Compte-rendu

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Compte-rendu
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FORUM
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formation
13e année - Mai 2012
Compte-rendu : Yvonne-Marie Ruedin
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Formation professionnelle et
interculturalité :
comment relever le défi ?
Près de 40% de la population résidant à Genève
est étrangère. C’est dire si l’interculturalité est une
notion bien présente au bout du lac, et cela depuis
fort longtemps. En effet, le canton compte une population de 30% d’étrangers depuis presque quatre
siècles !
Que signifie l’interculturalité dans le contexte de la
formation professionnelle ? Le fait d’être arrivés récemment à Genève a-t-il une incidence sur le choix
d’une formation ? Quels sont l’impact et l’influence
de la culture d’origine dans ce choix ? Quelles
sont les aides proposées aux jeunes migrants
et migrantes pour la réussite de leur apprentissage ? Comment les entreprises intègrent-elles les
migrants parmi leur personnel ? Autant de questions
qui ont été débattues lors de ce 26e Forum Vision 3
qui a réuni le 8 mai 2012 plus de 170 personnes.
Allocution de Monsieur le Conseiller d’Etat
Charles Beer
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’emblée Charles Beer a annoncé la couleur : au plan des
résultats scolaires, provenir d’une autre culture, parler
une autre langue que le français, bref être un étranger n’est
pas un handicap. Et tant pis pour les clichés : il n’y a pas,
à Genève, d’un côté des internationaux, et de l’autre des
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- - - orientation - - - emploi
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migrants. Il y a des migrants dont la condition économique et
sociale varie. D’où la nécessité d’avoir une politique d’intégration qui tienne compte de cette diversité. Pour Charles Beer,
le plus important est de «faire en sorte que nos politiques
publiques, nos interventions, nos prestations se déploient
avec une volonté forte, pour prendre en compte des situations
particulières».
a question de l’accueil et de l’orientation d’élèves provenant d’autres systèmes scolaires est cruciale. Le Conseiller
d’Etat défend une école la plus inclusive possible, que ce soit
pour des élèves handicapés, issus de contextes socio-économiques défavorables ou étrangers. «Il faut développer des
mesures d’accueil et d’accompagnement qui tiennent compte
de leurs particularités, mais en évitant soigneusement l’écueil
d’une stigmatisation dans une école spécifique.»
e ministre genevois de l’éducation en est convaincu : «Avoir
près de 40% d’étrangers à Genève est une richesse, à
condition de savoir - au sens le plus noble du terme - l’exploiter. Se décréter multiculturel et fermer ensuite les yeux
parce que nous sommes généreux ne suffit pas.» Il faut voir
la migration dans un contexte général, c’est-à-dire dans toute
sa diversité, avec ses différentes composantes et les valoriser
pour en faire autant d’atouts. Notamment pour la formation
scolaire et professionnelle.
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Qui sont nos migrants, en Suisse et plus particulièrement à Genève?
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rofesseur à la Haute école de travail social et chargé de
cours à l’Université de Genève, Claudio Bolzman a d’abord
brossé les grandes tendances des différentes migrations au
niveau suisse. La contribution de l’immigration à la croissance
démographique ces cinquante dernières années a été plus
forte en Suisse que dans les pays d’immigration classique
Département de l’instruction publique, de la culture et du sport
Office pour l’orientation, la formation professionnelle et continue
6, rue Prévost-Martin
1205 Genève
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comme les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie.
Les communautés les plus représentées aujourd’hui sont dans
l’ordre les Italiens, les Allemands, les Portugais, ensuite les
Serbes, suivis des Français et des Espagnols.
laudio Bolzman a décrit les trois grandes périodes d’immigration qu’a connu la Suisse depuis l’après-guerre.
La première période a vu arriver dans les années 70 des
travailleurs italiens et espagnols au statut juridique souvent
précaire. Dans les années 90 sont venus des migrants en
provenance de Turquie, d’ex-Yougoslavie, du Portugal et de Sri
Lanka, mélange de migrations de travail, d’asile et familiale.
Enfin les années 2000 ont connu une augmentation de la
mobilité internationale avec des profils de qualification élevés
et une globalisation des marchés du travail.
es caractéristiques de la migration à Genève ont ensuite
été exposées. Notre canton se distingue par l’arrivée des
frontaliers français et des internationaux durant la première
période et une plus grande migration portugaise, africaine
et latino-américaine durant la deuxième période. En 2011, à
Genève, la population étrangère résidant à Genève représente
39.8% de la population totale, et celle des migrants de l’intérieur que sont les Confédérés 24.6%.
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Jeunes issus de la migration : quelle formation après l’école obligatoire?
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our son exposé, Rosita Fibbi a privilégié l’approche positive
de la réussite scolaire des migrants lors de leur passage
au Secondaire II, car justement ces facteurs disent en creux
où intervenir pour favoriser le développement des enfants
migrants.
Cheffe de projet au Forum suisse pour l’étude des migrations
et de la population de l’Université de Neuchâtel et chargée de
cours à l’Université de Lausanne, Rosita Fibbi a résumé, sous
forme de flashs, plusieurs études récentes pour mettre en
évidence quelques caractéristiques des enfants de migrants,
nés pour la plupart en Suisse.
remière caractéristique : la transition de l’école obligatoire
au postobligatoire et du postobligatoire à l’emploi est plus
difficile pour les migrants. En raison principalement d’une
inadéquation linguistique, d’une qualification scolaire insuffisante et d’un milieu familial peu scolarisé. Mais aussi parce
que «notre école est une école sélective, qui n’arrive pas à
compenser les différences liées à l’origine socio-économique
des migrants».
utre caractéristique : la part de hasard lors de l’attribution
des filières à l’école obligatoire. Une étude zurichoise a en
effet mis en évidence qu’un certain nombre de jeunes issus
de la migration étaient classés de manière arbitraire dans des
filières inférieures à leur niveau scolaire effectif, ce qui inévitablement va péjorer leur parcours de formation.
Malheureusement, ce constat perdure durant la scolarité
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postobligatoire. Les migrants sont confrontés à un système
scolaire qui ne reconnaît pas de manière adéquate leurs
acquis.
’origine migratoire a aussi son importance, puisque les
résultats PISA en mathématiques ont montré, par rapport
aux enfants suisses, des scores inférieurs de 4.3% pour les
jeunes d’origine italienne, portugaise ou espagnole alors qu’ils
avoisinent les 8% pour les enfants issus des Balkans.
ne étude menée par Christian Imdorf a analysé la filière de
l’apprentissage. Dans cette filière - la plus importante de
Suisse - , les jeunes immigrés rencontrent plus de difficultés.
Les facteurs explicatifs sont connus : un moindre intérêt pour
le métier, une faible motivation, des connaissances linguistiques et scolaires insuffisantes. A conditions scolaires égales,
les enfants de migrants sont confrontés à un certain nombre
d’obstacles : ils écrivent plus de postulations que les Suisses,
avec le risque d’un moindre soin à leurs nombreuses candidatures, ce qui est interprété comme un manque de motivation.
Ils recherchent une place d’apprentissage plus tard dans
l’année, ce qui est vu comme une non-maîtrise du calendrier.
Ils cherchent une place loin de leur domicile, ce qui rend le
contrôle de leur environnement social plus délicat.
ais les employeurs jouent aussi un rôle déterminant. Les
responsables du recrutement, surtout dans les PME,
craignent que des jeunes étrangers dérangent la routine de
l’entreprise, déstabilisent les équipes en place ou attirent une
clientèle non désirée en provenance de leur culture d’origine.
Les enfants de migrants se heurtent au poids donné dans les
entreprises, surtout les plus petites, aux facteurs du marché et
de l’esprit «maison». Des facteurs difficilement objectivables
dans lesquels se nichent les représentations de groupe qui, au
final, deviennent discriminatoires. Ce n’est d’ailleurs pas sans
raison que les enfants de migrants choisissent prioritairement
les apprentissages en école.
our rectifier le tir et offrir de meilleures chances d’intégration aux jeunes issus de la migration, Rosita Fibbi recommande d’intervenir à deux niveaux.
Au niveau des élèves immigrés et de leur famille, il est important de ne pas discréditer le capital parental (les parcours
de réussite montrent à l’évidence l’impact des parents qui
communiquent à leurs enfants un élément de leur propre
parcours migratoire, à savoir l’amélioration de leur condition
de départ). L’impact de la fratrie, surtout la mobilisation des
aînés à l’égard des cadets, doit aussi être souligné.
Au niveau de la société d’accueil, Rosita Fibbi recommande
un système scolaire sans forme de sélection précoce, une
standardisation des procédures de recrutement dans les entreprises et le développement de stages pour jeunes immigrés.
Elle préconise de faire un pas de plus avec la thématisation
des comportements aux effets discriminatoires pour mettre à
distances nos propres biais, conscients ou inconscients.
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Trois ateliers très suivis
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rois ateliers ont été proposés aux participants du forum.
L’atelier 1 «Quels soutiens pour les migrants en formation
professionnelle» a présenté des mesures d’appui pour les
jeunes migrants à l’entrée en apprentissage, durant leur formation professionnelle et lors de leur intégration sur le marché
de l’emploi. Les débats, animés par Magali Ginet, responsable
de la Gestion du suivi individualisé (GSI) à la Direction générale
de l’OFPC, ont réuni André Castella, délégué à l’intégration
au Bureau de l’intégration des étrangers, Nikolina Popova,
psychologue-conseillère en orientation au Service de l’orientation scolaire et professionnelle de l’OFPC, Françoise Ruchet,
conseillère en formation à la GSI, Nathalie Le Thanh Dibba,
éducatrice à Infor jeunes à l’Hospice général et Gérard Dehan,
responsable du cours EduPro «Gérer l’interculturalité».
L’atelier 2 «Apprentie et migrante : chance ou malchance» a
été présidé par Pierre-André Stevan, responsable de domaine
au Service de la formation professionnelle de l’OFPC. Il était
entouré de Joël Petoud et Marina Sevastopoulo, respectivement directeur ad intérim et doyenne au Service de l’accueil
de la scolarité obligatoire, de Martial Mancini, chef du Service
Formation professionnelle à Migros-Genève et d’Aynur Kir
Dursen, psychologue clinicienne. Cet atelier a traité de l’impact
et de l’influence de la culture d’origine dans le choix professionnel, de la situation de certaines jeunes migrantes entre
tradition et changement lors d’un choix d’un métier et aussi
de l’importance de maintenir le lien avec les familles pour leur
faire accepter le choix professionnel effectué.
L’atelier 3 intitulé «L’immigration : un atout pour les entreprises?» a permis à Fabrizio Di Virgilio, conseiller en apprentissage à Coop, Angelo Pino, directeur à Induni, Valérie
Mégevand, cheffe du service Recrutement et mobilité aux
Hôpitaux universitaires de Genève, Yvan Thurler, président de
la Commission de formation professionnelle Hôtellerie-Restauration et enfin Thierry Horner, secrétaire syndical au Syndicat
interprofessionnel des travailleuses, d’expliciter la politique
de leur entreprise ou de leur secteur professionnel en matière
d’immigration et d’apporter leur témoignage personnel avec
des exemples concrets. L’atelier a été animé par Sophie Egger
Genoud, responsable de domaine au Service de la formation
professionnelle de l’OFPC.
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Tabous, clichés, généralisations hâtives :
comment éviter les dérapages?
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résident de la Commission fédérale contre le racisme
jusqu’à la fin de l’année dernière, Georg Kreis a eu la
lourde tâche de conclure le forum. Une tâche d’autant plus
délicate que le sujet à traiter était les tabous et les clichés
auxquels nous sommes tous confrontés, comme l’a rappelé
Rosita Fibbi dans son exposé.
border les problèmes de migration sans paternalisme – ni
« maternalisme » –, c’est examiner aussi ses propres
problèmes. Quiconque entend se pencher sur les questions
migratoires doit en premier lieu réfléchir sur lui-même et se
demander quelles sont les qualités nécessaires à la vie en
société.
C’est aussi se pencher sur la définition de l’étranger et réfléchir à l’ambiguïté de gommer les différences ou de prôner un
égalitarisme fallacieux.
out individu a le droit d’avoir des opinions, en phase ou
non avec la société dans laquelle il vit. Mais ces opinions
doivent être étayées par des arguments valables : invoquer
simplement le « chez nous » ne suffit pas.
Les différences culturelles forment souvent un élément
supplémentaire que l’on greffe sur des rapports conflictuels,
en grossissant le trait. «Dans le discours de lutte contre
la xénophobie et le racisme qui est le nôtre, on a parfois
tendance à sous-estimer les conflits sociaux du quotidien,
qu’ils interviennent dans le cadre professionnel, des loisirs ou
du logement, en les posant comme une réalité à part. Certains
mènent des ‘guerres de substitution’ sur des conflits sociaux
d’ordre général.»
t le professeur Goerg Kreis de rappeler que nous n’avons
jamais fini d’apprendre et que, «dans ce monde en perpétuelle et rapide mutation, nous sommes tous, quel que soit le
nombre d’années depuis lequel nous vivons en Suisse, une
sorte de migrants et d’apprentis».
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Contact : [email protected]
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