académie comme directeur.
76
réflexions sur les difficultés affrontées par les artistes brésiliens et qui exprime son point de vue
sur la situation. Il introduit son sujet par une phrase à effet :
Le plus grand talent, une âme comme celle de Léonard de Vinci ou de
Michel-Ange, ne pourrait rien faire au Brésil, car les beaux-arts ne font pas
encore partie de notre vie sociale. 84
Porto-Alegre affirmait ainsi que les problèmes rencontrés par les artistes n’étaient pas
causés par un éventuel manque de talent. Au contraire, la responsabilité ne revenant pas aux
artistes, ceux-là étaient les victimes de l’inexistence d’un milieu propice au développement des
arts :
(...); on n’a pas encore cet amour du beau qui distingue les races qui ont
pris le devant de la civilisation moderne. 85
Il ajoute ici une comparaison entre le Brésil et les pays “ qui ont pris le devant de la
civilisation moderne ”. On retrouve souvent ce type de comparaison dans la littérature
brésilienne de la période. Ensuite, Porto-Alegre trace un résumé historique pour expliquer la
situation :
(...) Le gouvernement de Sire Dom Pedro I fut celui d’une période critique
qui commença avec une révolution et finit avec une autre : dans toutes ses
créations, on remarque le caractère du provisoire : la confiance publique
n’avait pas de racines dans le futur. (...).
84
- PORTO-ALEGRE, Manuel de Araújo. “ Apontamentos sobre os meios práticos de desenvolver o gosto e a necessidade das Belas Artes no Rio de Janeiro, feitos por ordem de Sua
Majestade Imperial o Senhor Dom Pedro II Imperador do Brasil ”. Rio de Janeiro, 1853. Revista Crítica de Arte n.4, décembre 1981, p. 30.
“ O maior engenho, uma destas almas como a de Leonardo da Vinci, ou de Miguel Ângelo, nada faria no Brasil, porque as belas artes ainda não fazem parte da nossa vida social... ”
85
- PORTO-ALEGRE, idem.
“ ... ainda não temos esse amor do belo, que tanto distingue as raças que tomaram a dianteira da civilização moderna. ”
77
À partir de 1841 l’esprit public commença à se tourner un petit peu vers le
beau, mais pour l’instant rien de positif et de durable n’a été fait : l’esprit
du provisoire plane toujours sur l’atmosphère sociale.
Le Chef de la nation n’a pas de palais, et le Gouvernement, les tribunaux,
et les écoles d’enseignement spécialisé sont des locataires qui changent
souvent de domicile. Cet état provisoire doit être combattu, parce qu’il
inspire à la morale du citoyen la conviction de l’inexistence d’une stabilité.
Dans tout ce qui est provisoire,(...), le futur est toujours sacrifié en faveur
du passé, l’immobilité et la routine triomphent, et on assiste à une
déchéance. 86
Après avoir épargné Dom Pedro II de ses critiques (1841 correspond à la première
année du règne de Pedro II87), Porto-Alegre condamne l’esprit du provisoire. Selon lui, le
caractère provisoire de toutes les entreprises gouvernementales était responsable de la situation
précaire des arts dans le pays. Il continue ensuite, en faisant des éloges à l’Empereur et en
critiquant les Brésiliens :
L’Academia das Belas Artes existe parce que Notre Majesté lui offre sa
protection, car je connais l’esprit d’un grand nombre de nos notables
politiques et l’espèce de gloire qu’ils désirent le plus. 88
Finalement, il présente ses propositions pour l’amélioration de la situation :
86
87
88
- PORTO-ALEGRE. Idem, p. 31.
“ O Governo do Senhor Dom Pedro I não foi mais que o de uma época crítica, que começou por uma revolução e acabou por outra : em todas as suas criações houve o caráter do provisório : a confiança pública não tinha raízes no futuro. (...). De 1841 para cá
é que o espírito público começa a volver-se um pouco para este lado do belo, mas nada
se há feito ainda de positivo e de durável : o espírito do provisório ainda paira sobre a
nossa atmosfera social. / O Chefe da nação não tem um palácio, e o Governo, os tribunais, e as escolas do alto ensino, são inquilinos, que mudam de domicílio continuamente. Este estado provisório deve ser combatido, porque infunde no moral do cidadão a
convicção de que não há estabilidade. / Em todo o provisório, (...), há sempre um sacrifício do futuro ao passado, o triunfo da imobilidade e da rotina, e o cunho de uma decadência. ”
- Pedro II assuma le trône à l’âge de quatorze ans en juillet 1840.
- PORTO-ALEGRE. Idem, p. 32.
“ A Academia das Belas Artes existe porque Nossa Majestade a tem amparado, pois
conheço o espírito de uma boa parte das nossas sumidades políticas e a espécie de glória a que mais aspiram. ”
78
Maintenant, avec le mouvement matériel et intellectuel de l’actualité, et avec
la direction que le Gouvernement peut leur donner, les arts feront des
progrès.
Pour que les arts commencent à avoir une vie régulière et s’épanouissent
petit à petit, pour qu’ils diffusent leur influence bienfaisante dans la morale
publique et dans l’industrie, il faut que la famille artistique possède un
point d’appui constant dans le pays, et ce point d’appui est le
Gouvernement : l’artiste est tout à fait cet homme des Ecritures, qui ne vit
pas seulement du pain.
Dans un pays comme le nôtre, où il n’y a que Votre Majesté qui achète des
tableaux et des statues, sans avoir pour cela une dotation, et où les bureaux
de l’Etat, les Tribunaux et les résidences des grands sont tapissés de papiers
peints, les arts ne peuvent pas se développer : il faut qu’ils soient stimulés du
haut vers le bas, du Gouvernement vers le peuple. 89
Par la suite Porto-Alegre proposait la création d’une Pinacothèque et d’une
Nécropole. Selon son idée, les meilleures oeuvres des meilleurs artistes seraient acquises par
l’Etat pour enrichir la collection de la Pinacothèque qui servirait aussi de complément à
l’enseignement procuré par l’Académie des Beaux-Arts. La Nécropole serait l’occasion pour
les peintres et les sculpteurs d’être engagés dans la réalisation des monuments funéraires. Le
gouvernement pouvait créer ainsi des moyens d’existence pour les artistes. Pour renforcer son
raisonnement, Porto-Alegre signale la différence entre la situation des artistes qui se
dévouaient à l’exécution de portraits et celle des artistes qui ne trouvaient pas d’acheteurs
intéressés à leurs oeuvres parmi les particuliers :
Les portraitistes n’ont pas besoin de cet encouragement, puisque leur art
favorise les besoins de la famille, l’égotisme, la vanité personnelle ; mais les
89
- PORTO-ALEGRE. Idem, p. 32.
“ Com o movimento material e intelectual da atualidade, e com a direção que lhes pode
dar o Governo, as artes farão algum progresso. (...). Para que as artes comecem a ter
uma vida regular e floresçam pouco a pouco, para que elas espalhem o seu benigno insuflo na moral pública, e na indústria, é necessário que a família artística tenha um ponto de constante apoio no país, e este ponto é o Governo : o artista é precisamente
aquele homem da Escritura, que não vive só de pão. (...). Num país como o nosso,
onde Vossa Majestade somente compra painéis e estátuas, sem para isto ter uma dotação, e onde as Secretarias de Estado, os Tribunais e as casas dos grandes se forram de
papéis pintados, as artes não podem vigorar : a sua direção deve ser outra, e marchar
do alto para baixo, do Governo para o povo. ”
79
architectes, les sculpteurs et les peintres d’histoire ne se trouvent pas dans
la même situation. 90
En somme, d’après la lecture du texte de Porto-Alegre, on observe qu’il ne comptait
pas sur les particuliers et sur la société brésilienne dans son ensemble pour appuyer les arts. Il
considérait que toute la responsabilité revenait au gouvernement, et c’est de l’Etat qu’il
attendait un appui efficace.
Le mécontentement envers les particuliers qui se montraient indifférents ou même
dédaigneux vis-à-vis des beaux-arts, exprimé constamment pendant toute cette période,
apparaît encore une fois dans un texte postérieur de quelques années, mais la solution proposée
n’est pas la même. En 1856, l’architecte Bethencourt da Silva affirmait que le gouvernement
aurait beau faire des efforts, ces efforts n’auraient aucune valeur s’ils n’étaient pas
accompagnés d’un changement de mentalité général par rapport aux beaux-arts :
L’Academia das Belas Artes qui, comme tout le monde le sait, comptait
parmi ses membres des artistes éminents et insignes, comme M. Grandjean
de Montigny, voyait tous ses efforts et désirs inutilisés devant l’ignorance
d’une population qui ne voulait pas recevoir le moindre fruit du travail
artistique, ni considérer comme essentiellement digne de respect la
profession des arts. Sous l’emprise de ces difficultés, le découragement a fait
son chemin, et l’Académie fut amenée à un plan incliné, d’où seule
l’éducation du peuple pourra la faire sortir. Il est vrai que le gouvernement
impérial s’est dévoué dernièrement à la réformer, à lui donner de
l’importance dans le pays ; mais que peut faire une volonté unique contre la
volonté d’une multitude qui ne connaît pas les avantages que lui sont
offertes ?... - Peu ou presque rien. 91
90
- PORTO-ALEGRE. Idem, p. 32.
“ Os retratistas não carecem de tamanha animação, porque a sua arte favorece as necessidades da família, o egoísmo, e a vaidade pessoal ; mas os arquitetos e pintores históricos não estão assim. ”
91
- Bethencourt da Silva, “ Discours prononcé le 28 Novembre 1856 pendant la seconde
séance préparatoire de la Société Propagatrice des Beaux-Arts de Rio de Janeiro ”. In : O
Brazil Artístico, revista da Sociedade Propagadora das Belas Artes do Rio de Janeiro, n.1,
1857, p.13.
“ A Academia das Bellas-Artes que, como se sabe, possuía em seu grêmio artistas eminentes e insignes, como o Sr. Grandjean de Montigny, via todos os seus esforços e desejos inutilizados ante as crenças de uma população que não queria receber o menor
fruto do trabalho artístico, nem considerar essencialmente digna de respeito a profissão
das artes. / Sob tais princípios o desânimo lavrou, e a Academia foi levada a um plano
inclinado, donde só a educação do povo a poderá fazer sair. / É verdade que o governo
imperial tem cuidado ultimamente em reformá-la, em dar-lhe influência no país; mas o
que pode uma vontade única, contra a vontade de uma multidão que não conhece as
vantagens que se lhe oferece?... - Pouco ou quase nada. ”
80
Ce texte faisait partie de la première revue de la Société propagatrice des Beaux-Arts
de Rio de Janeiro qui prônait la création d’un Lycée des arts et métiers qui viendrait remédier
au manque d’intérêt des Brésiliens envers les beaux-arts. Bethencourt da Silva92 fut le
promoteur de la création de la Société propagatrice des Beaux-Arts et le fondateur du Lycée
créé en 1857.
Continuons à examiner d’autres articles publiés dans “ O Brazil Artístico ”, la revue
citée ci-dessus. On y trouve des passages bien plus virulents contre le désintérêt de la société.
Jacy Monteiro93, par exemple, écrit:
Quand une nation oublie ou méprise sa propre individualité ;(...) ; quand
elle remplace complètement le besoin des études ‘libérales’ par le mot
‘utilité’ et considère les lettres et les arts comme des futiles occupations,
cela signifie que cette nation fut contaminée par un principe morbide, qui va
la consommer plus ou moins rapidement; (...). Voilà l’idée qui nous vient à
l’esprit quand nous contemplons le spectacle de notre société, le mépris
qu’elle porte envers les belles lettres et les beaux-arts. (...). 94
Dans un style dramatique, Monteiro prophétise un futur ténébreux pour la nation
‘contaminée par un principe morbide’, et se plaint ainsi de la situation précaire des arts dans le
milieu brésilien. Ensuite il cherche les causes historiques des problèmes rencontrés :
92
- Francisco Joaquim Bethencourt da Silva (Rio de Janeiro, 1831 - id., 1911). Dès 1845, il
fut élève de Grandjean de Montigny dans l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de
Janeiro. Plus tard il fut architecte des Travaux Publics et professeur d’architecture de
l’Académie. Ce fut Bethencourt qui eut l’idée de créer le Lycée des Arts et Métiers de Rio
de Janeiro.
93
- Docteur en Médecine, il fut l’un des fondateurs de la Société Propagatrice des BeauxArts de Rio de Janeiro.
94
- MONTEIRO, Jacy. In : O Brazil Artístico, revista da Sociedade Propagadora das Belas
Artes do Rio de Janeiro, n.1, 1857, p. 3.
“ Quando uma nação olvida ou menospreza a sua própria individualidade ; (...) ; quando
substitui completamente a palavra utilidade pela necessidade dos estudos liberais e considera
fúteis ocupações as letras e as artes, é que essa nação se acha contaminada de um princípio
mórbido, que a consumirá mais ou menos rapidamente ; (...). É essa a idéia que em nós faz
nascer o espetáculo da nossa sociedade, o desdém que aqui vemos pelas belas letras e artes. ”
81
Toutefois, il est possible d’expliquer ce fait - Originaire d’une nation pour
laquelle les guerres de la conquête avaient presque remplacé les combats de
l’intelligence et de la culture des arts ; éduqué par cette nation auparavant
glorieuse et vaillante, mais que la richesse des colonies et l’influence
étrangère avaient affaiblie,(...); assujetti par la métropole qui rendait
difficile le développement et la diffusion des idées, craintive des résultats que
cela pourrait produire, et en regardant moins vers le futur de cette terre que
vers les fruits qu’elle pourrait lui procurer : notre peuple, dès qu’il a senti
le sein affranchi du joug, crut que pour jouir de la liberté en toute sa
plénitude il était suffisant de se reposer à l’ombre du peu que lui avait été
laissé et, s’allongeant dans les bras de la servitude, que comme un cancer
lui avait été jeté dans le sein, s’adonna à l’oisiveté, dans la négligence de tout
avancement. 95
La cause de tous les maux brésiliens, selon Jacy Monteiro, se trouvait donc dans le
passé colonial. La nation portugaise était accusée, en premier lieu, d’avoir empêché tout
développement intellectuel parmi les Brésiliens ; et ensuite, après l’indépendance politique du
Brésil, de lui avoir légué un héritage de mépris de tout progrès et de tout effort, l’héritage de
l’esclavagisme.
Jacy Monteiro critique ensuite le peuple brésilien. Il l’accuse de négliger
l’avancement spirituel et culturel de la nation, en s’adonnant seulement aux occupations du
commerce, de l’administration publique et de la politique. Reprenons ses propres mots :
Il [le peuple brésilien] considéra la richesse comme le point cardinal de la
civilisation et du bonheur, et pensa qu’il suffisait, pour l’obtenir et agrandir
le pays, de s’adonner à ce trafic que l’on a appelé commerce, ou, amant de
l’inertie, il choisit de se dévouer aux postes publics de la nation ; et
dépouillé de tout sentiment de gloire, au lieu de s’adonner à la culture de
l’esprit et à la purification des moeurs, il préféra passer son temps à se jeter
rapide dans ces disputes, pour la plupart personnelles et odieuses,
lesquelles on a voulu appeler politique. Ce peuple que la Providence, avec
prodigalité, avait doté du suffisant, n’a pas voulu les avantages que lui
apporterait le culte de son penchant vers le beau et le grand, uni aux autres
95
- MONTEIRO, Jacy. Idem, p.3.
“ Todavia uma explicação se pode talvez dar a este fato. - Oriundo pela mór parte de uma
nação para a qual as guerras da conquista haviam quase substituído os combates da inteligência e a cultura das artes ; educado por essa nação, d’antes gloriosa e valente, mas que a riqueza das colônias e a influência estrangeira haviam afrouxado, (...); sopeado na desenvolução e esparzimento das idéias pela metrópole, receosa de alguns resultados que isso poderia
ter, e olhando menos para o futuro desta terra do que para os frutos que dela poderia colher : o nosso povo, ao sentir o colo despido do jugo, achou que era gozar da liberdade em
toda a sua plenitude o descansar à sombra do pouco que lhe tinham deixado, e, reclinando-se
nos braços da servidão, que como um cancro lhe haviam lançado no seio, deixar-se ficar no
ócio, na negligência de todo adiantamento. ”
82
dons de la nature ; il préféra la médiocrité riche aux inventions utiles ou
belles, et c’est pourquoi il a voulu imiter, même quand celles-ci ne lui
étaient pas utiles, les découvertes (...) que le travail et l’ingéniosité
produisent dans les autres nations, plus avides de gloire. Et ainsi resta-t-il
pendant longtemps immobile et stationnaire, comme s’il était né avec tous les
vices d’une race décadente. 96
On remarque que le dénigrement du peuple brésilien comme un peuple négligent et
paresseux allait de pair avec l’éloge de peuples plus cultivés, plus laborieux, plus ‘avides de
gloire’. Jacy Monteiro critique les Brésiliens parce qu’ils imitent les inventions faites ailleurs,
des inventions pas toujours utiles en milieu brésilien. Selon lui, il ne fallait pas imiter les
produits finis, mais le dévouement au travail qui apporte des nouvelles découvertes. Les
peuples étrangers étaient montrés comme un exemple de ce dévouement.
En lisant d’autres auteurs on trouve plusieurs fois la comparaison entre le Brésil et les
nations plus développées, et celles-ci sont présentées souvent comme des modèles à suivre.
Revenons à Bethencourt da Silva, par exemple. Lorsqu’il exprime la possibilité d’un
changement dans la mentalité des Brésiliens, il affirme :
Le développement de l’instruction publique, la multiplication des
connaissances utiles qui nous arrivent des nations plus développées, les
voyages qu’une grande partie de notre jeunesse fait en Europe, tout cela a
pour résultat de faire connaître que les arts sont le foyer principal d’où
émane la richesse publique et nationale, et que les pays qui ne les cultivent
pas, qui n’ont pas réservé une place d’honneur à ceux qui en font profession
avec distinction, ne peuvent pas influencer les nations cultivées.97
96
- MONTEIRO, Jacy. Idem.
“ Reputou a riqueza como ponto cardeal da civilização e da felicidade, e cuidou que era bastante, para obtê-la e engrandecer o país, entregar-se àquele tráfego e labutar que se disse comércio, ou, amante da inércia, aos empregos da nação ; e preferiu no entanto, para passatempo, esbulhando-se de todo o sentimento de glória, atirar-se precipite n’aquelas disputas, o
mais das vezes pessoais e odiosas, a que quiseram chamar política, antes de dar-se à cultura
do espírito e à purificação dos costumes. Este povo, que a Providência tão prodigamente dotara com o suficiente, não quis o muito que traria o cultivo da sua aptidão para o belo e o
grande, unida aos outros dons da natureza ; avaliou em mais a rica mediocridade do que as
invenções úteis ou belas, e por isso procurou imitar, ainda quando não lhe servissem, as descobertas (...) que o trabalho e o engenho tem produzido nas outras nações mais ávidas de
glória. E assim ficou por muito tempo quedo e estacionário, como tendo nascido com todos
os vícios de uma raça decadente. ”
97
- BETHENCOURT DA SILVA. In : O Brazil Artístico, revista da Sociedade Propagadora
das Belas Artes do Rio de Janeiro, n.1, 1857, p.13.
83
On voit que Bethencourt considérait le contact des jeunes brésiliens avec les sociétés
européennes comme l’un des facteurs qui pouvaient les amener à comprendre l’importance des
arts.
Encore dans cette perspective de comparaison entre le Brésil et les nations
européennes, il est intéressant de citer un autre texte de Jacy Monteiro. Il raconte d’une
manière touchante son expérience de Brésilien en Europe :
Messieurs - Il fait déjà longtemps que je me suis éloigné de cette patrie, ma
patrie que j’aime tellement... Pendant cette absence qui m’a semblé si
longue, je n’ai jamais oublié ce beau pays, pas même un jour ; au milieu de
mes études et de mes pèlerinages à travers les pays étrangers, au milieu des
merveilles de l’art et de l’industrie qui partout m’entouraient, le désir de
revoir ce soleil splendide, ces fleurs riches de couleurs et de parfums, la
vigueur éternelle de cette nature, ne m’a jamais abandonné.
Mais pour quelle raison une pensée amère se mêlait à cette nostalgie
infinie ? Pourquoi un soupir involontaire de chagrin venait troubler
l’enchantement de mon esprit ? Pourquoi cela me faisait du mal de
contempler les preuves monumentales de l’amour du beau et de la gloire
que je trouvais à chaque pas ?
C’est parce que cela me faisait penser au retard dans lequel se trouvent les
lettres et les arts parmi nous, et je me rappelais du peu d’estime qu’en
général ils reçoivent de nos compatriotes, comme s’il s’agissait d’une grande
faveur que de s’y intéresser.
(...)
C’est parce que, alors que partout je voyais, j’entendais ou je lisais des
témoignages de la vie, du développement, du goût des autres peuples ;
quand il s’agissait du Brésil, au contraire, lorsque le silence était rompu
c’était pour faire connaître notre pays sous les couleurs les moins
favorables; c’était pour s’en moquer comme d’une caste de sauvages ; et pas
un indice, souvent pas un mot d’un compatriote pour réfuter l’idée plus ou
moins bien fondée de notre retard, pour défaire l’ignorance grossière qui
règne au sujet des choses qui sont les nôtres!...
Et finalement il ne m’était permis de parler que de notre prodigieuse et
luxuriante nature; et je ne pouvais me rappeler, en regardant tous ces objets
remarquables, un seul monument durable qui signalerait un fait distingué de
notre histoire, qui représenterait le nom glorieux de l’un de nos ancêtres : et
cependant j’étais conscient que la fièvre de l’or, déguisée sous le nom
“ O desenvolvimento da instrução pública, a multiplicação dos conhecimentos úteis que das
nações mais adiantadas nos têm vindo, as viagens que uma grande parte da nossa mocidade
tem empreendido pela Europa, têm feito conhecer que as artes são o foco principal donde dimana a riqueza pública e nacional, e que os países que as não cultivam, que não têm reservado um lugar de honra para aqueles que as professam com distinção, não podem ter influência
entre as nações cultas. ”
84
pompeux d’améliorations matérielles, s’était emparée de toutes les classes de
la société, déjà pleine de préjugés et d’opinions limitées, entraînant les
fortunes et opprimant les lettres et les arts, qui étaient chaque fois plus
offusqués et gisaient comme des morts. 98
On peut prendre ce passage comme un exemple du sentiment éprouvé par les
Brésiliens de cette époque face au décalage entre la réalité vécue en Europe et celle de leur
propre
98
- MONTEIRO, Jacy. “ DISCURSO ” In : O Brazil Artístico, revista da Sociedade
Propagadora das Belas Artes do Rio de Janeiro, n.1, 1857, p.21.
“ Senhores. - Muito tempo vai decorrido desde que parti desta minha pátria que tanto
prezo... Nunca, enquanto durou a minha ausência que tão longa me pareceu, nunca deste
belo torrão me esqueci um só dia; no meio dos meus estudos e das minhas peregrinações em
países estranhos, no meio das maravilhas da arte e da indústria que por toda a parte se me
antolhavam, o desejo de rever este sol esplêndido, estas flores ricas de matizes e de perfumes, o viço eterno desta natureza, nunca um instante me abandonou. / Mas porque vinha um
pensamento amargo entremear-se a essa saudade infinda? porque vinha um suspiro involuntário de mágoa turbar o enlevo do meu espírito? porque me doía ao contemplar as provas
monumentais do amor do belo e da glória que a cada passo me ocorriam aos olhos? / É porque trazia à memória o atraso em que conhecia as letras e as artes entre nós, e a pouca estima que em geral se lhes outorga com todas as dificuldades de um grande favor. (...). É porque, enquanto por toda a parte divisava, ouvia ou lia testemunhos da vida, do adiantamento,
do gosto de outros povos; ao contrário, a respeito do Brasil, quando o silêncio se rompia,
era para fazê-lo conhecer sob pouco favoráveis cores; era para mofar dele, como de uma
casta de selvagens: e nem-um indício, nem muitas vezes a palavra de um compatriota que pudesse rebater a idéia mais ou menos bem fundada de nosso atrasamento, desvanecer a grosseira ignorância que por aí reina acerca das nossas cousas!... / É porque, finalmente, não me
era lícito falar senão da nossa prodigiosa e luxuriante natureza; e não podia memorar, à vista
de tantos objetos notáveis, um só monumento duradouro que assinalasse algum caso estremado da nossa história, que sugerisse o nome glorioso de algum de nossos antepassados: e
no entanto tinha notícia de que a febre do ouro, acobertando-se com o título especioso de
melhoramentos materiais, se apoderava de todas as classes da sociedade, já tão eivada de
preconceitos e opiniões limitadas, arrastando as fortunas e oprimindo as letras e as artes, que
se ofuscavam cada vez mais e jaziam como mortas. ”
85
pays. Beaucoup de Brésiliens, en comparant leur patrie aux pays européens,
avouaient que le Brésil avait encore un long chemin à parcourir avant d’atteindre le même
niveau de ‘civilisation’ que l’Europe. La plainte générale concernait le retard de cette nation, et
l’héritage de la colonisation portugaise était considéré comme responsable de ce retard. Par
conséquent, les contributions de la Mission française étaient ressenties presque comme une
rédemption, ou comme la libération face à une destinée malheureuse. Voici ce qui a écrit
Gonzaga-Duque à ce propos :
La colonie d’artistes français qui arriva à Rio en 1816 vint démarquer une
nouvelle époque pour l’art brésilien. Jusqu’alors l’éducation de nos artistes
dépendait de leurs propres efforts, et heureux furent ceux qui réussirent à se
transporter en Métropole pour cultiver leur art préféré. L’ouverture de
l’Académie (1826) est ainsi l’annonce d’une phase d’épanouissement. 99
Cette affirmation date de 1888 et valorise l’arrivé de la Mission française.
Cependant, dans son livre A Arte Brasileira, Gonzaga-Duque esquisse une critique à propos
de l’intervention française dans l’art brésilien. Il affirme que la Mission a interrompu l’amorce
du développement d’un art légitimement brésilien :
La colonie Le Breton a concouru, de façon involontaire, à retirer de notre
art le caractère natif et son originalité.100
Mais les historiens et critiques du XIXe siècle ne partageaient pas son point de vue.
Tous les auteurs de la période avaient une conception très positive du rôle de la Mission
française et de son héritière, l’Academia Imperial de Belas Artes. Ils considéraient l’arrivée
des artistes français comme l’événement qui donna l’impulsion au développement de l’art
brésilien.
À ce moment-là, la plupart des intellectuels brésiliens ne comprenaient pas la valeur
de l’art de la période coloniale qui avait précédé l’arrivée des français. Ils ne voyaient que de
99
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.90.
“ A colônia de artistas franceses, que chegou ao Rio de Janeiro em 1816, veio demarcar uma
nova época para a arte brasileira. Até então a educação dos nossos artistas dependia dos seus
próprios esforços, e felizes foram aqueles que conseguiram transportar-se ao reino para o
cultivo da arte predileta. A abertura da Academia (1826) é pois o prenúncio de uma fase de
florescimento. ”
100
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.257.
“ A colônia Lebreton concorreu, involuntariamente, para retirar da nossa arte a feição nativa
e a originalidade. ”
86
l’ignorance et du mauvais goût dans les oeuvres du baroque d’origine portugaise.
Cela peut s’expliquer par le rejet d’un art qui était lié au passé de dépendance coloniale qu’ils
voulaient oublier, ou par le besoin de refuser le legs de l’élément portugais qui était encore vu
comme le spoliateur des richesses brésiliennes.
La conception selon laquelle la contribution des artistes français a été l’élément qui a
rendu possible l’évolution de l’art brésilien, ou même, de façon plus radicale, la naissance de
cet art, a subsisté pendant longtemps. Jusqu’à la première décennie du XXe siècle, on retrouve
des textes où s’exprime cette idée. Laudelino Freire, par exemple, dans un ouvrage de 1914
affirme que :
L’histoire de la peinture au Brésil (...) date précisément de 1816, année où
arrivent à Rio les artistes français, engagés par le Marquis de Marialva, à
la demande du Comte da Barca. Les français avaient pour tâche d’instituer
l’enseignement artistique au Brésil. Avant cet événement, qui signale le début
de la formation de l'art national, tout ce que l’on possédait (...) ne pouvait
être considéré que comme des manifestations étrangères d’une longue phase
antérieure, au cours de laquelle les premiers germes de la peinture ont été
lancés par des artistes étrangers qui, suite à des circonstances diverses, ont
foulé la terre brésilienne. 101
Le même auteur, dans un discours prononcé en 1917 à Rio de Janeiro à propos de la
peinture au Brésil affirma que rien de bon ne pouvait sortir d’un mélange de Portugais, Indiens
et Noirs, en ce qui concerne les arts. Il finit par conclure que l’art brésilien se forma à partir de
l’apport des français venus avec la Mission artistique engagée par Dom João VI :
Le Brésil, dans le troisième siècle de sa civilisation, ne pouvait pas encore
voir l’essor d’un art supérieur. Dans le sein d’une société formée par un
ensemble de mauvais éléments et exploitée par la cupidité, la cruauté,
l’intrigue, et la férocité de l’époque, l’existence de grands artistes serait
101
- FREIRE, Laudelino. Galeria Histórica dos Pintores no Brasil. Fascículo 1, Oficinas Gráficas da Liga Marítima Brasileira, Rio de Janeiro, 1914. (p.7)
“ A história da pintura no Brasil (...) data precisamente de 1816, ano em que aportaram
ao Rio os artistas franceses, contratados pelo Marquês de Marialva, por incumbência
do Conde da Barca, para aqui instituírem o ensino artístico. Antes desse acontecimento, que assinala o início da formação da arte nacional, tudo o que até então possuíamos
(...) não podia ser considerado senão como manifestações forasteiras de uma longa fase
precursora, na qual ficaram lançados os primeiros germes da pintura por artistas estrangeiros que, por circunstâncias diversas, chegaram a pisar terras brasileiras. ”
87
inadmissible. L’art qui avait surgi alors ne pouvait manquer d’être timide,
inférieur, faible d’inspiration. Il était surtout le produit de la foi religieuse
qui lui avait déterminé et tracé le cercle des inspirations.
La Cour de D. João VI a rencontré ici ce groupe réduit de peintres
médiocres, tournés vers les sujets de l’art sacré, ou vers le portrait et la
décoration.
(...)
En engageant des artistes français qualifiés, D. João VI a rendu un
inoubliable service à notre culture. 102
Aujourd’hui ces affirmations sont ressenties comme des absurdités. L’une des
grandes contributions du modernisme brésilien fut celle de faire comprendre la richesse de l’art
baroque et de valoriser la différence brésilienne par rapport à l’art européen. Il faut reprendre
ce texte de Laudelino Freire pour se rendre compte de la manière par laquelle les Brésiliens du
XIXe siècle comprenaient l’art de leur pays.
Avant d’achever ce chapitre, faisons une récapitulation des idées exposées jusqu’ici,
de façon à préciser quelles furent les plaintes les plus fréquentes et les espoirs exprimés par les
artistes et les critiques brésiliens de la période étudiée. Pour ce qui est des doléances, on a vu
que :
1 - Pendant toute la période, la plainte la plus fréquente fut celle concernant le
manque d’amateurs d’art prêts à acheter la production des artistes. Le milieu
brésilien fut vivement critiqué comme inadapté et défavorable au
développement des beaux-arts. Cette lamentation se trouve exprimée aussi
102
- FREIRE, Laudelino. A Pintura no Brasil, discurso de recepção no Instituto Histórico.
Imprensa Nacional, Rio de Janeiro, 1917, pp. 64 - 66.
“ As condições mesológicas do Brasil, no terceiro século da sua civilização, ainda não
permitiam o surto de uma arte superior. No seio da sociedade em que eles viviam, formada por um conjunto de elementos ruins e explorada pela ganância, crueldade, intriga
e fereza da época, seria inadmissível a existência de grandes artistas. A arte que então
irrompera não podia deixar de ser acanhada, inferior, balda de inspiração. Era principalmente o produto da fé religiosa, que lhe determinara e traçara o círculo das inspirações.
/ Fora aquele reduzido grupo de medíocres pintores sacros, retratistas e decoradores
que aqui viera encontrar a corte de D. João VI. / O rei, querendo aproveitar a capacidade de artistas franceses que, como ele, foragidos, vieram buscar asilo às nossas plagas,
e que lhe buscaram a sua real e graciosa proteção para serem empregados no ensino
das artes, criou, por decreto de 12 de agosto de 1816, a primeira escola de instrução
artística no Brasil. / Houve por bem mandar que se lhes pagassem pensões (...), determinando-lhes firmassem contrato pelo tempo de seis anos, o que posteriormente foi feito. (...). / Com o aproveitar-lhes as habilitações, prestou D. João VI inolvidável serviço
à nossa cultura. ”
88
bien dans la correspondance des artistes que dans les articles des critiques
publiés dans les journaux contemporains.
Pour expliquer l’inadéquation aux beaux-arts dont faisait preuve le milieu brésilien,
les divers auteurs ont indiqué, comme causes du problème :
1 - L’esprit du provisoire présent dans tous les projets du
Gouvernement. (Araújo Porto-Alegre, 1853).
2 - L’héritage de la colonisation portugaise. Le passé colonial de la nation
brésilienne aurait empêché le désir de développement intellectuel et de progrès,
en entraînant le mépris des arts. (Jacy Monteiro, 1856).
Quant à la solution à ce problème fondamental, deux chemins parallèles furent
proposés :
1 - Dans les propositions d’Araújo Porto-Alegre (1853) on observa que la
solution attendue devait venir des instances gouvernementales, dans le sens
d’une suppléance au manque d’acheteurs par l’Etat, bienfaiteur des artistes ;
2 - Sous l’orientation de Bethencourt da Silva (1856), les fondateurs du Lycée
des arts et métiers de Rio de Janeiro avaient l’espoir de résoudre le problème
par l’éducation esthétique du peuple.
Une autre observation que l’on a faite à partir de la lecture des textes de l’époque
concerne la comparaison souvent ébauchée entre le Brésil et les nations européennes. De cette
comparaison les divers auteurs concluent à un handicap du peuple brésilien, appelé à suivre
l’exemple des Européens.
Finalement, on a remarqué le rôle très positif attribué à la Mission française. Par
rapport au passé colonial brésilien, cette Mission a été comprise comme l’élément qui a rendu
possible le développement des beaux-arts au Brésil. Et si les relations avec le Portugal étaient
alors marquées très négativement par un rejet du passé, les rapports avec la France seront
imprégnés d’admiration et tout contact avec la culture française sera considéré comme très
avantageux.
Le résultat pratique de ces considérations a été une grande insatisfaction à l’égard du
pays. Pendant longtemps, la pensée qui domina l’esprit des Brésiliens fut marquée par le désir
de ‘retourner’ en Europe pour retrouver une ‘patrie’ perdue. C’est ce sentiment que l’on
devine dans ce passage, écrit par Henrique Bernardelli103 à Visconti, qui se trouvait à Paris :
103
. - Henrique Bernardelli (Chili, 1858 - Rio de Janeiro, 1936) - frère de Rodolpho, peintre et
professeur de l’Escola de Belas Artes de Rio de Janeiro.
89
J’espère que tu pourras rester là-bas le plus longtemps possible, et si tu
veux un conseil d’ami, choisis le sacrifice de faire des tableaux
commerciaux pour les vendre ici, plutôt que de rentrer vivre ici. Ne te fais
pas d’illusions, la situation ici est toujours la même. En tout cas, si tu ne
peux pas t’empêcher de revenir, viens avec un bon nombre de tableaux afin
de les vendre pour pouvoir repartir. 104
Il semble qu’une partie considérable des artistes brésiliens de cette époque souffraient
du syndrome du mazombisme dont parlait José Paulo Paes, le 3 avril 1996, dans une interview
accordée à la revue VEJA.
Il s’agit d’un pur reflet du syndrome du mazombisme qui attaque toute la
formation culturelle du Brésil.
Mazombisme est une expression que le grand Gregório de Matos105
employait pour se moquer du mazombo, cet individu qui, né au Brésil,
souffrait de la nostalgie de ne pas être un européen. À son époque, Joaquim
Nabuco106 avait l’habitude de dire que le Brésilien lisait ce que la France
produisait et qu’il était, par son intelligence et son esprit, comme un citoyen
français : il voyait tout exactement comme s’il était un Parisien déporté de
Paris. 107
Ce sentiment d’inadaptation a sûrement joué son rôle dans la manière d’envisager le
Prix de Voyage en Europe. La signification de ce Prix pour les artistes et le milieu artistique
brésilien de la seconde moitié du XIXe siècle est le sujet du chapitre suivant.
104
- Lettre datée du 19 octobre 1898. (Cette lettre appartient à Tobias Visconti, fils du peintre
Eliseu Visconti).
“ ... que tu possas agüentar lá o mais possível, e se queres que eu te dê um conselho de
amigo, escolhe o sacrifício de fazer quadros de comércio para serem vendidos aqui do
que a aqui vires, não te iludas, isto aqui é o mesmo de sempre, em todo caso se não puder deixar de cá vir, vem com um bom número de quadros que os possas vender para
poderes voltar. ”
105
- Gregório de Matos (Salvador, 1636 - Recife, 1695) - poète brésilien de la phase baroque.
106
- JOAQUIM Aurélio Barreto NABUCO de Araújo (Recife, 1849 - Washington, EUA,
1910) - Politicien, diplomate et écrivain. Abolitionniste.
107
- Interview de José Paulo Paes à Laura Capriglione. In : revue VEJA - année 29 - n. 14. Le
3 avril 1996.
“Paes - ... Trata-se de um puro reflexo da síndrome de mazombismo que acomete toda
a formação cultural do Brasil.
VEJA - Síndrome de mazombismo, o que é isso?
Paes - É um termo que o grande Gregório de Matos usava para zombar do mazombo,
aquele sujeito que, nascido no Brasil, sofria de nostalgia por não ser europeu. À sua
época, Joaquim Nabuco costumava falar que o brasileiro lia o que a França produzia e
era, pela inteligência e pelo espírito, como um cidadão francês: via tudo como podia
ver um parisiense desterrado de Paris. ”
90
4 - La signification du Prix de Voyage en Europe pour les artistes brésiliens de la
seconde moitié du XIXe siècle
Dans le deuxième chapitre on a mentionné le point de vue de Campofiorito à propos
du Prix de Voyage. Selon cet auteur, ce prix favorisa deux orientations contradictoires : d’une
part, il facilita une actualisation des méthodes conventionnelles d’apprentissage ; d’autre part il
servit à enfermer les artistes dans un ensemble de règles prévues d’avance. Ainsi, Campofiorito
conclut que le Prix de Voyage aida l’Académie à maintenir sa discipline et rendit difficile une
rénovation des arts plastiques au Brésil108. Cette conception, exprimée dans un texte de 1983,
est partagée par d’autres auteurs contemporains.
Maintenant, il serait intéressant d’étudier les témoignages des peintres et les récits
des critiques brésiliens du XIXe siècle pour voir si, là aussi, on trouve des propos semblables
sur le Prix de Voyage. L’intérêt en est d’essayer de comprendre quelle était la signification du
séjour d’études en Europe dans la vie et dans la carrière de ces artistes.
Un article de journal brésilien daté du 22 septembre 1896 peut introduire la question.
Cet article, qui n’est pas signé, discute du budget du Ministère de la Justice et de l’Intérieur
pour l’exercice de 1897. Le gouvernement avait prévu un budget de plus de seize millions de
réis, et la Commission du budget de la Chambre des Députés proposa de réduire de ce total la
somme de huit cent trente et cinq mille, sept cent soixante-douze réis et cent quatre-vingts
centimes. La suppression de fonds allait atteindre aussi les Beaux-Arts. Mais ce qui indigna le
journaliste, ce fut l’indifférence des parlementaires quant aux préjudices qu’ils allaient porter
aux artistes, tandis que la somme à être supprimée était mesquine. Il signale que cette
réduction, si petite pour le gouvernement, allait causer d’énormes pertes au milieu artistique.
Selon les informations citées dans l’article, pour faire une économie annuelle de soixante-cinq
mille huit cents réis, la Commission du budget proposa d’arrêter la distribution de médailles
aux artistes et élèves lauréats ; de ne plus acquérir de nouveaux tableaux et sculptures pour le
musée, (et le journaliste observe que ce musée était en effet l’unique musée du Pays) ; et de ne
plus envoyer les meilleurs élèves en Europe pour s’y perfectionner. Après avoir présenté ces
informations, le journaliste fait son commentaire :
Vraiment, il est étonnant que les membres du corps dirigeant de la Nation,
de cette corporation qui doit compter parmi les siens les esprits les plus
108
- Campofiorito. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.98.
91
lucides et les plus clairvoyants, puissent marchander la somme misérable de
65.800$ en préjudice du développement des beaux-arts dans notre Pays.
(...). Le budget relatif à l’acquisition de tableaux et statues est de 8.000$,
c’est-à-dire une somme plus petite que celle qui peut acheter une seule
oeuvre d’art de niveau moyen dans n’importe quel pays d’esprit cultivé.
C’est une somme beaucoup plus petite que le salaire annuel de n’importe
quel membre du Congrès ; c’est évidemment une miette qui ne peut pas jouer
un rôle dans l’amélioration ou l’aggravation de notre situation financière.
(...). [De plus], la cause principale de l’affaiblissement de l’art parmi nous
est l’absence de gens qui achètent les oeuvres réalisées par les artistes.
Le budget des pensions des élèves brésiliens en Europe est de 36:000$. Là
encore c’est une somme très exiguë et incapable de peser sur le budget total.
Et bien, cette somme représente l’aspiration suprême de tout Brésilien qui a
du talent artistique. C’est elle qui anime les élèves de notre Ecole des
Beaux-Arts dans leurs laborieux programmes scolaires, c’est en effet le seul
encouragement capable de les faire passer par les exigences difficiles de
l’inscription dans cette école.
Ce fut ce mesquin budget qui empêcha la perte et la déviation des grandes
vocations artistiques qui s’appellent Pedro Américo, Victor Meirelles,
Rodolpho Bernardelli, Rodolpho Amoêdo, Almeida Junior, Zeferino da
Costa, Oscar Pereira da Silva, et qui aujourd’hui encore contribue à
l’affirmation de talents tels que celui d’Eliseu Visconti et de João Baptista
da Costa, de façon à ce qu’ils deviennent des réalités artistiques qui nous
honorent. 109
Arrêtons-nous sur ce passage et faisons quelques observations. Tout d’abord on
remarque la comparaison faite par le journaliste entre le Brésil et ‘les pays cultivés’ : la somme
de 8.000$000, réservée par le gouvernement brésilien pour l’achat des oeuvres d’art, “ est une
somme plus petite que celle qui peut acheter une seule oeuvre d’art de niveau moyen dans
n’importe quel pays d’esprit cultivé ”. Encore une fois, la référence aux pays plus avancés est
utilisée. Cette référence sert à stimuler un changement, et montre, dans ce cas, un modèle à
être suivi.
Mais ce qu’il faut souligner dans cet article, la notion la plus significative, c’est
l’importance accordée au Prix de Voyage. Le rôle qui lui est attribué ici est remarquable.
L’achat d’oeuvres d’art par le gouvernement est estimé comme une aide importante aux
109
- Jornal do Comércio, “ Notas sobre Arte ”, p.3, Rio de Janeiro, le 22 septembre de 1896.
Il faut observer qu’en 1897 aucun pensionnaire n’a été envoyé en Europe. Mais l’année
suivante, en 1898, le Prix de Voyage de l’Exposition des Beaux-Arts était rétabli et le lauréat
fut Augusto Luiz de Freitas. Quant au concours pour le Prix de Voyage de l’Ecole, le
prochain eut lieu en 1899. Le peintre Theodoro José da Silva Braga, candidat unique du
concours de cette année, fut approuvé et envoyé à Paris. On voit que, malgré les difficultés,
le Prix de Voyage n’a pas été annulé pour longtemps.
92
artistes, car “ la cause principal de l’affaiblissement de l’art parmi nous est l’absence de gens
qui achètent les oeuvres réalisées par les artistes ” ; mais le Prix de Voyage est vu comme le
moteur principal du développement de l’art dans le Pays. Selon le journaliste, c’est ce prix qui
encourageait les étudiants des beaux-arts à suivre les programmes scolaires. Et c’est toujours
ce prix qui, de son point de vue, empêcha le détournement des talents artistiques les plus
renommés parmi les Brésiliens.
En effet, il semble que cette façon d’envisager le Prix de Voyage était très répandue
parmi les artistes brésiliens à la fin du XIXe siècle. Lorsqu’on étudie les événements de 1890,
année où les étudiants des Beaux-Arts se sont organisés pour revendiquer une réforme de
l’Académie, on se rend compte de l’importance que les artistes attribuaient à ce Prix. Frederico
Barata, dans son livre sur Eliseu Visconti110, décrit l’effervescence des élèves de l’Academia
Imperial das Belas Artes à ce moment-là. Il explique qu’une vague d’enthousiasme amenée de
“ Realmente, causa espanto que membros do corpo dirigente da Nação, da corporação
que se presume ser composta dos espíritos mais lúcidos e de vistas mais largas do país,
regateiem ao desenvolvimento das belas artes entre nós o parco e miserável auxílio de
65.800$ anuais (...). A verba relativa à compra de quadros e estátuas é de 8.000$, isto
é, menos do que se paga em qualquer país culto por uma obra de arte regular, e muito
menos do que o que recebe anualmente qualquer membro do Congresso ; é evidentemente uma migalha que nada pode influir no melhoramento ou maior depressão do nosso estado financeiro. (...) a causa principal do abatimento da nossa arte é devida muito
principalmente à falta, entre nós, de quem compre as obras que os artistas produzem. A
verba de pensões é de 36:000$, também incontestavelmente muito exígua e incapaz de
pesar sensivelmente no orçamento. Pois bem, essa verba representa a suprema aspiração de todo Brasileiro que revela talento artístico, é o que alenta os alunos da nossa
Escola de Belas Artes no seu laborioso curriculum escolar, é realmente o único incentivo a fazê-los passar pelas duras exigências da matrícula dessa Escola. Foi essa mesquinha verba que fez com que se não perdessem e se não transviassem as grandes vocações artísticas que se chamam Pedro Américo, Victor Meirelles, Rodolpho Bernardelli,
Rodolpho Amoêdo, Almeida Júnior, Zeferino da Costa, Oscar Pereira da Silva, e que
está contribuindo para que venham a ser realidades artísticas que nos façam honra, talentos como Eliseu Visconti e João Baptista da Costa. ”
110
- BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu tempo. Rio de Janeiro, Ed. Zélio Valverdo,
1944, p.5 / p.29 / p.34.
93
l’Europe par ‘l’esprit moderne’ de Rodolpho Amoêdo et des frères Bernardelli agitait
les étudiants. Le jeune Eliseu Visconti et beaucoup d’autres élèves, unis à quelques
professeurs, menèrent une lutte contre le règlement de l’enseignement en vigueur.
Selon le récit de Frederico Barata111, les étudiants demandaient une réforme pour
assurer une plus grande liberté d’action aux nouveaux jeunes professeurs qui venaient d’arriver
d’Europe : Rodolpho Amoêdo et Rodolpho Bernardelli. Ces deux artistes, qui avaient
bénéficié du Prix de Voyage, révolutionnaient l’esprit des étudiants touchés par le succès inouï
des oeuvres qu’ils avaient réalisées pendant leur séjour européen. Le Christ et la femme
adultère, sculpture de Rodolpho Bernardelli, et Le Dernier Tamoyo, peinture de Rodolpho
Amoêdo, étaient mentionnées par la critique comme des chefs-d’oeuvre admirables. Les élèves
interprétaient ce succès comme le résultat du séjour dans le Vieux Monde et ils se révoltaient
parce qu’il faisait déjà longtemps que les concours pour le Prix de Voyage ne se réalisaient
plus. Ils voyaient dans ce fait un empêchement à leur propre progrès et perfectionnement, et
revendiquaient la possibilité d’aller étudier en Europe comme leurs maîtres. En effet, la
réforme désirée par les jeunes étudiants des Beaux-Arts devait changer la direction de
l’Académie et, surtout, devait rétablir les concours pour le Prix de Voyage en Europe, leur
principale revendication.112
Il faut rappeler aussi que beaucoup de professeurs de l’Académie étaient des anciens
lauréats du Prix de Voyage, car les pensionnaires en Europe, après leur retour au pays, étaient
souvent engagés comme professeurs au sein de cette institution. Ce fait contribua sûrement à
créer l’idée de la nécessité d’un temps de perfectionnement en Europe pour établir une carrière
artistique au Brésil. On peut affirmer avec José Carlos Durand que le Prix de Voyage
“ accordait des points dans la lutte pour les postes de professeur, dans la concurrence pour les
commandes du gouvernement et aussi pour les commandes de portraits ou décorations pour
les particuliers. ”113
111
- Frederico Barata a dû se renseigner à propos de cette période auprès d'Eliseu Visconti qui
a vécu ces événements en tant qu’élève de l’Académie.
112
- Le dénouement de ces événements sera exposé ci-dessous dans le chapitre Le Concours
de Prix de Voyage de 1892 : les antécédents.
113
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855 / 1985. (p.10).
94
Cependant, s’il est vrai que les anciens lauréats du Prix de Voyage trouvaient des
facilités lors de leur retour au Pays, il faut faire une observation là-dessus. En analysant le
parcours professionnel des peintres et les écrits critiques de la période, on s’aperçoit que
l’importance accordée au Prix de Voyage n’était pas liée au prestige du Prix proprement dit.
Ce qui était jugé fondamental, c’était le séjour en Europe. Cela est si vrai que tous les artistes
faisant des débuts prometteurs étaient stimulés par les critiques à faire un voyage d’études,
même s’il fallait entreprendre ce voyage à leurs propres frais. Les exemples et les citations que
l’on pourrait reproduire ici sont nombreux, mais il suffit de mentionner quelques-uns. Voyons
d’abord le commentaire de Gonzaga Duque lorsqu’il écrit à propos du travail d’Abigail de
Andrada en 1888 :
Mme de Andrada commence à montrer son talent comme peintre, et elle le
fait de façon très heureuse. (...). Le talent de Mme de Andrada nous fait
attendre confiants ses oeuvres futures. Nous sommes sûrs qu’un voyage en
Europe aurait de bonnes influences sur le développement de son orientation
esthétique. 114
Le critique recommande le voyage en Europe comme une occasion de se laisser
influencer esthétiquement. Mais parfois ce voyage fut recommandé aux jeunes artistes comme
une manière assurée d’acquérir de la reconnaissance auprès du public brésilien. Un exemple
significatif à ce propos est celui des débuts de la carrière d’Antônio Parreiras. En 1885, le
journaliste Alfredo Azamor écrivait sur la première exposition du peintre, réalisée dans la
galerie A Photographia :
Cette exposition fut visitée par un grand nombre de curieux et quelques
professionnels. Les premiers se sont limités à apprécier les beaux paysages
qui se déroulaient devant eux ; les seconds ont mis en valeur les beautés ar
tistiques, et encourageaient l’honorable disciple du célèbre paysagiste
Grimm à entreprendre un voyage en Italie, afin de compléter ses études. 115
Trois mois plus tard, en septembre 1885, le même journaliste racontait :
114
115
“ ... do ponto de vista dos que tiveram a sorte de estagiar na Europa, essa recompensa
máxima propiciava maior visibilidade e, daí, trunfos na disputa por cargos em seu magistério, na concorrência por encomendas de governo e ainda nas demandas de particulares por retratos e serviços de decoração. ”
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 231.
“ a Sra. D. Abigail [de Andrada] começa apenas a mostrar seu talento para a pintura e o
tem feito de uma maneira um tanto feliz. (...). O talento da Sra. D. Abigail nos faz confiar em futuras obras. Estamos certos de que uma viagem à Europa influenciaria grandemente no desenvolvimento da orientação estética da senhora amadora. ”
- Genésdio (Alfredo Azamor), O Fluminense, juin 1885. [Cité par LEVY, p.62].
95
Antônio Parreiras (...) m’a montré ces derniers jours un nouveau tableau
copié du naturel dans un coin tranquille de São Lourenço. L’air triste, ce
remarquable paysagiste m’a confié qu’il vend difficilement ses tableaux.
Je sais que les habitants de Rio préfèrent les loteries (...) ; mais l’artiste ne
doit pas se décourager devant les premières déceptions (...). Il faut faire un
effort : allez en Europe, travaillez avec acharnement, montrez votre talent à
ceux qui sauront et pourront l’apprécier. Quand vous serez de retour à la
Patrie, même en parlant français, vous ne pourrez pas compter les
commandes de tableaux. 116
Parreiras partit enfin se perfectionner en Europe le mois de février 1888. Avant son
départ Angelo Agostini annonçait dans sa rubrique de la Revista Ilustrada :
Il n’est pas étonnant que le concours du public soit grand dans les deux
expositions actuelles : celle d’Amoêdo, qui est revenu d’Europe comme un
maître (...); et celle de Parreiras, qui va partir ce mois-ci pour
perfectionner son art de paysagiste en Europe, d’où il reviendra, j’en suis
convaincu, un artiste accompli. 117
“ Esta exposição foi visitada por grande número de curiosos e alguns profissionais. Aqueles limitaram-se a apreciar os belos panoramas que se desdobravam a seus olhos ; estes,
realçaram as belezas artísticas, encorajando o distinto discípulo do célebre paisagista
Grimm a empreender uma viagem à Itália, a fim de completar seus estudos. ”
116
- Genésdio (Alfredo Azamor), O Fluminense, septembre 1885. [Cité par LEVY, p.p. 62 63].
“ Antônio Parreiras, (...), mostrou-me um dia destes mais um quadro, copiado do natural
num remanso de São Lourenço. Disse-me tristemente o já notável paisagista que dificilmente vende os seus quadros. Bem sei que a predileção do fluminense não vai além de
uma loteria do Ipiranga ou da Bahia, (...) ; mas o artista não deve nem pode esmorecer
às primeiras decepções (...). Faça um esforço : vá à Europa, trabalhe com vontade, patenteie o seu talento aos que saberão e poderão apreciá-lo. Quando voltar à Pátria, falando francês embora, não terá mãos a medir com encomendas de quadros. ”
117
- AGOSTINI, Angelo. Revista Ilustrada, février 1888. [Cité par LEVY, p. 64].
“ Não admira, pois, a grande concorrência que tem havido nas duas exposições que existem atualmente : a de Amoêdo, que voltou da Europa de borla e capelo, e a de Parreiras, que para lá parte nesse mês, onde irá aperfeiçoar-se na sua arte de paisagista e de
onde, estou convencido, voltará um perfeito artista. ”
96
Ces extraits d’articles de journaux sont représentatifs du prestige que les artistes
pouvaient acquérir après un séjour en Europe. En réalité, cette expérience à l’étranger était vue
comme une opportunité de vivre pendant quelques années dans un milieu propice au
développement des beaux-arts, un milieu qui était censé préparer les artistes d’une façon
beaucoup plus complète que le milieu brésilien.
Pour illustrer cette idée si répandue à ce moment-là, il convient de citer quelques
mots de Victor Meirelles et de Pedro Américo. Ces deux peintres furent les artistes brésiliens
les plus célèbres de la période du Segundo Império (1840-1889), et il est intéressant de voir
quelle était leur pensée à propos des études accomplies en Europe. En écrivant sur d’autres
questions, ils nous laissèrent des témoignages qui nous dévoilent leurs points de vue sur le
sujet qui nous intéresse. C’est le cas de Victor Meirelles. En 1880, il voulut répondre à des
critiques en expliquant le parti qu’il avait pris pour la composition du tableau historique La
Bataille des Guararapes. Après avoir exposé sa conception esthétique, il affirma :
L’art parmi nous se trouve encore dans la période de la jeunesse. La
production, comme la critique, ne peuvent se passer des normes établies par
les peuples où l’une et l’autre sont plus florissantes.
Mes études menées en Europe, dans les pays qui honorent le plus le culte des
muses, m’ont permis de connaître au moins les principes fondamentaux de
la composition artistique (...). 118
Le peintre trouva adéquat de rappeler à ses adversaires qu’il avait passé par le stage
en Europe. Cette argumentation lui paraissait définitive et suffisante.
Voyons maintenant comment s’exprima Pedro Américo à propos de la formation des
artistes brésiliens. En juin 1890, le journal O Paiz publia une lettre ouverte dont il était
l’auteur. Cette lettre, adressée au Ministre de l’Instruction Publique, exprimait la réaction du
peintre face aux revendications faites par les élèves de l’Academia Imperial de Belas Artes.
Parmi d’autres propositions Pedro Américo présenta, pour résoudre la situation, l’idée suivante
:
118
- Cité par Gonzaga Duque, A Arte Brasileira, p. 172.
“ A arte entre nós está ainda no período da juventude, a produção, como a crítica, não
pode deixar de seguir as normas estabelecidas pelos povos, em que uma e outra têm
melhor florescido. Os meus estudos feitos na Europa, nos países onde mais se engrandece o culto das musas, deu-me conhecimento, ao menos, dos princípios fundamentais
da composição artística (...). ”
97
De plus, que l’on réforme l’actuelle Académie de façon à lui donner une
orientation totalement libérale et moderne, mais en la limitant dans les
fonctions d’une école préparatoire ; (...).
En suivant l’exemple de la France, de l’Allemagne, de la Russie, de la
Belgique, de l’Espagne et d’autres pays d’esprit cultivé et expérimenté - qui
soutiennent à Rome leurs respectives Académies nationales, entièrement
organisées et installées dans des palais magnifiques - il suffit de commencer
par envoyer en Europe un artiste éclairé et connaisseur des deux milieux,
afin d’orienter les pensionnaires de l’Etat, informer le gouvernement sur les
événements artistiques des centres les plus importants, et servir de lien entre
le mouvement national et le mouvement de ces brillants foyers de production
artistique. 119
En peu de mots, la formation des artistes brésiliens, selon Pedro Américo, devait
passer inévitablement par un séjour en Europe. L’Académie brésilienne devait assumer ainsi le
rôle d’école préparatoire. Cette idée de Pedro Américo ne faisait que renforcer une réalité déjà
existante. En effet, l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro procurait aux élèves
les premières connaissances, qui seraient ensuite approfondies dans les Ecoles des Beaux-Arts
européennes.
À ce propos il convient de citer les réflexions de Modesto Brocos, peintre brésilien
d’origine espagnole et ancien élève de l’Academia Imperial, qui écrit sur la question de
l’enseignement des Beaux-Arts en 1915. En analysant les différences entre les institutions
d’enseignement artistique au Brésil et en Europe, il affirma :
Parmi nous, on ne doit pas imiter servilement ce qui se fait dans les pays
d’Europe : les institutions européennes susceptibles d’être importées, devront
être d’abord examinées, de façon à ce qu’elles puissent être adoptées et
s’adaptent à notre milieu.
Faisons, pour mieux nous faire comprendre, l’hypothèse suivante :
supposons que l’Ecole des Beaux-Arts de Paris fût amenée ici par les airs,
portée par les anges, comme la maison de Lorette fut portée, et qu’elle fût
installée dans le centre de notre ville, avec tout ce qu’elle contient, y
119
- O Paiz - le 25 juin 1890 - (p.3).
“ De mais reforme-se a atual academia, dando-se-lhe uma orientação totalmente liberal e
moderna, mas encerrando-a nos limites de uma escola preparatória ; (...). A exemplo da
França, da Alemanha, da Rússia, da Bélgica, da Espanha e de outros países cultos e experientes - que sustentam em Roma suas respectivas academias nacionais, com uma
organização completa e sede em magníficos palácios - comece-se simplesmente por enviar à Europa um artista ilustrado e conhecedor dos dois ambientes, afim de guiar os
pensionistas do estado, informar o governo acerca dos acontecimentos artísticos dos
principais centros, e servir, por assim dizer, de elo entre o movimento nacional e o daqueles brilhantes focos de produção. ”
98
compris les maîtres. Je suis certain que cette Ecole ne pourrait pas donner
des résultats convenables. Par quelle raison? - m’objectera-t-on. Parce que
notre milieu est très différent du sien. Notre milieu se compose d’individus
qui ne connaissent rien des choses de l’art, qui n’ont aucune formation en
cette matière, et qui ont besoin de commencer par apprendre l’abc du
dessin.
Que pourraient apprendre nos élèves dans les cours de peinture transportés
de Paris, où le maître parlerait de façon énigmatique comme là-bas, et je
vais le montrer?
Si le maître disait à l’un, par exemple : votre figure manque de caractère.
Et sans d’autres explications, ni d’autres corrections, passait au suivant et
lui disait : vos couleurs manquent de qualité et d’intensité. Et toujours sans
rien ajouter d’autre, disait à celui qui était à côté : votre figure n’a pas
d’ensemble. Et tout de suite au suivant : la position n’est pas bien sentie. Et
ainsi de suite jusqu’à quatre-vingts élèves, dans le court espace d’une heure
qui est le temps de pose du modèle! Si l’on appliquait ici cette méthode, nos
élèves demeureraient interdits et ne seraient pas capables de faire les
corrections que le maître leur aurait indiquées. Mais là-bas, dans ce centre,
les jeunes qui s’y trouvent ont déjà étudié dans les écoles de province,
beaucoup d’entre eux sont des pensionnaires de leurs villes respectives,
préparés pour comprendre et savoir exécuter ce que les maîtres leur disent;
car ce qu’ils vont apprendre dans cette école c’est la cristallisation de
l’enseignement artistique. 120
120
- BROCOS, Modesto. A questão do ensino de Belas Artes, seguido da crítica sobre a direção Bernardelli e justificação do autor. Rio de Janeiro, 1915. (p.p. 36 - 37).
“ Entre nós, não devemos imitar servilmente o que se faz nos países da Europa: as instituições que de lá importemos, deverão ser primeiro estudadas, de modo que possam
adotar-se e se amoldem ao nosso meio. / Façamos, para melhor sermos compreendidos, a seguinte hipótese: suponhamos que a Escola de Belas Artes de Paris fosse trazida para aqui pelos ares, carregada pelos anjos, como foi carregada a casa de Loreto, e a
instalassem no centro da nossa cidade, com tudo o que ela contém, inclusive os mestres. Estou mais do que certo, que aquela escola não daria aqui resultados apreciáveis.
Por que razão ? - me objetarão. Por que o nosso meio é muito diferente daquele. O
nosso meio é composto de indivíduos que nada sabem de coisas de arte, e não têm preparo algum da matéria, precisando começar por ter de aprender o ABC do desenho. /
Que poderiam aprender os nossos alunos na aula de pintura, trazida para aqui de Paris,
onde o mestre falasse de maneira enigmática como lá o faz e vou mostrar ? / Dissesse,
por exemplo, a um: à sua figura falta caráter, e sem mais explicação, nem mais correção
passasse a outro e lhe dissesse: ao seu colorido falta qualidade e intensidade, e sem
mais uma palavra, ao do lado: sua figura não tem conjunto, e logo ao seguinte: a posição não está bem sentida, e assim como estes corrigem a perto de oitenta alunos, no
curto espaço de uma hora que dura a pose do modelo! Se aqui se aplicasse este método, ficariam os nossos alunos interditos e mesmo não estariam aptos para fazerem as
correções que o mestre lhes indicava. Mas lá naquele centro, vão os rapazes que já estudaram nas escolas de província, muitos deles pensionados pelas suas respectivas cidades, preparados para compreenderem e saberem executar o que aqueles mestres lhes dizem; pois, o que vão aprender naquela escola, vem a ser a cristalização do ensino artís-
99
Apparemment Modesto Brocos indique une différence entre les institutions
d’enseignement artistique en Europe et au Brésil. Cependant on finit par remarquer que ses
commentaires montrent plutôt les similitudes qui existaient entre les institutions brésiliennes et
européennes. On pourrait comprendre le rôle de l’Académie brésilienne comme équivalent à
celui des Ecoles des Beaux-Arts des provinces françaises, d’où venait une partie des élèves de
l’Ecole de Paris. Effectivement, les Brésiliens qui avaient suivi le cours de l’Academia
Imperial de Belas Artes étaient préparés pour suivre les cours des Ecoles des Beaux-Arts à
Paris ou à Rome, car la formation qu’ils avaient reçue au Brésil suivait les mêmes principes que
ceux enseignés aux artistes en Europe. Les exercices et les méthodes étaient les mêmes, ainsi
que la conception de l’art, au moins dans les milieux académiques. D’ailleurs, l’examen des
instructions données aux pensionnaires de l’Académie nous amène à comprendre le séjour en
Europe comme un complément à la formation initiée au Brésil. Frederico Barata présenta en
peu de mots la pratique courante des artistes brésiliens de cette période :
Les artistes allaient en Europe - et l’Europe était presque toujours Paris -,
ils passaient deux ou plus de deux ans à fréquenter l’Académie Julian ou des
ateliers renommés, et ce séjour, au fond, n’était qu’un prolongement, dans
un milieu plus développé, des cours de l’Academia Imperial. Ils
perfectionnaient leur dessin, amélioraient leur technique académique,
apprenaient la chimie des couleurs et des vernis et venaient remplacer dans
l’enseignement de l’Académie les professeurs qui vieillissaient en apprenant
à la jeunesse la peinture de scènes bibliques et de nus conventionnels. 121
Cependant, à la fin du siècle on voit apparaître les premières critiques adressées à ce
système. On remarque alors une modification dans la manière d’envisager le Prix de Voyage ou
le séjour d’études en Europe. Le prestige acquis par les artistes après une période de
perfectionnement à l’étranger restait un fait incontestable, cependant, l’influence de ce séjour
sur la qualité ou l’orientation de leurs oeuvres était maintenant controversée. Gonzaga-Duque,
par exemple, dans un texte de 1888, reproche à Victor Meirelles d’avoir écouté avec dévotion
121
tico. ”
- BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu tempo. (p.22).
“ Os artistas iam à Europa - e Europa era quase sempre Paris -, passavam dois ou mais
anos freqüentando a Académie Julian ou ateliers de renome, e esse estágio, no fundo,
era apenas um prolongamento, em meio mais adiantado, dos cursos da Academia Imperial. Aprimoravam-se no desenho, melhoravam a técnica acadêmica, aprendiam a química das tintas e dos vernizes e vinham suceder no magistério da Academia aos que iam
envelhecendo no ensinar a juventude a pintar as cenas bíblicas e os nus convencionais. ”
100
la parole des maîtres européens et d’avoir accepté, “ toutes les théories que d’autres lui ont
apprises et mises dans la tête, comme un fanatique accepte ce qui est imposé par la foi.”122
De la part des artistes, on observe aussi des nouveautés. Une déclaration d’Eliseu
Visconti à propos de ses études réalisées à Paris entre 1893 et 1900 montre un changement
considérable des idées au sujet du séjour en Europe. En 1941, en réponse au journaliste
Jefferson Avila qui lui demandait ce qu’il avait appris en Europe, Visconti affirma :
- Rien. En Europe, je n’ai fait que travailler. Mon art je l’ai appris
réellement ici [au Brésil] comme élève du Lycée et de l’Ecole. J’ai amené
d’ici les fondements qui, tout au plus, auraient pu être perfectionnés là-bas.
Et cela je ne cesse pas de le dire à chaque fois que l’occasion se présente. 123
Cette affirmation contraste vivement avec la déclaration de Victor Meirelles citée cidessus et qui date de 1880. Visconti affirme franchement et de façon catégorique qu’il n’avait
rien appris en Europe, et cette attitude est significative. Elle révèle une réaction à l’idée selon
laquelle l’artiste brésilien qui n’avait pas suivi d’études à l’étranger ne possédait pas de
formation artistique satisfaisante. En déclarant qu’il avait appris les fondements de son art dans
les
122
- GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p. 172.
“ É o antigo discípulo de Consoni (...), ouvindo com respeito a palavra dos mestres, aceitando, como um fanático aceita as imposições da crença, todas as teorias que lhe ensinaram, que lhe meteram dentro da cabeça. ”
123
- AVILA, Jefferson. A ‘Rendição de Breda’ e Sarah Bernhardt ; Arte Decorativa e arte
aplicada ; a história de uma revolução ; dados biográficos do ilustre artista. Interview de
Visconti, In : O Estado. [Cet article de journal se trouvait parmi les papiers de Tobias
Visconti. Malheureusement, le journal découpé, la date de l’article fut perdue.]
“ - Nada. Na Europa eu apenas trabalhei. A minha arte aprendi-a realmente aqui como
aluno do Liceu e da Escola. Daqui levei as bases que, quando muito, poderiam ter sido
aperfeiçoadas lá. E isto eu não me canso de proclamar sempre que se me oferece a
oportunidade. ”
101
institutions brésiliennes, à Rio de Janeiro, le peintre accordait de la valeur à la
formation qu’il avait reçue au Brésil. En outre, sa déclaration nous rappelle que l’orientation
donnée par les maîtres français à leurs disciples ne représentait pas une nouveauté pour les
étudiants brésiliens de la fin du XIXe siècle.
Pourtant le séjour en Europe continuait d’être considéré comme essentiel à la
formation des artistes. Et bien, si ce n’était pas l’enseignement artistique qui attirait les artistes,
que venaient-ils chercher en Europe ? Désiraient-ils connaître de nouvelles tendances
artistiques ? On a vu que, bien au contraire, pour la plupart d’entre eux, il s’agissait de
continuer à suivre les mêmes principes que ceux qu’ils avaient appris au Brésil. Peut-être
cherchaient-ils tout simplement la reconnaissance auprès du public brésilien ? Cela est
invraisemblable, même si l’on est d’accord avec Carlos Roberto Maciel Levy lorsqu’il souligne
que l’expérience en Europe était, à ce moment-là, une vraie exigence socioculturelle.124
La seule réponse plausible est la suivante : les artistes brésiliens recherchaient les
centres artistiques européens comme n’importe quel artiste de cette période. On sait que les
étrangers, aussi bien que les Français de la province, venaient nombreux à Paris. Ils y
fréquentaient les institutions artistiques, bénéficiaient des facilités pour trouver un bon atelier et
de bons modèles, participaient aux Salons parisiens. Les Brésiliens n’étaient pas différents, ils
profitaient des avantages qu’un centre artistique international pouvait leur offrir. À Rio de
Janeiro ils n’auraient pas eu la possibilité d’admirer les chefs-d’oeuvre exposés dans les musées
européens, ils n’auraient pas pu connaître les monuments architecturaux des principales villes
d’Europe. En participant au mouvement artistique international, le comportement des étudiants
brésiliens ne différait guère de l’attitude de la plupart des artistes, français ou étrangers,
rassemblés à Paris.
Avant de terminer ces réflexions faisons un résumé du raisonnement exposé depuis le
début du chapitre. On a vu que :
1 - Le milieu artistique brésilien de la seconde moitié du XIXe siècle accordait
une grande importance au Prix de Voyage en Europe.
124
- LEVY, Carlos Roberto Maciel. Antônio Parreiras (1860 - 1937). Pinakotheke, Rio de
Janeiro, 1981, p.26. “ Note-se como deve ter sido forte tal aspiração, uma verdadeira exigência sócio-cultural, há quase cem anos passados, quando sabemos o quanto tais valores até
hoje são respeitados e impostos. ”
102
2 - L’importance accordée au Prix révèle en réalité l’importance attribuée au
séjour d’études en Europe.
3 - Ce séjour d’études était vu comme une expérience dans un milieu différent,
plus développé et plus favorable aux beaux-arts.
4 - Ainsi, les artistes brésiliens qui retournaient d’un séjour en Europe étaient
plus respectés que les artistes qui n’étaient jamais sortis du pays.
5 - Cependant, à la fin du XIXe siècle, l’influence de l’expérience en Europe sur
la production artistique des Brésiliens commence à être discutée.
6 - Une question s’impose : si l’enseignement artistique en Europe n’apportait
pas de changements significatifs par rapport à la formation reçue au Brésil,
qu’est-ce qui amenait les artistes brésiliens à venir étudier à Paris ou à Rome ?
7 - Finalement, on conclut que les Brésiliens venus en Europe cherchaient tout
simplement les avantages procurés par les centres artistiques internationaux.
Revenons maintenant sur l’affirmation de Campofiorito citée au début de ce chapitre.
Dans son livre História da Pintura Brasileira no Século XIX, cet auteur soutient que les
Expositions Générales et les Prix de Voyage ont contribué de façon décisive à renforcer le
contrôle exercé par l’Academia Imperial sur le milieu artistique brésilien. Campofiorito affirme
que tout au long de la période du Segundo Reinado (1840-1889), et jusqu’à la dernière
décennie du XIXème siècle, déjà dans les premières années de la République,
les Expositions Générales des Beaux-Arts et les Prix de Voyage à l’étranger
continuaient à contribuer au maintien de la discipline académique qui ne fut
pas modifiée (...) ni même par le talent des artistes les plus en évidence.
Quelques rares dérivations vers les tendances novatrices, soit du
romantisme, soit du réalisme, n’arrivaient pas à induire la peinture alors en
vigueur à un changement qualitatif. Celle-là restait presque entièrement
éloignée de la réalité sociale et du milieu auquel elle était destinée. C’était une
peinture fidèle à une érudition dépouillée de vie qui cheminait
inexorablement vers un épuisement. Les lauréats successifs du Prix de
Voyage en Europe et les peintres étrangers (...) ont influé sur toute la
production picturale jusqu’à la veille de la République. Les noms qui
atteignent le sommet de la gloire de la peinture brésilienne au XIXe siècle,
Victor Meirelles, Pedro Américo, Zeferino da Costa, Almeida Júnior,
Henrique Bernardelli, Rodolfo Amoedo, parmi d’autres, sont les fruits de la
maturation des procédés d’enseignement proposés par l’Académie. Cet
enseignement fournissait les conditions techniques de base, mais dévoilait de
moins en moins toute possibilité artistique qui échappât à sa compréhension
esthétique ou à son dévouement aux thèmes conventionnels puisés de façon
ennuyeuse dans la mythologie gréco-romaine ou dans la Bible. 125
À la fin de ce même chapitre, Campofiorito conclut :
125
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p. 95.
103
La continuité des Expositions Générales et des Prix de Voyage est intensifiée
au long de la seconde moitié du XIXe siècle, soit comme un instrument
d’actualisation des méthodes conventionnelles d’enseignement, soit,
paradoxalement, comme une espèce d’emprisonnement des artistes dans un
ensemble de règles et possibilités précises. 126
L’analyse de Campofiorito indique encore une fois l’importance du rôle qui était
attribué au Prix de Voyage. Cependant, en affirmant que ces prix, associés aux Expositions
Générales, ont favorisé l’emprisonnement des artistes brésiliens dans l’obéissance aux règles
déterminées par l’Académie, Campofiorito n’aborde qu’un seul aspect de la question. Son
raisonnement serait convaincant si l’on avait trouvé des artistes qui, agissant en dehors du
cercle de l’Academia Imperial, auraient fait d’autres choix et suivi des chemins différents de
ceux des élèves des Beaux-Arts. Pourtant, on remarque que même les artistes brésiliens ayant
construit une carrière en dehors de l’Académie ont suivi un parcours parallèle à celui des
pensionnaires de l’Etat, en accomplissant des voyages d’études à leurs propres frais. Ce fut le
cas, par exemple, d’Antônio Parreiras.
Au bout du compte, on s’aperçoit que l’on ne peut pas considérer les Prix de Voyage
comme la cause de l’absence d’une quelconque rénovation des arts plastiques au Brésil. Et tout
d’abord parce que ces prix ne furent pas imposés par l’Académie de façon autoritaire. Au
“ As Exposições Gerais de Belas Artes e os Prêmios de Viagem ao estrangeiro continuavam contribuindo para manter a disciplina acadêmica que durante todo o Império não é
perturbada nem mesmo pelo talento dos artistas mais em evidência. Algumas raras derivações que denotassem tendências renovadoras, seja ao romantismo ou ao realismo,
não chegam a provocar uma modificação qualitativa na pintura então vigente, quase totalmente desligada da realidade social e do meio ambiente a que se destinava. Prosseguia esta fiel a um engajamento erudito que negligenciava a presença da vida e tendia
inexoravelmente para um fastidioso esgotamento. A seqüência dos premiados com viagem à Europa e os pintores estrangeiros que independem dessa condição marcam toda
a produção pictórica até as vésperas da República. Os nomes que atingem o ápice da
fama em nossa pintura oitocentista, como Victor Meirelles, Pedro Américo, Zeferino da
Costa, Almeida Júnior, Henrique Bernardelli, Rodolpho Amoêdo e outros (...), são
conseqüência direta da maturação dos processos de ensino propostos pela Academia.
Tal ensino ministrava os requisitos técnicos básicos, mas descortinava cada vez menos
possibilidades artísticas que escapassem à sua compreensão estética, ou à sua dedicação
aos temas convencionais, colhidos tediosamente na mitologia greco-romana e na Bíblia. ”
126
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p. 98.
“ A continuidade das Exposições Gerais e dos Prêmios de Viagem sofre intensificação durante
a segunda metade do século XIX, seja como elemento de atualização dos métodos convencionais de ensino ou, paradoxalmente, também como modalidade de aprisionamento dos artistas a um conjunto de regras e possibilidades determinadas. ”
104
contraire, ils répondaient à merveille au désir des artistes. Aussi furent-ils considérés par les
critiques comme la condition indispensable à la formation des bons artistes nationaux.
En réalité, la production des arts plastiques brésiliens de la seconde moitié du XIXe
siècle, accusée de stagnation par des critiques postérieurs, répondait aux aspirations du milieu
artistique d’alors. Il est vrai que les artistes et critiques brésiliens de l’époque n’étaient pas
satisfaits de la situation qu’ils subissaient. Cependant leurs plaintes, comme cela a été exposé
dans le chapitre précédent, se tournaient vers l’absence d’aide financière de la part du
gouvernement, et vers l’absence d’amateurs qui achèteraient un plus grand nombre d’oeuvres
d’art. Quant à la production artistique proprement dite, ils désiraient tout simplement que les
oeuvres réalisées au Brésil eussent le même niveau de qualité que les oeuvres les plus
expressives réalisées en Europe.
Dans le prochain chapitre, on ébauchera une vision d’ensemble sur les parcours et les
oeuvres des artistes brésiliens venus accomplir leurs études en Europe en tant que
pensionnaires pendant la période qui va de 1845 à 1887, c’est-à-dire, avant l’expérience
européenne d’Eliseu d’Angelo Visconti. Ensuite, dans la seconde partie de cette thèse, on va
approfondir l’étude sur l’itinéraire de celui qui fut le premier pensionnaire de la période
républicaine : le susdit Visconti.
105
5 - Les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887)127
Dans son livre intitulé Arte, Privilégio e Distinção... (Art, Privilège et Distinction...),
consacré aux rapports entre les beaux-arts et la classe dirigeante au Brésil de 1855 à 1985,
José Carlos Durand réserva un petit chapitre pour traiter “ des contretemps vécus par les
peintres péquenauds à Paris, capitale des avant-gardes ” 128. Dans ce chapitre, Durand ébauche
une comparaison entre l’itinéraire de Tarsila do Amaral129, peintre moderniste brésilienne, et
l’expérience d’autres peintres brésiliens qui “ ne possédant pas des moyens économiques,
culturels et de sociabilité, n’ont pas réussi à retirer de leurs séjours en France le même résultat
que Tarsila ”130. L’idée exprimée par Durand c’est que l’origine sociale modeste d’une grande
partie des artistes brésiliens pensionnaires en Europe pendant la seconde moitié du XIXe siècle
a été un facteur décisif, déterminant leur timidité face aux novations avant-gardistes et leur
adhésion aux traditions académiques. Tarsila do Amaral, au contraire, issue d’une famille
fortunée, aurait eu les moyens qui lui ont permis de comprendre les changements survenus
dans l’art européen au début du siècle.
Durand nous rappelle la chronique qui raconte qu’Almeida Júnior, à Paris, peignait
des paysans modestes, ce que l’on pourrait appeler en français des ‘péquenauds’, pour
“ soulager sa nostalgie du Brésil ”131. Il cite encore le fait que la brièveté du séjour de Benedito
127
- Les informations détaillées réunies sur chacun des pensionnaires se trouvent à la fin de
cette thèse, sous l’annexe 1, intitulé Fiches de renseignements sur les artistes brésiliens
pensionnaires en Europe (1845 à 1887).
128
- DURAND, José Carlos. “ Os percalços dos pintores ‘caipiras’ na Paris das vanguardas ”.
In Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil,
1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (pp. 85 - 88).
129
- Tarsila do Amaral (Capivari, SP, 1886 - 1973, São Paulo) - peintre brésilienne, elle fit
partie du groupe des modernistes de 1922. Dans son oeuvre, Tarsila concilia le but
d’actualiser l’art brésilien, à travers une appropriation du cubisme, avec le désir de créer une
peinture spécifiquement brésilienne.
130
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p. 85).
“ A importância dos fatores privilegiados na biografia de Tarsila ressalta-se em casos diametralmente opostos, ou seja, de pintores brasileiros seus contemporâneos que, destituídos de
meios econômicos, culturais e de sociabilidade, não conseguiram retirar de suas passagens
pela França o mesmo resultado que Tarsila. ”
131
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p. 85).
“ Diz a crônica que Almeida Júnior em Paris pintava caipiras para ‘matar a saudade do Brasil’. ”
106
Calixto en France était la conséquence d’un “ excès de nostalgie ”132. Et à propos de Baptista
da Costa, Durand reprend les mots de Lygia Martins Costa pour dire que “ (...) son caractère
timide et sentimental rendait difficile la compréhension et l’adhésion à la révolution spirituelle
qui avait lieu en Europe à la fin du siècle dernier, surtout parce que son séjour a été de courte
durée. ”133
De ces observations Durand tire une conclusion selon laquelle ...
... l’origine sociale modeste, manifestée en une faible maîtrise de la langue
française, en un manque de sociabilité et en l’incertitude des moyens
économiques, produisait un irrésistible amour à la patrie et à la famille, qui
rendait difficile la perception du système constitutif du champ culturel du
pays visité. En d’autres termes, les artistes, forcément dociles à
l’enseignement des institutions qui les recevaient, ne pouvaient pas voir ce
qui se passait autour134.
L’interprétation de Durand est marquée par l’opinion des modernistes brésiliens qui
reprochaient aux peintres académiques de Rio de Janeiro leur “ soumission thématique et
technique aux maîtres des ateliers et écoles qu’ils ont fréquentés lors de leurs Prix de Voyage
en Europe ”. Durand mentionne que, selon le point de vue moderniste, “ l’expérience des
pensionnaires de l’Academia Imperial de Belas Artes aurait été très inhibée par la discipline
rigide et abêtissante que les maîtres du néoclassicisme européen imposaient à leurs disciples
(...) ”135.
132
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p. 85).
“ A brevidade do estágio de Benedito Calixto na França foi justificada por... ‘excesso de saudades’( !) ”
133
- COSTA, Lygia Martins. Um século de Pintura : 1850-1950. Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes, 1950, p.11.
“ Mas seu temperamento tímido e sentimental não facilitava a aceitação da revolução espiritual que se processava na Europa em fins do século, sobretudo em se tratando de estada tão
curta como a sua. ”
134
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (pp. 85 - 86).
“Generalizando tais observações, é curioso como a origem social ‘humilde’, traduzida em
precário domínio do francês, em escassa sociabilidade e em insegura sobrevivência material,
converte-se em irresistível amor à pátria e à família, encurtando e cerceando a percepção do
sistema de posições constitutivo do campo cultural do país visitado. Em outras palavras,
compulsoriamente dóceis ao ensino das instituições para onde tinham sido mandados, pouco
ou nada poderiam ver do que se passava ao seu redor. ”
135
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p.4)
107
D’après ce jugement, le cas de Visconti fut un “ cas très rare ”, parce qu’il “ s’est
laissé influencer par l’impressionnisme et la vogue de la peinture décorative ”136. À cette
affirmation, Durand ajoute que Visconti échappa au schéma qui oppose d’un côté les peintres
péquenauds et de l’autre Tarsila do Amaral parce qu’il appartenait à une famille de classe
moyenne et qu’il s’était marié à une française, circonstances qui ont facilité son adaptation en
France137.
L’argumentation de Durand déborde d’opinions préconçues. En essayant d’expliquer
les dissemblances entre l’expérience européenne des peintres issus de l’Academia Imperial et
l’expérience des peintres modernistes de la décennie de 1920 par une différence d’origine
sociale, il simplifie la question. Il ne prend pas en considération les objectifs très différents qui
séparaient ces artistes et leurs époques.
Il n’est pas facile d’arriver à une vision d’ensemble sur l’itinéraire des artistes
brésiliens pensionnaires en Europe pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Il se trouve que
les particularités de leur séjour d’études sont nombreuses. Cependant, le défi d’entreprendre
cette tentative mérite d’être relevé, ne serait-ce que pour s’opposer aux idées préconçues
exprimées par Durand et d’autres auteurs marqués par les idées des modernistes.
On a vu, dans le chapitre sur l’Historique des Prix de Voyage, que ces prix créés au
XIXe siècle ont continué d’exister pendant le XXe siècle. Cependant, notre recherche
concerne uniquement les artistes brésiliens qui ont obtenu le Prix de Voyage pendant la période
qui va de 1845, date du premier prix décerné, à 1887, date du dernier concours réalisée par
“ (...) os modernistas criticaram a subserviência temática e técnica dos pintores acadêmicos
do Rio de Janeiro aos mestres dos ateliês e escolas que freqüentaram quando de seus prêmios de viagem à Europa. (...). Ressalvados casos muito raros, a experiência dos bolsistas da
Academia Imperial de Belas Artes teria sido, segundo eles, bastante inibida pela disciplina rígida e empobrecedora que os mestres do neoclássico europeu impunham a seus discípulos
locais e estrangeiros. ”
136
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p.4, et note de bas de page
n.4).
“ Também censuraram muito a dificuldade deles em perceber e refletir acerca da séria perturbação que sofriam as artes visuais na Paris do último quartel do século, quando o impressionismo deflagrou período fértil de sucessivas rupturas vanguardistas, que modificariam sensivelmente o rumo das artes visuais no século XX. Ressalvados casos muito raros [nota :
Como o do pintor Eliseu Visconti, que se deixou influenciar pelo impressionismo e pela voga
da pintura decorativa.] (...). ”
137
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p.88).
108
l’Academia Imperial. Ces artistes lauréats de l’Académie forment le groupe des pensionnaires
qui ont précédé Eliseu Visconti dans l’expérience du séjour d’études européen. S’ajoutent à ce
groupe les cinq peintres venus se perfectionner en Europe aux frais de l’Empereur Dom Pedro
II de 1859 à 1886. On envisage l’initiative de Dom Pedro II comme une intervention
personnelle du monarque visant à remédier aux fréquentes interruptions des concours de
l’Académie. En outre, on sait que les séjours d’études des pensionnaires de l’empereur ne se
distinguaient pas fondamentalement des séjours d’études des pensionnaires de l’Académie.
Commençons donc par nommer ces pensionnaires :
a - Les pensionnaires de l’Academia Imperial das Belas Artes
Un total de dix-sept élèves de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro
fut récompensé en remportant le prix de premier ordre de l’institution, c’est-à-dire, le Prix de
Voyage en Europe. Voici leurs noms, leur spécialité, les villes choisies pour eux comme lieu
d’études, la durée de leur séjour, et l’indication de ceux qui sont devenus professeurs des
beaux-arts après leur retour au Brésil :
109
Premier pensionnaire138 - 1845 - Raphael Mendes de Carvalho
(Santa Catarina, Brésil, v.1817 - ?, v.1870)
1.
- Peintre d’histoire
- lieu des études : Rome
- durée du séjour : probablement trois ans (d’après le règlement).
- Il est devenu professeur de dessin après son retour au Brésil.
Lauréat de 1845 - Antônio Baptista da Rocha
2.
- Architecte
- lieu des études : Rome
- durée du séjour : probablement trois ans (d’après le règlement).
Lauréat de 1846 - Francisco Elydeo Pamphyro
(Rio de Janeiro, 1823 - ?)
3.
- Sculpteur
- lieu des études : Rome
- durée du séjour : probablement trois ans (d’après le règlement).
- Il est devenu professeur de sculpture à l’Académie après son retour au Brésil.
Lauréat de 1847 - Geraldo Francisco Pessoa de Gusmão
4.
- Graveur en médailles
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : trois ans au moins
(Il demanda une prolongation de deux ans).
138
- Conformément à ce que l’on a déjà mentionné dans le chapitre 2 - Historique des Prix de
Voyage en Europe, lorsque Raphael Mendes de Carvalho fut envoyé étudier en Italie, les
concours de Prix de Voyage n’existaient pas encore. Ce peintre obtint sa pension après la
résolution de l’Assemblée Générale Législative du 17 septembre 1845. Sauf lui, tous les
autres étudiants reçurent leurs pensions après avoir été lauréats dans les concours de
l’Académie.
110
5.
Lauréat de 1848 - Francisco Antônio Nery
(Rio de Janeiro, 1828 - id., 1866)
- Peintre d’histoire
- lieu des études : Rome
- durée du séjour : trois ans.
6.
Lauréat de 1849 - Jean Léon Grandjean Pallière Ferreira
(Rio de Janeiro, 1823 - Paris, 1887)
- Peintre d’histoire
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : trois ans.
7.
Lauréat de 1850 - Agostinho José da Motta
(Rio de Janeiro, 1824 - id., 1878)
- Peintre
- lieu des études : Rome
- durée du séjour : au moins trois ans.
- Il est devenu professeur de peinture de paysage à l’Académie.
8.
Lauréat de 1852 - Victor Meirelles de Lima
(Florianópolis, Santa Catarina, Brésil, 1832 - Rio de Janeiro, 1903)
- Peintre
- lieu des études : Rome et Paris
- durée du séjour : huit ans.
- Il est devenu professeur de peinture d’histoire à l’Académie.
111
Lauréat de 1860 - José Joaquim da Silva Guimarães
9.
- Graveur en médailles
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : quatre ans.
10.
Lauréat de 1862 - José Rodrigues Moreira
- Architecte
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : quatre ans.
11. Lauréat
de 1865 - Caetano de Almeida Reis
(Rio de Janeiro, le 3 octobre 1838 ou 1840 - id., 1889)
- Sculpteur
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : trois ans, au lieu de quatre. (Sa pension fut suspendue).
12. Lauréat
de 1868 - João Zeferino da Costa
(Rio de Janeiro, 1840 - id. 1915)
- Peintre
- lieu des études : Rome
- durée du séjour : huit ans.
- Il est devenu professeur de peinture à l’Académie.
13.
Lauréat de 1871 139 - Heitor Branco de Cordoville
- Architecte
- lieu des études : Rome
- durée du séjour : cinq ans.
139
- Les ouvrages consultés étaient controversées sur la date de ce concours. Elles indiquaient
parfois l’année de 1870, parfois 1871. En consultant les documents de l’Academia Imperial
de Belas Artes de Rio de Janeiro on trouve la confirmation pour l’année de 1871. Références
du document : (notação 5020) de 30/8/1871, Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.
112
- Il est devenu professeur de la chaire d’ornements à l’Académie.
14. Lauréat
de 1876 - Rodolpho Bernardelli
(Guadalajara, Mexique, 1852 - Rio de Janeiro, 1931)
- Sculpteur
- lieu des études : Rome
- durée du séjour : neuf ans.
- Il est devenu professeur de sculpture à l’Académie et postérieurement directeur de
l’Escola Nacional de Belas Artes.
15. Lauréat
de 1878 - Rodolpho Amoêdo
(Rio de Janeiro, 1857 - id., 1941)
- Peintre
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : neuf ans.
- Il est devenu professeur de peinture d’histoire à l’Académie.
16. Lauréat de 1887 - Oscar Pereira da Silva
(São Fidélis, Rio de Janeiro, 1867 - São Paulo, 1939)
- Peintre
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : six ans. (Il n’est parti qu’en 1890 et resta à Paris jusqu’en 1896).
- Il est devenu professeur de peinture au Lycée des Arts et Métiers de São Paulo.
17. Lauréat
de 1887 - João Ludovico Maria Berna
- Architecte
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : deux ans. (Comme Oscar Pereira da Silva, il n’est parti qu’en
1890, mais sa pension fut suspendue en janvier 1893).
- Il est devenu professeur à l’Escola Nacional de Belas Artes.
113
b - Les pensionnaires de l’Empereur Dom Pedro II
Guilherme Auler, chroniqueur de la vie de Dom Pedro II, raconte qu’à la fin de son
gouvernement l’Empereur subventionnait les études de nombreux étudiants, au Brésil comme à
l’étranger. Ils étaient dix-huit peintres, quinze ingénieurs, treize avocats, douze musiciens, dix
médecins, six militaires, sans compter les soixante et cinq pensionnaires dans les établissements
scolaires d’enseignement général. Parmi tous ces étudiants, quarante et un se trouvaient à
l’étranger, dont vingt et un en France, dix en Italie et les autres disséminés dans différents
pays.140 Tous ces pensionnaires étaient les bénéficiaires de la ‘pochette de l’empereur’,
expression utilisée à l’époque pour désigner l’aide financière reçue par les étudiants pris en
charge par l’empereur lui-même. Parmi les dix-huit peintres pensionnaires de l’empereur, cinq
sont venus compléter leurs études en Europe. On indique ci-dessous leurs noms et leurs
données, précédés de l’année où les pensions leur furent accordées :
1. 1859
- Pedro Américo de Figueiredo e Mello - (Paraíba, Brésil, 1840141- Florence,
Italie, 1905)
- Peintre d’histoire
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : cinq ans. (Après ce premier séjour, il est retourné en Europe à son
propre compte).
- Il est devenu professeur de dessin à l’Académie.
2. 1875
- Horácio Hora (Sergipe, Brésil, 1854 - Paris, 1890)
- Peintre
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : vraisemblablement huit ans.
3. 1876
140
- José Ferraz de Almeida Júnior (São Paulo, Brésil, 1850 - São Paulo, Brésil,
1899)
- Peintre
- AULER, Guilherme. Os Bolsistas do Imperador. Cadernos do Corgo Seco, Tribuna de
Petrópolis, 1956, (p.19). [Cité par DURAND, p.25.]
141
- Plusieurs auteurs affirment que Pedro Américo est né en 1843. Selon Gonzaga Duque il
est né le 29 avril 1843. Mais lors de l’inscription dans l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en
1859, Pedro Américo déclara être né le 29 avril 1840. On a préféré d’accepter cette date de
1840. Si Pedro Américo est né en 1843, il n’aurait que16 ans lors de son voyage en Europe.
114
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : six ans.
4. 1884
- Pedro Weingartner (Porto Alegre, Brésil, 1853142 - id.1929)
- Peintre
- lieu des études : Paris, Munich, Rome.
- durée du séjour : au moins quatre ans, en tant que pensionnaire de l’Empereur.
(Mais avant même de recevoir la pension en 1884, Weingartner
suivait déjà des cours de peinture en Europe ).
- Il fut nommé professeur de dessin à l’Académie, mais il abandonna son poste.
vers 1886 - Manoel Lopes Rodrigues (Salvador, Bahia, 1861 - id., 1917)
5.
- Peintre
- lieu des études : Paris
- durée du séjour : neuf ans.
- Il est devenu directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Bahia en 1896.
D’après ces premières informations on peut faire quelques remarques générales. En
considérant leur âge au moment de la première année de leur séjour à l’étranger, il s’avère que
le plus jeune d’entre les pensionnaires a été Pedro Américo, qui avait 19 ans. Le plus âgé a été
Pedro Weingartner qui avait 31 ans lorsque l’empereur lui accorda une pension. L’âge moyen
des pensionnaires était de 24 ans au début de leur séjour. Ils étaient assez jeunes, mais ils
avaient déjà suivi une formation et acquis les premières connaissances de leur métier au Brésil,
avant de partir se perfectionner en Europe.
Cinq autres questions peuvent être posées et on peut y répondre à partir de l’examen
de ces premières données : (1) Quel fut le nombre de pensionnaires venus étudier en Europe
pendant chaque décennie ? (2) Quelles furent les villes européennes les plus choisies pour leur
séjour artistique ? (3) Parmi les spécialités des artistes (architecture, peinture, sculpture,
gravure en médailles), quelles furent les plus concernées par les voyages d’études ? (4)
Combien d’années les pensionnaires restaient-ils en Europe ? (5) Combien de pensionnaires, de
retour au Brésil, sont devenus professeurs ou directeurs des Beaux-Arts ?
142
- Campofiorito indique l’année de 1853 comme l’année de la naissance de Pedro
Weingartner (História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.116). Laudelino Freire affirma
que le peintre est né en 1858 (Um Século de Pintura, p. 386).
115
Pour faciliter l’analyse, on a décidé d’examiner en bloc les données des deux groupes,
celui des pensionnaires de l’Academia Imperial et celui des pensionnaires de l’empereur Dom
Pedro II. Pour ce qui est du nombre de pensionnaires à chaque décennie, le résultat est le
suivant :
Artistes brésiliens
pensionnaires en Europe
décennie
de 1840
décennie
de 1850
décennie
de 1860
décennie
de 1870
décennie
de 1880
Total
nombre de
pensionnaires
6
3
4
5
4
22
Quant à la répartition des pensionnaires entre les villes choisies comme lieu d’études,
le résultat est le suivant :
116
Lieux d’études des
étudiants étudiants étudiants étudiants étudiants
pensionnaires en Europe des années des années des années des années des années
1840
1850
1860
1870
1880
Total de
pensionnaires
Rome
4
1
1
2
0
8
Paris
2
1
3
3
3
12
Paris, Rome et Munich
0
0
0
0
1∗
1
Rome et Paris
0
1∗*
0
0
0
1
On voit que, pour la plupart, les pensionnaires se sont fixés ou bien à Rome, ou bien
à Paris, et n’ont pas changé de lieu d’études pendant leur séjour. Si l’on ajoute à ceux-là Pedro
Weingartner et Victor Meirelles, on compte dix étudiants brésiliens à Rome, et quatorze à
Paris. On remarque aussi que la préférence pour Rome était forte pendant les années 1840.
Paris se fait plus présent dans le choix des pensionnaires à partir des années 1860, et pendant
les années 1880 tous les pensionnaires brésiliens en Europe se trouvaient à Paris.
Quant aux spécialités des pensionnaires, on découvre une nette prédominance de
peintres. Parmi les pensionnaires de l’Academia, on compte huit peintres, quatre architectes,
trois sculpteurs et deux graveurs en médailles. La prédominance des peintres se fait plus forte
encore si l’on ajoute à ces données les spécialités des pensionnaires de l’empereur, car les cinq


pensionnaires de ce dernier étaient des peintres.
- Il s’agit de Pedro Weingartner qui étudia aux dépens de l’empereur à Paris, Munich et
Rome.
* - Il s’agit de Victor Meirelles qui étudia à Rome et à Paris.
117
Artistes brésiliens
pensionnaires en Europe
années 40 années 50 années 60 années 70 années 80
Total
Peintres
3
3
1
3
3
13
Architectes
1
-
1
1
1
4
Sculpteurs
1
-
1
1
-
3
Graveurs en médailles
1
-
1
-
-
2
Le séjour d’études des pensionnaires a varié énormément relativement à la durée. En
voici les données :
Artistes brésiliens
pensionnaires en Europe
années 40 années 50 années 60 années 70 années 80
Total de
pensionnaires
séjour de 2 ans
-
-
-
-
1
1
séjour de 3 ans
6
1
1
-
-
8
séjour de 4 ans
-
-
2
-
1
3
séjour de 5 ans
-
1
-
1
-
2
séjour de 6 ans
-
-
-
1
1
2
séjour de 8 ans
-
1
1
1
-
3
séjour de 9 ans
-
-
-
2
1
3
Pour ce qui est de la dernière question, les données rencontrées montrent que
beaucoup de pensionnaires (60%) sont devenus par la suite professeurs aux beaux-arts :
Artistes brésiliens
pensionnaires en Europe
années 40 années 50 années 60 années 70 années 80
Total
total de pensionnaires
6
3
4
5
4
22
devenus professeurs
2
3
1
3
4
13
118
Ces tableaux comparatifs sont utiles parce qu’ils permettent une visualisation des
tendances générales. Cependant, ils cachent un aspect très important de la question : parmi
tous ces étudiants, quelques-uns ne se firent pas remarquer par la suite, et leurs oeuvres et
leurs noms ont été presque oubliés par les historiens de l’art brésilien. D’autres, au contraire,
sont devenus des artistes de renom et réalisèrent une carrière importante au Brésil.
Ainsi, au premier abord, on peut imaginer que la décennie de 1840, qui compta six
pensionnaires, fut la plus enrichissante. Et cependant, les cinq premiers pensionnaires de cette
période n’ont pas réalisé de carrières importantes après leur séjour en Europe, et l’on a très
peu d’informations sur leurs études.
En sens inverse, pendant la décennie de 1850 l’Académie brésilienne organisa
seulement deux concours de premier ordre, et l’empereur envoya un seul pensionnaire en
Europe. Ainsi pourrait-on croire que cette période manqua d’intérêt. Pourtant les trois
pensionnaires de la décennie - Agostinho da Motta, Victor Meirelles et Pedro Américo réalisèrent par la suite des carrières importantes et laissèrent leur marque dans l’histoire de l’art
au Brésil. Parmi ces trois peintres, deux sont devenus les principaux artistes de la période
monarchique : Victor Meirelles de Lima, lauréat de 1852, et Pedro Américo, pensionnaire de
l’empereur. Il faut dire encore que parmi les pensionnaires de la décennie de 1870 on trouve
des noms d’artistes très importants, tels Rodolpho Bernardelli, Rodolpho Amoêdo et Almeida
Júnior.
Il est évident que ces informations ne sont pas manifestes dans les tableaux ci-dessus.
Pour arriver à ces données il faut connaître les parcours des artistes concernés. Tous les
renseignements que l’on a pu réunir sur chacun de ces artistes, des moins connus aux plus
réputés, se trouvent à la fin de ce travail, dans l’annexe 1 - Fiches de renseignements sur les
artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887). Mais ici, dans le corps de la thèse,
il est préférable de présenter une vision d’ensemble de leurs oeuvres, pour s’attarder ensuite
dans l’analyse du parcours de trois de ces artistes - Victor Meirelles, Rodolpho Amoêdo et
Almeida Júnior - choisis par leur caractère exemplaire concernant les buts de cette étude :.
En examinant la production des pensionnaires brésiliens en Europe, on observe que
leurs oeuvres peuvent se répartir en quatre catégories principales définies par les thèmes
119
abordés : celles de sujet religieux (ill.1, 3, 5, 11 et 15)143 ; celles de sujet tiré de l’histoire du
Brésil, ou représentant des personnages brésiliens (ill. 4, 7, 8 et 16) ; celles de référence à
l’antiquité classique (ill. 6 et 12) ; et les nus (ill.9). À ces catégories, on peut en ajouter deux
autres moins représentées : les paysages (ill. 2) ; et la peinture de genre (ill.17). Parfois ces
catégories s’entremêlent, car un personnage brésilien, l’indien par exemple, peut être tout aussi
bien classé comme un nu.
Dans l’ensemble, on peut dire avec certitude que les travaux des pensionnaires
suivaient les principes académiques aussi bien dans la forme que dans les thèmes. Néanmoins
on remarque une évolution dans le style des oeuvres, qui répond aux changements survenus
dans la peinture en Europe le long de la période. Si on analyse, par exemple, les oeuvres à sujet
religieux, on observe une transformation de la représentation et de la composition, au début
très classique, inspirée des tableaux de Raphaël, et qui devient petit à petit plus moderne,
jusqu’à s’approcher du réalisme français. Dans le premier cas, celui d’une représentation
classique, on peut citer l’oeuvre de Jean Léon Pallière, La Descente de Jésus-Christ, toile
peinte vers 1850 (ill.1) et la peinture de Victor Meirelles La Flagellation du Christ (ill. 3) qui
date de 1856. Dans une tendance plus naturaliste, on rappellera l’oeuvre de Zeferino da Costa,
L’Obole de la veuve (ill.5), tableau de 1876 ; et la toile de Rodolpho Amoêdo, Jésus Christ à
Capharnaüm, pour laquelle il réalisa une belle l’étude en 1884 (ill.10). La toile Samson et
Dalila (ill. 11), peinte par Oscar Pereira da Silva en 1893 est un exemple de l’influence d’un
romantisme tardif. Et, sous une empreinte plus moderne, on peut mentionner la peinture
d’Almeida Júnior, Fuite en Egypte (ill.15), de 1881.
Les mêmes observations à propos des changements stylistiques sont valables pour les
peintures représentant des personnages brésiliens. Marabá (ill.7) et Le Dernier Tamoyo (ill.8),
deux toiles de Rodolpho Amoêdo datées de 1882 et 1883 respectivement, sont imprégnées
d’une vision romantique sur les indiens brésiliens issue des sources littéraires qui ont inspiré le
peintre. En même temps, la préoccupation d’Amoêdo de bien dessiner et de respecter les
proportions anatomiques du nu y est manifeste. Tandis que Le Bûcheron Brésilien (ill.16)
d’Almeida Júnior, peinture de 1879, est plus naturaliste et plus franche.
143
- L’abréviation (ill.) indique qu’une reproduction de l’oeuvre en question se trouve dans le
volume des Illustrations.
120
Relativement aux peintures qui font référence à l’antiquité classique, on peut faire la
même remarque. Si l’on compare La Pompéienne (ill.6) de Zeferino da Costa, et L’Enfance de
Giotto (ill. 12) d’Oscar Pereira da Silva, tableaux qui datent de 1876 et 1895 respectivement,
on constate qu’ils sont très dissemblables quant à la façon d’aborder les thèmes. Dans La
Pompéienne, le peintre a voulu prêter un caractère historique à ce nu banal et conventionnel et
réalisa une composition qui manque d’harmonie et de naturel. Dans ce tableau, tout est
artificiel et déplaisant. L’Enfance de Giotto est une toile plus réussie. Pereira da Silva
transforma ce sujet d’inspiration historique en une scène bucolique qu’il aborda sous un ton
naturaliste. L’exécution en est honnête et agréable.
Ces remarques générales indiquent qu’il n’est pas possible de cataloguer toutes les
oeuvres des pensionnaires brésiliens sous une même étiquette. Malgré la répétition des
références aux sujets bibliques ou historiques, très valorisés par l’Académie, la façon dont
chaque artiste aborde le sujet est très particulière, et leurs oeuvres se différencient énormément
les unes des autres.
En fait, ce qui réunit tous les pensionnaires dans un même groupe, plutôt que
l’ensemble de leurs oeuvres, ce sont leurs rapports avec l’Academia Imperial. Par conséquent,
à l’analyse de leurs productions artistiques il faut ajouter l’étude de leurs expériences en tant
que pensionnaires, en cherchant à voir quels furent les buts de l’Académie les concernant.
Ainsi, afin d’accomplir cette étude, on a choisi de présenter ici l’itinéraire de trois peintres très
représentatifs de leur période. Le premier est Victor Meirelles.
5.1 - Le parcours de Victor Meirelles de Lima (1832 - 1903)
Victor Meirelles de Lima, lauréat de 1852, a séjourné en Europe durant huit années.
La durée du séjour des pensionnaires était alors de trois ans, mais il bénéficia d’une
prolongation de sa pension, une première fois pour trois ans, et une seconde fois pour deux
ans.
Les trois premières années de son séjour en Europe, c’est-à-dire les années de 1853,
1854 et 1855, Victor Meirelles les passa à Rome. Il se fit d’abord disciple du professeur
121
Minardi144. Cependant, les études réalisées sous l’orientation de ce professeur ne
correspondaient pas à ce à quoi il s’attendait. À ce propos, Laudelino Freire écrivit :
M. Minardi concevait que n’importe quel élève, même le plus habile, n’était
jamais préparé au niveau du dessin pour passer à la peinture. Le disciple
lui a signalé que, outre ce qu’il faisait chez son maître, il était obligé,
d’après les instructions qu’il avait reçues de l’Académie brésilienne,
d’exécuter des oeuvres originales. Le professeur sourit avec dédain et
s’étonna de sa volonté de peindre alors qu’il ne savait pas encore bien
dessiner. Après cela, Victor Meirelles comprit qu’il fallait abandonner
l’atelier du maître. Il monta son propre atelier et commença résolument à
travailleur à son compte. 145
On sait que Victor Meirelles eut encore un second professeur à Rome : Nicolau
Consoni, maître à l’Académie de Saint-Luc.146 Mais une fois de plus, Meirelles n’a travaillé que
très peu de temps sous l’orientation de ce professeur. D’après ces informations, on observe
que les pensionnaires de cette période avaient une liberté relative. Il leur était demandé
d’accomplir les travaux obligatoires, mais ils pouvaient travailler à leur compte, sans obligation
de se faire disciples des maîtres européens.
En 1855, sa pension arrivant à son terme, Victor Meirelles obtint une prolongation de
trois ans et alla à Paris où il demeura les cinq années suivantes. Porto-Alegre, directeur de
l’Académie brésilienne, lui avait conseillé de faire tout son possible pour étudier dans l’atelier
de Delaroche. Mais Victor Meirelles arriva à Paris en 1856, l’année de la mort de Delaroche.
Aussi, dut-il chercher un autre maître. D’abord il se fit élève de Léon Cogniet. En effet, on
trouve son nom parmi les inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1857, présenté par M.
Cogniet.147 Cependant, il quitta très vite ce maître et alla étudier dans l’atelier de Gastaldi148,
artiste italien établi à Paris. Selon Laudelino Freire, ce fut sous l’orientation de Gastaldi que
144
- MINARDI, Tommaso (Faenza, 1787 - Rome, 1871) - Il fut professeur à l’Académie de
Saint-Luc à Rome de 1821 à 1858. [E. BENEZIT]
145
- FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 143.
“ O Sr. Minardi entendia de si para si, que o aluno por mais hábil que fosse nunca estava
pronto no desenho de modo a passar à pintura. O discípulo observou-lhe que além do que fazia era obrigado pelas instruções que trazia a executar trabalhos originais. O professor riu-se
desdenhosamente e estranhou que ele quisesse pintar quando não sabia ainda bem desenhar.
Victor Meirelles à vista disso entendeu que devia abandonar o atelier do mestre e tomando
um outro por sua conta começou resolutamente e por si só a estudar. ”
146
- Selon Campofiorito, Consoni fut professeur de Meirelles à Florence. Selon Laudelino
Freire, Victor Meirelles suivit les cours de ce professeur à Rome. On a trouvé des données
qui confirment l’information de Freire : Nicolas Consoni (Rieti, 1814 - Rome, 1884) après
une période d’études à Pérouse, s’est fixé à Rome où il a exercé ses activités artistiques
jusqu’à sa mort.
122
Victor Meirelles apprit à “ voir la nature selon les gradations des formes et des distances ”, à
“ mélanger les couleurs en les plaçant et assemblant sur la palette, de façon à produire une
composition facile des couleurs complémentaires ” .149
Cette appréciation du progrès de Victor Meirelles à Paris, très positive, est
particulière à Laudelino Freire, et on ne la trouve pas sous la plume d’autres auteurs. Mais ils
sont tous d’accord sur un point : le dévouement du pensionnaire aux études était remarquable.
Ils relatent que jour et nuit Victor Meirelles dessinait comme un fanatique dans les musées,
dans les galeries de l’Ecole, et travaillait même pendant les heures de repos. 150 On raconte qu’à
Paris il ne s’est pas laissé éblouir par les séductions de la ville, il ne s’est pas amusé, il n’a fait
que travailler en s’adonnant à l’étude du dessin et à la réalisation de copies de plusieurs maîtres
français.
L’application de Victor Meirelles a plu à ses professeurs brésiliens et en 1859 sa
pension fut encore une fois renouvelée. Il obtint alors une prolongation de deux ans afin de
réaliser le tableau La Première messe au Brésil (ill.4). On sait que Victor Meirelles soumit
l’ébauche de ce tableau à l’appréciation du peintre d’histoire Robert Fleury et reçut du maître
un avis favorable. En 1861, La Première messe fut acceptée et exposée au Salon de Paris.
Victor Meirelles fut ainsi le premier Brésilien à exposer une de ses oeuvres au Salon. 151 Ce
tableau est considéré jusqu’aujourd’hui comme l’une des oeuvres les plus importantes
produites par l’Académie brésilienne et il fut l’objet d’un article récent très intéressant intitulé
Première messe et invention de la Découverte152,de Jorge Coli. L’auteur analyse la toile de
Victor Meirelles comme un exemple particulièrement réussi du rôle assumé par l’art
147
- Archives nationales, France - (AJ / 52 / 235). “ Registre des matricules des élèves des
sections de peinture et sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant la période
d’avril 1841 à mars 1871 ”. Victor Meirelles est inscrit sous le numéro 3031. Ses données
sont les suivantes : n.3031 - LIMA, Victor Meirelles de ; né le 18 août 1832 à Santa Catarina, Brésil ; demeure : 37, rue de Seine / 17, rue des Beaux-Arts ; présenté par M. Cogniet ;
date de l’entrée le 9 avril 1857.
148
- Andrea GASTALDI (Turin, 1810 - id., 1889) - Peintre d’histoire, il étudia à Paris et y
devint très populaire. [BENEZIT, v. 4, p.629].
149
- FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p.143.
“ Foi aos atilados avisos de Gastaldi que Victor Meirelles se desenvolveu e progrediu.
Aprendeu a olhar por assim dizer, a ver as coisas na natureza, segundo a graduação que conservam entre si, a forma, as distâncias. Mesmo no combinar as tintas ele estava atrasado ;
Gastaldi ensinou-lhe a espalhar e reunir estas na palheta, produzindo a fácil composição das
cores suplementares. ”
150
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.170.
151
- CAMPOFIORITO, História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.161.
123
académique brésilien dans le “ projet de construction nationale ”. Dans le premier chapitre Genèse de l’Academia Imperial... - on a déjà abordé ce sujet, en rappelant qu’après
l’indépendance politique du Brésil en 1822, la classe dirigeante s’est inquiétée de créer une
conscience nationale, une Histoire du Brésil indépendante de l’Histoire du Portugal. Et ce fut
dans ce sens que, pendant le XIXe siècle, “ la science et l’art, dans un procès complexe,
fabriquèrent des ‘réalités’ mythologiques qui ont eu, et l’ont toujours, une vie prolongée et
persistante ”153. La production de tableaux de peinture d’histoire fut ainsi favorisée par
l’Académie, ce qui a contribué à la construction de l’imaginaire brésilien.
Le tableau de Victor Meirelles a fourni l’image qui manquait pour représenter le
moment de la naissance de la nation. Les soucis historiques furent très présents dans la
préparation de cette composition, car le peintre fut vivement conseillé par Araújo Porto Alegre
à être fidèle à la description contenue dans la lettre écrite par Pero Vaz Caminha154 en 1500.
Cette lettre avait été publiée en 1817, et dès lors elle devint le document primordial de
l’histoire de la ‘naissance’ du Brésil. Victor Meirelles, en suivant les indications relatées par
Caminha, a dépeint la première messe célébrée au Brésil comme un moment de fraternisation
entre portugais et indiens. Cette vision s’accordait au mythe de l’origine du peuple brésilien
dans une communion pacifique entre les races et les cultures.
Dans son texte, Jorge Coli cite le tableau d’Horace Vernet, Première messe en
Kabylie (pl.1)155, exposé au Salon de 1855, comme une source d’inspiration pour Meirelles.
Cependant, il démontre que la toile du peintre brésilien n’était pas un plagiat du tableau de
Vernet. Tout en empruntant quelques partis de composition au Français, Meirelles transforma
la scène et réalisa une toile très différente de celle de Vernet. Ce dernier, désireux de relater
avec précision un épisode dont il avait été témoin, approche les personnages du regard du
152
- COLI, Jorge. “ Primeira missa e invenção da descoberta ”. In A descoberta do homem e
do mundo / organizador Adauto Novaes. São Paulo, Companhia das Letras, 1998, (pp.107 121).
153
- COLI, Jorge. (p.107).
“ A ciência e a arte, dentro de um processo intricado, fabricavam ‘realidades’ mitológicas
que tiveram, e ainda têm, vida prolongada e persistente. ”
154
- Pero Vaz Caminha, fonctionnaire de la Couronne Portugaise qui accompagna
l’expédition maritime vers le Nouveau Monde, était chargé de relater au roi du Portugal, pas
à pas, l’abordage des terres nouvellement découvertes, événement qui eut lieu du 21 Avril au
1er Mai 1500.
155
- L’abréviation (pl.) indique qu’une reproduction de l’oeuvre en question se trouve dans les
planches de référence dans le volume des Illustrations.
124
spectateur. Meirelles met l’action principale plus loin, et la nature sauvage et pure du Nouveau
Monde devient l’un des personnages de la scène, en l’enveloppant dans une atmosphère douce
et spiritualisée.
Après avoir exposé La Première messe en France, Victor Meirelles retourna au
Brésil et fut nommé professeur de peinture d’histoire à l’Académie. Il commença à exercer ses
activités de professeur en 1862 et il l’a fait jusqu’en 1890, lorsque la réforme entamée par le
régime républicain détermina son éloignement de l’enseignement officiel.
Dans l’Académie, il fut considéré comme le professeur qui forma le plus grand
nombre de disciples et dont l’action fut des plus utiles pour le développement de
l’enseignement de la peinture. Selon ses biographes, il faisait de la profession un sacerdoce et
sa vie tout entière fut dédiée à ses élèves et à son art.
Entre 1862 et 1879, Victor Meirelles a travaillé et produit intensément, en même
temps qu’il exerçait son activité de professeur à l’Académie. Il a réalisé de nombreux portraits,
mais ses oeuvres les plus importantes furent celles à sujet historique ou biblique, telles que La
Bataille des Guararapes, Le Combat naval du Riachuelo, Passage de l'Humaitá, Moema, La
Première messe au Brésil (ill.4), Saint Jean dans le cachot, Décollation, Flagellation du
Christ (ill.3), Le Serment de la Princesse régente. Toutes ces oeuvres font partie aujourd’hui
des collections du Museu Nacional de Belas Artes à Rio de Janeiro, sauf Moema, qui se trouve
au Museu de Arte de São Paulo.
Le parcours de Victor Meirelles est un parfait exemple d’accomplissement des buts
de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. Envoyé en Europe comme
pensionnaire de cette institution, il s’y perfectionna en s’appropriant les procédés techniques de
la peinture académique, qui lui ont permis de façonner des images mythiques de l’histoire du
Brésil. De retour au pays, il continua à produire des tableaux de peinture d’histoire et se
dévoua à l’enseignement dans l’Académie, en diffusant les enseignements qu’il avait reçus en
Europe.
Le deuxième pensionnaire dont il sera question ci-dessous, Rodolpho Amoêdo, fut
l’un de ses disciples. Les documents que l’on a pu rassembler sur son séjour d’études à Paris
sont, eux aussi, très intéressants, et enrichissent davantage l’étude de l’expérience des
pensionnaires brésiliens en Europe.
125
5.2 - Le parcours de Rodolpho Amoêdo (1857 - 1941)
Né à Rio de Janeiro, Rodolpho Amoêdo est parti vivre à Bahia à l’âge de six ans. En
1868 il retourna à Rio et dès 1873 il commença ses études artistiques au Lycée des arts et
métiers de cette ville. L’année suivante il s’inscrivit à l’Academia Imperial où il suivit des
études de peinture avec les professeurs Victor Meirelles, Agostinho da Motta et Zeferino da
Costa.156 Quatre années plus tard il remporta le Prix de Voyage et s’en alla étudier à Paris où il
séjourna pendant une période de neuf ans.
En 1939, âgé de 82 ans, Amoêdo raconta à Tapajós Gomes, journaliste du Correio
da Manhã, les souvenirs les plus marquants de sa carrière artistique. Il est intéressant de citer
quelques passages de l’article écrit par Gomes, car le récit de Rodolpho Amoêdo exprime très
bien la mentalité académique de la seconde moitié du XIXe siècle, et nous fait connaître les
détails du concours de Prix de Voyage et du séjour à Paris :
Amoêdo m’a rappelé les péripéties de son concours, lors de la confrontation
pour le Prix de Voyage en Europe dans le cadre de l’ancienne Academia
Imperial de Belas Artes (...). Le maître faisait concurrence à Henrique
Bernardelli qui bénéficiait de l’appui officiel. Cela, cependant, ne lui faisait
pas peur ; et malgré l’hostilité qu’il a dû affronter, Amoêdo remporta le prix
avec son tableau ‘Le Sacrifice d’Abel’ et partit vers l’Europe le mois de mai
1879. (...). Cependant, malgré sa victoire, le maître ne s’est pas libéré tout
de suite de l’animosité de ceux qui sont restés au Brésil. Si le règlement des
Prix de Voyage était rigoureux, pour Rodolpho Amoêdo il est devenu
draconien. Le prix durait cinq ans ; mais pendant les trois premières
années, les autorités de l’Académie pouvaient, du jour au lendemain,
supprimer la pension aux étudiants dont le progrès ne correspondait pas à
leur expectative. Il suffisait, pour cela, d’une simple résolution des autorités
des Beaux-Arts, (...). Mais le jeune artiste ne se découragea pas. En
arrivant à Paris le mois de mai 1879, il fut d’abord élève auditeur libre de
Cabanel. Ensuite il passa à l’atelier Boulanger-Lefebvre, afin de s’y
préparer au concours d’admission de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. 157
On observe que les épisodes du concours et ses débuts difficiles à Paris marquèrent
fortement Rodolpho Amoêdo. La menace d’arrêt de la pension, qui assurait à l’Académie
brésilienne le contrôle sur les pensionnaires en Europe, pesa sur le peintre pendant les trois
premières années de son séjour. La suite de l’article nous montre un élève dévoué aux leçons
156
- FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 290.
- GOMES, Tapajós. “ Rodolpho Amoêdo, mestres do nosso Museu ”, In Correio da Manhã, suplemento de domingo. Rio de Janeiro, le 23 juillet 1939.
157
126
des maîtres français. Rodolpho Amoêdo raconta au journaliste ses premières tentatives pour
faire reconnaître son talent par les professeurs :
Evidemment, ayant l’esprit vivement artistique, toujours rêveur de
réalisations grandioses et en composant mentalement des tableaux superbes,
Amoêdo ne pouvait pas se limiter aux ‘académies’ qu’il était obligé de
dessiner au cours Boulanger-Lefebvre. Un jour donc il montra au maître
un tableau qu’il avait peint, sûr d’avoir fait une oeuvre qui avait de la
valeur. Le vieux Boulanger, avec une simple phrase le fit tomber du haut de
ses convictions :
- Devant ‘cela’, je ne peux rien vous dire. Il faut faire mieux. 158
L’épisode ne découragea pas le pensionnaire qui poursuivit son dessein :
Amoêdo s’adonna plus qu’avant corps et âme aux études. Victorieux au
concours d’admission de l’Ecole, il s’est inscrit au cours de Cabanel. 159
(...). Lors des concours mensuels pour fréquenter les cours de Cabanel, la
première place revenait toujours à l’un de ces trois élèves : Rivemale,
Lavalay et Amoêdo, parmi quarante étudiants. Ainsi, les résultats présentés
“ Amoêdo recorda-me as peripécias de seu concurso, em disputa do prêmio de viagem à Europa, da antiga Imperial Academia de Belas Artes, (...). O velho mestre competia com Henrique Bernardelli, que dispunha da boa vontade oficial. Isso, entretanto, não o amedrontava ; e
apesar da hostilidade que teve de enfrentar, Amoêdo venceu o concurso, com o seu quadro
“ O sacrifício de Abel ”, partindo para a Europa em maio de 1879. (...). O mestre, entretanto,
apesar de vitorioso, não se livrou desde logo da má vontade dos que ficaram. Se o regulamento dos prêmios de viagem já era por si mesmo exigente, para Rodolpho Amoêdo se tornou escorchante. O prêmio durava cinco anos ; mas as autoridades de Belas Artes podiam,
dentro dos três primeiros anos, de um momento para o outro, cortar a pensão ao pensionista
cujos progressos não correspondessem à sua expectativa. Bastava, pois, uma simples resolução das autoridades de Belas Artes, (...). Não desanimava, porém, o jovem artista. Chegado
a Paris, em maio de 1879, foi, primeiro, aluno livre de Cabanel. Passou-se depois para o atelier Boulanger - Lefebvre afim de se preparar para o concurso de entrada para a Escola de
Belas Artes de Paris. ”
158
- GOMES, Tapajós. Idem.
“ Evidentemente, com o seu espírito acentuadamente artístico, sonhando sempre com realizações grandiosas e compondo sempre, mentalmente, quadros soberbos, não poderia Amoêdo limitar-se às ‘academias’ que era obrigado a desenhar, no Curso Boulanger - Lefebvre.
Um dia, pois, exibiu um quadro que pintara, estava certo de que havia feito obra de valia,
quando o velho Boulanger, com uma simples frase, o fez despencar do alto das suas convicções, dizendo-lhe :
- Diante ‘disto’, nada lhe posso dizer. Trate de fazer coisa melhor. ”
159
- Le nom d’Amoêdo se trouve dans la liste d’élèves inscrits à l’atelier de Cabanel en 1879.
(Archives nationales, France [AJ/52/248] - Inscriptions dans les ateliers de peinture,
sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945. Les données que l’on y trouve
sont les suivantes : numéro 448 - Amoêdo, Rodolpho ; né le 12 octobre 1857 à Rio de
Janeiro, Brésil ; demeure : 4bis, r. des Beaux-Arts ; date de l’entrée : le 5 juillet 1879.)
127
par le pensionnaire faisaient disparaître petit à petit l’animosité des
autorités des Beaux-Arts brésiliens. La première, la deuxième et la troisième
année du pensionnat s’écoulèrent. Dès lors il était libéré de l’épée de
Damoclès au-dessus de sa tête. 160
On sait que le parcours des élèves de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris était comme
une course d’obstacles. Les concours se déroulaient tout au long de l’année et, pour assurer sa
place à l’intérieur de l’atelier, l’étudiant devait remporter des médailles ou des mentions.
Amoêdo, en se faisant remarquer parmi les élèves de Cabanel, assurait de plus la continuité de
sa pension accordée par l’Académie brésilienne.
En 1882, la quatrième année de son séjour en France, Amoêdo commença à songer à
participer au Salon. Tapajós Gomes raconte :
C’était l’année de 1882, et Rodolpho Amoêdo rêvait déjà du Salon des
artistes français. Les vers émouvants du roman de Gonçalves Dias,
‘Marabá’ 161, l’indienne aux yeux pers couleur de saphir, sont tombés sous
sa main. Le tableau peint par le poète fut mis sur la toile par le pinceau du
peintre. C’était un travail vraiment difficile celui d’évoquer, au milieu d’une
civilisation raffinée, les yeux noirs, le visage bronzé par le soleil, l’allure
flexible d’un palmier, les cheveux noirs et lisses d’une indienne brésilienne.
Rodolpho Amoêdo, cependant, n’était pas un tempérament à se décourager
facilement, et s’est mis à l’oeuvre.
Un jour, maître Cabanel, membre du jury d’admission au Salon, lui
adressa la parole pour lui demander soudainement :
- C’est vous qui avez peint Marabi ou Marabá ?
- Oui, Marabá.
- Mes félicitations ! Le tableau fut accepté au Salon, il est superbe! Mais
n’envoyez plus jamais des travaux sans me les avoir montrés auparavant.
Cette fois-ci, vous avez été heureux, car vous avez été accepté. Mais il aurait
Son admission dans l’atelier Cabanel date de 1879, mais l’entrée à l’Ecole, selon la liste des
matricules, s’est faite le 10 août 1880, son numéro de matricule étant le 4612. (Archives
nationales, France. [AJ / 52 / 236]. Inscriptions dans les sections de peinture et sculpture octobre 1871 à juillet 1894).
160
- GOMES, Tapajós. Idem.
“ Amoêdo, mais do que nunca, se entregou de corpo e alma aos estudos. Vitorioso no concurso de entrada para a Academia, matriculou-se na aula do velho Cabanel. (...). Nos concursos mensais para freqüentar as aulas de Cabanel, o primeiro lugar nunca saía de um destes
três alunos : Rivemale, Lavalay e Amoêdo, entre quarenta condiscípulos. De modo que, diante dos resultados por ele apresentados, a má vontade das nossas autoridades de Belas Artes foi cedendo. Venceu o primeiro, o segundo, o terceiro ano de pensionato. Daí em diante,
estava livre da espada de Damocles, que tinha sobre a cabeça. ”
161
"Marabá", le personnage de Gonçalves Dias, est une métisse, fille d’un blanc et d’une
indienne.
128
pu se faire que vous le ne soyez pas, et dans ce cas votre échec aurait des
reflets sur moi qui suis votre professeur.
- Je vous assure - m’a dit Amoêdo - que ma joie à ce moment-là fut si
grande, que je ne me suis pas fâché d’entendre les mots de Cabanel. Je ne
pouvais penser à autre chose qu’à mon tableau accroché à côté des
célébrités de partout ! Si j’avais été un autre, j’aurais pu me considérer l’égal
de mon maître, parce que tous les deux nous étions dans le Salon. Mais je
me suis limité à l’embrasser avec épanchement, ayant du mal à contenir mon
émotion qui était formidable ! Ce fut l’une des plus grandes émotions de ma
vie d’artiste, et elle était double : celle d’être admis au Salon, et celle
d’avoir mérité un éloge de Cabanel. 162
La joie du disciple qui entend les éloges faits par le maître à l’adresse de l’un de ses
travaux est touchante, car elle n’a pas disparu au fil des années. À l’âge de 82 ans, Amoêdo
s’en souvenait toujours avec émotion. Mais l’épisode est aussi un témoignage sur le
fonctionnement du système académique français. Cabanel fit des réprimandes à son disciple car
celui-ci ne lui avait pas montré le tableau avant de l’inscrire au Salon. Le refus de l’oeuvre d’un
disciple déteignait sur le maître. Il est intéressant aussi de souligner l’importance accordée par
Rodolpho Amoêdo au Salon : y exposer représentait pour lui être l’égal des artistes les plus
renommés en France.
162
- GOMES, Tapajós. “ Rodolpho Amoêdo, mestres do nosso Museu ”, In Correio da Manhã, Suplemento de Domingo. Rio de Janeiro, le 23 juillet 1939.
“ Estávamos em 1882, e Rodolpho Amoêdo sonhava já com o Salon des Artistes Français.
Caíram-lhe sob os olhos os versos sentidos de Gonçalves Dias, sobre o romance de
‘Marabá’, a índia dos olhos garços da cor das safiras. O quadro pintado pelo poeta foi posto
na tela pelo pincel do pintor. Era um trabalho realmente difícil, esse de evocar, num meio de
civilização requintada, os olhos pretos, o rosto de jambo crestado pelo sol, a estatura flexível
de palmeira, os cabelos negros e lisos de uma índia brasileira. Rodolpho Amoêdo, porém,
não era temperamento para esmorecer e, assim, meteu mãos à obra.
Um dia, mestre Cabanel, membro do jury de entrada para o Salon, perguntou-lhe de surpresa :
- Marabi ou Marabá foi pintada por você ?
- Sim, Marabá.
- Receba, então, minhas felicitações. Foi aceito no Salon. Muito linda ! Mas não mande mais
nenhum trabalho, sem me mostrar antes. Desta vez, foi feliz porque foi aceito. Mas poderia
não ter o sido, e, nesse caso, o seu fracasso refletiria em mim, que sou seu professor.
- Afirmo-lhe - disse-me Amoêdo - que a minha alegria, naquele momento, foi tão grande,
que não me aborreci com as palavras de Cabanel. Só me via no Salon, pendurado, lado a
lado, com as celebridades de toda parte ! Outro fosse eu, e poderia, pelo menos, considerarme igual ao meu mestre, porque ambos estávamos no Salon. Eu, porém, limitei-me a abraçálo efusivamente, mal contendo a minha emoção que era formidável ! Uma das maiores emoções da minha vida de artista, e que era dupla : pela minha entrada no Salon e pelo elogio de
Cabanel. ”
129
Après avoir été exposée au Salon, Marabá (ill.7) fut envoyée par Amoêdo à
l’Academia Imperial comme étant l’un des trois travaux obligatoires de la troisième année de
son séjour d’études. Dans le procès-verbal de la séance du 15 février 1883, on peut lire
l’analyse faite par les professeurs Zeferino da Costa et José Maria de Medeiros à propos des
oeuvres envoyées :
Après l’examen des travaux de troisième année envoyés par le pensionnaire
de l’Etat Rodolpho Amoêdo qui se trouve à Paris,(travaux qui consistent en
trois tableaux, à savoir : - une figure de femme, grandeur nature, intitulée
‘Marabá’ ; - un torse de femme ;- et une demi-figure de petite fille habillée
en paysanne italienne), les professeurs de peinture donnent leur avis :
En ce qui concerne ‘Marabá’ - il s’agit d’une figure bien composée,
largement faite, de coloris agréable. Le dessin cependant n’est pas
satisfaisant. Il est étudié avec soin de la tête jusqu’à la région de la poitrine,
mais de cette région jusqu’aux jambes le dessin est négligé.
Dans l’étude de torse de femme (vu de dos) M. Amoêdo fut plus heureux,
aussi bien dans le dessin que dans le modelé.
130
Quant au troisième et dernier travail, la demi-figure de petite fille habillée
en paysanne italienne, c’est une étude entièrement différente des deux
premières ; tandis que les premiers travaux sont exécutés largement, celui-ci
est minutieux et scrupuleusement dessiné. Ce fait signifie que le
pensionnaire, ou bien n’a pas encore fixé une manière, ou bien est capable
d’exécuter ses travaux selon des manières différentes.
Pour conclure, de la confrontation de ces travaux avec ceux de l’envoi
précédent il ressort que M. Amoêdo fait des progrès satisfaisants dans ses
études et, par conséquent, il devient toujours plus digne de louanges et de la
protection de notre Académie et du gouvernement impérial. Rio de Janeiro,
le 15 février 1883 (signé) - J. Zeferino da Costa. - José M. de Medeiros. 163
On observe que les professeurs étaient méthodiques lors de l’examen des envois des
pensionnaires. Les qualités de la composition, de la facture, du dessin, du modelé et du coloris
étaient analysées séparément. D’ailleurs, ils ne se laissèrent pas impressionner par le succès de
Rodolpho Amoêdo au Salon de la Société des artistes français. Au contraire, Marabá
fut l’oeuvre la plus sévèrement critiquée.
D’après Gonzaga Duque on sait que Rodolpho Amoêdo présenta ces mêmes oeuvres
à côté de celles d’Almeida Junior dans une exposition réalisée en 1882. Le critique commente
que trois toiles d’Amoêdo, “ Marabá, exposée à Paris ; une étude de torse féminin ; et une
demi-figure ”, étaient exposées côte à côte avec les oeuvres du peintre de São Paulo. À
l’occasion de l’exposition, Gonzaga-Duque avait publié dans le journal O Globo un article
163
- Procès-verbal de la séance du corps d’enseignants de l’Academia Imperial, le 15 février
1883. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
“ Tendo a Sessão de Pintura examinado os trabalhos do terceiro ano do Pensionista do Estado Rodolpho Amoêdo, que se acha em Paris, constantes de três quadros, sendo : - Uma figura de mulher, tamanho natural, intitulada - Marabá - ; um tronco também de mulher e
um meio-corpo de menina (costume de camponesa italiana), é de parecer : - Quanto à Marabá -, ser uma figura bem composta, largamente feita e de colorido agradável, mas, quanto ao desenho, deixa ainda alguma coisa a desejar ; pois sendo essa qualidade estudada
com cuidado desde a cabeça até a região peitoral, não acontece o mesmo dessa região até
as pernas, que é um tanto descurada. - No estudo do tronco de mulher (de costas) foi o Sr.
Amoêdo mais feliz, tanto no desenho, como no modelado. - Quanto ao terceiro e último meio corpo de menina, (costume de camponesa italiana) - é este um estudo inteiramente
diferente dos dois primeiros ; enquanto aqueles são largamente feitos, este é minucioso e
escrupulosamente desenhado. Isto porém só prova que o pensionista, ou ainda não fixou
uma maneira, ou que é capaz de executar os seus trabalhos por mais de um modo. - Em
conclusão ; julgando-se estes trabalhos de confronto com os da anterior remessa, é incontestável que o Sr. Amoêdo vai satisfatoriamente progredindo nos seus estudos e por conseqüência, tornando-se cada vez mais digno de louvores, e da proteção da nossa Academia
e do Governo Imperial. - Rio de Janeiro, 15 de Fevereiro de 1883. (assinado) - J. Zeferino
da Costa. - José M. de Medeiros. ”
131
élogieux où il soutenait l’interprétation donnée par l’artiste au type de la métisse. Cependant,
en 1887 Gonzaga-Duque revint sur ses déclarations.
Aujourd’hui, (...), il [l’auteur de ces lignes] n’est plus entièrement d’accord
avec ce qu’il a écrit. Comme oeuvre historique, le tableau d’Amoêdo n’a pas
beaucoup de valeur :
1o - parce que si le peintre l’avait envoyé sous le titre de Mélancolique ou
d’Isolée, ou s’il nous l’avait remis comme une simple étude de nu,
assurément que personne ne serait capable de trouver la source qui
l’inspira ;
2 o - pour que cette toile eût une importance historique, il aurait fallu
qu’elle représente une scène de nos tribus indigènes ;
3 o - (...) puisque le peintre a trouvé dans le poème la touchante description
du type de Marabá, il était juste qu’il moule l’exécution de son travail sur
les traits décrits par la poésie qui l’inspira. Mais le poète des Timbiras nous
décrit Marabá comme un type blond, les yeux bleus comme la mer ; et le
peintre, en s’éloignant de ces caractéristiques, a donné à la peau de son
personnage la couleur brune des feuilles sèches, à ses yeux le noir du
jacarandá, aux cheveux la couleur des fruits du tucum. C’est une métisse,
(...). Mais elle n’est pas la fille de l’étranger, haïe par les sauvages. 164
Cette critique de Gonzaga-Duque nous aide à comprendre la démarche d’Amoêdo.
Ce dernier, imprégné de la pensée académique, voulut indiquer une source littéraire pour son
oeuvre. La citation de Gonçalves Dias lui servait de garant du sérieux et de la valeur de son
164
- GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.185.
“ O autor destas linhas publicou por esse tempo (1882) um folhetim no Globo, onde
procurava defender a interpretação dada pelo artista ao tipo da mestiça. Hoje, (...), discorda, em parte, das linhas que escreveu. O quadro de Amoêdo como obra histórica
pouco valor encerra : 1o porque, se o pintor o tivesse enviado com o título de Melancólica, ou de Isolada, ou se nô-lo remetesse como um simples estudo do nu, ninguém,
ao certo, encontraria a fonte que lhe serviu de inspiração ; 2o para ter a importância de
uma tela histórica necessário fora que representasse uma cena das nossas tribos indígenas ; 3o sendo nossa forma poética - o lirismo, (...), e tendo sido nesse lirismo que o
pintor encontrou a tocante descrição do tipo de Marabá, era justo que amoldasse a execução do seu trabalho aos traços descritivos da poesia que lho inspirou. Mas o poeta
dos Timbiras nos descreve a Marabá um tipo louro, de olhos azuis como o mar ; e o
pintor, afastando-se desses característicos, dá-lhe à tez o tom queimado das folhas secas, aos olhos o negro do jacarandá, aos cabelos a cor dos frutos do tucum. É um tipo
de mestiça, (...). Mas não é (...) a filha do estrangeiro, odiada pelos gentios. ”
132
tableau. Il est curieux de comparer l’analyse de Gonzaga-Duque à celle des
professeurs de l’Académie que l’on a mentionnée plus haut. Tandis que le critique se penche
sur la référence littéraire du tableau, Zeferino da Costa et José Maria de Medeiros ne font
qu’analyser les aspects techniques de la composition. Cela nous amène à comprendre que la
préoccupation première de l’enseignement procuré au sein de l’Académie était de l’ordre du
métier, dans le sens d’un savoir-faire technique.
Cette première participation au Salon de la Société des artistes français encouragea
Rodolpho Amoêdo. L’année suivante, 1883, il fut accepté au Salon avec la toile Le Dernier
Tamoyo (ill. 8), une deuxième oeuvre d’inspiration indianiste165. Le tableau représente deux
figures : Aymberê, le Tamoyo décédé, et Anchieta, le religieux qui essaye d’arracher le cadavre
aux vagues de la mer. Campofiorito mentionne Le Dernier Tamoyo et Marabá comme les
deux uniques occasions où Rodolpho Amoêdo se tourna vers la thématique brésilienne, en
affirmant que “ même alors il n’échappe pas aux inspirations littéraires ” :
(...) dans ‘Marabá’ et dans ‘Le Dernier Tamoyo’ il s’inspira d’un
indianisme tardif qui, dans l’oeuvre de nos écrivains, avait représenté une
réaction contre l’influence spirituelle de l’ancienne métropole. Son regard le
plus attentif était tourné vers les sujets classiques ou bibliques. (...) dans les
deux toiles citées, l’indienne Marabá et le chef indien Aymbiré (...) seraient
plutôt des prétextes pour l’exécution de nus formidables qui, dans leur
genre, constituent deux exemples de ce qui se faisait de mieux à l’époque à
Paris. Par conséquent, les deux oeuvres obtinrent le plus grand succès
quand elles furent exposées au Salon de la Société des artistes français. 166
165
- Evidemment, ici, les mots indianiste et indianisme se réfèrent aux indiens brésiliens. Dans
le mouvement du romantisme littéraire brésilien, la figure de l’indien fut valorisée comme
représentant l’individu sauvage, pur et non pas maculé par la civilisation, en même temps
qu’elle se constitua en un symbole nationaliste.
166
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.191.
“ Só em duas ocasiões volta-se para assuntos brasileiros, e assim mesmo não escapa às inspirações literárias, como em Marabá e em Último Tamoio, levado por tardio indianismo, que
em nossos escritores fora atitude contra a influência espiritual da ex-metrópole. Sua melhor atenção dirigiu-se facilmente para os temas clássicos e bíblicos. Os nus que aparecem
em suas duas telas citadas, a índia Marabá e o chefe índio Aymbiré morto, serão mais pretextos para a execução de formidáveis nus, que, no gênero, constituem dois exemplos do
que de melhor se fazia na época em Paris, e daí o merecido apreço que tiveram as duas
composições quando exibidas no Salon dos artistas franceses. ”
133
Rodolpho Amoêdo continua à envoyer des tableaux au Salon. L’année de 1884 il y
était présent avec une toile à sujet religieux : Le Départ de Jacob. Cette même année il
demanda une prolongation de sa pension, souhaitant rester encore deux ans à Paris.167 La
demande fut accompagnée de l’envoi de trois tableaux : Le Départ de Jacob, une copie de
Tiepolo (dont l’original se trouvait au Louvre), et une grande étude de figure féminine vue de
dos (ill.9). De plus, Amoêdo envoyait l’esquisse d’un tableau de grande machine qu’il
prétendait réaliser sur le sujet de Jésus Christ à Capharnaüm (ill.10). Tous ces travaux, qui
aujourd’hui font partie des collections du Museu Nacional de Belas Artes à Rio de Janeiro,
furent analysés par la commission des professeurs de peinture à l’Académie, c’est-à-dire par
Victor Meirelles et José Maria de Medeiros. Dans leur avis ils ont considéré :
que ces travaux révèlent un grand avancement, et laissent entrevoir le
résultat final de ses efforts, auquel il va sûrement arriver plus tard, après
s’être libéré de la situation transitoire et de dépendance qui est la sienne pour
l’instant, lorsqu’il subit l’influence de l’étude, de la pratique et des
préceptes de l’Ecole française contemporaine (...). La petite ébauche qui
représente Jésus Christ à Capharnaüm est une bonne composition et exige
pour son exécution la prolongation de la pension pendant deux ans(...). Ce
tableau, qui doit être bien exécuté de façon à ce que la figure du
protagoniste acquière plus d’importance dans la composition, sera sûrement
l’un des travaux de plus grande valeur du jeune artiste. Ainsi, la
commission considère que la demande du pensionnaire est juste. Academia
Imperial das Belas Artes - le 3 septembre 1884 - Victor Meirelles - José
Maria de Medeiros. 168
167
- Procès-verbal de la séance du 13 de septembre 1884. Arquivo Museu D. João VI / EBA /
UFRJ, Rio de Janeiro.
168
- Procès-verbal de la séance du 13 septembre 1884. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
“ (...) que estes trabalhos revelam grande aproveitamento, deixando antever o resultado final
dos seus esforços, que por certo atingirão ; libertando-se mais tarde da situação transitória
e dependente, que o estudo, a prática e os preceitos da Escola francesa contemporânea,
tanto influem e o induzem a sentir desse modo. O esboceto representando Jesus Cristo em
Cafarnaum é uma boa composição que para executá-lo requer o dito pensionista - prorrogação por dois anos do prazo de sua pensão - na forma do art. 9 das instruções dos pensionistas. Esse quadro devendo ser bem executado e de modo que a figura do protagonista
adquira mais importância nessa composição, constituirá certamente um dos trabalhos mais
valiosos do jovem artista. Por isso parece à Comissão ser justo o pedido a que ele tem direito : - Academia Imperial das Belas Artes - 3 de setembro de 1884 - Victor Meirelles José Maria de Medeiros. ”
134
Il faut souligner la remarque faite par les professeurs à propos de l’influence de
l’Ecole française sur le pensionnaire. L’attitude de l’Académie brésilienne paraît contradictoire.
Les jeunes artistes étaient envoyés étudier en France sous l’orientation des maîtres de l’Ecole
des Beaux-Arts de Paris, cependant les professeurs brésiliens ne considéraient pas entièrement
positive l’influence française. On voit qu’en réalité les maîtres brésiliens comprenaient la
période d’études en Europe comme une étape d’apprentissage. Ils envisageaient par la suite
une libération de l’étudiant, qui devrait conquérir son indépendance artistique.
Les professeurs étant satisfaits du résultat atteint par Rodolpho Amoêdo, la
commission approuva la prolongation de sa pension à compter du 15 août 1885. De plus, en
juillet 1885, le pensionnaire reçut 6.523$000,50 comme aide financière pour accomplir
l’oeuvre Jésus Christ à Capharnaüm 169. La même année, Rodolpho Amoêdo exposa au Salon
de la Société des artistes français le tableau La Narration de Philectas170.
Le 15 août 1887, la prolongation de sa pension touchait à la fin. En février 1888,
Rodolpho Amoêdo était de retour au Brésil. Ses derniers travaux de pensionnaire furent alors
analysés par les professeurs de l’Academia Imperial. Cependant, deux rapports furent
présentés séparément. Le premier était signé par le professeur José Maria de Medeiros, le
second par le professeur Zeferino da Costa. Penchons-nous d’abord sur l’évaluation de José
Maria de Medeiros :
Avis sur les derniers travaux du pensionnaire Rodolpho Amoêdo - La
Congrégation de l’Académie des Beaux-Arts a bien fait lorsque dans le
concours de 1878 elle a choisi M. Rodolpho Amoêdo comme pensionnaire en
Europe. L’élève, qui révéla à ce moment-là une disposition et un talent hors
du commun qui l’ont amené à l’obtention du Prix de Voyage, est
aujourd’hui de retour à cette Académie ; il revient de ces terres, si
favorables à l’épanouissement des arts, comme un artiste complet, et avec
les preuves qui attestent son ardeur à l’étude, son application et son savoir.
On ne pouvait pas attendre moins de quelqu’un qui avait satisfait de façon
si exubérante le programme d’études que cette Académie exige de ses
pensionnaires en Europe. En montrant toujours à chaque nouveau travail un
progrès dans l’art qu’il étudiait, il conclut brillamment son séjour d’études.
Les deux toiles présentées aujourd’hui à notre appréciation nous prouvent,
sans aucun doute, qu’en Peinture, depuis la ‘Première messe’, jamais
aucun pensionnaire en Europe ne nous a envoyé des travaux d’une si longue
169
- Procès-verbal de la séance du 18 juillet 1885. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.
- Actuellement, ce tableau fait partie des collections du Museu Nacional de Belas Artes de
Rio de Janeiro.
170
135
haleine et si méritoires. La première toile ‘Christ à Capharnaüm’ est une
belle composition classique de grandes lignes bien disposées, harmonisées
par une couleur sévère et agréable, comme il convient à ces sujets. Les
figures du premier plan son de grandeur naturelle, judicieusement groupées
(...) correctement dessinées (...). La belle silhouette du Sauveur, [apparaît]
toute mystique et mystérieuse dans sa tunique large et blanche, (...). Cette
scène (...) procure au tableau quelque chose de vrai et de classique qui
s’impose à notre admiration et respect. (...). Avec le choix de ce passage de
la Bible, M. Amoêdo a réussi à mettre en relief son brillant talent, en faisant
preuve d’être un peintre d’histoire raffiné, dont l’âme et l’individualité nous
impressionnent ; de plus, par l’exécution, il a su faire respecter dans le sujet
sa manière de voir et de sentir. (...). Dans la seconde toile, ‘La Narration
de Philectas’, M. Amoêdo nous montre une nouvelle modalité de son talent,
celui d’un exquis paysagiste décoratif. Il nous présente un paysage magistral
et finement peint, exhalant le souvenir des amours naïfs des bergers et tout
le parfum des vieux temps de la Grèce. C’est un vrai poème bucolique,
délicat et poétiquement peint. Ce tableau ne doit plus sortir de notre
Académie, il doit être acquis le plus tôt possible171. (...). Rio de Janeiro, le
3 février 1888. José Maria de Medeiros. 172
171
- La Narration de Philectas appartient aujourd’hui au Museu Nacional de Belas Artes de
Rio de Janeiro.
172
- Procès-verbal de la séance du 18 février 1888, pp. 55 - 56. Museu Dom João VI, Rio de
Janeiro.
“ Parecer dos últimos trabalhos do pensionista Rodolpho Amoêdo - Com acerto andou
a Congregação da Academia das Belas Artes, quando no concurso de 1878, escolheu
o Sr. Rodolpho Amoêdo para ser pensionista na Europa. - O aluno que já nessa época, revelou disposição e talento fora do comum a ponto de lhe ser discernido o prêmio de viagem, vem hoje a esta Academia ; de volta dessas terras tão bem fadadas
para a arte, um artista completamente feito, e com as provas que atestam o seu estudo, a sua aplicação e o seu saber. - Nem se podia esperar menos, de quem tão exuberantemente satisfez o programa de estudos, que esta Academia exige dos seus pensionistas na Europa, assinalando sempre de trabalho a trabalho um progresso na arte que
estudava e fechando com uma verdadeira chave de ouro, esse período de estudos
como pensionista da Academia. - As duas telas apresentadas hoje à nossa apreciação,
nos provam sem contestação, que em Pintura, depois da Primeira Missa, nunca pensionista da Europa nos mandou trabalhos de tamanho fôlego e tanto merecimento. A primeira tela : Cristo em Cafarnaum é uma bela composição clássica de linhas
grandes e bem dispostas, harmonizadas por uma cor severa e agradável como convém a tais assuntos. - As figuras do primeiro plano, criteriosamente grupadas (...)
corretamente desenhadas (...), a bela silhueta do Salvador, toda mística e misteriosa
na sua ampla e branca túnica, (...). Esta cena (...) faz desprender do quadro um - que
- de verdade e classicismo que se impõe ao nosso respeito e admiração. (...) O Sr.
Amoêdo escolhendo esse ponto da Bíblia, conseguiu por em relevo o seu brilhante talento, mostrando-se um pintor histórico de fina têmpera, tendo alma e individualidade
para nos impressionar ; e sabendo pela execução, fazer respeitar no assunto o seu
modo de ver e sentir. (...) - Na segunda tela A Narração de Philectas - o Sr. Amoêdo
nos mostra uma nova modalidade do seu talento, o de ser um distinto paisagista decorativo. - Ele nos apresenta uma paisagem magistral e finamente pintada, recenden-
136
Le rapport de José Maria de Medeiros ne pouvait pas être plus élogieux. Selon ce
professeur, Rodolpho Amoêdo revenait d’Europe comme un artiste accompli. En rapprochant
deux de ses oeuvres - Jésus Christ à Capharnaüm (ill.10) et La Narration de Philectas - de
La Première messe (ill.4), tableau de Victor Meirelles, il assurait à Amoêdo une position de
prestige parmi les peintres brésiliens. Penchons-nous maintenant sur le rapport présenté par
Zeferino da Costa :
Le sous signé, professeur de la section de Peinture de l’Academia Imperial
de Belas Artes (...), interrogé par M. le Secrétaire dans la séance du 3 de ce
mois de Février 1888 (...) à propos de son avis relativement aux derniers
travaux du pensionnaire de l’Etat Rodolpho Amoêdo, répondit qu’il n’avait
rien préparé vu qu’il n’avait reçu aucune communication officielle à ce
propos. (...), cependant le pensionnaire n’a rien à voir avec les dissensions
qui, malheureusement, opposent entre eux quelques membres du Corps
académique, il mérite donc notre attention (...). Je ne [serais] pas succinct
dans l’analyse des deux tableaux du pensionnaire. L’un représente ‘Le
Christ à Capharnaüm’ ; et l’autre ‘La Narration de Philectas’. Il est vrai
que l’éminent professeur Cabanel, qui orienta le pensionnaire dans ses
études en Europe, aurait dû s’occuper parfaitement de cette appréciation
dans son attestation. Ce professeur (...) est réputé l’un des meilleurs artistes
de France. Cependant, je déclare que des deux tableaux analysés, je préfère
‘La Narration de Philectas’. Dans cette préférence il ne s’agit pas d’une
sympathie pour le sujet ; simplement, ‘La Narration de Philectas’ fut mieux
traité en ce qui concerne toutes les qualités essentielles. Les deux tableaux
possèdent des qualités, mais ils présentent aussi des défauts. Pourtant, si l’on
considère que les difficultés de réalisation des oeuvres d’art augmentent dans
la mesure où les sujets se compliquent et deviennent grandioses, et si l’on
examine rapidement les travaux du pensionnaire dans l’ordre respectif,
c’est-à-dire, depuis le premier avec lequel il obtint le Prix de Voyage, voilà
do uns ingênuos amores pastoris todo o perfume dos velhos tempos da Grécia. - É
um verdadeiro poema bucólico, delicado e poeticamente pintado. - Este quadro não
deve sair mais da nossa Academia, fazendo-se o mais breve possível aquisição desse
mimoso trabalho (...). Rio de Janeiro, 3 de Fevereiro de 1888 - José Maria de Medeiros. ”
137
mon avis : - M. Rodolpho Amoêdo a bien profité de ses études, et s’il est vrai
que l’on remarque dans ses tableaux le manque de cette individualité qui
distingue les oeuvres de grands artistes, on suppose que ce manque est dû à
la soumission aux préceptes du maître qui l’orienta. Cela veut dire que le
pensionnaire, désormais libre, pourra imprimer à ses oeuvres cette marque
qui est l’un des premiers buts de l’artiste. Rio de Janeiro, le 18 février
1888. Professeur J. Zeferino da Costa. 173
Dans ce rapport, on remarque des critiques à l’adresse de Cabanel, maître d’Amoêdo
à Paris. Mais le rapport de Zeferino da Costa n’a pas eu de sympathisants, et les professeurs
ont approuvé le rapport de José Maria de Medeiros par unanimité.
Le retour de Rodolpho Amoêdo au Brésil fut aussi l’occasion d’une exposition où le
public a pu voir toute sa production européenne, les envois de pensionnaire inclus. Le succès
du peintre fut absolu et une semaine après la fermeture de l’exposition, Amoêdo était nommé
membre honorable de la section de peinture d’histoire de l’Académie des Beaux-Arts. Quelque
173
- Procès-verbal de la séance du 18 février 1888, pp. 56 - 57. Museu Dom João VI, Rio de
Janeiro.
“ O abaixo assinado, professor honorário da seção de Pintura da Academia Imperial das
Belas Artes (...), tendo sido interpelado pelo Sr. Secretário, em sessão do dia 3 do
corrente (...) sobre o parecer relativo aos últimos trabalhos do Pensionista do Estado
Rodolpho Amoêdo, respondeu que nada tinha feito a respeito, em virtude de não ter
recebido comunicação oficial para este fim. (...), o mesmo Pensionista, indiferente às
desinteligências que, infelizmente, existem entre alguns membros do Corpo acadêmico, não deve por isso ser prejudicado nos seus interesses (...). Não [serei] sucinto na
análise dos dois quadros do mencionado Pensionista, representando um, - Cristo em
Cafarnaum - e o outro, - Narração de Philectas - porque, está certo que proficientemente a esse respeito devia ter-se ocupado no seu atestado o Distinto Professor Sr.
Cabanel, que guiou o Pensionista em seus estudos na Europa ; professor que, tanto
no gênero, como na sua escola, é reputado um dos melhores artistas da França. - Não
obstante, tem a dizer que : dos dois quadros em questão, prefere o - Narração de Philectas - Não entra nessa preferência simpatia alguma sobre o assunto ; simplesmente
por ser - Narração de Philectas - tratado melhor em todos os seus requisitos. - Ambos estes quadros tem qualidades boas, como não estão isentos de defeitos ; (...).
Atendendo porém, que as dificuldades das obras de arte aumentam na proporção dos
assuntos complicados e grandiosos, e examinando ligeiramente os trabalhos do Pensionista, pela ordem respectiva ; isto é, desde aquele pelo qual lhe foi conferido o prêmio de ir estudar na Europa, como Pensionista, é de parecer : - Que o Sr. Rodolpho
Amoêdo muito aproveitou nos seus estudos ; e que, se se nota nos seus quadros a falta de individualidade que tanto distingue as obras dos artistas, sendo de supor que só
à sujeição dos preceitos do mestre que o guiou, será devida essa falta, não quer isso
dizer que d’ora em diante, livre como deve considerar-se o ex-Pensionista, não procurará imprimir em suas obras esse cunho que é um dos principais objetivos do artista. Rio de Janeiro, 18 de Fevereiro de 1888 - O Professor J. Zeferino da Costa. ”
138
temps plus tard, il fut nommé professeur par intérim de la même institution, occupant la chaire
de Victor Meirelles qui était libéré de ses obligations de professeur.
À la fin de 1890, déjà sous le régime républicain, Amoêdo fut nommé membre de la
commission chargée d’organiser la réforme de l’Académie des Beaux-Arts. Après la
promulgation de la réforme, le peintre voulut partir en Europe, ce qu’il fit le 8 décembre 1890.
Il se fixa à Paris, et travaillait sur la Desdémone endormie lorsqu’il reçut l’annonce de sa
nomination comme professeur titulaire de l’Escola Nacional de Belas Artes. Il écrit
immédiatement à Rodolpho Bernardelli, le nouveau directeur de l’Ecole, une longue lettre en
refusant le poste qu’il n’avait pas demandé. Et Amoêdo raconte :
- Lorsqu’il a reçu ma lettre, Bernardelli m’a tout de suite écrit une lettre
personnelle où il déclara qu’il ne pouvait pas accepter mon refus, (...). Je
fus obligé à accepter la nomination ; et Rodolpho Bernardelli (...) m’a
chargé d’engager deux professeurs à Paris ; l’un d’archéologie et l’autre de
gravure. Mais il fallait retourner vite, ce que j’ai fait en juin 1891, ayant
engagé seulement Charles Gustave Paille, professeur d’archéologie, le seul
qui accepta de venir au Brésil avec le salaire de quatre cents mille réis par
mois. 174
Pendant trente cinq ans, Rodolpho Amoêdo a enseigné la peinture à l’Escola
Nacional de Belas Artes. Sa vie durant, il est resté fidèle à la formation qu’il avait reçue à
l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Comme professeur à Rio de Janeiro, il a transmis les
enseignements des maîtres français jusqu’au moment de sa retraite, en 1935.
174
- GOMES, Tapajós. Idem.
“ - Recebendo minha carta, Bernardelli apressa-se em me escrever particularmente, declarando não poder aceitar a minha recusa (...). Fui obrigado a aceitar a nomeação ; e Rodolpho
Bernardelli (...) encarregou-me de contratar dois professores em Paris : um de arqueologia e
outro, de gravura. Urgia, porém, regressar, o que fiz em junho de 1891, só tendo conseguido
contratar Charles Gustave Paille, professor de Arqueologia, o único que se sujeitou a vir
para o Brasil, ganhando quatrocentos mil réis mensais. ”
139
5.3 - Le parcours d’Almeida Júnior175 (1850-1899)176
Le troisième peintre dont on a choisi de présenter l’itinéraire est José Ferraz de
Almeida Júnior. Ainsi que Rodolpho Amoêdo, il fut disciple de Victor Meirelles à l’Académie
brésilienne et d’Alexandre Cabanel à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Cependant, tandis
qu’Amoêdo est un exemple typique de peintre académique, la place accordée à Almeida Júnior
dans l’histoire de l’art brésilien est celle d’un précurseur du modernisme, même s’il fut parfois
critiqué pour ne pas avoir été influencé par l’impressionnisme français. Rien que pour cela, il
serait déjà intéressant d’étudier son parcours, mais, en outre, Almeida Júnior fut un peintre
d’une grande sensibilité et son oeuvre a une grande valeur.
José Ferraz de Almeida Júnior est né à Itu, ville de l’Etat de São Paulo. À l’âge de 19
ans il reçut une pension de sa province pour se former comme peintre à Rio de Janeiro. Il
s’inscrivit alors à l’Academia Imperial das Belas Artes où il suivit les cours des professeurs
Victor Meirelles e Jules Chevrel. En 1875, ayant fini ses études à l’Académie, il retourna à sa
ville natale. Mais il n’y est pas resté longtemps car Dom Pedro II lui accorda une pension pour
continuer ses études en Europe. En 1876, il est venu se perfectionner à Paris où il devint
disciple de Cabanel.
On trouve le nom de José Ferraz d’Almeida Júnior inscrit sur le registre des
immatriculations de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris sous le numéro 4415, la date de son
entrée à l’Ecole étant le 19 mars 1878.177 Son nom se trouve aussi sur la liste des élèves inscrits
dans l’atelier Cabanel,178 une première fois en 1878 (sous le numéro 409) et une seconde fois
en 1879 (sous le numéro 436). Voici ses données :
n. 409 - Ferraz d’Almeida
né à São Paulo, Brésil
le 8 mai 1850
175
- Il est curieux de constater que dans le BENEZIT (Dictionnaire des peintres, sculpteurs,
dessinateurs et graveurs. Librairie Gründ, Paris, 1976), Almeida Júnior est classé dans
l’Ecole Française. Deux de ses oeuvres y sont indiquées : La Fuite en Egypte (ill.15), exposé
au Salon de Paris 1881 ; et Pendant le Repos (ill.17), exposé au Salon de 1882.
176
- Selon Laudelino Freire, Almeida Júnior est né le 8 mai 1851. D’autres auteurs indiquent
l’année de 1850 comme date de sa naissance. Almeida Júnior lui même, lors de son
inscription dans l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, déclara être né en 1850. Almeida Júnior est
décédé à Piracicaba, ville de l’Etat de São Paulo.
177
- Archives nationales (France) - AJ / 52 / 236.
178
- Archives nationales (France) - AJ/52/248 - Inscriptions dans les ateliers de peinture,
sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945.
140
demeure : 30, rue Montholon
entrée : le 11 février 1878
n. 436 - d’Almeida, José Ferraz
né à São Paulo, Brésil
le 8 mai 1850
demeure : 22, r. Turgot
entrée le 29 janvier 1879
Dans les documents concernant la vie scolaire des étudiants de l’Ecole des BeauxArts de Paris, Almeida Júnior est mentionné deux fois lors des résultats des concours annuels.
Il se trouve parmi les trois lauréats du concours de dessin d’ornement réalisé le 23 mai 1878.
Le 25 mai de la même année il reçut une ‘mention provisoire’ dans le concours d’anatomie. 179
Ces informations témoignent de son dévouement aux études.
Le séjour d’Almeida Júnior en Europe fut de six ans pendant lesquels il demeura à
Paris. Mais ses biographes affirment que pendant cette période le peintre a fait aussi un voyage
en Italie. On sait qu’il retourna au Brésil en 1882 et fit exposer à Rio de Janeiro les grandes
toiles qu’il avait réalisées à l’étranger. Après cela, il s’installa définitivement à São Paulo, où il
réalisa des oeuvres dont les sujets étaient les paysans et la vie quotidienne dans cette province.
C’est grâce à ces peintures réalisées à São Paulo après son retour d’Europe
qu’Almeida Júnior fut distingué par les historiens de l’art brésilien comme “ le premier artiste
brésilien qui a pris contact avec la réalité de sa terre en peignant la vie de l’intérieur de São
Paulo ”180, “ l’un des plus légitimes représentants de l’art brésilien ”181. Ces toiles où il a dépeint
des scènes et des personnages de sa province furent considérées comme la partie la plus
importante de son oeuvre, et l’intérêt qu’il portait aux sujets brésiliens fut très valorisé.
179
- Archives nationales (France) - AJ / 52 / 90. Dans les deux concours, le nom de son
professeur est indiqué : Alexandre Cabanel.
180
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.181.
181
- LAUDELINO FREIRE. Um Século de Pintura, p.291.
141
Pourtant, même avant sa phase pauliste, le talent d’Almeida Júnior était déjà perçu
comme original. Gonzaga-Duque, critique hostile à l’académisme, en écrivant à propos des
quatre tableaux que le peintre présenta à l’Exposition Générale des Beaux-Arts à Rio de
Janeiro en 1884, le définit comme l’artiste brésilien le plus original, celui qui avait la plus nette
et moderne compréhension de l’art182. Gonzaga-Duque écrivit alors :
Les tableaux d’Almeida Júnior s’imposent par la simplicité du sujet et par la
manière dont ils furent peints (...). Le sujet qui vient occuper l’espace de la
toile est celui qui l’a ému (...). [Sa Fuite en Egypte (ill. 15)] représente
l’idéal de l’art moderne ; ce tableau est une oeuvre solide, morale, simple et
bien faite. Le type de Marie n’a rien de séraphique, il est bien celui d’une
femme du peuple qui aime son fils et qui sent le lait lui affluer aux seins,
prête à l’allaiter. (...). Ce qui donne de l’importance technique au tableau
c’est l’effet de lumière du soleil couchant qui s’étale doucement et
vaguement à l’arrière-plan, sur les figures et sur le sol, en ajoutant une
tonalité argentée à la superficie du petit ruisseau. (...)
[Dans le Bûcheron Brésilien (ill. 16)] l’artiste nous présente une vigoureuse
étude de torse. Les bras et la poitrine du métis en repos (...) sont peints avec
maestria. La carnation, et surtout le thorax, rappellent les études de Bonnat
par leur vérité. Cependant je le trouve peu naturel, comme s’il posait pour
être peint. Dans Pendant le repos (ill. 17), l’artiste se montre meilleur, et
pourtant moins original. C’est un atelier de peinture. L’intérieur est chaud
et baigné par une lumière faible et égale. (...). Mais les deux figures sont
peintes avec facilité, coloriées avec immense goût, dessinées avec soin et
observation. Le reflet de la lumière sur le piano est merveilleusement fait, et
ce fut peut-être ce bel effet et le gracieux dessin du modèle qui ont éveillé
l’attention de la critique parisienne lorsque le tableau fut exposé au Salon
de 1882. 183
182
183
- GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.180.
“ Entre os artistas que enviaram quadros à última exposição acadêmica de 1884 aquele
que acusava, por suas obras, maior originalidade e mais nítida e moderna compreensão da arte era Almeida Júnior. ”
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 181-184.
“ Os quadros de Almeida Júnior se inculcam antes pela simplicidade do assunto e pela
maneira porque foram pintados (...). É o assunto que lhe comove (...) que vai para a
tela. (...). [Sua Fuga para o Egito] representa o ideal da arte moderna ; é uma obra
sólida, moral, simples e bem feita. O tipo de Maria nada tem de seráfico, é bem de
uma mulher do povo, que adora seu filho e sente túrgidos os seios para o amamentar.
(...). Mas o que funda a importância técnica do quadro é o efeito da luz poente, que
se derrama suave e vagamente no fundo, nas figuras, no solo, dando tons espelhados
de aço polido às águas do mísero córrego. (...). [No Descanso do lenhador] o artista
nos apresenta um vigoroso estudo de tronco. Os braços e o peito do mameluco, que
descansa do trabalho (...) são pintados com saber. A carnação, e sobretudo o tórax,
são de uma verdade que lembram os estudos de Bonnat. Acho-lhe, no entanto, com
pouca naturalidade ; parece que foi propositadamente posado para ser pintado. Me-
142
Le critique attribue à la peinture d’Almeida Júnior un caractère moderne. Cependant,
contrairement aux critiques brésiliens postérieurs, la ‘modernité’ qu’il y trouve ne concerne pas
quelque innovation quant aux sujets choisis par le peintre. On observe, par exemple, que
Gonzaga-Duque fait plus de louanges à la Fuite en Egypte, tableau dont la thématique biblique
était en accord avec le goût académique, qu’au Bûcheron Brésilien. Gonzaga-Duque souligne
que “ le type de Marie n’a rien de séraphique, il est bien celui d’une femme du peuple ”, et dans
cette façon réaliste d’aborder le thème il voit une attitude opposée à celle des peintres liés à
l’Académie.
Mais s’il est vrai qu’Almeida Júnior a été considéré comme un peintre qui se
démarquait des artistes de l’Académie de Rio, ses professeurs brésiliens attachés à la même
Académie l’ont reconnu, eux aussi, comme un grand peintre. Dans un rapport sur l’Exposition
Générale de 1884, ces professeurs mentionnèrent les oeuvres qu’Almeida Júnior y avait
exposées, exactement les mêmes que Gonzaga-Duque avait analysées. Il est intéressant de citer
ici leurs considérations :
De M. José Ferraz d’Almeida Junior, ancien élève de l’Académie, on peut
admirer quatre tableaux historiques ; et dans tous les quatre le talent inné
du jeune artiste se révèle, ainsi que l’application aux études accomplies non
seulement dans notre Académie pendant la période où il a été pensionnaire
de la Province de São Paulo, sa province d'origine, mais aussi pendant la
période où, aux dépens de la pochette impériale, il a été à Paris, où il a suivi
les enseignements du professeur Alexandre Cabanel. Les quatre tableaux
exposés appartiennent tous à l’Académie, et celui de numéro 126 - La Fuite
de la Sainte Famille en Egypte (ill.15) - a été magnanimement offert par Sa
majesté l’Empereur, à qui l’artiste l’avait dédié. Les trois autres furent
achetés par le gouvernement impérial. (...). Parmi ces tableaux, le premier
déjà cité, qui appartient à l’école idéaliste, et celui de numéro 197, nommé
Pendant le repos (ill. 17), qui s’approche de la moderne école française,
sont supérieurs aux deux autres en mérite, et placent son auteur parmi nos
meilleurs peintres. 184
Curieusement, les deux toiles mises en valeur par Gonzaga-Duque sont les mêmes
qui ont eu la préférence des professeurs de l’Académie.
lhor, porém, menos original, ele se mostra no Repouso do modelo. É um atelier de
pintura. O interior é quente e banhado por uma luz fraca e igual. (...). Mas as duas figuras são tocadas com facilidade, coloridas, com imenso gosto, desenhadas com muito capricho e observação. O reflexo da luz que apresenta a tampa do piano é maravilhosamente apanhado, e foi, talvez, esse belo efeito e o gracioso desenho do modelo,
que despertaram a atenção da crítica parisiense quando foi exposto no Salon de 82. ”
184
- Procès-verbal de la séance du 17 décembre 1884. Arquivo Museu D. João
VI/EBA/UFRJ, Rio de Janeiro.
143
Pour conclure cette courte présentation du peintre Almeida Júnior, il est nécessaire
de reproduire ici l’anecdote racontée par Gonzaga-Duque à propos du caractère broussard de
l’artiste :
On raconte l’histoire d’un important Brésilien à qui on avait demandé,
puisqu’il allait à Paris, de visiter l’atelier d’Almeida Júnior pour observer
les progrès que le peintre avait faits après trois ou quatre années d’études.
Le Brésilien accepta cette commission et alla visiter l’artiste. Il fut étonné de
voir que le jeune homme avait gardé les mêmes gestes, le même type méfiant
et timide, le même parler des péquenauds. Ce qui a surtout étonné le visiteur
ce fut d’entendre dire au peintre :
- Je crève d’envie de me retrouver au Brésil !
Eh bien ! Ce modeste provincial, toujours broussard, est devenu un artiste
de valeur, l’un des artistes le plus intimement liés aux conditions esthétiques
de son époque ; le plus personnel (...). 185
Ce récit de la rencontre du Brésilien cultivé avec le peintre d’origine modeste est très
significatif. En fait, le personnage cultivé, étonné du désir exprimé par Almeida Júnior, celui de
rentrer le plus tôt possible au Brésil, incarne les idées courantes de l’époque - idées que l’on a
développées dans les chapitres trois et quatre (Doléances et espoirs... ; et La Signification du
Prix de Voyage...) - selon lesquelles non seulement les nations européennes étaient des
modèles à suivre, mais encore le Brésil, pays où tout était encore à faire pour atteindre le
“ Do Sr. José Ferraz d’Almeida Junior, ex-aluno da Academia, se admiram quatro quadros históricos ; em todos os quais se revela o talento com que nasceu aquele jovem artista, e a aplicação com que estudou, não só na nossa Academia durante o tempo de
pensionista da Província de São Paulo, que lhe deu o berço ; mas também durante
aquele em que, a expensas do Imperial Bolsinho, esteve em Paris sob as lições do professor Alexandre Cabanel. Os quatro quadros expostos pertencem todos à Academia,
tendo sido o n. 126 - Fugida da Sacra Família para o Egito - magnanimamente oferecido por Sua Majestade o Imperador, a quem o artista o dedicara, e os outros três comprados pelo governo imperial (...). Destes quatro quadros, o primeiro já citado, que
pertence à escola idealista, e o de número 197, denominado - Descanso da modelo -,
que se aproxima da moderna escola francesa, têm superior merecimento, e colocam seu
autor no número dos nossos melhores pintores. ”
185
- GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p. 180.
“ Contam que indo a Paris um brasileiro importante pediram-lhe para visitar o atelier de
Almeida Junior e notar os progressos que ele conseguira em três ou quatro anos de
estudo. Satisfazendo ao pedido e aceitando a incumbência, foi ter com o artista brasileiro. Admirou-se de vê-lo. O moço conservava ainda os mesmos gestos, o mesmo
tipo desconfiado e tímido, a mesma maneira de falar, dos caipiras. O que fez, sobretudo, pasmar ao visitante foi ouvi-lo dizer : - Istou morto por mi pilhar no Brasil ! Pois bem ; deste modesto provinciano, inalteravelmente roceiro, surgiu um artista de
valor, e um dos mais intimamente ligados às condições estéticas da sua época ; o mais
pessoal, ... ”
144
niveau européen de civilisation, n’offrait pas de milieu favorable au développement des arts.
Confrontée à ce raisonnement, l’attitude du peintre était quelque chose d’inconcevable,
d’incompréhensible. Le personnage d’Almeida Júnior et sa nostalgie du Brésil s’opposent ainsi
aux pensées incarnées par le premier personnage.
On a vu que Gonzaga-Duque affirma qu’Almeida Júnior, malgré son origine modeste
et son caractère broussard, est devenu l’un des artistes les plus intimement liés aux conditions
esthétiques de son temps et le plus original. Il est un fait aussi qu’Almeida Júnior fut
postérieurement récupéré par le mouvement moderniste de 1922. Mais la valorisation
moderniste de son oeuvre n’est pas sans rapport avec l’image d’un peintre typiquement
brésilien, le peintre péquenaud qui, habitant Paris, avait le mal du pays. Car les modernistes ont
voulu mettre en avant l’image d’un pays singulier et original. Il ne s’agissait plus du Brésil qui
fait des efforts pour se rapprocher des nations plus avancées, mais d’un pays qui cherchait sa
propre identité.
Il est intéressant d’observer que les idées incarnées par le personnage du Brésilien
cultivé ont eu une longue survie. Car son étonnement face au peintre qui gardait toujours,
après quatre années d’études à Paris, sa gaucherie et sa timidité de provincial, nous rappelle
l’argumentation développée par José Carlos Durand en 1989, dans son livre Arte, Privilégio e
Distinção... (Art, Privilège et Distinction...) 186, dont on a présenté un bref résumé au début de
ce chapitre. On a vu que Durand écrit à propos des “ peintres péquenauds ” et critique leur
inadaptation culturelle à l’ambiance parisienne ainsi que leur nostalgie du Brésil, et en cela son
raisonnement s’accorde à l’attitude du Brésilien cultivé du XIXe siècle.
Mais l’argumentation de Durand va plus loin encore, car il affirme que l’origine
modeste des “ peintres péquenauds ” les a rendus incapables de reconnaître les changements
survenus à l’art en l’Europe de la fin du siècle. Selon lui, cette origine était un handicap qui
engendrait chez les peintres brésiliens non seulement l’inadaptation culturelle à l’ambiance
parisienne, mais aussi une obéissance stricte à l’orientation reçue dans les ateliers des maîtres
académiques français.
Curieusement, l’analyse faite par cet auteur cache une contradiction qui traverse les
essais d’interprétation de l’art brésilien. En même temps que Durand reprend les idées des
186
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989.
145
modernistes sur l’inertie et le manque d’originalité des peintres brésiliens issus de l’Academia
Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro, il attribue ce manque à l’inadaptation de ces artistes
d’origine modeste au milieu cultivé parisien. Or, parmi tous les peintres de cette période, ce fut
Almeida Júnior, le type même du Brésilien d’origine rurale, celui sur qui les modernistes ont
mis leur préférence.
Laissons pour l’instant cette question en suspens. On y reviendra lors de la
conclusion.
146
II - L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE D’ELISEU D’ANGELO VISCONTI
(1866-1944), le jugement esthétique porté sur son oeuvre par les critiques
d’art brésiliens et une nouvelle analyse de l’évolution de sa peinture au
contact de l’art français de la fin du XIXe siècle
Dans la partie précédente, on a exploré un large champ d’études représenté par
l’ensemble des artistes brésiliens venus se perfectionner en Europe le long de la seconde moitié
du XIXe siècle. Cependant, vu l’étendue du sujet, on a dû renoncer à approfondir l’étude de
l’oeuvre de chaque artiste. L’objectif fut surtout de brosser le tableau général de leurs
expériences et de comprendre la signification de ces voyages dans l’histoire de l’art brésilien. Il
se trouve que notre recherche manquerait de corps si elle s’arrêtait là. Il fallait la compléter par
l’étude approfondie de l’expérience européenne d’un des peintres les plus significatifs de la
période de transition du XIXe au XXe siècles. Ce peintre est Eliseu d’Angelo Visconti (18661944). Il obtint le Prix de Voyage en Europe lors du concours de 1892. Dans les prochains
chapitres, on présentera les événements qui ont précédé ce concours, les activités de Visconti à
Paris en tant que pensionnaire, l’interprétation que les critiques brésiliens ont portée sur son
oeuvre et notre propre analyse de l’évolution de sa peinture au contact de l’art français de la
fin du XIXe siècle.
1 - Les antécédents du concours du Prix de Voyage de 1892 : l’agitation du
milieu artistique à Rio de Janeiro pendant les dernières années de l’Academia
Imperial de Belas Artes
Lorsqu’en mars 1893 Eliseu d’Angelo Visconti quittait le Brésil au bord du "Congo",
son grand rêve se réalisait : en tant que pensionnaire de l’Escola Nacional de Belas Artes, il
allait étudier à Paris pendant une durée d’au moins cinq ans. Lauréat du concours de Prix de
Voyage de 1892, il était le premier artiste de la période républicaine à bénéficier d’une pension
d’études en Europe. Avec ses collègues des Beaux-Arts, il avait lutté pour le rétablissement du
Prix de Voyage et avait souhaité la réforme de l’Académie qui fut mise en place en 1890.
La fin des années 1880 au Brésil fut marquée par l’affaiblissement de la Monarchie
comme système politique. Depuis 1870, la crise s’annonçait : le mouvement républicain
s’organisait à Rio de Janeiro, les relations entre le gouvernement impérial et l’armée étaient
devenues instables, la province de São Paulo, en plein essor économique, souhaitait plus
147
d’autonomie, et la classe des propriétaires exportateurs de café avait été contrariée dans ses
intérêts lors de l’abolition de l’esclavage. Un ensemble de changements socio-économiques
créa des conditions favorables aux idées de réforme. Tous ces facteurs ont finalement
provoqué la chute du régime monarchique le 15 novembre 1889.
Cette période représenta aussi une phase critique pour l’Academia Imperial de Belas
Artes. Le gouvernement n’assurait plus la continuité ni des concours des Prix de Voyage, ni
des Expositions Générales. L’absence du soutien gouvernemental fut l’origine des
bouleversements subséquents.
Les concours de Prix de Voyage étant interrompus par manque de budget depuis
1878, ce ne fut qu’en 1887, neuf années plus tard, que l’Académie organisa un nouveau
concours. D’ailleurs, ce concours ne se déroula pas tranquillement. Il y avait deux places de
pensionnaires disponibles et le concours eut deux lauréats : le peintre d’histoire Oscar Pereira
da Silva et l’architecte João Ludovico Maria Berna. Cependant la décision du jury fut réfutée
et aucun des deux ne fut envoyé en Europe.1 Ces troubles ne faisaient qu’augmenter
l’insatisfaction générale.
De plus, la dernière Exposition Générale avait été réalisée en 1884.2 Depuis lors,
l’Etat se plaignait d’insuffisance de budget, ce qui empêcha l’organisation de nouvelles
expositions. Jusque-là, les artistes avaient compté sur l’aide officielle pour faire connaître leurs
oeuvres, et ils regrettaient l’absence de cet appui. L’arrêt des Expositions Générales mettait à
jour la défaillance de l’Académie et créait du mécontentement chez les jeunes élèves des
1
2
- Tous les détails à propos de ce concours de 1887 sont exposés dans l’annexe 1- Fiches de
renseignements sur les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887). Voir les
textes sur Oscar Pereira da Silva et João Ludovico Maria Berna, lauréats du concours de
1887. Les deux ont du attendre trois ans avant de partir étudier à l’étranger, car seulement
après la proclamation de la République, en 1890, le Ministre Benjamin Constant décida de
valider le concours de 1887. Le mois d’octobre 1890, les deux lauréats sont enfin partis pour
aller se perfectionner à Paris.
- Cette Exposition de 1884 a été la plus grande et importante exposition réalisée pendant
cette période, en ce qui concerne les oeuvres exposées. Mais la commission organisatrice
s'est plaint de l’insignifiance du nombre de visiteurs. À leur avis, comparativement à
l’Exposition de 1879 ce nombre fut infime. En 1879 l’entrée de l’exposition était gratuite et
le public fut grand : 292.296 spectateurs visitèrent l’exposition au long de 62 jours. En 1884
l’entrée de l’exposition devint payante. Le public diminua considérablement, l’exposition fut
visité par 20.154 spectateurs pendant une période de cent jours.
148
Beaux-Arts. Les protestations se faisaient entendre et en 1887 le directeur de l’Académie
manifesta sa position en faveur du rétablissement des Expositions :
Les Expositions Générales des Beaux Arts sont indispensables au
développement du goût artistique. Il est vrai qu’une critique d’art judicieuse
leur fait défaut ; parmi nous la critique est exercée presque exclusivement
par quelques écrivains de talent, mais ils sont souvent guidés par leur propre
impression, sur laquelle peuvent influer les sympathies et les désaffections
personnelles. De toute façon, ces expositions et le prix de premier ordre
sont les moyens les plus efficaces dont dispose l’Académie pour faire
progresser les arts et récompenser leurs amateurs. 3
Mais l’appel du directeur n’eut pas de réponse favorable de la part du gouvernement 4
et l’absence d’expositions officielles finit par occasionner la multiplication des expositions
privées. L’année de 1886, quatre expositions importantes furent réalisées : les élèves
organisèrent deux expositions de leurs travaux dans l’édifice de l’Académie ; la Galerie Vieitas
exposa plusieurs oeuvres de João Baptista Castagneto ; et Rodolpho Bernardelli organisa une
exposition qui réunit les peintures de son frère Henrique Bernardelli et les paysages de
Facchinetti dans une des salles de l’Imprensa Nacional (Presse Nationale). Le mouvement
d’expositions s’accentua tout au long de 1887. Au début de 1888 le public a pu voir les
oeuvres de Firmino Monteiro et Rodolpho Amoêdo, artistes qui revenaient au Brésil après un
séjour d’études en Europe, et celles d’Antônio Parreiras qui, à son tour, préparait son départ
pour le début de l’année suivante. Ensuite on exposa les peintures de Belmiro de Almeida,
Castagneto et d’autres.
Le plus souvent, les oeuvres étaient installées dans l’espace de librairies et magasins
d’articles généraux, c’est-à-dire, dans des espaces qui n’étaient pas conçus pour l’exposition
d’oeuvres d’art. De toute façon, le marché privé de diffusion de l’art se développait. Des
3
4
- Rapport du directeur de l’Academia Imperial, Moreira Maia, en 1887. Cité par FREIRE,
Laudelino. Um Século de Pintura, pp. 380 et 381. Le prix de premier ordre auquel se réfère
le directeur était le Prix de Voyage.
“ (...) as Exposições Gerais de Belas Artes são indispensáveis para o desenvolvimento do
gosto artístico ; falta-lhes, é verdade, a judiciosa crítica de arte ; entre nós ela é quase
exercida exclusivamente por escritores de talento, mas que muitas vezes são guiados
pela própria impressão, sobre a qual podem influir simpatias ou desafeições pessoais.
Tais exposições e o prêmio de primeira ordem são os meios mais eficazes que tem a
Academia das Belas Artes para fazer progredir as artes e recompensar a seus cultores. ”
- En réalité, après l’exposition de 1884, seulement en 1890, déjà sous le régime républicain,
une nouvelle Exposition Générale eut lieu.
149
nouvelles galeries voyaient le jour, et parmi celles-là les plus connues furent : Insley Pacheco,
Vieitas, Clément, De Wild et Viúva Moncada.5
Outre l’organisation d’expositions privées, les artistes s’entraidèrent financièrement
de façon à suppléer l’absence de pensions gouvernementales pour assurer les séjours d’études
en Europe. On sait que Belmiro de Almeida a pu suivre des études à Paris et en Italie grâce à
l’appui de Rodolpho Bernardelli, Angelo Agostini et d’autres amis qui l’ont accordé, à partir
de 1888, une pension mensuelle pendant une durée de cinq ans.6
En même temps que les artistes étaient privés de l’appui officiel et livrés à euxmêmes, une critique des méthodes académiques s’ébauchait. Tout au long de l’année de 1888,
Angelo Agostini, journaliste qui tenait la rubrique des beaux-arts dans la Revista Ilustrada,
encouragea les artistes à se libérer des contraintes académiques :
(...) l’art doit être libre, chaque artiste peut y laisser l’empreinte de son
individualité, de façon à sentir et à exécuter sans imiter aucune école ni
respecter les conventions et règles préétablies. 7
Ces mots reflétaient aussi le moment de transition politique et l’effervescence
générale des esprits. L’occasion était propice aux revendications en vue d’une réforme. Les
étudiants de l’Academia de Belas Artes commencèrent à manifester leur mécontentement
envers l’institution qui, jusqu’alors, n’avait jamais été mise en cause. Deux groupes se
formèrent : celui des Modernes et celui des Positivistes. Les étudiants des deux groupes
envisageaient un renouvellement, mais chaque groupe défendait un point de vue différent sur la
meilleure conduite de la réforme.
5
6
7
- FREIRE, Laudelino. Um século de pintura. p.381.
- REIS JÚNIOR. Belmiro de Almeida, 1858-1935. (p.20).
- Revista Ilustrada, rubrique “ Belas Artes ”, Rio de Janeiro, 21-4-88. [Cité par PRADO, p.
87]
“ (...) a arte deve ser livre, podendo cada artista dar o cunho de sua individualidade, no
modo de sentir e executar, sem imitar nenhuma escola nem respeitar convenções e regras estabelecidas. ”
150
Les Modernes critiquaient l’Académie, et pourtant ils ne voulaient pas s’en passer.
Au contraire, ils réclamaient une plus grande efficacité de ses méthodes et demandaient la
reprise des Expositions Générales et des concours de Prix de Voyage. Quant aux changements
revendiqués, ils concernaient plutôt des modifications du règlement de l’Académie, et non pas
un remaniement profond des normes fondamentales de l’enseignement artistique.
Les Positivistes étaient plus radicaux et demandaient la suppression de l’Académie.
Plus méthodiques que les Modernes, ils formulèrent leurs idées dans le “ Projet Montenegro ”
rédigé par les peintres Montenegro Cordeiro, Décio Villares et Aurélio de Figueiredo. En
1889, ce projet fut acheminé au Ministre de l’Intérieur, Benjamin Constant, chargé de la
réforme de l’Académie.
Le “ Projet Montenegro ” revendiquait la diffusion de l’enseignement des beaux-arts
dans tout le pays, l’extinction de l’Académie et la démission de tous ses membres pour créer ce
qu’ils appelaient le “ Musée national de Peinture et Sculpture ”. Le but des Positivistes était
double : d’une part, ils voulaient hausser le prestige de l’art, d’autre part ils envisageaient de
généraliser son enseignement de façon à le mettre à la portée des classes défavorisées. En
adaptant leur projet artistique aux principes positivistes d’Auguste Comte, ils affirmaient que
l’art devrait fomenter le sentiment qui unit le patriotisme au développement de l’humanité.
Reprenons le texte de leur projet. Il commence par l’énumération de concepts dont voici
quelques-uns :
En considérant :
(...)
2o - que la diffusion de l’enseignement de l’art dans tout le pays est l’un des
éléments fondamentaux et indispensables au bien public, car il est l’un des
moyens les plus efficaces pour hausser le niveau moral du peuple, en même
temps qu’il offre à tous ceux qui sont dotés de capacité esthétique l’occasion
d’utiliser cette capacité au service de la patrie ;
3o - que cette intention élevée ne sera jamais atteinte si l’on conserve le
régime qui a duré pendant l’Empire et qui, en monopolisant l’organisation
des arts dans la capitale [Rio de Janeiro], constituait une attaque odieuse
contre la Liberté, puisque seulement les riches et les protégés des anciennes
provinces avaient la possibilité de se déplacer pour se dévouer à l'art ;
151
4 o - que la base de ce monopole est l’Académie des Beaux-Arts - institution
caduque et rétrograde - préjudiciable à la société et aux artistes et fatalement
condamnée ;
(...)
8 o - que l’art, dont la finalité suprême est le but de cultiver en nous
l’instinct de perfectionnement, impose à tout gouvernement bien éclairé et
réellement préoccupé de la régénération du peuple, le devoir de l’étendre à
toutes les classes et aux individus de tout âge, ce qui ne sera atteint que par
la diffusion de l’enseignement dans les écoles publiques au bénéfice de
l’enfance, et par le maintien de musées permanents dans tous les Etats
confédérés au bénéfice des adultes ; (...). 8
Après cette énumération, les Positivistes concluaient :
Art. 1 o - L’Académie de Beaux-Arts est déclarée supprimée et le Musée
national de Peinture et Sculpture est fondé avec le matériel existant. 9
On voit que le projet des Positivistes n’abordait pas de révolution sur le plan
esthétique. Leur audace se limitait à une tentative d’adapter l’art aux principes positivistes
qu’ils avaient embrassés, en exigeant de l’artiste une conduite morale, et du gouvernement une
action efficace pour diffuser l’enseignement artistique dans tout le pays. Selon leur conception,
l’art était un instrument de diffusion du bien social, un “ éducateur de l’humanité ”.
8
9
- Cité par GONZAGA-DUQUE, Contemporâneos, p.p. 218 et 219.
“ Considerando (...) :
2o - Que é um dos elementos fundamentais e indispensáveis do bem público a difusão, em
todo o país, do ensino das artes, como meio, e dos mais eficazes, de erguer o nível moral do povo, oferecendo, ao mesmo tempo, a todos que forem dotados da capacidade
estética, ensejo de aproveitarem-na em benefício da Pátria ;
o
3 - Que jamais se obterá tão elevado intuito com o regime mantido durante o Império
que monopolizando o regime das artes da Capital, constituía um ataque odioso à Liberdade, porquanto só os ricos e protegidos das ex-Províncias podiam vir dedicar-se aos
referidos estudos ;
o
4 - Que a base desse monopólio é a Academia de Belas Artes - instituição caduca e retrógrada - só prejudicial aos artistas e fatalmente condenada ;
8 o - Que a arte, tendo por fim supremo cultivar em nós o instinto do aperfeiçoamento,
impõe a todo o governo bem esclarecido e realmente preocupado com a regeneração
do povo, o dever de estendê-la a todas as classes e idades, o que só será obtido por
meio da difusão do ensino nas escolas públicas em proveito da infância e pela manutenção de museus permanentes por todos os Estados confederados em proveito dos adultos ; (...). ”
- Idem, p. 220.
“ Art. 1o - Fica extinta a Academia de Belas Artes e fundado com o material existente o
Museu Nacional de Pintura e Escultura. ”
152
D’ailleurs, si les Positivistes étaient plus mobilisés au niveau théorique, ce fut le
groupe des Modernes qui a pris l’initiative d’une action pratique. Ceux-ci décidèrent
d’abandonner l’Académie au mois de juillet 1890 et s’en allèrent travailler dans une
construction provisoire située au centre de la ville de Rio, plus précisément au Largo de São
Francisco, au pied du monument à José Bonifácio10. Peut-être furent-ils plus audacieux parce
qu’ils avaient l’appui de quatre professeurs de l’Académie : les jeunes professeurs Rodolpho
Bernardelli (1852-1931), Henrique Bernardelli (1858-1936) et Rodolpho Amoêdo (18571941) - tous les trois revenus d’Europe depuis peu - et le maître Zeferino da Costa (18401915). Ce dernier, professeur de peinture de paysage, était quotidiennement confronté à des
difficultés pour mener à bien son cours. D’après son témoignage, l’Académie retardait le début
des classes, ne facilitait pas l’organisation des horaires et évitait l’inscription des élèves dans
cette discipline.11
La décision des Modernes d’aller travailler en dehors de l’enceinte de l’Académie fut
prise après une série de réunions d’artistes pour discuter de l’inefficacité de cette institution.
On peut suivre l’agitation des esprits à travers les articles de journaux qui accompagnèrent le
mouvement. Le 17 juin 1890, la rubrique Les arts et les artistes du journal O Paiz publiait un
résumé de la première réunion.
Hier, dans le salon du Derby-Club, eut lieu la réunion des artistes peintres,
sculpteurs, architectes et graveurs.
(...) M. Teixeira da Rocha a ouvert la réunion en présentant la proposition
suivante :
Art. 1 - Vu l’état de démoralisation dans lequel se trouve l’Academia das
Belas Artes, son existence est-elle utile ou pas ?
Art. 2 - La subvention gouvernementale est-elle bien employée ou pas ? Estce que cette subvention produit les résultats attendus ?
Art. 3 - Aujourd’hui, la corporation des professeurs de l’académie se trouvet-elle au niveau exigé pour appartenir à une académie des beaux-arts ?
10
11
- A propos de José Bonifácio, consulter la note n. 5 du chapitre 2.
- Revista Ilustrada, rubrique “ Belas Artes ”, Rio de Janeiro, 21-4-1888.
153
Art. 4 - Ne serait-il pas plus utile à l’enseignement artistique que cet argent
[la subvention gouvernementale] fût utilisé pour subventionner des ateliers
de beaux-arts pour les jeunes qui, ayant prouvé publiquement leur talent par
le moyen de concours, d’expositions, etc, envisageraient d’étudier les beauxarts dans les grands centres européens ?
(...), ceux qui étaient présents se sont tous mis d’accord sur l’inutilité et la
nuisance de l’existence de l’Académie. 12
D’après ce résumée de la réunion, on remarque la volonté des artistes de mettre en
question la valeur de l’Académie des Beaux-Arts. Mais s’ils demandaient des changements, il
faut souligner la permanence de l’idée, toujours très forte parmi eux, selon laquelle les études
en Europe étaient indispensables à leur formation. L’interruption des Prix de Voyage était la
principale cause d’insatisfaction.
On a vu que dans cette première réunion, l’existence de l’Académie brésilienne fut
mise en cause, et les artistes déclarèrent son inutilité. Mais le 21 juin 1890, une nouvelle
réunion eut lieu. Le lendemain, O Paiz faisait le point.
Hier, dans le salon du Derby Club, eut lieu la réunion annoncée des
artistes peintres, sculpteurs, architectes et graveurs réunis afin de souscrire
une pétition à propos de la nécessité urgente d’une réforme complète de
l’organisation de l’Academia das Belas Artes, pétition qui sera rendue au
digne Ministre de l’instruction publique.
Par acclamation, l’illustre artiste Rodolpho Bernardelli fut nommé président
de l’assemblée. Il choisit ensuite, comme secrétaires, ses collèges Rodolpho
Amoêdo et Décio Villares.
12
- “ Les arts et les artistes ”, In : O Paiz, le 17 juin 1890. On n’a pas cité ici l’intégralité de
l’article, mais il faut dire que le journaliste nous informe aussi qu’Eliseu Visconti y était
présent.
“ No salão do Derby Club realizou-se ontem a reunião dos artistas pintores, escultores,
arquitetos e gravadores. (...). Abrindo a reunião o Sr. Teixeira da Rocha apresentou a
seguinte proposta :
Art. 1o - É ou não é útil a existência da Academia das Belas Artes, no estado de desmoralização em que se acha ?
Art. 2 o - É ou não é bem gasta a subvenção dada pelo governo, e esta subvenção produz
os resultados a que é destinada ?
art. 3 o - Atualmente a corporação docente da academia está na altura de pertencer a uma
academia de belas artes ?
Art. 4 o - Não será mais útil ao ensino artístico que se aplique esse dinheiro em subvencionar oficinas de belas artes a moços, que tendo dado provas públicas de talento, queiram
estudar belas artes nos grandes centros europeus, mediante concursos, exposições,
etc ?
Foi aprovado o art. 1o da proposta, concordando todos os presentes que a existência da
academia era inútil e nociva. ”
154
La pétition, document de grande importance, fut lue et reçut les
applaudissements de tous. Elle fut ensuite signée par tous les artistes
présents et, selon délibération de la même assemblée, se trouvera, jusqu’au
24, dans l’espace de l’exposition du tableau allégorique La Rédemption de
l’Amazone, à la disposition des personnes, artistes ou amateurs des beauxarts qui voudraient la souscrire.
(...) Il n’est pas possible d’imaginer que l’importante pétition ne trouvera
pas l’appui le plus décisif de la part de l’honorable et éclairé Ministre dans
le sens de transformer le projet (...) en un fait profitable. 13
Lors de cette deuxième réunion, il n’était plus question de supprimer l’Académie,
mais de la réformer. En outre, le président et les secrétaires élus par l’assemblée étaient d’une
part des partisans des Modernes (Rodolpho Bernardelli et Rodolpho Amoêdo) et d’autre part
un Positiviste (Décio Villares), ce qui signifie que les deux groupes commençaient à se mettre
d’accord.
Le mouvement des jeunes artistes était franchement appuyé par les journalistes. Mais
le journal O Paiz publia aussi, deux jours plus tard, une longue lettre de Pedro Américo
adressée au Ministre de l’Instruction Publique.14 Le peintre analysait la situation du point de
vue des défenseurs de l’Académie. Il est intéressant de reprendre quelques passages de cette
lettre :
Monsieur le Ministre,
13
- O Paiz - le 22 juin 1890 - (p.2).
“ Efetuou-se ontem, no salão do Derby Club a reunião anunciada de artistas pintores, escultores, arquitetos e gravadores com o fim de subscreverem uma petição que será entregue ao digno ministro da instrução pública, relativamente à necessidade urgente da
completa reforma na organização da Academia das Belas Artes.
Por aclamação foi nomeado presidente da assembléia o ilustre artista Rodolpho Bernardelli, que escolheu para seus secretários os seus distintíssimos colegas Rodolpho
Amoêdo e Décio Villares.
Lida a representação, documento importantíssimo, que obteve unânimes aplausos, foi em
seguida assinada por todos os artistas presentes e, segundo deliberação da mesma assembléia, estará até o dia 24, no barracão da exposição do quadro alegórico a Redenção do Amazonas, à disposição das pessoas, artistas ou amadores de belas artes, que
queiram subscrevê-la.
(...), não é lícito supor que da parte do honrado e esclarecido ministro a importante representação encontre senão o mais decidido apoio para a pronta conversão do adiantado projeto em proveitoso fato. ”
14
- On a déjà cité un passage de cette lettre dans le chapitre 6 - La signification du Prix de
Voyage en Europe pour les artistes brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle, (p.p. 86,
87).
155
L’actuelle agitation des esprits progressistes contre l’Académie des Beaux
Arts, parfaitement juste selon quelques écrivains distingués, et excessivement
injuste selon d’autres, procède en partie des vices réels de cette institution
démodée et malheureuse. Mais elle procède surtout d’une illusion
intellectuelle qui consiste à lui attribuer des maux dont elle-même se ressent
et cela depuis plus d’un quart de siècle. Des maux qui dépendent de causes
extérieures, enracinées et générales, absolument indépendantes de la volonté
d’un petit groupe d’hommes désunis par le découragement ou par leurs
préoccupations personnelles.
(...) Le noeud gordien que l’on essaye de défaire au moyen d’une
suppression violente, ou même à travers une simple réforme de la vieille
Académie, ne se trouve pas dans les défauts de la méthode, mais dans
l’orientation particulière du goût du public. Il faut trouver les moyens de
faire de l’artiste un citoyen utile, et non pas une divinité folle et inutile,
(...).
Trois conditions sont nécessaires et indispensables à la vie esthétique d’un
peuple : le génie, la méthode et le milieu social. Mais si, par hasard, l’une
de ces trois conditions peut être dépassée en importance par les deux autres,
c’est sans aucun doute la méthode. Attribuer, donc, exclusivement à
l’institution dépositaire des règles et principes élémentaires, (...), une
situation qui dépend de causes aussi grandes et générales, c’est ignorer le
besoin crucial de l’accord intime des plus grands facteurs de tout progrès
possible dans l’ordre des phénomènes esthétiques.
(...) Ce n’était pas à la portée de l’Académie, timide produit d’un milieu
réfractaire et apathique, de modifier la société dont elle était le reflet. Elle
ne pouvait pas non plus réagir victorieusement contre les forces négatives
qu’un peuple sans sensibilité et un gouvernement sans orientation nettement
définie sur le sujet lui opposaient. (...).
En outre, cette suppression rapide et inconditionnelle dont on entend parler,
même si elle était motivée par des faits réels, aurait des retombées parmi les
peuples les plus cultivés du monde (...) [de façon défavorable pour le
gouvernement républicain].
(...). De plus, que l’on réforme l’actuelle Académie de façon à lui donner
une orientation totalement libérale et moderne, mais en la limitant dans les
fonctions d’une école préparatoire ;
(...) Selon l’exemple de la France, de l’Allemagne, de la Russie, de la
Belgique, de l’Espagne et d’autres pays d’esprit cultivé et expérimenté - qui
soutiennent à Rome leurs respectives Académies nationales, entièrement
organisées et installées dans des palais magnifiques - il suffit de commencer
par envoyer en Europe un artiste éclairé et connaisseur des deux milieux,
afin d’orienter les pensionnaires de l’Etat, informer le gouvernement sur les
événements artistiques des centres les plus importants, et servir de lien entre
le mouvement national et le mouvement de ces brillants foyers de production
artistique.
156
Finalement (...) il faut généraliser l’enseignement du dessin, stimuler l’étude
de l’architecture et créer dans les divers Etats de la République15 des petites
écoles spéciales et des petites galeries d’art destinées à disséminer
l’instruction et accueillir les artefacts dignes de servir de modèle et exemple
à un peuple libre. (...).
Voilà, M. le Ministre, dans une synthèse rapide, ma faible compréhension à
propos de l’objet qui est exploré par la curiosité publique, et qui risque de
devenir une pomme de discorde entre des citoyens illustres et honnêtes, ou
bien le privilège exclusif de l’ambition personnelle, si vous n’opposez pas
au courant des faits quotidiens le prestige de votre critère, des vos lumières
et de votre patriotisme.
En vous saluant respectueusement, votre humble compatriote,
Pedro Américo
Capitale Fédérale, le 20 juin 1890. 16
15
16
- Le Brésil est une fédération, c’est-à-dire, l’union de plusieurs Etats.
- O Paiz - le 25 juin 1890 - (p.3).
“ Sr. Ministro - A atual agitação dos espíritos progressistas contra a Academia das Belas
Artes, para alguns distintos escritores perfeitamente justificável e para outros nimiamente injusta, procede em parte de vícios reais daquela antiquada e infeliz instituição,
porém, principalmente, de uma ilusão intelectual que consiste em atribuírem-se-lhe males dos quais ela própria se queixa há mais de um quarto de século, e que dependem de
causas externas, radicadas e gerais, absolutamente independentes da vontade de um pequeno grupo de homens desunidos pelo desânimo ou por suas preocupações especiais.
(...) Não é tanto na deficiência do método, quanto na orientação particular do gosto público, que está o nó górdio que se procura desatar com uma violenta supressão, ou
mesmo com a simples reforma da velha academia, abstração feita dos meios conducentes a tornarem o artista um cidadão praticamente útil, em vez de uma louca divindade
imune e inútil (...).
Três condições são necessárias e indispensáveis à vida estética de um povo : o gênio, o
método e o meio social. Mas, se porventura, uma dessas condições se deixa ultrapassar
em importância, é sem dúvida o método. Imputar, pois, exclusivamente à instituição
depositária das regras e preceitos elementares, (...), uma situação dependente de causas
tão grandes e gerais, é desconhecer a imprescindibilidade do íntimo consórcio dos maiores fatores de todo o progresso possível na ordem dos fenômenos estéticos.
(...). Tímido produto de um meio refratário e apático, não incumbia à academia modificar
a sociedade de que era a imagem, nem poderia ela reagir vitoriosamente contra as forças negativas que lhe opunham um povo sem sensibilidade e um governo sem orientação claramente definida no assunto. (...). De mais, essa supressão rápida e incondicional
de que se fala, ainda quando motivada por fatos que a justificassem, ecoaria entre os
povos mais cultos do mundo, acompanhada dos malévolos comentários daqueles que
desejam pintar com os lineamentos do desatino e da violência o ilustrado governo da
República.
(...). De mais reforme-se a atual academia, dando-lhe uma orientação totalmente liberal e
moderna, mas encerrando-a nos limites de uma escola preparatória ; (...).
157
On a voulu reproduire ici ces extraits du discours de Pedro Américo, car ils sont la
preuve de l’ampleur du débat qui divisait le milieu artistique brésilien. En effet, si l’un des
peintres les plus réputés de l’époque se prononçait sur le thème, c’est parce que le sujet était la
cause d’une grande inquiétude. Il semble que l’existence de l’Académie elle-même était en jeu.
D’autre part, les mots de Pedro Américo sont révélateurs. Au lieu de défendre
l’Académie contre une possible suppression, le peintre paraît l’attaquer davantage. Il souligne
- A exemplo da França, da Alemanha, da Rússia, da Bélgica, da Espanha e de outros países cultos e experientes - que sustentam em Roma suas respectivas academias nacionais, com uma organização completa e sede em magníficos palácios - comece-se simplesmente por enviar à Europa um artista ilustrado e conhecedor dos dois ambientes, a
fim de guiar os pensionistas do estado, informar o governo acerca dos acontecimentos
artísticos dos principais centros, e servir, por assim dizer, de elo entre o movimento nacional e o daqueles brilhantes focos de produção ;
- finalmente, (...), propaga-se e generalize-se o ensino do desenho, dê-se grande incremento ao estudo da arquitetura, e instituam-se pelos diferentes estados da República
pequenas escolas especiais e pequenas galerias de arte, destinadas a disseminarem a instrução e a acolher os artefatos dignos de servirem de modelo e exemplo a um povo livre. (...).
Eis, Sr. Ministro, numa rápida síntese, o meu fraco entender a respeito do objeto que está
sendo explorado pela curiosidade pública, e que ameaça degenerar em pomo de discórdia entre cidadãos ilustres e probos, ou em privilégio exclusivo da ambição pessoal, senão vos dignardes de opor solicitamente à corrente dos fatos quotidianos o prestígio do
vosso critério, das vossas luzes e do vosso patriotismo.
Respeitoso vos saúda vosso humilde compatriota,
Pedro Américo
Capital Federal, 20 de junho de 1890. ”
158
tous les problèmes et les faiblesses de l’institution. Ses mots expriment la pensée
généralisée à propos de l’inadéquation du pays aux beaux-arts. Et même s’il propose la
diffusion de l’enseignement artistique dans tous les Etats du pays, il ne voyait d’autre solution
pour la formation des artistes nationaux que de les envoyer étudier en Europe. Etonnamment,
les artistes de tous les groupes et même les artistes liés à l’Académie étaient d’accord sur ce
point.
Mais l’agitation des étudiants continuait. Le 9 juillet 1890, O Paiz annonçait
l’ouverture de cours publics et gratuits de beaux-arts dans l’installation de fortune du Largo de
São Francisco. Le journal informait aussi que huit élèves, parmi eux Visconti, s’étaient inscrits
dans le cours de peinture, et deux autres dans le cours de sculpture. C’était la façon trouvée
par les étudiants de faire pression sur le gouvernement pour le convaincre du besoin de
réformer l’Académie. Celle-ci, pendant cette période, eut du mal à assurer la continuité des
cours parce que les élèves se refusaient à y venir. Frederico Barata raconta ces événements de
façon très pertinente :
La même date où les jeunes s’étaient exalté dans l’Académie, les Modernes
l’ont abandonnée, accompagnés des professeurs [Zeferino da Costa,
Rodolpho Amoêdo et les frères Bernardelli] nommés ci-dessus,. Ils sont allés
s’installer, Visconti parmi eux, dans l’énorme baraque construite au milieu
du Largo de São Francisco, à côté de la statue de José Bonifácio, où Aurélio de Figueiredo avait exposé son grand tableau allégorique ‘Rédemption de
l’Amazone’. Cette baraque est devenue ce que fut appelé ‘l’Atelier Libre’,
un cours de peinture calqué sur l’Académie Julian de Paris, où les élèves
recevaient des leçons journalières d’Amoêdo, des frères Bernardelli et de
Zeferino da Costa. Dans cette baraque, ils ne sont restés que deux mois, car
la Préfecture l’a démolie. Néanmoins, le contretemps n’a pas refroidi leur
enthousiasme et avec un groupe encore plus grand ils ont déménagé et se
sont logés dans un petit immeuble de la rue do Ouvidor, (...), plus ou moins
équidistante des immeubles où les journaux ‘O Paiz’ et ‘Jornal do Comércio’
étaient installés. Indéniablement, les étudiants monopolisaient toutes les
sympathies et recevaient la visite de plusieurs artistes reconnus (...). À ce
moment-là, ils recevaient aussi l’appui financier de plusieurs mécènes(...) et
des professeurs qui se cotisaient pour faire face aux dépenses nécessaires à
la manutention de l’Atelier Libre. Avec cette aide, ils ont réalisé, vers le
milieu de 1889 [sic], une grande exposition des oeuvres des affiliés au
mouvement, un véritable ‘Salon des indépendants’ , occupant les deux salles
qui donnaient sur la rue. Ils ont réussi à attirer un nombreux public et
d’excellents exposants, parmi lesquels Eliseu Visconti, Fiúza Guimarães,
159
Rafael Frederico, Bento Barbosa (...)
remarquer. 17
et França Junior se firent
En consultant les journaux de cette période18, on a pu relever les dates exactes de
tous ces événements, car Frederico Barata s’est trompé lorsqu’il situa l’exposition des élèves
de l’Atelier Libre vers le milieu de 1889. D’après les articles des journaux, la révolte des élèves
eut lieu en juin 1890 et s’est prolongée jusqu’à la fin de l’année. En voici un petit résumé : la
première réunion des artistes pour discuter de la réforme ou de l’extinction de l’Académie eut
lieu le 16 juin 1890. Le 9 juillet 1890, les inscriptions de l’Atelier Libre étaient ouvertes au
Largo de São Francisco. Le 14 décembre 1890, un journaliste d’O Paiz commentait
l’exposition des étudiants de l’Atelier Libre :
Je suis passé, il y a quelques jours, par l’Atelier Moderne où étaient exposés
les travaux des disciples révolutionnaires de l’école libre.
L’impression que j’exprime ici est tardive.
17
- Frederico Barata. Eliseu Visconti e seu tempo, (p.p.36, 37).
“ Na mesma data em que os ânimos tanto se tinham exaltado na Academia, abandonaramna os modernos, acompanhados na atitude pelos professores referidos. E foram instalar-se, Visconti entre eles, no enorme barracão construído em pleno largo de São Francisco, junto à estatua de José Bonifácio, onde Aurélio de Figueiredo expusera o grande
quadro alegórico "Redenção do Amazonas", transformando-o no que denominaram
"Atelier Livre", um curso de pintura moldado na Academia Julian, de Paris, e no qual
recebiam diariamente lições de Amoedo, dos Bernardelli e de Zeferino da Costa. Aí ficaram somente dois meses, pois a Prefeitura exigiu o barracão para demolir. O contratempo, porém, não lhes arrefeceu o entusiasmo e, com o grupo muito aumentado, mudaram-se para um sobrado à rua do Ouvidor, entre as ruas da Quitanda e Sachet, mais
ou menos à igual distância dos edifícios onde estavam instalados o "Jornal do Comércio" e "O País". Inegavelmente monopolizavam as simpatias gerais e eram freqüentados
por vários artistas feitos, que lhes levavam apoio moral e proveitosos conselhos, sendo
entre todos mais assíduo João Batista Castagneto, o marinista ímpar da pintura brasileira. Já então eram também financeiramente auxiliados por vários mecenas, entre os quais
Ferreira Araújo, Luiz de Rezende, José do Patrocínio e os próprios professores, que todos se cotizavam para as despesas necessárias à manutenção do "Atelier Livre" e patrocinaram, em meados de 1889 [sic], uma grande exposição de trabalhos dos filiados ao
movimento, um verdadeiro "Salon" de independentes, que ocupava as duas salas da
frente e logrou atrair numeroso público e excelentes expositores, destacando-se Eliseu
Visconti, Fiúza Guimarães, Rafael Frederico, Bento Barbosa (desenhista da "Cidade do
Rio") e França Júnior. ”
18
- Pour établir la chronologie de ces événements on a consulté les articles d’O Paiz. Les
dates que l’on y a trouvées sont les mêmes citées par Lúcia Prado dans sa thèse sur
Gonzaga-Duque (Rio de Janeiro, 1995, p.p. 89 - 96). Prado cite comme source
d’informations des articles du journal A Gazeta de Notícias du 17 juin et du 3 août 1890.
Ces dates correspondent aussi à l’abandon de Rodolpho Bernardelli de ses fonctions comme
professeur à l’Academia de Belas Artes. D’après l’information tirée du procès verbal de la
séance du Conseil du 7 novembre 1890, cet abandon date du 6 mai 1890.
160
En tant qu’art révolutionnaire, il faut dire que là-bas il n’y avait rien qui
aurait pu amener à une telle induction. Mais il y avait un grand nombre de
toiles charmantes. 19
L’observation faite par le journaliste nous invite à réfléchir sur la disparité révélée par
cette constatation : les oeuvres des étudiants ‘révolutionnaires’ n’avaient pas un caractère
révolutionnaire. En effet, il n’y avait pas d’innovations dans leurs oeuvres. Une fois de plus, on
peut observer que le mécontentement généralisé et l’action indépendante des artistes ne se
tournaient pas contre les conceptions esthétiques de l’Académie, et que les réunions et les
initiatives des jeunes ‘révolutionnaires’ envisageaient de réformer l’Académie, non pas de la
transformer radicalement.
Il est vrai que les artistes avaient discuté, dans un premier temps, de l’extinction de
l’Académie. Cependant, la suite des événements montre qu’ils ne désiraient pas cette
suppression, mais plutôt une amélioration de l’institution.
Le gouvernement finit par constituer une commission formée par Rodolpho
Bernardelli et Rodolpho Amoêdo, chargés d’étudier et de définir les bases de la réforme. Celleci se réalisa en décembre 1890 avec la transformation de l’Academia Imperial en Escola
Nacional de Belas Artes ; ‘question d’étiquette’ selon Gonzaga-Duque20. Mais le corps
d’enseignants fut presque entièrement renouvelé, les Expositions Générales recommencèrent et
les Prix de Voyage furent rétablis. Aussi, un nouveau prix de voyage fut institué pour le
meilleur exposant de l’Exposition Générale.
Malgré les similitudes retrouvées entre les pratiques de l’Escola Nacional de Belas
Artes et celles de l’ancienne Academia Imperial, ces épisodes marquèrent une nouvelle phase
pour l’art brésilien. À ce propos, on verra qu’Eliseu Visconti, le premier lauréat du Prix de
Voyage de l’Ecole, fut considéré par beaucoup d’auteurs comme une ligne de démarcation
dans l’histoire de la peinture au Brésil. Mais avant d’analyser les écrits de ces critiques,
présentons d’abord les données biographiques de Visconti et un résumé de ses activités en tant
qu’étudiant à Paris.
19
20
- J. R., “ Sete Dias ” In : O Paiz, 14 / 12 / 1890, (p. 1).
“ Passei, há dias, pelo Atelier moderno. Lá estiveram expostos os trabalhos dos discípulos revolucionários da escola livre. / Impressão tardia a que dou. / Como arte revolucionária deve-se dizer que ali nada existia que pudesse dar semelhante indução. Mas havia um grande número de telas agradáveis. ”
- GONZAGA-DUQUE. Contemporâneos, p. 223.
161
2 - Eliseu d’Angelo Visconti, premier pensionnaire de l’Escola Nacional de
Belas Artes - données biographiques
Visconti est né à Giffoni Valle e Piana, petit village de la région de Salerne en Italie,
le 30 juillet 1866. Plusieurs auteurs affirment qu’il est arrivé à Rio de Janeiro à l’âge d’un an.
Cependant, Tobias d’Angelo Visconti, fils du peintre, raconte qu’Eliseu Visconti arriva à Rio à
l’âge de dix ans, amené par sa soeur Marianelli Visconti. Son frère Afonso et sa soeur Maria
Anunciata habitaient déjà au Brésil. Un autre frère appelé Tobias, venu lui aussi au Brésil avant
Eliseu Visconti, y était décédé à cause d’une maladie contractée sur place, la fièvre jaune. Les
parents d’Eliseu, par contre, n’ont jamais quitté l’Italie. Tobias Visconti raconte encore que
son père et les autres membres de la famille ont entrepris le voyage au Brésil encouragés par la
baronne de Guararema, une amie brésilienne21. L’influence de la baronne est vaguement
évoquée par Frederico Barata qui écrivit, dans son livre sur le peintre, que Visconti et les siens
auraient quitté leur pays d’origine à cause de problèmes politiques22.
Au Brésil, en plus de la formation scolaire régulière, Visconti commença à suivre des
cours de musique, mais son penchant pour le dessin attira très certainement l’attention de la
baronne de Guararema, sa marraine. Celle-ci, disciple de Victor Meirelles, encouragea le jeune
Visconti à s’orienter vers les Beaux-Arts. En 1883 le jeune homme entra au Lycée des arts et
métiers de Rio de Janeiro où il fut l’élève de Victor Meirelles, José de Medeiros, Pedro Peres
et Estevam Silva, parmi d’autres. Au Lycée, Visconti se fit remarquer par son talent. De
nombreux prix annuels attribués aux élèves des disciplines de modelage, de perspective, de
dessin figuré et de dessin d’ornements lui furent décernés, ce qui amena ses collègues à le
surnommer “ le mangeur de médailles ” 23.
En juillet 1885, Visconti fut admis à l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de
Janeiro. Il y commença par suivre les cours de dessin de José de Medeiros, son ancien
professeur au Lycée, et fréquenta aussi les cours de dessin géométrique et de mathématiques
21
- Du “ Resumo da Vida de Eliseu Visconti ” [ Résumé de la Vie d’Eliseu Visconti] par
Tobias Visconti, 1992. Ce texte qui n’a pas encore été publié fut gentiment mis à notre
disposition par l’auteur.
22
- BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p.1).
23
- BARATA, idem, (p. 14).
“ Os colegas puseram-lhe o apelido de "papa-medalhas", bem merecido, de resto, pois seus
eram sempre os principais prêmios anuais das diversas aulas, de modelagem, de perspectiva,
de desenho figurado, de desenho de ornatos. ”
162
appliquées. Pendant quatre ans, il accomplit toutes les études théoriques du programme et
s’adonna à l’étude du dessin. En 1890 il s’inscrivit aux cours de Peinture Historique, Paysage
et Modèle Vivant, ayant comme professeurs les maîtres Henrique Bernardelli et Rodolpho
Amoêdo. Cette même année il participa activement à l’agitation des étudiants qui demandaient
une réforme de l’Académie, conformément à ce qu’a été développé dans le chapitre précédent.
Pendant les années de 1891 et 1892, après la réforme, il continua ses études de Peinture dans
l’institution, désormais nommée Escola Nacional de Belas Artes.
Ce fut en tant qu’élève de l’Ecole qu’il se présenta, le 3 Novembre 1892, au
concours du Prix de Voyage24. Six autres concurrents lui disputaient le prix. Le concours
consista en trois épreuves. La première, l’exécution d’une “ académie dessinée ”, élimina trois
concurrents. Comme seconde épreuve les candidats devaient peindre une académie en trente
séances. La troisième épreuve consistait en la composition d’un tableau historique dont le sujet
était “l’apparition de l’ange à Marie ”, c’est-à-dire, l’Annonciation. Les concurrents furent
isolés dans des cabines spéciales, conformément aux exigences du règlement. Visconti fut le
premier à toutes les épreuves, et fut déclaré lauréat le 26 décembre 1892. Au mois de mars
1893, il quittait le Brésil pour aller continuer ses études à Paris.
À Paris, selon l’habitude des anciens lauréats du Prix de Voyage, Visconti se présenta
aux examens d’admission de l’Ecole des Beaux-Arts25, et obtint un résultat excellent. Il fut
reçu septième sur quatre-vingt quatre élèves admis dans la section de Peinture, en juin 189326.
En examinant les documents de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, on découvre que le
nom de Visconti apparaît parmi les élèves du Cours du Soir, et non pas parmi les élèves des
24
- Donnée relevée aux sources documentaires sur Visconti, dans les Archives du Museu
Dom João VI - EBA, UFRJ, Rio de Janeiro.
25
- Archives nationales (France) - AJ / 52 / 80. D’après ces documents, 321 candidats se
sont présentés aux épreuves d’admission à l’Ecole proprement dite le 26 juin 1893. La
première épreuve était éliminatoire et consistait en une figure dessinée d’après l’antique.
Visconti fut classé huitième dans cette première épreuve, en ayant la note de 19.30 sur la
base de 20. Quatre-vingt cinq concurrents ont réussi cette première étape des examens et,
ainsi que vingt candidats supplémentaires, ils ont pu se présenter aux épreuves suivantes
concernant les disciplines d’Anatomie, de Perspective, de Modelage, d’Architecture et
d’Histoire. Visconti obtint 13 en Anatomie, 14 en Perspective, 8 en Modelage, 0 en
Architecture et 5 en Histoire (toutes ces notes sur une base de 20). Quatre-vingt quatre
candidats ont été admis après les examens, et dans le classement général, Visconti fut classé
septième. Les notes chiffrées obtenues par les candidats étaient ensuite multipliées par les
coefficients prescrits et la moyenne de Visconti fut de 360.60, tandis que le premier élève a
eu 389 comme moyenne.
163
ateliers de peinture. En effet, l’enseignement dispensé à l’Ecole comprenait trois structures
différentes et complémentaires : 1o- “ Les cours ” qui se composaient des disciplines d’histoire,
d’anatomie, de perspective, de mathématiques, de géométrie descriptive, etc ; 2o- les exercices
et concours de “ l’école proprement dite ” ; et 3o- les exercices et les concours des “ ateliers ”.
Les exercices de l’école proprement dite consistaient, dans la section de peinture, en
un cours de dessin qui se déroulait tous les jours, de 16 :00 à 18 :0027, appelé le Cours du soir.
Les étudiants réalisaient des figures dessinées alternativement d’après nature et d’après
l’antique, autrement dit, ils dessinaient parfois d’après modèle vivant, parfois d’après des
modèles copiés de statues antiques.
Outre les Cours du soir, depuis la réforme de 1863 il y avait trois ateliers de peinture
attachés à l’Ecole des Beaux-Arts. Conformément à ce qui est écrit dans le règlement de 1892,
ces ateliers étaient ouverts : “ 1o - aux élèves de l’école proprement dite, qui choisissent,
suivant l’ordre et la date de leur rang d’admission, celui des ateliers de leur section dans lequel
ils désirent étudier ; 2o - aux jeunes gens qui, bien que n’étant pas admis à l’école proprement
dite, sont agréés par le professeur. Les professeurs sont seuls juges des aptitudes des jeunes
gens qu’ils agréent.28 ” L’enseignement transmis dans les ateliers relevant de la seule
responsabilité du professeur. Mais aussi bien dans les cours du soir que dans les ateliers,
Dans le règlement de l’Ecole (Archives nationales - AJ / 52 / 438) les détails à propos de
chacune de ces épreuves sont explicités : l’épreuve de figure dessinée d’après l’antique
devait être exécutée en douze heures ; le dessin d’anatomie était exécuté en loge en deux
heures ; le dessin de perspective était exécuté en quatre heures, d’après un objet en relief ;
l’exécution d’un fragment de figure modelé d’après l’antique était réalisée en neuf heures ;
une étude élémentaire d’architecture était exécutée en loge en six heures ; l’examen sur les
notions générales de l’histoire consistait en une épreuve écrite ou orale, au choix du
candidat.
26
- Ces informations sont certifiées par la lettre du Directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de
Paris qui se trouve dans le dossier n. 270 des Archives du Museu Dom João VI - EBA,
UFRJ, Rio de Janeiro.
“ Paris, le 10 Juillet 1893
Le Directeur de l’Ecole Nationale et Spéciale des Beaux-Arts, Membre de l’Institut,
soussigné, certifie qu’à la session des examens de juin 1893, M. Visconti Elisée, élève
de M.M. Bouguereau et Ferrier, a été reçu septième sur quatre-vingt quatre élèves
admis dans la section de Peinture.
[Signé] P. Dubois ”
27
- Archives nationales (France) - AJ / 52 / 438. Règlement de l’Ecole nationale et spéciale
des Beaux-Arts à Paris (4 Juin 1892), (p.8).
28
- Archives nationales (France) - AJ / 52 / 438.Règlement de l’Ecole nationale et spéciale
des Beaux-Arts à Paris (4 Juin 1892) - (p.39).
164
l’année scolaire était ponctuée par une suite de concours d’émulation qui se succédaient en
entraînant les élèves dans un rythme compétitif intense.
Le nom de Visconti n’apparaît pas parmi les lauréats de ces concours29, et il disparaît
de la liste de présence des élèves au mois de Février 1894. Après cette date, il est absent de
l’Ecole30. Soit parce qu’il ne s’est pas adapté au système d’enseignement de l’Ecole, soit parce
qu’il n’a pas eu accès aux ateliers de peinture, il est évident que Visconti abandonna les cours
de l’Ecole des Beaux-Arts. À la place, il s’orienta vers le cours d’Eugène Grasset qui
enseignait le dessin d’art industriel et la composition décorative à l’École Guérin, appelée
parfois Ecole normale d’enseignement du dessin31. De 1894 à 1898, Visconti fréquenta le cours
de composition décorative dispensé par Eugène Grasset chaque mercredi de 14 à 16 heures. Le
maître dirigeait l’enseignement vers des résultats pratiques, en laissant beaucoup d’autonomie
aux élèves. Son souci était celui de permettre à chacun de s’épanouir aussi librement que
possible selon ses dons spécifiques. Cette attitude, qui s’opposait radicalement à l’orientation
de l’Ecole des Beaux-Arts, Grasset l’exprima très bien dans le texte qui suit :
29
- Archives nationales (France) - AJ / 52 / 88-90.
- Archives nationales (France) - F / 52 / 471 - Contrôle de présence des élèves - ateliers de
peinture et de sculpture, cours du soir, enseignement simultané des trois arts, galeries du
Musée des études (peintres, sculpteurs et architectes) - années 1893-1894 à 1901-1902.
Les vacances scolaires duraient du 1er août au 15 octobre. Le nom de Visconti apparaît en
Octobre (9 présences), Novembre (11 présences), Décembre (16 présences) et Janvier (13
présences).
31
- Grasset fut professeur dans cette école de 1890 à 1903. Fondée en 1881 par l’architecte
Guérin et sise rue Vavin 19, dans le quartier de Montparnasse, cette école, privée du soutien
de l’Etat mais dotée d’une modeste subvention annuelle de la Ville de Paris, insuffisante pour
payer les maîtres, se spécialisa dans la formation des enseignants de dessin pour les
établissements officiels; elle fut fermée en 1903, au moment où Grasset la quitta.
30
165
Ne vous opposez jamais en rien aux efforts des novateurs, voire même à
leurs succès; car, alors même que leurs oeuvres ne vous satisferaient pas
complètement, vous savez qu’elles n’ont qu’un temps et seront bientôt
remplacées par d’autres qui vaudront peut-être mieux! - Souvenez-vous que
toute tentative fixe les idées flottantes et, permettant au sens critique de
s’exercer, indique la voie à suivre en montrant les défauts à éviter.
Mais, encore une fois, mieux vaut n’importe quoi plutôt que l’immobilité du
progrès artistique, mieux vaut disparaître plutôt que ne pas inventer!32
Ces principes énoncés par Grasset montrent combien ses idées s’éloignaient des
méthodes officielles adoptées, non seulement à l’Ecole des Beaux-Arts, mais aussi dans les
académies privées, à propos desquelles il écrivit une fois :
Le nombre de ces Fabriques à peintres est innombrable, l’Usine la plus
importante est chez Julian rue du Dragon, derniers procédés de l’Institut. 33
On sait que Visconti considéra Grasset, parmi les professeurs qu’il eut à Paris,
comme celui dont les enseignements lui furent les plus précieux. Et pourtant, malgré les
réticences du maître, on n’ignore pas que Visconti fréquenta aussi l’Académie Julian, où il fut
l’élève de Bouguereau, Ferrier, Benjamin Constant et Jean Paul Laurens, tous liés aux
traditions de l’Ecole des Beaux-Arts. En fait, à l’Académie Julian, les méthodes
d’enseignement suivaient rigoureusement l’orientation académique. À ce propos, Robert et
Elisabeth Kashey ont écrit :
Les principes d’enseignement y étaient exactement les mêmes que ceux de
l’Ecole des Beaux-Arts. Les mêmes professeurs venaient, deux fois par
semaine, aussi bien aux ateliers de Julian qu’à ceux de l’Ecole pour
discuter et critiquer le travail de chaque étudiant. Bouguereau, Boulanger,
Benjamin-Constant, Jules Lefebvre et Chapu étaient parmi eux, pour n’en
citer que quelques-uns. Le procès d’avancement était le même : chaque
semaine le professeur choisissait le meilleur dessin qui serait par la suite
jugé dans un concours à la fin du mois. Des prix était décernés, des médailles
étaient disputées. Tous les samedis les compositions étaient jugées et les
meilleurs étudiants avaient droit aux places les plus rapprochées du modèle.
Le but à atteindre au moyen de ces méthodes était celui de préparer les
étudiants à entrer à l’Ecole et à exposer leurs travaux au Salon. 34
32
- GRASSET, Eugène. “ Extraits de la conférence sur l’Art Nouveau faite à l’Union
Centrale en 1897 ”. In : PLANTIN, Yves & BLONDEL, Françoise. Eugène Grasset,
Lausanne 1841 Sceaux 1917. Yves Plantin & Françoise Blondel. Paris, 1980, (p. 124).
33
- Lettre d’Eugène Grasset à son ami, l’écrivain Edouard Rod, le 26 octobre 1901. Cité par
MURRAY-ROBERTSON. Grasset: pionnier de l’art nouveau. Editions 24 heures,
Lausanne, 1981, (p. 20).
166
On présume que Visconti, dès son arrivé à Paris, est entré à l’Académie Julian.
L’admission y était beaucoup plus simple qu’à l’Ecole des Beaux-Arts, il n’y avait pas
d’examen à passer, et les étrangers nouveaux venus y étaient nombreux.
La présence de Visconti aussi bien chez Grasset que chez Julian paraît contradictoire.
Cependant on peut l’expliquer. Ce que Visconti cherchait chez Julian n’était pas
l’apprentissage de nouvelles connaissances. Quant à cela, l’enseignement de Grasset lui fut, de
beaucoup, plus fécond. Mais il s’agissait de s’exercer dans son métier de peintre et de satisfaire
aux obligations de pensionnaire : huit études de modèle vivant peintes ou dessinées, pour la
première année ; et huit études de modèle vivant peintes, la deuxième année. Ces études, il
devait les envoyer à l’Escola Nacional de Belas Artes de Rio, où ses anciens professeurs
avaient la charge d’évaluer ses progrès en Europe. À l’Académie Julian il avait la possibilité de
peindre d’après le modèle vivant, ce qui n’était le cas ni dans les cours du soir de l’Ecole de
Beaux-Arts, exclusivement destinés à l’étude du dessin , ni à l’Ecole Guérin, où, à partir de
1894, il suivait le cours d’Eugène Grasset, se spécialisant dans la composition décorative
appliquée aux objets d’art utilitaire. Ainsi, ce fut à l’Académie Julian que Visconti réalisa les
travaux obligatoires des deux premières années de son séjour d’études. On analysera quelquesuns de ses envois dans le chapitre 6 (figures 1, 2, 3 et 4)35.
Afin de s’acquitter de son devoir de troisième année, une copie d’un tableau célèbre,
Visconti s’est rendu à Madrid. L’oeuvre choisie était La Reddition de Breda de Vélasquez, qui
34
- KASHEY, Robert & KASHEY, Elisabeth. In : “ FEHRER, Catherine. The Julian
Academy, Paris 1868-1939. Spring exhibition 1989. New York, Shepherd Gallery,
1989. (pp. IV - V).
“ The teaching principles were absolutely the same as at the Ecole des Beaux-Arts. The same
professors came twice a week to the ateliers of Julian's and those of the Ecole to discuss and
criticize the work of each student. Bouguereau, Boulanger, Benjamin-Constant, Jules
Lefebvre and Chapu were among them, to name but a few. The process of advancement was
the same: every week the professor chose the best drawing which were then judged in a
concours at the end of the month. Prizes were awarded, medals to be gained. Every
Saturday, compositions were judged and the best students got the seats closest to the model.
Julian's teaching methods were geared to prepare his students for entry in the Ecole and to
get his students' works exhibited in the Salon. ”
35
- Les reproductions se trouvent dans le Volume des Illustrations. De même pour les
prochaines ‘figures’. Les illustrations des oeuvres de Visconti seront toujours indiquées par
l’abréviation ‘fig.’ (figure), tandis que les reproductions des oeuvres des autres artistes
brésiliens ont été indiquées par l’abréviation ‘ill.’ (illustration).
167
se trouve au Musée du Prado. En Août 1895, il commença à en exécuter la copie en grandeur
naturelle. En hiver, il retourna à Paris, mais l’année suivante il revint en Espagne pour
reprendre le travail. En juillet 1896, il l’a finalement achevée et envoyée au Brésil36.
Ce fut avant de finir cette copie du tableau de Vélasquez que Visconti reçut une lettre
de Rodolpho Amoêdo, son ancien professeur à Rio, qui lui faisait connaître son avis sur ses
premiers envois de pensionnaire. Il est utile de lire quelques extraits de cette missive:
Rio, 1er janvier 1896
Ami Visconti
J’ai reçu ton aimable petite lettre avec les voeux de joyeuses fêtes et je t’en
remercie beaucoup. Tes travaux, qui n’ont pas pu arriver à temps pour
figurer dans la dernière exposition générale, sont arrivés cependant à temps
pour figurer dans la dernière exposition des élèves qui eut lieu le mois
dernier, où ils furent justement appréciés.
L’ami m’a demandé mon opinion (...) à propos, et (...) je te dirai
franchement, selon ma coutume, ce que je pense, et dès maintenant je te
demande d’excuser ma désinvolture.
Je trouve beaucoup de progrès dans tout ce que tu nous as envoyé, un
progrès que j’ai toujours espéré de ton talent et de ton infatigable assiduité
au travail. Laisse-moi cependant dire que ta facilité de peindre n’est pas
toujours alliée à un dessin correct, surtout en ce qui concerne la
construction. Je fais cette observation parce que je pense qu’aujourd’hui les
moyens de bien dessiner, de même que ceux de peindre, se trouvent
tellement répandus parmi les artistes, ainsi que parmi le public, qu’il n’est
plus permis d’admettre, sinon par condescendance, des artistes dits
coloristes ou dessinateurs. (...). L’art de la peinture, comme l’ami doit le
savoir autant que moi, est un ensemble dans lequel la forme est tellement
liée à la couleur que l’on peut dire, sans peur de commettre une faute, que
lorsque la couleur est juste, le modelé est juste lui aussi; parce
qu’aujourd’hui les artistes ne peuvent plus plaire s’ils peignent d’après des
dessins au lieu de peindre directement du modèle vivant. Mais si le modelé
est tellement intimement lié à la couleur que l’on peut dire que lorsque la
couleur est juste, le modelé est juste lui aussi, c’est-à-dire le relief de
chacune des parties relativement aux autres, cela ne peut pas être dit à
propos du contour ou limite de la forme sur le fond, ou sur une autre forme
qui lui tienne lieu de fond. (...).
36
- Arquivo nacional (Rio de Janeiro) - (IE-7), document ANRJ-038-194-194. Lettre du
30/07/1896, où Eliseu d'Angelo Visconti communique au Ministre qu’il envoie de Madrid
une copie du célèbre tableau de Vélasquez Reddition de Breda. [Source : base de données
Carlos Roberto Maciel Levy].
Cette copie, qui fait partie des collections du Museu nacional de Belas Artes de Rio de
Janeiro, se trouve aujourd’hui dans le département de conservation et restauration de ce
musée. La toile est très abîmée, divisée en plusieurs morceaux.
168
L’ami a déjà acquis un bagage que lui permet d’être fier d’être un artiste.
Cependant, le grand désir de te voir assuré au possible des procédés de notre
art, m’a inspiré cette légère observation. (...) 37
On constate la rigueur du professeur dans ces critiques. L’exigence d’un dessin
conforme était encore quelque chose d’essentiel dans sa conception. Il n’est plus possible de
savoir comment Visconti reçut-il ces mots de Rodolpho Amoêdo, mais il est sûr que, dans
l’évolution de son travail, il s’éloignait petit à petit des concepts académiques énoncés par son
ancien professeur.
Pendant la quatrième et la cinquième année de ses études en Europe, Visconti devait
exécuter un tableau qui serait “ acheté par l’Ecole si le Conseil des professeurs l’aura jugé
digne de l’être ”38. Le mois de mai 1896, Visconti envoya à l’Ecole une esquisse de ce tableau
dont le titre était La Délivrance de la vie de péchés, sujet extrait de la Divine Comédie de
37
- Lettre conservée par Tobias Visconti, fils du peintre.
“ Rio, 1 de janeiro de 1896
Amigo Visconti
Recebi a sua amável cartinha dando-me as boas festas o que muito lhe agradeço. Os seus trabalhos que não puderam chegar a tempo de figurar na última exposição geral, saíram contudo a tempo de figurar na última exposição de alunos que teve lugar no mês próximo findo
onde foram devidamente apreciados.
Pede-me o amigo a minha pouco valiosa opinião a respeito e para satisfazê-lo vou dizer-lhe
com franqueza, segundo o meu costume, o que penso e desde já lhe peço que me desculpe o
desembaraço.
Acho muito progresso em tudo quanto nos enviou, progresso que eu sempre esperei do seu
talento e infatigável assiduidade ao trabalho. Permita-me entretanto dizer-lhe que a sua facilidade de pintar nem sempre está aliada a um desenho correto, sobretudo no que respeita a
construção. Faço esta observação porque julgo que hoje o meio de bem desenhar como o de
pintar está por demais divulgado não só entre os artistas como até no público para que não
se possa mais admitir, senão por condescendência, artistas com a denominação de coloristas
ou de desenhadores. (...). A arte da pintura, como o amigo deve saber tão bem como eu, é
um conjunto em que a forma está por tal maneira aliada à cor que se pode dizer sem receio
de errar que quando a cor é justa, justo é também o modelado visto que hoje os artistas não
podem mais agradar pintando por desenhos em vez de pintar diretamente do modelo vivo.
Mas se o modelado está tão intimamente ligado à cor, que se pode dizer que quando a cor é
justa, justo é também o modelado, isto é, o relativo relevo de cada uma das partes, outro
tanto não se pode dizer do contorno ou limite da forma sobre o fundo ou sobre uma outra
forma que lhe sirva de fundo. (...).
O amigo com a bagagem que já possui, pode orgulhar-se de ser um artista, contudo o grande
desejo que tenho de vê-lo tão seguro dos processos de nossa arte quanto seja possível, inspirou-me esta ligeira observação. (...).
Seu amigo e colega (...), Rodolpho Amoêdo. ”
38
- Regulamento para o processo dos concursos na Escola Nacional de Belas Artes, para os
lugares de pensionistas do Estado na Europa, a que se refere o Aviso desta data. (26 de
Outubro de 1892)
169
Dante (l’Enfer). Pour l’exécution de l’ouvrage définitif sur une toile de 24 mètres carrés, il
demandait l’aide de douze mille francs39. Les professeurs qui devaient exprimer leur avis Modesto Brocos, Henrique Bernardelli et Daniel Bérard - donnèrent leur accord à la demande
du pensionnaire40. Cependant, Visconti n’a pas reçu l’aide demandée et n’a pas pu exécuter le
grand tableau41.
Pourtant, il paraît que ce refus n’a pas été néfaste au peintre. En fait, ce veto eut par
conséquence la libération de Visconti, qui n’était plus contraint à peindre l’énorme tableau. La
seule obligation qui lui restait c’était de continuer à envoyer ses travaux à l’Escola Nacional
de Belas Artes afin de les soumettre à l’appréciation des professeurs et de participer aux
Expositions Générales de Rio de Janeiro. Dispensé de La Délivrance de la vie de péchés il
pouvait se vouer à ses recherches en suivant ses propres penchants. Effectivement, pendant les
dernières années de son séjour à Paris, qui s’est prolongé jusqu’en 190042, Visconti donna libre
cours à sa vocation, en se laissant influencer par les mouvements symboliste et Art Nouveau,
(figures 11, 12, 16 et 17), qui s’accordaient à ses propres inclinations. Dans le chapitre 6 Analyse de l’oeuvre..., on étudiera attentivement les oeuvres de cette période.
Après ces observations sur les cours fréquentés par Visconti et sur ses envois de
pensionnaire, il faut ajouter quelques données sur ses participations aux Salons de Paris.
Sa première participation à cette exposition date de 1894, la seconde année de son
séjour à Paris. Cette année-là il exposa deux toiles au Salon de la Société des artistes français,
c’est-à-dire, le Salon des Champs-Elysées. Elles étaient : En Eté (fig.7) et La Lecture. En
1895, il y exposa encore une fois deux tableaux : Les Communiantes et La Convalescente. En
1897, il avait deux nus féminins exposés au Salon du Champ de Mars : Rêve mystique (fig.9) et
Noceuse. En 1898, Visconti exposa, dans ce même Salon, le tableau Saint Sébastien (fig.11).
“ Capítulo 6o : Dos deveres dos pensionistas (...) 4o e 5o anos - Execução do quadro que será
comprado pela Escola se o Conselho Escolar julgar digno de ser adquirido. ”
39
- Arquivo nacional (Rio de Janeiro). Document : ANRJ-038-195-195. Lettre de Visconti
adressée au Ministre datée du 29 mai 1896. [Source : base de données Carlos Roberto
Maciel Levy].
40
- Arquivo nacional (Rio de Janeiro). Document : ANRJ-038-197-197. (10 / 09 / 1896)
[Source : base de données Carlos Roberto Maciel Levy].
41
- Arquivo nacional (Rio de Janeiro). Document : ANRJ-038-198-198. [Source : base de
données Carlos Roberto Maciel Levy]. Lettre du 14 décembre 1896.
42
- En 1897 son séjour d’études touchait à sa fin, mais sa pension fut prolongée pendant deux
ans, (1898 et 1899).
170
En 1899, il exposa, toujours au Champ de Mars, les toiles Le Baiser et Mélancolie (toile
aujourd’hui connue sous le titre de Gioventú) (fig.12). La dernière année de son séjour, en
1900, il participa à l’Exposition universelle internationale en y présentant deux toiles :
Gioventú (encore sous le nom de Mélancolie) qui avait déjà été exposée l’année antérieure, et
Les Oréades (fig.16). Avec ces deux toiles, Visconti obtint une médaille d’argent43.
La période d’études de Visconti en France était terminée depuis le mois de juillet
1899 et il en avait informé le Ministre, en demandant par la même occasion le financement de
son voyage de retour au pays44. Le 13 octobre 1899, la Délégation du Trésor du Brésil à
Londres communiquait à Visconti que le crédit destiné à payer les frais de son voyage était
disponible depuis le 23 septembre.45
En 1900, après l’Exposition universelle, Visconti retourna à Rio où il exposa, l’année
suivante, ses travaux réalisés en France. Mais il n’est pas resté longtemps au Brésil et fit de
nombreux allers-retours entre Rio de Janeiro et Paris, où il connut sa future épouse Louise
Palombe. Il se trouvait en France lorsqu’en 1905 il fut appelé à réaliser des peintures
décoratives destinées au Théâtre municipal de Rio de Janeiro. Les deux années suivantes, 1906
et 1907, il exécuta ses premières décorations du théâtre, dans son atelier à Neuilly-sur-Seine46.
Il était pris par ce travail quand il reçut, le 22 Juin 1906, la communication selon laquelle il
avait été choisi par le Conseil de l’Escola Nacional de Belas Artes pour occuper un poste de
43
- Archives nationales (France) - F / 21 / 4066. D’après l’examen de la Liste des
récompenses distribuées aux exposants de l’Exposition Universelle de 1900, dans le groupe
II (oeuvres d’art), parmi les concurrents de la classe 7 (Peintures, cartons et dessins), 27
artistes obtinrent un grand prix, 112 obtinrent une médaille d’or, 299 artistes obtinrent une
médaille d’argent, 600 obtinrent une médaille de bronze et 414 obtinrent une mention
honorable.
44
- Arquivo nacional (Rio de Janeiro). Document : ANRJ-038-201-202. (Lettre du
17/07/1899). [Source : base de données Carlos Roberto Maciel Levy].
45
- Document conservé par Tobias Visconti, fils d’Eliseu Visconti.
46
- Situé au numéro 38, Boulevard du Château, à Neuilly-sur-Seine, cet atelier aurait
appartenu à Puvis de Chavannes.
171
professeur de peinture47. Il accepta l’invitation, mais déclara qu’il lui était impossible de
retourner immédiatement au Brésil, avant de finir les commandes du théâtre.
À la fin 1907 il revint à Rio amenant avec lui les peintures finies pour les installer
dans les lieux définitifs, travail qui fut entièrement achevé en 1908. Cette fois-ci il s'est fait
accompagner par son épouse française, Louise Palombe, et par leur fille, et assuma ses
fonctions de professeur de peinture à l’Escola Nacional de Belas Artes. Entre 1908 et 1913,
Visconti habita à Rio de Janeiro avec sa famille. Mais en 1913, après avoir reçu de nouvelles
commandes pour la décoration du Théâtre municipal, il retourna encore une fois à Paris, en
amenant toute la famille, pour y réaliser les grands panneaux décoratifs du foyer de ce théâtre.
La Première Guerre est venue les surprendre en Europe et interdit le déplacement de la famille
lorsque Visconti vint à Rio en 1915, pour installer ses nouvelles peintures dans le théâtre. Il fit
seul le voyage, très dangereux à ce moment-là, et il s’en retourna dès que la mise en place des
oeuvres fut terminée. Visconti ne put rentrer définitivement, en amenant toute sa famille au
Brésil, qu’en 1920. Après quoi le peintre s’installa à Rio, où il a vécu et travaillé en tant
qu’artiste reconnu et aimé, jusqu’à son décès, le 15 octobre 1944.48
47
- Lettre conservée par Tobias Visconti, fils du peintre.
Des documents prouvent que le nom de Visconti avait déjà été évoqué par les professeurs de
l’Ecole, le mois de mai 1901, lorsqu’il fut question de choisir un remplaçant pour le
professeur Henrique Bernardelli, qui arrivait à la fin de son contrat de dix ans. Mais Henrique
Bernardelli fut reconduit au poste, ayant obtenu onze votes favorables à son nom. Visconti
obtint un vote. [Arquivo nacional, Rio de Janeiro, document ANRJ-116-107-108 (base de
données de Carlos Maciel Levy)]. Voir aussi Procès-verbal de la Séance du Conseil le 22 mai
1901, Archives de l’Escola de Belas Artes, Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
48
- Le 5 Août 1944, Visconti a été victime d’une agression qui l’a laissé évanoui dans son
atelier de la rue Mem de Sá, au centre de la ville de Rio. L’agresseur n’a jamais été identifié,
mais il s’agissait vraisemblablement d’un voleur. Deux mois plus tard le peintre est mort en
conséquence des séquelles de cette agression.
172
3 - La question de la Ligne de Démarcation : Visconti et les Modernistes de
1922
La presque totalité de l’oeuvre de Visconti appartenant à ce Musée
(...) est présentée au public dans la ‘Salle Visconti’, partie intégrante
des Galeries des Artistes Brésiliens (...).
Cette salle est comme un jalon qui marque le début de l’art du XXe
siècle et le différencie de l’art antérieur (...). 49
[« Visconti no Museu Nacional de Belas Artes » , Rio de Janeiro, 1968,
p.33]
Ces mots destinés à informer le public sur l’emplacement des oeuvres d’Eliseu
Visconti dans le Museu Nacional de Belas Artes de Rio expriment en peu de mots quelle fut la
place accordée à ce peintre dans l’histoire de l’art au Brésil. Visconti est considéré comme un
artiste qui, situé à la charnière de deux siècles, représente le passage de l’art académique à l’art
moderne. Déjà en 1944, Reis Júnior explicitait cette idée dans son livre sur l’histoire de la
peinture brésilienne. Dans cet ouvrage, après avoir expliqué sa décision de ne pas analyser
l’oeuvre des artistes vivants, il affirma :
Nous avons fait une exception pour Eliseu Visconti50 (...). On a voulu
étudier l’oeuvre de Visconti parce que l’on considère que le parcours
artistique de ce peintre venu de l’académisme et qui a atteint le modernisme
en passant par l’impressionnisme est un trait d’union dans l’histoire de la
peinture brésilienne : il lie la peinture de l’Académie à la peinture actuelle.
En suivant les tribulations de sa sensibilité, les efforts pour atteindre une
expression, les essais et les indécisions qui se sont reflétées sur son oeuvre
tout au long de sa vie, on comprendra mieux les inquiétudes de la nouvelle
génération, - elles sont celles du grand peintre, à peine transposées.51
49
- “ A quase totalidade da obra de Visconti, pertencente a este Museu (...) figura na ‘Sala
Visconti’, parte integrante das Galerias de Artistas Brasileiros, localizada no 2o andar deste
edifício. Esta sala é como um marco a delimitar a pintura do século XX com a do anterior
(...). ”
50
- Visconti était encore vivant au moment où Reis Júnior écrit son livre.
51
- REIS JUNIOR, História da Pintura no Brasil, São Paulo, 1944, (p. 294).
“ Abrimos uma exceção para Eliseu Visconti por julgarmos que esse artista, pela sua
avançada idade já completou definitivamente o seu ciclo artístico. Também fomos levados a estudar a obra de Visconti por considerarmos que a sua grande trajetória artística
- pois vem do academismo ao modernismo, passando pelo impressionismo - é o traço
de união da pintura brasileira : liga a pintura da Academia à pintura atual. Acompanhando-lhe as atribulações da sensibilidade, os esforços para alcançar uma expressão,
os ensaios, as indecisões que se foram refletindo pela sua vida afora, melhor compreenderemos a inquietação da geração moça, - são as mesmas do grande pintor, apenas
173
Reis Júnior affirma ainsi le caractère moderne de la peinture de Visconti, artiste
formé selon les traditions de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. Dans tous
les ouvrages où la peinture et l’itinéraire artistique de Visconti sont analysés, on retrouve l’idée
selon laquelle l’importance de ce peintre est d'avoir été le premier artiste brésilien à s’éloigner
des principes académiques dans lesquels il avait été formé, s’ouvrant ainsi aux changements
proposés par l’art moderne, surtout par l’impressionnisme et le pointillisme. Cette façon de
voir amena quelques auteurs à affirmer qu’Eliseu Visconti fut comme une ‘ligne de
démarcation’ dans l’histoire de la peinture au Brésil.
L’idée de la ‘ligne de démarcation’ fut le sujet d’une polémique opposant deux
interprétations sur les rôles d’Almeida Júnior et d’Eliseu Visconti dans l’histoire de l’art
brésilien. Il convient de rappeler ici les propositions de Frederico Barata et de Sérgio Milliet,
les deux critiques qui entamèrent cette discussion.
Sérgio Milliet fut l’auteur de l’expression ‘ligne de démarcation’ appliquée à un
peintre, en l’occurrence Almeida Júnior. Ensuite, Frederico Barata réfuta son raisonnement et
affirma que ce rôle (d’être une ‘ligne de démarcation’) revenait plutôt à Eliseu Visconti. Barata
s’exprima à ce propos en disant :
Sérgio Milliet, dans un magnifique essai paru dans « Peintres et
Peintures » , admet que, de pair avec Victor Meirelles, son maître, et
beaucoup plus que Pedro Américo, Almeida Júnior fut une ligne de
démarcation pour la peinture brésilienne. ‘Avec Almeida Júnior - dit-il notre liberté artistique s’est affirmée, et c’est par lui que nous avons obtenu
une place dans l’histoire de l’art contemporain’. Je n’arrive pas à trouver,
en aucun de ces trois peintres, des raisons qui justifient une telle assertion.
La ‘ligne de démarcation’, à mon avis, s’est fait jour un peu plus tard, dans
la génération suivante, avec Eliseu Visconti. 52
Paradoxalement, pour défendre son point de vue, Frederico Barata cita un texte de
Sérgio Milliet :
52
transpostos. ”
- BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p. 65).
“ Sérgio Milliet, num magnífico ensaio em ‘Pintores e Pinturas’, admite que juntamente
com Victor Meirelles, de quem foi discípulo, e muito mais que Pedro Américo, Almeida Júnior tem para a pintura nacional a importância de um marco divisório. "Com ele diz - se afirma a nossa liberdade artística e por ele conseguimos um lugar na história da
arte contemporânea". Não consigo encontrar, em nenhum dos três, com que justificar
essa asserção. O "marco divisório", para mim, está mais além, na geração seguinte, liderada por Eliseu Visconti. ”
174
D’ailleurs, c’est le même critique que je peux citer pour appuyer mon point
de vue. Milliet dit dans un autre passage: "Âgé à peine de 27 ans, jeté
subitement dans ce Paris des grands impressionnistes, dans lequel des
critiques formés dans l’école symboliste des demi-teintes pontifiaient dans les
journaux, (...), dans lequel même les naturalistes, à l’exemple de Zola,
prenaient la défense de Cézanne, quelles seraient les réactions du jeune
Almeida Júnior? Tout nous aurait amené à répondre qu’il serait influencé par
les nouveaux, si son oeuvre toute entière n’était pas là pour nous contredire.
D’après ses réalisations, on observe que les mouvements artistiques de la
seconde moitié du XIXe siècle ne l’ont pas touché, pas même légèrement. Il
n’a pas pris connaissance de ces mouvements, ni pour s’y opposer, ni pour
les approuver. Il est passé indemne au milieu de la bataille artistique et
retourna à la patrie aussi brésilien qu’auparavant".
Or, c’est justement pour cette raison, parce qu’il n’a rien assimilé de
nouveau pendant son séjour en Europe, qu’Almeida Júnior ne peut pas être
considéré comme une "ligne de démarcation" départageant le passé et le futur
de la peinture brésilienne. En retournant au Brésil aussi brésilien
qu’auparavant, il est resté dans les limites de l’école française et dans
l’orientation des salons officiels. Il est resté dans les limites fondamentales
de l’Academia Imperial et présente avec Victor Meirelles, Pedro Américo ou
Zeferino da Costa, les mêmes affinités que ceux-là ont eues avec leurs
antécédents ou avec leurs successeurs tels que Rodolpho Amoedo. 53
Ensuite, dans le même ouvrage, Frederico Barata poursuivit en affirmant que
Visconti, à l’opposé d’Almeida Júnior, “ n’est pas passé par le séjour européen sans
expérimenter de vives réactions. Il s’est intéressé à toutes les manifestations, même les plus
révolutionnaires, et face aux recherches et innovations il fit preuve d’une grande tolérance et
53
- BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p.p.65-66).
“ É de resto, o mesmo crítico quem, em outro trecho, posso citar em abono do meu
ponto de vista: ‘Com 27 anos apenas, lançado de supetão nessa Paris dos grandes impressionistas, em que pontificavam nos jornais os críticos formados na escola simbolista
dos meios tons, plasmados na volúpia dos "ímpares", como diria Verlaine, em que os
próprios naturalistas, Zola à frente, se lançavam em defesa de Cézanne, que reações iria
experimentar Almeida Júnior? Tudo nos levaria a responder pela influência dos novos,
se aí não estivesse sua obra inteira a desmenti-lo. A julgar pelas suas realizações, os
movimentos artísticos da segunda metade do século XIX não parecem tê-lo atingido
nem de leve sequer. Não tomou conhecimento dos mesmos, nem para entrar em conflito nem para aprová-los. Passou incólume pela batalha artística e voltou tão brasileiro
quanto antes’.
Ora, justamente por isso, por não ter assimilado na Europa nada de novo, é que Almeida Júnior não pode ser considerado um ‘marco divisório’ entre o passado e o futuro da
pintura brasileira. Voltando tão brasileiro quanto antes, ele ficou na chamada escola
francesa e dentro da orientação dos "salons" oficiais. Ficou dentro dos limites básicos da Academia Imperial e tem as mesmíssimas conexões com Vitor Meireles, Pedro
Américo ou Zeferino da Costa, que estes tinham com os seus antecessores ou com sucessores como Rodolfo Amoedo. ”
175
d’une réceptivité éclairée ”54. Dans ce même texte, en note de bas de page, Frederico Barata
observe que Visconti avait réussi le concours de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en juillet
1893, en obtenant une classification très honorable, et pourtant, souligna Barata, il n’est pas
resté longtemps à l’Ecole, “ il a préféré l’abandonner pour se libérer de la tutelle académique
qu’elle imposait aux élèves ”55. Encore à propos du rôle novateur de Visconti, Frederico
Barata affirma :
Il fut le premier à se rebeller contre la routine de l’Academia Imperial et de
son héritière, l’Escola Nacional de Belas Artes, en prenant de nouveaux
chemins et en s’intéressant aux innovations qui agitaient l’Europe du
principe du siècle.
Nos grands peintres d’alors, tels que Almeida Júnior et Rodolpho Amoêdo,
pour ne citer qu’eux, ont traversé leur période européenne, le premier dans
la jouissance de la pension d’études que l’empereur lui avait octroyée, et le
second en tant que pensionnaire de l’Academia, sans se rendre compte des
modifications énormes qui s’opéraient alors dans les canons picturaux sous
la poussée de l’oeuvre des impressionnistes. Ils n’ont pas pris connaissance
de ces peintres, ou, s’ils l’ont fait, ce ne fut que pour juger les palettes
éclairées, rejetées par les "hors concours", comme même pas dignes
d’examen ou de méditation.
Eliseu Visconti, au contraire, plein de réceptivité vis-à-vis de toutes les
manifestations évolutives, assoiffé de connaissances, a perçu les mouvements
impressionnistes et néo-impressionnistes. Il a compris leur importance et au
lieu de les repousser "in-limine", il s’en est approché, en utilisant dans son
oeuvre beaucoup de l’acquis des génies novateurs. 56
On observe que dans l’interprétation de Frederico Barata l’appropriation des
expériences impressionnistes occupait une place très importante. En effet, c’est l’influence des
54
55
56
- BARATA, idem, p.77.
“ ... não passou pelo estágio europeu sem experimentar vivas reações. Interessou-se
por todas as manifestações, mesmo as mais revolucionárias, tendo para as pesquisas e
inovações uma grande tolerância e uma esclarecida receptividade. ”
- BARATA, idem, p.77.
“ Fez concurso para a Escola de Belas Artes de Paris em Julho de 1893, sendo classificado em sétimo lugar entre 350 concorrentes, o que demonstra um mérito invulgar,
pois tão rigorosos eram esses concursos que artistas de raro valor, como Rodolpho
Amoêdo, só conseguiram classificação no segundo ano de tentativa. Eliseu Visconti,
porém, não se demorou na Escola, preferindo abandoná-la para libertar-se da tutela
acadêmica que ela impunha aos alunos. ”
- BARATA, idem, p.196.
“ Foi ele o primeiro a se rebelar contra a rotina da Academia Imperial e sua sucessora, a
Escola Nacional de Belas Artes, enveredando por novos e variados rumos e interessando-se pelas inovações revolucionárias que agitavam a Europa dos albores do século.
176
impressionnistes sur l’oeuvre de Visconti qui l’amène à attribuer à ce dernier le rôle d’une ligne
de démarcation. En réponse à Barata, Sérgio Milliet écrivit l’année suivante :
Je ne sais pas si dans l’avenir il restera de notre modernisme un bagage
aussi insignifiant que celui qui est resté de l’impressionnisme brésilien. En
atteignant tardivement et timidement les manifestations révolutionnaires de
l’art, nous en recueillons d’habitude les recettes, l’académisme qui se
reconstruit inévitablement autour des nouveautés, et non pas l’esprit de
pureté et d’insatisfaction qui les engendre. Néanmoins, et précisément parce
qu’il est restée très peu de choses de l’impressionnisme [brésilien], la figure
d’Eliseu Visconti mérite une considération tout à fait à part..
Pour lui donner une place au soleil, Frederico Barata a écrit l’affectueuse
biographie éditée par Zélio Valverde. (...).
Quelle est la valeur de ce grand artiste, quelle place occupera-t-il dans le
futur parmi les maîtres de l’école ? Jusqu’à quel point son influence se fait-
Os nossos grandes pintores desse tempo - como Almeida Júnior e Rodolpho Amoêdo,
para não citar outros, passaram pela Europa, aquele no gozo da pensão de estudos que
lhe concedera o Imperador e este como pensionista da Academia, sem se aperceberem
das tremendas modificações que se operavam nos cânones pictóricos ao impulso da
obra dos impressionistas. Destes não tomaram conhecimento ou, se tomaram, foi para
não considerar as palhetas clarificadoras, repelidas pelos ‘hors-concours’, nem ao menos dignas de exame ou meditação.
Eliseu Visconti, ao contrário, cheio de receptividade para todas as manifestações evolutivas, ávido de conhecimentos, sentiu os movimentos impressionistas e neo-impressionistas, compreendendo-lhes a importância, e longe de repeli-los "in-limine" neles se deteve, utilizando para a própria obra muito da experiência dos gênios inovadores. ”
177
elle sentir parmi nous ? Dans quelle mesure cette influence est-elle
bénéfique? La critique du livre de Frederico Barata nous offre l’occasion de
poser ces questions importantes. 57
Après cette introduction, Milliet critiqua durement l’oeuvre de Visconti, en affirmant
que son art n’apporta “ aucune contribution originale ” et “ aucun message ”. Selon lui, la
technique de Visconti ne se détourne pas des enseignements reçus et le peintre “ manque,
quant à l’inspiration, d’un sentiment nouveau quelconque ”. Et pour répondre à Frederico
Barata qui avait comparé la trajectoire de Visconti à celle d’Almeida Júnior, Sérgio Milliet
souligna le caractère national de l’oeuvre de ce dernier :
S’il [Visconti] a eu, à l’opposé d’Almeida Júnior, la clairvoyance de
prendre connaissance des manifestations impressionnistes, il est loin
d’égaler le maître pauliste58 en curiosité pour le Brésil et dans la tentative
de prêter à la peinture une préoccupation régionale. (...) Comme disciple
bien élevé de l’impressionnisme, Eliseu Visconti réalisa une oeuvre discrète.
(...).
(...) Le cas d’Almeida Júnior, que M. Frederico Barata n’accepte pas
comme ligne de démarcation dans l’évolution de notre peinture, est très
différent. Malgré son imperméabilité et peut-être justement grâce à elle, le
pauliste est resté pauliste et atteignit une originalité réelle d’esprit et de
sentiment, même si la forme est caduque. 59
Selon Sérgio Milliet, l’ouverture de Visconti à l’influence de l’impressionnisme n’a
pas de valeur. À son avis, ce peintre fut un élève obéissant qui répéta les leçons des maîtres
57
- MILLIET, Sérgio. Diário Crítico, p. 101. São Paulo, 1945. [Cité par SANCHES, p. 87].
“ Não sei se do nosso modernismo ficará, no futuro, tão insignificante bagagem quanto
a que sobrou do impressionismo brasileiro. Chegando com atraso e timidez às manifestações revolucionárias da arte, recolhemos de costume as receitas, o academismo que
inevitavelmente se reconstrói em torno das novidades e não o espírito de pureza e insatisfação de que brotam. Mas, exatamente porque bem pouco ficou do impressionismo,
a figura de Eliseu Visconti merece uma consideração toda especial.
Para colocá-lo na boa luz é que Frederico Barata escreveu a carinhosa biografia editada
por Zélio Valverde. (...). Que vale este expoente, que lugar ocupará no futuro, entre os
grandes mestres da escola ? Até que ponto sua influência se fez em nosso meio ? Em
que medida foi benéfica ? Essas as questões importantes que nos oferecem a oportunidade da crítica ao livro de Frederico Barata. ”
58
- Pauliste - habitant de São Paulo (Brésil). Almeida Júnior est né à Itu, une ville de São
Paulo et, sauf pendant les périodes de formation artistique accomplies à Rio de Janeiro et à
Paris, il a vécu et travaillé à São Paulo toute sa vie.
59
- MILLIET, Sérgio. Diário Crítico. São Paulo, 1945. [Cité par SANCHES, p.p. 88 - 89].
“ Se teve, ao contrário de Almeida Júnior, a clarividência de tomar conhecimento das
manifestações impressionistas, ficou aquém do mestre paulista na curiosidade pelo Brasil e na tentativa de emprestar à sua pintura uma inquietação regional. (...). Como discípulo bem comportado do impressionismo Eliseu Visconti realizou obra discreta. (...)
178
sans réaliser rien d’original ni de personnel. D’autre part, l’importance que Milliet attribua à
Almeida Júnior ne concernait pas les questions formelles ou de style. Il valorisa l’oeuvre du
peintre pauliste à cause des motifs brésiliens, des scènes de la vie quotidienne et des
personnages de la province de São Paulo qu’Almeida Júnior représenta dans sa peinture.
Ce point de vue de Sérgio Milliet a une filiation. Avant lui, Mário de Andrade et
Oswald de Andrade, les deux écrivains qui se trouvaient à la tête du mouvement moderniste
brésilien, avaient accordé à Almeida Júnior le rôle de prédécesseur du modernisme60,
attribution que l’on peut rapprocher de celle de ‘ligne de démarcation’. Et si les modernistes
ont vu en Almeida Júnior un prédécesseur de leur mouvement, ce fut surtout à cause du
caractère régionaliste et national de son oeuvre. Les modernistes, qui avaient l’ambition
d’inaugurer l’art moderne et de rompre avec les anciens modèles établis, voulaient créer un art
brésilien original.61 Ce fut dans ce sens qu’ils valorisèrent l’oeuvre d’Almeida Júnior.
En continuant à lire le texte de Milliet, la raison moderniste de sa préférence pour
Almeida Júnior se confirme. Milliet s’exprima en faveur des modernistes de 1922, en leur
accordant le rôle révolutionnaire que Barata attribua à Visconti :
(...) On a eu peu d’impressionnistes dans la peinture, et on a eu peu de
symbolistes dans la littérature. Et dans les deux cas on a eu des
impressionnistes et des symbolistes serviles. Les vrais symbolistes allaient
éclore après 22, et les vrais impressionnistes n’allaient apparaître qu’après
les tentatives libertaires d’Anita Malfatti, Segall, Di Cavalcanti et Tarsila
do Amaral, parmi lesquels on ne trouve aucun impressionniste. Cependant
ils furent tous des rebelles contre la passivité satisfaite. Nous avons supprimé
cette phase nuancée de solutions subtiles qui se situe entre l’école
parnassienne et les mots en liberté, dans le domaine de la littérature, et
entre le naturalisme et le cubisme, dans le domaine de la peinture. On n’a
pas eu les chaînons naturels des européens (...) 62
O caso de Almeida Júnior, que o Sr. Frederico Barata não aceita como marco divisório
de nossa pintura é bem diverso. Com toda sua impermeabilidade, e talvez mesmo por
causa dela, o paulista permanece paulista, alcança uma originalidade real de espírito e
de sentimento apesar da forma caduca. ”
60
- Voir à ce propos AMARAL, Aracy. Artes Plásticas na Semana de 22. São Paulo, 1970,
p.20-21, 28, 34-35.
61
- Voir FURTADO, Celso. Préface “ Modernidade, l’art brésilien du XXe siècle ” In :
Modernidade, art brésilien du 20e siècle. Musée d’Art Moderne de la ville de Paris - 10
décembre 1987 - 14 février 1988, Association française d’action artistique, 1987. (p.21).
62
- MILLIET, Sérgio. Diário Crítico. São Paulo, 1945. [Cité par SANCHES, p.90]
179
Le mouvement moderniste de 1922 occupe une place considérable dans
l’interprétation faite par Sérgio Milliet de l’histoire de l’art au Brésil. Ce mouvement acquiert
pour lui une signification tellement importante qu’il en vient à affirmer que “ les vrais
impressionnistes n’allaient apparaître qu’après les tentatives libertaires ” des artistes
modernistes, même si, avoua-t-il, parmi ceux-là il n’y avait pas d’impressionnistes. Visconti n’a
pas participé à la Semaine d’art moderne, première manifestation organisée et réalisée par les
poètes, musiciens et artistes modernes. Et Sérgio Milliet lui refusa un rôle révolutionnaire.
Telle a été la polémique soutenue par Sérgio Milliet et Frederico Barata autour de la
supposée ‘ligne de démarcation’ dans l’histoire de la peinture brésilienne. On sait à l’heure
actuelle que l’interprétation avancée par Frederico Barata au sujet du rôle novateur de Visconti
a fini par l’emporter sur celle de Sérgio Milliet. L’emplacement choisi pour les oeuvres
d’Eliseu Visconti dans le Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro le prouve bien.
S’il est vrai que la plupart des historiens et des critiques qui, depuis, ont écrit sur
Visconti et son oeuvre n’ont pas repris le terme de ‘ligne de démarcation’, ils ont du moins
salué l’artiste comme un précurseur du modernisme. En soutenant ce point de vue, il fallait
qu’ils expliquent pourquoi Eliseu Visconti n’était pas présent à l’événement inaugural du
modernisme brésilien, la Semaine d’art moderne. Maria José Sanches, dans sa thèse
“ Impressionismo Viscontiniano ”63, cite deux points de vue similaires sur cette absence. Le
premier est celui de
“ Tivemos poucos impressionistas na pintura, como tivemos simbolistas na poesia. Assim mesmo, impressionistas e simbolistas servis. Os verdadeiros simbolistas desabrochariam depois de 22, como os verdadeiros impressionistas só iriam aparecer após as
tentativas libertárias de Anita Malfatti, Segall, Di Cavalcanti e Tarsila, nenhum deles
impressionista, mas todos rebelados contra a pasmaceira satisfeita. Nós saltamos esse
período matizado de soluções sutis, que vai do parnasianismo e do naturalismo pictórico às palavras em liberdade e ao cubismo. Não tivemos os elos naturais que tiveram os
europeus (...). ”
63
- SANCHES, Maria José. Impressionismo Viscontiniano. Dissertação de Mestrado, Departamento de Artes Plásticas da Escola de Comunicação e Artes da Universidade de São Paulo. Orientação do professor doutor Walter Zanini. São Paulo, 1982.
180
Pietro Maria Bardi qui déclara, dans une interview de 1977, que Visconti n’était pas présent à
la Semaine parce que:
Il n’a pas été invité, tout simplement. Il n’a pas été invité par les membres de
cette petite chapelle (...) qui n’ont invité que des nullités. Et le seul critère
fut celui de l’amitié ! Ainsi, ils ont oublié le seul artiste vraiment moderne à
son époque : Visconti. 64
La seconde affirmation citée par Sanches est celle de Jacob Klintowitz qui écrit en
1982 :
Les principaux artistes modernes n’ont pas été invités à participer. À ce
moment-là, comme aujourd’hui, les questions personnelles, les
méconnaissances et la dispute pour le pouvoir (...) se multipliaient. Et cela
peut expliquer l’absence des grands dessinateurs et caricaturistes (...). Cela
explique aussi l’absence, (...), du grand peintre Eliseu Visconti à qui l’on
doit, en grande partie, la modernité de notre peinture. 65
Il est indéniable que les questions personnelles et les disputes ont toujours existé.
Pourtant, cette explication de l’absence de Visconti paraît simpliste. En effet, dans ses
premières manifestations, le groupe moderniste fit table rase de tout ce qui le précédait en
matière de production artistique. Visconti, même s’il s’était distingué des peintres formés dans
l’Academia Imperial, n’avait jamais refusé les enseignements qu’il y avait reçus. C’est-à-dire
qu’il restait lié au passé, même s’il représentait déjà un pas en avant.
Graça Aranha, dans un texte devenu historique, la conférence intitulée “ L’émotion
esthétique dans l’art moderne ”, lue au Théâtre municipal de São Paulo, le 15 février 1922, au
moment de l’ouverture de la Semaine d’art moderne, affirma :
64
- Pietro Maria Bardi, In : Isto é. São Paulo, 28 setembro 1977, p.54. (Cité par SANCHES,
p. 93)
“ Não foi convidado ; simplesmente não foi convidado pelos integrantes daquela ‘panelinha’ (...), só convidaram nulidades. E o critério foi unicamente o da amizade ! Assim,
esqueceram o único realmente moderno de sua época, que era Visconti. ”
65
- KLINTOWITZ, Jacob. A Semana lembrada e revista. Qual o seu legado ? In : “ Jornal
da Tarde ”, São Paulo, 13 de fevereiro de 1982, Caderno Cultural, p.2. (Cité par SANCHES, p.94).
“ E os principais artistas modernos não foram convidados a participar. Naquela época
como agora, sobravam as questões pessoais, o desconhecimento e a disputa de poder
(...). O que serve para explicar a ausência dos grandes desenhistas, chargistas e caricaturistas (...). Ou a ausência, ao menos como homenagem, do grande pintor Eliseu Visconti a quem devemos, em boa parte, a modernidade de nossa pintura. ”
181
On doit souligner que, (...), ce qui a été fait auparavant dans la peinture et
la musique est inexistant : on n’y trouve que de petites et timides
manifestations d’un tempérament artistique effrayé par la nature dominante,
ou des transplantations, jusqu’à notre monde dynamique, de mélodies
chétives et languissantes imprégnées de la marque académique d’autrui.
Ce à quoi aujourd’hui nous assistons n’est pas la Renaissance d’un art qui
n’existe guère. C’est, même, la naissance émouvante de l’art au Brésil.
Heureusement, nous n’avons pas l’ombre perfide du passé pour tuer la
germination ; tout promet donc une floraison artistique admirable. (...). 66
On remarque ici l’attitude radicale des modernistes dans leurs manifestations initiales.
Il a fallu attendre le passage de trois décennies pour qu’un autre point de vue se fasse entendre.
En 1949, le Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro organisa une
exposition rétrospective de l’oeuvre de Visconti. Dans un article de journal du 1 er janvier 1950,
Mário Pedrosa déclara que cette exposition fut pour lui l’occasion de découvrir la valeur de
Visconti :
Eliseu d’Angelo Visconti était, pour ainsi dire, un inconnu pour les
générations modernes, jusqu’à la réalisation de sa récente rétrospective au
Museu Nacional de Belas Artes. Et, cependant, il s’agit là de l’un des
rares, rarissimes maîtres de la peinture brésilienne. Voilà un peintre qui a
contribué de façon authentique à l’histoire de notre peinture. 67
À la fin de ce même article, Pedrosa affirme que Visconti est le lien entre les
générations anciennes et les générations modernes. Il convient de citer ses observations sur le
sujet :
C’est dommage que le mouvement moderne brésilien, dans ses débuts, n’ait
pas eu des contacts avec Visconti. Ses précurseurs avaient beaucoup de
choses à apprendre avec le vieil artiste, plus expérimenté, maître de la
technique de la lumière apprise directement en contact avec l’école néo-
66
- ARANHA, Graça. “ L’émotion esthétique dans l’art moderne ”. Traduction de Vincent
Wierinck. In : Modernidade, art brésilien du 20e siècle. Musée d’Art Moderne de la ville de
Paris - 10 décembre 1987 - 14 février 1988, Association française d’action artistique, 1987.
(p.72).
67
- PEDROSA, Mário. “ Visconti diante das modernas gerações ”. Correio da Manhã, 1er
janvier 1950, p.6.
“ Eliseu d’Angelo Visconti era, por assim dizer, até sua recente retrospectiva do Museu
Nacional de Belas Artes, quase um desconhecido das modernas gerações. E, no entanto, trata-se de um dos raros, raríssimos mestres da pintura brasileira. Eis um pintor que
trouxe autêntica contribuição para a história da nossa pintura. ”
182
impressionniste. Le modernisme brésilien n’aurait pas été nourri
exclusivement d’idées importées d'Europe (...). Tarsila, Di Cavalcanti,
Portinari et d’autres, tous des artistes talentueux, auraient peut-être trouvé
dans l’oeuvre de Visconti ce sens de la continuité, indispensable à toutes les
révolutions. (...). [Mais] ils ont quêté le savoir auprès des maîtres européens
qui avaient peu d’affinités avec notre tempérament et notre milieu. Ils sont
tombés souvent dans une espèce d’académisme moderniste. Ils ont appris des
recettes et n’ont pas assimilé dans leur profondeur les nouvelles conceptions
esthétiques. Ils ont tourné le dos à la nature, incapables de la pénétrer,
dévoués aux caprices de la mode ou à des préoccupations purement
extérieures et livresques. (...).
Eliseu Visconti est venu lier le passé au futur de l’histoire de notre peinture.
Avec lui, l’hiatus existant entre les artistes dits d’hier, jusqu’à Baptista da
Costa, et les modernes (...) est fini. En lui, le mouvement moderniste
retrouve le chaînon manquant capable de le rattacher à la tradition. 68
Les déclarations de Mário Pedrosa nous offrent un point de vue nouveau sur la
polémique autour de ce que l’on a appelé la question de la ‘ligne de démarcation’. Les
générations modernes avaient ignoré le peintre Visconti, mais le critique affirme qu’il fallait
retrouver ce chaînon manquant de l’évolution de l’art brésilien. Effectivement, la place d’Eliseu
Visconti est une place unique dans l’histoire de la peinture brésilienne, car elle est située entre
deux périodes qui se sont brutalement opposées.
Mais il faut discuter encore de l’impressionnisme de Visconti. Beaucoup d’auteurs
ont parlé de lui comme étant “ l’impressionniste brésilien ”. Cependant, cette interprétation
n’est pas évidente et elle pose des problèmes que l’on abordera dans le prochain chapitre.
68
- PEDROSA, Mário. “ Visconti diante das modernas gerações ”. Correio da Manhã, 1er
janvier 1950, p.10.
“ Foi pena que o movimento moderno brasileiro, no seu início, não tivesse tido contato
com Visconti. Os seus precursores teriam tido muito que aprender com o velho artista,
mais experimentado, senhor da técnica da luz, aprendida diretamente na escola do neoimpressionismo. O modernismo brasileiro não se teria nutrido apenas de idéias importadas da Europa, (...). Tarsila, Di Cavalcanti, Portinari e outros, todos eles artistas de talento, achariam talvez na obra viscontiniana aquele senso da continuidade, indispensável a todas as revoluções. (...). Foram buscar ensinamentos em mestres europeus de
poucas afinidades com o nosso temperamento e meio. Caíram, muitas vezes, numa espécie de academismo modernista. Aprenderam receitas e não assimilaram em sua profundeza as novas concepções estéticas. Deram as costas à natureza, incapazes de penetrá-la, entregues a caprichos da moda ou a preocupações puramente externas e livrescas. (...).
Eliseu Visconti veio ligar o passado ao futuro da história de nossa pintura. Com ele, termina o
hiato entre artistas de ontem, que chegam até Baptista da Costa, e os modernos (...). Nele, o
movimento modernista encontra o elo que faltava para prendê-lo à cadeia da tradição. ”
183
4 - Le style ‘impressionniste’ de Visconti : une interprétation des historiens de
l’art brésilien
De quelque étiquette qu’on les couvre, pour les classer,
il y a des oeuvres vivantes parce qu’elles sont vraies.
[Henriot]
De nos jours, l’interprétation la plus courante de l’oeuvre de Visconti est celle qui la
rapproche de l’impressionnisme. On a pu le constater récemment, lors de l’exposition Monet
organisée en 1997 au Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro. Les conservateurs du
musée ont profité de l’occasion pour faire accoler à l’exposition Claude Monet une autre
intitulée L’Impressionnisme - antécédents et affirmation, consacrée à la peinture brésilienne de
la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Six tableaux de Visconti faisaient partie de cette
exposition annexe, où il était présenté comme le nom le plus connu de l’impressionnisme
brésilien.69
Cependant, lorsqu’on se penche sur l’oeuvre de Visconti, on découvre que la
classification comme ‘peintre impressionniste’ ne s’accorde pas à l’essentiel de son travail. Il
est vrai que l’on peut remarquer l’influence de l’impressionnisme dans ses peintures, mais il
s’agit plutôt de l’emploi d’une technique que d’un engagement approfondi du peintre dans un
mouvement artistique. Nous analyserons l’oeuvre de Visconti dans les prochains chapitres.
Mais arrêtons-nous dès maintenant sur l’étiquette ‘peintre impressionniste’ que lui fut apposée,
et reprenons les textes qui abordèrent cette question.
On a vu que Frederico Barata, dans son livre de 1944, a soutenu la thèse selon
laquelle Visconti fut le premier impressionniste brésilien, mais cette idée ne résume pas la
totalité de son ouvrage. Beaucoup plus que le considérer comme l’impressionniste brésilien,
Barata a voulu valoriser “ l’aspect inquiet de son tempérament, assoiffé de connaissances,
désireux d’évolution, qui (...) devait l’accompagner, caractériser son oeuvre et lui-même,
jusqu’à la plénitude et la vieillesse ”70. D’ailleurs, lorsqu’il aborde la question des premières
influences subies par Visconti en Europe, Frederico Barata met en relief l’admiration de
69
70
- À ce propos, on peut citer l’article de Lívia de Almeida intitulé “ Nosso impressionismo ”,
publié dans la revue VEJA RIO, du 7 mai 1997, (p.14).
- BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p.38).
184
l’artiste pour la peinture de la Renaissance italienne, surtout celle de Botticelli, et raconte que
le procédé technique de l’Ecole vénitienne qui conseillait d’exécuter le travail d’abord en clairobscur, pour ensuite, sur les masses ainsi ébauchées et valorisées, peindre les couleurs, fut
utilisé par Visconti jusqu’à la fin de sa vie71. Or, ce procédé employé par Visconti nous montre
qu’il n’était pas un affilié de l’impressionnisme. Et même si Frederico Barata fait une remarque
en spécifiant que pour les paysages Visconti n’employait pas cette méthode, il cite, quelques
pages plus loin, les dires du peintre à propos du rapport entre l’artiste et la nature:
- La Nature - me dit-il (...) - est un dictionnaire que l’on consulte, elle n’est
qu’un indice. Tout ce que l’artiste met dans son oeuvre doit être davantage
au-dedans de lui-même que simplement dans ce que la vision perçoit. 72
Cette affirmation de Visconti l’éloigne considérablement de l’impressionnisme.
Par ces deux observations - l’indication du procédé technique de l’Ecole Vénitienne
utilisé par Visconti, et l’énoncé sur sa manière d’envisager la peinture comme l’expression de
réalités intérieures - on constate que le portrait de Visconti tracé par Frederico Barata ne cadre
pas parfaitement avec les principes impressionnistes. Si, par la suite, l’image d’Eliseu Visconti
comme peintre impressionniste s’imposa et resta forte, cela est dû aux conceptions théoriques
qui ont prévalu dans l’histoire de l’art au Brésil.
En étudiant la littérature consacrée à Visconti73, on comprend comment le discours
sur ‘le premier peintre impressionniste brésilien’ s’est formé. Les premiers auteurs qui
abordèrent son oeuvre, quoiqu’ils aient signalé l’influence de l’impressionnisme, n’ont pas
présenté ce fait comme l’élément principal de sa carrière.
71
72
“ (...) desde logo queremos fixar o aspecto inquieto do seu temperamento, ávido de conhecimentos, ansioso por evoluir, que (...) deveria acompanhá-lo, caracterizando-o e à
sua obra, até a plenitude e à velhice. ”
- BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p.p. 62-63).
“ O processo técnico da Escola Veneziana, de primeiro executar minuciosamente o trabalho a claro-escuro para depois, sobre as massas assim perfeitamente delineadas e valorizadas, pintar as cores, é por ele utilizado até hoje. (...). É uma técnica só usada,
naturalmente, para as composições e retratos. Para a paisagem, por exemplo, é ela dispensável, visto que esta é quase sempre uma simples impressão fugaz e interpretada de
um momento da natureza.”
- BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p. 100).
“ - A Natureza - disse-me certa vez, em palestra, Eliseu Visconti - é um dicionário para
ser consultado, um índice apenas. Tudo quanto o artista põe na sua obra deve estar
mais dentro dele do que simplesmente naquilo que a visão descortina. ”
185
La première grande rétrospective de l’artiste eut lieu en 1949. Un grand nombre de
ses oeuvres furent alors exposées, occupant un total de neuf salles du Museu Nacional de
Belas Artes de Rio de Janeiro. Lygia Martins Costa analysa dans le catalogue la production de
Visconti. Observant l’ensemble des oeuvres réunies, elle divisa la peinture de Visconti en six
périodes, de la manière suivante:
1888-1897 - Formation - naturalisme (Brésil et France) ;
1898-1908 - Influence de la peinture de la Renaissance et divisionniste
(France) ;
1909-1912 - Transition du divisionnisme au réalisme (Brésil) ;
1913-1919 - Période impressionniste du Foyer du municipal et des paysages
de St. Hubert (France) ;
1920-1930 - Transition de l’impressionnisme au néo-réalisme (Brésil) ;
1931-1944 - Néo-réalisme avec une recherche accentuée d’atmosphère et
luminosité.74
Il est intéressant de voir que Lygia Martins Costa considéra l’impressionnisme
comme une phase dans la carrière de Visconti. De plus, Costa a signalé que les premières
influences impressionnistes subies par Visconti sont apparues lors de l’élaboration des
peintures décoratives du Théâtre municipal. Sur cette période, elle écrivit :
Le succès de ses travaux amène l’ingénieur (...) Passos à lui demander,
cette même année [1905], une étude pour la décoration du Théâtre municipal,
(...) à Rio. Dans l’intervalle de ses premières études, il projette sa
‘ Maternité’ (fig.31) de 1906. Il exécute plusieurs esquisses du Jardin du
Luxembourg, lieu où se passera la scène. Les premières présentent des
73
- Les principales sources bibliographiques sur Visconti sont : l’excellent livre de Frederico
Barata datant de 1944 ; les catalogues des rétrospectives de 1949 et 1967 organisées par le
Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro ; le catalogue de l’exposition Visconti de
1954, partie intégrante de la II Biennale de São Paulo ; le catalogue de l’exposition Eliseu
Visconti e a Arte Decorativa réalisée en 1982 dans le Solar Grandjean de Montigny de
l’Université catholique de Rio de Janeiro. En plus de ces ouvrages, on trouve des très bons
articles sur Visconti dans plusieurs livres sur l’histoire de la peinture au Brésil et dans les
dictionnaires de peintres. Il ne faut pas oublier non plus les nombreux articles de journaux ou
revues. Des informations plus détaillées se trouvent dans la bibliographie de cette thèse.
74
- COSTA, Lygia Martins. “ Biografia de Elyseu d’Angelo Visconti ”. In : Exposição Retrospectiva de Elyseu d’Angelo Visconti. Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro,
1949, (p. 18).
“ 1888 - 1897 - Formação - naturalismo (Brasil e França)
1898 - 1908 - Influência renascentista e divisionista (França)
1909 - 1912 - Transição do divisionismo ao realismo (Brasil)
1913 - 1919 - Período impressionista do Foyer do Municipal e das paisagens de St.
Hubert (França)
1920 - 1930 - Transição do impressionismo ao néo-realismo (Brasil)
1931 - 1944 - Néo-realismo com acentuada procura de atmosfera e luminosidade. ”
186
tonalités sourdes, avec la prédominance du châtain, et des passages
brusques de la lumière à l’ombre. Mais, au fur et à la mesure que l’artiste
se familiarise avec l’impressionnisme qu’il étudie pour la décoration du
municipal, son coloris s’enrichit, des tons plus clairs surgissent et
acquièrent une luminosité entièrement nouvelle pour sa palette. (...).
Dessins et esquisses documentent les études pour la décoration du Théâtre
municipal. Pour un travail d’une telle envergure, Visconti étudia toutes les
possibilités de réalisation. Et ce fut dans le divisionnisme, style consacré en
Europe pour les peintures de cette nature, qu’il trouva le moyen d’atteindre
un maximum de richesse chromatique dans un ensemble léger et gracieux.
Mais pour que la dissociation des tons n’endommageât pas le sens de la
forme, il songea à associer ces conquêtes récentes au vieux tracé linéaire et
au modelé botticellien. Le résultat fut des plus heureux. Le plafond du
théâtre est là pour l’attester : ‘Le passage du jour’, le nomma l’artiste, ‘La
Danse des Heures’ (fig.22), l’ont nommé d’autres. C’est presque
l’application de la nouvelle technique et du nouveau coloris à un sujet déjà
étudié et résolu dans les ‘Oréades’ (fig.16) de 1899. 75
75
- COSTA, Lygia Martins. “ Apreciação da Obra ”. In : Exposição Retrospectiva de Elyseu
d’Angelo Visconti. Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro, 1949, (p.22)
“ O sucesso de seus trabalhos leva o Engenheiro (...) Passos a pedir-lhe, nesse mesmo
ano [1905], um estudo para a decoração do Teatro Municipal, que se projetava então
no Rio. No intervalo desses primeiros estudos planeja sua ‘Maternidade’ de 1906. Executa várias ‘manchas’ do Jardim do Luxemburgo, local onde se passará a cena. As primeiras são de tonalidades surdas, com predomínio do castanho, e passagens bruscas da
luz para a sombra. Mas, à medida que o artista se familiariza com o impressionismo que
estuda para a decoração do Municipal, seu colorido se enriquece, tons mais claros surgem e adquirem uma luminosidade inteiramente nova em sua palheta. (...).
Desenhos e esbocetos documentam-lhe os estudos para a decoração do Teatro Municipal. Para trabalho de tamanha envergadura Visconti estuda todas as possibilidades. E é
no divisionismo, estilo que se consagrara na Europa para pinturas dessa natureza, que
ele encontra o meio de dar o máximo de riqueza colorística dentro de um conjunto leve
e gracioso. Mas para que a dissociação dos tons não prejudicasse o sentido da forma,
pensou em aliar essas conquistas recentes ao velho linearismo e modelado botticelliano.
O resultado foi dos mais felizes. Lá está o ‘plafond’ do teatro para atestá-lo : ‘A passagem do dia’, como chamou o artista, a ‘Dança das horas’, como a chamem outros. É
quase que a introdução da nova técnica e de novo colorido a um tema já estudado e resolvido nas ‘Oréadas’ de 1899. ”
187
L’analyse de Lygia Martins Costa est absolument correcte. En effet, le divisionnisme
était devenu alors un style utilisé par les peintres dans les décorations d’édifices publics en
Europe. Que l’on songe aux peintures d’Henri Martin au Capitole de Toulouse, ensemble
exposé au Salon des artistes français en 1906 avant d’être mis en place. On verra dans le
prochain chapitre que cette idée se confirme, et l’on peut considérer les premiers essais de
Visconti dans la technique divisionniste comme le résultat de l’observation des peintures
décoratives françaises en vue de son travail pour le Théâtre municipal de Rio de Janeiro.
Autrement dit, Visconti s’est approprié la technique qui lui convenait pour réaliser ses
peintures décoratives. En même temps, cette technique lui devenant familière, il exécuta des
tableaux de chevalet en employant les procédés impressionnistes. C'est dans ce même sens que
Reis Júnior avait expliqué, dans un texte de 1944, l’impressionnisme de Visconti :
L’impressionnisme convenait à ce poète visuel, mais l’impressionnisme de
Visconti est une ressource et non pas une finalité ; la décomposition de la
couleur lui rassasie les sens, en même temps qu’elle l’aide à exprimer la
délicatesse des sentiments, sans préjudice de la compréhension plastique de
la matière.
Il va employer la technique impressionniste dans ses grandes décorations,
comme dans le Théâtre municipal. C’est alors qu’il enveloppera l’arabesque
linéaire dans une gamme de tons harmonieux qui transforment ces grandes
compositions en véritables symphonies chromatiques. 76
En 1954, une seconde exposition rétrospective de Visconti eut lieu, cette fois-ci dans
le cadre de la Biennale de São Paulo. En lisant les textes du catalogue on remarque un net
renforcement de la conception qui désigne Visconti comme le premier représentant de
l’impressionnisme au Brésil. José Simeão Leal, organisateur de l’exposition, écrivit :
76
- REIS JÚNIOR, José Maria dos. “ Eliseu Visconti ”. In : História da Pintura no Brasil.
Editora Leia, São Paulo, 1944, (p. 304).
“ O impressionismo conviria a esse poeta visual, mas o impressionismo de Visconti é
um recurso e não uma finalidade ; a decomposição da cor satisfaz-lhe os sentidos, ao
mesmo tempo que o auxilia a exprimir a delicadeza dos sentimentos, sem prejuízo da
compreensão plástica da matéria.
Empregará a técnica impressionista nas suas grandes decorações, como no Teatro Municipal. Ali envolverá o arabesco linear numa gama de tons harmoniosos, que transformam aquelas grandes composições em verdadeiras sinfonias cromáticas. ”
188
Jusqu'à la première décennie du XXe siècle, les artistes brésiliens, attachés
aux formules des vieux maîtres romantiques et naturalistes, ne s’étaient pas
rendu compte de l’un des plus féconds mouvements novateurs de l’art
européen - l’Impressionnisme. Des peintres tels que Pedro Américo, Victor
Meirelles et Almeida Júnior, fondamentalement importants dans l’histoire de
notre art, se sont maintenus complètement éloignés de ce mouvement. (...).
Et ce fut avec Visconti (...) que débuta l’art moderne brésilien, à l’écart de
l’académisme stérile, artificieux et dépourvu de sens, dans un pays sans
formation classique et assoiffé de nouvelles formes d’expression. Il fut notre
premier impressionniste et il a ouvert pour nos peintres un large champ de
recherches et d’identification avec toutes les tendances contemporaines. 77
Ces affirmations de Simeão Leal s’écartent des idées exprimées par Reis Júnior en
1944 et par Lygia Martins Costa en 1949, citées ci-dessus. Au lieu de comprendre
l’impressionnisme de Visconti comme le simple recours à une technique, Simeão Leal
l’interprète comme une attitude novatrice, un éloignement des formules traditionnelles
auxquelles les vieux maîtres restaient attachés. En parfait accord avec José Simeão Leal,
toujours dans le catalogue de 1954, Herman Lima affirma :
(...) Visconti [a été] notre premier peintre révolutionnaire, aussi
révolutionnaire dans son temps que Portinari, presque un demi-siècle plus
tard, pour l’époque actuelle.
Frederico Barata situe très bien cet aspect de la personnalité du maître
brésilien, lorsqu’il compare son oeuvre à l’oeuvre d’un Almeida Júnior, de
même que l’on pourrait la comparer à celle d’un Victor Meirelles et
spécialement à celle d’un Pedro Américo.
Tandis que ceux-là, surtout le dernier, n’ont pas été touchés par la révolution
de l’impressionnisme, en vogue en Europe lors de leurs séjours à l’étranger,
Eliseu Visconti n’allait pas traverser son séjour européen sans expérimenter
de vives réactions, s’intéressant à toutes les manifestations esthétiques de son
temps, même les plus révolutionnaires (...). 78
77
- LEAL, José Simeão. Catálogo da Exposição retrospectiva de Visconti, II Bienal do Museu de Arte Moderna de São Paulo, 1954. (p. I).
“ Presos às fórmulas dos velhos mestres românticos e naturalistas, os artistas brasileiros
não se tinham apercebido até a primeira década do Século XX de um dos mais fecundos movimentos renovadores da arte européia - o Impressionismo. Pintores como Pedro Américo, Victor Meirelles e Almeida Júnior, de importância fundamental na história da nossa arte, mantiveram-se a ele, completamente alheios. (...). E é, (...), com Visconti, de origem italiana, que se inicia a arte moderna brasileira, rompendo com um
academismo estéril no seu artificialismo, desprovido de sentido num país sem formação
clássica e ávido de novas formas de expressão. Foi ele o primeiro impressionista que tivemos, abrindo para os nossos pintores um campo amplo de pesquisas e identificação
com todas as correntes artísticas contemporâneas. ”
189
Avec cette argumentation Herman Lima soutient que Visconti fut un précurseur de
l’art moderne brésilien. C’est encore cette idée qui est exprimée par Flávio de Aquino dans le
même catalogue :
Visconti est pour nous le précurseur de l’art d’aujourd’hui, le plus légitime
de nos représentants d’une des plus importantes étapes de la peinture
contemporaine : l’impressionnisme. Il l’apporta de France, encore chaud
des discussions, vivant ; il l’adapta au paysage brésilien, à la couleur et à
l’atmosphère lumineuse de notre pays. Il n’est pas allé le chercher mort, il
ne déterra pas des cadavres, il ne s’appropria pas du facile et du périssable,
la nouvelle esthétique l’émut lorsqu’il était encore possible d'en retirer
quelque chose. Après lui, des légions de ‘prix de voyage’ sont retournés
d'Europe comme ils sont partis, et se sont dévoués avec entêtement à l’inertie
de la peinture officielle de l’Institut. Par rapport aux peintres académiques
qui aujourd’hui le disputent en gloire, et même par rapport à la force d’un
Amoêdo, il avait un demi-siècle d’avance. (...).
Visconti est l’un des rares artistes du passé qui résiste à la critique moderne
grâce à son aspiration d’envisager l’art comme une forme supérieure
d’expression des sens, l’un des rares dont les impératifs du métier ne sont
pas devenus une prison (...). La peinture libérée s’égalise alors, par sa force
de création, à la poésie et à la musique - des arts qui ne se contentent
78
- LIMA, Herman. In : Catálogo da Exposição Retrospectiva de Visconti. II Bienal do Museu de Arte Moderna de São Paulo. São Paulo, 1954, p. X. Obs. : Ce texte d’Herman de
Lima avait déjà été publié dans le journal Diário de Notícias le 1er janvier 1950, lors de la
première rétrospective de Visconti dans le Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro
en 1949.
“ (...) Visconti [foi] o nosso primeiro pintor revolucionário, tão marcadamente revolucionário no seu tempo, quanto seria, passado quase meio século, Portinari, para a época atual.
Frederico Barata situa muito bem esse aspecto da personalidade do mestre brasileiro,
quando lhe põe em confronto a obra de um Almeida Júnior, como poderia pôr a de um
Victor Meirelles e especialmente a de um Pedro Américo.
Ao passo que esses, principalmente o último, permaneceriam indenes à revolução do
impressionismo, em voga na Europa, quando de sua permanência no estrangeiro, Eliseu
Visconti não passaria pelo estágio europeu sem experimentar vivas reações, interessado
por todas as manifestações estéticas do seu tempo, mesmo as mais revolucionárias,
(...). ”
190
pas de présenter encore une fois, et sous la même forme, les problèmes que
la nature nous présente : ils veulent les résoudre. 79
De tous les textes écrits sur Visconti, les plus explicites dans la défense de la
conception selon laquelle il serait le premier impressionniste brésilien sont ceux qui composent
le catalogue de l’exposition de 1954, dont on vient de citer quelques extraits. Il ne faut pas
oublier que cette exposition faisait partie de la Biennale de São Paulo, ce qui peut expliquer le
besoin ressenti par les auteurs d’exprimer la modernité de Visconti et son rôle de précurseur du
modernisme dans l’histoire de l’art brésilien. Aussi, peut-on reconnaître la démarche
intellectuelle de ces auteurs : ils ont voulu appliquer à la réalité brésilienne le schéma de
l’histoire de l’art en Europe. La ligne évolutive déterminée par les divers mouvements
artistiques qui se sont succédé (l’impressionnisme comme un anneau de la chaîne) a été
adaptée à l’histoire de l’art au Brésil.
Une troisième exposition des oeuvres d’Eliseu Visconti fut organisée par le Museu
Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro en 1967. Le catalogue de cette nouvelle exposition
se compose de quatre articles dont les auteurs sont, respectivement, Mário Barata, José Paulo
M. da Fonseca, Clarival do Prado Valladares et José Roberto Teixeira Leite. Leurs textes font
apparaître des positions beaucoup plus souples que celles figurant dans le catalogue de 1954.
79
- AQUINO, Flávio. In : Catálogo da Exposição Retrospectiva de Visconti. II Bienal do
Museu de Arte Moderna de São Paulo. São Paulo, 1954, p. V-VI.
“ (...). Visconti é, para nós, o precursor da arte dos nossos dias, o nosso mais legítimo
representante de uma das mais importantes etapas da pintura contemporânea : o impressionismo. Trouxe-o da França ainda quente das discussões, vivo ; transformou-o,
ante o motivo brasileiro, perante a cor e a atmosfera luminosa do nosso país. Não o foi
buscar quando morto, portanto não desenterrou cadáveres, não se apropriou do fácil e
do perecível, emocionou-se pela nova estética quando ainda algo era possível extrair-se
dela. Depois dele, legiões de ‘prêmios de viagem voltaram da Europa como foram e dedicaram-se com teimosia à inerte pintura oficial do Instituto. Sobre os acadêmicos que
hoje lhe disputam a glória, mesmo sobre pintores da força de um Amoêdo, tinha meio
século de avanço. (...).
Visconti é um dos raros artistas do passado que resiste à crítica moderna pela sua aspiração de encarar a arte como uma forma de expressão superior dos sentidos, dos poucos cujos imperativos do ‘métier’ não constituem uma prisão, mas decorrem, tão só, de
uma necessidade de expressão mais pronta e direta da imaginação criadora. A pintura
libertada equipara-se então, pela força da criação, à poesia e à música - artes que não se
contentam em apresentar novamente, e da mesma forma, os problemas que a natureza
nos apresenta : pretendem resolvê-los. ”
191
Mário Barata, par exemple, souligne l’insertion de l’oeuvre de Visconti dans une période de
“ crise générale et historique de la vision artistique ”80, et dit :
Aujourd’hui, nous savons que Visconti fut le dernier de nos artistes à flotter
légitimement dans les structures de perception du monde en transformation,
mais pas encore complètement changé. Ainsi, il agit simultanément avec sa
capacité de rénovation et son besoin individuel de préservation de certaines
valeurs sensibles que l’époque était en train de changer et d’annuler
fatalement, (...). 81
On voit que Mário Barata identifia dans l’oeuvre de Visconti des signes de
rénovation et des signes de préservation de valeurs artistiques que le modernisme venait
supprimer. C’est-à-dire que Mário Barata n’a pas embrassé intégralement l’interprétation de
son oncle, Frederico Barata, premier biographe de Visconti. De toute façon, l’idée d’un
Visconti révolutionnaire n’est pas complètement absente des textes du catalogue de 1967. Les
articles de José Paulo M. da Fonseca et de Clarival do Prado Valladares, et même celui de
Teixeira Leite, continuent à mettre en relief les aspects nouveaux de son art et son attachement
à l’impressionnisme.
Dans quelques textes postérieurs, on rencontre toujours la même idée, quoique l’on
puisse remarquer une relativisation des conquêtes impressionnistes attribuées à Visconti, les
divers auteurs affirmant qu’elles ne furent novatrices que dans le contexte artistique brésilien.
Ce fut le cas, par exemple, de Flávio de Aquino qui écrivit en 1969 :
Visconti n’a pas suivi, dans son oeuvre, toutes les évolutions européennes de
Picasso et Léger, mais il étudia l’impressionnisme, qui était une conquête
80
- BARATA, Mário. “ Visconti é uma lição ”. In : Exposição Comemorativa do Centenário
de Nascimento de Eliseu Visconti . Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes, 1967,
(pp. 13-15).
“ A obra de Visconti, eu só a conheci a pouco e pouco, na medida em que a minha própria sensibilidade se aguçava. Situada numa faixa transformadora, entre dois séculos e
inserida em crise geral e histórica da visão artística, Visconti era suficientemente
dotado de qualidades artesanais e valores óticos para criar uma pintura apta a ficar
como obra de requintado gosto. ”
81
- BARATA, Mário. “ Visconti é uma lição ”. In : Exposição Comemorativa do Centenário
de Nascimento de Eliseu Visconti . Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes, 1967,
(pp. 14-15).
“ Hoje sabemos que Visconti foi o último de nossos artistas a flutuar legitimamente nas
estruturas de percepção do mundo em mudança, mas ainda não completamente transformado. Dessa maneira agiu simultaneamente com a sua suficiente capacidade de renovação e a sua necessidade individual de preservação de certos valores sensíveis que a
época estava fatalmente mudando e anulando, (...). ”
192
pour le Brésil de l’époque. Il ne s’agit pas d’une obéissance à la mode, mais
d’une incorporation plus élaborée, de l’action d’un ‘ travailleur amoureux’
qui enrichit ses toiles de couleurs soigneusement distribuées. Absorbé, dans
sa peinture, par les valeurs optiques, il nous rend un univers naturel, capté
par le pouvoir d’analyse d’un homme urbain. 82
Flávio de Aquino considéra l’impressionnisme de Visconti comme “ une conquête
pour le Brésil de l’époque ”. Dix ans plus tard, José Roberto Teixeira Leite se préoccupa de
situer l’impressionnisme de Visconti dans le contexte latino-américain. Il écrivit en 1979 :
Visconti n’a pas été le premier à adopter l’impressionnisme en Amérique
Latine ; cette gloire appartient, peut-être, au Vénézuélien Emilio Boggio,
élève d’Henri Martin et ami de Pissarro et Sisley ; peut-être qu’elle
appartient aussi au Vénézuélien Rojas, ou peut-être à l’Argentin Eduardo
Sívori. Ces trois peintres étaient déjà impressionnistes au cours de la
dernière décennie du XIX siècle. De toute façon, Visconti fut l’un des
premiers artistes latino-américains à adapter les recours impressionnistes à
sa palette, en le mélangeant aux styles locaux et aux particularités de son
propre tempérament. 83
Finalement, on arrive à la conclusion suivante : les historiens qui ont soutenu la thèse
selon laquelle l’impressionnisme de Visconti est la valeur suprême de son art se sont laissé
séduire
82
- MOTTA, Flávio. “ Visconti e o início do século XX ”. In : PONTUAL, Roberto. Dicionário das Artes Plásticas no Brasil. Rio de Janeiro, 1969, p.XXIV.
“ Embora não tenha acompanhado, em suas realizações pictóricas, todos os avanços da
Europa de Picasso e Léger, ele se deteve no impressionismo, que era uma conquista
para o seu tempo brasileiro. Não se trata de um modismo, mas de uma incorporação
mais elaborada, do ‘trabalhador amoroso’ a enriquecer suas telas com cores cuidadosamente distribuídas. Absorvido, pictoricamente, pelos valores óticos, ele nos devolve um
universo natural, captado pelo poder de análise de um homem urbanizado. ”
83
- LEITE, José Roberto Teixeira. “ A Belle Epoque ” In : LEITE, José Roberto Teixeira et
allii. Arte no Brasil (2 volumes) São Paulo, 1979, II, p.564.
“ Visconti não foi o primeiro a adotar o Impressionismo na América Latina ; tal glória
talvez caiba ao venezuelano Emilio Boggio, aluno de Henri Martin e amigo de Pissarro
e Sisley ; talvez pertença ao também venezuelano Rojas, ou ainda ao argentino Eduardo Sívori. Esses três pintores já eram impressionistas na última década do século XIX.
De qualquer modo, Visconti foi um dos primeiros artistas latino-americanos a adaptarem à sua paleta recursos impressionistas, mesclados a estilos locais e às peculiaridades
de seu próprio temperamento. ”
193
par un raisonnement qui servait à valoriser le peintre face aux générations
révolutionnaires. La décennie de 1940 a été, au Brésil, une période d’antagonismes entre les
défenseurs de la tradition artistique et les propagateurs de l’art abstrait84. Dans ce terrain
partagé et radicalisé, le discours qui faisait de Visconti un précurseur de l’art moderne était le
bienvenu. Mais, en réalité, la valeur de Visconti ne se trouve pas uniquement dans ce fait. Il est
vrai qu’il s’est servi des découvertes impressionnistes, il est vrai qu’il était ouvert aux
nouvelles tendances artistiques, mais il est vrai aussi qu’il ne s’assuma pas comme peintre
impressionniste.
À propos du décalage entre la thèse et la réalité, Geraldo Ferraz écrivit un article très
intéressant sur Visconti en 1977, lors d’une exposition dans la galerie Arte Global à São
Paulo. Il convient de reproduire ici les passages les plus éclairants de cet article. Ferraz a
connu Visconti personnellement et il commence par évoquer les souvenirs qu'il avait du peintre
:
Nous nous rappelons sa tranquillité d’artiste réalisé, sans affectation ni
orgueil, sachant qu’à chaque époque la peinture peut se révéler par des
moyens divers qui viennent enrichir l’expression le long des siècles et
démontrer, dans leur immense pluralité, une rénovation continue. (...). 85
Après cette introduction, Geraldo Ferraz aborde la question de la ‘ligne de
démarcation’ à propos de laquelle il présente son point de vue :
On a discuté, ou plutôt on s’est demandé si sa peinture était une ‘ligne de
démarcation’ entre les peintres héritiers des traditions de la Mission
française et les modernistes de la décennie de 1920. Ce point de discussion
ne semble pas avoir été bien éclairé. Eliseu Visconti, (...), avait déjà des idées
indépendantes lorsque, à côté d’Henrique et Rodolpho Bernardelli, Zeferino
da Costa et Amoêdo, il forma l’Atelier Libre. En Europe, outre qu’il s’est
inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts, il fréquenta l’Ecole des Arts Décoratifs.
84
- À propos de cette période, consulter l’ouvrage : AMARAL, Aracy. Arte para quê ? A
preocupação social na arte brasileira 1930-1970. Nobel, São Paulo, 1987.
85
- FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São
Paulo, 28/12/1977, (p.55).
“ (...). Lembramo-nos de seu jeito tranqüilo de artista realizado, sem afetação nem orgulho, sabendo que em cada tempo a pintura pode ser revelada por diversos meios, que
vão enriquecendo a expressão ao longo dos séculos e demonstrando, na imensa diversidade, uma contínua renovação. (...). ”
194
Mais Visconti ne s’est pas rendu compte de l’avant-garde qui, à ce momentlà, avait déjà créé la peinture impressionniste au grand complet. (...). 86
L’auteur est explicite dans son jugement : Visconti ne s’est pas rendu compte du
mouvement impressionniste dès le début de son séjour parisien. Ensuite, Geraldo Ferraz écrit
sur les premières influences subies par Visconti :
Le séjour en Europe lui a permis d’approfondir sa lecture de la
Renaissance. S’il y a ‘ impressionnisme’ dans ses nus de la première phase
lorsqu’il retourna au Brésil, cela est dû plutôt à la spiritualité imprégnant
l'artiste au moment où il transpose le modèle réel sur la toile, qu’à une
technique impressionniste (...). La matière de Visconti devient ainsi éthérée
plutôt par la recherche d’une peinture spiritualisée que par une attention
aux impressionnistes. Toute la délicatesse et la fluidité de cette matière, qui
selon quelques-uns faisait rappeler Botticelli, était sans rapport avec
l’impressionnisme. Ce qu’il envisageait, en effet, c’était d’imprimer une
diaphanéité à son exécution. 87
Ainsi, Ferraz insiste-t-il sur l’absence de rapport entre la peinture de Visconti et
l’impressionnisme, au moins dans la première phase européenne. Et il ajoute :
Cela n’altère pas la grandeur du nom de Visconti, mais au lieu de le ranger
dans une école, le place dans le cadre des solutions personnelles qu’il
cherchait ardemment depuis qu’il avait appris la leçon de la peinture de la
Renaissance. D’ailleurs, l’étude des arts décoratifs, assimilant beaucoup du
86
- FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São
Paulo, 28/12/1977, (p.55).
“ Discutiu-se, ou melhor, questionou-se se sua pintura constituiria um ‘marco divisório’
entre os pintores herdeiros das tradições da Missão Francesa e os modernistas da década de 20. Não parece ter sido bem focalizado esse ponto de discussão. Eliseu Visconti,
(...), já tinha idéias libertadoras quando, ao lado de Henrique e Rodolpho Bernardelli,
Zeferino da Costa e Amoêdo, formou o Ateliê Livre. Na Europa, ingressando na Escola de Belas Artes e freqüentando também a Escola de Artes Decorativas, Visconti não
se deu conta da vanguarda que, a essa altura, já criara a pintura impressionista em toda
a sua extensão. (...). ”
87
- FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São
Paulo, 28/12/1977, (p.p.55- 56).
“ A permanência na Europa serviu-lhe para aprofundar-se na leitura do Renascimento.
Se há ‘impressionismo’ em seus nus da fase primeira, quando voltou ao Brasil, é mais
uma questão de espiritualidade incutida na transposição de modelos para a tela do que
uma técnica impressionista, (...). A matéria de Visconti chega assim ao etéreo, mais
pela busca de uma pintura espiritualizada do que em atenção aos impressionistas. Toda
a delicadeza, toda a fluidez dessa matéria que, segundo alguns, lembrava Botticelli, extrapolava a escola impressionista. O que ele de fato estava querendo era imprimir uma
diafaneidade à sua execução. ”
195
design de Morris, amenait certainement ceux qui suivaient des cours à Paris
à entrer dans l’orbite du grand maître anglais. 88
Ferraz met en valeur l'étude des arts décoratifs suivie par Visconti et l’influence de
William Morris. On ajouterait que par là s’explique aussi l’empreinte des préraphaélites sur la
peinture de Visconti vers les toutes dernières années du siècle. Ensuite Geraldo Ferraz affirme :
Dans sa peinture postérieure, Visconti a suivi un réalisme ‘influencé’ par
l’impressionnisme, (...). Lors de son expérience des grandes décorations du
Théâtre municipal de Rio de Janeiro, Visconti aurait élargi le champ visuel
de la matière picturale, en surmontant ses inhibitions et en arrivant à un
niveau plus naturaliste dans le paysage. (...). 89
En désignant la phase postérieure de Visconti comme “ un réalisme influencé par
l’impressionnisme ”, Geraldo Ferraz admet que l’impressionnisme a influencé le peintre, mais il
ne définit pas ce dernier comme un artiste impressionniste. Ensuite, à propos de la thèse de
Frederico Barata, il dit :
Frederico Barata considère qu’Eliseu Visconti aurait incarné le premier cas
d’impressionnisme au Brésil. Cela n’augmente pas sa gloire : Visconti est le
paysagiste d’une époque finale, avant l’avènement du modernisme brésilien,
avant que nos peintres n’eussent passé par le ‘service militaire du cubisme’,
selon l’expression employée par Tarsila. Certainement, pour ceux qui
cherchent à valoriser le peintre dans son époque, l’hypothèse
impressionniste est
88
- FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São
Paulo, 28/12/1977, (p. 56).
“ Isto não altera a grandeza do nome de Visconti, mas o coloca, muito mais do que
numa escola, em soluções pessoais, que ardentemente buscava depois que apreendeu a
lição da pintura renascentista. Aliás, o estudo das artes decorativas assimilava bastante
o design de Morris e levava, certamente, os que passavam pelos cursos de Paris a entrar na órbita do grande mestre inglês. ”
89
- FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São
Paulo, 28/12/1977, (p. 56).
“ Com a pintura posterior, Visconti seguiu um realismo ‘influenciado’ pelo impressionismo, (...). Na sua experiência com as grandes decorações do Teatro Municipal do Rio
de Janeiro, Visconti deveria ter alargado o campo visual da matéria pictórica, superando suas inibições e passando a um nível mais naturalista na paisagem. (...). ”
196
avantageuse ; cependant, Visconti n’est pas arrivé à l’impressionnisme
(...). 90
Ainsi, Ferraz souligne-t-il que ceux qui ont voulu rehausser le rôle de Visconti
comme un précurseur du modernisme avaient intérêt à soutenir l’hypothèse impressionniste.
Mais Geraldo Ferraz raconte encore :
Nous avons connu le maître entouré de la vénération dont il a été l’objet
pendant ses dernières années de vie, mais il ne nous est pas venu à l’esprit,
et peut-être parce qu’il aurait été indélicat de le faire, de lui demander ce
qu’il pensait de l’interprétation soutenue par Frederico Barata dans son
précieux livre dont l’impression ne fut achevée que la même année de la mort
de Visconti.
Pour un peintre formé au Brésil, qui allait timidement se perfectionner en
Europe à partir de 1893, il n’y avait pas de raison de se lancer
immédiatement dans l’avant-garde européenne. La bataille impressionniste
était refroidie. Renoir, Degas, Pissarro, Monet, Cézanne avaient dépassé les
temps héroïques commencés en 1874 avec l’exposition Nadar. Chacun
d’entre eux avait, pendant les années 90, un chemin individuel ; et quelquesuns, plus jeunes, tels que Gauguin et Van Gogh, frayaient déjà d'autres
chemins. 91
Il aurait été intéressant de connaître la réponse de Visconti à la question que Ferraz
ne lui a jamais posée. Quelle aurait été l’opinion de Visconti sur le point de vue soutenu par
90
- FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São
Paulo, 28/12/1977, (p. 56).
“ A tese de Frederico Barata é que Eliseu Visconti teria estabelecido o primeiro caso
do impressionismo no Brasil. Sua glória não se acrescenta com isto : Visconti é o paisagista de uma época final, antes do modernismo brasileiro, antes que os nossos pintores
tivessem passado pelo ‘serviço militar do cubismo’, como dizia Tarsila. Certamente,
para os que buscavam dar maior relevo ao pintor na época em que ele viveu, a hipótese
impressionista é valorizadora ; acontece, porém, que Visconti não chegou aí (...). ”
91
- FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São
Paulo, 28/12/1977, (p. 56).
“ Conhecemos o mestre na veneração que o cercava em seus últimos anos de vida, mas
não nos ocorreu, e talvez fosse indelicado, indagar-lhe da interpretação que Frederico
Barata sustentou no livro precioso que acaba de ser impresso quando Visconti morreu.
Não havia por que um pintor formado no Brasil, ao aperfeiçoar-se na Europa, a partir
de 1893, timidamente, primeiro lançar-se na vanguarda européia. A batalha impressionista já arrefecera. Renoir, Degas, Pissarro, Monet, Cézanne tinham ultrapassado a linha dos tempos heróicos, que começaram em 1874, com a Exposição no Ateliê Nadar.
Cada um deles tinha, nos anos 90, um caminho próprio ; e alguns mais novos, como
Gauguin e Van Gogh, estavam pensando noutras possibilidades. ”
197
Frederico Barata dans son livre ? L’artiste ne pouvant plus répondre, Geraldo Ferraz
essaya encore de prouver l’invraisemblance de l’hypothèse de Barata en imaginant le contexte
retrouvé par Visconti lors de son arrivée en Europe.
Pourtant, à la fin de son article, Geraldo Ferraz accorde qu’il n’est pas impossible de
classer quelques tableaux de Visconti parmi les peintures impressionnistes :
Cependant, comme en art les esprits cherchent toujours un ‘rapprochement’
possible et que ‘les idées qui font partie de la culture dominante’ (Herbert
Read) sont toujours présentes sans être la propriété exclusive d’un
quelconque individu, la spéculation sur l’impressionnisme de Visconti nous
semble plausible devant quelques tableaux de l’artiste sans que cela
devienne une question significative dans l’histoire du mouvement qui,
lorsque Visconti est arrivé en Europe, était déjà dilué dans le pointillisme de
Seurat. L’exposition actuelle peut, de nouveau, amener à une comparaison
qui peut convaincre quelques-uns, et laisser quelques autres indifférents. Ce
n’est pas celle-là la gloire de Visconti, le paysagiste. 92
Cet article de Geraldo Ferraz a attiré notre attention parce que nous épousons son
point de vue. Effectivement, on ne voit pas d’intérêt à fonder la valeur de Visconti sur les
influences impressionnistes qu’il a subies. D’abord parce que si on classe sa peinture dans
l’impressionnisme, on oublie toutes les différences qu’elle présente d'avec ce mouvement.
L'oeuvre de Visconti ne se nourrit pas exclusivement des expériences impressionnistes.
Cette réflexion sera approfondie dans les prochains chapitres, à l’aide d’un exposé
sur la vie artistique au cours des premières années du séjour d’études de Visconti en France, et
de l’analyse de ses oeuvres.
92
- FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São
Paulo, 28/12/1977, (p. 56).
“ Como em arte, entretanto, os juízos buscam sempre chegar a uma ‘aproximação’ possível, e
‘as idéias que fazem parte da cultura dominante’ (Herbert Read) estão no ar e não são propriedade exclusiva de ninguém, a especulação quanto ao impressionismo de Visconti nos parece que pode ser colocada, diante de alguns quadros do artista. Sem que isto se torne uma
questão de maior ou menor significado na história do movimento, que, quando Visconti chegou à Europa, já se diluíra no pontilhismo de Seurat. A exposição atual pode, de novo, levantar termos de comparação, os quais chegarão a convencer alguns e a deixar outros menos
interessados. Não é essa a glória de Visconti, o paisagista. ”
198
5 - La vie artistique parisienne pendant les années du séjour d’études de
Visconti : les trois Salons et l’absorption de l’impressionnisme
Voici que les peintres deviennent, en cette saison,
particulièrement menaçants. Tout d’abord, comme un Salon ne
suffisait pas, paraît- il, ils continuent à en avoir deux: le Salon
du Champ de Mars et celui des Champs-Elysées. Deux Salons,
c’est déjà pas mal. Puis, avant les grands Salons, ils se mettent
à en ouvrir de petits. Il n’y en a que pour eux: expositions
particulières dans les ateliers, dans les galeries des
marchands, dans les cercles; bientôt on exposera dans la rue:
ce ne serait d’ailleurs, qu’un retour aux primitives expositions
qui se faisaient sous l’auvent des boutiques. En ces temps
reculés, les peintres n’étaient pas les rois du monde, et la
brosse embituminée n’était pas le sceptre de Paris!
[FOUQUIER, Henry. « La Vie de Paris » , In : Le XIXe
Siècle journal du 16 avril 1891]
Les historiens et critiques d’art brésiliens qui ont classé l’oeuvre de Visconti dans le
mouvement impressionniste, en même temps qu’ils accusèrent les autres peintres brésiliens
venus en Europe à la fin du XIXe siècle de l’avoir ignoré, ont suivi une conception d’histoire
de l’art qui envisage l’impressionnisme comme une pierre de touche pour reconnaître les vrais
artistes de la période.
Cependant, cette interprétation ne tient pas compte de la diversité rencontrée par les
étudiants brésiliens, et en particulier par Visconti, dès leur arrivée en Europe.
L’impressionnisme ne représentait alors qu’une des pièces d’une véritable mosaïque
d’expressions picturales. Une pièce importante qui mobilisa les esprits et joua un rôle marquant
dans l’histoire de l’art, certes, mais entourée d’autres réalités qui ont été par la suite un peu
oubliées.
Lorsque Visconti arriva à Paris en 1893, la vie artistique présentait un caractère
extrêmement conflictuel. Plusieurs tendances s’y confrontaient et trois Salons y tenaient leur
place : le Salon des Champs-Elysées, le Salon des Indépendants et le Salon du Champ de Mars.
À l’exception du Salon des Indépendants, ces expositions constituaient pour les peintres en
quête de reconnaissance officielle le principal moyen de soumettre leurs oeuvres à
199
l’appréciation et au contrôle des instances compétentes. 93 En outre, les trois expositions
annuelles étaient de vastes exhibitions d’oeuvres offertes à la vue du grand public, et à l’achat.
Le Salon des Champs-Elysées, organisé par la Société des artistes français, était
l’héritier du premier Salon organisé par l’État français en l’année de 1673. À la fin de 1880,
l’Etat abdiqua ce rôle d’organisateur de l’exposition annuelle des oeuvres d’art et remit la
direction du Salon aux artistes, c’est-à-dire, à ladite Société. Cependant, l’exposition annuelle
des Champs-Elysées conserva son caractère officiel, car la Société des artistes français se
déclarait être “ une émanation de l’Etat ”, “ déléguée par lui afin d’assurer un service public et
d’intérêt général ”94.
À l’opposé de l’orientation du Salon des Champs Elysées, le Salon des Indépendants
avait été créé en 1884 comme un acte d’affranchissement. Porte ouverte à toutes les initiatives,
le seul à avoir aboli le jury d’admission et les récompenses, il n’acquit la reconnaissance
officielle qu’en 1890, selon raconte Ernest Hoschedé :
Pour la première fois le Président de la République l’a inaugurée [la sixième
Exposition des artistes indépendants] d’une façon solennelle et le public, en
s'y rendant en foule, a sanctionné lui-même son existence. Les dissensions de
la gent artistique, dont le retentissement a été si grand cette année, ont
prouvé combien était sage l’idée d’une Société indépendante, c'est-à-dire
éclectique, acceptant sans les juger, sans les discuter, toutes les écoles, tous
les genres, toutes les formules, faisant accueil à toutes les tendances, à
toutes les tentatives d’art nouveau, laissant au seul public le droit d’en rire
ou de les applaudir. 95
Enfin, le troisième Salon dont on a parlé plus haut, le Salon du Champ de Mars, avait
été crée en 1890, à l’issue d’une scission de la Société des artistes français donnant lieu à la
création de la Société nationale des beaux-arts. La pomme de discorde avait été l’exemption de
sélection de nombreux médaillés de l’Exposition universelle de 1889. Les uns, Meissonier en
tête, défendaient les droits de l’élite, tandis que Bouguereau, président de la Société des
artistes français, et ses partisans refusaient les exemptions pour réserver la place aux jeunes. À
ce propos, Ernest Hoschedé écrivit dans son Brelan de Salons :
93
- À ce propos, voir WHITE, H. & C. La carrière des peintres au XIXe siècle. Flammarion,
Paris, 1991, (p.49).
94
- Discours de Bailly à la distribution des récompenses du Salon de 1888, le 2 juillet (JO du
3 juillet 1888 et livret du Salon de 1889, p. VII). Cité par VAISSE, Pierre. La Troisième
République et les Peintres. Flammarion, Paris, 1995, (p. 115).
95
- HOSCHEDE, Ernest. Brelan de Salons. Paris, Bernard Tignol, 1890, (pp. 23, 24).
200
Je ne veux pas refaire ici l’histoire de la Guerre des Peintres en l’an dixhuit cent quatre-vingt-neuf. (...). La scission, la dislocation du Salon des
Champs-Elysées étaient fatales. Il y avait pléthore, et de même que dans la
vie animale, quand la ruche est trop pleine, une abeille s’en détache,
entraînant derrière elle un essaim qui va trouver sa vie ailleurs, de même
les artistes pouvaient prévoir qu’avant peu il n’y aurait plus aucune place
pour les nouveaux (...). Il est donc bien naturel qu’ils aient suivi un
nouveau roi. 96
Le ‘nouveau roi’ était Meissonier, président du tout récent Salon du Champ de Mars.
La multiplication des Salons était la conséquence d’une vie artistique tiraillée par les
antagonismes97. À côté des Salons, des circuits nouveaux cherchaient à faire place à toutes les
tendances. Dès le milieu du siècle, les paysagistes avaient pris l’habitude de se produire à
l’occasion de ventes publiques à l’hôtel Drouot. Les changements se firent plus marquants à
partir de 1870 avec l’évolution du commerce d’art. C’est alors que les galeries organisent des
expositions publiques, et que les artistes commencent à se grouper en associations. Celle des
impressionnistes resta la plus connue, mais on peut mentionner également l’association des
aquarellistes, celle des orientalistes et l’Union des femmes peintres, parmi d’autres. Ce
mouvement, qui attira l’attention des contemporains, fut décrit par Lafenestre en 1879 :
Depuis quelques années (...) un grand nombre d’expositions particulières,
ouvertes, soit à l’Ecole des Beaux-Arts, soit dans les cercles, soit à l’hôtel
des ventes, soit chez les marchands, ont appris aux artistes d’autres chemins
que le chemin des Champs-Elysées. Il faut s’en féliciter. On a senti le prix de
réunions peu nombreuses d’ouvrages méthodiquement groupés qui permettent
d’étudier avec profit un artiste ou un groupe d’artistes dans ses
manifestations intimes, on y a savouré ce plaisir délicat de la comparaison
facile et de la dégustation prolongée qui est absolument interdite aux
explorateurs ahuris par la Babel officielle. 98
Ce mouvement déjà effervescent en 1879 s’est amplifié tout au long des dernières
années du siècle. En 1894, Charles Morice s’exprimait à propos du climat général dans le
monde des arts parisien en donnant la description suivante :
Quelle mêlée, cet instant artistique ! guerre générale de toutes tendances
orientées vers l’avenir contre l’officiel ; guerre intestine, dans l’empire
officiel, pour des motifs où l’art est étranger ; guerre aussi entre les divers
96
- HOSCHEDE, Ernest. Brelan de Salons. Paris, Bernard Tignol, 1890, (p.p. vii - viii).
- À ce propos, voir VAISSE, Pierre. La Troisième République et les Peintres. Flammarion,
Paris, 1995, (p.27).
98
- LAFENESTRE, Georges. “ Les expositions d’art. Les indépendants et les aquarellistes ”,
RDM, 15 mai 1879, p. 478. Cité par VAISSE, Pierre. La Troisième République et les
Peintres. Flammarion, Paris, 1995, (p.107).
97
201
élans de l’art indépendant pour des causes confondues de doctrines et
d’ambitions. 99
Toutes les tendances se disputaient les cimaises parisiennes, mais aucune d’entre elles
ne s’imposait aux autres de façon définitive100. Dans ce cadre bouillonnant et tumultueux, il
faut imaginer le jeune Brésilien qui arrivait à Paris, étourdi par tout ce mouvement, novice dans
la bataille artistique française. Pour lui, l’espace le plus démocratique restait celui des Salons.
Champ d’épreuve pour les nouveaux venus, les Salons permettaient aux débutants en quête
d’acquisitions d’exposer leurs oeuvres à la vue du public, qui y venait nombreux. De plus, il ne
faut pas oublier qu’un tableau exposé au Salon parisien avait un retentissement très favorable
dans la presse brésilienne.
Comme les artistes brésiliens qui l’ont précédé, Visconti trouva sa place dans ces
vastes expositions officielles. Il n’a jamais participé au Salon des Indépendants, et cela est
compréhensible si l’on se souvient du caractère officiel de son séjour en France, en tant que
pensionnaire de l’Etat brésilien. On a déjà mentionné les diverses participations de Visconti aux
Salons, on n’y reviendra pas. Il suffit de souligner que de 1894 à 1900, pendant toute la
période de son séjour d’études à Paris, il exposa aussi bien au Salon des Champs Elysées qu’à
celui du Champ de Mars. En 1900, dernière année de sa pension, il obtint une médaille
d’argent à l’Exposition universelle de Paris, avec deux toiles : Gioventú (fig.12), alors
présentée sous le nom de Mélancolie, et Les Oréades (fig.16).
À propos des oeuvres exposées dans les trois Salons de Paris pendant cette période,
il est instructif de relire la collection des journaux de l’époque. Il en sort qu’il y avait, dans ces
oeuvres, une grande diversité, et de motifs et de style. Il est vrai que la tendance générale
n’était plus pour la peinture d’histoire. Hoschedé remarque en 1890 :
De même que le nu, les compositions ennuyeuses et inutiles qui rentraient
dans le domaine de ce qu'on appelait la grande peinture ont disparu
presque entièrement de nos Expositions. La peinture d'histoire est morte;
elle ne peut revivre, comme la peinture religieuse, que pour la décoration
spéciale des monuments publics ou des temples. 101
99
- MORICE, Charles. Mercure de France, janvier 1894. (Cité par NAUBER-RISER,
Constance. “ 1890 - 1900, Introduction ”, In : La Promenade du critique influent,
anthologie de la critique d’art en France 1850 - 1900. Paris, Hazan, 1990, (pp. 317 - 318).
100
- À ce propos voir le texte de Constance Nauber-Riser qui analysa la critique d’art des
années 1890 en France dans La Promenade du critique influent, anthologie de la critique
d’art en France 1850 - 1900. Paris, Hazan, 1990, (pp. 317 - 324).
101
- HOSCHEDE, Ernest. Brelan de Salons. Paris, Bernard Tignol, 1890, (p. 88).
202
On voit donc que la peinture d’histoire ne trouvait plus un terrain aussi favorable
qu’auparavant. Cependant, elle n’est pas complètement disparue. On la retrouve encore sous le
pinceau de Meissonier qui expose au premier Salon du Champ de Mars un tableau historique
représentant Napoléon à la bataille d’Iéna102. De toute façon, ce sont maintenant les paysages
qui dominent les Salons, laissant aussi de la place aux nombreux portraits et peintures de
genre. À propos de la prédominance des paysages, André Michel écrivit en 1896 :
Fromentin a dit en quelques mots le rôle du paysage dans la peinture
moderne et les conséquences de son triomphe; on n'a pas à y revenir après
lui. 103
Et il ajoute ensuite :
Le point extrême de cette évolution a été l' impressionnisme. Quelques
personnes ne prononcent ce mot qu'avec une saine horreur et englobent
dans un même anathème tous ceux qui en sont convaincus ou soupçonnés...
Leurs listes de proscriptions seraient longues à ce compte. D'autres se
pâment d'admiration devant tous les tableaux où les formes tremblent et
s'estompent; ou bien, l'impressionnisme, c'est, pour elles, l'influence du
violet dans les arts. 104
102
- HOSCHEDE, Ernest. Brelan de Salons. Paris, Bernard Tignol, 1890, (pp. 182 - 183).
- MICHEL, André. Notes sur l'art moderne (peinture), Corot, Ingres, Eugène Delacroix,
Raffet, Meissonier, Puvis de Chavannes. A travers les Salons. Paris, Armand Colin, 1896,
(p. 257).
104
- MICHEL, André. Notes sur l'art moderne (peinture), Corot, Ingres, Eugène Delacroix,
Raffet, Meissonier, Puvis de Chavannes. A travers les Salons. Paris, Armand Colin, 1896,
(p. 257).
103
203
On observe que jusqu’aux dernières années du siècle l’impressionnisme continuait à
mobiliser les esprits. Dans un autre texte, André Michel reprend ce même sujet. Il s’agit d’une
réflexion critique sur l’Exposition centennale des beaux-arts, partie intégrante de l’Exposition
universelle de 1900. Cet auteur y développe quelques considérations sur les impressionnistes. Il
affirme qu’une amitié diligente105 leur a réservé une belle place à la Centennale, et qu’ils n’ont
pas lieu de se plaindre. Cependant, souligne-t-il, leurs oeuvres provoquent toujours des
réactions extrêmes chez le public :
Le temps, que les Italiens, fins diplomates, n’ont pas sans raison appelé
‘ galant homme’, arrange bien des choses et apaise bien des querelles. Vous
rencontrerez pourtant encore, dans les salles réservées à Manet et à MM.
Claude Monet, Sisley, Renoir, Pissarro et Degas, des visiteurs qui se
regardent de travers. Les uns prennent des attitudes et tiennent des propos
de procureur général; Ingres étant absent, ils font de leur mieux pour
requérir à sa place - c’est pourtant un grand abus de traiter une opinion
comme un délit; - les autres affectent de ne rien voir que ces salles dans
toute l’Exposition : c’est ici que la peinture moderne et le génie ont élu
domicile; tout le reste ne compte pas. J’admire ceux qui peuvent tout
admirer ou condamner en bloc. 106
On voit que les esprits n’avaient pas retrouvé leur calme, les uns et les autres
choisissant leur camp, pour ou contre les impressionnistes. Néanmoins, l’impressionnisme
répandait son influence sur les jeunes artistes. En 1896, André Michel avait déjà affirmé :
Beaucoup de jeunes gens, tout en profitant des acquisitions de l’école du
plein air, en restant attentifs aux jeux des reflets et aux délicates harmonies
de l’enveloppe, reviennent à une étude plus serrée de la forme et à un parti
pris de peinture relativement sombre et ‘ancienne’ qui nous repose des excès
de l'impressionnisme. Des tableaux de ton grave, de facture et d’effet
condensés, commencent à paraître aux Salons, signés de noms encore peu
connus (voir notamment, sans parler de M. René Ménard, les envois
significatifs de MM. Prinet, Simon, Griveau, Boulard, Lobre, etc.).
105
- Il s’agit de Roger Marx, responsable de l’Exposition Centennale, présentée au Grand
Palais lors de l’Exposition universelle de 1900.
106
- MICHEL, André. “ L’Exposition Centennale ”. In : Exposition Universelle de 1900. Les
Beaux-Arts et les Arts Décoratifs. Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1900, (p. 306).
204
Quelques superstitions, longtemps dominatrices, sont en train de périr dans
les ateliers des jeunes. 107
L’impressionnisme était alors absorbé et en même temps transformé par les jeunes
peintres. S’il fut ainsi dénaturé, il ne laissa pas pour autant de modifier radicalement les
pratiques picturales, les principes académiques étant dépassés. Dans le même sens, en 1900,
Jules Rais décrivait l’évolution de la peinture française à la fin du siècle :
(...). Cependant l’impressionnisme avait pénétré l’école. Un portraitiste
exquis, minutieux et compréhensif, Bastien Lepage, avait ouvert au plein air
ses paysages lorrains; sa volonté tenace s’y embarrassait peut-être encore de
détails trop appuyés; mais quelle n’eût pas été l’oeuvre du peintre des Foins
si une mort précoce ne l’était venue interrompre? Le renouvellement se
poursuivait par d'autres voies. Cependant que MM. Jules Breton,
Harpignies s’en tenaient aux anciens moyens pour réaliser leurs visions
idylliques, et que M. Pointelin épiait la quiétude douloureuse et les lourds
silences planants du soir, M. Cazin, sans emprunter à l’impressionnisme
plus que ne réclamait la représentation des formes indécises et des clartés
diffuses, s’acheminait vers le symbolisme. Elire, pour idéal unique, l’idée,
n’user de formes que pour atteindre à son expression, tel sera le principe
nouveau. 108
Au cours des dernières années du siècle, en même temps que le groupe
impressionniste se dessoudait et que chacun de ses associés développait un style plus
individuel, leurs procédés connaissaient une diffusion, ou même une vulgarisation, rapide et
étendue. Les artistes “ ouvraient leurs paysages au plein air ” en empruntant à
l’impressionnisme “ la représentation des formes indécises et des clartés diffuses ”. Le
mouvement donnait place à d’autres tendances, comme le symbolisme, qui y puisaient leur
inspiration. Pour conclure ces observations sur l’influence de l’impressionnisme, reprenons les
mots d’André Michel qui aborda la question en 1900 :
Il n’en reste pas moins que l’influence des impressionnistes a été grande, et
elle a été double. ("On nous fusille, a dit M. Degas, le terrible faiseur de
mots du parti, mais on fouille nos poches.") Beaucoup ont profité de leurs
107
- MICHEL, André. Notes sur l'art moderne (peinture), Corot, Ingres, Eugène Delacroix,
Raffet, Meissonier, Puvis de Chavannes. A travers les Salons. Paris, Armand Colin, 1896,
(pp. 262 - 263).
108
- RAIS, Jules. “ La peinture française pendant le cours du siècle ”. In : ENCYCLOPÉDIE
DU SIÈCLE. L'Exposition de Paris (1900). Tome premier. Paris, Librairie Illustrée,
Montgredien et Cie, Editeurs, 1900, (p. 162).
205
tentatives, par exemple pour le procédé de la division du ton et du mélange
optique - qu’ils n’ont pas inventé, qu’ils n’ont pas non plus appliqué aussi
exclusivement et continûment qu’on l’a dit, mais dont ils ont tiré des effets
vraiment extraordinaires. Pour la grande peinture décorative, il y a là des
ressources infinies. M. Henri Martin, par exemple, qui peint en ton mineur,
s’en est fort heureusement avisé dans ses belles frises de l'H ôtel de ville et
dans sa ‘Sérénité’. Si j’étais millionnaire - ou ministre des Beaux-Arts, - je
demanderais à M. Claude Monet de me décorer quelque immense galerie
des fêtes dans un Palais du peuple... Quand, en 1883, dans cet unique essai
de Salon triennal - qui aurait mérité d’être continué, - on groupa d’un côté
tous les hors concours et, de l’autre, tous les jeunes qui avaient plus ou
moins subi l’influence de l’impressionnisme, j’entendis un vieux peintre
s’écrier au seuil d’une des salles que ceux-ci occupaient: "On a envie de
danser devant!" Et, en effet, c’est une impression d’allégement que l’on
éprouve devant cette peinture inondée de rayons mouvants, où toutes les
pesanteurs de la matière sont comme spiritualisées dans l’impondérable
éther... 109
L’auteur observe l’effet spirituel du rayonnement des couleurs dans les peintures
impressionnistes et remarque leur grande influence sur les peintures décoratives des édifices
publics. En effet, les décorations de la période doivent beaucoup à l’impressionnisme. Parfois,
il est vrai, de façon très superficielle, en restant conforme à la tradition. Mais parfois de façon
plus riche et approfondie, s’acheminant vers une recherche de luminosité et de simplification
des plans.
Voilà l’atmosphère de la vie artistique parisienne lors du séjour d’études de Visconti
en Europe. Dans ce milieu, Visconti a été influencé certes par les procédés impressionnistes
répandus à la fin du siècle, mais il a puisé aussi dans d’autres sources dont il sera question par
la suite.
109
- MICHEL, André. “ L’Exposition Centennale ”. In : Exposition Universelle de 1900. Les
Beaux-Arts et les Arts Décoratifs. Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1900, (p.p. 307 - 308).
206
6 - Analyse de l’oeuvre de Visconti
On a vu que l’oeuvre de Visconti fut divisée en six périodes :
1888-1897 - Formation - naturalisme (Brésil et France) ;
1898-1908 - Influence de la peinture de la Renaissance et divisionniste
(France) ;
1909-1912 - Transition du divisionnisme au réalisme (Brésil) ;
1913-1919 - Période impressionniste du Foyer du municipal et des paysages
de St. Hubert (France) ;
1920-1930 - Transition de l’impressionnisme au néo-réalisme (Brésil) ;
1931-1944 - Néo-réalisme avec une recherche accentuée d’atmosphère et
luminosité.110
Les diverses phases de son oeuvre furent ainsi associées aux périodes qu’il a vécu en
France ou au Brésil. Dans le présent travail, on n’analysera pas toutes ces phases et on n’obéira
pas entièrement à cette division. On se restreindra à analyser les changements survenus dans
l’oeuvre de Visconti pendant deux périodes précises : la première correspond aux années
d’études de Visconti à Paris en tant que pensionnaire de l’Escola Nacional de Belas
Artes, c’est-à-dire, la période qui va de 1893 à 1900 ; la seconde correspond au moment de la
réalisation des peintures décoratives destinées au Théâtre municipal de Rio de Janeiro, qui en
réalité se divise en deux petites périodes, la première allant de 1905 à 1907, et la seconde de
1913 à 1916111. Les deux fois, Visconti exécuta ces décorations en France.
On a choisi d’analyser ces deux moments de l’oeuvre de Visconti (la période du
premier séjour à Paris, et la période des décorations) parce qu’ils nous permettent de
110
- COSTA, Lygia Martins. “ Biografia de Elyseu d’Angelo Visconti ”. In : Exposição Retrospectiva de Elyseu d’Angelo Visconti. Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro,
1949, (p. 18).
“ 1888 - 1897 - Formação - naturalismo (Brasil e França)
1898 - 1908 - Influência renascentista e divisionista (França)
1909 - 1912 - Transição do divisionismo ao realismo (Brasil)
1913 - 1919 - Período impressionista do Foyer do Municipal e das paisagens de St.
Hubert (França)
1920 - 1930 - Transição do impressionismo ao néo-realismo (Brasil)
1931 - 1944 - Néo-realismo com acentuada procura de atmosfera e luminosidade. ”
111
- Dans le chapitre 6.2, où nous allons étudier les peintures décoratives du Théâtre
Municipal de Rio de Janeiro, on abordera aussi l’actuelle frise sur le proscenium réalisée par
Visconti de 1934 à 1936. En 1934, les travaux de rénovation et d’agrandissement de la salle
de spectacles du théâtre obligèrent Visconti à peindre une nouvelle frise en remplacement de
la première qui avait été faite en 1907. Pour cette décoration, Visconti adopta le même style
des décorations antérieures. Ainsi, du point de vue stylistique, ce travail des années trente se
situe dans la période du début du siècle.
207
comprendre comment ce peintre brésilien s’est approprié et a transformé des éléments de l’art
français qu’il côtoya pendant ses séjours à Paris.
6.1 - Les oeuvres de la première période parisienne (de 1893 à 1900)
Le monde entier doit être conçu à l’image de l’homme.
Le monde a une âme comme l’homme.
Le tableau doit avoir une âme. Tout doit se lier comme
forme, comme ligne, comme couleur et ambiance.
[E.VISCONTI. Note dans un cahier sans date, écrite
probablement vers 1901112].
Parmi les premiers tableaux et dessins que Visconti réalisa à Paris on retrouve les
oeuvres dont il s’est acquitté comme de simples obligations de pensionnaire113. Ce sont des
études de nu qu’il a dessinées ou peintes dans l’Académie Julian. Aujourd’hui, sept d’entre ces
travaux font partie des collections du Museu Dom João VI, musée attaché à l’Ecole des beauxarts de Rio de Janeiro. Quelques autres se trouvent au Museu Nacional de Belas Artes. On a
choisi quatre de ces envois de pensionnaire pour illustrer l’évolution de l’oeuvre du peintre.
L’enfant, académie masculine dessinée en 1893 (fig.1)114, Nu féminin, académie peinte en 1894
(fig.2), Nu masculin peint vers 1895 (fig.3) et Nu masculin vu de dos, académie peinte en 1895
(fig.4), sont tous des travaux d’étudiant, mais présentent déjà quelques traits caractéristiques
de l’oeuvre postérieure de Visconti. On remarque dans ces premières études sa recherche
d’une luminosité délicate et douce. Plus d’une fois (figures 1, 2 et 4) Visconti choisit un
cadrage en contre-jour. En laissant quelques zones dans l’ombre, il arrive à créer une
112
- Manuscrits d’Eliseu Visconti conservés par son fils Tobias Visconti. (Boîte n.3).
- Conformément à ce que l’on a vu dans le chapitre “ 2.2 - Les obligations des
pensionnaires ”, à partir de 1892, les pensionnaires peintres devaient envoyer les travaux
suivants :
1e année : huit études de modèle vivant peintes ou dessinées.
2e année : huit études de modèle vivant peintes.
3e année : une copie d’un tableau désigné par le Conseil des Professeurs de l’Ecole
et une esquisse pour l’exécution d’un tableau d’au moins trois figures
accompagnée du respectif devis des dépenses destinées aux matériaux pour sa
réalisation .
4e et 5e années - Exécution du tableau qui sera acheté par l’Ecole si le Conseil des
Professeurs l’aura jugé digne de l’être.
114
- L’abréviation (fig.1) indique qu’une illustration de l’oeuvre en question se trouve dans le
Volume des Illustrations. De même pour les prochaines ‘figures’. Les illustrations des
oeuvres de Visconti seront toujours indiquées par l’abréviation ‘fig.’ (figure), tandis que les
reproductions des oeuvres des autres artistes brésiliens ont été indiquées par l’abréviation
‘ill.’ (illustration).
113
208
atmosphère particulière. Dans les académies peintes (figures 2, 3 et 4), la couleur vient
s’ajouter au jeu du clair-obscur pour envelopper la figure et noyer les contours dans le fond.
L’image du modèle se trouve ainsi liée à l’ensemble de la composition.
Quelques notes écrites par Visconti en 1904, vraisemblablement à l’Académie Julian,
nous éclairent à propos de ses intentions et préoccupations lors qu’il réalisait des études de
modèle vivant :
6 agosto 1904
[...] Julian
Proportion d’abord. Avant tout, suivre les contours tantôt se fondent
tantôt se firment [sic]
caractère c'est le trait qui domine
Eviter monotonie
Varier le métier dans le tableau. 115
En regardant les études citées (fig. 2, 3 et 4), on voit que Visconti s’appliqua à suivre
ces conseils. Les contours des figures tantôt se précisent, tantôt s’estompent. Aussi, on
observe qu’il ébaucha en arrière-plan l’ambiance de l’atelier parsemé de chevalets et tabourets.
On aperçoit des tableaux accrochés aux murs, des silhouettes d’artistes au travail, d’autres
modèles qui posent plus loin. Visconti utilise l’arrière-plan de façon à créer l’atmosphère du
lieu, mais aussi pour éviter la monotonie dans la composition.
De ces quatre études, celles qui nous paraissent les plus réussies sont les deux
dernières (figures 3 et 4). Il est intéressant d’observer le procédé employé par le peintre pour
donner du relief au modèle dans ces deux études de nu masculin. Dans la première étude, le
modèle est éclairé et l’arrière-plan est dans l’obscurité. Dans la seconde, Visconti prend le parti
contraire : le modèle est en contre-jour, et l’atelier est très clair. Mais dans les deux cas, les
objets du fond
115
- Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti. (Boîte n.1). Cet extrait
était écrit originalement en français. Les mots ‘proportion’, ‘contours’, ‘caractère’ et
‘monotonie’ furent soulignés par Visconti lui-même. Là où les mots étaient illisibles on les a
remplacés par le signe [...].
209
sont moins nets que la figure. Pourtant, si les contours du modèle sont plus définis
que ceux des objets qui l’entourent, et si le contraste entre la lumière et l’ombre contribue à le
détacher du fond, la figure reste aussi bien liée à l’ensemble. De temps en temps les contours
s’effacent. De plus, les couleurs du fond apparaissent aussi dans la figure. Par ce procédé,
Visconti arrive à lier tous les éléments du tableau.
La recherche d’atmosphère et la délicatesse que l’on aperçoit dans ces académies
censées être de simples études, des moyens d’évaluation du travail du pensionnaire en Europe,
on les retrouve approfondies dans ses nus de composition plus complexe, peints dans son
atelier personnel, et dont quelques-uns furent exposés aux Salons de Paris. Petite fille à
l’éventail, de 1893 (fig.5), En Eté (fig.7), exposé au Salon de 1894 de la Société des artistes
français au Palais des Champs-Elysées, et Rêve mystique (fig.9), exposé au Salon de 1897 au
Champ-de-Mars, en sont des exemples très significatifs. Le sujet de ces trois tableaux, le nu, ne
pouvant être plus banal, Visconti réussit cependant à y mettre quelque chose d’original et de
propre à lui.
La première caractéristique qui touche le spectateur à la vue de ces tableaux est la
qualité du coloris. Dans chacune de ces oeuvres le peintre met en valeur les moindres nuances
de couleur et un jeu subtil fait vibrer toute la toile.
L’autre trait toujours présent dans ces nus peints par Visconti est le naturel de la
pose. Les modèles sont surpris dans leur spontanéité, comme si personne ne les regardait.
Allongés, ils semblent se laisser envahir par une douce torpeur. Dans les trois tableaux cités, Petite fille à l’éventail, En été et Rêve mystique, (figures 5, 7 et 9) - on a l’impression que le
peintre a saisi les modèles dans leur attitude naturelle et les a peints à l’improviste. Bien sûr,
l’effet recherché par l’artiste est exactement cela. Si l’on étudie la composition des trois toiles,
on y trouve une construction réfléchie, faite de symétries et correspondances de formes.
Dans la Petite fille à l’éventail (fig.5), Visconti a peint une fillette nue, couchée sur
un lit couvert de draps blancs. La petite tient un éventail bleu et rose clairs à la main droite
posée sur les draps. Son corps est détendu, son attitude est tranquille, ses yeux à demi ouverts
regardent au loin. Le tout est d’une grande simplicité, et pourtant il y a quelque chose de
troublant dans cette enfant. En même temps que son petit corps est là, présent, on a
210
l’impression qu’elle nous échappe. En se laissant aller à ses propres rêveries, elle possède
quelque chose à quoi on ne pourra jamais accéder, un certain mystère, une âme.
Quant à la composition, ce tableau cache aussi des secrets. Au premier abord, on
observe que la pose du modèle n’est ni jolie ni gracieuse et en cela Visconti déconcerte le
spectateur habitué aux poses académiques étudiées pour mettre en valeur les belles formes du
corps humain. On a l’impression que la jambe pliée est disproportionnée, trop petite par
rapport au tronc. Et cependant, cette jambe ‘trop petite’ compose parfaitement l’ensemble. La
figure tout entière s’insère dans une ligne spiralée que l’on ne perçoit pas tout de suite. La
ligne formée par le pli entre le visage et le cou de la fillette est le début de cette spirale. On
continue à tracer la courbe en contournant la masse des cheveux foncés à la fin desquels on
retrouve l’épaule gauche, de là on suit la ligne horizontale qui représente la limite entre le
corps allongé et les draps, on remonte par le bras droit qui nous amène à l’éventail, encore une
fois le regard retourne vers le bas et l’on suit la ligne du bras gauche pour ensuite remonter en
prenant la direction de la jambe (fig. 6). Ce mouvement en spirale peut se répéter indéfiniment
et crée l’atmosphère quelque peu envoûtante de ce tableau réalisé pendant la première année
du séjour de Visconti à Paris.
La toile En été (fig. 7) date de l’année suivante. On y voit deux jeunes filles nues
allongées sur un même lit (le même d’ailleurs qui apparaît dans Petite fille à l’éventail). L’une
des deux filles dort, l’autre vient de se réveiller et nous regarde, encore étourdie par le
sommeil.
Une fois de plus, la pose des figures n’obéit pas aux canons habituels dans ce genre
de peinture. Les jeunes, couchées sur leur ventre, sont présentées sous une perspective très
accentuée. Au premier plan, on voit leurs têtes ; au fond, leurs pieds. De la fille endormie, on
ne voit que le visage et l’un des bras qui tombe par-dessus le dossier du lit. La seconde figure
est représentée en un raccourci imposé par la vue en perspective. La nudité des deux filles se
trouve presque entièrement cachée, protégée derrière le traversin et les barres métalliques du
premier plan. De l’expression de leurs visages émane une fragilité et une innocence touchantes.
La scène, d’une candeur et d’une pureté enfantines, exhale en même temps une
sensualité inattendue créée par la rencontre du regard de la fille qui se réveille avec celui du
211
spectateur. On a l’impression d’avoir franchi un seuil interdit et envahi leur intimité, comme si,
en ouvrant une porte au hasard, on avait surpris cette scène qui ne nous était pas destinée.
Après ces premières impressions concernant le sujet du tableau, on observe que le
traitement donné à son exécution est d’une sensibilité exquise. Les couleurs, un peu plus
sombres que celles du tableau précédent, sont toujours travaillées avec beaucoup de finesse et
Visconti y déploie une infinité de nuances. Les moindres détails sont réalisés avec douceur. Les
barres métalliques du dossier du lit, qui auraient pu durcir la composition à cause de leur
géométrie rigide et du contraste très fort du noir du fer sur le blanc des draps, ont été
nuancées. Le blanc se mélange parfois au noir, et le résultat en est que les lignes des barres
sont interrompues par endroits, ce qui leur procure une légèreté voulue.
Ce traitement délicat des couleurs est la qualité la plus évidente et immédiatement
perçue de la peinture de Visconti. Cependant, comme nous venons de voir dans l’analyse de la
Petite fille à l’éventail - et les mêmes observations s’imposent ici - il est accompagné d’une
composition très recherchée, qui n’est pas immédiatement manifeste. Si l’on divise la surface
du tableau En Eté en quatre rectangles de même taille, c’est-à-dire, si l’on trace une ligne
horizontale et une ligne verticale qui se croisent exactement au centre du tableau, on découvre
la construction géométrique des figures dans l’espace. La tête de la fille qui nous regarde se
trouve au centre du tableau, ou, plus exactement, son menton s’appuie sur la ligne horizontale
médiane, et la ligne de son nez, bien que légèrement oblique, coïncide avec la ligne verticale
médiane. Disposer cet élément au centre de la composition aurait pu alourdir l’ensemble, mais
la tête de la seconde fille, à côté, sert de contrepoint. En effet, visuellement les deux têtes
fonctionnent ensemble, car on voit deux fois la même forme. On observe ensuite que les deux
figures s’insèrent dans un losange presque parfait dont les angles sont le coude de la jeune fille
endormie, la main gauche de la jeune fille qui nous regarde, l’extrémité de son pied gauche et
le point le plus haut de sa tête (fig.8). Pour conclure cette analyse de la structure formelle du
tableau, il y a lieu d’observer que les lignes droites et obliques s’harmonisent par contraste
avec les lignes courbes, dans un foisonnement très expressif. Visconti réussit ici à construire un
équilibre fait de mouvements.
Penchons-nous maintenant sur la toile Rêve mystique (fig.9), peinture réalisée en
1897. On y retrouve le thème de la jeune fille nue, à moitié endormie. Celle-ci se repose sur un
canapé, le mouvement des bras levés au-dessus de la tête est symétrique au mouvement des
212
jambes pliées. La tête tombe doucement, les yeux sont fermés et les cheveux libres. La
composition est plus simple que dans les deux toiles analysées antérieurement. Une grande
ligne horizontale établit une base solide sur laquelle la figure est posée. Les lignes obliques des
jambes et de l’ensemble formé par la tête et les bras donnent le rythme à la composition. La
ligne arrondie du dossier du canapé enveloppe le tout. La beauté de cette peinture se trouve
justement dans sa simplicité. Rien n’est affecté ni faux. En même temps, on ressent
l’admiration et la tendresse de Visconti devant son modèle. Les formes féminines sont
spiritualisées par la lumière qu’il étale sur le corps, et la figure humaine y apparaît comme un
merveilleux mystère. Le titre que le peintre a choisi pour son oeuvre - Rêve mystique manifeste son intention de déceler ce qu’il y a de spirituel dans la beauté qu’il admire.
Ces toiles de Visconti, réalisées à Paris et ensuite envoyées à Rio, furent très bien
reçues par la critique lorsqu’elles furent exposées au public brésilien116. Mais il n’est pas sans
intérêt d’examiner comment ces mêmes toiles furent reçues par le milieu académique brésilien.
Une lettre d’Henrique Bernardelli, ancien professeur de peinture de Visconti à l’Escola
Nacional de Belas Artes, tout en étant l’expression d’une opinion personnelle est très
instructive à cet égard. Il lui écrivit en 1898 :
Rio, le 19 octobre 1898
Mon cher Visconti,
(...). J’ai beaucoup de choses à te dire. Mais parlons tout d’abord de tes
nouveaux envois et de l’impression sincère qu’ils m’ont faite. Voilà : ta
palette acquiert de plus en plus de robustesse, elle est harmonieuse dans les
diverses tonalités qui, heureusement, varient toujours. Ainsi, de ce côté tu
ne t’inquiètes pas, tu es peintre par le sentiment de la couleur. Mais tu n’as
pas la même facilité en ce qui concerne la forme, surtout quant au goût dans
le choix de l’attitude (...).
Avant de continuer, je dois dire qu’il me semble lire dans ton esprit les
réflexions que tu fais : qu’est-ce qu’il veut dire quand il parle d’attitudes ?
Non pas, sûrement, des poses académiques ; non, s’il s’agit d’un tableau où
ce qui est en jeu est un sentiment, il ne faut pas se préoccuper des attitudes.
La chose à atteindre est le sentiment. Cependant, lorsqu’on se propose
d’assembler [les couleurs] sans avoir d’autre motif que les belles formes, il
116
- Les articles de journaux de l’époque sont très élogieux vis-à-vis de Visconti.
213
faut rehausser ces formes, car le sujet n’est qu’un prétexte pour peindre un
modèle. Le talent dans ce cas se trouve dans le fait de savoir donner à son
modèle la meilleure position pour que ses formes soient mises en valeur. Or,
dans les quatre femmes que successivement tu nous as envoyées on trouve
toujours un beau coloris (...). Je ne dirai rien de la première car, en tant
qu’étude, c’est un beau torse vu de dos, sans les jambes. Quant aux trois
autres, je vais parler de la meilleure qui, à mon avis, est celle que tu as
envoyée l’année dernière ou avant-dernière, me semble-t-il [fig. 10]. Il y a
en elle des parties extrêmement bien étudiées, une intonation très douce, et
même belle. La tête est très jolie, mais (...) celle-ci, comme les autres,
n’allonge pas les jambes de peur qu’elles ne tiennent pas dans le tableau.
Quant aux deux dernières femmes, tu as tellement plié les jambes à l’une
d’entre elles, qu’elle semble avoir été amputée. Je te le redis : dans une
autre occasion où il ne s’agirait pas de peindre un beau nu, il n’y aurait
pas lieu de critiquer, le coloris est toujours neuf de tonalité et beau. En ce
qui concerne la dernière femme [fig.9, Rêve mystique], non seulement elle
ne tiendrait pas dans la toile si ses jambes étaient allongées, mais il a fallu
aussi plier la tête, que tu as voulu tellement pliée (j’imagine les affres du
pauvre modèle) qu’elle semble ne pas bien s'articuler. Si j’étais critique
d'art, je te poserais une question humoristique : pourquoi fais-tu dormir tes
modèles dans des positions si malaisées ? Va pour la dernière, qui a la
chance de dormir sur un canapé [fig.9], mais l’autre a laissé le lit au fond
du tableau pour venir s'endormir par terre [fig.10]. Ne te fâche pas avec
mes plaisanteries, heureusement que maintenant je peux te dire ce que je
pense sans que ce soit à titre officiel. (...). 117
117
- Lettre d’Henrique Bernardelli adressée à Visconti, conservée par Tobias Visconti.
“ Rio, 19 outubro 1898
Estimado Visconti,
(...). Não são poucas as coisas que desejo falar-te. Em primeiro lugar porém, vamos falar dos
teus novos envios e a impressão sincera que eles atuaram em mim. Então lá vai : a tua palheta tem adquirido mais robustez, é harmoniosa nas diversas entonações que felizmente sempre
variam, não é pois o que mais te preocupa nos teus quadros, és um pintor pelo sentimento da
cor, não és tão fácil na forma, sobretudo no gosto da atitude, e (...). Tudo isto é apenas
questão de gosto e educação, sem que prossiga, já me parece ler em teu espírito as reflexões
que vais formando por estas minhas observações : que entenderá ele por atitudes ? Não por
certo poses acadêmicas ; não, tratando-se de um quadro em que esteja em jogo um sentimento, não é mister preocupar-se com atitudes. A coisa a alcançar é o sentimento. Porém, quando nos propomos juntar sem motivo outro que belas formas, é preciso salientar com vantagem essas formas, pois o assunto é apenas um pretexto para pintar um modelo. O talento
pois neste caso está em saber dar ao seu modelo a melhor posição que as suas formas tenham vantagem. Ora, nas tuas quatro mulheres que sucessivamente fostes mandando, são todos de belo colorido e, bem ambientadas. A primeira, como um estudo, nada direi, belo tronco de costas sem pernas. Das outras três tomo a melhor que é ao meu ver a que mandastes o
ano atrasado ou passado me parece [fig.10]. Tem pedaços extremamente bem estudados,
uma entonação muito suave, bela mesmo, a cabeça muito bonita, mas (...) essa como as outras não estica as pernas com medo que não caibam no quadro. Estas duas últimas, uma lhe
dobrastes talmente as pernas que parece decepá-las. Repito, em outra ocasião que não fosse
para pintar um belo nu não haveria razão de crítica, o colorido é sempre novo de entonação
214
Ces critiques d’Henrique Bernardelli nous aident à comprendre l’originalité des nus
de Visconti. La petite fille à l’éventail, les deux jeunes filles d’En Eté, et même la jeune femme
du Rêve mystique, n'exhibent pas les ‘belles formes’ du corps féminin. Leurs attitudes ne furent
pas choisies en fonction de cette beauté conventionnelle. La beauté qui se dégage des peintures
de Visconti est d’un autre ordre. Le peintre est à la recherche d’une harmonie délicate et
spiritualisée. Et c’est toujours par cette voie que Visconti arrive, plus tard, aux tableaux
allégoriques d’influence préraphaélite. De cette phase, ses peintures les plus représentatives
sont La récompense de saint Sébastien (fig.11), Gioventú (fig.12), Les Oréades (fig.16), et
Pedro Álvares Cabral guidé par la Providence (fig. 17). Les deux premières sont de 1898 et
les deux autres datent de 1899.
La Récompense de saint Sébastien (fig.11) nous montre le saint au moment de son
supplice. Un ange, représenté dans la figure d’une jeune femme ailée, lui apporte l’auréole du
martyre. L'expression du saint est apaisée, il a les yeux fermés et les mains croisées sur la
poitrine. Deux saintes, se trouvant au loin, le regardent. Le paysage d’arrière-plan est stylisé,
on y voit des montagnes et des arbres alignés. La délicate harmonie des couleurs pâles rappelle
le coloris des fresques tardives de Giotto, comme, par exemple, celles de la chapelle Bardi dans
l’église de Santa Croce à Florence (planches 2, 3 et 4) 118. Mais l’influence incontestée est celle
de Botticelli, surtout si l’on songe à La Naissance de Vénus (pl.5). La chevelure ondulée de
l’ange de Visconti répète l’ondulation des cheveux de la Vénus de Botticelli. De même, les
petites fleurs dorées qui ornent le tissu du vêtement de l’ange de Visconti sont évidemment
inspirées des bleuets qui parsèment la robe de la jeune fille qui attend Vénus sur la grève dans
e belo ; a última, esta então não só não caberia na tela se esticasse igualmente as pernas, mas
a cabeça também a qual por quereres tê-la dobrada (e imagino o pobre modelo) parece até
não articular bem ; eu se fosse crítico te faria uma pergunta humorística : porque você coloca
os seus modelos tão sem jeito para dormir ? Esta ainda dorme num sofá, mas a outra deixou
a cama lá no fundo para vir dormir no chão. Não vás dar cavaco com estas minhas graças,
felizmente agora posso te dizer o que me parece sem ser oficialmente. (...) ”
118
- Les planches de référence se trouvent dans le Volume des Illustrations.
215
le tableau de Botticelli. Cependant, la peinture de Visconti, en empruntant ces
éléments aux italiens de la Renaissance, appartient entièrement à son époque ‘fin de siècle’. Le
rapport entre le saint et l’ange, l’image religieuse, est ici l’expression de l’amour passionnel de
l’homme, heureux prisonnier de ses sentiments, qui se livre à la femme aimée, adorée comme
un ange bienfaisant qui soulage toute souffrance.
Quant à la composition, on remarque que Visconti s’efforça de donner du
mouvement à cette toile. Il multiplia les lignes sinueuses dans la figure de l’ange et dans le
dessin du chemin qui remplit l’arrière-plan. Malgré cet effort, la position hiératique du saint
débout prédomine, et l’on est de même avis que le critique qui écrivit en 1901, lors de la
première exposition de Visconti à Rio de Janeiro après son retour d’Europe, que l’impression
de l’ensemble reste froide :
Le ‘saint Sébastien’ est une toile presque monochrome, trop primitive, d’une
certaine façon byzantine dans son paysage qui occupe presque complètement
l’arrière-plan du tableau. La manière formelle dont les arbres furent peints,
la richesse des détails et l’emploi de l’or dans quelques parties, ce sont de
pures caractéristiques des oeuvres des Primitifs. La figure principale est
dessinée avec un sentiment de noblesse de la forme et de dignité de
l’attitude ; il y a du relief. L’oeuvre a du caractère, néanmoins, l’impression
est froide. 119
Visconti obtint un résultat beaucoup plus heureux en Gioventú (fig.12), toile réalisée
cette même année de 1898. Gioventú, qui veut dire ‘jeunesse’ en italien, est le portrait idéalisé
d’une jeune fille à demi nue, une allégorie de la pureté et de la jeunesse. En réalité, le premier
nom que l’artiste donna à ce tableau fut celui de Mélancolie. Il est vrai que cette figure
attendrissante exhale une atmosphère mélancolique. Son regard est méditatif comme si elle
était absorbée par ses propres rêves ou ses pensées. Le doigt qui touche légèrement le menton
intensifie l’aspect méditatif de la figure. Son attitude est tranquille et passive. Le seul effort
qu’elle fait est celui de lever la main droite jusqu’au menton, l’autre main reste tombée dans un
geste indolent. Des colombes blanches l’entourent, symboles de son innocence. L’arrière-plan
119
- “ Notas sobre Arte ”, In : Jornal do Comércio, Rio de Janeiro, le 16 mai 1901.
“ O S. Sebastião é uma tela quase monocromática, demasiado primitiva, de algum
modo bizantina na sua paisagem que ocupa quase todo o fundo do quadro. A maneira
formal como estão pintadas as árvores, a riqueza dos pormenores e o uso de ouro em
certas partes são característicos puros das obras dos Primitivos. A figura principal é desenhada com certa nobreza de forma e dignidade de porte ; tem relevo. A impressão é,
porém, fria, embora haja certo caracter na obra. ”
216
est réalisé à la manière d’un papier peint et représente un bois stylisé. Les couleurs sont, une
fois de plus, pâles, et donnent au tout l’aspect d’une fresque antique.
La simplicité apparente de cette composition est basée sur une série complexe de
figures géométriques qui organisent l’ensemble. Tout d’abord, on remarque que la surface du
tableau est divisée verticalement en deux rectangles de largeurs différentes. La verticale qui
détermine cette division est constituée par le tronc de l’arbre et se prolonge en suivant la ligne
qui limite le corps de la jeune fille. La figure tout entière se situe dans le rectangle le plus
grand. Celui-ci est divisé horizontalement par une ligne unissant les deux épaules de la jeune
fille, ce qui crée un carré parfait dans la partie droite inférieure de la composition. Une seconde
verticale moins marquée est déterminée par l’emplacement des deux mains qui se trouvent sur
la même ligne (fig.13).
Après avoir observé ces premières divisions de l’espace du tableau, on commence à
découvrir une série de triangles qui structurent la figure de la jeune fille. D’abord, on peut
dessiner un grand triangle qui l’entoure presque entièrement. La base de ce triangle se trouve à
la hauteur de sa ceinture, le sommet surmonte son visage et se trouve sur la verticale qui
traverse les deux mains. Une ligne horizontale située à la hauteur des épaules définit la base
d’un second triangle à l’intérieur du premier. À partir de cette base, et en suivant la verticale
mentionnée, on peut dessiner un autre triangle dont les côtés coïncident avec les lignes qui
forment le cou. Un troisième triangle, cette fois-ci renversé, est déterminé par la base des
épaules, et son sommet se situe à la hauteur de la main gauche de la jeune fille (fig.14). On
observe ensuite qu’un autre triangle renversé définit la forme extérieure de son visage (fig.15).
À l’intérieur de ce triangle, on peut dessiner deux autres plus petits qui encadrent l’ensemble
formé par les yeux et la bouche. Le bras gauche plié, qui entoure le jeune sein, répète les
proportions de la forme triangulaire du visage (fig.15).
Toutes ces formes triangulaires qui se répètent font l’effet d’une symphonie
harmonieuse, et l'on peut dire que la structure géométrique de ce tableau est le garant de sa
simplicité, car l’impression qui s'en dégage est celle d'un équilibre où rien n’est superflu et où
tout se trouve à sa place. En même temps, la perfection des formes est telle que l’idéalisation
en est évidente, cette jeune fille n’appartient pas à ce monde, elle est un symbole.
217
Dans Les Oréades (fig.16), Visconti reste dans ce monde idéalisé et symbolique, mais
la composition est plus mouvementée. Ce tableau représente un groupe de sept nymphes, ou
plus exactement six nymphes et un génie, qui dansent au milieu des montagnes et des bois.
Quelques colombes blanches volent à la hauteur de leurs pieds, ce qui contribue à augmenter la
sensation d’ineffable légèreté. Le coloris est harmonieux et la tonalité prédominante est plus
chaude que dans les deux toiles analysées auparavant (figures 11 et 12). Le même critique qui
avait trouvé un peu froide La Récompense de saint Sébastien écrivit, au sujet des Oréades :
Dans la ‘Danse des Oréades’, l’exécution est plus franche ; le coloris plus
chaud ; les figures, même en étant un peu grêles, ont de l’animation, on
reconnaît qu’il y a de la joie et du plaisir physique dans leurs amusements.
La manière dont le peintre a traité ce groupe de nymphes à moitié dénudées
dans une lumière chaude d’automne a quelque chose d’audacieux, et la
combinaison de lignes et de couleurs est belle. L’arrière-plan est un bon
paysage. 120
A ces observations pertinentes il faut ajouter quelques mots sur les arabesques du
peintre. Si l’on compare Les Oréades au saint Sébastien, on remarque tout de suite l’évolution
de son dessin. On n’y trouve plus aucun trait de la rigidité observée dans la première toile. Les
lignes sinueuses évoluent aisément et le mouvement est partout. Les références à Botticelli,
déjà remarquées dans le saint Sébastien, sont toujours présentes dans les Oréades. Cependant,
maintenant, Visconti maîtrise mieux sa peinture et exprime plus franchement les principes qui
l’ont inspiré. Quelques phrases écrites de sa main dans un petit cahier nous font penser à ce
tableau, et manifestent les sources de son inspiration et ses motivations :
Aucun flot n’est exactement le flot d'hier, mais c’est toujours le même fleuve.
Aucune flamme ne reproduit photographiquement les arabesques d’antan,
mais c’est toujours le même foyer. Ruskin est comme un fleuve; il est comme
une flamme; il ne se ressemble jamais, il se renouvelle sans cesse, et il est le
même toujours.
120
- “ Notas sobre Arte ”, In : Jornal do Comércio, Rio de Janeiro, le 16 mai 1901.
“Na Dança da Oréadas, a execução já é mais franca ; o colorido mais quente ; as figuras, se bem que um tanto franzinas, têm animação, reconhece-se que há alegria e prazer
físico nos seus folguedos. O modo como tratou esse bando de ninfas seminuas, a uma
luz quente de outono tem certa audácia, e é bela a combinação de linhas e de cores. O
fundo é uma boa paisagem. ”
218
Les pensées viennent toujours de la même source - qui est très haute121.
Il est clair que la réminiscence de Botticelli dans la peinture de Visconti vient de
l’influence préraphaélite. Cette même année de 1899, il peint la toile Pedro Álvares Cabral
guidé par la Providence122 (fig.17), un tableau très représentatif de cette phase de sa
production. Le traitement donné par le peintre à ce sujet historique transforma le tableau en
une composition symboliste, de forte influence Art Nouveau. Visconti représente la
Providence sous la forme d’une figure féminine éthérée placée au-dessus du navigateur
portugais. Cette position n’est pas sans rappeler l’ange qui récompense saint Sébastien
(fig.11). Aussi, cette figure de la Providence est-elle tirée du tableau Les Oréades (fig.16),
c’est la quatrième nymphe, celle aux longs cheveux blonds, recouverte d’un voile rose. Les
arabesques de la composition des Oréades se trouvent aussi dans ce nouveau tableau, et les
couleurs sont toujours chaudes et harmonieuses.
Au bout de ces observations, il n’est pas difficile de mettre en évidence les
caractéristiques communes aux quatre peintures (figures 11, 12, 16 et 17). Tout d’abord, les
sujets sont d’inspiration symbolique (littéraire, mythologique, religieuse ou historique). En
second lieu, pour représenter ces sujets, Visconti n’employa pas un style naturaliste ou réaliste.
Ses figures sont idéalisées et intégrées dans un ensemble symbolique ou allégorique. Une autre
caractéristique à signaler concerne la verticalité des compositions, ce qui s’accorde à la
spiritualisation des sujets. Aussi, faut-il remarquer l’élaboration des arrière-plans qui sont très
ornementés, parfois de façon à rappeler les motifs décoratifs appliqués par Visconti aux objets
utilitaires123.
121
- Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, (boîte n.3). Cet extrait a
été écrit originellement en français.
122
- Pedro Álvares Cabral (Belmonte, v. 1460 - près de Santarém, 1526) - Navigateur
portugais qui a découvert le Brésil en 1500.
123
- À ce propos, Irma Arestizabal fit une remarque pertinente sur la ligne sinueuse observée
au fond de La récompense de saint Sébastien, en signalant que Visconti employa cette même
ligne en arrière-plan sur une affiche publicitaire (fig.18), aussi bien que dans le dessin
décoratif du vase L’Amour (fig. 19).
ARESTIZABAL, Irma. Eliseu Visconti e a Arte Decorativa. Rio de Janeiro, PUC/FUNARTE,
1982, (p.39).
“ Freqüentemente uma linha serpenteia no fundo da composição, como num dos cartazes da
Antártica (...) [e na] cerâmica O Amor (...). Esta solução (...) também era aplicada felizmente
na pintura, como na paisagem pré-rafaelita do lado esquerdo do Martírio de São Sebastião. ”
219
Dans les oeuvres de cette phase, Visconti s’approche à la fois du symbolisme et de
l’Art Nouveau, deux mouvements qui marquèrent l’art en Europe à la fin du XIXe siècle. Il est
évident que Visconti s’est imprégné des principes de ces mouvements au contact de
l’enseignement d’Eugène Grasset (1845 - 1917), son professeur à l’Ecole Guérin à Paris.
Murray-Robertson, dans son livre sur Grasset, nous montre bien sa dette envers les
préraphaélites et William Morris124. Visconti, dans les oeuvres de cette phase, a une dette
envers Eugène Grasset, et par surcroît, envers les Préraphaélites.
Il est intéressant de relire les commentaires faits par Camille Lemonnier en 1900 sur
l’oeuvre de Grasset :
Il tire des réservoirs de sa pensée le flot inépuisable des images.(...). Grasset
trouva l’arabesque infinie et, comme par un sortilège, y fit entrer des âmes
multiples (...). Il en varia les orbes, il en proliféra le caprice, il la dressa
comme une haute lambrusque (...). La nature se communique à lui par des
pénétrations profondes; il est le plus savant et le plus courtois des linéistes.
(...). Mais il ne copie pas; il interprète avec une liberté admirable; les
formes, pour lui, sont l'apparence du réel, plus que le réel même; il en
exprime les significations latentes et le mystérieux symbolisme. (...). 125
Ces commentaires auraient pu s’appliquer aux Oréades de Visconti, car on y
reconnaît le même esprit. Et si l’on compare l’une des oeuvres d’art décoratif de ce dernier,
par exemple un dessin préparatoire pour un vitrail, La Musique (fig. 20), à un travail de
Grasset (pl. 6), l’influence du maître sur l’oeuvre du disciple apparaît de façon plus évidente.
Cependant, si l’on trouve chez Visconti l'influence de ce précurseur de l’Art Nouveau, cela est
dû à la résonance que les enseignements de Grasset éveillaient en lui. Il ne s’agit pas de copie,
mais de recherche.
Dans ce sens, et avec une argumentation très appropriée, le critique qui tenait la
rubrique Notes sur l’Art du Jornal do Comércio, analysa les oeuvres apportées d’Europe par
Visconti et exposées le mois de mai 1901 à Rio de Janeiro. Cette exposition, qui eut lieu à
l’Escola Nacional de Belas Artes, marquait la fin de la période d’études de Visconti à Paris et
rassemblait les oeuvres de l’ex-pensionnaire. Voici, pour clore ce chapitre, quelques extraits de
l’article du critique anonyme :
124
- MURRAY-ROBERTSON. Grasset: pionnier de l’art nouveau. Editions 24 heures,
Lausanne, 1981.
125
- LEMONNIER, Camille. “ Eugène Grasset ”. In : Eugène Grasset et son oeuvre. Paris, La
Plume, 1900. Numéro spécial, n. 261, (p. 19).
220
Vraiment, la quantité et la diversité des travaux exposés indiquent aussitôt
qu’il s’agit d’un travailleur infatigable, d’un esprit dévoué aux études et
plein de discernement, d’un artiste amoureux de l’art qu’il embrassa et dont
les secrets il s’efforça de découvrir ; et un examen plus long et plus attentif
des oeuvres accumulées apporte la conviction de l’efficacité de ses efforts
pendant les années vécues dans le Vieux Monde, qui n’ont pas été stériles,
bien au contraire, ils furent extrêmement fructueux.
Les travaux exposés représentent les diverses phases de l’évolution de
l’artiste, depuis les croquis au crayon et les esquisses rapides en couleurs,
des registres rapides d’impressions d’un moment, jusqu’aux tableaux de
peinture de figure et aux grandes toiles idéalistes, depuis les ébauches de
paysage et de motifs architecturaux jusqu’aux dessins dans les plusieurs
branches de l’art ornemental ; et tous ces travaux révèlent de façon
exubérante l’application du jeune pensionnaire de l’Ecole et son esprit avide
de connaissances ; aussi trahissent-ils l’action d’influences nombreuses et
diversifiées et indiquent-ils le travail de sélection graduelle en quête du
moyen le plus adéquat à l’expansion individuelle de son talent. Et malgré le
résultat présenté, on ne peut pas dire dès maintenant qu’il a déjà acquis une
manière, un style dont les motifs et l’exécution affirment une individualité
marquée. On observe qu’il a touché à tout, et essaya de tout étudier, amené
par son esprit de curiosité, très naturel chez un jeune homme désirant
connaître tous les éléments de son art, mais qui n’est pas encore sûr et
décidé sur la direction définitive à suivre, malgré les prédilections récentes
pour l’école d’art décoratif moderne. 126
126
- “ Notas sobre Arte ”, In : Jornal do Comércio, Rio de Janeiro, le 16 mai 1901.
“ Realmente, a quantidade e a diversidade dos trabalhos ali expostos indicam logo que
se trata de um trabalhador infatigável, de um espírito estudioso e descriminador (sic),
de um artista apaixonado da arte que abraçou e cujos segredos forcejou por descobrir ;
e um exame mais demorado e mais atento das obras ali acumuladas traz a convicção de
que não foram estéreis, antes extremamente producentes, os seus esforços durante os
anos que passou no Velho Mundo.
Os trabalhos expostos representam as várias fases de estudo do artista, desde os debuxos a lápis e rápidos bosquejos a tintas, rápidos registros de impressões de momento,
até os quadros de pintura de figura e às grandes telas idealistas, dos esboços de paisagens e de motivos de arquitetura aos desenhos sobre diversos ramos da arte ornamental ; e todos revelam exuberantemente a aplicação do jovem pensionista da Escola e o
seu espírito de indagação ; traem mais a ação de numerosas e variadas influências e indicam o trabalho de seleção gradual do meio mais apropriado à expansão individual do
seu talento. E apesar do resultado apresentado, não se pode ainda dizer que ele tenha já
conseguido uma maneira, um estilo que pela concepção dos seus motivos e pela sua
execução afirme uma individualidade marcada. Vê-se que ele tocou em tudo e tudo tentou estudar, levado pelo espírito de curiosidade, muito natural em um moço desejoso
de conhecer os elementos de sua arte, mas que está ainda incerto e indeciso sobre a direção definitiva a seguir, apesar das predileções recentes pela escola de arte decorativa
moderna. ”
221
En soulignant l’esprit inquiet de Visconti, jeune artiste travaillant avidement à la
recherche de sa propre expression artistique, le journaliste pressentait que cette quête n’était
pas encore achevée. Avec beaucoup de justesse, il développa ensuite des considérations sur la
nouvelle école idéaliste adoptée par Visconti :
Examinons maintenant ses tableaux les plus modernes : Le ‘saint Sébastien’,
exposé dans le Salon de 1898 ; la ‘Gioventú’ [fig.12], exposé dans le Salon
de 1899 et présenté dans l’Exposition universelle de Paris l’année dernière
où il remporta une médaille d’argent ; le tableau ‘Danse des Oréades’
[fig.16], lui aussi présenté dans l’Exposition universelle et primé également
d’une médaille d’argent, et le tableau ‘Pedro Álvares Cabral guidé par la
Providence’ [fig.17] exposé pour la première fois maintenant.
Dans ces toiles, on voit que M. Visconti s’est affilié à la nouvelle école
idéaliste ou néo-romantique qui eut son origine en Angleterre, dont le
représentant le plus éminent fut Burne-Jones, et dont l’influence se fit sentir
de façon extraordinaire en Europe, entraînant l’apparition de plusieurs
artistes admirables et délicats qui cherchent à traduire en peinture cet état
de mysticisme, d’idéalisme, de spiritualité et de renaissance religieuse que
l’on peut observer dans les esprits, et qui se fait sentir de façon
remarquable dans la littérature contemporaine. Cette tendance est née
comme une conséquence du mouvement préraphaélite qui, il y a déjà une
cinquantaine d’années, révolutionna l’art anglais, influença jusqu’à l’art
décoratif ou ornemental et fit apparaître les grands réformateurs de l’art
décoratif William Morris et Walter Crane. En France surgit le grand Puvis
de Chavannes, maintenant imité, ou plutôt suivi, par un grand cortège de
prosélytes parmi les nouveaux artistes. La même forte influence se fait sentir
en Allemagne et en Belgique.
Cette école est née en réaction aux tendances réalistes trop accentuées
pendant les ultimes années du siècle dernier, et est venue pour donner une
expression aux inclinations antiréalistes de la vie intérieure, de la même
façon que le naturalisme était l’expression de la vie extérieure. Les artistes
se sont tournés vers les primitifs, ils sont allés chercher dans l’archaïsme
fondamental des Quattrocentistes et dans leurs émotions spiritualisées les
modèles pour l’expression de leurs commotions. Ce sont les toiles de Carlo
Crivelli,
222
de Botticelli, de Pollaiuolo qui les ont influencés. Aussi ont-ils subit
l’influence des conceptions et des formes asiatiques, conséquence naturelle
de la révélation de l’art japonais en Europe au long de la décennie de 1860.
Aujourd’hui, comme hier, les sujets qui inspirent les grands panneaux
décoratifs sont les suivants : la religion, la mythologie, l’allégorie. Le seul
but de l’art décoratif moderne est de produire des émotions sereines,
mélancoliques ou mystiques, et puisque selon les artistes c’est cela la façon
de sentir propre à l’époque moderne, ils affirment que leur tentative vise à
exprimer l’émotion moderne. Mais la vérité c’est que l’art moderne, s’il doit
vivre et perdurer, n’est pas obligé à se restreindre uniquement à la copie
plus ou moins servile, plus ou moins habile, des oeuvres des autres
époques ; mais, en profitant des éléments que ces époques ont laissés,
aujourd’hui, alors que la technique est devenue plus parfaite et plus franche
et que l’on jouit d’une plus grande liberté de sentiments et d’idées, il faut
que dans les oeuvres des artistes modernes on éprouve une vibration
nouvelle et qu’un sang nouveau et moderne y coule, et que chaque artiste
s’efforce d’y laisser la marque de sa personnalité. Cela, Burne-Jones et
Puvis de Chavannes l’ont fait, et voilà le but de tous les grands artistes
modernes.(...). 127
127
- “ Notas sobre Arte ”, In : Jornal do Comércio, Rio de Janeiro, le 16 mai 1901.
“ Tratemos agora dos seus quadros mais modernos : o S. Sebastião, que figurou no Salon de 1898 ; a Gioventú, que figurou no Salon de 1899 e esteve na Exposição Universal de Paris o ano passado, onde conquistou uma medalha de prata ; o quadro Dança
das Oréadas, que também esteve na Exposição Universal e obteve igualmente uma medalha de prata, e o quadro Pedro Álvares Cabral guiado pela Providência, exposto
pela primeira vez.
Nessas telas, vê-se que o Sr. Eliseu Visconti se filiou à nova escola idealista ou neo-romântica, que teve sua origem na Inglaterra, da qual foi o vulto mais eminente o grande
Burne-Jones, e cuja influência se fez sentir tão extraordinariamente na Europa, dando
ensejo ao aparecimento de tantos artistas admiráveis e delicados, que procuram paralelamente traduzir na pintura esse estado de misticismo, de idealismo, de espiritualismo,
de renascimento religioso que se observa nos espíritos e que tão salientemente se tem
feito sentir na literatura contemporânea. Esta corrente nasceu como uma conseqüência
do movimento pré-rafaelita , que há uns cinqüenta e tantos anos revolucionou a arte inglesa, e se fez sentir até na arte propriamente decorativa ou ornamental, e do qual saíram os grandes reformadores da arte decorativa William Morris e Walter Crane. Em
França surgiu o grande vulto de Puvis de Chavannes, que tem sido imitado, ou antes,
que tem encontrado um grande séquito de prosélitos entre os novos artistas. E a mesma
influência está se fazendo sentir fortemente na Alemanha e na Bélgica.
Essa escola nasceu como uma reação às tendências realistas demasiado acentuadas dos
últimos anos do século passado, e veio para dar expressão às inclinações anti-realistas
da vida interna, como o Naturalismo o era da vida externa. E voltaram-se para os Primitivos, foram procurar no arcaísmo angular dos Quatrocentistas e nas suas emoções
espiritualizadas os modelos para a expressão das suas comoções. Foram as telas de
Carlo Crivelli, de Botticelli, de Pollaiuolo, que os influenciaram. Também sofreram a
influência de concepções e formas asiáticas, conseqüência natural da revelação da arte
japonesa na Europa na década que começou em 1860.
223
On remarque dans les affirmations du journaliste contemporain de Visconti la
valorisation du langage personnel de chaque artiste et l’attente d’une élaboration d’expressions
nouvelles dans les oeuvres contemporaines. Il indique par là le chemin à suivre, et dénonce le
péril d’adopter, sans réflexion, les principes d’une école.
Un deuxième article de journal de l’époque est aussi très intéressant, car en même
temps qu’il nous présente une seconde analyse contemporaine des oeuvres de Visconti, il
atteste la réussite de l’artiste au Brésil, deux années après son retour d’Europe. Il s’agit d’une
coupure de journal conservée par Tobias Visconti, fils du peintre, datant probablement de mars
1903, car l’article concerne l’exposition de Visconti au salon du Banco Constructor à São
Paulo. Le journaliste écrivit :
(...). Dans son exposition, on observe l’éclectisme de ses manières tout au
long de neuf années, période pendant laquelle toutes les toiles exposées ont
été peintes.
Depuis le nu, réalisé selon le style ancien, simplement copié du modèle, sans
idéalisation, jusqu’à la figure mystique de la Foi [fig.11], stylisée et exécutée
dans la gamme de la palette de l’école nouvelle ; depuis les frais paysages,
quelques-uns touchés avec la délicatesse de Ruysdaël, d’autres avec la
robustesse de Turner, jusqu’aux taches vaporeuses où le peintre tient plus à
la poésie de l’effet qu’au dessin ; et finalement ces travaux d’art décoratif
qui dénotent l’enthousiasme d’un tempérament d’artiste qui cherche à donner
à son art l’intention d’une action sociale, ou morale. Enfin, tous les travaux
exposés montrent, à ceux qui sauront les examiner dignement, l’histoire
d’une âme d’artiste riche de sentiment, en quête de son idéal, l’évolution
progressive d’un exquis tempérament artistique. (...).
Sans discuter du mérite de l’école qu’il adopta dernièrement, nous dirons
que Visconti s’est imposé dans notre milieu artistique restreint comme l’une
de ses individualités les plus caractéristiques.
(...). Au lieu de se servir des extravagances qui caractérisent la
préoccupation morbide de faire nouveau, des contorsions angoissées du
Atualmente, como outrora, os assuntos que inspiram os grandes painéis decorativos
são : a religião, a mitologia ou a alegoria. A pintura decorativa moderna só visa a produzir comoções de natureza serena, melancólica ou mística e como, dizem eles, é este o
modo particular de sentir moderno, afirmam que a sua tentativa é para exprimir a comoção moderna. A verdade é, porém, que a arte moderna, se tem de viver e perdurar,
não tem de cingir-se unicamente à cópia mais ou menos servil, mais ou menos hábil, das
obras das outras épocas ; mas, aproveitando-se dos elementos que essas épocas deixaram, agora, que a técnica se tornou mais acabada e mais franca, e que há mais liberdade
de sentir e de pensar, é necessário que nas obras dos artistas modernos se sinta uma vibração nova e correr um sangue novo e moderno, e que cada artista se esforce por deixar marcada a sua personalidade. Foi isto o que fizeram Burne-Jones e Puvis de Chavannes, e é este o objetivo de todos os grandes artistas modernos. (...). ”
224
dessin, de l’exagération et de la furie de l’agitation des figures, de
l’orchestration violente du coloris, Visconti a imprimé dans la presque
totalité de ses travaux cette sérénité, ce calme qui, selon les dires de Ruskin,
est l’attribut de l’espèce la plus élevée des arts. Il a obtenu des effets
merveilleux, en évoquant chez les spectateurs de ses toiles cette impression
qui nous amène à penser plutôt à l’âme de la créature et à sa physionomie
qu’à son corps. (...). 128
On arrive à la fin de l’analyse des oeuvres réalisées lors du premier séjour de Visconti
à Paris. L’étude de sa production nous a permis d’approcher la compréhension de son
tempérament d’artiste et l’évolution de sa peinture. On a vu comment, dès ses premières
études, il
128
- Coupure de journal conservée par Tobias Visconti. Malheureusement, la coupure ne
contenait ni le titre de la publication, ni la date. Cependant on peut situer cet article au mois
de mars de 1903, occasion de l’exposition commentée par le journaliste.
“ (...). Na exposição que ele faz, vê-se o ecletismo de suas maneiras, através de um período de nove anos, que tanto é o espaço de tempo em que foram pintadas todas as telas expostas.
Desde o nu, feito no estilo antigo, copiado simplesmente do modelo, sem idealizações,
até a figura mística da Fé [fig. 11], estilizada e feita com a gama da palheta da escola
nova, desde as paisagens frescas, tocadas umas com delicadezas de Ruysdaël, outras
com a robustez de Turner, até as manchas vaporosas procurando a poesia do efeito de
preferência ao desenho, e por fim, os seus trabalhos de arte decorativa, que denotam o
entusiasmo de um temperamento de artista, procurando dar à sua arte um intuito de
ação social, ou moral, enfim, todos os trabalhos expostos mostram, para quem saiba
dignamente examiná-los, a história de uma alma de artista rica de sentimento, em busca
do seu ideal, o progressivo desenvolvimento de um requintado temperamento artístico.
(...). Sem discutir o mérito da escola por ele adotada ultimamente, diremos que Visconti se firmou no nosso restrito meio artístico como uma das individualidades mais características.
(...). Sem lançar mão das extravagâncias que caracterizam a preocupação mórbida de
fazer novo, das contorções angustiadas do desenho, o exagero e a fúria da movimentação das figuras, a orquestração violenta do colorido, imprimindo, em vez disso, em
quase todos os seus trabalhos, aquela serenidade, aquela calma que, no dizer de Ruskin,
é o atributo da mais alta espécie de artes, ele soube tirar efeitos maravilhosos, evocando em quem contempla as suas telas essa impressão que nos leva a pensar mais na alma
da criatura e na sua fisionomia, do que no seu corpo. (...). ”
225
s’est efforcé de maîtriser le métier, en cherchant en même temps à exprimer ses
sentiments à travers ses oeuvres. Il devient clair que lorsqu’il subit l’influence préraphaélite, ses
emprunts étaient le résultat d'une recherche personnelle, et non pas quelque chose d'artificiel.
Aussi a-t-on vu qu’après son séjour d’études en Europe, de retour au Brésil, il fut
loué par la presse, et jouit de la reconnaissance publique de son travail. Cette reconnaissance a
joué favorablement lorsqu’il fut appelé à décorer le Théâtre municipal de Rio de Janeiro en
1905. On verra que pendant la réalisation de ces décorations, sujet abordé dans le prochain
chapitre, son style subira de nouveaux changements.
226
6.2 - Les peintures décoratives du Théâtre municipal de Rio de Janeiro
Dans son livre sur les artistes brésiliens, Acquarone raconte que, lors d’une visite à
l’atelier de Visconti, situé au centre de Rio de Janeiro, le peintre, qui jouissait alors de la
notoriété issue d’une carrière longue et réussie, avoua tristement “ que le grand public ne
connaissait pas le côté grandiose, vraiment artistique de sa vaste production ”. Ce côté
‘vraiment artistique’, le peintre voulut le lui montrer, et Acquarone relate :
(...) en ouvrant de vieux cartons rangés soigneusement dans des armoires
vitrées, [Visconti] exhiba à nos yeux extasiés, éblouis, de grandes
photographies de ses décorations, réalisées surtout dans le Théâtre municipal
de Rio et dans le palais du Conseil municipal.
(...), il nous a montré ensuite plusieurs esquisses à l’huile, des croquis au
fusain, une infinité d’études, (...), tracés avant l’exécution définitive de ces
travaux. (...).
- L’oeuvre d’un artiste - nous disait Visconti - doit être toujours présentée
avec la reproduction de ce qu’il possède de meilleur : ses compositions ou
ses décorations. Un nu, un paysage ou un portrait ne sont pas suffisants
pour faire connaître le potentiel créateur d’un artiste. 129
On voit que Visconti lui-même considérait ces peintures décoratives comme la partie
la plus importante de son oeuvre. En effet, on sait que les décorations du Théâtre municipal de
Rio de Janeiro lui ont coûté énormément de travail, de temps et d’efforts. Le résultat de son
dévouement fut heureux et les peintures qui décorent l’intérieur du théâtre sont reconnues par
tous les historiens et critiques d’art brésiliens comme une oeuvre majeure.
129
- ACQUARONE, F. Mestres da Pintura no Brasil. Editora Paulo de Azevedo, Rio de Janeiro. (p.p. 184 -185).
“ Subindo, certa vez, os dois andares do seu atelier, na Avenida Mem de Sá, ouvimos a
opinião do mestre a respeito do falso conhecimento dos artistas, por parte do público.
(...). Confessou contristado, que o grande público não conhecia o lado grandioso, verdadeiramente artístico de sua extensa produção. / E desembrulhando velhas pastas
guardadas cuidadosamente em armários envidraçados, exibiu aos nossos olhos extasiados, deslumbrados, grandes fotografias de suas decorações realizadas, principalmente,
no Teatro Municipal do Rio e no palácio do Conselho Municipal. / Percorrendo o atelier, mostrou-nos depois, vários esbocetos a óleo, croquis a carvão, uma infinidade de
estudos, em suma, traçados antes da execução definitiva daqueles trabalhos. (...) - A
obra de um artista - dizia-nos Visconti - deve ser sempre apresentada com a reprodução do que ele tenha de melhor : suas composições ou suas decorações. Um nu, uma
paisagem ou um retrato não são o bastante para dar uma idéia do potencial criador de
um artista. ”
227
Visconti fut appelé trois fois à réaliser des peintures décoratives destinées au Théâtre
municipal de Rio de Janeiro. La première fois en 1905, la deuxième en 1913 et la troisième et
dernière en 1934.
En 1905 le théâtre n’était qu’un projet, et Visconti fut invité à exécuter les
décorations de la salle de spectacles : le rideau d’avant-scène, la frise sur le proscenium, deux
écoinçons qui décorent une partie du plafond, et le plafond proprement dit, en forme d’ovale.
Toutes ces commandes, réalisées à Paris, étaient prêtes en 1907, l’année où Visconti revint à
Rio pour les installer dans leur emplacement définitif 130.
En 1913 Visconti fut appelé à réaliser, cette fois-ci, les peintures décoratives
destinées au foyer du théâtre. Cette décoration se compose de trois parties : un grand motif
central qui décore le plafond et deux autres plus petits qui décorent les murs latéraux du foyer.
De nouveau le peintre exécuta ces commandes à Paris et, en 1915, il revint au Brésil afin de les
installer131.
En 1934 la salle de spectacles du théâtre a été agrandie, et Visconti a dû peindre une
nouvelle frise décorative sur le proscenium. Cette fois-ci il exécuta tout le travail à Rio de
Janeiro et, en 1936, les peintures étaient entièrement marouflées sur les murs du théâtre.
La technique employée par Visconti pour ses peintures décoratives a toujours été le
marouflage. Les peintures exécutées sur toile étaient ensuite marouflées sur les murs auxquels
130
- En avril 1906, Visconti signa le contrat à Rio de Janeiro s’engagent à exécuter toutes ces
oeuvres jusqu’au 31 mai 1907, sauf pour le rideau d’avant-scène qui devrait être prêt le 10
septembre 1907. On sait que ce délai fut à peu près respecté, car le 28 octobre 1907,
Visconti arrivait à Rio pour les installer dans le théâtre.
131
- D’après une lettre du 13 Février 1913 (document n.), où le Directeur général du Théâtre
Municipal de Rio de Janeiro, Francisco de Oliveira Passos, informe Eliseu Visconti des
conditions du contrat d’engagement du peintre pour réaliser les peintures décoratives du
foyer du théâtre, on est renseigné des détails suivants : le 4 janvier 1913, le Préfet de Rio de
Janeiro accepta la proposition du peintre pour exécuter la décoration du plafond, des
tympans et de médaillons sur les portes du foyer ; le délai pour la conclusion de la commande
était de 36 mois à compter du 13 Février 1913, c’est-à-dire que les peintures devraient être
marouflées jusqu’au 13 Février 1916 sur les murs du théâtre.
D’après les cahiers de notes de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, on sait que le
27 septembre 1915, le peintre partait de Paris pour venir installer les oeuvres à Rio. Le
travail de marouflage a été définitivement accompli le 18 Mars 1916. Le 5 Avril de la même
année Visconti retournait à Paris, où l’attendaient sa femme et ses enfants.
228
elles étaient destinées. Cette technique pour ce type de décoration était très répandue en
France à la fin du XIXe et au début du XXe siècle132.
Avant de passer à l’analyse de l’oeuvre, étant donné que ces peintures de Visconti
ont été conçues pour être placées dans un édifice public, le Théâtre municipal de Rio de
Janeiro, il est nécessaire de dire quelques mots sur ce théâtre et la signification qu’il a eu pour
les habitants de Rio à l’époque de sa construction.
132
- “ (...) les peintures sur toile marouflées sur un mur [ont été] de loin la technique la plus
fréquemment utilisée en France au XIXe siècle, (...). ” [VAISSE, Pierre. La troisième
République et les peintres, (p.175).]
229
6.2.1 - Le Théâtre municipal de Rio de Janeiro vu par les contemporains modernité, splendeur et influence française
Dès que j’y suis entré, j’ai vibré vivement surpris. Je voyais
tous les jours le Théâtre municipal de l’extérieur. Je l’ai vu
depuis le début : les maisons vétustes mises à bas, la première
pierre, les premiers piliers, les coupoles qui s’élevaient, les
colonnes qui grandissaient, jusqu’au jour où l’aigle dorée,
dominant l’édifice, déploya largement ses ailes dans un ciel
d’azur. (...). Mais le théâtre vu de l’extérieur, l’impression
produite n’était pas surprenante. Il s’agissait d’un théâtre
riche, il est vrai, capable de rivaliser avec d’autres grands
théâtres dans le monde, mais il ne m’a jamais paru comme un
rival puissant, de cette espèce qui fait peur, que l’on redoute.
(...).
Et lorsque je suis entré, j’ai reçu un choc qui m’a surpris.
Voilà quelque chose de vraiment fulgurant. On était presque
dans la pénombre : les feux étaient éteints. Mais subitement la
maison sembla trembler sous mes yeux, une palpitation, un
éclair, et partout, sereines et scintillantes, des lumières
rayonnaient comme une pluie soudaine. Il faisait plus clair que
le jour. Le grand escalier s’est dénudé tout en marbre vert
veiné, frisé, large, estompé par la lumière tamisée venue de tous
les côtés en faisceaux lumineux fantasques, irisé, brillant dans
son faste de pierre, tel un de ces escaliers fabuleux des palais
de fées.
[V.C. « Theatro Municipal » , In : A Illustração
brazileira, n.4. le 15 juillet 1909]133
En 1905 Visconti, qui se trouvait en France, reçut une lettre datée du 16 juin dans
laquelle Francisco Guimarães lui adressait ces mots :
133
- V.C. “ Theatro Municipal ”, In : A Illustração brazileira, n.4. 15 de julho de 1909.
“ Logo ao entrar vibrei de surpresa. Aqui por fora eu via todos os dias o Theatro Municipal. Vi-o desde o começo : a casaria vetusta posta abaixo, a primeira pedra, os primeiros pilares, as cúpulas que se íam erguendo, as colunas que se íam avolumando, até
que um dia a águia dourada, dominando o edifício, abriu rasgadamente as asas pelo céu
azul. (...). Mas aqui de fora a impressão não era surpreendente. O teatro parecia-me um
teatro rico, é verdade, tomando ares de rival de outros grandes teatros do mundo, mas
nunca me pareceu um rival poderoso, desses que fazem medo, que a gente teme. (...). E
ao entrar tive um choque de surpresa. Aquilo estava deveras fulgurante. Era quase a
meia sombra : o teatro estava apagado. Mas de súbito a casa pareceu-me estremecer
aos meus olhos, uma palpitação, um relâmpago e por toda parte, serena e cintilantemente , luzes irradiavam em chuveiro. Estava mais claro que o dia. A larga escadaria
desnudou-se toda de mármore verde raiado, frisada, ampla, esbatida pela luz que se peneirava por todos os lados em focos bizarros, irisada, brilhando no seu fausto de pedra,
como uma dessas escadas fabulosas dos palácios de fadas. ”
230
Mon cher ami M. Visconti,
Je sais (...), par les journaux, que vous exposez deux beaux portraits au
Salon. Je vous souhaite mille satisfactions.
L’ingénieur Francisco de Oliveira Passos, auteur du projet et constructeur
du Théâtre municipal, m’a chargé de vous écrire pour vous demander votre
aide dans l’exécution de cette oeuvre qu’il désire digne de la belle capitale
que deviendra Rio de Janeiro. Le théâtre est en construction et il grandit à
vue d’oeil, ce sera une merveille. Passos dit à bon droit : l’idée principale
m’appartient, mais je veux que les artistes brésiliens dignes de ce nom
laissent le leur inscrit sur cette oeuvre. Il m’a demandé quels étaient, à mon
avis, les artistes capables de décorer le théâtre. Je lui ai dit, devant
plusieurs personnes connues, et plus tard chez moi : - ‘Je n’en connais que
deux : Visconti en premier lieu, et Henrique Bernardelli en second. - Mais
Visconti n’est pas là. - Tant mieux, il est à Paris, en train de rafraîchir et
de consolider ses idées, bref, en train de vivre. Personne d’autre
n’apportera de meilleurs projets. Vous êtes donc autorisé à écrire à Visconti
en lui disant de venir, et qu’il nous apporte dès maintenant quelques idées,
parce que je vais lui confier des décorations importantes pour le théâtre.’
J’ai déjà communiqué mon initiative à votre frère Ângelo, et aujourd’hui à
notre ami Vieitas qui en est radieux. [Vieitas était le marchand des oeuvres
de Visconti à Rio].
Ma mission est accomplie et j’espère qu’elle sera couronnée de succès, pour
le bien de l’art brésilien dont l’ami est un ornement brillant. (...).
Francisco Guimarães. 134
134
- Lettre conservée par Tobias Visconti.
“ Rio, 16 de Junho de 1905
Meu caro amigo e Sr. Visconti,
Sei por seu irmão que goza de excelente saúde, e, pelos jornais, que tem expostos dois
belos retratos no Salon. Desejo-lhe mil venturas.
O engenheiro Francisco de Oliveira Passos, autor do projeto e construtor do Teatro
Municipal, encarregou-me de escrever-lhe pedindo o seu auxílio na execução dessa
obra que ele deseja que seja digna da bela capital que será o Rio de Janeiro. O teatro
está se fazendo e cresce a olhos vistos, e vai ser um primor. O Passos diz e, com razão : a idéia principal é minha mas quero que os artistas brasileiros dignos desse nome,
liguem os seus nomes à obra. Perguntando-me quais eram na minha opinião os artistas
capazes de decorar o teatro, eu disse em presença de várias pessoas conhecidas, e mais
tarde em minha casa : - Só conheço dois : o Visconti, em primeiro lugar, e o Henrique
Bernardelli em segundo. - Mas o Visconti está longe. - Tanto melhor, está em Paris, refrescando e consolidando as idéias, vivendo enfim. Ninguém como ele trará melhores
projetos. - Pois você está autorizado a escrever ao Visconti dizendo-lhe que venha e
que traga já algumas idéias, porque eu vou incumbi-lo de decorações importantes para
o teatro.
Já comuniquei esta minha iniciativa ao seu irmão Ângelo, e hoje ao nosso amigo Vieitas que ficou contentíssimo.
231
Cette lettre, qui nous éclaire sur la façon dont Visconti fut choisi comme l’un des
peintres invités à décorer le théâtre, nous introduit aussi dans l’atmosphère régnante lors des
transformations que subissait la ville de Rio de Janeiro, à ce moment-là135. La construction du
Théâtre municipal, qui débuta en 1905 et se termina en 1909136, faisait partie d’une série de
grands travaux d’aménagement de la capitale, entamés par le préfet Pereira Passos et qui ont
duré de 1903 à 1906. Ces travaux consistaient en l’ouverture de certaines avenues, la
démolition de quartiers insalubres, l'embellissement et l'assainissement de l’espace urbain.
Toute cette transformation physique de la ville fut accompagnée d’une réglementation
ordonnant les habitudes et les moeurs des citoyens sur la voie publique, ce qui dénote un désir
de moraliser les rapports sociaux137. Pereira Passos, dont le but était de “ civiliser ” Rio de
Janeiro, à l'époque capitale du Brésil, s’inspira des travaux réalisés par Haussmann à Paris, ville
moderne s’il en fut.
Está cumprida a minha missão e espero que será coroado de êxito, para bem da arte
brasileira, da qual é o amigo ornamento brilhante. (...). Adeus. Até breve. Disponha do
(...) admirador e amigo,
Francisco Guimarães
Quitanda, 85. ”
135
- Deux passages de cette lettre sont particulièrement significatifs : tout d’abord celui où
Francisco Guimarães relate sa conversation avec Oliveira Passos. On observe que le fait de
se trouver à Paris apparaît comme un atout pour le peintre. En réponse à l’objection
d’Oliveira Passos qui voyait dans ce fait un problème, Francisco Guimarães affirma : “ tant
mieux, il est à Paris, en train de rafraîchir et de consolider ses idées, bref, en train de vivre ”.
Et il ajouta : “personne d’autre n’apportera de meilleurs projets ”.
Le second passage à être souligné est celui qui exprime le désir d’Oliveira Passos de faire du
théâtre une oeuvre “ digne de la belle capitale que deviendra Rio de Janeiro ”. Ces mots
résument les aspirations qui ont nourrit l’esprit des grands travaux d’aménagement de la
ville.
136
- Arquivo Geral da Cidade do Rio de Janeiro. Códice 50 - 3 - 9 - A
137
- À propos du remodelage de la ville de Rio de Janeiro sous l’administration de Pereira
Passos, voir BENCHIMOL, Jaime Larry. Pereira Passos - Um Haussmann Tropical. As
Transformações Urbanas na Cidade do Rio de Janeiro no Início do Século XX. Rio de
Janeiro, COPPE-UFRJ, 1982.
232
Pour bien comprendre comment les habitants de Rio ont reçu les transformations de
leur ville, il convient de citer un extrait de la presse de l’époque. La revue A Illustração
brazileira publiait, le lendemain de l’inauguration du Théâtre municipal, une photographie du
lieu où fut édifié le théâtre avant sa construction de celui-ci, et à propos de cette image le
journaliste écrivait :
La gravure à côté montre ce qu’était en 1903, il n’y a que six ans, le lieu
où aujourd’hui s’élève à Rio de Janeiro, le somptueux Théâtre municipal.
On observe dans cette photographie l’aspect colonial de ce lieu - le largo da
Mãi do Bispo, la perspective de la rue Treze de Maio, qui était très étroite,
bordée de sordides taudis formant des lignes brisées, avec des murs lépreux
et vacillants, des kiosques et des réverbères démodés.
Dans l’espace de six ans il y eu une mutation complète. Cet endroit qui
rappelait le temps des chaises à porteurs et du vice-roi, s’est transformé en
une perspective d’ultra-civilisation qui ne peut être comparée qu’à Paris.
Aujourd'hui, il doit être difficile pour beaucoup de cariocas de reconnaître
l’aspect vénérable et archaïque de notre photographie. Comment se souvenir
de ce tas de toits à la chinoise, de ces lignes disgracieuses, de la chaux
noircie des murs séculaires, face à l’or resplendissant, aux courbes
grandioses, aux marbres et aux lumières du monumental théâtre.
Le largo da Mãi do Bispo ! Aujourd’hui, il est devenu l’une des places les
plus élégantes qui bordent l’Avenue Maravilha138, le point de rencontre de
toute l’élite de la capitale de la République les nuits de spectacle. Les
maisons vétustes, la ruelle irrégulière, les kiosques, les tuiles couvertes de
moisissure ont disparus dans le passé, et le carioca, habitué en quelques
mois au confort, au luxe, à la beauté de la ville moderne, n’a même plus
dans la rétine la vision de ce que furent ces rues.
La vieille ville est morte. ‘Les morts vont vite’. 139
138
- ‘Maravilha’ signifie merveille. Le peuple surnomma ainsi l’Avenue Central, avenue au
tracé rectiligne ouverte par Pereira Passos et dont le nom actuel est Avenue Rio Branco.
139
- A Illustração Brazileira, n. 4. Rio de Janeiro, le 15 juillet 1909.
“ O Teatro Municipal há 6 anos - A gravura ao lado mostra o que era em 1903, há seis
anos apenas, o local em que hoje se ergue, no Rio de Janeiro, o suntuoso Teatro Municipal.
Vê-se na fotografia o aspecto colonial que tinha então esse ponto - o largo da Mãi do
Bispo, a perspectiva da rua Treze de Maio, que era estreitíssima, ladeada por casebres
sórdidos, formando linhas quebradas, com muros leprosos e vacilantes, quiosques e revérberos antiquados.
Em seis anos houve uma mudança mais completa. Aquele trecho que relembrava o tempo das cadeirinhas e do Vice-Rei, transformou-se em uma perspectiva de ultra-civilização que só pode ser comparada a Paris.
233
On observe que les transformations étaient perçues comme un progrès extrêmement
positif et désiré. Dans l’imagination des contemporains, elles faisaient de Rio une ville
comparable à Paris. Les vieilles maisons coloniales démolies sont dépeintes par le journaliste
comme un exemple du retard dans lequel se trouvait la ville avant les grands travaux. Le
Théâtre municipal était un symbole de la modernité et de la civilisation importées de Paris. On
sait que cette vision ne reflète qu’un point de vue : celui de la bourgeoisie, désireuse d’avoir
une ville digne de l’image projetée par les capitales européennes. La réforme entamée par
Pereira Passos visait aussi l’éloignement des classes défavorisées du centre de la ville. Les
questions de fond n’étaient pas abordées, les problèmes sociaux étant simplement masqués par
les travaux d’aménagement. Mais la vision prédominante était celle de l’élite carioca. Pour
illustrer encore une fois ce point de vue, lisons quelques extraits expressifs du discours du
poète Olavo Bilac, le jour de l’inauguration du théâtre :
Le théâtre est encore aujourd’hui le salon noble de la ville, son forum
social, l’arène élégante où s’engagent les tournois de la mode, de la grâce,
de la conversation et de la courtoisie.
Par conséquent, afin de l’enrichir de charmes, tous les arts s’allient et
s’efforcent. (...) pour le parer, se rassemblent l’ingénierie, l’architecture, la
peinture, la sculpture, l’ébénisterie, la céramique, (...). C’est qu’en lui
habite toute la vie civilisée ; tout ce qu’elle possède de sérieux et d’aimable,
de fort et de tendre, d’éblouissant et de charmant se résume et se condense
dans son intérieur : sur la scène règne la pensée, dans la salle règne la
beauté...
Hoje deve até ser difícil a muitos cariocas reconhecer o aspecto venerável e arcaico de
nossa fotografia, como recordar esse amontoado de telhados à chinesa, essas linhas
desgraciosas, a cal negra dos muros seculares, diante do ouro refulgente das curvas
grandiosas dos mármores e das luzes do monumental teatro.
O largo da Mãi do Bispo ! Hoje é uma das praças mais elegantes que ladeiam a Avenida Maravilha, é o ponto de encontro de toda elite da capital da República, nas noites de
espetáculo. Desapareceram no passado a casaria vetusta, a viela irregular, os quiosques, as telhas cobertas de limo e o carioca acostumado em alguns meses ao conforto,
ao luxo, à beleza da cidade moderna, já nem sequer tem na retina a visão do que foram
aquelas ruas.
A cidade velha morreu. Les morts vont vite. ”
234
Il te manquait ce palais, ville aimée ! Dans ta renaissance splendide, il
manquait cette affirmation de ton génie artistique ! Et moi, je bénis (...) ta
couronne de reine! 140
Dans son langage emphatique, Olavo Bilac parle de la ville de Rio de Janeiro comme
d’une femme aimée, et le Théâtre municipal devient la couronne de cette femme souveraine.
On a voulu citer ces écrits de l’époque dans un effort pour saisir tout ce que le
Théâtre municipal a pu signifier pour les gens qui ont assisté à sa construction et à son
inauguration. Aujourd’hui il fait partie du paysage de Rio, et l’on oublie facilement les enjeux
symboliques qui étaient présents lors de son édification. En relisant ces extraits de textes
contemporains, on situe les peintures décoratives de Visconti dans le contexte de la période de
leur réalisation.
140
- O Jornal. Rio de Janeiro, 14 - 07 - 1949. Discours prononcé par Olavo Bilac le 14 juillet
1909, à l’occasion de l’inauguration du Théâtre Municipal de Rio de Janeiro.
“ (...). O teatro é ainda hoje o salão nobre da cidade, o seu fórum social, a arena elegante em que se travam os torneios da moda, da graça, da conversação e da cortesia.
É por isto que, afim de enriquecê-lo de encantos, todas as artes se aliam e esforçam.
(...) para ataviá-lo congregam-se a engenharia, a arquitetura, a pintura, a escultura, a
marcenaria, a cerâmica, a indumentária. É que dentro dele reside toda a vida civilizada ;
tudo quanto ela tem de sério e de amável, de forte e de meigo, de deslumbrante e de
encantador, se resume e se condensa dentro dele : no palco impera o pensamento, na
sala impera a beleza...
Faltava-te este palácio, cidade amada ! No teu renascimento esplêndido, faltava esta
afirmação do teu gênio artístico !
E eu abençôo (...) tua coroa de rainha ! ”
235
6.2.2 - L’Oeuvre et sa réalisation
La peinture n’a pas d’autre but que la délectation et la
joie des yeux.
POUSSIN
[Notes d’Art - Paris, 24 / 11 / 1916. Epigraphe d’une
coupure de journal conservée par Visconti]
Eliseu Visconti ne fut pas le seul peintre appelé à décorer le Théâtre municipal de Rio
de Janeiro. Cependant, la plus grande partie des commandes lui furent adressées. On a déjà
détaillé la liste des peintures décoratives qu’il exécuta pour ce théâtre. Rappelons-nous en:
De 1906 à 1907 il réalisa le rideau d’avant-scène (fig.21), la frise sur le proscenium,
deux écoinçons qui décorent une partie du plafond et le plafond proprement dit, en forme
d’ovale (fig.22)141.
De 1913 à 1915 il réalisa les trois peintures décoratives destinées au foyer du
théâtre : un grand motif qui décore le plafond (fig.23) et deux autres plus petits qui décorent
les murs latéraux.
Finalement, de 1934 à 1936 il réalisa la nouvelle frise sur le proscenium (fig.26), en
remplacement de la première.
On compte une période de trente ans du début de la première décoration (1906)
jusqu’à l’accomplissement de la dernière (1936). Malgré l’étendue de cet intervalle, on observe
que toutes ces peintures décoratives s’harmonisent, ce qui révèle une volonté délibérée de
Visconti dans ce sens. Cette volonté devient évidente lorsqu’il reprend la décoration du théâtre
en 1934. Dix-neuf années s’étaient écoulées depuis la réalisation de la décoration du foyer, et
des changements de style et de facture s’étaient produits dans sa peinture. Pourtant Visconti,
afin de garder l’harmonie de l’espace décoré, réalisa la nouvelle frise dans le même style des
décorations antérieures.
Cependant, une exception doit être signalée : parmi toutes les peintures exécutées
pour la décoration du théâtre, le rideau d’avant-scène (fig. 21) s’éloigne significativement des
141
- Le plafond est signé et daté de 1908, parce que l'oeuvre ne fut vraiment finie qu’après la
mise en place dans le théâtre à Rio.
236
autres par le style et la conception. Cette oeuvre fut décrite par Visconti de la manière
suivante:
Rideau d'avant-scène : L’influence des arts sur la civilisation - Au milieu
des champs élyséens qu’entoure une balustrade de marbre surmontée de
statues antiques, un Arc de Triomphe se dresse : l’Art, un génie ailé, en
émerge et domine le défilé d’hommes célèbres de tous les temps auquel la
Poésie, au premier plan, préside.
Six sont les étapes de la composition :
Une louve et Minerve, Rome et Athènes, sont aux côtés de l’Arc de
Triomphe, tandis qu’à droite on voit les figures d’Orphée et d’Homère qui
précèdent une nouvelle période caractérisée par la statue de Saint Ambroise,
le créateur de la musique sacré. Giotto et Dante le suivent et ouvrent la
Renaissance avec l’apothéose de Palestrina qu’entourent Mantegna, les
Bellini, Léonard de Vinci, le Titien, Raphaël, Michel Ange. Voici la 4eme
étape et ses hommes célèbres, Camões, Corneille, Racine, Shakespeare,
Poussin, Rubens, Van Dyck, Velasquez, Rembrandt, Mozart, Reynolds et
Gainsborough ; ils préparent le triomphe de Beethoven et des gloires de
1830. Victor Hugo, Berlioz, Wagner, Delacroix, Ingres, Meyerbeer,
Menzel, Schopenhauer, Rossini et Verdi. Voici le Brésil, ses grands
hommes, ses poètes, ses artistes, José Bonifácio, João Caetano, F. Manoel
da Silva, Castro Alves, Casemiro de Abreu, Peregrino de Menezes,
Vasques, maître Valentim et Gonçalves Dias ; puis, plus près, D. Pedro II,
Pedro Américo, Victor Meirelles, Furtado Coelho, Almeida Júnior et F. O.
Passos, architecte du théâtre, acclament Carlos Gomes que le peuple
accompagne ; au-dessus de la foule plane la Science entraînant la Vérité.
A gauche de l’Arc de triomphe se trouvent symbolisés le monde spirituel et
subjectif, la Papauté, la Religion, la Musique. 142
Cette description et l’observation de l’oeuvre elle-même nous amènent à
reconnaître que Visconti n’a pas été original dans la conception de son rideau d’avant-scène. Il
est vrai que le thème de la composition - l’influence des arts sur la civilisation - lui avait été
imposé lors de la commande de l’oeuvre. Ce fut peut-être ce sujet pompeux qui l’entraîna à
employer un style naturaliste et une iconographie propres à la peinture française contemporaine
destinée à la décoration des édifices publics. Pour réaliser son rideau d’avant-scène, Visconti
reprit un parti employé par les peintres dits ‘officiels’ de la période : l’idée des triomphes de la
Renaissance, des cortèges accompagnant un char où se tient le héros consacré entouré de
figures allégoriques143. Ce travail a demandé des efforts considérables de la part du peintre,
étant donné ses grandes dimensions, les exigences de la réalisation d’innombrables portraits, et
142
- Notice explicative sur les peintures décoratives du théâtre Municipal de Rio de Janeiro,
1907. La version originale de ces descriptions était déjà en français.
237
l’harmonisation de l’ensemble. Visconti surmonta toutes ces difficultés, mais on ne le sent pas
à l’aise dans cette composition trop hiératique et conventionnelle.
Malgré le respect des traditions, cette oeuvre de Visconti fut l’objet d’une polémique
diffusée par la presse de Rio de Janeiro. Ce fut en août 1907, après avoir ouvert son atelier au
public afin d’exposer ses peintures décoratives, que Visconti reçut, de la part de quelques
Brésiliens résidants à Paris, des critiques concernant le rideau d’avant-scène. Le 6 août 1907,
le Jornal do Commercio publiait l’article suivant :
M. l’ingénieur Oliveira Passos, directeur des travaux du Théâtre municipal
nous écrit :
« La nouvelle selon laquelle quelques Brésiliens résidant à Paris ont
demandé à l’éminent conseiller Ruy Barbosa d’intervenir auprès du
Gouvernement brésilien afin d’obtenir la modification de la peinture du
rideau
d’avant-
143
- Il suffit de comparer cette peinture de Visconti aux décorations décrites par Pierre Vaisse
dans son livre La Troisième République et les peintres pour se rendre compte de leur
similitude. Voyons à ce propos le passage suivant :
VAISSE, Pierre. La Troisième République et les Peintres. Flammarion, Paris, 1995, (pp. 274,
275).
“ En 1884, Léon Glaize fut chargé par la Ville de décorer la salle des mariages dans la mairie
du XXe arrondissement. Il couvrit entièrement le mur le plus vaste (...) d’un immense
Triomphe de la République, daté de 1891. Deux ans plus tôt, Meissonier (...) proposa à la
sous-commission des Travaux d’art (...) de peindre à la place [de la peinture qui lui avait été
commandée pour le Panthéon, dont le sujet, Sainte Geneviève pendant le siège de Paris, ne
l’inspirait pas] un Triomphe de la France, dont il avait tracé une esquisse (...). Les deux
compositions reposent sur la même idée, celle des triomphes de la Renaissance, cortèges
accompagnant un char où se tient l’allégorie glorifiée ; mais il est impossible, (...) de savoir si
l’un des deux artistes inspira l’autre. Très complexe, mêlant les personnages réels aux figures
allégoriques, la composition de Glaize était ainsi décrite dans le livret du Salon des ChampsElysées de 1892 :
“ Guidée par la ville de Paris et entourée des villes de France qui lui font cortège, la
République s’avance sur son char triomphal en appelant à elle ses enfants. À ses pieds sont
assises la Liberté, l’Egalité, la Fraternité ; près d’elle se dresse la Vigilance que soutient la
Force ; des figures allégoriques, qui symbolisent les dates mémorables de notre Révolution,
forment l’avant-garde du cortège. En arrière, la Sagesse éloigne la Discorde. ”
238
scène du Théâtre municipal, sous prétexte que cette oeuvre constitue une
caricature de notre pays et de son histoire, ce qui peut amener le public à
croire que cette peinture a comme sujet notre pays et son histoire, m’a
convaincu de l’opportunité de publier la description faite par Eliseu Visconti
de son travail, description que j’ai approuvée, le 30 avril 1906.
D’après cette notice descriptive, (...) et d’après la photographie de
l’esquisse approuvée le même jour, on vérifie que notre patrie est représentée
dans le grandiose travail d’Eliseu Visconti, par Carlos Gomes, Francisco
Manoel et João Caetano et par la masse populaire qui les
accompagne. » 144
Il s’ensuit la description faite par Eliseu Visconti, déjà présentée plus haut. Après
cela, l’auteur de l’article ajouta l’information suivante :
Nos collègues du Jornal do Brasil ont publié hier, à ce propos, ce
télégramme arrivé de Paris :
« Des membres de la colonie brésilienne se sont adressés à M. le Conseiller
Ruy Barbosa en lui demandant d’intervenir auprès du Président de la
République afin d’éviter l’achèvement du rideau d’avant-scène du Théâtre
municipal, où le peintre Visconti représentait le Brésil artistique dans la
figure de Sa Majesté l’Empereur, le défunt D. Pedro II, béant d’admiration
devant le compositeur Carlos Gomes et entouré de personnes dans la même
attitude, parmi lesquelles se trouve une négresse qui porte un plateau plein
de bananes, outre d’autres attributs ridicules ou déprimants. » 145
144
145
- “ Várias ” du Jornal do Commercio, Rio de Janeiro, le 6 août 1907.
“ Escreve-nos o Sr. Engenheiro Oliveira Passos, Diretor das Obras do Theatro Municipal :
‘A notícia de que alguns Brasileiros, residentes em Paris, pediram ao eminente Sr. Conselheiro Ruy Barbosa, para que interviesse junto ao Governo brasileiro, no sentido de
ser modificada a pintura do pano de boca do Theatro Municipal, sob o fundamento que
a mesma constitui caricatura do nosso país e sua história, podendo dar lugar a acreditar-se que esta pintura tenha por assunto o nosso país e sua história, traz-me a convicção de ser oportuno tornar pública a descrição feita por Eliseu Visconti do seu trabalho
e por mim aprovada em 30 de Abril de 1906.
Desta notícia descritiva, que junto encontrareis, assim como da fotografia do esboço,
também aprovado na mesma data, verifica-se que a nossa pátria é apenas representada
no grandioso trabalho de Eliseu Visconti, por Carlos Gomes, Francisco Manoel e João
Caetano e pela massa popular que os acompanha.’ ”
- “ Várias ” du Jornal do Commercio, Rio de Janeiro, le 6 août 1907.
“ Os nossos colegas do Jornal do Brasil publicaram ontem sobre este assunto o seguinte telegrama de Paris :
‘Membros da colônia brasileira dirigiram-se ao Sr. Conselheiro Ruy Barbosa, pedindolhe que interviesse junto ao Sr. Presidente da República, para que fosse evitado o
acabamento do pano de boca do Theatro Municipal, em que o pintor Visconti representava o Brasil artístico na pessoa de Sua Majestade, finado Sr. D. Pedro II, boquiaberto
239
Il est évident que ce fut la négresse qui gêna le plus les plaignants. Ces critiques
montrent combien les préjugés étaient enracinés dans l’esprit de l’élite brésilienne de l’époque.
L’abolition de l’esclavage avait eut lieu en 1888. Presque vingt ans s’étaient écoulés, ce qui
n’était pas suffisant pour provoquer une évolution des mentalités. En tout cas, on observe que
ces critiques concernaient seulement la représentation des figures populaires sur le panneau. Il
s’agissait d’un débat secondaire et idéologique, la conception de l’oeuvre n’étant pas mise en
question. Cependant, l’épisode donna lieu à d’autres critiques plus approfondies concernant la
conception et la forme du travail de Visconti. Le 8 août 1907, le journal Diário de Notícias
publiait à la une le commentaire suivant à propos de la description officielle du rideau :
À mon avis, le jeune et sincèrement talentueux ingénieur Dr. Oliveira
Passos, en donnant cette description [du rideau d’avant-scène], ne pouvait
pas faire, je crois, une attaque plus dure en faveur de nos compatriotes de
Paris. Après cette description, il devient immédiatement évident que le bel
artiste Eliseu Visconti doit être le premier intéressé à soustraire aux regards
du public cet insoutenable mélange artistico-historique, ce monstrueux bricà-brac de couleurs que, selon la description, doit être ce rideau d’avantscène du Théâtre municipal.
Il est sûr que personne n’arrive à imaginer l’ensemble de cette déplorable
caricature d’allégorie dans laquelle, de façon décousue, sans la moindre
raison d’être artistique ou même historique, Eliseu Visconti prétendit
assembler des symboles de l’art, donner des idées philosophiques et
commémorer des événements historiques, tout cela d’une façon disparate qui
accuse une espèce d’ignorance avec prétentions à l’érudition d’un esprit
cultivé, (...).
Parmi nos jeunes peintres Eliseu Visconti est l’un des plus véritablement
dignes du nom d’artiste, par la délicatesse de son coloris, par la presque
immatérialité de ses figurines délicieuses, par sa noble notion d’esthétique
picturale. Cependant, il s’est attiré des complications et difficultés qui
concernent plutôt les sciences sociales que l’art (...).
Il est probable que l’exécution et la composition de la toile révèlent cette
délicatesse et la fine maestria qui caractérisent l’oeuvre d’Eliseu Visconti.
ante o maestro Carlos Gomes e rodeado de pessoas na mesma atitude, entre as quais
uma preta mina, com um tabuleiro cheio de bananas, além de outros atributos ridículos
ou deprimentes.’ ”
240
Mais en tant que conception, ce rideau d’avant-scène semble n’être qu’un
chef-d’oeuvre du non-sens. 146
Cette fois-ci, les critiques étaient plus sérieuses. Le journaliste a remarqué tout de
suite l’incongru des conventions que le peintre s’était imposées et qui l’éloignaient de son art.
Ce que l’on peut dire en faveur de Visconti est que son rideau d’avant-scène est représentatif
de l’époque. Ce début du XXe siècle est encore marqué par les questions propres à la fin du
siècle précédant, et cette exaltation de l’art et de la civilisation est très caractéristique de la
période. Dans un cahier de Visconti, on trouve cette note qui concerne sûrement le rideau
d’avant-scène :
La figure de l’art entraînant la civilisation. Cette figure doit servir de foyer
lumineux.
Hommage à l’Art et à la Beauté. Elle peut être représentée sur une hauteur.
Tous les arts, toutes les classes sociales viennent lui rendre tribut.
Esthétique. L’art qui est le beau, le vrai, le réel, l’idéal.147
Dans ces lignes Visconti fait sa profession de foi en l’art. La peinture du rideau
d’avant-scène peut être comprise comme un hommage sincère de l’artiste à tout
l’enseignement qu’il avait reçu dans l’Academia Imperial de Belas Artes. On y voit la
146
- Y. “ Opiniões Livres ”. In : Diário de Notícias, le 8 Août 1907.
“ Ao meu ver, o jovem e sinceramente talentoso engenheiro dr. Oliveira Passos não podia fazer, penso, uma carga mais pesada em favor dos nossos compatriotas de Paris, do
que dando essa descrição, de onde se evidencia logo que o belo artista que é Elyseo
Visconti deve ser o mais empenhado em que se retire da apreciação do público essa insuportável bacalhoada artístico-histórica, esse monstruoso angu de tintas coloridas que,
pela descrição, deve ser o tal pano de boca do Theatro Municipal.
Ninguém de certo chegou a imaginar de conjunto o que pode ser essa deplorável caricatura de alegoria em que, sem a mais rudimentar razão de ser artística ou sequer histórica, Elyseo Visconti pretendeu fazer símbolos de arte, dar idéias filosóficas e comemorar acontecimentos da história, tudo disparatadamente, acusando uma espécie de ignorância com pretensões a ilustração de espírito, (...).
Elyseo Visconti é um dos moços de nossa geração de pintores mais verdadeiramente
dignos do nome de artista, pela delicadeza do seu colorido, pela quase imaterialidade
das suas figurinhas deliciosas, pela sua noção nobre de estética pictural. No entanto,
meteu-se a complicações e dificuldades mais de ciência social do que de arte. (...).
É de todo provável que a feitura e a composição da tela revelem aquela delicadeza e
maestria fina que caracterizam a arte de Elyseo Visconti. Como concepção, no entanto,
aquilo deve ser apenas uma obra-prima de não-senso. ”
147
- Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, boîte numéro 1.
“ A figura da arte arrastando a civilização. Esta figura deve servir de foco luminoso.
Homenagem à Arte e à beleza. Pode ser representada sobre uma altura. Todas as artes, todas
as classes sociais vêm trazer o seu tributo.
Estética. L’art qui est le beau, le vrai, le réel, l’idéal. ”
241
matérialisation de l’idéologie de l’élite cultivée de l’époque, sa croyance dans le progrès de
l’humanité et la glorification des grands hommes. La fâcheuse conséquence en est la
soumission de l’art à ces concepts intellectuels, car, sur son rideau, Visconti met l’art au
service de ces idées, il l’utilise pour exposer ces croyances, et en exalter les héros 148.
Finalement, ce n’est pas l’art qui reçoit les tributs dont il parle, bien au contraire, l’art rend
tribut à la gloire de la civilisation et représente l’histoire comme une succession de
contributions au progrès de l’humanité.
Il semble que Visconti s’est acquitté d’un devoir en exécutant la peinture du rideau
d’avant-scène. Après quoi il s’est senti libéré pour réaliser les autres décorations du théâtre,
visiblement plus franches. On peut aussi comprendre cette différence comme due à
l’emplacement des peintures. Le rideau d’avant-scène se trouvant au même niveau que les
spectateurs, Visconti y respecte les conventions courantes dans la représentation du monde
réel. Les autres peintures sont placées en haut, et cela favorise une plus grande liberté de
création, car la distance du sol peut déjà symboliser un éloignement par rapport à la vie
quotidienne et ses conventions. Visconti ne se sentant plus soumis aux mêmes règles, réalisa
ces peintures selon ses propres sentiments.
D’ailleurs, on observe qu’en plaçant la représentation du monde spirituel dans la
partie supérieure du rideau d’avant-scène (fig.21), Visconti réussit à unir cette peinture aux
peintures qui décorent la frise sur le proscenium (fig.26) et le plafond de la salle de spectacles
(fig.22), décorations murales où l’on retrouve son esprit rêveur. Aussi, ce fut dans ces
peintures murales que Visconti adopta le procédé pointilliste, en peignant par petites touches et
en
148
- Pierre Vaisse, dans son livre La Troisième République et les peintres (p.302) souligne
que “ par sa fonction, la peinture monumentale devait revêtir une signification d’un ordre
plus général, une signification qui dépassât l’événement pur. (...). Des analyses récentes, en
particulier les travaux de Jan Bialostocki, ont mis en évidence cet aspect de l’iconographie
du XIXe siècle, cette transmutation du réel, présent ou historique, en symboles. L’un des
procédés mis en oeuvre à cette fin, (...), consistait dans l’emploi de citations plastiques, la
reprise de schémas de composition ou de motifs connus dans l’art religieux. ” La
représentation symbolique et allégorique employée par Visconti dans son rideau d’avantscène n’est pas sans rapport avec cet aspect de l’art décoratif de l’époque.
242
juxtaposant les tons de couleurs pures. Il obtint ainsi un résultat frais et lumineux, tel
qu’il l’avait admiré dans les décorations d’Henri Martin pour le Capitole de Toulouse (pl. 7 et
8). Quelques observations notées par Visconti prouvent l’intérêt que ces peintures, vues au
Salon des artistes français en 1906, avaient suscité en lui :
Salon de 1906
Commencer à faire des portraits vus de loin
C’est le moyen de simplifier les masses, voir large et d’ensemble
Salons
Evitez les partis-pris, voyez la nature, la belle nature. Evitez le chic,
l'agréable, l'amusant, si vous voulez avoir du succès, soyez logique, évitez
l'extraordinaire, comme au plafond, peignez blanc et rose. Il faut que t’en
[sic] soit un poème de joie et de lumière.
Capitole de Toulouse de H. M. Toute sa peinture est vue de loin. Il modèle
par valeur et non par le modelé lui-même. C'est ce qui donne simplicité.
Toutes ces couleurs se mêlent depuis le premier plan jusqu’au dernier. L’air
circule partout. Comme valeur, trois au maximum. Le mélange de couleur
se fait par juxtaposition avec beaucoup de [...] et jamais fondues les unes
dans les autres. C’est justement le résultat frais et lumineux que l’on obtient
de sa peinture. 149
Ces notes nous portent à l’imaginer en train de visiter le Salon, en même temps qu’il
réfléchit sur le grand travail qu’il devait accomplir : les décorations du Théâtre municipal à
Rio. En effet, lorsque Visconti écrivit ces pensées il était depuis peu revenu de Rio de
Janeiro150, où il avait signé le contrat qui l’engageait à exécuter ces décorations. Mais le plus
important c’est que, en écrivant ces mots, Visconti nous a laissé l’indication sûre de l’une des
sources où il a puisé son inspiration : les peintures décoratives d’Henri Martin pour le Capitole
de Toulouse.
Comme la plupart des décorations de l’époque, les peintures d’Henri Martin furent
exécutées sur toile, pour être ensuite marouflées sur les murs du Capitole. On sait que ces
149
- Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, boîte numéro 3. Cet extrait
était originalement en langue française. Là où les mots étaient illisibles, on les a remplacés
par les ‘[...]’. Il est évident que ‘H.M.’ est une référence à Henri Martin.
150
- Au-dessus de ces lignes, Visconti écrivit : “ Rio 1906. / Nous sommes partis de Rio avec
Eliseu, Afonso et Deolinda le 2 mai 1906, à 10 h du matin. (...) ”. Le texte original était en
portugais :
“ Rio 1906. / Saímos do Rio com o Eliseu, Afonso, Deolinda em 2 de maio 1906, 10h
da manhã. (...).”
[Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti. (Boîte n. 3).]
243
peintures ne furent mises en place qu’en 1914151. Cependant, en 1906 elles étaient déjà
achevées, et cette même année Henri Martin les exposa à Paris, au Salon des artistes français.
Une salle entière du Salon lui fut consacrée et le public a pu voir non seulement la totalité de
ses panneaux décoratifs, mais aussi les quatre-vingt-sept études, dessins ou esquisses, qui ont
été nécessaires à l’élaboration de l’ensemble.152
L’admiration de Visconti pour cette oeuvre concernait surtout le procédé
technique et l’effet obtenu. On a vu qu’il fit plusieurs observations à propos de la technique :
“ Il modèle par valeur et non par le modelé lui-même ” ; “ Toutes ces couleurs se mêlent
depuis le premier plan jusqu’au dernier ” ; “ Comme valeur, trois au maximum ” ; “ Le mélange
de couleur se fait par juxtaposition avec beaucoup de [...] et jamais fondues les unes dans les
autres ”. À cette analyse de la technique, Visconti ajouta des notes sur l’effet esthétique
procuré par ces procédés : “ L'air circule partout ” ; “ C'est ce qui donne simplicité ” ; “ C’est
justement le résultat frais et lumineux que l’on obtient de sa peinture ”.
On retrouve ces mêmes procédés techniques au Théâtre municipal de Rio, dans les
peintures qui décorent le plafond de la salle de spectacles (fig.22), le plafond et les murs du
foyer (fig.23), et la nouvelle frise sur le proscenium qui date de 1936 (fig.26) 153.
D’autre part, on remarque que Visconti ne fait pas allusion à la thématique
développée par Henri Martin. Cela est significatif car effectivement, sur ce point, Visconti
s’éloigne de la conception du peintre toulousain.
Les peintures qui décorent la salle ‘Henri Martin’ du Capitole de Toulouse
représentent Les travaux rustiques et Le Travail intellectuel. Les travaux rustiques se
151
- JUSKIEWENSKI, Claude. “ La Salle Henri Martin du Capitole ”, In : Catalogue de
l’Exposition Henri Martin 1860 - 1943. Fragments, Paris, 1993, (p.54).
“ C’est seulement au début de 1914 que les panneaux décoratifs peuvent enfin être installés
dans le lieu pour lequel ils ont été conçus. ”
152
- JUSKIEWENSKI, Claude. “ La Salle Henri Martin du Capitole ”, In : Catalogue de
l’Exposition Henri Martin 1860 - 1943. Fragments, Paris, 1993, (p. 52).
153
- Quant à la première frise de 1907, il est difficile de vérifier la facture de la peinture,
puisqu’elle n’existe plus et la photographie en noir et blanc que l’on a pu trouver (fig.28),
n’est pas très éclairante à ce propos. La description que Visconti fit de cette première frise
est la suivante : “ Des Amours entraînent la Vertu vers la Poésie tandis que d’autres châtient
le Vice : en exergue, un petit génie ailé déploie un ruban avec ce distique : erudere
juventutem laboribus [instruire la jeunesse par le travail]. Au-dessous, une chaîne de
montagnes et les silhouettes des cimes de Teresópolis, du Corcovado et de Tijuca”.
244
composent de quatre panneaux qui montrent les paysans occupés à leurs taches quotidiennes
pendant Le Printemps, L’Eté (pl.7), L’Automne et L’Hiver. Le travail intellectuel est constitué
de trois panneaux dont celui du centre, dénommé Les Rêveurs ou Les Bords de la Garonne
(pl.8), représente quelques personnalités de la région toulousaine se promenant, méditatives,
au bord du grand fleuve. Si l’on trouve un symbolisme quelconque dans ces images, il est très
discret, car cet ensemble montre plutôt des représentations réalistes. Il est vrai qu’avant de
réaliser les décorations du Capitole la production d’Henri Martin présentait un symbolisme
marqué où les muses pourvues de lyres et les allégories telles que le Silence ou la Douleur
étaient ses sujets de prédilection. En fait, l’ensemble du Capitole est sa première oeuvre
décorative où, selon l’expression employée par Claude Juskiewenski, “ aucune muse
n’encombre le ciel serein ”. Ce même auteur raconte que Les Faucheurs154 (pl.7) ont échappé
de justesse à cette présence puisque sur une esquisse de mise en place, une muse et un poète
tentaient de s’intégrer au paysage155. Ce fut le travail de préparation de ces peintures qui
entraîna Henri Martin à changer son premier projet. En fait, il plantait son chevalet devant les
lieux réels qui lui serviraient de décor, et ce travail sur le motif finit par le décider à éliminer
tout personnage allégorique de la composition.
L’abandon des allégories est une des caractéristiques des peintures décoratives à la
fin du XIXe siècle en France. Pierre Vaisse, dans son livre sur la peinture officielle de l’époque,
met en évidence ce changement d’orientation :
Nous avons souligné à plusieurs reprises l’abandon des allégories
traditionnelles et des travestissements mythologiques au profit de
représentations réalistes. Cette tendance ne s'est pas manifestée que dans les
mairies parisiennes, (...). Les théâtres suivirent sensiblement la même
évolution, quoique moins marquée : à l’Opéra, ce n’étaient qu’Apollons
conduisant le choeur des Muses, (...), allégories de la Musique et de la
Danse (...). Elles n’ont pas complètement disparues à l’Opéra-Comique,
mais des scènes du répertoire les remplacent en partie. (...). À l’OpéraComique, les scènes peintes par Maignan sur le mur du foyer prolongent ou
rappellent les heureux moments passés dans la salle (...). 156
A l’opposé de cette tendance à intégrer à la décoration des motifs tirés de la réalité
contemporaine, Eliseu Visconti, tout en adoptant le nouveau parti technique pointilliste, resta
154
- Les faucheurs est l’autre titre du panneau L’été.
- JUSKIEWENSKI, Claude. “ La Salle Henri Martin du Capitole ”, In : Catalogue de
l’Exposition Henri Martin 1860 - 1943. Fragments, Paris, 1993, (pp. 58-59).
156
- VAISSE, Pierre. La Troisième République et les peintres. Flammarion, Paris, 1995,
(p.301).
155
245
fidèle à la tradition de la peinture décorative en ce qui concerne les sujets allégoriques. Sa
peinture du plafond de la salle de spectacles du Théâtre municipal (fig.22), réalisée sur une
large bande en ovale qui entoure le grand lustre du centre de la salle, représente le passage des
heures du jour. Visconti en donna la description suivante :
Plafond - Le passage du Jour - L’Aurore caresse le Jour, les Heures
entrelacées passent et la Nuit apparaît suivie de la Croix du Sud. 157
L’aurore, le jour, les heures et la nuit sont représentés sous forme d’allégories, c’està-dire comme des femmes nues qui évoluent gracieusement, dansant la main dans la main.
Cependant, l’allégorie apparaît ici comme prétexte à la réalisation d’une composition purement
décorative. En effet, cette suite de nymphes qui dansent nous rappelle, par son arrangement,
les frises au pochoir de La Plante et ses applications ornementales d’Eugène Grasset
158
.
Visconti avait réalisé des exercices semblables (fig.28) dans le cours d’art décoratif de Grasset
à l’École Guérin, à Paris. Il n’est pas sans intérêt de reproduire ici quelques mots de Visconti
sur la composition décorative :
Quand on parle de composition décorative, on parle d’arrangement,
d’ordre, de coordination de motifs naturels ou interprétés. La décoration est
toujours utilisée et appliquée à une matière déterminée, c’est-à-dire au bois,
au fer, à la pierre, à l’orfèvrerie, aux tissus, aux papiers peints, aux
dentelles, etc. Orner, messieurs, signifie intéresser, rendre aimable non
seulement la figure humaine, mais tout ce qui nous entoure. Des diverses
branches des beaux-arts, la décoration est l’une des plus importantes. (...).
La décoration possède plusieurs sources. La première est la géométrie ; la
seconde, la flore ; la troisième, la faune et la quatrième est la figure
humaine et tout ce qui nous entoure dans la vie. 159
157
- Notice explicative sur les peintures décoratives du Théâtre Municipal de Rio de Janeiro,
1907. La version originale de ces descriptions était déjà en français.
158
- Le premier volume de La Plante et ses applications ornementales d’Eugène Grasset fut
publié en 1897 à Bruxelles. C’est un in-folio de soixante-douze grandes planches coloriées à
la main selon la méthode du pochoir, avec une introduction de Grasset. La disposition de
l’édition originale était simple, chaque plante est d’abord peinte sur une pleine page à la
manière des aquarelles botaniques. Les trois ou quatre planches suivantes sont consacrées à
la mise en valeur des déclinaisons de couleurs et de formes de la planche principale.
Exemple : la plante est d’abord peinte naturellement ; dans la planche suivante le dessin
rappelle le vitrail, dans l’autre, un papier peint ; et la troisième montre une frise au pochoir.
159
- Manuscrits d’Eliseu Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, (boîte numéro 3).
Ces morceaux se réfèrent au cours d’art décoratif organisé par Eliseu Visconti en 1934 et
réalisé comme un cours de spécialisation universitaire attaché à l’Ecole Polytechnique de Rio
de Janeiro.
246
En lisant ces propos de Visconti et en contemplant son Passage du Jour (fig. 22), on
se rend compte que ce plafond, beaucoup plus que le rideau d’avant-scène, est une oeuvre de
peinture décorative, au sens primitif du verbe décorer, du latin decorare, ‘orner’, ‘parer’. Ici,
Visconti n’a voulu ni nous instruire ni raconter d’histoire, cette peinture est là uniquement pour
“ la délectation et la joie des yeux ”. Sa préoccupation fut celle d’accorder l’ensemble au décor
de la salle, de coordonner les motifs décoratifs de façon à les rendre agréables à la vue. La
couleur claire et harmonieuse, appliquée en petites touches, est l’un des éléments
fondamentaux de cette décoration. On a vu que Visconti fit référence à ce procédé observé
dans les peintures d’Henri Martin, mais l’utilisation de tons clairs dans la peinture décorative
était adoptée par beaucoup d’autres peintres en France. C’est toujours Pierre Vaisse qui nous
fournit un renseignement important à ce propos. Après avoir affirmé que la peinture décorative
demandait des tons plus clairs que la peinture de chevalet, Vaisse s’explique :
L’exigence de clarté rejoignait là une exigence de lisibilité des formes,
destinées à être vues de loin, dans un jour plus ou moins favorable - les
occasions de passages qui résultaient de l’atténuation du modèle, de
l’affaiblissement des contrastes de valeurs étant compensées dans presque
toute la peinture décorative du temps par des contours marqués, un trait de
redessiné, pour reprendre l’appellation technique. 160
Eliseu Visconti employa ce procédé pour les peintures du Théâtre municipal de Rio
de Janeiro. Une ligne plus foncée contourne les figures féminines et facilite la lisibilité des
“ Quem diz composição decorativa diz arranjo, ordem, coordenação de motivos naturais ou
interpretados. A decoração é sempre utilizável e aplicada a uma determinada matéria, ou
seja, madeira, ferro, pedra, ourivesaria, tecidos, papéis pintados, rendas, bordados em geral.
Ornar meus senhores é interessar, tornar amável não somente a figura humana, como tudo
que nos rodeia. Do ramo das belas artes, a decoração é das mais importantes. (...). As fontes
da decoração são várias. Primeira : a geometria. Segunda: a flora. Terceira: a fauna. Quarta:
a figura humana e tudo mais que nos rodeia na vida. ”
160
- VAISSE, Pierre. La Troisième République et les peintres, (p. 266).
247
formes, car parfois le contraste de couleur entre les figures et le fond n’est pas
suffisamment important. En utilisant ces moyens techniques répandus à l’époque, Visconti
arrive au résultat léger et attrayant propre à sa peinture décorative. Quelques phrases écrites de
la main de l’artiste nous amènent à suivre ses préoccupations lors de l’exécution de ce plafond
:
Ne montrez pas d’habileté.
Peindre une forme entière, un bras entier, un torse, et non pas des
morceaux. Que le modèle ne se trouve ni sous une lumière intense ni
complètement dans l’ombre. Position de trois quarts, entourée de sympathie
et couleur. Peindre chaud sans avoir peur, comme si l’on faisait une étude
sans intérêt.
La fuite des heures.
Le plaisir allège les heures.
Les heures présidaient les saisons. Vêtu de chiton dorique tirant des raisins,
des épis, des rameaux fleuris.
La nuit appartient à la pensée, le jour à l’action.
L’aurore annonce le jour, précède le matin. 161
Ces notes, jetées sur le papier comme pour l’aider à organiser sa pensée, mêlent le
savoir-faire du métier aux observations d’aspect philosophique ou poétique. Le plaisir allège
les heures : voici en quelques mots la douceur et la joie de cette peinture. Peindre chaud sans
avoir peur, comme si l’on faisait une étude sans intérêt : voilà les moyens, les conseils
techniques pour arriver au résultat désiré.
Son plafond est “ un poème de joie et de lumière ” 162 : ce sont les mots de Visconti
lui-même qui définissent le mieux cette peinture. Une grande simplicité domine la séquence
rythmée des figures. Mais il n’y a pas de monotonie, les formes qui se répètent se présentent à
161
- Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, (boîte numéro 1). Dans cet
extrait, Visconti écrivit tantôt en portugais, tantôt en français, en passant d’une langue à
l’autre presque sans s’en apercevoir.
“ Ne montrez pas d’habileté.
Pintar uma forma inteira, um braço inteiro, um tronco, e não pedaços. Que o modelo não esteja em plena luz nem em plena sombra. Posição de três quartos, rodeado de simpatia e cor.
Pintar quente sem medo como se estivesse fazendo um estudo, sem interesse.
A fuga das horas
Le plaisir allège les heures.
As horas presidiam as estações. Vêtu de chiton dorique tirant des raisins, des épis, de
rameaux fleuris.
La nuit appartient à la pensée, le jour à l’action.
A aurora anuncia o dia, precede a manhã. ”
162
- Voir la citation correspondant à la note de bas de page n.9.
248
chaque fois un peu différentes et reconstituent le mouvement de la danse. Le fond rayonnant en
courbes spiralées pointillées en jaune, bleu et rose vient renforcer l’évolution du ballet des
‘heures’, qu’on dirait des femmes-fleurs, leurs vêtements plissés et transparents faisant figure
de doux pétales.
Pour le public brésilien du début du siècle, la peinture décorative de Visconti se fit
remarquer surtout par son coloris éclatant et pointilliste. Tout au moins, c’est ce qu’affirme,
dans un article de journal de l’époque, un correspondant admiratif des peintures décoratives
réalisées par l’artiste en 1915. Huit ans après s’être acquitté des premières commandes,
Visconti était encore une fois à Paris et y réalisait les nouvelles peintures destinées au même
théâtre163. Cette fois-ci il s’agissait de la décoration du foyer (fig.23). Le journaliste était
présent lorsque Visconti exposa ses nouvelles peintures décoratives dans son atelier situé rue
Didot. Laissons-nous conduire par ce chroniqueur contemporain qui décrit ses impressions lors
de la visite à l’atelier du peintre :
Brésiliens à Paris
Décoration du ‘ foyer ’ du Théâtre municipal, par le peintre E. Visconti.
Octobre, 25.
Les admirateurs de M. Eliseu Visconti, parmi lesquels nous figurons tous,
auront bientôt l’occasion d’admirer celui de ses travaux qui est peut-être le
plus beau de tous : la décoration du ‘foyer’ du Théâtre municipal de Rio de
Janeiro.
Dans son très vaste atelier de la rue Didot, où il travaille depuis plus de
deux ans dans l’exécution de cette oeuvre que la Préfecture municipale lui a
confiée (...), M. Eliseu Visconti accorda le charmant privilège de la
contempler en avant première à la colonie de Brésiliens de Paris, devancée
par M. le Ministre Olynto de Magalhães accompagné de son épouse, et par
M. le Consul Souza Dantas, aussi bien que par d’autres membres de la
Légation et du Consulat, le peintre Antônio Parreiras et les jeunes
pensionnaires de notre Académie des Beaux-Arts, des fonctionnaires du
Bureau d’Informations, des journalistes, des personnalités du monde
artistique parisien, etc.
La décoration du ‘foyer’ est constituée de trois grands panneaux : celui du
centre et les deux latéraux. En plus de ces oeuvres cependant, et des divers
tableaux issus de l’activité artistique de Visconti, on voyait dans l’atelier les
163
- Entre 1908 et 1913, Visconti habita à Rio de Janeiro avec son épouse et ses enfants.
Pendant cette période, il fut professeur de peinture à l’Escola Nacional de Belas Artes.
Après avoir reçu les nouvelles commandes pour la décoration du Théâtre Municipal, il
retourna à Paris, en amenant toute la famille, pour y réaliser les grands panneaux décoratifs
du foyer (1913-1915).
249
motifs décoratifs destinés à remplir les frises du plafond de la salle de
spectacles, des oeuvres gracieuses en lignes et en couleurs, qui
contribueront grandement à l’embellissement de la décoration du théâtre,
mais qui n’ont pas réussi à attirer le regard attentif des visiteurs d'avanthier, séduits davantage par la splendeur du coloris du grand panneau du
foyer, plus encore que par ses proportions.
Il représente simplement, vaguement, la Musique.
C’est une oeuvre de décoration, par sa finalité, et de suggestion par les
tendances artistiques du peintre. Cette nouvelle allégorie de la Musique est
beaucoup plus inspirée et suggestive que les simples figures munies
d’instruments - la lyre la harpe, la flûte agreste... - habituelles dans les
allégories traditionnelles. Des figures féminines qui manient des instruments
à cordes et des instruments primitifs - la musique au théâtre et la musique
dans la nature - occupent les deux extrêmes de la grande toile (fig.24); mais
elles sont des figures secondaires et constituent simplement l’allégorie
objective, destinée à impressionner la rétine.
L’allégorie subjective, cependant, forme le centre du panneau (fig.25), et
consiste dans l’entrelacement de formes nues qui doivent suggérer les idées
ou les sensations de la mélodie, du rythme, de l’harmonie. Voilà où se
trouve la véritable musicalité de la toile : dans la sinuosité de la ligne
mélodique, dans l’harmonie des formes combinées. Elle est là, mais aussi
dans le coloris qui est, au centre, d’une riche tonalité jaune, presque comme
l’or en fusion, et qui se dilue petit à petit vers les côtés et vers le haut, dans
une vibration de couleurs qui va de la polyphonie bourdonnante, à la vague
sourdine, s’estompant jusqu’aux lignes extrêmes du panneau, où se perd,
s’envole, on ne sait pas très bien vers où... la mélodie infinie de l’esthétique
de Bayreuth.
Tout le monde connaît la luminosité, la transparence, la légèreté de
l’atmosphère des toiles d’Eliseu Visconti, et particulièrement de ses oeuvres
décoratives, où les figures solidement dessinées, malgré une asexualité qui
arrive presque à la pudicité, sont recouvertes d’un voile de poussière
polychrome formé par des gouttes de couleur et de lumière qui, vues de loin,
sous l’effet de la perspective et surtout de la vibration permanente de l’air,
se mêlent et se fondent, avec des effets surprenants d’irisation. Déjà dans les
décorations de M. Visconti pour le plafond du Municipal ce procédé était à la
base de magnifiques résultats. Cependant je ne crois pas que sa technique,
mise au service de sa vision, ait jamais produit des effets aussi brillants que
ceux au centre de ce panneau, qui est comme un amas du pollen d’une
grande fleur, un pollen riche en or qui se confond avec les pétales tout
autour, dans une gradation de tons rosés vers la droite et bleutés vers la
gauche.
Devant la grande toile, les professionnels admireront la correction des
dessins, l’assurance des attitudes, l’effet harmonieux de la composition ; les
poètes se perdront dans les rêveries de leur propre subjectivité mise en
vibration par l’effet suggestif des lignes et des formes ; mais le grand public
250
de tendances artistiques s’extasiera, surtout, avec la richesse et l’harmonie
du coloris, (...). 164
Le journaliste décrit l’engouement du public pour la peinture décorative de Visconti,
dû en partie aux procédés pointillistes que le peintre avait utilisés au plafond de la salle de
spectacles, toujours présents dans les décorations du foyer. Les effets obtenus par ce moyen
fascinaient les amateurs de l’époque et continuent de plaire aux spectateurs d’aujourd’hui.
Effectivement, Visconti a su utiliser parfaitement cette technique dans la décoration du foyer
(fig. 23, 24 et 25), comme il l’avait fait pour le plafond de la salle de spectacle (fig.22) et
comme il le fera plus tard dans la nouvelle frise de 1936 (fig.26).
Ce fut pendant cette période marquée par les décorations du théâtre (de 1906 à
1916), que le peintre s’approcha de l’impressionnisme. La série de paysages qu’il a peints à
164
- Coupure de journal conservée par Tobias Visconti. Malheureusement, la coupure ne
contenait pas le titre du journal ni l’année d’édition. Cependant, comme Visconti est parti de
Paris le 27 septembre 1915 pour venir installer ces peintures à Rio, l’article ne peut dater que
de 1915.
“ Brasileiros em Paris
Decoração para o ‘foyer’ do Theatro Municipal, pelo pintor E. Visconti.
Outubro, 25.
Os admiradores do Sr. Eliseu Visconti, que são toda gente entre nós, vão ter breve, o ensejo de admirar aquele dos seus trabalhos que é talvez o mais belo de todos : a decoração
para o ‘foyer’ do Theatro Municipal do Rio de Janeiro.
No seu vastíssimo atelier da rua Didot, onde vem trabalhando há mais de dois anos para a
execução desse trabalho, que lhe confiou por concurso a Prefeitura Municipal, o Sr. Eliseu
Visconti proporcionou o encanto dessas primícias à colônia brasileira em Paris, tendo à frente o Sr. Ministro Olynto de Magalhães, acompanhado por sua senhora, e o Sr. Cônsul Souza
Dantas, bem como outros membros da Legação e Consulado, o pintor Antônio Parreiras e
os jovens pensionistas da nossa Academia de Belas Artes, funcionários do Escritório de Informações, jornalistas, personalidades do mundo artístico de Paris, etc.
A decoração do ‘foyer’ é objeto de três grandes painéis : o do centro e os dois laterais.
Além deles, porém, e dos quadros diversos em que se tem exercido a sua atividade artística,
viam-se no atelier os motivos decorativos destinados a encher as frisas do teto da sala de espetáculos, obras graciosas de linha e cor, que muito contribuirão para o embelezamento da
decoração do teatro, mas que mal lograram o olhar atento dos visitantes de anteontem, logo
atraídos pelo esplendor do colorido, ainda mais que pelas proporções do grande painel do
‘foyer’.
Ele representa, simplesmente, vagamente, a Música.
Obra de decoração, pelo fim a que se destina, obra de sugestão pelas tendências artísticas
do pintor, essa nova alegoria da Música é muito mais vasta de inspiração e de sugestão do
que as simples figuras armadas de instrumentos - a lira, a harpa, flauta agreste... - das alegorias convencionais. Figuras femininas a manejarem instrumentos de corda e instrumentos primitivos ; a música do teatro e a música da natureza, ocupam os dois extremos da grande
tela ; mas essas não passam de figuras secundárias, constituem simplesmente a alegoria objetiva, destinada a impressionar a retina.
251
Saint-Hubert165, parallèlement au travail d’élaboration des décorations du foyer, est très
représentative de ce rapprochement. Si l’on compare deux toiles de cette phase – Les Enfants
à jouer, de 1913 (fig.29), et Paysage de Saint-Hubert, peint vers 1915 (fig.30) - à Maternité
(fig.31), oeuvre de 1906, on se rend compte de l’évolution de sa peinture dans le sens d’une
A alegoria subjetiva, porém, que forma o centro do painel, consiste no entrelaçamento de
formas nuas que devem sugerir as idéias ou sensações da melodia, do ritmo, da harmonia. Aí
é que está a verdadeira musicalidade da tela : na sinuosidade da linha melódica, na harmonia
das formas combinadas. Aí, e também no colorido, que é, no centro, de uma rica tonalidade
amarela, quase como ouro em fusão, e que se vai diluindo, para os lados e para o alto, vibração de cores que vai da polifonia rumorosa, à vaga surdina, esbatendo-se até as linhas extremas do painel, onde se perde, evola, não se sabe bem para onde... a melodia infinita de Bayreuth.
Toda a gente conhece a luminosidade, a transparência, a leveza da atmosfera, nas telas de
Eliseu Visconti, e particularmente nas suas obras decorativas, onde as figuras solidamente
desenhadas, embora de uma assexualidade que chega quase até à pudicícia, são recobertas
por um véu de poeira policroma, salpicos de cor e de luz, que a distância, pela obra da perspectiva e, sobretudo, da vibração permanente do ar, baralha e funde, com efeitos surpreendentes de irisação. Nas suas decorações do teto do Municipal, já esse processo dera resultados magníficos. Não creio, porém, que a sua técnica, a serviço da sua visualidade, tenha jamais obtido efeitos tão brilhantes como no centro desse painel, que é como o pólen de uma
grande flor, pólen rico de ouro, que se confunde com as pétalas em redor, numa gradação de
tons acentuadamente rósea para a direita, e azulada para a esquerda.
Diante da grande tela, os profissionais admirarão a correção dos desenhos, a segurança
das atitudes, o efeito harmônico da composição ; os poetas se perderão em devaneios da sua
própria subjetividade posta em vibração pelo efeito sugestivo das linhas e formas ; mas o
grande público de tendências artísticas se embevecerá, sobretudo, com a riqueza e harmonia
do colorido, (...). ”
165
- La famille de Louise Palombe, épouse de Visconti, habitait à Saint-Hubert, commune qui
appartient aujourd’hui aux Yvelines, département de la région d’Ile-de-France. La maison et
son jardin existent toujours et conservent le même aspect que pendant la période où Visconti
a peint les lieux.
252
simplification des formes et d’une intensification de l’atmosphère vaporeuse. Cette
caractéristique de la peinture de Visconti a permis aux différents auteurs cités dans le chapitre
4 - Le Style ‘impressionniste’ de Visconti : une interprétation des historiens de l’art brésilien
- d’affirmer le rôle révolutionnaire du peintre dans le contexte artistique brésilien.
Cependant, on observe que l’évolution de la peinture de Visconti, plutôt que de
correspondre à une adaptation au style impressionniste, obéit aux exigences personnelles de
l’artiste qui cherche à exprimer, dans son art, ses sentiments, son âme. Pour parvenir à ce but,
Visconti emploie plusieurs moyens, s’emparant des formes expressives les plus diverses. En
fait, s’il utilise la technique pointilliste, moderne, dans ses décorations du Théâtre municipal, il
ne s’abstient pas d’utiliser, dans la composition de ces mêmes décorations, quelques figures
empruntées à un tableau académique et conventionnel. C’est un fait que l’on a découvert à
l’occasion de recherches détaillées dans les documents conservés par Tobias Visconti.
Parmi ces documents se trouve une page découpée de la revue Figaro-Salon166. Cette
coupure montre la reproduction d’un tableau de sujet mythologique ne pouvant être plus
conventionnel, ni par son exécution, ni par son motif. Sous le titre La Danse des sirènes (pl.9),
l’oeuvre représente des femmes nues qui évoluent langoureusement au milieu de la mer agitée
par de hautes vagues. Leurs longs cheveux flottent au vent et la scène se complète par la danse
des mouettes qui tourbillonnent au-dessus des sirènes, en suivant leur mouvement. Au loin, on
aperçoit les débris d’un vieux bateau naufragé. La peinture est signée G. Wertheimer167, 1888.
Ce travail rappelle les nymphes de Bouguereau et un bon nombre de toiles, abondantes aux
Salons de l’époque, dont le sujet n’était qu’un prétexte pour la composition de nus féminins
sous la forme de sirènes ou autres figures légendaires, dans un style académique un peu
mièvre. Enfin, au premier abord, le tableau de Wertheimer ne semble avoir aucun rapport avec
166
- Comme il s’agissait d’une coupure où seul le nom de la revue et le numéro de la page
apparaissaient, il nous a fallu rechercher la revue originale pour y trouver les données
complètes. Les voici : Figaro-Salon. Paris, Goupil & Cie Editeurs, 1888, fascicule n.3, p. 42.
167
- Gustav WERTHEIMER - peintre d’histoire et de genre, né à Vienne le 28 janvier 1847,
mort à Paris le 24 août 1904. Il fit ses études de peinture à Munich et à Paris. Ce fut à Paris,
où il résida durant de longues années, que Wertheimer obtint son plein succès. Il exposait
fréquemment au Salon pendant la décennie de 1880, et ses oeuvres de sujets historiques ou
mythologiques attiraient l’attention des amateurs. Il réalisa aussi des portraits très appréciés
du public. Cependant, à la fin de sa vie les amateurs l’abandonnèrent et il mourut oublié.
[Données relevées dans E. BENEZIT. Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et
graveurs. Librairie Gründ, Paris, 1976].
La Danse des sirènes a été exposée au Salon de 1888.
253
la peinture de Visconti. Par conséquent, une question se pose : pourquoi aurait-il attiré
l’attention du peintre brésilien ? Quel motif aurait-il poussé Visconti à découper cette
reproduction ?
Après un examen plus attentif, ce motif se manifeste. En effet, Visconti s’est servi de
la reproduction du tableau de Gustav Wertheimer comme d’un répertoire de figures, une
source où il a puisé des formes de corps féminins. Car on retrouve quelques figures du tableau
de Wertheimer intégrées aux peintures décoratives de Visconti dans le Théâtre municipal de
Rio de Janeiro.
L’emprunt le plus évident est celui de la figure qui se trouve à gauche dans la
composition de Wertheimer : une femme allongée, entraînée par la vague, les bras étirés en
arrière, la tête tournée vers le spectateur, les jambes abandonnées à leur poids, tombant
nonchalamment (pl.10). On retrouve cette même figure dans la frise que Visconti a peinte de
1934 à 1936 (pl.11). D’autres figures de Wertheimer ont été, elles aussi, empruntées par
Visconti, par exemple : les deux sirènes placées au centre de la toile (pl.12), qui se retrouvent
au plafond de la salle de spectacles (pl.13), et la figure de l’Aurore, dans le même plafond
(pl.14), inspirée d’une autre sirène de Wertheimer (pl.15). On peut remarquer de même que
Visconti mélangea les formes de deux autres figures de Wertheimer (pl. 17 et 18) dans
l’élaboration d’une de ses Heures (pl.16). Cependant on observe qu’il changea le mouvement
des cheveux de manière à entourer sa danseuse dans un cercle accentué par les lignes spiralées
pointillées du fond.
Une autre remarque concerne la souplesse des lignes de Visconti. Si l’on compare ses
figures féminines à celles de Wertheimer, Visconti se montre supérieur. Son dessin a plus de
finesse, les formes sont plus naturelles et les mouvements plus harmonieux. S’il a emprunté à
Wertheimer quelques attitudes pour ses figures, il les a transformées ensuite. Il ne s’agit pas
d’un plagiat, car Visconti a créé une oeuvre personnelle, entièrement différente de celle du
peintre viennois.
Dans la décoration du foyer les figures de Visconti se différencient davantage encore
de celles de Wertheimer, toutefois on y trouve toujours quelques réminiscences. Les deux
femmes aux bras levés (pl. 19) rappellent légèrement deux sirènes de Wertheimer (pl. 20).
254
Mais de nouveau on constate que les contours des figures de Visconti sont plus éloquents que
ceux des sirènes de son confrère.
En arrivant au terme de cette analyse, on vérifie que l’étude des peintures décoratives
élaborées par Visconti pour le Théâtre municipal de Rio de Janeiro nous amène à faire
quelques observations importantes. Tout d’abord, la méthode de travail qu’il employa dans la
préparation de ces oeuvres fait preuve de son ouverture face à la production artistique de son
époque. En même temps, on reconnaît que Visconti n’a pas adhéré entièrement aux principes
impressionnistes sous-jacents au procédé pointilliste qu’il employa. En effet, il considéra les
oeuvres qu’il côtoyait en France comme une source d’inspiration et d’enrichissement pour son
propre travail, mais sa recherche fondamentale était unique et personnelle. Tout en étant
perméable à de multiples influences, il n’a pas emprunté les sentiers battus. La compréhension
que l'on a de son oeuvre est basée sur cette conviction. La valeur de cet artiste se trouve dans
sa liberté de suivre ses propres inclinations, en approfondissant ses recherches avec une
sincérité extraordinaire.
255
III - CONCLUSION
A l’issue de cette étude de l’évolution de la peinture brésilienne à la fin du XIXe et au
début du XXe siècles, à travers l’institution du ‘Prix de Voyage’ et, notamment, l’oeuvre
d’Eliseu d’Angelo Visconti, on peut mettre en évidence quelques points caractéristiques.
La première chose à remarquer est la présence sous-jacente, tout au long de la thèse,
d’une volonté délibérée : celle d’avoir un regard nouveau, libéré des idées reçues, sur l’histoire
de l’art brésilien de la seconde moitié du XIXe siècle. On a indiqué, tout au début du travail,
que l’interprétation, encore la plus courante, des historiens de l’art sur la production artistique
de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro, et même sur l’oeuvre de Visconti, a
été marquée par le raisonnement des modernistes de 1922. Ce raisonnement eut son rôle
historique et fut important à un moment donné. Mais aujourd’hui il faut le dépasser, car son
empreinte sur l’histoire de l’art brésilien a amené à des conclusions rapides sur l’art de cette
période, des conclusions dépourvues de fidélité à l’égard de l’objet étudié.
Pour préparer une nouvelle interprétation, la démarche principale fut de puiser les
informations aux sources. C’est-à-dire que parallèlement à l’analyse des oeuvres, une
recherche a été menée dans les archives, dans les articles de journaux de l’époque, dans la
correspondance des artistes, dans leurs déclarations, et dans les textes critiques contemporains,
pour trouver des indications sur la façon qu'avaient ces artistes d’envisager les questions de
l’art.
Pendant le déroulement des recherches, alors que les raisonnements se développaient,
il nous est arrivé d’approcher de si près l’objet de nos études, dans le désir d’être attentif aux
détails, qu’il faut maintenant prendre le recul nécessaire à une bonne appréhension de
l’ensemble et des lignes principales de la composition. Au fil du texte, des questions et des
points controversés sont apparus, et l’on se propose d’en faire un résumé, de façon à faire
ressortir les conclusions qui se sont imposées.
Les voyages d’études des artistes brésiliens en Europe sont en rapport étroit avec
l’histoire de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. Par conséquent, l’histoire
de cette institution a été rappelée dans la première partie de la thèse. Ainsi, les deux premiers
256
chapitres situent l’origine des Prix de Voyage dans le contexte académique. Les points
principaux auxquels il faut revenir sont les suivants :
1. L’histoire de l’Academia Imperial de Belas Artes est liée, dans un premier
moment, à l’histoire de la transformation de la ville de Rio de Janeiro en
siège du Royaume Uni du Portugal, Brésil et Algarve. C’est-à-dire qu’elle fit
partie des institutions qui virent le jour subitement, issues d’une volonté du
Roi, exprimée par un arrêté.
2. Dans un second temps, après l’indépendance nationale en 1822, l’Académie
s’est vu attribuer un rôle important dans la construction de l’idée d’une
nation brésilienne.
3. L’institution des Prix de Voyage accordés aux meilleurs élèves de l’institution
fit partie du projet académique de formation d’artistes, surtout de sculpteurs
ou peintres d’histoire, capables de créer les images emblématiques de
l’histoire nationale.
Ces remarques sur l’origine et de l’Académie et des Prix de Voyage sont des repères
fondamentaux pour la compréhension des événements qui s’ensuivirent dans le monde
artistique brésilien.
Les chapitres trois et quatre ont pour objet d’étudier les points de vue exprimés par
les artistes et critiques d’art brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle au sujet de leur
propre réalité. Pour comprendre comment ces individus ont interagi avec leur époque, on
analyse leurs écrits, en se posant les questions suivantes : Quels étaient leurs doléances, leurs
croyances, leurs désirs, leurs espoirs ? Et quelle fut, pour eux, la signification du Prix de
Voyage en Europe ? Les réponses à ces questions furent éloquentes. On a vu que pendant
toute la période :
1. La plainte la plus fréquente fut celle du manque d’amateurs d’art prêts à
acheter la production des artistes.
2. Le milieu brésilien fut vivement critiqué comme inadapté et défavorable au
développement des beaux-arts.
3. De la comparaison entre le Brésil et les nations européennes, les divers
auteurs ont tiré des conclusions désavantageuses pour le peuple brésilien,
appelé à suivre l’exemple des Européens.
4. Par conséquent, le Prix de Voyage en Europe était très valorisé dans le milieu
artistique brésilien de la seconde moitié du XIXe siècle. Le séjour d’études en
Europe était vu comme une expérience dans un milieu plus développé et plus
favorable aux beaux-arts.
257
5. Ainsi, les artistes brésiliens qui revenaient d’un séjour en Europe
étaient plus respectés que les artistes qui n’étaient jamais sortis
du pays.
On voit que les plaintes des artistes et critiques d’art concernaient l’inadaptation du
milieu brésilien au développement des beaux-arts. D’autre part, leurs regards se sont tournés
pleins d’espoir vers l’exemple des peuples européens, et la période d’études en Europe était
vue comme une étape indispensable à la formation artistique.
Si l’on songe à la brusque origine de l’Academia Imperial de Belas Artes (sujet
abordé au premier chapitre), l’inadéquation du milieu brésilien à l’essor des beaux-arts pendant
le XIXe siècle devient compréhensible, puisque la création de l’Académie ne fut pas le résultat
d’une lente évolution.
D’ailleurs, la valorisation capitale du Prix de Voyage et du séjour d’études à Rome
ou à Paris s’explique aussi par le rejet du passé colonial. Le désir d’oublier ce passé était suivi
d’une volonté de se moderniser et de devenir une nation sur pied d’égalité avec les nations
européennes. Et si les relations avec le Portugal étaient alors marquées très négativement, les
rapports des Brésiliens avec les autres pays d’Europe étaient imprégnés d’admiration et tout
contact avec leur culture était considéré comme très avantageux.
Ces réflexions ont amené à la mise en question des arguments avancés par
Campofiorito sur les Prix de Voyage. Influencé par la vision moderniste, Campofiorito affirma
que les Prix de Voyage ont contribué de façon décisive à renforcer le contrôle exercé par
l’Academia Imperial sur le milieu artistique brésilien, en renfermant les artistes dans un
ensemble de règles et possibilités prévues à l’avance.
Après la lecture des textes de l’époque, on a relativisé ce jugement sur les Prix. En
fait, on a vu que les voyages d’études en Europe furent considérés par les critiques
contemporains comme la condition indispensable à la formation de bons artistes nationaux. Et
si la production brésilienne des arts plastiques de la seconde moitié du XIXe siècle fut accusée
de stagnation par les critiques postérieurs, cette production répondait aux aspirations du milieu
artistique d’alors. L’aspiration fondamentale était celle de produire des oeuvres de même
niveau de qualité que les oeuvres les plus expressives réalisées en Europe.
258
Un chapitre sur les pensionnaires brésiliens venus étudier en Europe entre 1845 et
1887, c’est-à-dire, avant la mutation subie par l’Academia Imperial de Belas Artes devenue,
après la proclamation de la République brésilienne, l’Escola Nacional de Belas Artes, clôt
cette première partie de la thèse. De ce chapitre, on rappellera ici les points les plus importants.
À propos des oeuvres des pensionnaires, on a vu que :
1. Leurs travaux suivaient les principes académiques aussi bien dans les formes
que dans les thèmes. Néanmoins, on remarque une évolution dans le style des
oeuvres qui répond aux changements survenus dans la peinture en Europe au
cours de la période.
2. Malgré la répétition de références aux sujets bibliques ou historiques valorisés
par l’Académie, la façon qu’a chaque artiste d’aborder les sujets est très
particulière. Leurs oeuvres se différencient énormément les unes des autres.
3. Enfin, on a constaté qu’il n’est pas possible de cataloguer toutes les oeuvres
des pensionnaires brésiliens sous une même étiquette.
Après ces remarques générales, on a analysé les parcours de trois pensionnaires :
Victor Meirelles, Rodolpho Amoêdo et Almeida Júnior. L’analyse des séjours d’études de ces
trois artistes à Paris nous a aidé à considérer de plus près les méthodes mises en oeuvre par
l’Académie brésilienne pour surveiller l’activité de ses étudiants en Europe.
Il s’est avéré que le jugement porté par les professeurs sur les oeuvres des
pensionnaires n’était pas aussi rigide qu’on l’a cru. On a observé aussi que la préoccupation
première de l’Académie, en ce qui concerne la formation des artistes, était de l’ordre du métier,
dans le sens de l’obtention d’un savoir-faire technique. Cette préoccupation était associée, dans
un premier moment, au désir de produire des tableaux d’histoire. Le rôle de créateur d’images
mythiques de l’histoire du Brésil a été parfaitement rempli par Victor Meirelles, pensionnaire
envoyé en Europe en 1853 et revenu au Brésil en 1862. Le parcours de Victor Meirelles est
exemplaire aussi parce qu’il est devenu, après son retour au pays, un divulgateur des
enseignements reçus en Europe, en tant que professeur à l’Académie brésilienne.
Du parcours de Rodolpho Amoêdo, le second pensionnaire analysé, il faut souligner
les contradictions dans les jugements émis par les professeurs brésiliens face à l’influence de
l’Ecole française sur l’étudiant. Dans les rapports sur les envois du pensionnaire les professeurs
se sont exprimés sur cette influence comme si elle était quelque chose de négatif, destinée à
être surmonté par l’artiste, qui devait chercher une expression personnelle. La période d’études
était vue comme une période intermédiaire, après laquelle l’élève devait conquérir son propre
259
langage. Cette préoccupation de l’originalité de chaque artiste est une nouveauté par rapport à
la période du pensionnaire Victor Meirelles. Pour la première fois, les maîtres brésiliens
s’exprimaient officiellement à ce sujet.
On remarque aussi que le corps enseignant était alors scindé, puisqu’au lieu d’un seul
rapport, deux rapports furent présentés séparément traitant des derniers travaux envoyés par
Rodolpho Amoêdo. La fin du séjour d’études d’Amoêdo à Paris coïncide avec la fin des
années 1880, tandis que Victor Meirelles était de retour au Brésil en 1862. Par conséquent, cet
intervalle de temps a été traversé par une évolution dans la mentalité de quelques professeurs
au sein de l’Académie brésilienne. D’ailleurs, dans la seconde partie de la thèse on étudie plus
profondément ces changements, survenus aussi bien dans l’Académie que dans le monde
artistique de la ville de Rio de Janeiro.
Enfin, l’analyse du parcours du troisième peintre choisi, Almeida Júnior, nous fournit
l’occasion d’avancer d’autres remarques sur les jugements des professeurs brésiliens à propos
des oeuvres des étudiants brésiliens en Europe pendant la décennie de 1880. Le séjour
d’Almeida Júnior à Paris en tant que pensionnaire de l’empereur Dom Pedro II a duré de 1876
à 1881. Il n’était pas un pensionnaire de l’Académie, mais dans un rapport écrit sur
l’Exposition Générale de 1884 on a pu voir l’impression que ses oeuvres avaient produite sur
les professeurs de l’institution. En comparant ce rapport à une critique de Gonzaga-Duque sur
les mêmes peintures on a remarqué que, curieusement, les deux toiles mises en valeur par
Gonzaga-Duque étaient celles qui avaient eu la préférence des professeurs de l’Académie.
Cette constatation nous amène encore une fois à percevoir des changements dans l’orientation
proposée par les professeurs.
L’étude du parcours d’Almeida Júnior est intéressante aussi parce que cet artiste était
un peintre péquenaud, catégorie très critiquée par José Carlos Durand dans son livre Arte, Privilégio e Distinção... (Art, Privilège et Distinction...) 1. On a laissé en suspens, à la fin du
cinquième chapitre, une observation sur l’aspect contradictoire de l’argumentation de Durand.
D’un côté, cet auteur épouse le raisonnement des modernistes dans leur attaque de l’inertie et
du manque d’originalité des peintres brésiliens issus de l’Academia Imperial de Belas Artes de
Rio de Janeiro. D’un autre côté, Durand attribue ce manque à l’inadaptation de ces artistes
1
- DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe
dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989.
260
d’origine modeste au milieu cultivé parisien. Or, on sait qu’Almeida Júnior, exemple typique de
‘peintre péquenaud’, fut récupéré par le mouvement moderniste de 1922. De plus, la
valorisation moderniste de son oeuvre n’est pas sans rapport avec l’image d’un peintre
brésilien qui, à Paris, avait le mal du pays et rêvait de sa ville natale à São Paulo.
Cette contradiction dans le discours de José Carlos Durand met en évidence l’aspect
précipité des critiques faites à l’art de la période académique. Car si les modernistes ont rejeté
l’art des peintres issus de l’Académie, la valorisation de la peinture d’un Almeida Júnior laisse
la porte ouverte à une vision plus indulgente à l’égard de ces artistes.
Bref, de tout ce qui fut exposé dans la première partie de la thèse, on constate que :
1. Ce qui a poussé l’auteur de cette thèse à entamer une recherche sur les Prix
de Voyage et les séjours d’études des artistes brésiliens du XIXe siècle en
Europe, fut une curiosité d’ordre scientifique: connaître plus profondément le
sujet, alors que les informations recueillies dans les ouvrages d’histoire de
l’art brésilien n’étaient pas suffisamment éclairantes là dessus.
2. Au début de la recherche, ses efforts se sont concentrés sur le travail
d’investigation et de mise au point des informations sur les pratiques
académiques concernant les voyages d’études en Europe.
3. Lors de l’exploitation des sources, des données qui rendaient visibles les
inexactitudes présentes dans les textes postérieurs ont fait surface.
4. Ainsi, la contribution première de cette recherche est d’organiser les
informations sur les concours de Prix de Voyage, les obligations des
pensionnaires et leurs activités en Europe.
5. D’autre part, on a constaté que le discours sur cette période de l’histoire de
l’art brésilien a été vivement influencé par la logique moderniste qui refusa
toute valeur à l’art académique.
6. Il n’est pas encore possible d’établir des concepts conclusifs et définitifs sur
cette période. Cependant, cette étude peut aider à ouvrir d’autres voies à
l’interprétation des oeuvres des artistes qui l’ont vécue.
261
En effet, ce que l’on considère comme la principale contribution de ce travail est
l’invitation à une lecture plus ouverte de la production artistique brésilienne antérieure à
l’avènement des modernistes en 1922.
Dans la première partie de la thèse, une analyse des oeuvres des artistes brésiliens du
XIXe siècle a été ébauchée à partir d’un point de vue affranchi des préjugés traditionnels. Si
l’on n’a fait qu’effleurer cette analyse cela est dû à l’étendue du champ de l’étude, trop large
pour permettre un approfondissement de l’interprétation des oeuvres. Car selon le point de vue
proposé ici il serait nécessaire, pour entamer une étude valable des oeuvres de ces artistes,
d’étudier chacun d’eux et sa production dans son individualité, ses préoccupations et son
évolution personnelles.
Cette étude approfondie sur un seul artiste a été accomplie dans la seconde partie de
la thèse, autour du peintre Eliseu d’Angelo Visconti. Ainsi, en examinant son oeuvre, en
considérant l’évolution de son style au contact de l’art français, on a pu présenter une analyse
qui s’éloigne de l’interprétation traditionnelle.
On a vu que Visconti a été considéré traditionnellement comme un prédécesseur du
modernisme. À cet égard, il faut reconnaître que lorsque l’on confronte les oeuvres de Visconti
à celles des peintres brésiliens qui l’ont précédé, la conclusion habituelle paraît convaincante.
Effectivement, les tableaux de Victor Meirelles et de Pedro Américo, aussi bien par leurs sujets
que par leur facture, appartiennent à une période antérieure à la période où se situent les
oeuvres de Visconti. Les toiles mêmes d’un Almeida Júnior, tout en se distinguant de la
production d’artistes tels que Pedro Américo et Victor Meirelles, surtout par le choix des
sujets, se rapprochent davantage des oeuvres de ces maîtres que de l’oeuvre de Visconti.
Cependant, en approfondissant l’étude sur l’itinéraire d’Eliseu Visconti, on a constaté
aussi la continuité qu’il représente par rapport à l’enseignement reçu dans l’institution
académique. En même temps qu’il a cherché un style personnel et original, il n’a pas rompu
complètement avec ses maîtres brésiliens. Dans la quête de son propre langage pictural, il n’a
pas rejeté les instruments du métier acquis dans l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de
Janeiro et n’a pas opéré une rupture radicale avec les méthodes qu’il y avait acquises.
Lorsqu’on a étudié, dans les chapitres trois et quatre de la seconde partie, les
critiques élaborées autour de l’oeuvre de Visconti, il a été intéressant d’observer le poids des
262
idées reçues et du désir de trouver, dans l’histoire de l’art brésilien, des reflets de l’histoire de
l’art français. Le fait d’attribuer de l’importance à Visconti parce qu’il a été “ le peintre
impressionniste brésilien ” est très significatif de ce désir. Au lieu d’étudier son oeuvre à partir
des indications apportées par l’observation de son parcours, les critiques ont pris un raccourci
imposé par l’analogie avec l’histoire de l’art en France. On ne veut pas dire, par là, qu’il faut
oublier ou nier l’existence d’influences et d’emprunts. Mais cela veut dire qu’il faut se
demander ce que chaque artiste a créé d’original à partir des influences reçues, et quelles furent
les apports engendrés par chacun d’entre eux.
Ce que l’on propose ici c’est de regarder l’oeuvre de Visconti, et celle de tous les
autres artistes brésiliens, à partir d’un point de vue indépendant. Cela veut dire que l’on ne doit
pas approcher leur oeuvre pour vérifier tout simplement s’ils ont bien compris les ‘modèles
européens’. L'interprétation selon laquelle ils ont de la valeur dans la mesure où ils ont réalisé
quelque chose qui correspond à ces modèles ne sera jamais convenable. En réalité, les artistes
de l’Academia Imperial de Belas Artes avaient un projet original, même si, postérieurement,
les modernistes les ont accusés de manque d’originalité. Et, même si leur projet a été dépassé,
à l’époque où il fut proposé, il avait une importance. Cela veut dire aussi qu’il faut comprendre
les événements antérieurs qui ont décidé des chemins qu’ils ont pris. Et que l’on ne doit pas
essayer de trouver dans leur oeuvre, coûte que coûte, l’accomplissement de chemins qui ne lui
appartiennent pas entièrement. Il faut éviter de transplanter précipitamment, sans réflexion, les
modèles de l’histoire de l’art français dans l’histoire de l’art brésilien.
On ne comprendra pas l’oeuvre d’artistes tels que Visconti si l’on part toujours d’une
perspective centrée en Europe. On constate que l’insatisfaction des Brésiliens du XIXe siècle à
l’égard de leur pays est toujours vivante. Pendant longtemps, la pensée qui domina l’esprit des
Brésiliens fut marquée par le désir de ‘retourner’ en Europe pour retrouver une ‘patrie’
perdue. Et, finalement, il faut se débarrasser de cette idée.
Notre étude peut contribuer à une meilleure compréhension de cette période de l’art
brésilien. Si le tableau ici dépeint présente des imperfections et des défauts, il aspire du moins à
un regard nouveau posé sur le sujet abordé. Et s’il reste encore beaucoup à faire, nous
espérons avoir donné notre contribution dans ce sens.
263
IV - BIBLIOGRAPHIE
1 - Usuels :
1.
2.
3.
4.
PONTUAL, Roberto. Dicionário das Artes Plásticas no Brasil. Civilização Brasileira, Rio de Janeiro, 1969.
E. BENEZIT. Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs.
Librairie Gründ, Paris, 1976.
ULRICH THIEME. Allgemeines Lexikon der bildenden künstler, Band VII. Leipzig,
1912.
MÜLLER / H.W. SINGER. Allgemeines Künstlerlexicon, I. Frakfurt am Main, 1921.
2 - Sur l’art en France au XIXe siècle:
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
ALAUX, J. P. L’Académie de France à Rome: ses directeurs, ses pensionnaires,
Paris, 1934, 2 vol.
BAUDELAIRE, CASTAGNARY, DURANTY et allii. La promenade du critique
influent, anthologie de la critique d’art en France 1850-1900. Paris, Hazan, 1990.
L. BENEDITE, J. CORNELY, CLEMENT-JANIN, Gustave GEFFROY, Eugène
GUILLAUME, G. LAFENESTRE, Lucien MAGNE, P. FRANTZ MARCOU,
Camille MAUCLAIR, ROGER MARX, André MICHEL, Auguste MOLINIER,
Emile MOLINIER et Salomon REINACH. Exposition Universelle de 1900. Les
Beaux-Arts et les Arts Décoratifs. Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1900.
BONNET, Alain. La Réforme de l’école de beaux-arts de 1863, problèmes de
l’enseignement artistique en France au XIXe siècle. Thèse pour l’obtention du
Doctorat Nouveau Régime présentée devant l’Université de PARIS X - NANTERRE
sous la direction de M. le Professeur Pierre Vaisse, 1993.
BREDIF, Marie. Répertoire des artistes ayant exposé au Salon des Indépendants de
1884 à 1914. Paris, avril 1969. [Bibliothèque Jacques Doucet, cote 4o B 435].
DAUDET, Léon. Salons et journaux. Paris, Bernard Grasset, 1932.
ENCYCLOPÉDIE DU SIÈCLE. L'Exposition de Paris (1900), publiée avec la
collaboration d'écrivains spéciaux et des meilleurs artistes. Tome premier. Paris,
Librairie Illustrée, Montgredien et Cie, Editeurs, 1900.
FEHRER, Catherine. The Julian Academy, Paris 1868 - 1939. Spring exhibition
1989. New York, Shepherd Gallery, 1989.
GRASSET, Eugène. Art Nouveau, décorations florales. Paris, Bookking
international, 1988.
GRUNCHEC, Philippe. Les concours des Prix de Rome, 1797-1863. École Nationale
Supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1986.
________________. Les Concours d’esquisses peintes, 1816-1863. École Nationale
Supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1986.
HUYGHE, PARINAUD, DORIVAL, DUBY et allii. Un siècle d’art moderne,
l’histoire du Salon des Indépendants. Paris, Denoël, 1984.
LABAT-POUSSIN, Brigitte. Inventaire des Archives de l’École Nationale
Supérieure des Beaux-Arts et de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs
(Sous-séries AJ 52 et AJ 53). Paris, Archives Nationales, 1978.
264
14. _______________. École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, AJ52: versement de
1983. Paris, Archives Nationales, 1988.
15. LAFORGUE, BURTY, CARDON, CASTAGNARY, CHESNEAU et allii.
L’impressionnisme, 1874, une exposition. Editions de l’Amateur, 1996.
16. LAURENT, Jeanne. A propos de l’Ecole des Beaux-Arts. Ecole nationale supérieure
des Beaux-Arts, Paris, 1987.
17. LEMONNIER, Camille; KAHN, Gustave; SAUNIER, Charles, etc. Eugène Grasset
et son oeuvre. Paris, La Plume, 1900. numéro spécial, n.261
18. LYOTARD, Jean-François et JUSKIEWENSKI, Claude. Catalogue de l’Exposition
Henri Martin 1860 - 1943. Fragments, Paris, 1993.
19. MAINARDI, Patricia. The end of the Salon, art and the State in the Early Third
Republic. University Press, Cambridge, 1993.
20. MARTINE, Herold. Académie Julian, 1868, historique. Paris, Presses de Jean
Munier, 1987.
21. MICHEL, André. Notes sur l’art moderne (peinture), Corot, Ingres, Eugène
Delacroix, Raffet, Meissonier, Puvis de Chavannes. A travers les Salons. Paris,
Armand Colin, 1896.
22. MONNIER, Gérard. L’art et ses institutions en France, de la Révolution à nos jours.
Gallimard, Paris, 1995.
23. MURRAY-ROBERTSON. Grasset: pionnier de l’art nouveau. Editions 24 heures,
Lausanne, 1981.
24. PLANTIN, Yves & BLONDEL, Françoise. Eugène Grasset, Lausanne 1841 Sceaux
1917. Yves Plantin & Françoise Blondel. Paris, 1980.
25. RAMBAUD. Les sources de l’histoire de l’art aux Archives Nationales. Paris, 1955.
26. SEGRÉ, Monique. L’art comme institution, l’Ecole des Beaux-Arts, 19ème - 20ème
siècle. Les Editions de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan, Cachan, 1993.
27. THUILLIER, Jacques. Peut-on parler d’une peinture ‘pompier’ ? Essais et
conférences du Collège de France. Paris, PUF, 1984.
28. VAISSE, Pierre. La Troisième République et les peintres. Flammarion, Paris, 1995.
29. VITET, Louis & VIOLLET-LE-DUC, Eugène. A propos de l’enseignement des arts
du dessin. Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1984.
30. WHITE, H. & C. La carrière des peintres au XIXe siècle. Flammarion, Paris, 1991.
3 - Sur le XIXe siècle à Rio de Janeiro et sur l’Histoire du Brésil:
1.
2.
3.
4.
5.
COARACY, Vivaldo. Memórias da cidade do Rio de Janeiro. Rio de Janeiro, José
Olympio, 1955.
DAMAZIO, Sylvia F. Retrato Social do Rio de Janeiro na Virada do Século. Rio de
Janeiro, EdUERJ, 1996.
EDMUNDO, Luís. O Rio de Janeiro do meu tempo. Rio de Janeiro, Imprensa Nacional, 1938. 3 v.
_____________. Recordações do Rio antigo. Rio de Janeiro, Biblioteca do Exército,
1949.
FAUSTO, Boris. História do Brasil. Editora da Universidade de São Paulo, São Paulo, 1995.
265
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
FREYRE, Gilberto. “ D. Pedro II, imperador cinzento de uma terra de sol tropical ”.
In: Perfil de Euclides e outros perfis. Rio de Janeiro, Record, 1987.
__________. Ordem e progresso. 6a ed., Rio de Janeiro, Record, 1993.
__________. Sobrados e mucambos. 10a ed., Rio de Janeiro, Record, 1992.
HOLANDA, Sérgio Buarque de. O Brasil monárquico. 2a ed., Rio de Janeiro/São
Paulo, Difel, 1977.
LIMA, Oliveira. O império brasileiro. Melhoramentos, São Paulo, 1927.
LYRA, Heitor. História de d. Pedro II. Companhia Editora Nacional, São Paulo,
1938-40. 3 v.
MAGALHÃES JR., Raimundo. Arthur de Azevedo e sua época. Martins, São Paulo,
1939.
MATTOS, Ilmar Rohloff de. O tempo Saquarema, a formação do Estado Imperial.
Acess, Rio de Janeiro, 1994.
MAURÍCIO, Augusto. Algo do meu velho Rio. Brasiliana, Rio de Janeiro, 1966.
MAURO, Frédéric. O Brasil no tempo de d. Pedro II. Companhia das Letras, São
Paulo, 1991.
MOSSE, Benjamin. D. Pedro II, empereur du Brésil. Firmin/Didot, Paris, 1889.
NEEDELL, Jeffrey D. Belle époque tropical. Companhia das Letras, São Paulo,
1993.
RAEDERS, Georges P. H. D. Pedro II e os sábios franceses. Atlântica, Rio de Janeiro, s/d.
4 - Sur l’Art Brésilien:
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
ALVAREZ, Reynaldo Valinho ; CAMPOFIORITO, Quirino ; XEXEO, Pedro Martins Caldas. A luz da pintura no Brasil. Rio de Janeiro, Centro da Memória da Eletricidade no Brasil - C.M.E.B., 1994.
AMARAL, Aracy (supervisão, coordenação geral e pesquisa). Projeto construtivo na
arte (1950-1962). Rio de Janeiro, Museu de Arte Moderna; São Paulo, Pinacoteca do
Estado, 1977.
AMARAL, Aracy. “ De Mário para Tarsila ”, In: Revista da biblioteca Mário de Andrade, edição comemorativa, centenário de nascimento de Mário de Andrade. São
Paulo, jan./dez. 1993.
AMARAL, Aracy. Arte para quê ? A preocupação social na arte brasileira 19301970. Nobel, São Paulo, 1987.
ARAÚJO PORTO-ALEGRE, Manoel de. Apontamentos sobre os meios práticos de
desenvolver o gosto e a necessidade das Belas Artes no Rio de Janeiro feitos por ordem de sua Majestade Imperial o senhor DOM PEDRO II Imperador do Brasil,
1853. BRASIL ARQUIVO NACIONAL, códice 807, volume 14.
ARAÚJO PORTO-ALEGRE. Manoel de. Etat des Beaux-Arts au Brésil. Journal de
l’Institut Historique de France, n. 1, 1834.
BARATA, Mário. Notas sobre o 150 aniversário de Araújo Porto-Alegre. Rio de Janeiro, Escola Nacional de Belas Artes, Revista Arquivos, 1956.
BARROS, Álvaro Paes de. O Liceu de Artes e Ofícios e seu Fundador. Rio de Janeiro, 1956.
266
9. BENTO, Antonio. Portinari. Léo Christiano, Rio de Janeiro, 1980.
10. BERNADELLI, Rodolfo. Relatórios da Diretoria. Escola Nacional de Belas Artes.
1889/1895 maio de 1898.
11. BROCOS, Modesto. A questão do ensino de Belas Artes, seguido da crítica sobre a
direção Bernardelli e justificação do autor. Rio de Janeiro, 1915.
12. CAMPOFIORITO, Quirino. História da Pintura brasileira no século XIX. Rio de Janeiro, Pinakotheke, 1983.
13. CIPINIUK, Alberto. A Estética da Academia de Belas Artes do Rio de Janeiro. Tese
para obtenção do grau de Mestre. Rio de Janeiro, UFRJ - Instituto de Filosofia e Ciências Sociais - Departamento de Filosofia - julho de 1985.
14. COCCHIARALE, Fernando & GEIGER, Anna Bella, compiladores. Abstracionismo
geométrico e informal, a vanguarda brasileira nos anos cinqüenta. Rio de Janeiro,
FUNARTE, 1987.
15. COLI, Jorge. “ Primeira missa e invenção da descoberta ”. In : A descoberta do homem e do mundo / organizador Adauto Novaes. São Paulo, Companhia das Letras,
1998.
16. COSTA, Angyone. A Inquietação das Abelhas (o que pensam e o que dizem os nossos pintores, escultores, arquitetos e gravadores, sobre as artes plásticas no Brasil).
Rio de Janeiro, Pimenta de Mello & Cia, 1927.
17. COUSTET, Robert. “ Grandjean de Montigny à Rio de Janeiro ”, In : Grandjean de
Montigny (1776 - 1850) Un architecte français à Rio. Institut de France - Académie
des Beaux Arts. Exposition à la Bibliothèque Marmottan, 26 avril au 25 juin 1988.
18. DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e
classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989.
19. FREIRE, Laudelino. Um século de Pintura (Apontamentos para a História da Pintura no Brasil). 6 volumes. Tipografia Röhe, Rio de Janeiro, 1916.
20. _______________. Galeria Histórica dos Pintores no Brasil. Fascículo 1, Oficinas
Gráficas da Liga Marítima Brasileira, Rio de Janeiro, 1914.
21. _______________. “ Pedro II e a arte no Brasil, discurso proferido na Escola de Belas Artes ” e “A Pintura no Brasil, discurso de recepção no Instituto Histórico ”. Imprensa Nacional, Rio de Janeiro, 1917.
22. FUNARTE, Projeto Arte Brasileira. Academismo. Rio de Janeiro, 1986.
23. ____________________________. Modernismo. Rio de Janeiro, 1986.
24. ____________________________. Anos 30/40. Rio de Janeiro, 1987.
25. ____________________________. Abstração Geométrica 1. Rio de Janeiro, 1987.
26. GALVÃO, Alfredo. “ Manoel de Araújo Porto-Alegre, sua influência na Academia
Imperial de Belas Artes e no meio artístico do Rio de Janeiro ”, In: Revista do Instituto do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, Rio de janeiro, n. 14, 1959.
27. GONZAGA-DUQUE, Luís. A Arte Brasileira. Introduction et notes de Tadeu
Chiarelli. Mercado de Letras, Campinas, 1995. (1ère édition date de 1888)
28. ______________________. Contemporâneos (Pintores e escultores). Typ.
Benedicto de Souza, Rio de Janeiro, 1929.
29. GULLAR, Ferreira. Vanguarda e subdesenvolvimento. Civilização Brasileira, Rio de
Janeiro, 1969.
30. LAFETÁ, J.L. 1930: Crítica e Modernismo.
267
31. LEBRETON, Joaquim. “ Carta ao Conde da Barca ”, compilado e traduzido por Mário Barata, In Revista do Instituto do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, n.
14, Rio de Janeiro, 1959.
32. LEITE, José Roberto Teixeira. “ A ‘Belle Epoque’ ”, In : Arte no Brasil, v.2. Editora
Abril, São Paulo, 1979, p.p.556 - 605.
33. LEVY, Carlos Roberto Maciel. Antônio Parreiras (1860-1937), pintor de paisagem,
gênero e história. Pinakotheke, Rio de Janeiro, 1981.
34. MEIRELLES, Victor. A exposição das Bellas-Artes, ao Dr. Sr. Mello Moraes Filho.
Rio de Janeiro, Jornal do Comércio 19/04/1879.
35. MORAIS, Frederico. Cronologia das artes plásticas no Rio de Janeiro, 1816 - 1994.
Topbooks, Rio de Janeiro, 1995.
36. MORALES DE LOS RIOS FILHO, Adolpho. Grandjean de Montigny e a evolução
da arte brasileira. Rio de Janeiro, A Noite, 1941.
37. MUSEU NACIONAL DE BELAS ARTES. Universo acadêmico ; desenho brasileiro do século XIX da coleção do Museu nacional de belas artes. Rio de Janeiro, 1989.
38. PONTUAL, Roberto. Entre dois séculos, arte brasileira do século XX na coleção
Gilberto Chateaubriand. Rio de Janeiro, JB, 1987.
39. REIS JÚNIOR, José Maria dos. História da Pintura no Brasil. Editora Leia, São
Paulo, 1944.
40. ______________________. Belmiro de Almeida 1858-1935. Pinakotheke, Rio de Janeiro, 1984.
41. SÁ, Ivan Coelho de. A Academização da Pintura Romântica no Brasil e sua ligação
como pompierismo francês : o caso de Pedro Américo. Dissertação do Mestrado em
História da Arte. UFRJ, Rio de Janeiro, 1995.
42. SILVA, Henrique José. Reflexões Abreviadas sobre o projeto do plano para a Academia Imperial das Bellas-Artes, que se diz Composto pelo Corpo Acadêmico. Imperial Typographia de P. Plaucher, Rio de Janeiro, 1827.
43. SIQUEIRA, Dylla Rodrigues de. 42 anos de premiações nos salões oficiais
(1934/1976). Funarte, Rio de Janeiro, 1980.
44. TAUNAY, Afonso de E. A Missão Artística de 1816. Editora Universidade de Brasília. Coleção Temas Brasileiros, Brasília,1983.
45. TAUNAY, Félix Emílio. Ofício do diretor da Academia de Belas Artes de 28 de dezembro de 1843, In: Revista do IPHAN, compilado por Alfredo Galvão, n. 16, Rio de
Janeiro, 1967.
46. VACCANI, Celita. Rodolpho Bernardelli, vida artística e características de sua
obra escultórica. Tese de concurso para provimento da cadeira de escultura da Escola Nacional de Belas Artes da Universidade do Brasil. Rio de Janeiro, 1949.
47. VALLADARES, Clarival do Prado. “ Breve Noticia de las artes plásticas en el Brasil
deli siglo XIX ”. In : Revista de Cultura Brasilena, n.34, sept. 1972, Madrid, 1972,
p.p. 113-122..
48. ZILIO, Carlos. A querela do Brasil, a questão da identidade da arte brasileira: a
obra de Tarsila, Di Cavalcanti e Portinari/1922-1945. Funarte, Rio de Janeiro,
1982.
49. __________. O nacional e o popular na cultura brasileira, artes plásticas. Funarte,
Rio de Janeiro, 1982.
50. ____________. “ Formação do Artista Plástico no Brasil, o caso da Escola de Belas
Artes ” In : Arte e ensaios, revista do Mestrado em História da Arte, EBA-UFRJ,
ano 1, n.1, Rio de Janeiro, 1994.
268
4.1 - Revues et annales sur l’art brésilien :
1.
2.
3.
4.
Crítica de Arte, Ano II, no4, Rio de Janeiro, 1981.
MARTINS, Maria Clara Amado, VALENTE, Carlos Eduardo. (Org.) Memória e esquecimento, anais do Terceiro Encontro do mestrado em História da Arte - EBA.
Rio de Janeiro, UFRJ, EBA, 1996.
“ Salão Nacional de Belas Artes ” In : Boletim de Belas Artes, número especial. Edição da Sociedade Brasileira de Belas Artes. Rio de Janeiro, outubro/ novembro 1945.
Anos de Escola de Belas Artes. Anais do Seminário EBA 180. Rio de Janeiro, UFRJ,
1997.
4.2 - Catalogues d’expositions et de musées sur l’art brésilien :
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
AMARAL, Aracy; HERKENHOFF, Paulo. Ultramodern, the art of contemporary
Brazil. Washington, The National Museum of Women in the Arts, 1993.
MEC/Secretaria da Cultura/ FUNARTE. Arte Moderna no Salão Nacional,
1940/1982. 6o Salão nacional de Artes Plásticas, Sala Especial. Rio de Janeiro,
1983.
MINISTÉRIO DA EDUCAÇÃO E SAÚDE & MUSEU NACIONAL DE BELAS
ARTES. Um século de pintura brasileira. Rio de Janeiro, 1950.
MINISTÉRIO DA EDUCAÇÃO E SAÚDE & MUSEU NACIONAL DE BELAS
ARTES. Exposição a Europa na arte brasileira. Rio de Janeiro, 1952 (?) - s.d.
MINISTÉRIO DA EDUCAÇÃO E CULTURA & MUSEU NACIONAL DE BELAS ARTES. Catálogo da Exposição Comemorativa do Centenário de J. Baptista
da Costa. Rio de Janeiro, 1965.
Modernidade, art brésilien du 20e siècle. Musée d’Art Moderne de la ville de Paris 10 décembre 1987 - 14 février 1988, Association française d’action artistique, 1987.
MUSEU DOM JOÃO VI. Catálogo do Acervo de Artes Visuais. Escola de Belas Artes, Universidade Federal do Rio de Janeiro, CNPq. Rio de Janeiro, 1996.
anos de Paisagem Brasileira - Palácio dos Estados - Parque Ibirapuera - Museu de
Arte Moderna de São Paulo - fev./mar. 1956.
4.3 - Articles de journaux sur l’art brésilien :
1.
2.
ALMEIDA, Lívia de. “ Nosso impressionismo ” In : VEJA RIO, Rio de Janeiro, le 7
mai 1997, (p.14).
GOMES, Tapajós. Mestres do nosso Museu : Rodolpho Amoêdo. Correio da Manhã,
Suplemento de Domingo, 23 de julho de 1939, Rio de Janeiro, p.4.
269
5 - À propos de Visconti :
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
ACADEMIA CARIOCA DE LETRAS. Eliseu d’Angelo Visconti. Orações de
Oswaldo Teixeira, Frederico Barata e Carlos da Silva Araujo. Sauer, Rio de Janeiro,
1944 - 1945.
ACQUARONE, F. Mestres da Pintura no Brasil. Editora Paulo de Azevedo, Rio de
Janeiro. (p.p. 173 - 186).
BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu tempo. Rio de Janeiro, Ed. Zélio Valverde, 1944.
ENGEFORM SA. Visconti / Bonadei. São Paulo, Prol Editora Gráfica, s.d.
LOPES, Aurélio. “ Os Ex-libris e o emblema da Biblioteca Nacional ”, Kosmos, Rio
de Janeiro, março de 1904.
MINISTÉRIO DA EDUCAÇÃO E CULTURA, Museu Nacional de Belas Artes.
Visconti no Museu Nacional de Belas Artes. Rio de Janeiro, 1968.
MOTTA, Flávio. “ Visconti e o início do século XX ”, In: PONTUAL, Roberto. Dicionário das Artes Plásticas, Rio de Janeiro, 1968.
REIS JÚNIOR, José Maria dos. “ Eliseu Visconti ”. In : História da Pintura no Brasil. Editora Leia, São Paulo, 1944, (pp. 295-304).
5.1 - Articles de journaux et revues sur Eliseu Visconti :
1.
ARAUJO VIANA, “ Exposição Visconti ”, Jornal do Comércio, São Paulo, 26 de
março de 1903.
2. AULER, Hugo. “ Eliseu Visconti, precursor do modernismo no Brasil ”. In : Correio
Braziliense, Caderno cultural. Brasília, 22 de outubro de 1967.
3. __________. “ Art nouveau e seus reflexos na aristocracia brasileira do 900 ”. In :
Correio Braziliense, Caderno cultural. Brasília, 2 de março de 1968.
4. COUTINHO, Ernesto. “ Desenhos para os nossos selos postais ”. In: Kosmos no 10,
Rio de Janeiro, outubro de 1908.
5. FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”. In : ISTOÉ, São
Paulo, 28/12/1977, (p.p.55- 56).
6. GOMES, Tapajós. “ Os nomes gloriosos da pintura brasileira - Elyseu Visconti ”. In :
Correio da Manhã. Rio de Janeiro, 15/12/1935.
7. GOULART, Gabriela. “ municipal tem obra de arte recuperada ”. In : Caderno Cidade, Jornal do Brasil, 19/01/1999.
8. HERBORTH, Augusto. “ Exposição de Artes Decorativas ” In: O Jornal, Rio de Janeiro, setembro de 1926.
9. LIMA, Herman. “ A retrospectiva de Elyseu Visconti ” In : Diário de Notícias, 1o de
janeiro de 1950.
10. MORAIS, Frederico. “ Visconti : ternura e otimismo ”. In : O Globo. Rio de Janeiro,
3 / 3 / 1976.
11. PEDROSA, Mário. Visconti diante das modernas gerações, Correio da Manhã, Rio
de Janeiro, 1o de janeiro de 1950.
12. ROMEU, Lúcia Etienne. “ A Primavera de Eliseu Visconti ”. In : Arte Hoje, ano 1,
n.4I. São Paulo, outubro de 1977.
270
5.2 - Catalogues d’expositions des oeuvres de Visconti
1.
2.
3.
4.
5.
6.
Catalogue Illustré des ouvrages de peinture, sculpture et gravure exposés au Champ
de Mars, le 24 Avril 1897. Paris, E. Bernard et Cie. (p.113).
Exposição Retrospectiva de Elyseu d’Angelo Visconti. Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro, 1949.
Retrospectiva Elyseo Visconti, Rio de Janeiro, novembro de 1949.
Retrospectiva de Elyseo Visconti. São Paulo, 2a Bienal do Museu de Arte Moderna
de São Paulo, 1954.
Exposição Comemorativa do Centenário de Nascimento de Eliseu Visconti . Rio de
Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes, 1967.
Eliseu Visconti e a arte decorativa. Rio de Janeiro, PUC/FUNARTE, 1982.
5.3 - Thèses sur Visconti
1.
SANCHES, Maria José. Impressionismo Viscontiniano. Dissertação de Mestrado,
Departamento de Artes Plásticas da Escola de Comunicação e Artes da Universidade
de São Paulo. Orientação do professor doutor Walter Zanini. São Paulo, 1982.
6 - Sources en Archives :
1.
2.
3.
4.
5.
Archives Nationales de France. [Documents concernant l’Ecole des Beaux-Arts de
Paris].
Arquivo Geral da Cidade do Rio de Janeiro. [Códice 50 - 3 - 9 - A. “ Teatro municipal ”].
Arquivos do Museu Dom João VI - EBA/UFRJ [ Procès-verbaux des réunions du
Conseil de Professeurs et documents relatifs à Visconti].
Documents conservés par Tobias Visconti, fils d’Eliseu D’Angelo Visconti.
Journaux :
A Ilustração Brasileira, Rio de Janeiro, (1909).
A Noite Ilustrada, Rio de Janeiro, (Le 6 octobre 1936).
Gazeta Artística, São Paulo (numéros de Janvier et Mars 1910).
Jornal do Comércio, Rio de Janeiro. (1894 - 1900 ; 1941).
O Paiz, Rio de Janeiro. (1885 - 1896).
O Brazil Artístico, revista da Sociedade Propagadora das Belas Artes do Rio de
Janeiro, n.1, 1857.
271
ANNEXE 1
Fiches de renseignements sur les artistes brésiliens pensionnaires en Europe
(1845 à 1887)
1 - Les pensionnaires de l’Academia Imperial das Belas Artes
On présentera ci-dessous les données concernant chacun des dix-sept lauréats des
concours de l’Académie, mais on examinera avec plus d’attention les six artistes suivants :
Agostinho José da Motta, Victor Meirelles de Lima, João Zeferino da Costa, Rodolpho
Bernardelli, Rodolpho Amoêdo et Oscar Pereira da Silva.
1.
1845 - Raphael Mendes de Carvalho (Santa Catarina, Brésil, v.1817 - ?, v.1870)
- Peintre - lieu d’études : Rome.
Raphael Mendes de Carvalho fut le premier élève de l’Académie à obtenir une
pension de l’Etat pour venir étudier en Europe. Gonzaga-Duque cite les oeuvres qu’il a
présentées à l’Exposition Générale de 1842, c’est-à-dire, avant l’obtention de la pension. Les
peintures présentées - trois portraits, une petite toile historique sur le Débarquement de Pedro
Álvares Cabral à Porto Seguro et une esquisse pour une oeuvre de grandes dimensions : La
plantation de la croix par les sauvages - témoignent de son adhésion à la préférence
académique pour la peinture d’histoire.
Dans l’Exposition de l’année suivante (1843), Mendes de Carvalho présenta un
tableau religieux : La Déposition du Christ. C’était “ une oeuvre régulièrement faite, plus
prometteuse que réelle ”, selon Gonzaga-Duque.1
On sait que Raphael Mendes de Carvalho a complété ses études à Rome. Mais on ne
connaît pas le nombre d’années de son séjour en Europe. Selon Campofiorito, “ il n’a rien
produit d’important ”.2 Et Gonzaga-Duque nous informe qu’après son retour au Brésil, il est
devenu professeur de dessin et s’est voué au genre du portrait.
1
2
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.121.
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.96.
272
2.
1845 - Antônio Baptista da Rocha
- Architecte - lieu d’études : Rome.
Antônio Baptista da Rocha fut l'élève de Grandjean de Montigny à l’Academia
Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. Entre 1833 et 1841 il fut sept fois récompensé par
l’Académie. Lors du premier concours de Prix de Voyage en Europe, il remporta le prix en
devançant six autres candidats : Maximiniano Mafra et Paulo José Freire, dans la section de
peinture d’histoire ; Virginius Alves de Brito et Francisco Ferreira Serpa, dans la section de
paysage ; Francisco Elydeo Pamphyro et Antonio Antunes Teixeira, dans la section de
sculpture.3 Après avoir obtenu le prix, il se rendit à Rome où il étudia à l’Académie de SaintLuc sous l’orientation du professeur Luigi Canina. Quelques-uns de ses envoies de Rome sont
conservés au Brésil, en particulier un Temple de la Fortune Virile.4
3.
1846 - Francisco Elydeo Pamphyro (Rio de Janeiro, 1823 - ?)
- Sculpteur - lieu d’études : Rome.
Le deuxième Concours de Prix de Voyage eut lieu le 13 octobre 1846. Le lauréat,
Francisco Elydeo Pamphyro, avait appris la sculpture sous l’orientation de Marc Ferrez, l’un
des professeurs venus avec la Mission Française. Francisco Pamphyro avait 23 ans lorsqu’il
remporta le prix. Ainsi que les deux premiers pensionnaires de l’Académie, il fut envoyé à
Rome. Plus tard, de retour au Brésil, il devint professeur de sculpture de l’Académie.
3
4
- “ O Prêmio de Viagem , resumo histórico ”, In : Boletim de Belas Artes, número especial.
Edição da Sociedade Brasileira de Belas Artes. Rio de Janeiro, outubro/ novembro 1945.
(p.98)
- JUNIOR, Donato Mello. “ Présence de Grandjean de Montigny au Brésil ”, In :
Grandjean de Montigny, un architecte français à Rio, p.6.
273
4.
1847 - Geraldo Francisco Pessoa de Gusmão
- Graveur en médailles - lieu d’études : Paris.
On a très peu d’informations au sujet du lauréat de 1847. On sait qu’il s'est
perfectionné à Paris et qu’en décembre 1849 il fit une demande officielle pour prolonger son
séjour en France pendant deux ans afin de continuer ses études.5
5.
1848 - Francisco Antônio Nery (Rio de Janeiro, 1828 - id., 1866)
- Peintre d’histoire - lieu d’études : Rome
Après l’obtention du Prix de Voyage, Francisco Antônio Nery est parti à Rome. Il y
étudia à l’Académie de Saint-Luc en se spécialisant en peinture d’histoire. Il fréquenta cette
Académie jusqu’en 1851. Gonzaga-Duque raconte qu’il était encore très jeune lorsqu’il a
perdu la raison. Il est décédé à l’âge de 38 ans. Gonzaga-Duque écrit :
L’oeuvre de ce malheureux est triste comme les ténèbres qui envahissaient sa
conscience. Le ‘Laboureur de Pharsale’ et ‘Télémaque et Philoctète’ sont
des oeuvres très faibles. Le triste jeune homme avait l’âme imprégnée de
mélancolie. Pour lui la nature n’avait pas l’éblouissement des couleurs. 6
On observe que les sujets choisis par ce peintre se conformaient à l’orientation
académique qui privilégiait la thématique de l’histoire ancienne. Selon Campofiorito, Francisco
Antônio Nery ne se fait pas remarquer par son oeuvre.7
6.
1849 - Jean Léon Grandjean Pallière Ferreira (Rio de Janeiro, 1823 - Paris, 1887)
- Peintre d’histoire - lieu d’études : Paris
Jean Léon Pallière est né à Rio. Son père était le peintre Armand Julien Pallière
(Bordeaux, 1784 - id., 1862), Français arrivé à Rio de Janeiro au cours du mois de novembre
de l'année de 1817, et sa mère était la fille de l’architecte Grandjean de Montigny, membre de
5
6
7
- Arquivo Nacional (Rio de Janeiro) - Fundo IE - 7, maços 14 et 15 . (Informations de la
base de données de Carlos Roberto Maciel Levy)
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.124.
“ A obra desse infeliz é triste como as trevas que avassalavam sua consciência. O ‘Lavrador
de Farsalia’, ‘Telêmaco e Filoctetes’ são obras muito fracas. O desventurado moço tinha a
alma impregnada de desalento, cansada de melancolias. A natureza (...) para Antonio Nery
não tinha os deslumbramentos da cor (...). ”
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.96.
274
la Mission Française. A l’âge de cinq ans il fut amené en France8 et il s'est formé peintre à
Paris, sous l’orientation des professeurs Picot et Lenepveu.
Son nom est inscrit sur le registre des élèves des Beaux-Arts à Paris sous le numéro
19589. Ses données sont les suivantes :
n.1958 - Pallière, Jean Léon
né le 1er janvier 1829 (sic)
à Rio de Janeiro - Brésil
demeure : 9, rue de Navarin
présenté par M. Picot
date de l’entrée : le 27 septembre 1841
(de parents français)
Ces informations confirment qu’il a suivi des études à l’Ecole des Beaux-Arts de
Paris, huit ans avant de revenir à Rio de Janeiro pour se présenter au concours du Prix de
Voyage.
Le règlement du concours exigeait des candidats une formation suivie exclusivement
dans les institutions brésiliennes, pourtant Jean Léon Pallière emporta le Prix, lui qui avait
étudié à l’étranger. Manuel de Araújo Porto-Alegre protesta, mais la protection de Grandjean
de Montigny, grand-père du lauréat, et l’amitié du directeur de l’Académie, Félix Emile
Taunay, fils et neveu de deux maîtres de la Mission Française, ont pris le dessus.
À Paris, Jean Léon Pallière exécuta les travaux qui lui avaient été confiés - une toile
pour le salon de l’Académie, et trois tableaux de grandes dimensions : La Descente de JésusChrist (ill.1)10, Faune et Bacchante, et Jésus-Christ à Getsémani. Encore une fois on observe
l’imposition d’une thématique inspirée de la Bible ou de l’antiquité classique.
8
- CAMPOFIORITO, p.75.
- Archives Nationales de France, (AJ / 52 / 235) Registre des matricules des élèves des
sections de peinture et sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant la période
d’avril 1841 à mars 1871.
10
- L’abréviation (ill. 1) indique qu’une reproduction de l’oeuvre en question se trouve dans
l’annexe Illustrations. De même pour les prochaines ‘illustrations’.
9
275
À la fin de son séjour comme pensionnaire Léon Pallière n’a pas voulu retourner au
Brésil et s'en alla vivre à Buenos Aires, en Argentine.11
7.
1850 - Agostinho José da Motta (Rio de Janeiro, 1824 - id., 1878)
- Peintre - lieu d’études : Rome
Agostinho da Motta arriva à Rome en 1851. Il y étudia dans l’atelier de Jean-Achille
Benouville (1815-1891), peintre français actif en Italie. À propos de son séjour, GonzagaDuque nous raconte que l’artiste s’est dévoué aux études avec une ferme volonté, et amena au
Brésil beaucoup d’esquisses, dessins et peintures, parmi lesquelles la Vue de Rome (ill. 2) et
une étude de paysage italien louées par le critique. Selon celui-ci, “ la Vue de Rome, peinte du
naturel, est une oeuvre de valeur inestimable par la précision de la touche, par la poésie de la
combinaison des couleurs ”.12
Après son retour au Brésil, Agostinho da Motta devint professeur de peinture de
paysage à l’Académie de Rio de Janeiro. Il y exerça les activités de professeur pendant
quelques années. Plus tard, ayant abandonné ce travail, il continua à se vouer à son art,
réalisant surtout des natures mortes et des paysages.
Agostinho da Motta fut considéré comme le maître d’une technique rigoureuse, mais
de faible expression émotive.13 Ses paysages de Rio de Janeiro furent critiqués et jugés
méticuleux et froids. Quant aux natures mortes il fut le premier brésilien à s’y intéresser.
Gonzaga-Duque le décrit comme quelqu’un d’intelligent, cependant inactif, presque paresseux.
Le critique affirma :
La nature n’a pas captivé toute l’attention d’Agostinho da Motta. La plupart
des fois il la méprisa et préféra créer, combiner et harmoniser des lignes qui
traduisent la fine délicatesse de son goût, mais qui ne peuvent pas exprimer
la sincérité de son émotion et la spontanéité de ses impressions. Si sa
peinture est conventionnelle, cela n’est pas dû à un manque d’habileté, mais
à son caractère paresseux.(...) Cependant il avait la veine des grands
artistes. 14
11
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, pp. 96 - 97.
- GONZAGA-DUQUE. Arte Brasileira, p.130.
“ A ‘Vista de Roma’ tirado do natural é obra de inestimável valor pela precisão do toque,
pela poética combinação da cor. ”
13
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p. 97.
14
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 130.
12
276
8.
1852 - Victor Meirelles de Lima (Florianópolis, Santa Catarina, Brésil, 1832 - Rio de
Janeiro, 1903)
Peintre - lieus d’études : Rome et Paris.
En tant que pensionnaire de l’Académie, Victor Meirelles est resté en Europe
pendant huit ans. La durée du séjour des pensionnaires était alors de trois ans, mais il bénéficia
d’une prolongation de sa pension, une première fois pour trois ans, et une seconde fois pour
deux ans.
Ce peintre est devenu par la suite l’un des principaux artistes de la période
monarchique. Sa carrière mérite donc un examen plus attentif.
Ses biographes affirment que Victor Meirelles était encore très jeune lorsque le
Conseiller Jeronymo Francisco Coelho l’amena à Rio, après avoir constaté son talent
artistique. En 1847, à l’âge de 15 ans, Meirelles s’inscrivit à l’Academia Imperial, où il obtint
tous les prix scolaires. Après cinq années d’études, il obtint le Prix de Voyage de 1852.
Victor Meirelles a quitté le Brésil le 10 avril 1853. Arrivé en Europe, il s’installa à
Rome. Après avoir pris conseil auprès d’Agostinho da Motta, il se fit disciple du professeur
Minardi15. Cependant, les études réalisées sous l’orientation de Minardi ne correspondaient pas
à ce à quoi Meirelles s’attendait. À ce propos, Laudelino Freire écrivit :
M. Minardi concevait que n’importe quel élève, même le plus habile, n’était
jamais préparé au niveau du dessin pour passer à la peinture. Le disciple
lui a signalé que, outre ce qu'il faisait chez son maître, il était obligé,
d'après les instructions qu'il avait reçues de l’Académie brésilienne,
d’exécuter des oeuvres originales. Le professeur sourit avec dédain et
s’étonna de sa volonté de peindre, alors qu'il ne savait pas encore bien
dessiner. Après cela, Victor Meirelles comprit qu’il fallait abandonner
l’atelier du maître. Il monta son propre atelier et commença résolument à
travailleur à son compte. 16
“ A natureza não foi o primeiro cuidado de Agostinho da Motta. Muitas vezes ele a desprezou para criar, combinar, harmonizar linhas que podem dar conta da fina delicadeza de seu
gosto, porém nunca da sinceridade da sua comoção, e da espontaneidade das suas impressões. Convencionalista, não por inabilidade, porém por preguiça (...). No entanto ele tinha a
fibra dos grandes artistas. ”
15
- MINARDI, Tommaso (Faenza, 1787 - Rome, 1871) - Il fut professeur à l’Académie de
Saint-Luc à Rome de 1821 à 1858. [E. BENEZIT]
16
- FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 143.
277
On sait que Victor Meirelles eut encore un second professeur à Rome : Nicolau
Consoni, maître à l’Académie de Saint-Luc.17 Mais une fois de plus, Meirelles n’a travaillé que
très peu de temps sous l’orientation de ce professeur.
En 1855, sa pension arrivant à son terme, son ami et maître Porto-Alegre, directeur
de l’Académie depuis 1854, lui accorda une prolongation de trois années. Porto-Alegre
conseilla le pensionnaire d’aller à Paris et de faire tout son possible pour étudier dans l’atelier
de Delaroche. Mais Victor Meirelles arriva à Paris en 1856, l’année de la mort de Delaroche.
Ainsi il dut chercher un autre maître. D’abord il se fit élève de Léon Cogniet. En effet, on
trouve son nom parmi les inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1857, présenté par M.
Cogniet.18 Cependant, très vite il quitta ce maître et alla étudier dans l’atelier de Gastaldi19,
artiste italien établi à Paris. Selon Laudelino Freire, ce fut sous l’orientation de Gastaldi que
Victor Meirelles apprit à ‘voir la nature selon les gradations des formes et des distances’, à
“ O Sr. Minardi entendia de si para si, que o aluno por mais hábil que fosse nunca estava
pronto no desenho de modo a passar à pintura. O discípulo observou-lhe que além do que fazia era obrigado pelas instruções que trazia a executar trabalhos originais. O professor riu-se
desdenhosamente e estranhou que ele quisesse pintar quando não sabia ainda bem desenhar.
Victor Meirelles à vista disso entendeu que devia abandonar o atelier do mestre e tomando
um outro por sua conta começou resolutamente e por si só a estudar. ”
17
- Selon Campofiorito, Consoni fut professeur de Meirelles à Florence. Selon Laudelino
Freire, Victor Meirelles suivi les cours de ce professeur à Rome. On a trouvé des données
qui confirment l’information de Freire : Nicolas Consoni (Rieti, 1814 - Rome, 1884) après
une période d’études à Pérouse, s’est fixé à Rome où il a exercé ses activités artistiques
jusqu'à sa mort.
18
- Archives Nationales, France - (AJ / 52 / 235). “ Registre des matricules des élèves des
sections de peinture et sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant la période
d’avril 1841 à mars 1871 ”. Victor Meirelles est inscrit sous le numéro 3031. Ses données
sont les suivantes : n.3031 - LIMA, Victor Meirelles de ; né le 18 août 1832 à Santa Catarina, Brésil ; demeure : 37, rue de Seine / 17, rue des Beaux-Arts ; présenté par M. Cogniet ;
date de l’entrée le 9 avril 1857.
19
- Andrea GASTALDI (Turin, 1810 - id., 1889) - Peintre d’histoire, il étudia à Paris et y
devient très populaire. [BENEZIT, v. 4, p.629].
278
‘mélanger les couleurs en les plaçant et assemblant sur la palette, de façon à produire
une composition facile des couleurs complémentaires’.20
Cette appréciation très positive sur le progrès de Victor Meirelles à Paris est
particulière à Laudelino Freire. On ne la trouve pas dans le récit d’autres auteurs. Mais sur un
point ils sont tous d’accord : le dévouement du pensionnaire aux études était remarquable. Ils
relatent que jour et nuit Victor Meirelles dessinait comme un fanatique dans les musées, dans
les galeries de l’Ecole, et travaillait même pendant les heures de repos. 21 On raconte qu’à Paris
il ne s’est pas laissé éblouir par les séductions de la ville, il ne s’est pas amusé, il n’a fait que
travailler s’adonnant à l’étude du dessin et à la réalisation de copies de plusieurs maîtres
français.
L’application de Victor Meirelles a plu à ses professeurs brésiliens et en 1859 sa
pension fut encore une fois renouvelée. Il obtint alors une prolongation de deux ans afin de
réaliser le tableau La Première Messe au Brésil (ill. 4). On sait que Victor Meirelles soumit
l’ébauche de ce tableau à l’appréciation du peintre d’histoire Robert Fleury et reçut du maître
un avis favorable. En 1861, La Première Messe fut acceptée et exposée au Salon de Paris.
Victor Meirelles fut ainsi le premier Brésilien à exposer une de ses oeuvres au Salon.22 Ce
tableau est considéré jusqu’aujourd’hui comme l’une des plus importantes oeuvres produites
par l’Académie brésilienne.
Après avoir exposé La Première Messe en France, Victor Meirelles retourna au
Brésil et fut nommé professeur de peinture d’histoire de l’Académie. Il commença à exercer
ses activités de professeur en 1862 et il l'a fait jusqu’en 1890, lorsque la réforme entamée par
le régime républicain détermina son éloignement de l’enseignement officiel.
20
- FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p.143.
“ Foi aos atilados avisos de Gastaldi que Victor Meirelles se desenvolveu e progrediu.
Aprendeu a olhar por assim dizer, a ver as coisas na natureza, segundo a graduação que conservam entre si, a forma, as distâncias. Mesmo no combinar as tintas ele estava atrasado ;
Gastaldi ensinou-lhe a espalhar e reunir estas na palheta, produzindo a fácil composição das
cores suplementares. ”
21
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.170.
22
- CAMPOFIORITO, História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.161.
279
Dans l’Académie, il fut considéré comme le professeur qui forma le plus grand
nombre de disciples et dont l’action fut des plus utiles pour le développement de
l’enseignement de la peinture. Selon ses biographes, sa profession était pour lui un sacerdoce
et sa vie toute entière fut dédiée à ses élèves et à son art.
Entre 1862 et 1879, Victor Meirelles a travaillé et produit intensément, en même
temps qu’il exerçait son activité de professeur à l’Académie. Il a réalisé de nombreux portraits,
mais ses oeuvres les plus importantes furent celles à sujet historique ou biblique, telles que La
Bataille des Guararapes, Le Combat Naval du Riachuelo, Passage de l'Humaitá, Moema, La
Première Messe au Brésil, Saint Jean dans le cachot, Décollation, Flagellation du Christ
(ill.3), Le Serment de la Princesse Régente qui font partie des collections du Museu Nacional
de Belas Artes à Rio de Janeiro, sauf Moema, qui se trouve au Museu de Arte de São Paulo.
9.
1860 - José Joaquim da Silva Guimarães
graveur en médailles - lieu d’études : Paris.
Lauréat du Prix de Voyage de 1860, José Joaquim da Silva Guimarães a quitté Rio
de Janeiro le 25 mars 1861, à bord de la galère française Navarre. D’après un document de
l’Academia Imperial de Belas Artes, lui et José Rodrigues Moreira Júnior, lauréat de 1862,
ont eu ‘des difficultés en Europe’ en avril de 186423. Artiste pas très connu, on n’a pas
d’autres informations sur sa carrière et ses études. Il est certain qu’il a étudié à Paris, et c’est
peut-être lui l’élève brésilien inscrit dans l’atelier de sculpture de M. Jouffroy à l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris, dont on a trouvé le registre et les données suivantes :
n. 21 - Guimarães, Joaquim José
né à Rio de Janeiro, Brésil, le 3 Mars, 1848
[il n’y a ni la date de l’entrée, ni l’adresse de l’élève]24
23
- Arquivo Nacional, Brasil - Fundo IE-7, maços 18, 19, 20, 23, 38, 41 2 42 (37
documents).
24
- Archives Nationales, France. Registre d’inscription dans les ateliers de l’Ecole des BeauxArts de Paris - 1863 / 1874 (AJ / 52 / 246).
280
10.
1862 - José Rodrigues Moreira
Architecte - lieu d’études : Paris.
D’après la lecture des documents, on sait que José Rodrigues Moreira embarqua le
16 juillet 1863 dans la galère Victoria vers l’Europe. Le 27 avril 1864, l’Academia Imperial de
Belas Artes demanda son admission à l’Ecole Impériale Spéciale des Beaux-arts de Paris.
Le 12 septembre 1866 il se trouvait à Paris. Il demanda alors l’autorisation de se
transférer à Rome afin d’y continuer ses études. Il n’a pas obtenu de réponse affirmative et
retourna au Brésil le 17 avril 1867.25
11.
1865 - Caetano de Almeida Reis (Rio de Janeiro, le 3 octobre 1838 ou 1840 - id.,
1889)
- sculpteur - lieu d’études : Paris.
En 1854 Caetano de Almeida Reis s’est inscrit à l’Academia Imperial où il a fait des
études de sculpture. Après obtenir le Prix de Voyage en 1865, il alla étudier à Paris sous la
direction de Louis Rochet. Cependant, il eut sa pension suspendue avant de compléter son
séjour d’études. L’Académie décida de la suspension de sa pension après avoir considéré sa
sculpture Le fleuve Paraíba do Sul comme contraire aux normes classiques. Gonzaga-Duque
raconte :
En 1867 Almeida Reis était un pensionnaire de l’Académie et dans cette
condition il devait choisir un sujet, selon l’habitude, dans la Bible, en
gardant le plus grand respect pour la forme pure et immuable du
classicisme. Mais il a choisi de représenter le Paraíba, qui n’a rien de
biblique, ce qui accuse donc le plus irrévérencieux mépris envers la forme
froide des allégories académiques. Cette audace a sans doute contrarié la
dictature officielle de l’art. La statue est modelée en plâtre et représente une
indienne assise sur un rocher d’où elle sépare deux pierres qui donnent libre
accès à un cours d'eau. Avec la vigueur du mouvement que l’artiste lui a
donnée, la fameuse dignité de la forme est disparue. Les bras qui s’efforcent
de séparer deux cailloux ne peuvent pas avoir les contours des bras de la
Vénus Callipyge, ni son corps présente les douces courbes de la Vénus de
Médicis. La tension des muscles des bras et de la poitrine est sagement
modelée (...). Il ne lui manque aucune des bonnes qualités de la sculpture. Il
y a proportion dans le dessin, harmonie entre l’inspiration et l’exécution,
l’expression est juste, la position originale, le modelé ferme et large. S’il y a
25
- Arquivo Nacional (Rio de Janeiro) - Fundo IE-7, maços 18, 19, 37 et 42 (17 documents)
- informations de la base de données de Carlos Roberto Maciel Levy.
281
dans cette sculpture ces qualités essentielles, quelle autre qualité pourrait-on
exiger de l’artiste ? Mais il me semble que le pensionnaire n’a pas satisfait
l’Académie. Sa production originale fut donc mise de côté, sans mériter les
moindres soins de conservation. 26
Cet épisode est un exemple de la rigueur des principes néoclassiques au sein de
l’Académie à ce moment-là.
12.
1868 - João Zeferino da Costa (Rio de Janeiro, 1840 - id. 1915)
- Peintre - lieu d’études : Rome.
Le concours de 1868 eut cinq candidats, tous peintres d’histoire.27 Zeferino da Costa,
le lauréat, partit l’année suivante pour Rome où il séjourna pendant neuf ans. La troisième
année de son séjour en Italie, c’est-à-dire, en 1871, il obtint le premier prix du concours de
peinture de l’Académie de Saint-Luc. Il communiqua à l’Académie brésilienne l’obtention de
ce prix et le gouvernement lui concéda la somme de mille francs en récompense. En 1873, sa
pension fut prolongée de 3 ans.
À Rome, Zeferino da Costa réalisa un nombre considérable de très bonnes études et
trois tableaux - L’Obole de la Veuve (ill.5), Moïse reçoit les Tables de la Loi et Charité28 - qui
ont mérité le commentaire de Gonzaga-Duque :
26
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, pp. 244 - 245.
“ En 67 Almeida Reis era um interno da Academia, e, nesta condição, devia escolher assunto, segundo é praxe, na Bíblia, guardando o maior respeito pela forma pura e imutável do
classicismo. Ora, a Paraíba nada tem de bíblico, logo acusa o mais irreverente desprezo pela
fria forma das alegorias acadêmicas, arrojo este que, sem dúvida alguma, contrariou a ditadura oficial da arte. A estátua é moldada em gesso e representa uma índia assentada sobre
um rochedo donde ela separa duas pedras que dão livre passagem à veia d’água. E com o vigor do movimento que o artista lhe deu foi-se a muito pretendida e assaz falada dignidade
da forma. Os braços que forcejam dois calhaus da rocha não podem ter o contorno dos braços da Vênus Calipígia, nem o seu corpo apresenta as suaves curvas da Vênus de Medicis. A
tensão dos músculos dos braços, dos do peito, são sabiamente feitos sem que o artista tivesse o ensejo de lançar mão de detalhes insignificantes sob pretexto de exatidão. Todavia não
lhe falta nenhuma das boas qualidades da escultura. Há proporção no desenho, harmonia entre a inspiração e a feitura, a expressão é justa, a posição original, o modelado firme e largo.
Existindo, pois, essas qualidades essenciais, quais ainda podia-se exigir do artista ? Pareceme que o interno não satisfez a Academia, e tanto que a sua original produção foi posta de
lado sem que merecesse o menor cuidado na sua conservação. ”
27
- Données citées par Laudelino Freire, (Um Século de Pintura, p.135)
28
- Ces oeuvres appartiennent aux collections du Museu Nacional de Belas Artes à Rio de
Janeiro.
282
Dans les deux premiers tableaux on décèle un coloriste de fine trempe, mais
la Charité, en tant que conception artistique, est le meilleur parmi les trois.
Le motif en est simple : une femme riche arrive à la misérable bicoque de
quelques pauvres. Au fond de l’habitation, se soulevant sur sa paillasse, on
perçoit la paralytique, l’habitante de cet obscur hameau, et à la porte
d’entrée apparaît un valet avec les provisions que ce coeur généreux vient
offrir à la pauvre. 29
Cependant, le même auteur critiqua sévèrement un autre tableau de Zeferino : La
Pompéienne, toile réalisée à Rome en 1876 et exposée à Rio en 1879 :
(...), Zeferino a fait pour l’exposition de 1879 une étude de nu à laquelle il
a donné le nom de Pompéienne (ill. 6), à la manière de certains parents qui
baptisent leurs enfants avec les noms des figures historiques.(...). Qu’est-ce
qui fait que cette mauvaise, cette ignoble figure, trempée dans l'huile,
enduite de matières grasses aromatiques, barbouillée à la valoutine pour
déguiser la grossière structure de se formes, ressemble à une pompéienne
(...) ? Pompéienne pourquoi ? Je suis certain qu’aujourd’hui l’artiste ferait
tout son possible pour effacer ce nom de son tableau. 30
Le titre que le peintre avait choisi pour son étude de nu démontre l’habitude
académique de transformer toute peinture en peinture d’histoire.
29
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 217.
“ Nos dois primeiros quadros percebe-se um colorista de fina têmpera, mas a ‘Caridade’,
como concepção artística é dos três o que mais valor possui. O motivo é simples : uma rica
mulher chega à miserável choupana de uns necessitados ; ao fundo, soerguida da enxerga,
está a entrevada, a moradora desse casal obscuro, e na porta da entrada aparece um criado
de libré com as provisões que esse generoso coração traz à pobre. ”
30
- GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, pp. 217 - 218.
“ ... Zeferino fez para a exposição de 79 um estudo do nu a que deu o nome de Pompeiana,
à maneira de certos pais que batizam seus filhos com os populares nomes dos vultos históricos. (...). Qual a causa de parecer pompeiana esta ruim, esta ignóbil figura, lavada em óleo,
emplastada de gorduras aromáticas, besuntada de valoutine para disfarçar a alambazada estrutura de suas formas ? Pompeiana por que ? Estou bem certo que hoje o artista daria tudo
para apagar desse quadro o seu nome. ”
283
De retour au Brésil en 1876, Zeferino da Costa fut nommé professeur de l’Académie,
poste qu’il conserva jusqu'à son décès en 1915.
Zeferino da Costa retourna encore une fois à Rome, non pas pour y étudier, mais
pour réaliser les cartons préparatoires des peintures décoratives de l’église de la Candelária de
Rio de Janeiro. Revenu à Rio en août 1896, il finit son travail sur place. Postérieurement, ces
peintures décoratives furent jugées trop respectueuses des principes académiques.
Si le caractère académique de la peinture de Zeferino da Costa fut toujours souligné,
il faut observer que ce peintre fut l’un des trois professeurs de l’Académie qui, à la veille de la
proclamation de la République, se sont positionnés en faveur des élèves qui demandaient la
réforme de l’institution. Sa position révélait son mécontentement envers l’Académie, qui
l’empêchait de mener à bien son cours de peinture de paysage. Zeferino da Costa affirmait que
la peinture de paysage, “ peut-être plus que la peinture d’histoire, apprend à peindre, car
l’artiste doit être attentif aux ressources que la nature nous offre (la nature est le meilleur
maître de l’artiste) ”.31 En outre, Zeferino da Costa avait pour base de son enseignement la
peinture de plein air et réclamait le droit de varier les horaires de son cours de façon à
permettre aux élèves de travailler en dehors de l’atelier, dans des conditions lumineuses
variables.32 En défendant ces idées il s’est opposé à l’institution qui, selon lui-même, essayait
d’empêcher l’inscription des élèves dans cette discipline.
31
- Procès-verbal de la séance du conseil de professeurs de l’Académie, le 18 février 1888.
Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.
“ ... esta aula sendo uma das aulas superiores da Academia, aquela que, talvez, mais do que a
de Pintura histórica ensina a pintar, atento os [sic] recursos que nos prodigaliza a natureza
(melhor mestre do artista)... ”
32
- Dans la séance du conseil de professeurs de l’Académie, le 18 février 1888, lors de la
présentation des horaires et programmes des disciplines par les professeurs, Zeferino da
Costa déclara que l’horaire de son cours de peinture de paysage devrait être varié. (Voir le
procès-verbal de la séance, Museu Dom João VI, Rio de Janeiro).
284
13.
1871 33 - Heitor Branco de Cordoville
architecte - lieu d’études : Rome.
Après l’obtention du Prix de Voyage, Heitor Branco de Cordoville partit de Rio de
Janeiro le 28 juillet 1872, à bord du vapeur français La France. On n’a pas beaucoup
d’informations sur son séjour d’études, mais on sait qu’il s’est installé à Rome. La fin de son
séjour fut perturbée, car en 1876 il tomba malade, atteint d’une fièvre rhumatismale qui a duré
jusqu’en 1877. De plus il a laissé des dettes en Europe 34. De retour au Brésil il fut nommé
professeur de la chaire d’ornements dans l’Académie.
14.
1876 - Rodolpho Bernardelli (Guadalajara, Mexique, 1852 - Rio de Janeiro, 1931)
Sculpteur - lieu d’études : Rome.
Le lauréat de 1876, le sculpteur Rodolpho Bernardelli, fut un personnage marquant
dans l’histoire de l’Académie brésilienne des Beaux-Arts. Les témoignages de ses
contemporains le montrent tantôt comme un génie dans son art, tantôt comme un homme
machiavélique qui a su manipuler les hommes de pouvoir pour obtenir toutes les faveurs de
l’Etat, en empêchant le progrès de tout autre sculpteur qui aurait pu ternir sa propre
renommée.35
En suivant sa trajectoire depuis son temps de pensionnaire en Europe jusqu’à ce qu'il
devînt le directeur de l’Escola Nacional de Belas Artes en 1890, on remarque qu’en plus de
son talent artistique il avait une grande habileté politique. De retour au Brésil en 1885, après
un séjour de neuf ans en Italie, il devint professeur de l’Academia Imperial et fut reçu par les
étudiants comme une gloire nationale. Par la suite, pendant l’agitation à la veille de la
Proclamation de la République, il s’est lié aux étudiants qui revendiquaient une réforme de
l’Académie, et finalement, après le changement de régime politique du pays, il fut nommé
33
- Les sources consultées étaient controversées sur la date de ce concours. Elles indiquaient
parfois l’année de 1870, parfois 1871. En consultant les documents de l’Academia Imperial
de Belas Artes de Rio de Janeiro on trouve la confirmation pour l’année de 1871. Références
du document : (notação 5020) de 30/8/1871, Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.
34
- Arquivo Nacional, Brasil - Fundo IE7, maços 21, 22, 23, 40 e 117 (32 documents).
35
- Le professeur et peintre Modesto Brocos fut l’un de ses plus ardents ennemis, mais des
journalistes contemporains l’attaquaient aussi, comme ce fut le cas du Comte Carlos de Laet,
qui signait sous le pseudonyme de Cosme Peixoto ses articles dans le Jornal do Brasil.
285
directeur de cette institution qui gagnait un nouveau nom, celui d’Escola de Nacional de Belas
Artes.36
Lors du concours de 1876, Rodolpho Bernardelli n’a pas eu des concurrents, le seul
candidat étant lui, qui fut aussi le lauréat. Elève de sculpture de l’Academia Imperial, il s’était
déjà fait remarquer parmi ses collègues. Immatriculé à l’Académie en 1870, en 1873 il exécuta
sa première statue, David, vainqueur de Goliath. Cette oeuvre lui permit d’obtenir sa première
médaille d’or, à l'occasion de l’Exposition Générale. En 1874 il exécuta la Nostalgie de la
Tribu et, un an après, Aux Aguets, deux statues primées dans l’Exposition Universelle de
Philadelphie.37 Pour le concours de Prix de Voyage il réalisa un travail en accord avec les
tendances classiques du cours de sculpture, la composition en bas-relief Priam implore le
corps d’Hector à Achille.
Après le concours il est immédiatement parti et, ayant d'abord passé deux mois à
Paris il s’établit à Rome, où il installa son atelier. À propos de ses premières expériences en
Europe il laissa lui-même le témoignage suivant :
(...) Ainsi, arrivé à Paris en décembre 1876, l’art contemporain n’a pas
exercé d’influence sur mon esprit. C’étaient des oeuvres sans vie. En France,
l’Empereur [Dom Pedro II] a voulu connaître mon programme d’études.
J’ai exprimé à S.M. mon mécontentement parce que je ne pouvais pas entrer
dans l’Institut. Cet établissement avait été réformé et était devenu une simple
institution de préparation, ce qui m'aurait obligé à étudier des disciplines
dont je n’avais plus besoin, car j’étais déjà préparé, d'une part, et d'autre
part parce qu’il fallait que j’accomplisse le programme obligatoire pour
satisfaire le règlement de notre Académie. J’ai communiqué à l’Empereur
que j’avais adressé une lettre au Directeur en demandant de me libérer de
l’obligation de m’inscrire dans l’Institut. Dans la même lettre j’avais envoyé
les statuts qui prouvaient que l’Institut était devenu quelque chose comme
notre Lycée des Arts et Métiers. (...).
36
- Rodolpho Bernardelli fut directeur de l’Escola Nacional de Belas Artes pendant 25 ans.
En 1915, un mouvement de professeurs et d’élèves lui enleva la direction de l’Ecole.
37
- GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.251.
286
À Rome, où je suis arrivé au cours du mois de février 1877, j’ai été étourdi
les premiers jours, car c’était la période du Carnaval, il y avait une invasion
de touristes et j’ai rencontré des difficultés pour trouver un appartement
(...).
En Italie, où je suis arrivé après avoir passé deux mois à Paris, l’ambiance
n’était pas très encourageante, parce que la nation était encore sous
l’impression de la constitution de la nouvelle capitale, Rome. J’ai passé par
Florence où je suis allé visiter mon professeur d’Esthétique, le Dr. Pedro
Américo. (...). 38
Ces notes indiquent que le pensionnaire aurait dû accomplir ses études à Paris. Le
sculpteur changea habilement sa destination pour Rome. On sait que par la suite il est resté en
Italie pendant neuf ans. En effet, Bernardelli a réussi à obtenir une prolongation de trois ans,
car en principe la pension était prévue pour une durée de six ans seulement.
En décembre 1882, Rodolpho Bernardelli invita le Baron de Javary, ministre du
Brésil en Italie, pour visiter son atelier. Le ministre était chargé, comme on a vu dans le
chapitre 2, d’accompagner les progrès de l’artiste. Lors de cette visite, Bernardelli réussit à
impressionner très favorablement le Baron. Ensuite le ministre écrit une lettre au directeur de
l’Académie où il ne fit que des éloges au sculpteur :
38
- Archives du Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro, Archive personnelle de
Rodolpho Bernardelli, Mapoteca, Pasta n.4, doc. N. 188. Cité par WEISZ, Suely de Godoy.
“ Rodolpho Bernardelli, um perfil do homem e do artista segundo a visão de seus contemporâneos ”. In : 180 Anos de Escola de Belas Artes. EBA, UFRJ, Rio de Janeiro, 1997. p.245.
“ Assim foi que chegando a Paris em Fevereiro de 1877 - A Arte contemporânea não influiu
no espírito. Eram obras sem vida, em França o Imperador quis saber qual era o meu programa de estudos, e externando a S. M. meu desgosto por não poder entrar para o Instituto por
este estabelecimento ter sido reformado em uma instituição apenas de preparo e obrigar a estudar matérias das quais eu já me achava preparado, e por ter um programa obrigatório a
cumprir para satisfazer o regulamento da nossa Academia. Participei a S. M. que havia oficiado ao Diretor que me relevasse da cláusula de matricular-me no Instituto e mandava-lhe os
estatutos por onde podia verificar que o Instituto era uma espécie de nosso Liceu de Artes e
Ofícios. (...). Em Roma onde cheguei em Fevereiro de 1877 passei os primeiros dias tonto,
era época de carnaval, havia muita invasão de forasteiros, dificuldade de arranjar um apartamento (...). Na Itália, onde fui depois de ter passado quase dois meses em Paris, a atmosfera
não era mais animadora e aí por estar ainda a nação debaixo da impressão da constituição da
nova capital Roma, passando por Florença onde me demorei alguns dias e fui visitar o meu
prof. De Estética Dr. Pedro Américo (...). ”
287
En répondant à l’invitation du pensionnaire de l’Académie des Beaux-Arts,
M. Rodolpho Bernardelli, je suis allé voir dans son atelier la copie de la
sculpture ‘Vénus Callipyge’ dont l’original se trouve au Musée de Naples,
copie qu’il vient de finir et qu’il va envoyer à Rio de Janeiro. Dans la
mesure de mes limites, je peux vous dire que le jeune sculpteur brésilien a
reproduit avec succès cette statue magnifique, aussi admirable par la beauté
esthétique des formes que par l’harmonie artistique des draperies.
À l’occasion de cette visite j’ai pu voir aussi l’ébauche en glaise d’une
statue qu’il prétend exécuter en marbre, destinée à notre Académie : ‘Jésus
Christ protégeant la femme adultère contre ceux qui voulaient la lapider’.
Ce sujet, capable sans aucun doute d’inspirer l’artiste, a déjà été plusieurs
fois traité en peinture, mais je ne connais pas de sculpture sur ce thème.
(...) je vais me limiter à vous communiquer l’impression que ce travail m’a
fait - l’impression que le beau absolu produit habituellement sur tous les
gens et même sur les moins initiés dans les secrets de l’art. M. Bernardelli,
en plus du mérite d’avoir choisi une telle composition, a su communiquer à
son oeuvre le beau absolu dont je parle, et qui impressionne à tous. 39
Dans la suite de sa lettre, le ministre continue à faire l’éloge de l’oeuvre de Rodolpho
Bernardelli, en ajoutant la déclaration d’un sculpteur italien qui était présent lors de sa visite à
l’atelier.
39
- Lettre de M. Pedro Leão Velloso, Baron de Javary, Ministre et Secrétaire des Affaires
Etrangères de l’Empire, adressée au Directeur de l’Academia Imperial de Belas Artes.
Rome, le 19 décembre 1882. [Lettre mentionnée dans le procès verbal de la séance du 15
février 1883, Museu Dom João VI, Escola de Belas Artes, Universidade Federal do Rio de
Janeiro].
“ Por convite do pensionista da Academia das Belas Artes Sr. Rodolpho Bernardelli, concorri ao seu atelier para ver a reprodução que ele concluiu e vai remeter para o Rio de Janeiro,
da Vênus Calipígia do Museu de Nápoles. Quanto me é possível julgar, o jovem escultor brasileiro reproduziu com muito bom êxito essa magnífica estátua, tão admirável pela beleza estética das formas, como pela harmonia artística da roupagem. - Nessa minha visita ao atelier
do Sr. Bernardelli, também vi o modelo primitivo que ele fez em greda, para esculpir o grupo
de mármore destinado à nossa Academia das Belas Artes : - Jesus Cristo amparando a mulher adúltera contra os que a queriam lapidar. Este assunto, apto sem dúvida a inspirar o artista, já por vezes tem sido magistralmente tratado em pintura, mas não me consta que o tenha sido pela escultura. - Incompetente como sou para formular juízo sobre este trabalho artístico de grandiosas proporções, limitar-me-ei a dar conta da impressão que ele me produziu
- a impressão que o belo absoluto sói produzir ainda nos menos iniciados nos segredos da
arte. O Sr. Bernardelli, a par do mérito especial da iniciativa da composição, soube comunicar a essa sua obra o belo absoluto de que falo, e que a todos impressiona. ”
288
Je ne peux pas m’empêcher de mentionner ici la déclaration que j’ai
entendue alors de la bouche d’un sculpteur italien distingué qui était présent
et qui, après avoir analysé cette production de M. Bernardelli comme je ne
peux le faire, m’a dit que ce groupe apporterait beaucoup d’honneur à
l’artiste brésilien et à sa patrie, et qu’il était digne de figurer dans les
meilleures Académies européennes. 40
On s'étonne du hasard qui a fait comparaître dans l'atelier de Rodolpho Bernardelli,
au moment même de la visite du ministre, un sculpteur italien qui s'est chargé d’assurer celui-ci
de la qualité du travail de l'artiste, en affirmant “ qu’il était digne de figurer dans les meilleures
Académies européennes ”. Pour les Brésiliens de cette période, il ne pouvait pas avoir de plus
grande gloire que d’être accepté dans le cercle des ‘nations civilisées’, et s’il est certain que le
ministre était impressionné par l’oeuvre du sculpteur brésilien, il est aussi sûr que l’affirmation
de l’Italien a produit son effet.
Cette lettre fut communiquée à l’ensemble des professeurs lors de la séance du corps
enseignant réalisée le 15 février 1883. Le 22 décembre 1883, une prolongation d’une durée de
18 mois fut accordée au pensionnaire “ afin qu’il puisse conclure le travail qu’il est en train
d’exécuter, [Le Christ et la femme adultère] et visiter en Europe les musées et galeries des
pays riches en monuments artistiques ”.41 En février 1884 Bernardelli reçut 6 mil francs pour
exécuter une copie en marbre de la statue “ Vénus de Médicis ”.42
Tout au long de son séjour en Italie, Rodolpho Bernardelli travailla à son propre
compte et n’a pas eu de maîtres. Mais en cas de nécessité il demandait conseil aux maîtres
italiens, les statuaires Monteverde et Maccagnani d’Orsi.
40
- Idem.
“ Não posso furtar-me ao desejo de referir a V. Excia o que então ouvi a um distinto escultor
italiano que presente estava e que, depois de analisar esta produção do Sr. Bernardelli como
eu não posso fazê-lo, disse-me que esse grupo fazia muita honra ao artista brasileiro e à sua
pátria, e que era digno de figurar nas melhores Academias européias. ”
41
- Procès verbal de la séance du 22 décembre 1883. Arquivo Museu D. João VI / EBA /
UFRJ, Rio de Janeiro.
42
- Procès verbal de la séance du 15 février 1884. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ,
Rio de Janeiro.
289
En octobre 1885, de retour à Rio de Janeiro, il devint professeur de sculpture de
l’Académie. En lisant le procès verbal de la séance du 24 octobre 1885, jour où Rodolpho
Bernardelli assuma cette charge, on voit qu'après un rituel amical en compagnie des
enseignants de l'institution, l’ancien pensionnaire fut reçu avec éclat et une immense joie par
ses futurs élèves :
Alors M. le Conseiller Directeur déclare la séance close e descend avec tous
les professeurs à la salle où se trouvent exposés les travaux de M.
Bernardelli ; et là il présente aux élèves le jeune professeur qui est reçu avec
une acclamation étourdissante, de la musique, des fleurs et des
applaudissements par tous les élèves de l’Académie et du Conservatoire de
Musique ; après avoir été autorisé par M. le Conseiller Directeur, l’un des
élèves de l’Académie, au nom de ses collègues, dirige un discours élogieux
au nouveau professeur et lui offre un bouquet de fleurs. 43
Ainsi, au bout de neuf ans d’études à Rome, Bernardelli retournait au Brésil comme
une célébrité. Par la suite il a maintenu cette position privilégiée, en recevant de nombreuses
commandes publiques. En effet, le critique d’art Gonzaga-Duque écrivait en 1888 :
“ l’individualité de Rodolpho Bernardelli est, parmi les artistes contemporains, celle qui brille le
plus et qui jouit de la plus grande renommée ”.44
À propos du Christ et la femme adultère, le même critique affirma que Bernardelli
avait conçu ce groupe “ en dehors de toute préoccupation classique et animé par un pouvoir
mystérieux ”.45
43
- Procès verbal de la séance du 24 octobre 1885. Arquivo Museu D. João VI / EBA /
UFRJ, Rio de Janeiro.
“ Então o Sr. Conselheiro Diretor declara encerrada a sessão e desce com todos os professores à sala onde se acham expostos os trabalhos do Sr. Bernardelli ; e aí apresenta aos alunos
o jovem professor, que é recebido em estrondosa ovação, com música, flores e palmas por
todos os alunos da Academia e do Conservatório de Música ; e obtida permissão do Sr. Conselheiro Diretor, um dos alunos da Academia em nome de seus colegas, lhe dirige um discurso congratulatório, e oferece um ramo de flores. ”
44
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.256.
“ ... a individualidade de Rodolpho Bernardelli é, entre os artistas contemporâneos, a que
mais brilha e goza de maior nomeada. ”
45
- GONZAGA-DUQUE. Idem, p. 253.
“ ... fora de toda preocupação clássica e animado por estranho poder. ”
290
(...) Le Christ de Bernardelli est un type judaïque, humain, réel ; il ne
rappelle pas les anciennes créations de la sculpture, il n’est pas une
inspiration de la foi catholique selon l’imposition des dogmes, il n’est pas
un type transcendant et mystique, tel que l’avait créé Léonard da Vinci ou
l’avait imaginé le béatifique Fiesole. Et là se trouve la valeur de sa statue.
Pour représenter le Christ tel que l’avaient idéalisé les maîtres du passé et de
la Renaissance, il aurait fallu que le milieu actuel dans lequel vit l’artiste
fût tombé dans la foi fervente du temps des martyres (...). Mais son Christ
n’est pas non plus une création proprement à lui (...). Et tel qu’on le voit
dans son oeuvre, plusieurs maîtres l’avaient déjà conçu, et le plus
remarquable parmi eux fut le célèbre Delacroix. 46
Gonzaga-Duque loue la modernité de cette statue et conclut que “ Bernardelli est un
réaliste qui a comme unique préoccupation la vérité ”.47 Le sculpteur était considéré, dans le
milieu brésilien, comme un artiste novateur. En même temps sa technique était louée par sa
perfection. Le critique raconte qu’en 1886 il a vu Rodolpho Bernardelli travailler, et
communique son impression :
Il est presque impossible d’expliquer la manière par laquelle il sculpte si
vite et si délicatement . Son habileté technique arrive à la perfection, et il est
si soigneux de l’exécution de ses oeuvres qu’il n’existe pas de forces
humaines capables de le faire fondre un bronze à Rio de Janeiro. 48
46
- GONZAGA-DUQUE. Idem, p.254.
“ O Cristo, de Bernardelli, é um tipo judaico, humano, real ; não relembra de forma alguma
as antigas criações da escultura, não é uma inspiração da fé católica segundo a imposição
dos dogmas, não é um transcendente tipo místico, tal como criara Leonardo da Vinci ou o
imaginara o beatífico Fiesole. Nisto vai o valor da sua estátua. Para fazê-lo como o idealizaram os mestres do passado e do renascimento fora necessário que o meio atual em que o artista vive tivesse decaído para a fervorosa fé do tempo dos mártires, (...). Mas, também, não
é uma criação propriamente sua, (...). Assim, como ali vemo-lo, já o tinham concebido muitos mestres, tornando-se mais notável entre todos, o célebre Delacroix. ”
47
- GONZAGA-DUQUE. Idem, p.255.
48
- GONZAGA-DUQUE. Idem, p.251.
“ É quase impossível precisar a maneira pela qual ele esculpe tão rápida e tão delicadamente.
A sua habilidade técnica chega à perfeição, e tal é o cuidado que sói dispensar à feitura de
suas obras que não há forças humanas capazes de fazerem-no fundir um bronze no Rio de
Janeiro. ”
291
15. 1878
- Rodolpho Amoêdo (Rio de Janeiro, 1857 - id., 1941)
Peintre - lieu d’études : Paris
Né à Rio de Janeiro, Rodolpho Amoêdo est parti vivre à Bahia à l’âge de six ans. En
1868 il retourna à Rio et dès 1873 il commença ses études artistiques au Lycée des Arts et
Métiers de cette ville. L’année suivante il s’inscrivit à l’Academia Imperial où il suivit des
études de peinture avec les professeurs Victor Meirelles, Agostinho da Motta et Zeferino da
Costa.49 Quatre années plus tard il remporta le Prix de Voyage et s'en alla étudier à Paris où il
séjourna pendant une période de neuf ans.
En 1939, âgé de 82 ans, Amoêdo raconta les souvenirs les plus marquants de sa
carrière artistique à Tapajós Gomes, journaliste du Correio da Manhã. Il est intéressant de
citer quelques passages de cet article de journal, car le récit de Rodolpho Amoêdo exprime très
bien la mentalité académique de la seconde moitié du XIXe siècle, et nous fait connaître les
détails du concours de Prix de Voyage et du séjour à Paris :
Amoêdo m’a rappelé les péripéties de son concours, lors de la dispute pour le
Prix de Voyage en Europe de l’ancienne Academia Imperial de Belas Artes
(...). Le maître faisait concurrence à Henrique Bernardelli qui bénéficiait de
l’appui officiel. Cela, cependant, ne lui faisait pas peur ; et malgré
l’hostilité qu’il a dû affronter, Amoêdo remporta le prix avec son tableau ‘Le
Sacrifice d’Abel’ et partit vers l’Europe le mois de mai 1879. (...).
Cependant, malgré sa victoire, le maître ne s’est pas libéré tout de suite de
l’animosité de ceux qui sont restés au Brésil. Si le règlement des Prix de
Voyage était rigoureux, pour Rodolpho Amoêdo il est devenu draconien. Le
prix durait cinq ans ; mais pendant les trois premières années, les autorités
de l’Académie pouvaient, du jour au lendemain, supprimer la pension aux
étudiants dont le progrès ne correspondait pas à leur expectative. Il
suffisait, pour cela, d’une simple résolution des autorités des Beaux-Arts,
(...). Mais le jeune artiste ne se découragea pas. En arrivant à Paris le mois
de mai 1879, il fut d’abord élève auditeur libre de Cabanel. Ensuite il passa
à l’atelier Boulanger - Lefebvre, afin de s’y préparer pour le concours
d’admission à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. 50
On observe que les épisodes du concours et ses débuts difficiles à Paris marquèrent
fortement Rodolpho Amoêdo. La menace de suspension de la pension qui assurait à
l’Académie brésilienne le contrôle exercé sur les pensionnaires en Europe pesa sur le peintre
49
50
- FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 290.
- GOMES, Tapajós. “ Rodolpho Amoêdo, mestres do nosso Museu ”, In Correio da Manhã, suplemento de domingo. Rio de Janeiro, le 23 juillet 1939.
292
pendant les trois premières années de son séjour. La suite de l’article nous montre un élève
dévoué aux leçons des maîtres français. Rodolpho Amoêdo raconta à Gomes ses premières
tentatives de faire reconnaître son talent par les professeurs :
Evidemment, ayant l’esprit vivement artistique, toujours rêveur de
réalisations grandioses et en composant mentalement des tableaux superbes,
Amoêdo ne pouvait pas se limiter aux ‘académies’ qu’il était obligé de
dessiner au cours Boulanger - Lefebvre. Un jour donc il montra au maître
un tableau qu’il avait peint, sûr d’avoir fait une oeuvre qui avait de la
valeur. Le vieux Boulanger, avec une simple phrase le fit tomber du haut de
ses convictions :
- Devant ‘cela’, je ne peux rien vous dire. Il faut faire mieux. 51
L’épisode ne découragea pas le pensionnaire qui poursuivit son dessein :
“ Amoêdo recorda-me as peripécias de seu concurso, em disputa do prêmio de viagem à Europa, da antiga Imperial Academia de Belas Artes, (...). O velho mestre competia com Henrique Bernardelli, que dispunha da boa vontade oficial. Isso, entretanto, não o amedrontava ; e
apesar da hostilidade que teve de enfrentar, Amoêdo venceu o concurso, com o seu quadro
“ O sacrifício de Abel ”, partindo para a Europa em maio de 1879. (...). O mestre, entretanto,
apesar de vitorioso, não se livrou desde logo da má vontade dos que ficaram. Se o regulamento dos prêmios de viagem já era por si mesmo exigente, para Rodolpho Amoêdo se tornou escorchante. O prêmio durava cinco anos ; mas as autoridades de Belas Artes podiam,
dentro dos três primeiros anos, de um momento para o outro, cortar a pensão ao pensionista
cujos progressos não correspondessem à sua expectativa. Bastava, pois, uma simples resolução das autoridades de Belas Artes, (...). Não desanimava, porém, o jovem artista. Chegado
a Paris, em maio de 1879, foi, primeiro, aluno livre de Cabanel. Passou-se depois para o atelier Boulanger - Lefebvre afim de se preparar para o concurso de entrada para a Escola de
Belas Artes de Paris. ”
51
- GOMES, Tapajós. Idem.
“ Evidentemente, com o seu espírito acentuadamente artístico, sonhando sempre com realizações grandiosas e compondo sempre, mentalmente, quadros soberbos, não poderia Amoêdo limitar-se às ‘academias’ que era obrigado a desenhar, no Curso Boulanger - Lefebvre.
Um dia, pois, exibiu um quadro que pintara, estava certo de que havia feito obra de valia,
quando o velho Boulanger, com uma simples frase, o fez despencar do alto das suas convicções, dizendo-lhe :
- Diante ‘disto’, nada lhe posso dizer. Trate de fazer coisa melhor.
293
Amoêdo s’adonna plus qu'avant corps et âme aux études. Victorieux au
concours d’admission à l’Ecole, il s’est inscrit dans le cours de Cabanel. 52
(...). Lors des concours mensuels pour fréquenter les cours de Cabanel, la
première place revenait toujours à l’un de ces trois élèves : Rivemale,
Lavalay et Amoêdo, parmi quarante étudiants. Ainsi, les résultats présentés
par le pensionnaire faisaient disparaître petit à petit l’animosité des
autorités des Beaux-Arts brésiliens. La première, la deuxième et la troisième
année du pensionnat s'écoulèrent. Dès lors il était libéré de l’épée de
Damoclès pendue au-dessus de sa tête. 53
On sait que le parcours des élèves de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris était comme
une course d’obstacles. Les concours se déroulaient tout au long de l’année et pour assurer
sa place à l’intérieur de l’atelier l’étudiant devait remporter des médailles ou des mentions.
Amoêdo, en se faisant remarquer parmi les élèves de Cabanel, assurait de plus la continuité
de sa pension, accordée par l’Académie brésilienne.
En 1882, la quatrième année de son séjour en France, Amoêdo commença à songer à
participer au Salon. Tapajós Gomes raconte :
C'était l’année de 1882, et Rodolpho Amoêdo rêvait déjà du Salon des
Artistes Français. Les vers émouvants du roman de Gonçalves Dias,
‘Marabá’, l’indienne des yeux pers couleur de saphir, sont tombés sous sa
main. Le tableau peint par le poète fut mis sur la toile par le pinceau du
peintre. C’était un travail vraiment difficile celui d’évoquer, au milieu d’une
civilisation raffinée, les yeux noirs, le visage bronzé par le soleil, l’allure
flexible d’un palmier, les cheveux noirs et lisses d’une indienne brésilienne.
52
- Le nom d’Amoêdo se trouve dans la liste d’élèves inscrits à l’atelier de Cabanel en 1879.
(Archives Nationales, France [AJ/52/248] - Inscriptions dans les ateliers de peinture,
sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945. Les données que l’on y trouve
sont les suivantes : numéro 448 - Amoêdo, Rodolpho ; né le 12 octobre 1857 à Rio de
Janeiro, Brésil ; demeure : 4bis, r. des Beaux-Arts ; date de l’entrée : le 5 juillet 1879.)
Son admission dans l’atelier Cabanel date de 1879, mais l’entrée à l’Ecole, selon la liste des
matricules, s’est faite le 10 août 1880, son numéro de matricule étant le 4612. (Archives
Nationales, France. [AJ / 52 / 236]. Inscriptions dans les sections de peinture et sculpture octobre 1871 à juillet 1894).
53
- GOMES, Tapajós. Idem.
“ Amoêdo, mais do que nunca, se entregou de corpo e alma aos estudos. Vitorioso no concurso de entrada para a Academia, matriculou-se na aula do velho Cabanel. (...). Nos concursos mensais para freqüentar as aulas de Cabanel, o primeiro lugar nunca saía de um destes
três alunos : Rivemale, Lavalay e Amoêdo, entre quarenta condiscípulos. De modo que, diante dos resultados por ele apresentados, a má vontade das nossas autoridades de Belas Artes foi cedendo. Venceu o primeiro, o segundo, o terceiro ano de pensionato. Daí em diante,
estava livre da espada de Damocles, que tinha sobre a cabeça. ”
294
Rodolpho Amoêdo, cependant, n’était pas un tempérament à se décourager
facilement, et s’est mis à l’oeuvre.
Un jour, maître Cabanel, membre du jury d’admission au Salon, lui
adressa la parole pour lui demander soudainement :
- C’est vous qui avez peint Marabi ou Marabá ?
- Oui, Marabá.
- Mes félicitations ! Le tableau fut accepté au Salon, il est superbe! Mais
n’envoyez plus jamais des travaux sans me les avoir montrés auparavant.
Cette fois-ci, vous avez été heureux, car vous avez été accepté. Mais il se
pourrait que vous ne l'étiez pas, et dans ce cas votre échec aurait eu des
reflets sur moi qui suis votre professeur.
- Je vous assure - m’a dit Amoêdo - que ma joie à ce moment-là fut si
grande, que je ne me suis pas fâché d’entendre les mots de Cabanel. Je ne
pouvais penser à autre chose qu’à mon tableau accroché à côté des
célébrités de partout ! Si j'avais été un autre, j’aurais pu me considérer l'égal
de mon maître, parce que tous les deux nous étions dans le Salon. Mais je
me suis limité à l’embrasser avec épanchement, ayant du mal à contenir mon
émotion qui était formidable ! Ce fut l’une des plus grandes émotions de ma
vie d’artiste, et elle était double : celle d’être admis au Salon, et celle
d’avoir mérité un éloge de Cabanel. 54
La joie du disciple qui voit l’un de ses travaux loué par le maître est touchante car
elle n’est pas disparue au fil des années. À l’âge de 82 ans, Amoêdo s’en souvenait toujours
54
- GOMES, Tapajós. “ Rodolpho Amoêdo, mestres do nosso Museu ”, In Correio da Manhã, Suplemento de Domingo. Rio de Janeiro, le 23 juillet 1939.
“ Estávamos em 1882, e Rodolpho Amoêdo sonhava já com o Salon des Artistes Français.
Caíram-lhe sob os olhos os versos sentidos de Gonçalves Dias, sobre o romance de
‘Marabá’, a índia dos olhos garços da cor das safiras. O quadro pintado pelo poeta foi posto
na tela pelo pincel do pintor. Era um trabalho realmente difícil, esse de evocar, num meio de
civilização requintada, os olhos pretos, o rosto de jambo crestado pelo sol, a estatura flexível
de palmeira, os cabelos negros e lisos de uma índia brasileira. Rodolpho Amoêdo, porém,
não era temperamento para esmorecer e, assim, meteu mãos à obra.
Um dia, mestre Cabanel, membro do jury de entrada para o Salon, perguntou-lhe de surpresa :
- Marabi ou Marabá foi pintada por você ?
- Sim, Marabá.
- Receba, então, minhas felicitações. Foi aceito no Salon. Muito linda ! Mas não mande mais
nenhum trabalho, sem me mostrar antes. Desta vez, foi feliz porque foi aceito. Mas poderia
não ter o sido, e, nesse caso, o seu fracasso refletiria em mim, que sou seu professor.
295
avec émotion. Mais l’épisode est aussi un témoignage du fonctionnement du système
académique français. Cabanel fit des réprimandes au disciple car celui-ci ne lui avait pas montré
son tableau avant de l’inscrire au Salon. Le refus de l’oeuvre d’un disciple déteignait sur le
maître. Il est aussi intéressant de souligner l’importance accordée par Rodolpho Amoêdo au
Salon : y exposer représentait pour lui être l'égal des artistes les plus renommés en France.
Marabá (ill.7), après avoir été exposée au Salon, fut envoyée par Amoêdo à
l’Academia Imperial comme l’un des trois travaux obligatoires de la troisième année de
pensionnat. Dans le procès-verbal de la séance du 15 février 1883, on peut lire l’analyse faite
par les professeurs Zeferino da Costa et José Maria de Medeiros à propos des oeuvres
envoyées :
Après l’examen des travaux de troisième année envoyés par le pensionnaire
de l’Etat Rodolpho Amoêdo qui se trouve à Paris,(travaux qui consistent en
trois tableaux, à savoir : - une figure de femme, grandeur nature, intitulée
‘Marabá’ ; - un torse de femme ;- et une demi-figure de petite fille habillée
en paysanne italienne), les professeurs de peinture donnent leur avis :
En ce qui concerne ‘Marabá’ - il s'agit d'une figure bien composée,
largement faite, de coloris agréable. Le dessin cependant n’est pas
satisfaisant. Il est étudié avec soin de la tête jusqu'à la région de la poitrine,
mais de cette région jusqu’aux jambes le dessin est négligé.
Dans l’étude de torse de femme (vu de dos) M. Amoêdo fut plus heureux,
aussi bien dans le dessin que dans le modelé.
Quant au troisième et dernier travail, la demi-figure de petite fille habillée
en paysanne italienne, c'est une étude entièrement différente des deux
premières ; tandis que les premiers travaux sont exécutés largement, celui-ci
est minutieux et scrupuleusement dessiné. Ce fait signifie que le
pensionnaire,
- Afirmo-lhe - disse-me Amoêdo - que a minha alegria, naquele momento, foi tão grande,
que não me aborreci com as palavras de Cabanel. Só me via no Salon, pendurado, lado a
lado, com as celebridades de toda parte ! Outro fosse eu, e poderia, pelo menos, considerarme igual ao meu mestre, porque ambos estávamos no Salon. Eu, porém, limitei-me a abraçálo efusivamente, mal contendo a minha emoção que era formidável ! Uma das maiores emoções da minha vida de artista, e que era dupla : pela minha entrada no Salon e pelo elogio de
Cabanel. ”
296
ou bien n’a pas encore fixé une manière, ou bien est capable d’exécuter ses
travaux selon des manières différentes.
Pour conclure, de la confrontation de ces travaux avec ceux de l'envoi
précédent il ressort que M. Amoêdo fait des progrès satisfaisants dans ses
études et, par conséquent, il devient toujours plus digne de louanges et de la
protection de notre Académie et du gouvernement impérial. Rio de Janeiro,
le 15 février 1883 (signé) - J. Zeferino da Costa. - José M. de Medeiros. 55
On observe que les professeurs étaient méthodiques lors de l’examen des envois des
pensionnaires. Les qualités de la composition, de la facture, du dessin, du modelé et du coloris
étaient analysées séparément. D’ailleurs, ils ne se laissèrent pas impressionner par le succès de
Rodolpho Amoêdo dans le Salon des Artistes Français. Au contraire, Marabá fut l’oeuvre la
plus sévèrement critiquée.
D'après Gonzaga Duque on sait que Rodolpho Amoêdo présenta ces mêmes oeuvres
côte à côte avec celles d’Almeida Junior dans une exposition réalisée en 1882. Le critique
commente que trois toiles d'Amoêdo, “ Marabá, exposée à Paris ; une étude de torse féminin ;
et une demi-figure ”, pouvaient se voir à côté des oeuvres du peintre de São Paulo. À
l’occasion de l’exposition, Gonzaga-Duque avait publié dans le journal O Globo un article
55
- Procès-verbal de la séance du corps d’enseignants de l’Academia Imperial, le 15 février
1883. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
“ Tendo a Sessão de Pintura examinado os trabalhos do terceiro ano do Pensionista do Estado Rodolpho Amoêdo, que se acha em Paris, constantes de três quadros, sendo : - Uma figura de mulher, tamanho natural, intitulada - Marabá - ; um tronco também de mulher e
um meio-corpo de menina (costume de camponesa italiana), é de parecer : - Quanto à Marabá - , ser uma figura bem composta, largamente feita e de colorido agradável, mas, quanto ao desenho, deixa ainda alguma coisa a desejar ; pois sendo essa qualidade estudada
com cuidado desde a cabeça até a região peitoral, não acontece o mesmo dessa região até
as pernas, que é um tanto descurada. - No estudo do tronco de mulher (de costas) foi o Sr.
Amoêdo mais feliz, tanto no desenho, como no modelado. - Quanto ao terceiro e último meio corpo de menina, (costume de camponesa italiana) - é este um estudo inteiramente
diferente dos dois primeiros ; enquanto aqueles são largamente feitos, este é minucioso e
escrupulosamente desenhado. Isto porém só prova que o pensionista, ou ainda não fixou
uma maneira, ou que é capaz de executar os seus trabalhos por mais de um modo. - Em
conclusão ; julgando-se estes trabalhos de confronto com os da anterior remessa, é incontestável que o Sr. Amoêdo vai satisfatoriamente progredindo nos seus estudos e por conseqüência, tornando-se cada vez mais digno de louvores, e da proteção da nossa Academia
e do Governo Imperial. - Rio de Janeiro, 15 de Fevereiro de 1883. (assinado) - J. Zeferino
da Costa. - José M. de Medeiros. ”
297
élogieux où il soutenait l’interprétation donnée par l’artiste au type de la métisse.
Cependant, en 1887 Gonzaga-Duque revint sur ses déclarations.
Aujourd’hui, (...), il [l’auteur de ces lignes] n’est plus entièrement d’accord
avec les lignes qu’il écrivit. Comme oeuvre historique, le tableau d’Amoêdo
n’a pas beaucoup de valeur :
1o - parce que si le peintre l’avait envoyé sous le titre de Mélancolique ou
d’Isolée, ou s’il nous l’avait remis comme une simple étude de nu,
assurément que personne ne serait capable de trouver la source qui
l’inspira ;
2 o - pour que cette toile eût une importance historique, il aurait fallu
qu’elle représentât une scène de nos tribus indigènes ;
3 o - (...) puisque le peintre a trouvé dans le poème la touchante description
du type de Marabá, il était juste qu’il moule l’exécution de son travail sur
les traits décrits par la poésie qui l’inspira. Mais le poète des Timbiras nous
décrit Marabá comme un type blond, les yeux bleus comme la mer ; et le
peintre, en s’éloignant de ces caractéristiques, a donné à la peau de son
personnage la couleur brune des feuilles sèches, à ses yeux le noir du
jacarandá, aux cheveux la couleur des fruits du tucum. C' est une métisse,
(...). Mais elle n’est pas la fille de l’étranger, haïe par les sauvages. 56
Cette critique de Gonzaga-Duque nous aide à comprendre la démarche d’Amoêdo.
Ce dernier, imprégné de la pensée académique, voulut indiquer une source littéraire pour son
oeuvre. La citation de Gonçalves Dias lui servait de garant du sérieux et de la valeur de son
56
- GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.185.
“ O autor destas linhas publicou por esse tempo (1882) um folhetim no Globo, onde
procurava defender a interpretação dada pelo artista ao tipo da mestiça. Hoje, (...), discorda, em parte, das linhas que escreveu. O quadro de Amoêdo como obra histórica
pouco valor encerra : 1o porque, se o pintor o tivesse enviado com o título de Melancólica, ou de Isolada, ou se nô-lo remetesse como um simples estudo do nu, ninguém,
ao certo, encontraria a fonte que lhe serviu de inspiração ; 2o para ter a importância de
uma tela histórica necessário fora que representasse uma cena das nossas tribos indígenas ; 3o sendo nossa forma poética - o lirismo, (...), e tendo sido nesse lirismo que o
pintor encontrou a tocante descrição do tipo de Marabá, era justo que amoldasse a execução do seu trabalho aos traços descritivos da poesia que lho inspirou. Mas o poeta
dos Timbiras nos descreve a Marabá um tipo louro, de olhos azuis como o mar ; e o
pintor, afastando-se desses característicos, dá-lhe à tez o tom queimado das folhas secas, aos olhos o negro do jacarandá, aos cabelos a cor dos frutos do tucum. É um tipo
de mestiça, (...). Mas não é (...) a filha do estrangeiro, odiada pelos gentios. ”
298
tableau. Il est curieux de comparer l’analyse de Gonzaga-Duque à celle des
professeurs de l’Académie que l’on a mentionnée plus haut. Tandis que le critique se penche
sur la référence littéraire du tableau, Zeferino da Costa et José Maria de Medeiros ne font
qu’analyser les aspects techniques de la composition. Cela nous amène à comprendre que la
préoccupation première de l’enseignement procuré au sein de l’Académie était de l’ordre du
métier, dans le sens d’un savoir-faire technique.
Après sa première participation au Salon des Artistes Français, Rodolpho Amoêdo
s’encouragea. L’année suivante, en 1883, il fut accepté au Salon en présentant la toile Le
Dernier Tamoyo (ill. 8), une deuxième oeuvre d’inspiration indianiste57. Le tableau représente
deux figures : Aymberê, le Tamoyo décédé, et Anchieta, le religieux qui essaye d’arracher le
cadavre aux vagues de la mer. Campofiorito mentionne Le Dernier Tamoyo et Marabá comme
les deux uniques occasions où Rodolpho Amoêdo se tourna vers la thématique brésilienne, en
affirmant que “ même alors il n’échappe pas aux inspirations littéraires ” :
(...) dans ‘Marabá’ et dans ‘Le Dernier Tamoyo’ il s’inspira d’un
indianisme tardif qui, dans l’oeuvre de nos écrivains, avait représenté une
réaction contre l’influence spirituelle de l’ancienne métropole. Son regard le
plus attentif était tourné vers les sujets classiques ou bibliques. (...) dans les
deux toiles citées, l’indienne Marabá et le chef indien Aymbiré (...) seraient
plutôt des prétextes pour l’exécution des nus formidables qui, dans leur
genre, constituent deux exemples de ce qui se faisait de mieux à l’époque à
Paris. Par conséquent, les deux oeuvres obtinrent le plus grand succès
quand elles furent exposées au Salon des Artistes Français. 58
57
- Evidemment, ici, les mots indianiste et indianisme se réfèrent aux indiens brésiliens. Dans
le mouvement du romantisme littéraire brésilien, la figure de l’indien fut valorisée comme
représentant l’individu sauvage, pure et non pas maculé par la civilisation, en même temps
qu’elle se constitua en un symbole nationaliste.
58
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.191.
“ Só em duas ocasiões volta-se para assuntos brasileiros, e assim mesmo não escapa às inspirações literárias, como em Marabá e em Último Tamoio, levado por tardio indianismo, que
em nossos escritores fora atitude contra a influência espiritual da ex-metrópole. Sua melhor atenção dirigiu-se facilmente para os temas clássicos e bíblicos. Os nus que aparecem
em suas duas telas citadas, a índia Marabá e o chefe índio Aymbiré morto, serão mais pretextos para a execução de formidáveis nus, que, no gênero, constituem dois exemplos do
que de melhor se fazia na época em Paris, e daí o merecido apreço que tiveram as duas
composições quando exibidas no Salon dos artistas franceses. ”
299
Rodolpho Amoêdo continua à envoyer des tableaux au Salon. L’année de 1884, il y
était présent avec une toile à sujet religieux : Le Départ de Jacob. Cette même année il
demanda une prolongation de sa pension, souhaitant rester encore deux ans à Paris. 59 La
demande fut accompagnée de l’envoi de trois tableaux : Le Départ de Jacob, une copie de
Tiepolo (dont l’original se trouvait au Louvre), et une grande étude de figure féminine vue de
dos (ill.9). De plus, Amoêdo envoyait l’esquisse d’un tableau de grande machine qu’il
prétendait réaliser sur le sujet de Jésus Christ à Capharnaüm (ill.10). Tous ces travaux, qui
aujourd’hui se trouvent dans le Museu Nacional de Belas Artes à Rio de Janeiro, furent
analysés par la commission de professeurs de peinture de l’Académie, c’est-à-dire par Victor
Meirelles et José Maria de Medeiros. Dans leur avis ils ont considéré :
que ces travaux révèlent un grand avancement, et laissent entrevoir le
résultat final de ses efforts, auquel il va sûrement arriver plus tard, après
s'être libéré de la situation transitoire et de dépendance qui est la sienne pour
l’instant, lorsqu'il subit l'influence de l’étude, de la pratique et des
préceptes de l’Ecole française contemporaine (...). La petite ébauche qui
représente Jésus Christ à Capharnaüm est une bonne composition et exige
pour son exécution la prolongation de deux ans de pension (...). Ce tableau,
qui doit être bien exécuté de façon à ce que la figure du protagoniste
acquière plus d’importance dans la composition, sera sûrement l’un des
travaux de plus grande valeur du jeune artiste. Ainsi, la commission
considère-t-elle que la demande du pensionnaire est juste. Academia
Imperial das Belas Artes - le 3 septembre 1884 - Victor Meirelles - José
Maria de Medeiros. 60
59
- Procès-verbal de la séance du 13 de septembre 1884. Arquivo Museu D. João VI / EBA /
UFRJ, Rio de Janeiro.
60
- Procès-verbal de la séance du 13 septembre 1884. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.
“ (...) que estes trabalhos revelam grande aproveitamento, deixando antever o resultado final
dos seus esforços, que por certo atingirão ; libertando-se mais tarde da situação transitória
e dependente, que o estudo, a prática e os preceitos da Escola francesa contemporânea,
tanto influem e o induzem a sentir desse modo. O esboceto representando Jesus Cristo em
Cafarnaum é uma boa composição que para executá-lo requer o dito pensionista - prorrogação por dois anos do prazo de sua pensão - na forma do art. 9 das instruções dos pensionistas. Esse quadro devendo ser bem executado e de modo que a figura do protagonista
adquira mais importância nessa composição, constituirá certamente um dos trabalhos mais
valiosos do jovem artista. Por isso parece à Comissão ser justo o pedido a que ele tem direito : - Academia Imperial das Belas Artes - 3 de setembro de 1884 - Victor Meirelles José Maria de Medeiros. ”
300
Il faut souligner la remarque faite par les professeurs à propos de l’influence de
l’Ecole Française sur le pensionnaire. L’attitude de l’Académie brésilienne paraît
contradictoire. Les jeunes artistes étaient envoyés étudier en France sous l’orientation des
maîtres de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, cependant les professeurs brésiliens ne
considéraient pas entièrement positive l’influence française. On voit qu’en réalité les maîtres
brésiliens comprenaient la période d’études en Europe comme une étape d’apprentissage. Ils
envisageaient par la suite une libération de l’étudiant qui devrait conquérir son indépendance
artistique.
Les professeurs étant satisfaits du résultat atteint par Rodolpho Amoêdo, la
commission approuva la prolongation de sa pension à compter du 15 août 1885. De plus, en
juillet 1885, le pensionnaire reçut 6.523$000,50 comme aide financière pour accomplir
l’oeuvre Jésus Christ à Cafarnaum 61. La même année, Rodolpho Amoêdo exposa au Salon
des Artistes Français le tableau La Narration de Philectas.
Le 15 août 1887, la prolongation de sa pension touchait à la fin. En février 1888,
Rodolpho Amoêdo était de retour au Brésil. Ses derniers travaux de pensionnaire furent alors
analysés par les professeurs de l’Academia Imperial. Cependant, deux rapports furent
présentés séparément. Le premier était signé par le professeur José Maria de Medeiros, le
second par le professeur Zeferino da Costa. Voyons d’abord ce qu'en disait José Maria de
Medeiros :
Avis sur les derniers travaux du pensionnaire Rodolpho Amoêdo - La
Congrégation de l’Académie des Beaux-Arts a bien fait lorsque, à l'occasion
du concours de 1878, elle a choisi M. Rodolpho Amoêdo comme
pensionnaire en Europe. L’élève qui révéla à ce moment-là une disposition et
un talent hors du commun qui l’ont amené à l'obtention du Prix de Voyage,
est aujourd’hui de retour à cette Académie ; il revient de ces terres, si
favorables à l’épanouissement des arts, comme un artiste complet, et avec
les preuves qui attestent son étude, son application et son savoir. On ne
pouvait pas attendre moins de quelqu’un qui avait satisfait de façon si
exubérante le programme d’études que cette Académie exige de ses
pensionnaires en Europe. En montrant toujours à chaque nouveau travail un
progrès dans l’art qu’il étudiait, il conclut brillamment son séjour d’études.
Les deux toiles
61
- Procès-verbal de la séance du 18 juillet 1885. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.
301
présentées aujourd’hui à notre appréciation nous prouvent, sans aucun
doute, qu’en Peinture, après la ‘ Première messe ’, jamais aucun
pensionnaire en Europe ne nous a envoyé des travaux d’une si longue
haleine et si méritoires. La première toile ‘ Christ à Capharnaüm ’ est une
belle composition classique de grandes lignes bien disposées, harmonisées
par une coleur sévère et agréable tel qu’il convient à ces sujets. Les figures
du premier plan son de grandeur naturelle, judicieusement groupées (...)
correctement dessinées (...). La belle silhouette du Sauveur, [apparaît]
toute mystique et mystérieuse dans sa tunique large et blanche, (...). Cette
scène (...) procure au tableau quelque chose de vrai et de classique qui
s’impose à notre admiration et respect. (...). M. Amoêdo avec le choix de ce
passage de la Bible a réussit à mettre en relief son talent brillant, en faisant
preuve d’être un peintre d’histoire raffiné, dont l’âme et l’individualité nous
impressionnent ; de plus, par l’exécution, il a su faire respecter dans le sujet
sa manière de voir et sentir. (...). Dans la seconde toile, ‘ La Narration de
Philectas ’, M. Amoêdo nous montre une nouvelle modalité de son talent,
celui d’un exquis paysagiste décoratif. Il nous présente un paysage magistral
et finement peint, exhalant le souvenir des amours naïfs des bergers et tout
le parfum des vieux temps de la Grèce. C’est un vrai poème bucolique,
délicat et poétiquement peint. Ce tableau ne doit plus sortir de notre
Académie, il doit être acquis le plus tôt possible. (...). Rio de Janeiro, le 3
février 1888. JoséMaria de Medeiros. 62
62
- Procès-verbal de la séance du 18 février 1888, pp. 55 - 56. Museu Dom João VI, Rio de
Janeiro.
“ Parecer dos últimos trabalhos do pensionista Rodolpho Amoêdo - Com acerto andou
a Congregação da Academia das Belas Artes, quando no concurso de 1878, escolheu
o Sr. Rodolpho Amoêdo para ser pensionista na Europa. - O aluno que já nessa época, revelou disposição e talento fora do comum a ponto de lhe ser discernido o prêmio de viagem, vem hoje a esta Academia ; de volta dessas terras tão bem fadadas
para a arte, um artista completamente feito, e com as provas que atestam o seu estudo, a sua aplicação e o seu saber. - Nem se podia esperar menos, de quem tão exuberantemente satisfez o programa de estudos, que esta Academia exige dos seus pensionistas na Europa, assinalando sempre de trabalho a trabalho um progresso na arte que
estudava e fechando com uma verdadeira chave de ouro, esse período de estudos
como pensionista da Academia. - As duas telas apresentadas hoje à nossa apreciação,
nos provam sem contestação, que em Pintura, depois da Primeira Missa, nunca pensionista da Europa nos mandou trabalhos de tamanho fôlego e tanto merecimento. A primeira tela : Cristo em Cafarnaum é uma bela composição clássica de linhas
grandes e bem dispostas, harmonizadas por uma cor severa e agradável como convém a tais assuntos. - As figuras do primeiro plano, criteriosamente grupadas (...)
corretamente desenhadas (...), a bela silhueta do Salvador, toda mística e misteriosa
na sua ampla e branca túnica, (...). Esta cena (...) faz desprender do quadro um - que
- de verdade e classicismo que se impõe ao nosso respeito e admiração. (...) O Sr.
Amoêdo escolhendo esse ponto da Bíblia, conseguiu por em relevo o seu brilhante talento, mostrando-se um pintor histórico de fina têmpera, tendo alma e individualidade
para nos impressionar ; e sabendo pela execução, fazer respeitar no assunto o seu
modo de ver e sentir. (...) - Na segunda tela A Narração de Philectas - o Sr. Amoêdo
nos mostra uma nova modalidade do seu talento, o de ser um distinto paisagista de-
302
Le rapport de José Maria de Medeiros ne pouvait pas être plus élogieux. Selon ce
professeur, Rodolpho Amoêdo retournait d’Europe comme un artiste accompli. En
rapprochant deux de ses oeuvres, Jésus Christ à Capharnaüm et La Narration de Philectas,
de La Première Messe, tableau de Victor Meirelles, il assurait à Amoêdo une position de
prestige parmi les peintres brésiliens. Penchons-nous maintenant sur le rapport présenté par
Zeferino da Costa :
Le sous signé, professeur de la séance de Peinture de l’Academia Imperial
de Belas Artes (...), interrogé par M. le Secrétaire dans la séance du 3 de ce
mois de Février 1888 (...) à propos de son avis relatif aux derniers travaux
du pensionnaire de l’Etat Rodolpho Amoêdo, répondit qu’il n’avait rien
préparé vu qu’il n’avait reçu aucune communication officielle à ce propos.
(...), cependant le pensionnaire n’a rien à voir avec les dissensions qui,
malheureusement, opposent entre-eux quelques membres du Corps
Académique, donc il mérite notre attention (...). Je ne [serai] pas succinct
dans l’analyse des deux tableaux du pensionnaire. L’un représente ‘Le
Christ à Capharnaüm’ ; et l’autre ‘La Narration de Philectas’. Il est vrai
que l'éminent professeur Cabanel, qui orienta le pensionnaire dans ses
études en Europe, aurait dû s’occuper parfaitement de cette appréciation
dans son attestation. Ce professeur (...) est réputé l’un des meilleurs artistes
de France. Cependant, je déclare que des deux tableaux analysés, je préfère
‘La Narration de Philectas’. Dans cette préférence il ne s’agit pas d’une
sympathie pour le sujet ; simplement, ‘La Narration de Philectas’ fut mieux
traité en ce qui concerne toutes les qualités essentielles. Les deux tableaux
possèdent des qualités, mais ils présentent aussi des défauts. Pourtant, si l’on
considère que les difficultés de réalisation des oeuvres d’art augmentent dans
la mesure où les sujets se compliquent et deviennent grandioses, et si l’on
examine rapidement les travaux du pensionnaire dans l’ordre respectif ;
corativo. - Ele nos apresenta uma paisagem magistral e finamente pintada, recendendo uns ingênuos amores pastoris todo o perfume dos velhos tempos da Grécia. - É
um verdadeiro poema bucólico, delicado e poeticamente pintado. - Este quadro não
deve sair mais da nossa Academia, fazendo-se o mais breve possível aquisição desse
mimoso trabalho (...). Rio de Janeiro, 3 de Fevereiro de 1888 - José Maria de Medeiros. ”
303
c’est-à-dire depuis le premier avec lequel il obtint le Prix de Voyage, voilà
mon avis : - M. Rodolpho Amoêdo a bien profité de ses études, et s’il est vrai
que l’on remarque dans ses tableaux le manque d’individualité qui distingue
les oeuvres des vrais artistes, on suppose que ce manque est dû à la
soumission aux préceptes du maître qui l’orienta. Cela veux dire que le
pensionnaire, désormais libre, pourra imprimer à ses oeuvres cette marque,
ce qui est l’un des premiers buts de tout artiste. Rio de Janeiro, le 18 février
1888. Professeur J. Zeferino da Costa. 63
Dans ce rapport, on remarque des critiques à l'adresse de Cabanel, maître d’Amoêdo
à Paris. Mais le rapport de Zeferino da Costa n’a pas eu de sympathisants parmi l’ensemble des
professeurs qui ont approuvé le rapport de José Maria de Medeiros par unanimité.
63
- Procès-verbal de la séance du 18 février 1888, pp. 56 - 57. Museu Dom João VI, Rio de
Janeiro.
“ O abaixo assinado, professor honorário da seção de Pintura da Academia Imperial das
Belas Artes (...), tendo sido interpelado pelo Sr. Secretário, em sessão do dia 3 do
corrente (...) sobre o parecer relativo aos últimos trabalhos do Pensionista do Estado
Rodolpho Amoêdo, respondeu que nada tinha feito a respeito, em virtude de não ter
recebido comunicação oficial para este fim. (...), o mesmo Pensionista, indiferente às
desinteligências que, infelizmente, existem entre alguns membros do Corpo acadêmico, não deve por isso ser prejudicado nos seus interesses (...). Não [serei] sucinto na
análise dos dois quadros do mencionado Pensionista, representando um, - Cristo em
Cafarnaum - e o outro, - Narração de Philectas - porque, está certo que proficientemente a esse respeito devia ter-se ocupado no seu atestado o Distinto Professor Sr.
Cabanel, que guiou o Pensionista em seus estudos na Europa ; professor que, tanto
no gênero, como na sua escola, é reputado um dos melhores artistas da França. - Não
obstante, tem a dizer que : dos dois quadros em questão, prefere o - Narração de Philectas - Não entra nessa preferência simpatia alguma sobre o assunto ; simplesmente
por ser - Narração de Philectas - tratado melhor em todos os seus requisitos. - Ambos estes quadros tem qualidades boas, como não estão isentos de defeitos ; (...).
Atendendo porém, que as dificuldades das obras de arte aumentam na proporção dos
assuntos complicados e grandiosos, e examinando ligeiramente os trabalhos do Pensionista, pela ordem respectiva ; isto é, desde aquele pelo qual lhe foi conferido o prêmio de ir estudar na Europa, como Pensionista, é de parecer : - Que o Sr. Rodolpho
Amoêdo muito aproveitou nos seus estudos ; e que, se se nota nos seus quadros a falta de individualidade que tanto distingue as obras dos artistas, sendo de supor que só
à sujeição dos preceitos do mestre que o guiou, será devida essa falta, não quer isso
dizer que d’ora em diante, livre como deve considerar-se o ex-Pensionista, não procurará imprimir em suas obras esse cunho que é um dos principais objetivos do artista. Rio de Janeiro, 18 de Fevereiro de 1888 - O Professor J. Zeferino da Costa. ”
304
Le retour de Rodolpho Amoêdo au Brésil fut aussi l’occasion d’une exposition où le
public a pu voir toute sa production européenne, les envois de pensionnaire inclus. Le succès
du peintre fut absolu et une semaine après la fermeture de l’exposition, Amoêdo était nommé
membre honorable de la séance de peinture d’histoire de l’Académie des Beaux-Arts. Quelque
temps plus tard, il fut nommé professeur intérimaire de la même institution, occupant la chaire
de Victor Meirelles qui avait été libéré de ses obligations comme professeur.
À la fin de 1890, déjà sous le régime républicain, Amoêdo fut nommé membre de la
commission chargée d’organiser la réforme de l’Académie des Beaux-Arts. Après la
promulgation de la réforme, le peintre voulut partir en Europe, ce qu’il fit le 8 décembre 1890.
Il se fixa à Paris, et travaillait sur la Desdémone endormie lorsqu’il reçut l’annonce de sa
nomination comme professeur effectif de l’Escola Nacional de Belas Artes. Il écrit
immédiatement à Rodolpho Bernardelli, le nouveau directeur de l’Ecole, une longue lettre en
refusant le poste qu’il n’avait pas demandé. Et Amoêdo raconte :
- Lorsqu’il a reçu ma lettre, Bernardelli m’a tout de suite écrit une lettre
personnelle où il déclara qu’il ne pouvait pas accepter mon refus, (...). Je
fus obligé à accepter la nomination ; et Rodolpho Bernardelli (...) m’a
chargé d’engager deux professeurs à Paris ; l’un d’archéologie et l’autre de
gravure. Mais il fallait retourner vite, ce que j’ai fait en juin 1891, ayant
engagé seulement Charles Gustave Paille, professeur d’archéologie, le seul
qui accepta de venir au Brésil avec le salaire de quatre cents mille réis par
mois. 64
Pendant 35 ans, Rodolpho Amoêdo a enseigné la peinture à l’Escola Nacional de
Belas Artes. Sa vie durant, il n'a rien changé à la formation qu’il avait reçue à l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris. Comme professeur à Rio de Janeiro, il s'est montré fidèle à ses maîtres
parisiens jusqu’au moment de sa retraite, en 1935.
64
- GOMES, Tapajós. Idem.
“ - Recebendo minha carta, Bernardelli apressa-se em me escrever particularmente, declarando não poder aceitar a minha recusa (...). Fui obrigado a aceitar a nomeação ; e Rodolpho
Bernardelli (...) encarregou-me de contratar dois professores em Paris : um de arqueologia e
outro, de gravura. Urgia, porém, regressar, o que fiz em junho de 1891, só tendo conseguido
contratar Charles Gustave Paille, professor de Arqueologia, o único que se sujeitou a vir
para o Brasil, ganhando quatrocentos mil réis mensais. ”
305
16. 1887
- Oscar Pereira da Silva (São Fidélis, Rio de Janeiro, 1867 - São Paulo, 1939)
Peintre - lieu d’études : Paris.
Lorsqu'il était encore élève de l’Academia Imperial, avant de recevoir le Prix de
Voyage de 1887, Oscar Pereira da Silva s'était fait remarquer par quelques travaux signalés par
ses biographes, tels que : La renaissance des arts, peinture décorative dans une des salles de
l’Académie ; une copie réduite de la Bataille du Avahy de Pedro Américo ; une copie du
Repos du Modèle d’Almeida Júnior ; et le Portrait du Dr. Menezes Vieira. Les élèves
réalisaient alors des copies des oeuvres les plus importantes de leurs professeurs ou de celles
des peintres formés par l’Académie. Il s’agissait déjà de la transmission d’une tradition qui se
construisait malgré les difficultés rencontrées, surtout d’ordre financière.
Le concours de 1887, le dernier de la période monarchique, fut réalisé après un long
intervalle. En effet, neuf années s'étaient écoulées depuis le concours de 1878, lorsque le
Comité des professeurs se réunit en séance le mois de février 1887. Ils décidèrent alors
l’ouverture d’un concours pour l'obtention du prix de premier ordre, “ vu qu’à ce moment-là il
n’y avait qu’un seul pensionnaire en Europe, Rodolpho Amoêdo ”.65
Deux places de pensionnaires étaient disponibles et huit candidats se présentèrent :
sept peintres d’histoire et un architecte. Belmiro de Almeida, Eduardo de Sá et Oscar Pereira
da Silva se trouvaient parmi les peintres inscrits. Ludovico Maria Berna était l’architecte.
D’après la lecture des procès-verbaux, on observe que depuis la décision prise par les
professeurs courant février, il a fallu attendre le 8 juin pour que le gouvernement autorise les
dépenses de 840 mille réis destinées à payer les modèles et la subdivision de la salle où le
concours serait réalisé. Le 18 août 1887, le Comité décida de procéder au concours le plus tôt
possible, puisque toutes les difficultés avaient été surmontées. Les professeurs passèrent alors à
la sélection des sujets des examens. Pour les peintres, six sujets furent choisis, tous inspirés de
la Bible ou de l’antiquité classique, suivant l’orientation académique : 1- La députation des
chefs grecs et Achille ; 2 - L’ébriété de Noé ; 3 - Tobie prend congé de son père ; 4 - Marcelo
déplore la mort d’Archimedes ; 5 - Sylla ordonne à ses esclaves d’étrangler Granio,
magistrat de Pozzuolo ; 6 - La Flagellation de Jésus Christ. Pour l’architecte, d’autres sujets
65
- Procès-verbal de la séance du 17 Février 1887, (p. 33). Arquivo Museu D. João VI / EBA
/ UFRJ.
306
furent fixés. Il fut établi que le concours commencerait dans quatre jours, ayant une durée
prévue de 2 mois. Le 22 août, premier jour du concours, après le tirage au sort, le sujet choisi
pour les peintres fut La Flagellation de Christ.
Oscar Pereira da Silva a été l’un des deux lauréats de ce concours. L’autre était
Ludovico Maria Berna, l’architecte. Cependant, une polémique empêcha la validation du
résultat et les deux candidats lauréats n'ont pu partir qu’en 1890. Pour ce qui est de la
polémique, quelques auteurs mentionnent l’intervention de la Princesse Isabel qui fit appel du
jugement.66
Cette controverse a eu son origine au sein du conseil des professeurs de l’Académie.
Lors de la séance du 8 novembre 1887, l’avis du jury du concours qui accordait le Prix aux
candidats Oscar Pereira da Silva et Ludovico Maria Berna fut lu et approuvé par la presque
totalité des professeurs. Mais deux voix divergentes se firent entendre : celles de Rodolpho
Bernardelli et de Zeferino da Costa. Ces deux professeurs se sont prononcés pour protester
contre le résultat du concours. Pourtant, le Directeur n’a pas accepté leur protestation “ parce
qu’elle n’a pas de fondements, et l'on ne trouve dans les Statuts aucune disposition qui
l’autorise ”67. On peut imaginer que suite à cela les mécontents demandèrent l’appui de la
princesse, laquelle répondit favorablement. Par conséquent, les deux lauréats ont dû attendre
les changements politiques, et ce ne fut que sous le gouvernement républicain que le prix leur
fut accordé.
66
- Quirino Campofiorito (História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.209) affirme que
le jury du concours ne voulait pas accorder le Prix à Oscar Pereira da Silva. Selon
Campofiorito la Princesse Isabel intercéda en faveur du peintre. Frederico Morais
(Cronologia das Artes Plásticas no Rio de Janeiro, p.101) affirme le contraire. Selon lui la
décision du jury en faveur d’Oscar Pereira da Silva fut réfutée par la Princesse qui fit appel
du jugement.
67
- Procès-verbal de la séance du 8 novembre 1887. Arquivo Museu D. João VI / EBA /
UFRJ.
“ O Sr. Cons. Diretor responde que não aceita o protesto, porque, nem tem fundamento,
nem encontra nos Estatutos disposição alguma que o autorize. ”
307
Le 6 octobre 1890, l’ensemble des professeurs dut se prononcer à propos d’une
demande du lauréat Oscar Pereira da Silva, qui réclamait “ la liberté de choisir le lieu où il
pourrait bénéficier des leçons des meilleurs maîtres ”. Victor Meirelles donna un avis contraire
à la pétition et ajouta que “ d'après la connaissance qu'il a de l’élève Oscar, il pense qu'il serait
bénéfique à ce dernier de se rendre d'abord à Paris, ville qu'il pourrait quitter par la suite, selon
le progrès réalisé, pour aller en Italie. ” Le Corps Enseignant fut du même avis que Victor
Meirelles et Oscar Pereira da Silva fut envoyé à Paris.68
À Paris, Oscar Pereira da Silva fréquenta les ateliers de deux des peintres les plus
attachés au conservatisme académique, Gérôme et Bonnat. On retrouve son nom parmi les
inscriptions d’élèves dans l’Atelier de Gérôme à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Il s’est inscrit
le 29 novembre 1890, et ses données sont les suivantes :
n. 100 - Pereira da Silva, Oscar
né au Brésil en 186569
demeure : 5, r. des Beaux-Arts
entrée le 29 novembre 1890
Oscar Pereira da Silva resta à Paris pendant tout son séjour en Europe. Sa peinture
s’accorda aux principes académiques selon lesquels un artiste ne peut concevoir que de belles
formes et des sujets nobles, en dessinant avec exactitude et embellissant la réalité.
De retour au Brésil, en 1896, il exposa à l’Escola Nacional de Belas Artes trente et
trois tableaux réalisés à Paris. Parmi les oeuvres alors présentées au public, Samson et Dalila
(ill.11) et L’enfance de Giotto (ill.12) prouvent aussi bien son attachement aux sujets
historiques que sa maîtrise de la composition. Malgré le succès de l’exposition il n’a pas voulu
rester à Rio et s’installa définitivement à São Paulo. Dans cette ville il développa une très
grande production et exerça l’activité de professeur dans son atelier personnel et dans le Lycée
des Arts et Métiers. Vers 1915, l'état de São Paulo lui accorda une pension pour faire un
séjour artistique à Paris.70
68
- Procès-verbal de la Séance de la Congrégation du 6 octobre 1890. Arquivo Museu D.
João VI / EBA / UFRJ.
“ Obtida a palavra, o Sr. Comendador Victor Meirelles faz considerações no intuito de ser
indeferida a petição, acrescenta que pelo conhecimento que tem do aluno Oscar, entende que
ele mais aproveitaria seguindo diretamente para Paris, donde, segundo seu adiantamento, irá
à Itália. ”
69
- Une petite remarque : la date de naissance ne correspond pas à la date indiquée dans
d’autres sources.
70
- Laudelino Freire. Um Século de Pintura, p.383.
308
Oscar Pereira da Silva fut le dernier des artistes brésiliens à s'astreindre aux limites
académiques de la peinture du Segundo Reinado.
17. 1887
- João Ludovico Maria Berna
Architecte - lieu d’études : Paris.
João Ludovico Maria Berna fut le seul architecte candidat au Prix de Voyage de
1887. Tous les autres concurrents étaient des peintres. Cela ne l’empêcha cependant pas d'être
l'un des deux lauréats du concours. L’autre lauréat fut Oscar Pereira da Silva, dont il vient
d’être question ci-dessus.
On a vu que le concours de 1887 avait été réfuté. Ludovico Berna subit la
conséquence de cette réfutation et n’a pas pu bénéficier du prix de voyage tout de suite. Ce
n'est qu'après la proclamation de la République, en 1890, que le Ministre Benjamin Constant
décida de valider le concours de 1887. Dans la séance du 20 octobre 1890, les professeurs de
l’Escola Nacional de Belas Artes décidèrent d’envoyer Ludovico Berna à Paris. Mais le
lauréat devait respecter une condition : s’inscrire à l’Ecole Spéciale des Beaux-Arts de Paris.
Le pensionnaire réussit les épreuves d’admission à cette École et il y est entré.
Cependant, dès 1891 il demanda aux autorités des beaux-arts au Brésil d’être transféré en
Italie. Il justifiait sa demande en affirmant qu’à Paris les artistes âgés de plus de 30 ans
n'avaient pas le droit de s’inscrire à l’Ecole, et qu'il atteindrait bientôt cet âge. Mais sa
demande fut refusée. En l'examinant, les professeurs Brocos et Amoêdo affirmèrent que
pendant la période où ils avaient suivi les cours à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris la limite
d’âge de 30 ans était une exigence qui ne s'appliquait qu'aux naturels du pays, c’est-à-dire, aux
Français.71 En janvier 1893, la pension de Ludovico Berna fut suspendue par le directeur de
l’Escola Nacional de Belas Artes de Rio. La raison de la suspension avait été l’échec du
pensionnaire, qui n’avait pas réussi un examen à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Une
controverse s’établit alors dans la presse brésilienne. Les défenseurs du pensionnaire
déclaraient que dans ce cas spécifique un différend qui opposait le directeur Rodolpho
Bernardelli à l’élève avait joué. En tout cas, Ludovico Maria Berna dut retourner au Brésil.
71
- Procès-verbal de la séance du 18 octobre 1892. Arquivo Museu Dom João VI / EBA /
UFRJ, Rio de Janeiro.
309
Curieusement, cet épisode n’empêcha pas l’engagement de João Ludovico Maria Berna
comme professeur de l’Ecole à Rio.
Quelques années plus tard, en 1898, les professeurs de l’Escola Nacional de Belas
Artes, réunis en conseil, demandèrent au gouvernement d’officialiser l’engagement du
professeur Ludovico Berna. Les professeurs argumentaient en disant que
(...) lorsqu’il était élève de l’Escola Nacional de Belas Artes, [Berna] avait
mérité le Prix de Voyage en Europe, et avait remis à l'Ecole, pendant la
durée de son pensionnat, des travaux et des documents qui prouvaient son
application à l’étude de l’architecture dans le Vieux Monde. 72
Les professeurs affirmaient aussi que :
D’autres anciens pensionnaires ont obtenu une récompense identique de la
part du gouvernement du Brésil. C'est de cette manière que furent nommés
(...) les professeurs Rodolpho Bernardelli, Henrique Bernardelli [sic],
Rodolpho Amoêdo, Zeferino da Costa et Heitor Cordoville. 73
2 - Les pensionnaires de l’Empereur Dom Pedro II
Guilherme Auler, chroniqueur de la vie de Dom Pedro II, raconte qu’à la fin de son
gouvernement l’Empereur subventionnait les études de nombreux étudiants, au Brésil comme à
72
- Procès-verbal de la séance du 9 juin 1898. Arquivo Museu Dom João VI / EBA / UFRJ,
Rio de Janeiro.
“ O professor Ludovico Berna, quando antigo aluno da Escola Nacional de Belas Artes, mereceu o prêmio de viagem à Europa tendo remetido durante o seu tempo de pensionista trabalhos e documentos que provam a sua aplicação ao estudo da arquitetura no Velho Mundo. ”
73
- Idem.
“ Idêntica recompensa obtiveram outros ex-pensionistas por parte do governo do Brasil. Assim é que foram nomeados para a Escola de Belas Artes os professores Rodolpho Bernardelli, Henrique Bernardelli [sic], Rodolpho Amoêdo, Zeferino da Costa e Heitor Cordoville. ”
[Henrique Bernardelli n’a pas été pensionnaire de l’Etat. Il a suivi des études en Europe,
mais à ses frais.]
310
l’étranger. Ils étaient dix-huit peintres, quinze ingénieurs, treize avocats, douze
musiciens, dix médecins, six militaires, sans compter les soixante et cinq pensionnaires dans les
établissement scolaires d'enseignement général. Parmi eux, quarante et un se trouvaient à
l'étranger, dont vingt et un en France, dix en Italie et les autres disséminés dans différents
pays.74 Tous ces pensionnaires étaient les bénéficiaires de la ‘pochette de l’empereur’,
expression utilisée à l’époque pour se référer à l’aide financière reçue par des étudiants pris en
charge par l’empereur lui-même.
Soutenant un point de vue particulier, José Carlos Durand, dans un petit chapitre de
son livre Arte, Privilégio e Distinção..., critique la conception selon laquelle l’empereur Dom
Pedro II fut un généreux protecteur des arts au Brésil. Il écrit :
On a beaucoup parlé de la ‘pochette de l’empereur’, mais parfois sans
impartialité. Dom Pedro II est loué par les partisans de la monarchie
comme ayant été quelqu'un qui apportait une attention spéciale aux gens de
la culture et qui protégeait généreusement les intellectuels, les artistes et les
scientifiques. Les effets idéologiques de cette image mettent en relief une
association naïve entre l’insuffisance des ressources sous l'administration
de l'empereur, et l’attitude du monarque, qui soutenait à ses propres frais
des pensionnaires à l’étranger. (...).Et cela comme s’il s’agissait d’un
sacrifice personnel pour subventionner la culture, sacrifice justifiable
uniquement par un amour et un respect profonds envers l’art et la science.
Cependant (...) les dépenses avec les pensionnaires n’ont représenté qu’une
rubrique très peut onéreuse dans l’ensemble des dépenses de la maison
impériale. Selon les données du bilan relatif à l’année de 1857, publiées par
Auler, les pensions et les retraites montaient au total de cinquante millions
de réis, exactement la même valeur dépensée pendant l’été par la famille
royale à Petrópolis. Si l’on pense aux dépenses avec les écuries royales, qui
montaient à la somme de cent vingt millions de réis, on voit que la somme
destinée aux pensions n’arrivait même pas à la moitié de ce total. Dans un
budget de huit cents vingt millions de réis, (...) la rubrique des dépenses en
faveur des protégés qui étudiaient dans le pays ou à l’étranger ne dépassait
pas les six pour cent (6%), et si l'on ne considère que les pensionnaires à
l’étranger, elle ne dépassait même pas 0,5% du budget contrôlé directement
par Pedro II. 75
En outre, Durand ajoute qu’entre 1852 et 1889, la période la plus importante de
l’Academia Imperial de Belas Artes, les bénéficiaires des prix de voyage n'étaient plus que 9 ou
10 artistes. Ce fait l'amène à conclure que lorsque Guilherme Auler mentionne dix-huit artistes
74
- AULER, Guilherme. Os Bolsistas do Imperador, Cadernos do Corgo Seco, Tribuna de
Petrópolis, 1956, (p.19). [Cité par DURAND, p.25.]
75
- DURAND. Arte, Privilégio e Distinção..., p.26.
311
bénéficiaires de l’aide impériale il se réfère au nombre total des artistes qui furent aidés par
l’empereur tout au long de son règne (1840 - 1898).76
Parmi les artistes qui méritèrent d’être signalés par les historiens de l’art brésilien, on
trouve cinq peintres qui sont venus compléter leurs études en Europe grâce à l’appui impérial.
En effet, Auler n’a pas affirmé que les dix-huit peintres pensionnaires de l’empereur ont étudié
à l’étranger. Il affirma que certains parmi eux étaient partis se perfectionner en Europe et que
d'autres suivirent une formation dans les institutions brésiliennes.
S'il est vrai que la discussion touchant la générosité de Pedro II ne concerne pas
directement notre objet d’études, il convenait de la présenter. De toute façon, il est un fait que
l’Empereur Dom Pedro II aida quelques peintres qui sont devenus par la suite des artistes
remarquables. On passera maintenant à la présentation des principaux événements de leurs
carrières.
1. 1859
- Pedro Américo de Figueiredo e Mello - (Paraíba, Brésil, 184077- Florence, Italie,
1905)
- Peintre d’histoire - lieu d’études : Paris
76
“ O ‘bolsinho imperial’ tem uma longa e até certo ponto mal contada história. No registro dos simpatizantes da monarquia, a pessoa de Pedro II é realçada pela sua atenção
à cultura e por sua generosidade para com pensadores, artistas e cientistas. Os efeitos
ideológicos dessa imagem põem em relevo uma associação inocente entre a circunstância de uma virtual e crônica escassez de fundos sob administração pessoal do monarca e o fato de ele manter no exterior um rol de pensionistas, daí se passando a impressão de que o rei se valia de recursos propriamente ‘pessoais’. Ou seja, de que ele
‘se sacrificava’ para promover a cultura, o que então apenas se justificaria por profundo amor e respeito para com a arte e a ciência. Mas o número de contemplados
pelo monarca jamais chegou a surpreender ; muito pelo contrário, os gastos com pensionistas representaram sempre rubrica muito pouco onerosa no conjunto dos dispêndios da casa imperial. Segundo dados do balancete relativo a 1857, publicado por
Auler, as pensões e aposentadorias somavam cinqüenta contos de réis, exatamente o
mesmo valor gasto com o verão da família real em Petrópolis e menos da metade dos
cento e vinte contos despendidos com suas cavalariças. Em um orçamento de oitocentos e vinte contos, (...), a rubrica de gastos com protegidos que se escolarizavam
no país ou fora dele, não passava de uns seis por cento, e, se considerados apenas os
bolsistas no exterior, não alcançavam nem meio por cento do orçamento controlado
diretamente por Pedro II. ”
- DURAND. Arte, Privilégio e Distinção..., p. 27.
“ Sabendo-se que durante toda a última e principal fase da Academia, entre 1852 e
1889, não foram contemplados com prêmios de viagem mais que uns nove ou dez artistas, é bem possível que os dezoito pintores arrolados por Auler compreendem todos os que receberam auxílio direto de Pedro II no gênero das artes visuais. ”
312
Pedro Américo fut, ainsi que Victor Meirelles, l’un des peintres les plus célèbres de
cette période, un ‘peintre officiel’ qui reçut de nombreuses commandes du gouvernement
impérial. Il s’est fait remarquer parmi ses contemporains, non seulement par son talent
artistique, mais aussi comme un intellectuel respecté.
Pedro Américo est né dans une famille d’artistes. Son frère Aurélio de Figueiredo
était peintre comme lui, et selon Gonzaga-Duque leur père et leur grand-père étaient des
musiciens.78 Naturel d’Areias, ville de l’état de la Paraíba, au nord-est du Brésil, Pedro
Américo s’est fixé postérieurement à Rio de Janeiro. En 1856 il est entré à l’Academia
Imperial de Belas Artes où il suivit des cours de peinture pendant quatre ans. En 1859, en
l’absence de concours de Prix de Voyage, (le dernier ayant eu lieu en 1852), l’Empereur Dom
Pedro II décida de lui accorder une pension lui permettant d’aller se perfectionner à Paris.
Les historiens de l’art brésilien affirment qu’à Paris Pedro Américo fut le disciple
d’Ingres, de Léon Cogniet, de Flandrin et d'Horace Vernet 79. On retrouve son nom dans le
“ registre des matricules des élèves des sections de peinture et sculpture de l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris pendant la période d’avril 1841 à mars 1871 ”80. Ses données sont les
suivantes :
77
- Plusieurs auteurs affirment que Pedro Américo est né en 1843. Selon Gonzaga Duque il
est né le 29 avril 1843. Mais lors de l’inscription à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1859,
Pedro Américo déclara être né le 29 avril 1840. On a préféré d’accepter cette date de 1840.
Si Pedro Américo est né en 1843, il aurait 16 ans lors de son voyage en Europe.
78
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 140.
79
- FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 146.
80
- Archives Nationales (France), AJ / 52 / 235.
313
n. 3184 - Pedro de Figueiredo e Mello (Américo)
né le 29 Avril 1840
à Aréas, Brésil
demeure : 3, rue des Beaux-Arts
présenté par M. Cogniet et Mac Henry
date de l’entrée le 6 octobre 1859
Ce document confirme qu’il fut le disciple de Léon Cogniet. Dans un autre
document, la “ Demande d’Admission à l’Exposition Universelle de 1900 ” 81, Pedro Américo
se déclara ancien élève de Léon Cogniet et d’Horace Vernet. Il ne mentionna pas Ingres, ni
Flandrin... De tous ses maîtres français, Horace Vernet fut celui qui l’a le plus influencé. 82
À Paris, outre les enseignements suivis auprès des maîtres de l’Ecole des Beaux-Arts,
Pedro Américo fréquenta l’Université de la Sorbonne. Après un séjour de trois ans et demi en
France, il visita plusieurs capitales d’Europe ; de retour à Paris il reçut l’ordre de retourner au
Brésil, la pension que lui avait accordée l’Empereur arrivant à son terme. Ce premier voyage
de Pedro Américo en Europe avait duré cinq ans. En 1864, de retour à Rio de Janeiro, le
peintre se présenta au concours pour le poste de professeur de dessin à l’Académie. Il réussit
brillamment, avec la toile Socrate arrachant Alcibiade des griffes du vice. Cependant Pedro
Américo n’est pas resté longtemps au Brésil. En 1865 il retourna en Europe, où il obtint son
doctorat en Sciences Naturelles le 21 juillet 1868 par l’Université de Bruxelles. Après cela il
est rentré à Rio, au début de l'année 1870, pour exercer l'activité de professeur à l’Academia
Imperial.83 Pourtant, Pedro Américo ne s’est pas installé définitivement au Brésil. Sa vie durant
il fit plusieurs allers retours entre Rio de Janeiro et l’Europe, où il demeurait parfois à Paris,
parfois à Florence.
Ses absences sont documentées dans les procès-verbaux des séances du corps
d’enseignants de l’Académie. En lisant ces procès-verbaux on apprend par exemple qu’en
novembre 1884 il est revenu d’Europe, assuma l’exercice de sa chaire et fit partie du jury de
l’Exposition Générale. Le 15 décembre 1885 il est de nouveau absent ‘pour motif juste’, c’està-dire, il a été autorisé à retourner en Europe. Le procès-verbal de la séance du 17 février 1887
nous informe qu’il est toujours absent, parce qu’il se trouve en Europe.
81
82
83
- Archives Nationales (France), F / 21 / 4066.
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX , p.169.
- FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 146.
314
Quant à son oeuvre, Pedro Américo s’est dévoué à la peinture d’histoire et dans ce
genre on peut citer quelques uns de ses tableaux les plus connus : La Bataille du Avahy (1872
à 1877) (ill. 13), Judith et Holopherne (1880), La Nuit accompagné des génies de l’Etude et
de l’Amour (1883) (ill. 14), Jeanne d’Arc (1883), Moïse et Jacobed (1884), Le Violoniste
Arabe (1884). Le nu La Carioca (1882) est aussi l'une de ses peintures les plus connues.
Toutes ces oeuvres appartiennent aux collections du Museu Nacional de Belas Artes de Rio de
Janeiro.
Pedro Américo dut sa renommée à sa production de peinture historique. Il ne faut
pas comprendre ce choix comme une imposition de l’époque, au contraire, les sujets bibliques
et historiques s’accordaient parfaitement à sa nature. Pedro Américo lui-même exposa ses
sentiments à ce propos dans une lettre adressée à Victor Meirelles en 1864 :
Ma nature est toute autre ; je ne peux pas me soumettre facilement aux
exigences transitoires des coutumes de chaque époque, qui sont aussi une
des sources dans lesquelles un talent comme le vôtre puise des perles. Ma
passion, seule l’histoire sacrée assouvit. 84
Vingt ans plus tard, Gonzaga-Duque fit des critiques sévères à Pedro Américo. Il
considéra que le peintre n’a pas progressé, restant fidèle à des principes archaïques. En 1884,
après avoir visité l’Exposition Générale, le critique écrit :
Pedro Américo a envoyé de Florence quatorze tableaux pour l’exposition de
1884.(...) Cinq années d'écoulées et l’artiste est toujours le même, le passage
du temps fut stérile pour lui. David, Judith, Vierge Douloureuse, Jacobed,
Héloïse ce sont les sujets de ses tableaux. (...). D’après ce que l’on vient
d’exposer, le peintre d’Avahy n’a réalisé aucun progrès dans l’espace de
cinq ans. Sa conception se trouve au même niveau qu’au moment où il a
peint Saint Jérôme et Saint Pierre, son talent est toujours caressé par la
vieille philosophie spiritualiste, ses croyances se sont conservées intactes,
(...). Je ne dirai pas, cependant, qu’il s'est arrêté pour toujours ; mais je
dirai qu’un pouvoir quelconque qui surpasse la volonté de l’artiste a éloigné
sa pensée des travaux de nos temps, de nos aspirations, de notre sentiment
esthétique, des nécessités de notre époque. 85
Pedro Américo est resté fidèle à la peinture d’histoire jusqu'à la fin de sa vie. En
1900 il présenta au jury de l’Exposition Universelle de Paris les quatre tableaux suivants : Pax
84
85
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 144.
“ Minha natureza é outra ; não creio dobrar-me com facilidade às exigências passageiras dos costumes de cada época, que também são uma das fontes em que um talento
como o seu pode achar pérolas. A minha paixão só a história sagrada sacia-a... ”
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, pp. 161 - 162 / 166 - 167.
315
et Concordia (Allégorie de la France en 1900), grande composition qui se trouve aujourd’hui
dans les collections du Museu do Itamaraty à Rio de Janeiro, Honneur et Patrie, La première
faute et La femme de Putiphar.86 Les sujets de ces peintures démontrent qu’il est resté attaché
au genre historique, si aimé par l’Académie.
2. 1875
- Horácio Hora (1854, Sergipe, Brésil - 1890, Paris)
- peintre - lieu d’études : Paris.
Horácio Hora fit ses premières études de peinture à Larangeiras, ville de l’état de
Sergipe où il est né. En 1875 l’Empereur Dom Pedro II lui accorda une pension pour aller se
perfectionner à Paris. On retrouve Horácio Hora à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris sous le
numéro 4338 du registre des matricules des années 1871 / 189487. D’après ce registre il est
entré à l’Ecole en 1877. Ses données sont les suivantes :
“ Para a exposição de 1884, Pedro Américo enviou, de Florença, catorze quadros. (...)
o decurso de cinco anos foi estéril para o artista, ele ainda é o mesmo, o mesmíssimo.
David, Judite, Virgem Dolorosa, Jacobed, Heloísa, são os assuntos das suas telas.
(...). Desta exposição tiramos a seguinte conseqüência : o pintor de Avahy nenhum
progresso alcançou no espaço de cinco anos ; a sua concepção está tão adiantada
quanto esteve no tempo em que pintou o São Jerônimo e o São Pedro, o seu talento
ainda é bafejado pela velha filosofia espiritualista, as suas crenças conservam-se intactas, (...). Não direi, entretanto, que tenha estacionado para todo o sempre ; isto não ;
mas direi que algum poder, acima da vontade do artista, tem afastado sua mentalidade dos trabalhos do nosso tempo, das nossas aspirações, do nosso sentimento estético, das necessidades da nossa época. ”
86
- Archives Nationales (France), F / 21 / 4066. La toile Honneur et Patrie fut admise à
l’exposition.
87
- Archives nationales (France), AJ / 52 / 236.
316
n. 4338 - Hora (Horácio)
né le 17 septembre 1854
à Larangeiras (province de Sergipe), Amérique, Brésil
demeure : 133, Bd. Magenta
présenté par M. Lequien et M.Cabanel
date de l’entrée : 14 août 1877
Il a été le disciple de Lequien et Cabanel et, selon Laudelino Freire, il est devenu l'ami
de ces deux maîtres. En 1884 il a fait une exposition publique de ses toiles à Bahia, et remporta
un énorme succès. Le Corps d'enseignants de l’Académie des Beaux-Arts de Salvador à Bahia
lui a conféré le diplôme de Membre Correspondant et Académicien de Mérite.88
Son oeuvre comporte de nombreux portraits, genre dans lequel il s’est spécialisé. Il a
réalisé aussi La Misère, et La Charité, deux peintures décoratives conçues pour la Chapelle de
l’Hôpital de la Miséricorde, en Estancio à Sergipe. La toile Pery et Cecy est l'une de ses
oeuvres les plus connues.89
3. 1876
- José Ferraz de Almeida Júnior90 (São Paulo, Brésil, 1850 - São Paulo, Brésil,
1899)91
- peintre - lieu d’études : Paris
Almeida Júnior est né à Itu, ville de l’état de São Paulo. À l’âge de 19 ans il reçut une
pension de sa province pour se former peintre à Rio de Janeiro. Il s’inscrivit alors à
l’Academia Imperial das Belas Artes où il suivit les cours des professeurs Victor Meirelles e
Jules Chevrel. En 1875, ayant fini ses études à l’Académie, il retourna à sa ville natale. Mais il
n’y est pas
88
- FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 296.
- Idem, p. 296. Pery et Cecy sont des personnages du roman O Guarany de José de
Alencar.
90
- Il est curieux de constater que dans le E. BENEZIT (Dictionnaire des peintres,
sculpteurs, dessinateurs et graveurs. Librairie Gründ, Paris, 1976), Almeida Júnior est
classifié dans l’Ecole Française. Deux de ses oeuvres y sont indiquées : La Fuite en Egypte,
exposé au Salon de Paris 1881 ; et Pendant le Repos, exposé au Salon de 1882.
91
- Selon Laudelino Freire, Almeida Júnior est né le 8 mai 1851. D’autres auteurs indiquent
l’année de 1850 comme la date de sa naissance. Le propre Almeida Júnior déclara être né en
1850 lors de son inscription dans l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Almeida Júnior est décédé
à Piracicaba, ville de l’état de São Paulo.
89
317
resté longtemps car Dom Pedro II lui accorda une pension pour aller continuer ses
études en Europe. En 1876, il est venu se perfectionner à Paris où il devint le disciple de
Cabanel.
On trouve le nom de José Ferraz d’Almeida Júnior inscrit sur le registre des
matricules de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris sous le numéro 4415, la date de son entrée à
l’Ecole étant le 19 mars 1878.92 Son nom se trouve aussi sur la liste des élèves inscrits dans
l’atelier de Cabanel,93 une première fois en 1878 (sous le numéro 409) et une seconde fois en
1879 (sous le numéro 436). Voici ses données :
n. 409 - Ferraz d’Almeida
né à São Paulo, Brésil
le 8 mai 1850
demeure : 30, rue Montholon
entrée : le 11 février 1878
n. 436 - d’Almeida, José Ferraz
né à São Paulo, Brésil
le 8 mai 1850
demeure : 22, r. Turgot
entrée le 29 janvier 1879
Dans les documents concernant la vie scolaire des étudiants de l’Ecole des BeauxArts de Paris Almeida Júnior est mentionné deux fois, et les deux fois il s'agit des résultats des
concours annuels. Le peintre brésilien se trouve parmi les trois lauréats du concours de Dessin
d’Ornement réalisé le 23 mai 1878. Le 25 mai de la même année il reçut une ‘mention
provisoire’ lors du concours d’Anatomie.94 Ces informations témoignent de son dévouement
aux études.
Le séjour d’Almeida Júnior en Europe fut de six ans pendant lesquels il demeura à
Paris. Mais ses biographes affirment que durant cette période le peintre a fait aussi un voyage
en Italie. On sait qu’il retourna au Brésil en 1882 et fit exposer à Rio de Janeiro les grandes
toiles qu’il avait réalisées à l’étranger. Après cela, il s’installa définitivement à São Paulo, où il
92
- Archives Nationales (France) - AJ / 52 / 236.
- Archives Nationales (France) - AJ/52/248 - Inscriptions dans les ateliers de peinture,
sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945.
94
- Archives Nationales (France) - AJ / 52 / 90. Dans les deux concours, le nom de son
professeur est indiqué : Alexandre Cabanel.
93
318
réalisa des oeuvres dont les sujets étaient les paysans et la vie quotidienne de la province
pauliste.
Les peintures qu’Almeida Júnior réalisa à São Paulo après son retour d’Europe furent
considérées comme la partie la plus importante de son oeuvre. Grâce à ces peintures, José
Ferraz de Almeida Júnior fut distingué par les historiens de l’art brésilien comme “ le premier
artiste brésilien qui a pris contact avec la réalité de sa terre en peignant la vie de la campagne
de São Paulo ”95, “ l’un des plus légitimes représentants de l’art brésilien ”96.
Pourtant, même avant sa phase pauliste, le talent d’Almeida Júnior était déjà perçu
comme original. Gonzaga-Duque, en écrivant à propos des quatre tableaux que le peintre
présenta à l’Exposition Générale des Beaux-Arts à Rio de Janeiro en 1884, le définit comme
l’artiste brésilien le plus original, celui qui avait la plus nette et la plus moderne compréhension
de l’art97. Gonzaga-Duque écrivit alors :
Les tableaux d’Almeida Júnior s’imposent par la simplicité du sujet et par la
manière dont ils furent peints (...). Le sujet qui vient occuper l’espace de la
toile est celui qui l’a ému (...). [Sa Fuite en Egypte (ill. 15)] représente
l’idéal de l’art moderne ; ce tableau est une oeuvre solide, morale, simple et
bien faite. Le type de Marie n’a rien de séraphique, il est bien celui d’une
femme du peuple qui aime son fils et qui sent le lait lui affluer auxs seins,
prête à l’allaiter. (...). Ce qui donne de l’importance technique au tableau
est l’effet de lumière du soleil couchant qui s’étale doucement et vaguement
à l’arrière-plan, sur les figures et sur le sol, en ajoutant une tonalité
argentée à la superficie du petit ruisseau. (...)
[Dans le Bûcheron Brésilien (ill. 16)] l’artiste nous présente une vigoureuse
étude de torse. Les bras et la poitrine du métisse en repos (...) sont peints
avec maîtrise. La carnation, et surtout le thorax, rappellent les études de
Bonnat par leur vérité. Cependant je le trouve peu naturel, comme s'il posait
pour être peint. Dans Pendant le repos (ill. 17), l’artiste se montre
95
96
97
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.181.
- LAUDELINO FREIRE. Um Século de Pintura, p.291.
- GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.180.
“ Entre os artistas que enviaram quadros à última exposição acadêmica de 1884 aquele
que acusava, por suas obras, maior originalidade e mais nítida e moderna compreensão da arte era Almeida Júnior. ”
319
meilleur, et pourtant moins original. C’est un atelier de peinture. L’intérieur
est chaud et baigné par une lumière faible et égale. (...). Mais les deux
figures sont peintes avec facilité, coloriées avec immense goût, dessinées
avec soin et observation. Le reflet de la lumière sur le piano est
merveilleusement fait, et ce fut peut-être ce bel effet et le gracieux dessin du
modèle qui ont éveillé l’attention de la critique parisienne lorsque le tableau
fut exposé au Salon de 1882. 98
Le critique attribue à la peinture d’Almeida Júnior un caractère moderne. Et la
‘modernité’ qu’il y trouve ne concerne pas quelque innovation quant aux sujets choisis par le
peintre. On observe, par exemple, que Gonzaga-Duque fait plus de louanges à la Fuite en
Egypte, tableau dont la thématique biblique était en accord avec le goût académique, qu’au
Bûcheron Brésilien. Gonzaga-Duque souligne que “ le type de Marie n’a rien de séraphique, il
est bien celui d’une femme du peuple ”, et dans ce fait il voit une attitude opposée à celle des
peintres liés à l’Académie.
Mais s'il est vrai qu'Almeida Júnior a été considéré comme un peintre qui se
démarquait des artistes de l’Académie de Rio, ses professeurs brésiliens, eux aussi, l’ont
reconnu comme un grand peintre. Dans un rapport sur l’Exposition Générale de 1884, ces
professeurs
98
- GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 181-184.
“ Os quadros de Almeida Júnior se inculcam antes pela simplicidade do assunto e pela
maneira porque foram pintados (...). É o assunto que lhe comove (...) que vai para a
tela. (...). [Sua Fuga para o Egito] representa o ideal da arte moderna ; é uma obra
sólida, moral, simples e bem feita. O tipo de Maria nada tem de seráfico, é bem de
uma mulher do povo, que adora seu filho e sente túrgidos os seios para o amamentar.
(...). Mas o que funda a importância técnica do quadro é o efeito da luz poente, que
se derrama suave e vagamente no fundo, nas figuras, no solo, dando tons espelhados
de aço polido às águas do mísero córrego. (...). [No Descanso do lenhador] o artista
nos apresenta um vigoroso estudo de tronco. Os braços e o peito do mameluco, que
descansa do trabalho (...) são pintados com saber. A carnação, e sobretudo o tórax,
são de uma verdade que lembram os estudos de Bonnat. Acho-lhe, no entanto, com
pouca naturalidade ; parece que foi propositadamente posado para ser pintado. Melhor, porém, menos original, ele se mostra no Repouso do modelo. É um atelier de
pintura. O interior é quente e banhado por uma luz fraca e igual. (...). Mas as duas figuras são tocadas com facilidade, coloridas, com imenso gosto, desenhadas com muito capricho e observação. O reflexo da luz que apresenta a tampa do piano é maravilhosamente apanhado, e foi, talvez, esse belo efeito e o gracioso desenho do modelo,
que despertaram a atenção da crítica parisiense quando foi exposto no Salon de 82. ”
320
mentionnèrent les oeuvres qu’Almeida Júnior y exposa, exactement les mêmes qui
ont été analysées par Gonzaga-Duque. Il est intéressant de citer ici leurs considérations :
De M. José Ferraz d’Almeida Junior, ancien élève de l’Académie, on peut
admirer quatre tableaux historiques ; et dans tous les quatre le talent inné
du jeune artiste se révèle, ainsi que l’application aux études, accomplies non
seulement dans notre Académie, pendant la période de pensionnaire de la
Province de São Paulo, où il est né, mais aussi pendant la période où, aux
dépens de la pochette impérial, il a été à Paris, où il a suivi les
enseignements du professeur Alexandre Cabanel. Les quatre tableaux
exposés appartiennent tous à l’Académie, et celui de numéro 126 - La Fuite
de la Sainte Famille en Egypte - a été magnanimement offert par Sa majesté
l’Empereur, à qui l’artiste l’avait dédié. Les trois autres furent achetés par le
gouvernement impérial. (...). Parmi ces tableaux, le premier déjà cité, qui
appartient à l’école idéaliste, et celui de numéro 197, nommé - Pendant le
repos (ill. 17) - qui s’approche de la moderne école française, sont
supérieurs aux autres en mérite, et placent son auteur parmi nos meilleurs
peintres. 99
Curieusement, les deux toiles mises en valeur par Gonzaga-Duque sont les mêmes
qui ont mérité la préférence des professeurs de l’Académie.
Pour conclure cette courte présentation d’Almeida Júnior, il est nécessaire de
reproduire l’anecdote racontée par Gonzaga-Duque à propos du caractère broussard du
peintre :
99
- Procès-verbal de la séance du 17 décembre 1884. Arquivo Museu Dom João
VI/EBA/UFRJ, Rio de Janeiro.
“ Do Sr. José Ferraz d’Almeida Junior, ex-aluno da Academia, se admiram quatro quadros históricos ; em todos os quais se revela o talento com que nasceu aquele jovem artista, e a aplicação com que estudou, não só na nossa Academia durante o tempo de
pensionista da Província de São Paulo, que lhe deu o berço ; mas também durante
aquele em que, a expensas do Imperial Bolsinho, esteve em Paris sob as lições do professor Alexandre Cabanel. Os quatro quadros expostos pertencem todos à Academia,
tendo sido o n. 126 - Fugida da Sacra Família para o Egito - magnanimamente oferecido por Sua Majestade o Imperador, a quem o artista o dedicara, e os outros três comprados pelo governo imperial (...). Destes quatro quadros, o primeiro já citado, que
pertence à escola idealista, e o de número 197, denominado - Descanso da modelo -,
que se aproxima da moderna escola francesa, têm superior merecimento, e colocam seu
autor no número dos nossos melhores pintores. ”
321
On raconte l’histoire d’un Brésilien important à qui on demanda, puisqu’il
allait à Paris, de visiter l’atelier d’Almeida Júnior pour observer les progrès
que le peintre avait faits après trois ou quatre années d’études. Le Brésilien
accepta cette commission et fut visiter l’artiste. Il fut étonnée de voir que le
jeune homme avait gardé les mêmes gestes, le même type méfiant et timide, le
même parler des péquenauds. Ce qui a surtout étonné le visiteur ce fut
d’entendre dire au peintre:
- Je crève d’envie de me retrouver au Brésil !
Eh bien ! Ce modeste provincial, toujours broussard, est devenu un artiste
de valeur, l’un des plus intimement liés aux conditions esthétiques de son
époque ; le plus personnel (...). 100
Dans ce récit de la rencontre d'un riche Brésilien cultivé avec le peintre d'origine
modeste, on retrouve la confrontation de deux images courantes du Brésil : celle d’un pays
admiratif des nations européennes, dont l’unique but est celui de ‘se civiliser’, et celle d'un pays
singulier et original.
Almeida Júnior fut postérieurement récupéré par le mouvement moderniste de 1922,
et cela n’est pas sans rapport avec l’image d’un peintre typiquement brésilien, le peintre
péquenaud qui, lorsqu'il habitait Paris, ressentait la nostalgie de sa ville natale à São Paulo.
100
- GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p. 180.
“ Contam que indo a Paris um brasileiro importante pediram-lhe para visitar o atelier de
Almeida Junior e notar os progressos que ele conseguira em três ou quatro anos de
estudo. Satisfazendo ao pedido e aceitando a incumbência, foi ter com o artista brasileiro. Admirou-se de vê-lo. O moço conservava ainda os mesmos gestos, o mesmo
tipo desconfiado e tímido, a mesma maneira de falar, dos caipiras. O que fez, sobretudo, pasmar ao visitante foi ouvi-lo dizer : - Istou morto por mi pilhar no Brasil ! Pois bem ; deste modesto provinciano, inalteravelmente roceiro, surgiu um artista de
valor, e um dos mais intimamente ligados às condições estéticas da sua época ; o mais
pessoal, ... ”
322
4. 1884
- Pedro Weingartner (Porto Alegre, Brésil, 1853101 - id.1929)
- peintre - lieu d’études : Paris, Munich, Rome.
Fils de parents allemands, Pedro Weingartner est né à Rio Grande do Sul, état du
Brésil qui accueillit nombre d’immigrants venus d’Allemagne pendant le XIXe siècle.
Avant d’obtenir de l’empereur Dom Pedro II la pension qui lui permit de
perfectionner son art à Paris, (et aussi à Munich et Rome), Weingartner avait déjà réalisé des
études en Europe. En effet, en 1879 il décida de partir pour étudier les beaux-arts dans le pays
de ses parents. Il réalisa ce premier voyage par ses propres moyens et s’installa d’abord à
Hambourg, où il fit des études au Lycée des Arts et Métiers. Ensuite il suivit les cours de
Ferdinand Keller, Theodor Poeckh et Hildebrand dans l’Ecole des Beaux-Arts de Bade.
Lorsque Hildebrand, son professeur préféré, fut muté à l’Académie Royale des Beaux-Arts à
Berlin, Pedro Weingartner le suivit.
En 1884 l’empereur Dom Pedro II reconnut les progrès de Weingartner et lui
accorda une pension pour continuer ses études en Europe. Le peintre, attiré par le mouvement
artistique de Paris, quitta alors l’Allemagne. À Paris il étudia sous la direction de Robert Fleury
et d'Adolphe Bouguereau. Ensuite il retourna en Allemagne et demeura à Munich, d’où il est
parti en Italie, se trouvant à Rome en 1886. Finalement il revint à Rio de Janeiro et fut nommé
professeur de dessin à l’Académie. Il ne resta cependant pas longtemps à Rio. Il abandonna son
poste de professeur et retourna à Rome. Sa vie durant, Pedro Weingartner fit de nombreux
allers retours entre l’Europe et le Brésil. En 1920, fatigué par le constant pèlerinage entre le
Brésil et l’Italie, il s’installa définitivement à Porto Alegre.102
Weingartner s’est spécialisé dans la peinture de genre. Les sujets de ses tableaux
étaient parfois inspirés de l’antiquité classique, et parfois recueillis dans la vie quotidienne de sa
ville natale. Il participa à l’Exposition Universelle de Paris de 1900 avec la toile Les flûtes de
Pan.103
101
- Campofiorito indique l’année de 1853 comme l’année de la naissance de Pedro
Weingartner (História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.116). Laudelino Freire affirma
que le peintre est né en 1858 (Um Século de Pintura, p. 386).
102
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.116.
103
- Archives Nationales (France), F/21/4066 - Enregistrement des oeuvres de l’Exposition
Universelle de 1900 - Paris.
323
5. vers 1886
- Manoel Lopes Rodrigues (Salvador, Bahia, 1861 - id., 1917)
- peintre - lieu d’études : Paris.
En 1882, Manoel Lopes Rodrigues est venu à Rio de Janeiro pour compléter les
études artistiques qu’il avait commencées à Salvador, à l’Académie des Beaux-Arts de Bahia,
sous l’orientation de João Francisco Lopes Rodrigues, son père, et de Miguel Cañysares. À
Rio il réussit à obtenir l’appui de l’empereur Pedro II, qui lui concéda les moyens d'aller se
perfectionner en Europe. Lopes Rodrigues choisit alors de s’installer à Paris où il devint le
disciple de Léon Bonnat et de Raphael Collin. On trouve son nom inscrit sur le registre des
matricules de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris104, et ses données sont les suivantes :
n.5301 - Lopes Rodrigues (Manuel)
né le 31 décembre 1861
à Bahia, Brésil
demeure : 113, Bd. Montparnasse
présenté par M. R. Collin
date de l’entrée : 29 Février 1888
Dans une lettre adressée à Rui Barbosa105, son professeur Bonnat attesta l’admiration
qu’il avait pour le disciple :
Je regrette de ne pas pouvoir espérer que mon disciple donnera à la France
la gloire qu’il ne manquera pas de donner à son pays. 106
104
- Archives Nationales de France - Registre des matricules des années 1871 / 1894 - (AJ /
52 / 236).
105
- Rui Barbosa (Salvador, BA, 1849 - Petrópolis, RJ, 1923) - Journaliste et politicien
brésilien qui soutint la cause abolitionniste. Il participa de l’élaboration de la première
Constitution Républicaine (1891).
106
- CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.103.
“ Sinto não poder esperar que meu discípulo dê, à França, a glória que não deixará de
dar a seu país. ”
324
Lors de la proclamation de la République au Brésil, Lopes Rodrigues se trouvait à
Paris. Les professeurs de l’Académie, réunis le 10 novembre 1890, décidèrent de lui accorder
une pension annuelle de 2:300$000, en substitution à la pension accordée par l’ancien
empereur. L’élève devint ainsi un pensionnaire de l’Académie et dut suivre les mêmes
instructions que les autres.107
L’oeuvre de Lopes Rodrigues est abondante en portraits. En 1894, il exposa un
portrait féminin au Salon de Paris.108 En 1896, de retour au Brésil, il fit une exposition de ses
oeuvres à Salvador, et devint directeur de l’Académie des Beaux-Arts à Bahia.109 Il fut le grand
peintre bahiannais de la fin du siècle.
107
- Procès-verbal de la séance du corps enseignant de l’Académie, le 10 novembre 1890.
Archive du Museu Dom João VI/EBA/ UFRJ, Rio de Janeiro.
“ ... foi concedida a pensão anual de dois contos e trezentos mil réis (2:3000$000) a
Manoel Lopes Rodrigues, aluno da classe de pintura da Escola Especial de Belas Artes de Paris, em substituição da de duzentos francos (200 fr.) liberalizada pelo ex-Imperador, e que tem sido mantida pelo governo da República. Ordena o mesmo Aviso
organize o Sr. Conselheiro Diretor as instruções pelas quais o dito aluno se deva reger, a fim de ficar adstrito às obrigações dos pensionistas desta Academia. ”
108
- O Paiz - Rio de Janeiro, le 1er décembre 1895.
109
- Jornal do Comércio - Rio de Janeiro, le 11 juillet 1896.
325
ANNEXE 2
Recherche sur le nombre de Brésiliens inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris
entre 1841 et 1900
Cette recherche fut motivée par l’étonnement devant la déclaration d’Eugène
Guillaume citée au premier chapitre de cette thèse. On a vu que dans son rapport présenté au
Conseil en 1874, le directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris s’exprima à propos du
nombre d’élèves étrangers, en disant :
(...), il est à remarquer que le nombre des étrangers qui recherchent nos
enseignements augmente chaque année depuis la guerre. En ce moment,
l'Angleterre, la Belgique, la Suisse, l'Italie, l'Autriche-Hongrie, la
Roumanie, la Russie et jusqu'à la Perse nous envoient des élèves choisis; le
Portugal continue à entretenir chez nous une colonie de pensionnaires.
Mais le plus grand nombre de ces étudiants est fourni par les deux
Amériques et en particulier par le Brésil et par les Etats-Unis. 1
Cette affirmation nous intéresse particulièrement, cependant, elle est surprenante. Il
est vrai que les artistes brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle étaient attirés par la
France. On a vu, tout au long des chapitres précédents, que ceux d’entre eux qui sont venus en
Europe pour compléter leur formation commencée au Brésil ont choisi, pour la plupart, de
fixer leur séjour à Paris. Même si quelques-uns sont allés étudier en Italie, et quelques autres,
rares, sont allés en Allemagne, la plupart d’entre eux restait fidèle au choix parisien.
Cependant, puisqu’il était étonnant que le nombre de Brésiliens, comparé au nombre des autres
étrangers venus étudier les beaux-arts à Paris, se fît remarquer, et puisque les premières
données accessibles sur ce sujet ne confirmaient pas l’exactitude de l’observation du Directeur,
il a fallu la vérifier.
1
- Guillaume, Eugène. Rapport présenté au Conseil par le Directeur de l'Ecole au
commencement de l'année scolaire 1874-1875. (pp.16-17). Archives Nationales - AJ/52/440
326
Pour examiner cette question, on a eu recours aux documents relatifs à l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris conservés aux Archives Nationales. De plus, on ne s’est pas limité aux
années auxquelles Eugène Guillaume faisait référence, mais on a élargi la période étudiée
jusqu'à la fin du XIXe siècle.
1 - Les lettres de présentation - 1879 / 1889
La première source d’information analysée a été un ensemble de lettres datées des
deux dernières décennies du XIXe siècle. Ces lettres furent écrites par les ambassadeurs
étrangers qui présentaient leurs compatriotes au Directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris.
La présentation d’une “ lettre d’introduction de l’ambassadeur, du ministre ou du consul
général de leur nation ” était obligatoire pour les étrangers qui voulaient passer les épreuves
d’admission de l’Ecole.2
Actuellement, ces lettres se trouvent conservées aux Archives Nationales sous le titre
Lettres de présentation d'étrangers par leurs ambassades, donnant l'état civil de l'élève,
l'indication de sa qualification, parfois la mention de son professeur chef d'atelier à l'Ecole.
1878 - 1902, [AJ / 52 / 470. (III)]. Pour l’année de 1878, une seule pièce a été conservée aux
archives, une lettre de l’ambassadeur américain. Pour l’année de 1901 il n’y a aucune lettre et
pour l’année de 1902 il n'en existe que trois. Cela étant, on a supprimé les années 1878, 1901
et 1902, et on a décidé de travailler simplement avec les données de la période qui va de 1879
jusqu'à 1900. De plus, afin de faciliter l’analyse des informations recueillies, on a choisi de
diviser l’ensemble de documents en deux groupes :
1er groupe - lettres datées de 1879 à 1889 ;
2ème groupe - lettres datées de 1890 à 1900.
Le travail réalisé consista à vérifier le nombre de lettres envoyées chaque année, par
les autorités de chaque Pays. Les données obtenues furent ensuite organisées en forme de deux
tableaux, de façon à permettre une visualisation de l’ensemble. Il est possible ainsi de connaître
2
- Cette exigence était explicitée dans le Règlement de l’Ecole en 1892, au Titre II - De
l’inscription à l’Ecole, art.2.
327
le nombre total de lettres envoyées chaque année, aussi bien que le nombre total d’étudiants de
chaque nationalité présentés tout au long de la période.
Mais avant de commencer à présenter toutes ces données, il faut faire deux
remarques :
(1) - Il n’est pas sûr qu’à chaque lettre on puisse compter un élève de l’Ecole. On ne
peut pas savoir si l’élève qui a présenté la lettre a réussi les épreuves d’admission.
(2) - On n’a pas la certitude que cet ensemble de lettres contienne toutes les lettres de
présentation d’élèves étrangers reçues par le Directeur.
Malgré ces incertitudes, ces documents peuvent nous fournir une idée générale à
propos de l’origine des étrangers qui désiraient suivre les enseignements de l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris pendant cette période. En outre, d’après le dénombrement des lettres, il
est possible de déterminer quels ont été les pays qui envoyaient le plus grand nombre
d’élèves en France.
Maintenant, passons à l’exposition des données.
328
Voyons d’abord le tableau ci-dessous qui présente le nombre de lettres reçues par le
Directeur de l’Ecole au long de la période d'onze ans qui va de 1879 jusqu'à 1889 :
Américains
Anglais
Suisses
Belges
Espagnols
Russes
Néerlandais
Austro-hongrois
Suédois
Roumains
Brésiliens
Danois
Italiens
Ottomans
Portugais
Chiliens
Luxembourgeois
Hongrois
Grecs
Autrichiens
Canadiens
Allemands
Monégasques
Mexicains
Péruviens
Argentins
Colombiens
Japonais
Egyptien
total
1879 1880 1881 1882 1883 1884 1885 1886 1887 1888 1889 total
9
8
8
16
5
2
2
1
5
7
11
74
7
12
9
12
8
2
2
3
3
3
61
2
5
2
1
5
5
2
1
2
25
2
2
5
5
2
2
1
19
1
3
2
3
1
1
1
3
2
1
2
1
10
2
1
2
1
2
1
9
1
1
2
3
1
1
9
1
1
1
1
3
1
8
1
2
1
1
2
7
1
1
1
1
2
1
1
1
1
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
23
40
39
41
36
26
12
7
18
16
1
24
5
5
5
5
4
4
3
3
3
2
2
1
1
1
1
1
1
1
1
282
329
La première observation à faire c’est que l’on trouve un total de vingt-neuf pays
représentés dans cette liste. Pour procurer une vision plus claire de l’ensemble ces 29 pays
ont été classés par ordre décroissant, commençant par celui qui envoya le plus grand nombre
d’étudiants, jusqu'à celui qui en envoya le moins.
Ce dispositif nous permet d’observer que les dix premiers pays dans la liste
présentèrent tous ensemble 233 élèves, ce qui fait 82,6% du total. Les 19 pays suivants
présentèrent 49 élèves, c’est-à-dire 17,4% du total.
On observe que les plus nombreux parmi les étrangers étaient les Américains et les
Anglais. Les étudiants de ces deux pays ensemble représentent presque la moitié des élèves
étrangers de la période analysée. Le Brésil ne se trouve pas parmi les pays qui ont envoyé le
plus grand nombre d’étudiants aux Beaux-Arts de Paris. Dans la classification générale il se
trouve à la onzième place avec trois autres pays. D’autre part, il se fait remarquer parmi les
pays de l’Amérique Latine. Parmi ceux-là, le Brésil et le Chili sont les pays qui présentèrent
le plus grand nombre d’étudiants. Le premier présenta 5 élèves et le second présenta 4. Au
total, les Latino-américains représentent la somme de 13 étudiants, c’est-à-dire 4,6% du total
d’élèves étrangers.
330
Maintenant voyons les données correspondantes à la période qui va de 1890 jusqu'à
1900 :
1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898 1899 1900 total
Américains
Anglais
Suisses
Hongrois
Grecs
Brésiliens
Ottomans / Turc
Russes
Espagnols
Belges
Canadiens
Mexicains
Néerlandais
Luxembourgeois
Italiens
Austro-hongrois
Chiliens
Roumains
Autres*
Suédois
Autrichiens
Vénézuélien
Portugais
Siamois
Total
* - Etrangers dont on ignore le pays d’origine.
La première remarque à faire c’est que le nombre de lettres a diminué de presque
50% par rapport à la première période analysée. On doit se garder de tirer des conclusions
précipitées de ce fait, étant donné les possibles inexactitudes de la source. Néanmoins, on
avance une hypothèse à confirmer postérieurement. On sait que les critiques contre
331
l’académisme se sont multipliées à la fin du XIXe siècle et il est fort probable que
l’Ecole des Beaux-Arts en souffrît les conséquences et qu'elle attirât de moins en moins les
étudiants étrangers. Même si ceux-là venaient toujours étudier en France, ils cherchaient peutêtre des maîtres qui n'appartenaient pas à l'Ecole des Beaux-Arts.
Passons à l’analyse plus objective. Les observations que l’on a faites à propos de la
décennie de 1880 sont toujours valables pour la décennie de 1890. Les Américains et les
Anglais sont restés les plus nombreux parmi les étrangers qui souhaitaient se perfectionner
aux Beaux-Arts de Paris. Ensemble, ils représentent presque la moitié du total d’élèves
étrangers. Les Suisses occupent toujours le troisième rang. Il est intéressant de voir que les
élèves Brésiliens continuent à être au nombre de cinq, comme dans la période des années 80.
Mais maintenant ils se trouvent à la sixième place de la liste, avec trois autres nationalités.
Les Latino-américains sont onze au total, et les Brésiliens restent les plus nombreux dans ce
groupe.
On doit nommer les dix Brésiliens qui se trouvent cités dans cet ensemble de lettres :
1. Rodolpho AMOEDO, 1879∗
2. João Francisco MÜLLER, 1880
3. Belmiro de ALMEIDA, 1884
4. Marcoli SILBERBERG, 1884
5. Henriques DEUGREMONT, 1885
6. Roberto MENDES, 1890
7. Fernando Pires de CARVALHO, 1890
8. Carlos Custódio de AZEVEDO, 1894
9. Manuel Pereira MADRUGA, 1894.

10. Archimedes José da SILVA, 1898.
- L’année qui suit chaque nom est l’année de l’envoi de la lettre respective.
332
Pour conclure, l’analyse de ces documents confirme l’hypothèse selon laquelle les
Brésiliens n’auraient pas pu se faire remarquer par leur nombre parmi les autres étrangers.
Cependant, puisque cette première source analysée n’embrassait que les deux dernières
décennies du siècle, il fallait vérifier si cette conclusion était valable pour ce qui est des
années qui ont précédé la décennie de 1880.
2 - Registre d’immatriculations - 1841 / 1871
La deuxième source étudiée a été le Registre d’immatriculations des élèves des
sections de peinture et sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant la période
d’avril 1841 à mars 1871 (AJ / 52 / 235). Pour cette période, le nombre d’élèves brésiliens
est encore plus réduit, ils ont été cinq à s’inscrire le long d’une période de 31 années. On
reproduit ensuite leurs données. Les chiffres se réfèrent aux numéros de matricule:
n.1958 - Pallière, Jean Léon
né le 1er janvier 1829
à Rio de Janeiro - Brésil
demeure : 9, rue de Navarin
présenté par M. Picot
date de l’entrée : le 27 septembre 1841
(de parents français)
n.2499 - Nünez, François Rodriguez
né le 20 juillet 1826
à Bahia, Brésil
demeure : 44, Pa. Pont Neuf
présenté par M. Drölliey
date de l’entrée le 19 Octobre 1848
signature : Nunes
333
n.3031 - Lima, Victor Meirelles de
né le 18 août 1832
à Santa Catarina, Brésil
demeure : 37, rue de Seine
17, rue des Beaux-Arts
présenté par M. Cogniet
date de l’entrée le 9 avril 1857.
n. 3184 - Pedro de Figueiredo e Mello (Américo)
né le 29 Avril 1840
à Aréas, Brésil
demeure : 3, rue des Beaux-Arts
présenté par M. Cogniet et Mac Henry
date de l’entrée le 6 octobre 1859
n. 3580 - Balla, Jules
né le 16 Mars 1846
à Rio de Janeiro, Brésil
demeure : 39, r. Borghèse
présenté par M. Cabanel
date de l’entrée le 20 Mars 1866.
Obs. : en AJ/52/246,
Balla est inscrit dans l’atelier de M. Cabanel à l’Ecole des Beaux-Arts.
Son numéro d’inscription est le 100.
Pendant la période qui va de 1841 à 1871, 1912 élèves se sont inscrits à l’Ecole,
(numéros d'immatriculation de 1944 à 3855). Cela correspond à une moyenne de 63 inscrits
par an. Les cinq Brésiliens inscrits à l’Ecole de Beaux-Arts pendant ces 31 années, (deux
dans la décennie de 1840 ; deux autres dans la décennie de 1850 et un seul dans la décennie
de 1860), ne pouvaient pas se faire remarquer par leur nombre.
3 - Registre d’immatriculations - 1871 / 1894
La troisième source analysée fut la liste des élèves inscrits dans les sections de
peinture et sculpture pendant la période qui va d’octobre 1871 à juillet 1894 (AJ / 52 / 236).
Encore une fois, le nombre des Brésiliens n’était pas important. Au contraire, ils ne furent
que huit élèves dont les données sont les suivantes :
334
n.4138 - Franco de Sá (Francisco Peixoto)
né le 21 Octobre 1846
à Maranhão (Maragnan), Brésil
demeure : 90, rue d’Assas
présenté par Gérôme
date de l’entrée : 16 Mars 1875
n. 4338 - Hora (Horácio)
né le 17 septembre 1854
à Larangeiras (province de Sergipe), Amérique, Brésil
demeure : 133, Bd. Magenta
présenté par M. Lequien et M. Cabanel
date de l’entrée : 14 août 1877
n. 4383 - Brocos (Modesto)
né le 9 Février 1852
à Santiago, Espagne∗
demeure : 15, r. des Missions
présenté par Lehmann
date de l’entrée : 19 mars 1878.
n.4415 - d’Almeida (Ferraz)
né le 8 Mai 1850
à São Paulo, Brésil
demeure : 30, r. de Montholon
présenté par M. Cabanel
date de l’entrée : 19 Mars 1878

n. 4525 - Decio-Villares (Rodrigues)
né le 30 novembre 1853
à Rio de Janeiro, Brésil
demeure : 27, rue Jacob
présenté par M. Cabanel
date de l’entrée : 12 août 1879
- D'origine espagnole, Brocos a émigré au Brésil et toute sa vie professionnelle eut lieu
dans ce pays.
335
n.4612 - Amoedo (Rodolpho)
né le 12 Décembre 1859
à Rio de Janeiro, Brésil
demeure : 4bis, R. des Beaux-Arts
présenté par M. Gérôme
date de l’entrée : 10 août 1880
n. 5301 - Lopes Rodrigues (Manuel)
né le 31 décembre 1861
à Bahia, Brésil
demeure : 113, Bd. Montparnasse
présenté par M. R. Collin
date de l’entrée : 29 Février 1888.
n. 5768 - Visconti (Angelo)
né le 1er août 1866
à Rio de Janeiro, Brésil
présenté par Bouguereau et Ferrier
date de l’entrée : le 8 juillet 1893.
En comparant cette période (1871 - 1894) à la précédente (1841 - 1871), on vérifie
que les Brésiliens sont devenus plus nombreux. De cinq élèves inscrits le long d'une période de
trente et un ans, ils sont passés à huit élèves inscrits pendant une période de vingt et trois ans.
Mais le nombre total d’élèves de l’Ecole des Beaux-Arts a augmenté aussi. Pendant cette
période, 2004 élèves se sont inscrits à l’Ecole, soit une moyenne de 87 par an. On observe une
augmentation de 38% par rapport à la période de 1841 à 1871.
Pour compléter cette étude, il fallait déterminer le nombre total d’élèves immatriculés
dans les années où il y eut des Brésiliens inscrits : au premier semestre de 1875, le total
d’élèves inscrits fut de 42 élèves, dont 1 Brésilien. Au second semestre de 1877, 39 élèves ont
été immatriculés, dont 1 élève Brésilien. Au premier semestre 1878 le nombre
d'immatriculations monte à 52, dont celles de deux élèves Brésiliens. Au second semestre de
1880, 43 élèves se sont immatriculés, parmi lesquels 1 Brésilien. Le premier semestre de 1888
compta avec 45 élèves immatriculés, dont 1 Brésilien. Et finalement, pour le second semestre
de 1893 le total fut de 43 élèves immatriculés, dont 1 Brésilien.
336
Finalement, il est possible d’affirmer avec certitude que les Brésiliens qui
recherchaient l’enseignement de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris n’étaient pas nombreux. Dès
lors une question s’impose : pourquoi Eugène Guillaume, Directeur de l’Ecole, déclara en
1874 que, parmi les étrangers attirés par l’Ecole, les Brésiliens se faisaient remarquer par leur
nombre ?
Pour répondre à cette question, une supposition s'est présentée: le Directeur aurait pu
faire référence aux élèves des Ateliers. On sait qu’à partir de l’installation des ateliers de
peinture, sculpture, architecture et gravure en 1863, l’Ecole des Beaux-Arts de Paris comptait
deux sections : l’Ecole proprement dite, où l’on dispensait des cours de dessin et des cours
théoriques complémentaires ; et les Ateliers des maîtres, qui comptaient un nombre réduit
d’élèves, comparé au nombre d’élèves de l’Ecole proprement dite. Pour vérifier si les
Brésiliens y étaient plus nombreux, il a fallu examiner le nombre d’inscriptions dans les ateliers
de l’Ecole.
4 - Registre des inscriptions dans les ateliers - 1863 / 1874
La quatrième source analysée fut le registre d’inscription des élèves dans les ateliers
de peinture, sculpture, architecture et gravure, pour la période qui va de 1863 à 1874 (AJ / 52
/ 246). Ce registre présente les inscriptions des élèves dans chaque atelier identifié par le nom
du maître qui le dirige. Dans une grande partie des ateliers, on ne trouva aucun Brésilien
inscrit. Les ateliers où il y avait des élèves brésiliens sont les suivants :
- Atelier de Peinture de M. Pils ;
- Atelier de Peinture de M. Lehmann (qui remplaça M. Pils) ;
- Atelier de Peinture de M. Cabanel ;
- Atelier de Peinture de M. Gérôme ;
- Atelier de Sculpture de M. Jouffroy.
Dans l’Atelier de Peinture dirigé par Pils, on a trouvé l’inscription d’un élève brésilien
sous le numéro 137. Voilà ses données :
n. 137 - Wuy, Norbert / Francisco Luís Gustavo
né à S. Francisco de Paulo, Brésil
le 25 Mai 1848
demeure : 98, Lafayette
entrée le 20 Mars 1867
337
Dans l’Atelier de Lehmann, qui succéda à Pils le 16 octobre 1875, on a compté un
Brésilien. Entré à l’Ecole en octobre 1875, ses données sont les suivantes :
n. 35 - Bérard, Daniel. 3
Né à Rio de Janeiro, le 12 octobre 1848
demeure : 24, rue Bonaparte
entrée le 16 octobre 1875.
Pendant les mois d’octobre et novembre 1875, outre Daniel Bérard, 47 élèves sont
entrés dans l’atelier Lehmann. Parmi les 48 élèves inscrits on rencontre les nationalités
suivantes : 43 Français, 3 Américains, 1 Polonais, 1 Brésilien (Bérard).
Dans le cas de l’Atelier Cabanel4, l’un des ateliers les plus attirants pour les élèves
étrangers, une recherche plus complète a été menée à bout. D’abord le nombre d’inscrits par
an a été vérifié. Le premier élève inscrit date de 1863, la première année de fonctionnement des
ateliers à l’intérieur de l’Ecole. De 1863 à 1866 on compte 134 inscriptions, (34 élèves par an,
en moyenne). Pendant cette période, on a trouvé l’inscription d’un seul Brésilien (Balla, n.
100).
De 1867 à 1874, pendant huit ans, Cabanel reçu 182 élèves dans son Atelier de
l’Ecole. La moyenne, le long de cette période, fut de 22 élèves par an.
Pour approfondir la recherche des données concernant l’atelier Cabanel, on a choisi
d’examiner les années de 1872, 1873 et 1874, en vérifiant la nationalité des élèves inscrits.
En 1872 le nombre d’élèves fut de 38, un nombre élevé vu la moyenne de 22 élèves
par an. Parmi ces étudiants, on rencontre les nationalités suivantes :
2 Américains,
1 Autrichien,
35 Français.
3
4
- Malgré son nom français, Daniel Bérard était brésilien. Après son retour au Brésil, il fut
professeur de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro.
- Alexandre Cabanel (1823 - 1889).
338
En 1873, Cabanel a reçu 35 élèves. Les nationalités rencontrées sont les suivantes:
3 Portugais,
1 Brésilien,
1 Anglais,
1 Grec,
1 Italien,
1 Irlandais,
27 Français.
Les données du Brésilien sont les suivantes :
numéro 290 - Carneiro, Adolpho de Souza.
Né à Pernambuco, Brésil, le 13 avril 1853.
Adresse : 27, rue Jacob.5
Entré le 5 décembre 1873.
En 1874, 22 élèves se sont inscrits dans l’Atelier Cabanel. Quant aux nationalités de
ces élèves, elles étaient les suivantes :
1 Mexicain,
1 Portugais,
1 Polonais,
1 Canadien,
1 Américain,
1 Turc,
1 Argentin,
1 Suisse,
1 Irlandais,
13 Français.
Aucun Brésilien ne fut inscrit cette année.
En effet, les étrangers étaient nombreux à rechercher l’enseignement de Cabanel.
Mais parmi ces élèves étrangers les Brésiliens, si l'on en a retrouvé quelques-uns, n’étaient pas
très nombreux, du moins à ce moment-là.
5
- C’est peut-être une curiosité, mais je voulais signaler que Adolpho [Cirilo] de Souza
Carneiro habitait à la même adresse que deux Portugais, et tous se sont inscrits dans l’Atelier
de Cabanel à la même date. Cette adresse fut aussi l’adresse de Décio Villares, Brésilien qui
entra à l’Atelier de Cabanel cinq ans plus tard, le 17 septembre 1878.
339
Examinons maintenant les inscriptions dans l’Atelier Gérôme pendant la période de
1866 à 1874. Cet atelier était également très recherché par les élèves étrangers. Au total, 272
élèves se sont inscrits au long des neuf années concernées, soit une moyenne de 30 élèves par
an. Mais on observe que leur nombre était variable d'année en année, et si l'on trouve 49 élèves
inscrits pour l’année de 1873, en 1870 il n'y en eut que 16. On reproduit ci-dessous les
données qui énumèrent le nombre d’inscrits par an :
- numéros 103 à 122 - inscriptions du 28 mai au 1er décembre 1866 - 20 élèves.
- numéros 123 à 167 - inscriptions du 19 janvier au 28 décembre 1867 - 45 élèves.
- numéros 168 à 196 - inscriptions du 14 janvier au 30 décembre 1868 - 29 élèves.
- numéros 197 à 220 - inscriptions du 12 janvier au 29 décembre 1869 - 24 élèves.
- numéros 221 à 236 - inscriptions du 3 janvier au 14 juillet 1870 - 16 élèves.
- numéros 237 au 256 - inscriptions du 1er juillet au 23 décembre 1871 - 20 élèves.
- numéros 257 à 301 - inscriptions du 6 janvier au 28 décembre 1872 - 45 élèves.
- numéros 302 à 350 - inscriptions du 7 janvier au 29 décembre 1873 - 49 élèves.
- numéros 351 à 374 - inscriptions du 5 janvier au 2 mai 1874 - 24 élèves.
Penchons-nous maintenant sur les nationalités des élèves inscrits en 1871, 1872, 1873
et 1874 :
En 1871, l’Atelier Gérôme reçu 20 élèves. Ils étaient :
1 Anglais,
1 Suisse,
1 Américain,
17 Français.
En 1872, Gérôme reçu 45 élèves. Ils étaient :
7 Américains,
2 Suisses,
2 Anglais,
1 Turc,
1 Italien,
32 Français.
En 1873, 49 élèves se sont inscrits dans l’Atelier Gérôme. Ils étaient :
340
7 Américains,
4 Anglais,
1 Brésilien,
1 Turc,
36 Français.
Le Brésilien était Peixoto de Sá. Voci ses données :
n. 329 - Peixoto de Sá, Franco
né à Malagno [sic]6, Brésil, le 21 octobre 1845
demeure au 4 bis Beaux-Arts
entrée le 9 octobre 1873.
En 1874, M.Gérôme reçu 24 élèves. Ils étaient :
3 Américains,
3 Anglais,
1 Suisse,
1 Suédois,
1 Espagnol,
1 Argentin,
14 Français.
Aucun Brésilien ne s’est inscrit cette année.
On a trouvé un Brésilien inscrit dans l’Atelier de Sculpture Jouffroy. Voici ses
données :
n. 21 - Guimarães, Joaquim José
né à Rio de Janeiro, Brésil, le 3 Mars, 1848
[il n’y a ni la date de l’entrée, ni l’adresse de l’élève]
D’après cette recherche, on voit que le nombre de Brésiliens inscrits dans les ateliers
de l’Ecole, de 1863 à 1874 ne fut pas considérable.
6
- Malagno doit être Maranhão.
341
5 - Registre des inscriptions dans les ateliers - 1874 / 1900
Pour compléter cette recherche touchant le nombre de Brésiliens inscrits à l’Ecole des
Beaux-Arts, il fallait analyser les inscriptions dans les ateliers de 1874 à la fin du XIXe siècle.
Ces données se trouvent aux Archives Nationales sous le titre Inscriptions dans les ateliers
de peinture, sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945, (AJ/52/248). Pour
la période qui va de 1874 à 1900, on trouva des étudiants brésiliens inscrits dans les ateliers
suivants :
- Atelier de Peinture de M. Cabanel ;
- Atelier de Peinture de M. Gérôme ;
- Atelier de Peinture de M. Lehmann ;
- Atelier de Peinture de M. Bonnat.
Dans l’atelier Cabanel on a constaté l'inscription de 3 Brésiliens en 1878 et 1879.
L’un des trois, José Ferraz d’Almeida Júnior, est inscrit deux fois, une fois en 1878, une
autre en 1879. Observons les données de ces étudiants brésiliens, conformément à ce qui est
écrit dans le registre d’inscriptions :
n. 409 - Ferraz d’Almeida
né à São Paulo, Brésil
le 8 mai 1850
demeure : 30, rue Montholon
entrée : le 11 février 1878
[Obs : en AJ / 52 / 236 - il est matriculé à l’Ecole des Beaux-Arts sous le numéro
4415, et la date de l’entrée à l’Ecole est le 19 mars 1878.]
342
n. 429 - Villares, Décio Rodrigues
né à Rio de Janeiro, Brésil
le 30 novembre 1853
demeure : 27, rue Jacob
entrée : le 17 septembre 1878
n. 436 - d’Almeida, José Ferraz
né à São Paulo, Brésil
le 8 mai 1850
demeure : 22, r. Turgot
entrée le 29 janvier 1879
n. 448 - Amoêdo, Rodolpho
né à Rio de Janeiro, Brésil
le 12 octobre 1857
demeure : 4bis, r. des Beaux-Arts
entrée le 5 juillet 1879
[Obs : matriculé à l’Ecole sous le numéro 4612. La date de naissance ne coïncide pas
avec celle de la matricule où l’on peut lire 12 décembre 1859. L’entrée à l’Ecole
s’est faite le 10 août 1880]
Vérifions maintenant combien d’élèves se sont inscrits à l’atelier Cabanel pendant les
années 1878 et 1879, et quelles étaient leurs nationalités :
En 1878, Cabanel reçut 30 élèves qui étaient :
7 Américains
2 Brésiliens (Almeida Junior et Décio Villares)
1 Espagnol
1 Autrichien
19 Français
En 1879, 31 élèves se sont inscrits dans l’Atelier de Cabanel :
2 Brésiliens (Almeida Júnior et Amoêdo)
1 Américain
28 Français
343
Maintenant passons à l’atelier Gérôme. En 1890, du 13 janvier au 24 décembre, 48
élèves s'y sont inscrits sous les numéros de 66 à 113. Parmi ces élèves, on a trouvé un
Brésilien, Oscar Pereira da Silva, dont les données sont les suivantes :
n. 100 - Pereira da Silva, Oscar
né au Brésil en 1865
demeure : 5, r. des Beaux-Arts
entrée le 29 novembre 1890
Dans cette année de 1890, les 48 élèves inscrits étaient :
12 Américains,
3 Canadiens,
3 Suisses,
1 Siamois (Thaïlandais),
1 Turc
1 Belge
1 Russe
1 Tonkin (partie du Viêt-nam)
1 Brésilien
24 Français
Vérifions maintenant l’Atelier de Peinture de M.Lehmann :
On a trouvé un seul Brésilien inscrit dans cet atelier, Modesto Brocos, artiste
brésilien né en Espagne. Il s’est inscrit en 1877. Voilà ses données :
n. 154 - Brocos, Modesto
né à Santiago, Galícia (Espagne)
le 9 février 1852
demeure : 12, rue des Missions
entrée le 3 décembre 1877
Cette même année de 1877, 40 élèves se sont inscrits à l'atelier Lehmann, sous les
numéros de 118 à 157 (inscriptions du 8 janvier au 24 décembre 1877). Quant aux nationalités,
ils étaient :
4 Belges
1 Américain
1 Suisse
344
1 Autrichien
1 Espagnol (n. 154 - Brocos, né en Espagne, il s’est naturalisé Brésilien)
32 Français
On a aussi trouvé un Brésilien inscrit à l’Atelier de Peinture de M.Bonnat. Ses
données sont les suivantes :
n. 70 - Lopes-Rodrigues (Manuel)
né à Bahia, Brésil
le 31 décembre 1861
demeure : 6, rue Boissonnade
entrée le 19 octobre 1889.
345
6 - Dernières conclusions sur le nombre d’étrangers à l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris
Finalement, on peut affirmer avec certitude que les données fournies par les archives
de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pour la période qui va de 1841 à 1900 ne font que
renforcer la première supposition. C’est-à-dire, les Brésiliens n’étaient pas plus nombreux que
les autres étrangers inscrits dans cette institution. Ils étaient en effet très peu nombreux.
Cependant, si l'on n’a pas pu confirmer la déclaration d’Eugène Guillaume, cette
recherche dans les archives a été utile pour insérer le sujet de cette thèse dans un contexte plus
large. En effet, après avoir examiné toutes ces informations sur le nombre d’élèves étrangers
dans les Beaux-Arts de Paris, on se rend compte plus concrètement de l’ambiance retrouvée
par les étudiants brésiliens lorsqu’ils arrivaient en Europe.

Documentos relacionados

Diana Cooper-Richet Jean-Yves Mollier (Org.)

Diana Cooper-Richet Jean-Yves Mollier (Org.) décision a été prise, en mai 2009, à Rio de Janeiro, Belo Horizonte et Sao Paulo, d’organiser, en septembre 2010, à Saint-Quentin-en-Yvelines, un grand colloque international consacré au commerce t...

Leia mais