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J O A N A VA S C O N C E L O S À V E R S A I L L E S
JOANA
VASCONCELOS
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À VERSAILLES
8,5 €
13/06/12 14.54
ATELIER
À Lisbonne, la fabrique des rêves
A visit to the magical workshop in Lisbon
¦¦¦¦ PA R / B Y FA B R I C E B O U S T E AU ¦¦¦¦
ofia Coppola la fit danser sur un morceau mythique de
New Order. Xavier Veilhan a créé pour elle un carrosse
futuriste violet. Aujourd’hui, Joana Vasconcelos l’imagine
décoller en hélicoptère à plumes roses ! Pour les cinéastes comme
pour les artistes, Versailles, c’est d’abord Marie-Antoinette.
À 1 500 kilomètres du château, dans l’immense atelier de Joana
Vasconcelos à Lisbonne, une assistante applique minutieusement
des feuilles d’or sur les portes de Lilicoptère, cet hélicoptère qui
s’envisage comme le carrosse d’une Marie-Antoinette de 2012.
Deux mois avant l’ouverture de son exposition, Joana Vasconcelos,
calme, concentrée et joyeuse, fait le point avec les 28 collaborateurs
qui travaillent depuis plusieurs mois quasi exclusivement en vue
de l’exposition à Versailles. Dans son atelier de près de 2 000 mètres
carrés situé dans des entrepôts en bord de Tage, tout est parfaitement organisé et maîtrisé. « Il m’a fallu de nombreuses années
pour créer un studio de production qui intègre dans un même
espace tous les processus de réalisation de mon travail, explique
l’artiste. Des dessins que je note sur des petits carnets à la prise de
vue de l’œuvre achevée en passant par la fabrication des caisses de
transport, c’est un gain de temps considérable, mais surtout cela
m’off re un contrôle des moindres détails et au jour le jour de mes
pièces. Elles y gagnent en puissance. »
On ne s’y attend pas a priori, mais la petite entreprise artistique de
Joana Vasconcelos est gérée de main de maître comme chez les plus
grands artistes de la Renaissance. Et son œuvre comme sa personnalité sont plus complexes qu’elles n’en ont l’air. Car chez Joana
Vasconcelos, dans ses att itudes comme dans son travail, les
apparences sont faites pour être trompeuses. Tout en rondeurs,
cette artiste née en 1971 à Paris, star en son pays, collectionnée par
S
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Joana Vasconcelos
et Fabrice Bousteau
à côté de la Golden
Valkyrie
PHOTO © UNIDADE INFINITA
PROJECTOS.
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Sofia Coppola had her dance to a mythical New
Order track and Xavier Veilhan created a futuristic looking violet carriage for her. Today, Joana
Vasconcelos imagines her flying off in a pinkfeathered helicopter! For filmmakers and artists
alike, Versailles is above all associated with
Marie-Antoinette. As we speak, in Joana
Vasconcelos’ immense studio in Lisbon, some
1,500 km from Versailles, an assistant is meticulously applying gold leaf to the doors of what
looks rather like a helicopter. Lilicoptère, to give
it the name chosen by the artist, is indeed a helicopter, but one which seems to think it’s a latter
day carriage for Marie Antoinette.
Two months before the opening of her exhibition, a very calm, concentrated and happy Joana
Vasconcelos is in a progress meeting with the
28 members of her team, who have been working almost exclusively for several months now
on the Versailles exhibition. Everything is perfectly organised in this warehouse studio, nearly 2000 m2 in size, on the banks of the Tagus.
Joana Vasconcelos is in control. “It took me many years to create a studio where I could produce
my works from A to Z, from a sketch in my notebook, to the photo shoot of the fi nished work,
even building the crates that will transport the
piece to its destination. Now I save a lot of time,
but what I really appreciate is that day-by-day it
allows me to keep an eye on every little detail,
which in turn brings an added force to my
work.” Joana’s organisation and management of
this ’little arts business’ is surprising: we could
be in the studio of one of the great Renaissance
painters. Indeed, both her work and her personality are much more complex than they seem at
first glance: whether her attitude or in her work,
Joana Vasconcelos makes sure appearances are
Joana Vasconcelos à Versailles
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CI-DESSUS
Deux brodeuses travaillant au point
de Portalegre sur la tapisserie Vitrail
(au premier plan, le croquis de l’œuvre)
Joana Vasconcelos sur un chariot
élévateur surplombant son Vitrail
en tapisserie
PHOTO LUÍS VASCONCELOS /
© UNIDADE INFINITA PROJECTOS.
PHOTO LUÍS VASCONCELOS /
© UNIDADE INFINITA PROJECTOS.
deceiving. This rotund artist, born in Paris in
1971, is a star in her home country, François
Pinault collects her works and she is well on the
way to gaining recognition on the international
art scene. But she has another more surprising
talent… she is also a formidable boxer, metaphorically of course. Joana Vasconcelos’ works may
be colourful, beautiful and could even be described as decorative, but beware: the spellbound spectator moves closer… and then ’wallop’, it’s the knockout punch! Just one example:
The Bride is a magnificent and monumental
white chandelier that from close up turns out to
be made entirely from tampons… A major piece
of work that unfortunately will not be shown in
Versailles. And yet this piece was exhibited at
the Venice Biennale in 2005.
Without being openly feminist, Joana Vasconcelos’ work does address political questions, in
particular a woman’s place in society. At the
start of her career, she highlighted the unsung
work of seamstresses and embroideresses by
getting stuck in herself! “I have a lot of assistants, but I know how to do each of their jobs because, when I started out, I worked alone.” Today
no less than eight highly-experienced women
embroider and sew in the Lisbon studio, giving
free rein to their passion and demonstrating
their know-how. On shelves all around them,
transparent plastic boxes contain a unique collection of fabrics and lace organised by colour.
These are the raw materials for most of her pieces, gleaned by the artist during her travels. “The
lace and fabrics come from all over, South
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Les brodeuses dans la salle de couture,
parmi les bobines de fil doré
PHOTO LUÍS VASCONCELOS /
© UNIDADE INFINITA PROJECTOS.
François Pinault et en voie
de consécration sur la scène
artistique internationale, est
en effet une boxeuse redoutable… aux gants de velours.
Colorées, belles, voire décoratives au premier regard,
les œuvres de Joana Vasconcelos séduisent ceux qui les
découvrent avant de leur
décocher un uppercut violent ! Comme ce magnifique
lustre blanc et monumental
intitulé La Mariée, qui se révèle de plus près être entièrement
constitué de tampons hygiéniques… Une œuvre majeure, hélas
absente de Versailles, qui avait pourtant été exposée à la biennale
de Venise en 2005.
Sans être ouvertement féministe, le travail de Joana Vasconcelos
s’intéresse au politique et à la place des femmes dans la société.
Joana Vasconcelos a en effet commencé sa carrière en réhabilitant
et en valorisant le travail anonyme des couturières et autres brodeuses. En s’y collant elle-même : « J’ai beaucoup d’assistants mais
je sais faire ce que chacun fait car, au début de ma carrière, j’étais
seule. » Aujourd’hui, pas moins de huit brodeuses et couturières
expérimentées expriment leur passion et leur savoir-faire dans
l’atelier de Lisbonne. Autour d’elles, des rayonnages de boîtes
« J’ai beaucoup d’assistants
mais je sais faire ce que chacun
fait car, au début de ma carrière,
j’étais seule. »
“I have a lot of assistants,
but I know how to do each
of their jobs because, when
I started out, I worked alone.”
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en plastique transparent abritent un ensemble unique de tissus et
de dentelles glanés par l’artiste au cours de ses voyages. Ils sont
classés par couleur et constituent la matière première de la plupart de ses travaux. « Les dentelles et les tissus viennent aussi bien
d’Afrique du Sud que du Brésil. Certaines pièces datent des
années 1930, d’autres sont très récentes. Mais je n’achète jamais
plus de deux mètres du même tissu car autrement c’est trop lourd
dans ma valise. Ce qui me permet de rapporter à chaque voyage
environ cinq tissus différents. »
Des langoustes en dentelle
CI-DESSUS
Artistan ébéniste
travaillant
sur Perruque
PHOTO LUÍS VASCONCELOS /
© UNIDADE INFINITA
PROJECTOS.
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Une brodeuse
travaillant sur
La Dauphine, langouste
en céramique
recouverte de crochet
PHOTO LUÍS VASCONCELOS /
© UNIDADE INFINITA
PROJECTOS.
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Après la bibliothèque de tissus, Joana Vasconcelos me montre
une collection d’animaux en céramique : « C’est un travail extraordinaire réalisé dans les années 1850 par Bordalo Pinheiro,
un artiste portugais qui a étudié en France et en Allemagne.
Ses animaux ont parfois des proportions démesurées, comme ses
serpents. Ils sont à la fois sur réalistes et très naturalistes. À partir de 2007, j’ai commencé à les travestir en les habillant de
dentelle. Ils changent alors d’identité. Pour Versailles, j’ai recouvert deux langoustes de dentelle pour représenter le Dauphin et la
Dauphine ! De la dentelle réalisée par des femmes de l’île des
Açores qui font un crochet très ancien et unique. C’est aussi cette
dentelle qui habille les deux lions que je vais placer devant la
chambre de la Reine. Ils sont faits du même marbre que celui de
la salle des Gardes – un marbre qu’on ne trouve malheureusement
plus en France et que j’ai dû faire venir d’Afghanistan. »
Nous continuons la visite avec la partie administrative de l’atelier, le bureau de presse, les responsables des budgets, puis le
Africa, Brazil… Some pieces date back to the
1930s whilst others are very recent. I never buy
more than two metres of each fabric I fi nd, because otherwise my suitcase would be too heavy.
This way I can bring back about five different
fabrics each time I travel somewhere.”
Lobsters in lace
After her stock of fabrics, Joana Vasconcelos
shows me a collection of ceramic animals.
“These are examples of the extraordinary work
of Bordalo Pinheiro during the 1850s. He was a
Portuguese artist who studied in France and
Germany. His animals, his snakes for example,
are sometimes disproportionate, but somehow
they manage to be simultaneously realistic and
surreal. From 2007 onwards, I began to dress
these animals in lace, or perhaps I should say
I cross-dress them and they take on a new identity. For Versailles, I have wrapped up two rock
lobsters in lace: they represent the Dauphin and
the Dauphine! This lace is in fact very special indeed: it is made by women in the Azores, who do
an ancient and most unique kind of crochet. The
same lace is on the two lions, which I am going
to put in front of the Queen’s Chamber. By the
way my lions are made from the same marble as
those in the Guard Room. Unfortunately you
can no longer fi nd this marble in France and
I have had to have some brought over from
Afghanistan.” We continue our visit with the
admin side of the studio: the press office, the financial team and fi nally the design and architecture department, which is managed by her
husband Duarte. Going back to the voluminous,
high-ceilinged central space, I watch one of the
main pieces that has been created specifically
Joana Vasconcelos à Versailles
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for Versailles being assembled: the Golden
Valkyrie that will be on show in the Gallery of
Battles. This 120 m long room, where 35 historical paintings hang on the walls, will be welcoming contemporary art for the very fi rst
time.
A cosmic patchwork in Versailles
“Golden Valkyrie is made out of many different
sorts of fabric that are in fact the exact equivalent of period fabrics. They were given to me by
the Prelle Manufacture: past masters in this domain.” The piece is absolutely enormous,
sprawling out in an incredible multiplication of
superposed materials and colours. A cosmic
patchwork that required months of work and
which doesn’t look like it could ever be moved.
“We’ve thought carefully about everything,
down to the last detail. True, it’s a monumental
work, but in fact it is made up of several independent modules that can literally be zipped together. It may seem enormous, but each individual module is in fact quite light. And to avoid exorbitant costs, I made the transport crates here
myself. They are light and very sturdy, and look
like beautiful red plastic parcels. The Golden
Valkyrie is not alone, there is another valkyrie,
the Royal Valkyrie, which is more sober, but just
as surprising and majestic. Seventeen artworks
in total will be installed at Versailles. This exhibition will have taken a year’s hard work to prepare and a budget of 2.5 million euros. So here
we are: a female artist at Versailles, one who
works without pretention, striving to create
marvellous works of art, and what’s more art
with a political slant. This is not just unusual,
it’s revolutionary!
dépar tement design et architecture dirigé par son mari Duarte.
En retournant dans l’espace central, j’assiste au montage de l’une
des pièces majeures créées pour Versailles : la Golden Valkyrie qui
sera présentée dans la galerie des Batailles – un espace du château présentant 35 peintures d’Histoire et qui, pour la première
fois, accueillera de l’art contemporain.
Patchwork cosmique au château de Versailles
« Elle est composée de nombreux tissus équivalents à ceux de
l’époque, que la maison Prelle, orfèvre en la matière, m’a offerts. »
La Golden Valkyrie est absolument démesurée, tentaculaire, avec
une multiplication et une superposition incroyables de matières
et de couleurs. Un patchwork cosmique qui a nécessité des mois
de travail et semble intransportable. « On a réfléchi à chaque
détail. L’œuvre est monumentale mais composée de plusieurs
modules indépendants que l’on zippe ensemble avec une fermeture éclair. Cela paraît énorme, mais chaque module est léger.
Et pour éviter des frais colossaux, je fabrique ici les caisses
de transport. En fait, ce sont des ballots de plastique rouge,
beaux, légers et très résistants. » À la Golden Valkyrie s’ajoute une
Royal Valkyrie plus sobre, mais tout aussi majestueuse et surprenante. Au total, 17 œuvres occupent Versailles. Une exposition
qui aura nécessité un an de travail, un budget de 2,5 millions
d’euros fi nancé par des mécènes et les galeries Nathalie Obadia
et Haunch of Venison. Une artiste femme à Versailles qui
travaille sans prétention et avec attention à créer du merveilleux avec une dimension politique, ce n’est pas normal…
C’est révolutionnaire.
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