MA GUERRE FROIDE Un Charentais au pied du Mur

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MA GUERRE FROIDE Un Charentais au pied du Mur
JP Bouzac
MA GUERRE FROIDE
Un Charentais au pied du Mur (de Berlin)
Récit
Panketal, Allemagne
JP Bouzac © 2011
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Version du 15 avril 2011
© JP Bouzac 2011
À la mémoire de
Gaston Renault
Mon grand-père paternel
Ursula Rummel
Ma belle-mère
Et des autres victimes discrètes de la
« Grande guerre civile européenne »
(28 juin 1914, Sarajevo – 9 novembre 1989, Berlin)
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Préface
Lorsque JP Bouzac m'a demandé de lui écrire une préface pour son nouveau livre, j'ai
d'abord été surpris.
Quand j'ai découvert qu'il dédiait son œuvre à son grand-père Gaston Renault, j'ai compris
qu'au travers de générations successives, il cherchait à déceler un destin commun.
Qu'est-ce qui réunit, en dehors des liens familiaux, son grand-père Gaston, moi son père
et lui notre descendant ? Plus d'un siècle d'histoire.
Une constante: la guerre. Chacun la sienne. La guerre civile européenne en trois
épisodes. 1914 - 1918, dont Gaston n'a jamais été guéri. 1919 - 1939, la montée des
régimes totalitaires conduisant à la troisième partie dont j'ai, par ailleurs, longuement
parlé. Enfin la Guerre Froide, celle de JP Bouzac, jusqu'à la chute du mur de Berlin, objet
de ce récit.
JP Bouzac, c'est mon fils. Qu'importe s'il ne se présente pas sous son patronyme mais
sous un pseudo choisi depuis le Lycée alors qu'il écrivait des choses extravagantes dans
le "Maelström", le bulletin rédigé entre copains.
Bouzac ? Dans ce choix, je vois un rappel des origines terriennes (bouseux), de ses
ancêtres et une évocation du lieu où il a passé son enfance au cœur des vignes et des
bois du pays cognaçais.
Dans ses chroniques précédentes, dont un volume écrit en français, allemand et même
polonais, intitulé « Vingt ans en Prusse », il laissait le lecteur sur sa faim de découvrir
Berlin, préférant parler d’autre chose et faire le récit de ses voyages, en Afrique et en Inde,
sans oublier les nuits passées sous la tente dans les immensités scandinaves, entouré de
trolls dansant au clair de lune.
Venez le rejoindre au Quartier Napoléon pour vivre avec le contingent français de l’armée
alliée d’occupation devenue armée de protection dans Berlin coupée par un mur qu’il
décrit fort bien.
Suivez le à l'EMAB, l’État-major Allié de Berlin, un endroit peu connu de la confrontation
est-ouest, lieu emblématique et conventionnel à la fois, peuplé de bidasses polyglottes, de
cuisiniers kényans et d’aumôniers militaires en tenue d'apparat...
Louis-Clément Renault
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Encore un livre sur le mur ?
Les bourrasques de neige balayent la rue en tous sens, la transformant en gigantesque
soufflerie sans début, ni fin. Les flocons fusent à tout va, fouettent la baie vitrée de mon
bureau, pour s’écraser, une seconde plus tard, sur les vitrines du marchand de sushi, de
l’autre côté de la rue. Dans la tourmente glacée, on devine à peine les immeubles, je crois
apercevoir les contours d’un vaisseau fantôme qui profiterait de l’aubaine pour faire un
tour de ville incognito.
Tout d’un coup, le soleil éblouit la scène, les couleurs éclatantes du Block Aldo Rossi font
mal aux yeux. Au premier plan, étincelants de lumière, d’épais flocons continuent de
tomber, mais au ralenti, dans un flou artistique à la Wong Kar-wai. A-t-on jamais vu un arc
en neige ?
Délaissant mon ordinateur, je me lève un instant et m’approche de la fenêtre. Les rares
passants rasent les murs, en pestant, la tête enfoncée entre les épaules. Un grand bus
panoramique noir cachalot (c’était lui, le Hollandais volant ?), avec une poignée de
touristes assoupis à son bord, passe au pas.
Des touristes, par ce temps ? J’avais un peu vite oublié cette cicatrice sur la chaussée,
juste sous ma fenêtre. Deux lignes en pavés de granite luisant, noyés dans le bitume,
marquent l’emplacement du mur disparu, du Berliner Mauer 1961 – 1989, comme
l’indiquent d’innombrables petites plaques métalliques encastrées dans le sol, sur des
kilomètres.
Depuis peu, je travaille dans la Zimmerstraße, la rue qui recoupe la Friedrichstraße à
l’endroit connu sous l’appellation martiale de Checkpoint Charlie1. La Friedrichstraße,
c’était aussi le centre du Berlin des Années folles.
Après la seconde guerre mondiale, le quartier s’est retrouvé en première ligne de
l’affrontement heureusement avorté entre les Américains et les Soviétiques, les Russes
comme on continue à les appeler ici, vingt ans après la fin officielle de la Guerre Froide,
après la chute du mur de Berlin, symbole de cette époque emblématique qui a disparu à
tout jamais pour laisser place à l’ère pas beaucoup plus réjouissante de la crise financière
mondiale et du réchauffement planétaire.
Bien sûr, je n’ai pas connu les Années folles, bien que, pour être franc, la plupart des
années que j’ai vécues jusqu’à ce jour - et pas rien qu’à Berlin - m’ont bel et bien semblé
plus ou moins maboules.
Mais pour la Guerre Froide, là, vous pouvez compter sur moi : j’y étais, au premier rang,
ici à Berlin, au pied du mur. Je n’insisterai pas une nouvelle fois 2 sur les étonnantes
circonstances de ma venue dans cette ville à part que fut Berlin pendant pratiquement une
génération. J’y suis arrivé par un matin d’hiver glacial et ensoleillé, trois ans avant le
virage, nom politiquement correct du grand chamboulement de 1989.
Français du Sud-ouest que rien ne prédestinait à mettre un jour les pieds dans l’ancienne
capitale du Reich en uniforme, j’ai joué pendant un mois au Rambo des neiges avant
d’être promu au rang de planqué interculturel pour une éternité qui est finalement passée
en coup de vent, comme une bourrasque de neige printanière...
Si je maltraite aujourd’hui mon clavier, c’est que j’ai du mal à accepter que l’histoire, quelle
qu’elle soit, « grande » ou « petite », passe si vite aux oubliettes ou dans un tiroir qui
accueille pêle-mêle tout le monde, de Cro-Magnon à September Eleven.
1
Ce qui ne veut rien dire d’autre que « Point de contrôle C ». C parce que c’était le troisième depuis la frontière
occidentale (Les autres s’appelaient : A = Alpha, B = Bravo)
2
Voir « Nach Berlin! » in „20 Jahre in Preußen – 20 ans en Prusse“ (Rhombos Verlag, Berlin, 2007)
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J’ai la chance de n’avoir vécu ni les horreurs de la première, ni les monstruosités de la
seconde guerre mondiale. La « guerre froide », c’était et tant mieux, en tout cas pour nous
Européens, une sous-guerre. Rétrospectivement, il n’est pas pour autant interdit d’avoir
froid dans le dos quand on pense combien de fois cette guerre pour rire a failli sans
prévenir glisser dans l’abîme du prochain conflit.
D’autant que tout est lié : Pas de guerre froide sans seconde ni sans première guerre
mondiale... Partant de ce principe, il ne faut pas beaucoup de fantaisie pour se retrouver
en pleine guerre des Gaules ! Et puis, qui s’intéresse à l’avenir ne peut jamais en savoir
trop sur le passé.
Si les témoignages des protagonistes des deux guerres mondiales ne manquent pas, la
grande majorité des victimes ayant survécu est restée silencieuse. Plus de soixante ans
après la fin du deuxième conflit global, il ne se passe pas une semaine sans qu’un
nouveau film ou musical traitant de cette période ne fasse son apparition. Dans ces
œuvres avant tout destinées à distraire le plus vaste public et donc à enrichir les
producteurs, tout est permis, un Hitler homosexuel plein d’humour, des Juifs collecteurs de
scalps et victorieux. J’ai du mal à comprendre l’intérêt de ces fictions délirantes et préfère
m’en tenir aux récits autobiographiques, qu’il s’agisse de textes mondialement reconnus
comme ceux de l’extraordinaire Primo Levi, de notes personnelles telles celles, très
élaborées, de mon père (poitevin), ou celles, beaucoup plus modestes, de mon beau-père
(berlinois). Et même si certains, en l’occurrence, certaines, ont choisi l’anonymat pour
raconter avec beaucoup d’humanité ce que les autres ont préféré taire 3.
C’est bien connu, l’histoire se répète encore et toujours. Depuis la chute du Mur de Berlin,
le traitement de l’information concernant la guerre froide en général, et l’histoire de
l’Allemagne de l’Est en particulier, connaît une évolution comparable à celle décrite cidessus pour le reste du siècle. Il n’en a pas fallu plus pour me pousser à mettre sur le
papier mes souvenirs personnels pour tous ceux qui ne souffriront pas d’indigestion
historique après le 8 novembre 2009.
Les textes qui suivent ont été rédigés entre février 1986 et il y a… tout juste une heure. A
une exception près, il ne s’agit donc pas de documents d’époque, écrits sur le vif. Désolé,
je n’avais pas le temps ! Ce n’est pas non plus un journal, mais plutôt une mosaïque
d’impressions, hautement subjectives comme il se doit, parfois drôles si j’en crois mes
premiers lecteurs.
Certains chapitres ont déjà été publiés séparément, ce qui se traduit par quelques
répétitions4, sans que l’ensemble ne puisse en aucun cas pour autant prétendre à
l’exhaustivité. Loin de vouloir imposer une quelconque vérité, j’invite au contraire toute
personne intéressée à participer au dialogue.
JP Bouzac,
Panketal, mars 2008 – 15 avril 2011
3
Un excellent exemple : « Une femme à Berlin : journal d’une femme anonyme », cf. bibliographie en fin de volume
4
Ainsi, par exemple, quatre citations de Kurt Tucholsky, cela peut paraître beaucoup dans un petit bouquin comme
celui-ci, même de la part d’un admirateur inconditionnel. En fait, et après mûre réflexion, je ne vois aucune possibilité de
renoncer à aucune d’entre elles. D’ailleurs, j’espère vivement que cela donnera envie au lecteur d’en savoir plus sur cet
auteur berlinois d’exception, scandaleusement ignoré en France, un pays auquel il était très attaché.
Kurt Tucholsky, journaliste, écrivain, pamphlétaire, anti-militariste à la plume corrosive, fut aussi l’un des rares
intellectuels à avoir compris et dénoncé dès le début l’envergure de la catastrophe nazie qui rongeait de l’intérieur
l’Allemagne de Weimar.
Le résultat ne s’est pas fait attendre. Tucholsky a été « dénaturalisé » en 1931. Ses livres ont été brûlés sur la place
publique. Exilé en Suède, il s’est donné la mort en en décembre 1935. Tucholsky est toujours l’un des auteurs les plus
populaires en Allemagne, ses sentences à l’emporte-pièce, ses chansons irrespectueuses sont sur (presque) toutes les
lèvres, au moins à Berlin.
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Berlin, Berlin…
Nous avons débarqué ce matin à la gare de Berlin-Tegel du train de nuit des Forces
Françaises de Berlin en provenance de Strasbourg. Le modeste hall en briques et en bois
annonce le charme désuet de Berlin-Ouest, une drôle d’île au pays des Soviets.
Dans les bus confortables qui nous mènent à la caserne, le Quartier Napoléon, la plupart
des bidasses s’endorment aussitôt assis. Il est vrai que nous n’avons pas beaucoup
dormi.
Certains ont cru bon de fêter leur incorporation en vidant moult boîtes de Kro. D’autres ont
joué aux cartes, s’engueulant à qui mieux mieux, fumant comme des sapeurs. Bref, dur de
fermer l’œil, pour tout le monde... Dommage, la prochaine occasion de faire la grasse
matinée se fera cruellement attendre.
En attendant, il nous faut nous habituer au plus vite à cette nouvelle vie. Il fait très froid,
tout est blanc et glissant. Mais on aperçoit ici et là un coin de ciel bleu et s’il y avait la
moindre montagne dans les environs, on pourrait se croire aux sports d’hiver.
Les formalités d’usage, remise des uniformes et du barda, taille des cheveux, photo pour
la carte d’identité du service national… se passent sans problème aucun.
Plus tard, nous apprendrons que le coiffeur avait fait du zèle. Un millimètre sur le crâne, ce
n’est pas beaucoup. L’avantage, c’est qu’avec une telle coiffure, nous avons maintenant
tous l’air bien méchant, sans avoir à nous forcer le moins du monde, l’inconvénient, c’est
que c’est formellement interdit et même passible d’une punition. Il ne faudrait pas que
nous fassions peur à ces chers Berlinois. Bizarrement, c’est le coiffeur qui écopa d’une
punition et pas nous.
Depuis le blocus de Berlin par les Soviets en 48-49, les alliés occidentaux se considèrent
et surtout sont considérés par la population comme des forces de protection et non plus
comme une armée d’occupation.
Les autorités militaires françaises se donnent un mal fou pour éviter tout incident qui
ternirait cette image positive bien dans l’esprit de la Guerre Froide et, par la même
occasion, de la réconciliation franco-allemande.
Dans le même temps, il faut assurer, les Français n’ont été acceptés dans le clan très
fermé des puissances victorieuses qu’en dernière minute. Sans le soutien de Churchill,
personnalité par ailleurs extrêmement douteuse, nous aurions fait partie de ces nombreux
pays vaincus et anonymes 5. Et ne serions pas aujourd’hui les fiers défenseurs du Secteur
français, composé des quartiers de Reinickendorf et de Wedding, dans le nord-ouest de
Berlin.
La caserne qui abrite la plus grande partie du contingent français résume à elle seule
l’ambiance historique dans laquelle nous baignons du matin au soir. Cet ensemble
imposant de plus de soixante bâtiments répartis dans un grand parc arboré a été construit
dans les années trente pour le régiment d’infanterie aérienne 6 General Göring. Tout un
programme.
Aujourd’hui, comme à l’époque, rien ne manque pour assurer le succès de l’élevage
intensif de soldats. Outre les dortoirs, cantines, stands de tir, bureaux, garages pour les
chars et tout le reste, on y trouve plusieurs hôtels pour accueillir dignement les familles
des appelés et des militaires de carrière, des magasins, restaurants, installations sportives
5
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Comme par exemple la Pologne, qui aurait bien mérité de faire partie des „Vainqueurs“
C’est à dire une unité armée de canons antiaériens ou « Flak ».
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de première classe, un hôpital, un cinéma, une église, une poste et une banque
françaises, des villas pour les chefs…
Juste à côté de la caserne se trouve l’aéroport de Tegel, construit en plein blocus 7, les
petits aéroports de Tempelhof, en secteur américain, et Gatow, chez les Britanniques, ne
suffisant plus à assurer l’approvisionnement de base de la population de Berlin-Ouest.
En quelques mois d’un travail ininterrompu jour et nuit, jusqu’à vingt mille civils berlinois
ont transformé ce qui était jusque-là un champ de tir en aéroport moderne.
Les civils, dont près de la moitié étaient des femmes, des Trümmerfrauen 8 pour la plupart,
avaient été attirés par le salaire très élevé autant que par l’idée de gâcher la joie des
Soviets.
Le général français en poste, J. Ganeval, avait plusieurs fois contacté les autorités
soviétiques pour tenter de les convaincre d’abandonner l’émetteur de Radio-Berlin qu’ils
contrôlaient depuis 1945 en dépit des accords alliés.
Cet émetteur avec trois pylônes de près de cent mètres de haut se trouvait en bordure des
nouvelles pistes et gênait sérieusement le trafic aérien. Devant l’absence de réaction des
Russes, le général Ganeval ordonna la destruction des pylônes.
Très en colère, le commandant des forces soviétiques, le général Kotikov, quitta son lit de
malade et oublia la fièvre pour un moment, pour lui demander de vive voix (par
l’intermédiaire de son interprète) :
« Comment avez-vous pu faire cela ?9 »
« Bien simplement, mon général, par la base et à la dynamite. »
répondit calmement le Français par ailleurs connu pour son sens de l’humour.
Cette anecdote du tout début du refroidissement a laissé des traces profondes. Jusqu’à
aujourd’hui, et comme nous le verrons plus tard, nos amis/ennemis alliés de l’est ont
gardé une indéniable prédilection pour l’aéroport de Tegel.
Les Forces Françaises de Berlin sont principalement composées de deux régiments : le
46ème d’Infanterie et le 11ème de Chasseurs. Ici, un chasseur, ce n’est pas celui qui, pour se
sustenter, traque les bêtes sauvages au lieu de se livrer à la cueillette, non c’est tout
simplement un cavalier.
Et oui, comme dans Lucky Luke. Désolé pour les puristes, cavalerie, pour moi, et je ne
suis certainement pas le seul, rime avec Western et avec Lucky Luke.
Le hasard veut que je me retrouve chasseur, ou plutôt apprenti chasseur, enfin bidasse
2ème classe. Pour l’instant, mes plans pour l’avenir sont très simples : d’abord les classes,
après on verra.
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8
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le blocus de Berlin-Ouest par les Soviétiques : 24 juin 1948 - 11 mai 1949. La réponse des alliés, le « pont aérien » a
permis d’approvisionner la ville coupée du monde, obligeant les autorités soviétiques à renoncer au blocus.
« Femmes des ruines », C’est le nom donné aux femmes qui ont, pendant des mois, trié à la main les ruines de Berlin
après la guerre. Les hommes eux, étaient morts ou en captivité.
C’est ma version préférée de cet épisode épique du début de la guerre froide. Il y en a d’autres, qui ne manquent pas
non plus de charme.
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Fort en version (Premier de la classe)
Comme tout Berlin et vraisemblablement ses environs que nous n’irons pas voir de si tôt
car ils sont dans la Zone (se prononce « tzô-neu »), le Quartier Napoléon est entièrement
gelé. Pour ainsi dire recouvert de sucre glace. Ce froid polaire nous rend la vie dure, à
nous, comme aux autochtones et aux bidasses arrivés avant nous.
Nous, c'est-à-dire le contingent 86/02 du 11 ème régiment de chasseurs. Notre devise,
c’est : Voilà les bons !
C’est ce qu’aurait dit le grand empereur corse en nous voyant, il y a quelques années de
cela. Avant mon arrivée en tout cas. Depuis que je suis là, nous passons la majeure partie
de nos jours et de nos nuits dans les bois et la neige.
La nuit dernière, par exemple, nous avons traversé dans tous les sens le lac de Tegel
gelé, jusqu’à ce que les grincements de la glace finissent par inquiéter notre intrépide
chef.
Nous, il y a très longtemps qu’on trouvait cela plus que louche. Avec armes et bagages,
chaque bidasse pèse ses cent kilos et plus. Deux tonnes sur la glace. Pas étonnant que
ça grince !
Ensuite, nous sommes allés dans les bois, voir si le loup y était. Il y était. Sous la forme
d’une patrouille russe en jeep, égarée, rencontrée dans un virage, tous feux éteints, mais
à toute berzingue.
Une fois débarrassés des méchants Soviets, ils sont tous méchants de toute façon, nous
avons une fois de plus réalisé une tâche hautement stratégique.
Armé de sa pelle pliante, chacun d’entre nous s’est attaqué en silence au sable congelé et
a creusé un trou assez grand pour l’abriter, lui et son bazar. Deux heures d’exercice. Ça
réchauffe !
Pour finir, nous avons, sous l’œil attentif et critique de nos gentils organisateurs,
soigneusement recouvert nos caches, nos tombes ?, avec des bâches d’environ un mètre
carré chacune.
Ces bâches sont censées nous protéger des regards indiscrets. Mais, sur le grand
manteau blanc de l’hiver prussien, notre vingtaine de bâches sombres doit être visible du
ciel à des kilomètres, même sans jumelles…
Dans la journée, mon exercice préféré, l’apprentissage du défilé en bon ordre, qui est
heureusement pratiqué à l’intérieur de la caserne, à l’abri des regards indiscrets qui
pourraient vite devenir moqueurs, tourne inévitablement au cirque.
En ligne droite et à vitesse constante, nos bottes jouent le jeu. Mais s’il faut accélérer,
freiner ou, pire, prendre un virage, chaque rangée à une vitesse différente, gare aux
glissades et autres pirouettes. C’est Laurel et Hardy à Holiday on Ice. Ou, comme dit mon
sergent préféré :
« Chasseur Bouzac, fais un effort, bordel !, à te voir défiler, tu me fais penser à l’ours de
Berlin ! ».
Et bien lui, d’abord, me fait fortement penser à un gorille ! Moi qui ai reçu une éducation
très stricte chez mes sœurs, je fais semblant de n’avoir rien vu et je reste muet comme
une carpe.
Pourquoi ne suit-il pas tout simplement mon exemple ?
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Mais le verglas a aussi ses avantages. Hier matin, j’ai passé avec succès mon permis de
conduire militaire. La première épreuve consistait à rejoindre la grosse Opel noire garée
de l’autre côté de la rue sans se casser la gueule. De la routine.
Puis, démarrage. Première vitesse. Deuxième vitesse. Effectué une fois le tour intérieur de
la caserne. En tout trois kilomètres environ. Pratiquement seul sur la route. Retour à la
case départ. Toujours en seconde. Frein moteur. Une dernière glissade. On descend.
« Signez là ! »
Et me voilà Conducteur des Forces Alliées. A l’armée, tout n’est pas forcément compliqué.
Cet après-midi, nous avons eu un cours pratique sur les chars. Qui sont les chevaux des
armées modernes. Il suffisait d’y penser.
Tour à tour, nous sommes montés sur les minuscules blindés de la caserne, des AMX je
ne sais plus combien. Ce sont les derniers de l’armée française. Des Panzer de poche,
spécialisés dans le combat de rue.
L’un après l’autre nous nous laissons glisser dans l’orifice. Pour moi, c’est le coup de
foudre. Ça pue l’huile, la crasse et… la sardine. Le plus drôle, c’est que je ne loge pas
dans la boîte. Ouf ! Il leur faudra trouver autre chose. Ou me raccourcir d’autant... Ou
m’autoriser à circuler en cabrio.
De manière étonnante, mon premier souhait intérieur a été bien vite entendu. Un bidasse
gradé, très imbu de sa personne, vient nous annoncer qu’une épreuve écrite de langue
aura lieu en fin d’après-midi. On recherche des interprètes pour l’État-major. La super
planque !
Notre sympathique lieutenant désigne d’office tous les Alsaciens de notre peloton. Plus de
la moitié d’entre nous.
Je demande poliment à participer « …, mon Lieutenant ! ».
Mon supérieur refuse. J’insiste, toujours poliment. Il refuse à nouveau, cette fois très mal
embouché. Dire que ce sinistre individu vient tout juste de passer avec succès sa maîtrise
de droit à Paris.
N’ayant pas le choix, je menace aussi poliment que je le peux. Avec la seule chose qui
impressionne notre juriste en herbe :
« Je me plaindrai par écrit au Capitaine ».
Quelle horreur, il sait écrire ! La réponse positive ne se fait pas attendre :
« Chasseur Bouzac, espèce d’emmerdeur, vas-y à ton putain d’examen à la con ! ».
« Merci, mon Lieutenant ! ».
A l’heure prévue, nous sommes tous là, une dizaine, attablés à de minuscules pupitres
sans doute prêtés pour la circonstance par le Musée Jules Ferry, dans une salle
mansardée de l’État-major, non chauffée. Ça leur apprendra à ces tire-au-flanc
d’écrivailleurs amateurs !
Il y a deux textes à traduire en français. Plutôt compliqués. C’est vrai qu’on n’est pas au
Club Med. L’un des textes est en allemand, l’autre en anglais. Je fais ce que je peux, en
pensant à la boîte à sardines belliqueuse.
Je suis mauvais en allemand, mais plutôt bon en anglais, car j’ai suivi des cours à
l’université. Bien que, à la fac, nous nous soyons surtout intéressés au romantisme, en
particulier chez les poètes : Keats, Wordsworth, Coleridge, Byron, Scott, Shelley... Et pas
beaucoup aux missiles intercontinentaux.
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Après deux heures d’efforts intenses, nous sommes renvoyés dans notre baraque à l’autre
bout du camp.
Le lendemain, les résultats de l’épreuve étonnent tout le monde et surtout notre cher
lieutenant. Un seul candidat a été retenu. Moi. Pourquoi ? C’est très simple, mes
concurrents, tous Alsaciens et pour la plupart bûcherons, ne parlent pas un mot d’anglais.
Pas de chance, l’épreuve d’allemand, c’était pour rire. Ou par routine. Personne ne le sait.
C’est comme ça, qu’à la fin des classes, je me retrouve interprète français - anglais /
anglais - français à l’État-major Allié de Berlin, au quartier britannique, où je vais passer
dix-sept mois très enrichissants.
En attendant, il me reste à faire deux semaines de F.E.T.T.A., la Formation Élémentaire
Toutes Armes, le nom très officiel des classes, qui n’a rien à voir avec la salade grecque
comme l’insinuent parfois certains citoyens irrespectueux ou incultes.
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Chère Marianne
Ce matin, un planqué du journal des Forces Françaises de Berlin est venu nous voir dans
notre chambrée. Il cherchait un volontaire pour écrire un article authentique pour sa feuille
de chou.
A l’en croire, il fallait inventer de toutes pièces une lettre de bidasse en classes de neige à
sa chère copine restée au pays.
« La lettre sera lue et corrigée par le capitaine! » croit-il bon de préciser.
C’est du sérieux.
« L’armée doit impérativement y être présentée sous un jour positif.» rajoute-t-il sans
besoin aucun.
Pas de réponse. Nous dormons peu et mal. Et avons tous la crève. On s’en fout pas mal
des problèmes de ce rigolo et on ne se prive pas de lui dire. Le ton monte.
Je propose d’écrire une bafouille, histoire d’en finir et de m’amuser cinq minutes.
Ma copine d’alors m’avait mis dehors, suite à un premier séjour en Allemagne, à la fac
cette fois-ci, un an avant mon départ pour le front de l’Est. C’est tout naturellement que
j’écris une lettre virile et néanmoins pleine d’émotion à Marianne, la copine de tous les
bidasses et autres fidèles serviteurs de la Mère Patrie.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le texte en question a été intégralement publié
dans la « Gazette de Berlin » du mois de février 1986…
Je viens d’en retrouver la version originale manuscrite, par hasard, au fond d’un carton qui
a survécu à plus d’un déménagement, à la grande tempête de 1999 et aux appels
incessants de la Croix rouge internationale à donner ses vieux papiers pour sauver la
planète.
« Chère Marianne,
Ton Roro est bien arrivé. A Strasbourg, lorsque j’ai débarqué, ils m’ont embarqué. Je
flippais dur à l’idée de troquer mes tiagues contre une paire de randjos. Tu sais, ils
assument un max au CTEM : question pub, ça décoiffe ! Question bouffe, ça défrise. T’en
fais pas, le tiffeur m’a mis un coup de sabot pour arranger tout ça !
Dans le train, je me suis fait des bons potes en tapant le carton autour d’une canette.
Tu sais quoi, notre devise, c’est : « Vlà les bons ! » Vu le mur, faut vraiment être pêchu
(un vrai mec, quoi) pour pas tourner psycho (un vrai cave). Vise les boules… On n’est pas
des gonzesses !
Ici, c’est super intello, on chante l’opéra 10 et on cause en latin. C’est dommage que tu
soyes pas là pour les servitudes11.
A bientôt ma louloute,
Ton Roro qui t’aime »
10
11
« Cavalerie d’Afrique », que nous braillons sans honte aucune sur l’air des trompettes d’Aïda. Pauvre Verdi.
Bonjour les machos : il s’agit des corvées de ménage…
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L’ours de Berlin
C’est sous ce titre, ô combien évocateur, que Katrin, ma future femme, ouest-berlinoise, il
va de soit, a raconté 12 les circonstances de notre première rencontre, pendant mes
classes. Je vous livre avec plaisir une traduction en français de ce texte auquel je ne
saurais changer ne serait-ce qu’une virgule :
« Je suis une enfant de la Guerre Froide. Mes parents ont peut-être choisi pour cette
raison mon prénom, qui commence par un K. 13. A peine arrivée au monde, dans une
famille ouvrière du Wedding rouge, à Berlin, on commençait à construire, à quelques rues
de là, LE mur. Qui devait séparer la ville et le pays pendant une génération.
Les destructions de la guerre, là je parle naturellement de la seconde guerre mondiale,
étaient partout bien visibles. C’est ainsi que, mes parents et moi, vivions dans une maison
sans toit. C’est toujours mieux que le contraire, pensais-je en jouant dans l’une des
nombreuses friches de notre rue, témoins des bombardements.
Je ne suis pas historienne, mais j’ai l’impression que de tout démolir avec des bombes, ça
va toujours beaucoup plus vite que de réparer comme il faut, avec des bacs à fleurs sur le
balcon.
Une autre conséquence de la guerre était l’occupation de la ville. Wedding et le quartier
voisin de Reinickendorf formaient le Secteur français.
Contrairement à mes parents, je n’ai connu les Français et les autres Alliés de l’ouest que
comme Forces de protection et non comme armée d’occupation. Je ne veux pas vous
ennuyer avec les détails, d’autant qu’il y a plusieurs musées et des films consacrés à la
question, mais la différence était de taille.
Pour moi, native de Berlin-Ouest, les Français faisaient partie du paysage urbain comme
le mur d’à côté déjà cité. Nous n’avions pas de famille et encore moins d’amis dans la
Zone. La RDA, c’était un peu comme une Belgique germanophone. Sans roi et
démocratique en plus. Est-ce qu’ils avaient des frites là-bas ?
Seuls les contrôles sans fin sur la route des vacances étaient tout à fait nuls. Et comme
nous allions souvent au Tyrol ou au Danemark, j’ai eu largement l’occasion d’apprécier
toutes ces bêtises.
A dix-sept ans, je me suis rendue en France avec mon ami et la voiture de ses parents. La
Côte d’Azur, papiers volés à Marseille, Châteaux de la Loire et retour. Super !
Qu’est-ce que j’étais jeune et tellllement plus mince ! Comme le montrent ces photos un
peu décolorées. Et quelle coiffure ! Bizarre !
Mon ami d’alors, un garçon charmant avec lequel j’ai encore aujourd’hui de bonnes
relations, était très travailleur à l’école et partit bientôt faire des études aux États-Unis.
J’ai commencé au cours de cette même année à chanter à la chorale franco-allemande.
Plusieurs de mes copines en faisaient déjà partie. A l’école, le français était à la mode. On
aimait tout particulièrement la manière française de se saluer, avec la bise sur les deux
joues. A l’époque, à Wedding, c’était loin d’être habituel !
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Extrait de „40 histoires franco-allemandes“, Documents, OFAJ, 2005
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En allemand : enfant de la Guerre Froide = Kind des Kalten Krieges
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© JP Bouzac 2011
Quand on pense que le Français berlinois typique avait dix-huit ans, qu’il était rarement
venu volontairement ici et, qu’à l’exception de la répétition de la chorale dans le Centre
Français de Wedding tout proche, il n’avait pas le droit de quitter seul la caserne près de
l’aéroport de Tegel (fièrement nommée Quartier Napoléon), on n’est pas réellement
surpris par le grand nombre de rapprochements amicaux - tout à fait dans l’esprit du Traité
de l’Élysée - nés en chantant au fil des ans.
Moi aussi, j’ai eu quelques affaires bilatérales, la plupart de courte durée. On ne m’a
jamais proposée pour le prix De Gaulle - Adenauer et c’est très bien comme ça.
Après le bac, j’ai commencé à étudier. Mes parents se seraient contentés pour moi d’un
apprentissage comme employée de banque. Lorsque, peu après, je suis devenue docteur
en médecine, ils ont été drôlement épatés. Jusque-là, le seul docteur que nous
connaissions personnellement dans la famille, c'était le dentiste de la Residenzstraße.
J’étais toujours à la chorale, j’avais participé à de nombreuses tournées en R.F.A. et en
France. Tous les deux ou trois mois, nous chantions dans la caserne pour recruter de
nouveaux chanteurs. Qui a chanté dans une chorale sait comme il est difficile de trouver
assez de basses et de ténors, et surtout de les garder.
La plupart des « bidasses », comme on appelait les soldats français, venaient tout droit
des banlieues parisiennes. Et c’était loin d’être facile de les passionner pour du folklore,
des chansons, Brahms et tout le tremblement.
Beaucoup venaient à la chorale à cause de nous. Je veux dire à cause de nous, les filles.
Ils ne savaient pas chanter. Mais ils étaient souvent charmants.
Et quand l’un d’entre eux était trop bête ou grossier, il remarquait assez vite que sa
présence n’était pas souhaitée. Ou ne le remarquait pas. Là-dessus, je pourrais vous
raconter quelques histoires pas tristes. Mais cela risquerait un peu de ternir le cadre
solennel de ce récit.
Lorsqu’un jour, dans le milieu des années quatre-vingt, je crois que c’était en février, nous
avons à nouveau chanté dans la caserne, par un jour de grand froid, j’ai pensé que c’était
la dernière fois tellement c’était terrible.
La plupart des bidasses s’étaient aussitôt endormis à peine avions nous commencé à
chanter. Les autres toussaient si forts qu’ils nous faisaient une sérieuse concurrence.
Lors des concerts à la caserne, nous étions toujours juste un petit groupe. Beaucoup ne
pouvaient se libérer à cette heure de l’après-midi. D’autres ne voulaient pas se rendre
dans la gueule du lion.
Afin que la toux s’arrête, quelques sous-officiers aboyèrent d’abord des ordres bientôt
suivis de sombres menaces. Nous chantions un nouvel arrangement de notre chef de
cœur des « Feuilles mortes » pour la première fois devant des gens (à défaut de public).
C’était beau et plutôt compliqué.
Il se passa un petit miracle : l’un des soldats et bientôt trois ou quatre applaudirent !
Quelques mois plus tard, je fis la connaissance de l’un de ces soldats, du premier
claqueur ? Il prétend encore aujourd’hui – les Français sont têtus, même quand ils ne
viennent pas de Bretagne ! – avoir « fait ma connaissance » ce jour là. Il était assis tout
au fond de la grande salle quasiment plongée dans l’obscurité qui sentait la sueur et le
cirage.
Comme presque tous ses camarades, il était enrhumé et se donnait beaucoup de mal
(c’est du moins ce qu’il prétend) pour tousser le moins possible. Non à cause de
« l’interdiction de tousser » précise-t-il, mais parce qu’il était heureux, après plusieurs
nuits dans les bois enneigés, de retrouver la civilisation. A la fin du concert, il ne toussait
plus du tout. Il dormait profondément.
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A peine la chorale partie, c’en était aussi fini de la civilisation. Tous ceux qui avaient dormi
ou toussé, autant dire tout le monde, avaient gagné une séance gratuite de nettoyage
d’armes by night…
Si vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à lui demander directement. Mon mari a peu
de temps libre, mais quand il commence à raconter, on dirait une cascade. Mais, il n’était
pas encore mon mari.
Simplement l’un d’environ deux cent soldats malgré eux, épuisés, à l’odeur forte, toussant
frénétiquement ou ronflant paisiblement.
Il vint aussi vite qu’il put à une répétition de la chorale et ne me trouva pas. Je devais
passer mes derniers examens et j’avais renoncé à chanter pendant plusieurs semaines.
Après, je suis partie en vacances. Et puis la pause estivale de la chorale a commencé. Un
peu de plus, il en aurait trouvé une autre ou serait retourné chez lui sans avoir activement
contribué à la réconciliation franco-allemande.
Lors de la première répétition en septembre, après la pause, je remarquais parmi les
« nouveaux » un cas original. Non pas qu’il ressemblât à Alain Delon. Mais il était
beaucoup plus âgé que les autres. Je n’étais plus toute jeune non plus. Enfin, tout est
relatif.
Il avait une barbe à la mode des Ayatollahs et pratiquement pas un cheveu sur le caillou.
Pour être franche, on avait déjà eu pas mal de drôles de bidasses, mais pas un comme
celui-là.
Ce grand gars était timide. Quand il osait parler, dans un allemand très approximatif avec
un fort accent, on voyait qu’il était content de raconter. Dans sa langue maternelle, c’était
sûrement un moulin à paroles. Il parla d’un voyage en Inde, en Himalaya. Était-ce un
yéti ?
Quand il me dit un jour comment son adjudant l’appelait, je ne pus m’empêcher de rigoler.
En raison de sa grâce naturelle en défilant, on l’avait nommé « l’ours de Berlin ». Pas
totalement faux.
A la mi-octobre, il y eut un vernissage à l’hôtel de ville de Wedding. C., une amie de
longue date et choriste, qui était impliquée dans l’organisation de l’exposition, m’envoya
une invitation. Comme par hasard, il reçut lui aussi une invitation.
Nous nous sommes alors donné rendez-vous devant l’église de Nazareth, l’un des
nombreux chefs-d’œuvre berlinois de l’incontournable Schinkel.
Le temps était magnifique. Une journée typique d’été indien, ou comme l’ami Tucholsky
disait, un jour de « cinquième saison 14 » (« Été tardif, automne précoce et ce qu’il y a
entre les deux. C’est la cinquième et la plus belle des saisons. »).
Quand j’arrivais, il m’attendait. Qui était ici le Prussien ? Plus tard, il s’avéra que cette
ponctualité extrême était pour lui aussi exceptionnelle.
Dans le hall d’entrée moderne, nous saluâmes C., écoutâmes le passionnant discours du
conseiller culturel de la mairie de quartier et visitâmes ensuite l’exposition.
L’artiste avait représenté sur ses tableaux une multitude de tuyaux colorés. C’était comme
dans les sous-sols d’un gratte-ciel, dans les soutes d’un transatlantique, le tout en
couleurs, surtout en bleu, blanc et rouge. Le peintre était-il français, américain,
britannique, australien, hollandais… ? Le « Trikolore 15»est partout.
14
Texte de Kurt TUCHOLSKY, « Die fünfte Jahreszeit », 22 octobre 1929, Berlin, traduction JP Bouzac, Original : voir
bibliographie en fin de volume
15
C’est le nom du drapeau français, en allemand.
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Nous ne sommes pas restés longtemps. Un prétexte reste un prétexte. Et les tableaux ne
pouvaient pas faire concurrence à la formidable journée de fin d’été, de début d’automne.
Nous sortîmes et marchâmes dans le « parc populaire Rehberge » tout proche.
Arrivés au sommet de la butte près de la belle fontaine, je me réjouissais du silence. Il me
dit qu’il entendait parfaitement le vacarme des avions à Tegel et les voitures, elles aussi
bruyantes, toutes proches. C’est sensible, une oreille de paysan.
Moi, je n’entendais rien d’autre que le glouglou de l’eau de la fontaine et les cris des
enfants jouant au cerf-volant.
La lumière était exactement comme Tucholsky l’avait décrite : noire-dorée.
L’automne vint et nous étions devenus un couple. Un jour, le douze octobre fut déclaré
premier jour férié franco-allemand. »
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Classes (suite et fin)
Il fait toujours aussi froid et je ne m’y habitue pas. Mais le temps passe étonnamment vite
et les classes seront bientôt finies.
Moi qui n’avais jamais fait un lit de ma vie, je suis devenu un expert en lit au carré,
plusieurs fois cité en exemple lors des nombreux contrôles. Voilà bien un truc
complètement idiot que j’oublierai aussi vite que je l’ai appris.
Sujet autrement plus sérieux, notre santé n’est pas vraiment le problème de nos
supérieurs. Suite logique de nos ébats sylvestres, beaucoup d’entre nous sont malades.
Depuis des semaines, l’hôpital Pasteur affiche complet. D’ailleurs, les grippés sont
systématiquement considérés comme de vils simulateurs.
Quand, à mon tour, tremblant de fièvre, je me fais porter pâle, je me retrouve consigné en
baraque. Nous n’avons pas le droit de porter l’uniforme et sommes obligés de passer la
journée en survêtement. C’est donc en survêt Adidas en plastique véritable, fabriqués en
URSS (!), que nous cassons la glace au pic devant l’entrée des bâtiments par moins vingt
et plus, enfin moins.
Le résultat ne se fait pas attendre, peu avant la fin des classes, plus de la moitié de notre
escadron est officiellement malade et se retrouve... enfin à l’hôpital. Moi aussi.
Là, il fait chaud et les chambres sont bien plus confortables que dans les baraques. Je me
la coule douce. Mon voisin de chambrée écoute sans arrêt sur son walkman acheté au
magasin du Quartier des chansons en allemand. Il me prête sa cassette préférée mais je
n’y comprends rien.
En bon Alsacien patient et vu que nous n’avons rien d’autre à faire, il me traduit mot à mot
Bochum et d’autres chansons du disque portant le même nom. Le chanteur est Herbert
Grönemeyer, un optimiste avec une drôle de voix râpeuse qui vante les beautés de la...
Ruhr.
A peine sorti de l’hôpital, je participe à une première brève visite de Berlin. En fait de
tourisme, nos gentils accompagnateurs insistent un peu lourdement sur l’histoire du
nazisme et ses conséquences.
En premier, nous nous rendons à l’ancienne prison de Plötzensee, lieu de mémoire
consacré à des victimes de la terreur brune.
Pour beaucoup d’entre nous, c’est une découverte : parmi les trois mille prisonniers
décapités à la hache, guillotinés ou pendus à des crochets de boucher dans cet endroit
sinistre, la moitié était des résistants et prisonniers politiques… allemands.
Peu après, nous visitons le musée de mur, près du Checkpoint Charlie. Cette institution
privée documente depuis le début l’histoire de la construction du mur, et tout
particulièrement les tentatives de fuite d’habitants de la RDA.
Le message est clair : pendant la seconde guerre mondiale tous les Allemands n’étaient
pas des bourreaux. Aujourd’hui comme autrefois, il y a des Allemands des deux cotés, du
« bon » et du « mauvais ».
L’ennemi, notre ennemi commun, est à l’est et ne recule devant rien pour confiner la
population est-allemande en prison. Et notre mission est bien de protéger la population de
Berlin-Ouest contre une agression soviétique et non pas, comme à l’origine, d’occuper le
pays vaincu.
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Malheureusement, les cours de civisme que l’on nous assène à la caserne manquent
cruellement du sérieux nécessaire. On nous y rabâche par exemple que tout jeune
Français doit servir à l’armée sous peine de ne jamais devenir un citoyen à part entière.
Je me charge d’animer un peu la chose en posant des questions du genre :
« Et les citoyennes alors ? »
… qui m’attirent à chaque fois des remarques autour du thème :
« Bouzac, t’as encore rien compris… »
Mais les pires bêtises sont celles qu’on nous raconte sur la protection contre les risques
ABC (atomiques, biologiques et chimiques).
« Vous voyez à l’horizon un champignon atomique s’élever dans les nues comme une
gigantesque méduse en feu 16 ? Pas de problème, restez calme. Etendez-vous sur le sol,
la tête en direction de l’explosion, en prenant soin de bien vous couvrir avec la cape en
caoutchouc fournie avec le barda, comptez jusqu’à cent.
Là, vous vous relevez tranquillement, secouez la cape, la repliez bien comme il faut, la
rangez à sa place dans le sac-à-dos et repartez à l’assaut », le sourire aux lèvres,
naturellement et la fleur au FAMAS 17…
Au moins, la méthode utilisée pour nous convaincre de l’urgence de mettre son masque
en cas d’alerte chimique est aussi simple que convaincante.
Après nous avoir réunis dans une cave sombre et isolée, notre sergent jette un fumigène
sur le sol en béton et sort en courant en claquant la porte qu’il ferme aussitôt à double
tour.
A chacun de trouver masque à sa taille dans le tas qui gît au milieu de la pièce en pleine
obscurité. La blague, c’est qu’il y a un masque de moins qu’il n’y a de joueurs.
Celui qui n’a pas été assez rapide ou n’aime pas les déguisements part très vite dans une
colossale quinte de toux. Mon court passé en tant que pilier de rugby – ou bien, est-ce
l’expérience prolongée des bousculades dans les files d’attente à Rabelais, restaurant
universitaire à Poitiers ? – m’a largement servi.
Jouant des coudes sans vergogne, j’ai récupéré un masque, peu appétissant certes, mais
étanche. Une fois dehors, je demande au gradé de service si ce procédé est bien légal. Il
me rigole au nez et déclare à la ronde pour éviter toute discussion inutile :
« Vos gueules, bandes de mauviettes, les Russes, eux, ils utilisent des vrais gaz de
combat, mortels ! »
Toute considération idéologique mise à part, j’admets que, très peu d’entre nous sont
prêts à changer volontairement avec un Ruskoff, et encore moins pour aller vérifier sur
place les dires de notre sergent.
Depuis toujours, j’ai un problème de dos qui fait que je dois éviter de glisser et de tomber
de haut. Sinon, j’ai toutes les chances de me retrouver avant l’heure en chaise roulante ou
au cimetière.
Lors de la visite médicale réglementaire au tout début des classes, j’avais expliqué le
problème au médecin-chef qui n’avait pas daigné me jeter un coup d’œil, tout occupé qu’il
était à faire semblant de lire mes certificats médicaux jusqu’au moment ou il aperçu par
hasard l’une des cicatrices qui décorent si avantageusement ma main droite.
16
17
C’est moi qui précise…
FAMAS : Fusil d’Assaut… la « Kalachnikov » à la française
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Là, fasciné, il s’était mis à me parler comme à un être humain, m’avait même demandé le
nom du chirurgien qui avait réalisé ce miracle.
La cause de l’accident, si on peut appeler cela comme ça, car j’avais été la victime
innocente d’un stupide complot anticapitaliste, un truc délirant qui avait failli me coûter la
main droite - et même le bras - l’année de mes dix-huit ans, ne l’intéressait pas du tout.
Depuis, ma main droite ne s’est jamais entièrement remise, malgré le miracle. Mais au
moins, je suis convaincu pour toujours que cette planète est pleine de fous dangereux qu’il
convient autant que possible d’éviter. Cette vérité basique m’accompagne jour et nuit.
C’est parfois un peu pesant, mais globalement très sain.
Après cet échange imprévu, le médecin-chef m’a généreusement dispensé… de porter un
sac à dos. C’était un malentendu complet, car s’il y a une chose que l’étudiant en géologie
que je suis sait faire, c’est de porter un sac à dos, même lourd, car plein de cailloux,
même longtemps, car à pieds, cette foutue planète n’en finis pas. Demandez à n’importe
quel Yak dans la force de l’âge entre Lamayuru et Leh (Himalaya du Ladakh), il vous le
confirmera sans sourciller !
Ma dispense inutile n’a eu qu’un seul effet : me faire passer pour une andouille auprès des
collègues. Le pire, c’est que je suis censé crapahuter comme tout un chacun. Un jour où
l’on nous donne l’ordre de sauter du camion dans une fosse verglacée comme tout le
reste et qui doit faire ses deux mètres de profondeur je refuse de m’exécuter.
Je descends de la plateforme comme je le peux sous les quolibets en me tenant au bord
du camion et regarde tout ce beau monde plonger dans le trou comme des pingouins
quittant leur banquise pour aller à la pêche. Si ça les amuse !
Ma revanche arrive à point nommé le jour de l’examen final de la F.E.T.T.A. Nous
sommes une fois de plus répartis en binômes. Armés jusqu’aux dents, nous avons à faire
une longue marche forcée dans la neige au bord d’un canal bien sûr gelé avant de
traverser un bois dans lequel une embuscade nous attend. Tu parles d’un scénario.
Du point de vue de nos chefs, c’est l’occasion unique et inespérée de montrer ce que nous
avons appris, ce qu'on a dans les tripes, enfin tout le bazar.
René, mon partenaire dans le binôme, est en sale état. Nonobstant une otite purulente
aux deux oreilles, visible à l’œil nu et donc sans microscope, spectacle d’ailleurs peu
ragoûtant, croyez-moi, il n’a pas été dispensé de cet exercice hautement symbolique qui
doit impérativement clôturer en beauté notre formation.
Malgré le temps ensoleillé, René peine à marcher, ses lunettes à verres ronds sont
pleines de givre, comme d’ailleurs ma barbe et ma moustache. L’idée de cette barbe
rousse givrée me rappelle Maupassant et ses « Récits de guerre et de défaite ». Sauf que
dans ces nouvelles tragiques inspirées par la guerre de 1870, barbu est synonyme de
soldat sanguinaire, de « Prussien ». Il ne me manque plus que le casque à pointe…
Sans lui demander son avis, pour ne plus avoir à l’entendre souffler comme un phoque
asthmatique, je prends le sac à dos de René et nous repartons à une vitesse de croisière
plus proche de celle qui est prescrite par le règlement. Le sac à dos ne me gêne pas, au
contraire, il me tient chaud ! Dire que j’en ai été privé depuis le début.
A peine arrivés à l’orée du bois, nous entendons des coups de feu aussitôt suivis d’une
bonne engueulade :
« Vous êtes nuls ! Et surtout, vous êtes déjà morts ! Sans même essayer de vous
défendre ! »
S’il savait comme on s’en fout.
Je crois bien qu’il sait.
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Après cet exploit militaire défiant la chronique, toutes les recrues de l’escadron
d’instruction sont solennellement présentées à l’étendard du Régiment. Maintenant, nous
sommes des chasseurs à part entière nous dit-on, la voix tremblante d’émotion.
Impressionnant, n’est-il pas ?
Surtout, nous avons le droit de prendre notre première permission, d’une durée maximale
de soixante-douze heures. Pour les Parisiens, les Chtis et les Alsaciens, qui constituent le
gros de la troupe, c’est faisable. Pour le seul Charentais du régiment, ça veut dire trois
jours dans le train.
Froide ou pas, quelle connerie la guerre ! Mais le plus important, c’est qu’à mon retour, je
dois emménager dans le dortoir de l’état-major au Quartier Napoléon et commencer mon
nouveau boulot à l’État-major Allié, qui se trouve quelque part en secteur britannique.
Autant dire que ma carrière de chasseur, à peine commencée, a fait long feu.
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Chez les Britanniques
Après une première permission bien méritée, passée comme prévu dans le train, me
revoilà à Berlin. Mais, maintenant, tout est différent. J’ai dans mes bagages des vêtements
civils, ce qui m’était jusque-là interdit, comme à tous ces sous-hommes que sont les bleus
pendant les classes.
Il fait toujours frisquet mais la glace laisse peu à peu la place à une boue pas moins
glissante. En fait de Quartier Napoléon, c’est plutôt la Bérézina qu’Austerlitz.
De toute façon, ma brève contribution au 11 ème régiment de chasseurs, celui-là même qui
passa en novembre 1806 la revue de l'Empereur 18 devant la Porte de Brandebourg, est
bel et bien finie. Comme convenu et grâce à ma performance hors du commun à
l’occasion du test de langue déjà cité, j’ai dorénavant l’immense honneur d’exercer la
fonction de secrétaire linguiste à l’État-major Allié de Berlin (EMAB).
L’EMAB occupe un ensemble architectural prestigieux, qui n’est ni plus ni moins que
l’ancien ministère de la jeunesse et des sports du régime nazi, en bordure du célèbre
stade olympique construit à la même occasion, dans le quartier de Spandau, lequel fait
partie du secteur britannique.
Le stade olympique est le principal édifice ne faisant pas partie du complexe militaire allié
lequel abrite, outre une caserne, l’état-major britannique et bien sûr, l’EMAB.
Murs en briques rouges, pelouses impeccables, l’illusion est parfaite : on se croirait dans
la banlieue londonienne.
Les équipements sportifs sont encore plus impressionnants qu’au Quartier Napoléon :
piscines olympiques en plein air et couverte, gymnases variés, terrains de jeux de balles
en tous genres, y compris des salles de squash, rings de boxe… tout cela rien que pour
nous.
Des statues en bronze de sportifs nus rappellent un peu partout l’idéal simpliste des
anciens bâtisseurs. Au moins les Grecs, eux, ne se contentaient pas de faire le portrait de
leurs beaux mecs. Il y avait aussi Aphrodite et ses copines…
Chaque mercredi après-midi, nous faisons l’apprentissage d’un sport allié. Nous aurons
ainsi droit à jouer au base-ball, à une mémorable séance de voile sur le lac de Wannsee,
à du cross country autour de la Waldbühne, un gigantesque théâtre en plein air qui jouxte
la caserne, dans les bois, comme son nom l’indique.
Le plus mystérieux des sports restera pour moi le très british cricket. Ce jour là, j’ai dû
avoir l’air particulièrement niais pendant tout le jeu, car bien que n’étant pas le seul à n’y
rien comprendre, loin s’en faut, personne d’autre que moi ne conserve dans ses archives
le certificat du Most Valuable Player 19 remis en mains propres par l’inventeur du Martin
Wright Memorial.
Je dois au même officier de sa très gracieuse majesté, une personne par ailleurs
remarquable par sa civilité et sa grande culture, l’un des autres sommets de ma carrière
militaire. Un sommet inattendu.
Je suis d’autant plus surpris que cet officier francophone, lors d’une ces longues nuits de
duty20, s’est laissé allé à des confidences inhabituelles. Il m’a raconté cette soirée en
Irlande du Nord où la mère d’une jeune femme blessée lors d’un attentat avait
formellement refusé l’intervention des ambulanciers britanniques car :
« Il valait mieux mourir que d’être sauvé par un Anglais.»
18
Napoléon est loin de n’avoir laissé que de bons souvenirs !
Ou : « Joueur le plus méritant » (Désolé, c’est de l’humour britannique et donc intraduisible)
20
Duty = service
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La victime était décédée peu après sous ses yeux. Le service dans lequel je suis affecté
est chargé du matériel de bureau et de la logistique en général, et en particulier de
l’organisation des parades alliées, grand moment qui ponctue l’année berlinoise au même
titre que les fêtes nationales, Noël et Pâques.
Un beau matin, le major W. réunit une poignée de soldats, dont moi, comme seul
représentant de la République et nous rejoignons ensemble à pied l’immense esplanade
qui précède l’entrée du stade olympique. Arrivés là, il me dit :
« Brigadier Bouzac (je suis monté en grade, comme vous le voyez), défilez ! »
« C’est une blague, Sir ? »
« Brigadier Bouzac, défilez ! »
« Mais, je… ne sais pas faire… »
« Là n’est pas la question, c’est un ordre ! Vous défilez sur toute la longueur de
l’esplanade. Je vous chronomètre. Cela servira de base pour définir le tempo des
contingents français lors du prochain défilé interallié sur la rue du 17 juin.»
« ??? »
Interloqué, mais cette fois-ci convaincu de l’inutilité de toute discussion, je me lance sous
le regard amusé des quelques badauds qui traînent dans le coin.
Je suis en uniforme de bureau, sans la moindre arme, avec mes splendides chaussures
en plastique qui me font mal aux pieds.
Nos pompes et fringues d’occasion en nylon et plastiques divers sont du reste une source
continuelle d’amusement pour ne pas dire de dégoût pour nos collègues britanniques.
Le major me suit de son regard bleu d’acier, son chrono à la main. Après quelques
centaines de mètres pendant lesquelles j’ai l’impression de mimer Charlot dans Le
dictateur, il crie enfin, de sa belle voix de baryton :
« Stop ! »
Et note quelque chose dans un carnet.
Mais si les britanniques sont à juste titre fiers de leur tweed et autres tissus de qualité
dans lesquels leurs uniformes sont taillés, très bien d’ailleurs, et évidemment sur mesure,
ils n’en restent pas moins pour nous un monde à part.
Comparés aux Français, les officiers et surtout les sous-officiers ont de la classe. Mais
que dire de la troupe ?
Quand nous sommes de service de nuit, nous les voyons ou les entendons se battre dans
la cour intérieure, saouls comme des barriques.
Il y a dans le lot des femmes soldates que j’espère ne pas rencontrer de si tôt et encore
moins après le coucher du soleil.
Surtout, les Britanniques sont trempés au fer de leurs traditions. Le lundi matin, ils nous
arrivent de croiser devant l’entrée de l’EMAB le Général commandant du secteur en pleine
discussion informelle avec ses troupes :
« Alors, Guys, il paraît que vous avez encore démoli le Big Eden 21 ce week-end ? »
« Mais, Sir, les Français ont commencé les premiers ! »
« Ce n’est pas une raison ! Vous devriez vous comporter mieux que ça en dehors de la
caserne ! »
« Désolé, Sir, mais, ils ont insulté… Sa Majesté la Reine ! »
21
Une boîte de nuit à la mode sur le Kudamm, la principale artère de Berlin Ouest
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« Alors là, c’est tout à fait différent ! Bonne journée. Et soyez vigilants, les gars, on
n’insulte pas impunément Sa Majesté! »
Ce même général, un passionné de musique classique, trouve le temps de chanter une
fois par semaine dans le chœur de la Philharmonie…
J’ai un drôle de boulot qui me vaut une certaine liberté. En tant que conducteur et
responsable du minibus Volkswagen des soldats français, je passe mon temps à me
promener seul d’un secteur l’autre, à l’ouest bien évidemment.
J’ai des laissez-passer pour aller partout. C’est même étonnant, car je suis sûrement le
seul dans cette situation, au Quartier Napoléon, à Berlin, voire dans la galaxie.
Mes missions sont hautement stratégiques sinon militaires :
« Brigadier Bouzac (pas facile l’avancement, ça m’apprendra à avoir refusé de faire l’école
des Officiers de réserve !), vous avez une heure pour nous ramener cinquante petits fours
sucrés, trois bouteilles de champagne bien frappé, et pas de la piquette ! Compris ? »
« Av’zord chef ! »
Une fois, c’est des fleurs, une autre du caviar pour la Alliierte Kommandantur.
Le plus drôle, c’est que pendant tout mon service, pas un seul général, pas le moindre
ministre de passage ne daignera goûter ne serait-ce qu’une seule fois au champagne de
grand luxe que nous leurs servons systématiquement.
Tous s’abreuveront d’eau, tout au plus de jus d’orange. C’est d’ailleurs tout à fait louable,
ces gens ont un boulot sérieux, quelle bonne idée que cette abstention autoproclamée.
Les adjudants de tous les corps d’armée se chargent de relever le défi et de boire au nom
de tous ceux qui ne peuvent pas.
En ce qui me et nous concerne, nous autres bidasses non connaisseurs, c’est une
occasion inespérée que ce cours de formation professionnelle d’initiation au champagne.
J’essaye d’en choisir toujours du bon et de préférence un que je ne connais pas encore,
quitte à demander conseil au vendeur de l’économat, qui est imbattable.
Leur cave est épatante, je n’imagine pas un instant pouvoir en épuiser les richesses,
même pendant un an et demi d’entraînement forcené.
A propos de boissons, je fais une expérience étonnante. Alors que nous recevons un
groupe de journalistes pour une conférence de presse sur la prochaine parade alliée,
j’assiste impuissant à la disparition quasi instantanée du buffet y compris jusqu’à la
dernière goutte de champagne.
Cette fois-ci, nous pourrons goûter à notre aise l’eau minérale et le jus d’orange, car les
reporters, craignant un piège ? n’y ont pas touché.
Au Quartier Napoléon, la cantine est très moyenne. Elle me rappelle le resto u,
universitaire, de Poitiers : à part le pain et les frites, pas grand chose de mangeable.
Au moins à Poitiers, le responsable de la cantine, qui s’en mettait plein les poches sur
notre dos, aurait fini en prison.
Au quartier britannique, par contre, il en va de la nourriture comme des fringues, c’est du
sérieux, on a affaire à une armée de métier.
Les cuistots sont indiens, kényans ou de n’importe où ailleurs dans l’(ancien ?) empire
british. Et ils savent faire la cuisine.
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Il y a bien peu d’endroits à Berlin où l’on peut déguster un curry d’une telle qualité.
Le petit-déjeuner, tout ce qu’il y a de plus insulaire lui aussi, n’a aucun mal à nous faire
oublier celui plutôt frugal que nous offre notre chère armée tricolore.
C’est pourquoi la poignée de French bidasses que nous sommes se met vite d’accord et
bientôt, nous mangeons tous et tous les jours que Dieu fait chez les Engliches depuis le
petit-déj jusqu’au dîner compris.
God saves the Canteen!
Cette situation inédite a deux conséquences imprévues. Tout d’abord, l’intendance
britannique ne tarde pas à envoyer la facture pour nos repas à l’administration française
qui n’en croit pas ses yeux. Des Français qui mangent en cachette et volontairement chez
les Anglais, on aura tout vu !
Nos habitudes culinaires ou plutôt les miennes me valent en outre un surnom original : the
Hairy cake-eater, soit le mangeur de gâteaux poilu…. Hairy, parce que ma barbe
impressionne tout ce beau monde, le port de la barbe étant interdit dans les armées de la
Blanche Albion comme dans les troupes américaines.
Cake eater parce que je m’empiffre de toutes sortes de scones with clotted cream et
autres tartes aux framboises. On ne vit – très vraisemblablement – qu’une fois, alors,
pourquoi bouder son plaisir ?
D’autant qu’avec tout l’entraînement sportif auquel nous avons droit, je ne prends pas un
gramme. Et puis, les gâteaux sont really delicious, indeed.
Une autre découverte qui ne manque pas de m’épater : les fromages insulaires ne sont
pas très variés mais étonnamment relevés, de vrais fromages, bleus en particulier.
Mais pour en revenir à mon étonnante coiffure, ma barbe étant toujours plus longue que
mes cheveux, c’est aussi à un Britannique que je dois d’en changer sans préméditation
aucune.
De passage pour la première fois chez le très officiel coiffeur de l’état-major, lequel est
tout droit sorti de la cage aux folles, celui-ci me pose très poliment la question suivante,
non sans rouler des yeux :
« Ne faudrait-il pas réduire un peu cette barbe envahissante ? »
Sans me laisser le temps de réfléchir un tant soit peu à ce problème fondamental, le voilà
qui s’attaque sauvagement à ma barbe à grands coups de ciseaux.
Il n’y a plus grand-chose à faire, aussi je supporte stoïquement le martyre. C’est qu’il est
armé et Britannique, tant qu’il ne me fait pas brûler vivant sur le parvis de la cathédrale, je
peux m’estimer heureux…
Je retourne au bureau très allégé, en fait méconnaissable.
Dans le couloir, les commentaires de Brenda, américaine dont les dents sont aussi
blanches que le cerveau est atrophié, et surtout ceux de mes très sympathiques collègues
féminines britanniques et françaises me prennent au dépourvu : il paraît que je suis
maintenant beaucoup moins laid qu’avant.
Sûrement un compliment !
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Mais il ne saurait être question de traiter de mon passage chez les Brits sans mentionner
ma participation à un évènement prestigieux : la Parade cérémonielle en l’honneur de
l’anniversaire de Sa Majesté la Reine Elisabeth II.
Par deux fois, le 30 mai 1986 et le 27 mai 1987, j’assiste sur le bien nommé Maifeld 22, à
cette manifestation d’un autre âge.
La première année, le royaume insulaire est dignement représenté par le Prince Charles,
la deuxième, comble de bonheur, par la Reine en personne.
En tant que membre de l’EMAB, j’ai ma place au Red stand, tout juste séparé du royal
Gold stand par un Blue Stand plein de VIPs à craquer. Une bonne place à mon goût.
Assez près pour tout voir, assez loin en cas d’attentat…
Soucieux de préserver l’entente cordiale, j’ai, malgré le sacrifice demandé, laissé à la
maison épées et médailles comme le stipule clairement l’invitation.
Avec le stade olympique en toile de fond, Elisabeth II, un sourire aux lèvres, en costume
rouge et de blanc chapeautée, passe en revue ses troupes dans un long carrosse doré
venu tout droit des caves de Buckingham Palace pour l’occasion. Crazy!
Après la revue, les VIP sont invités à fêter en famille, en toute intimité. Dans la cour de
l’état-major britannique, les tentes blanches, barbecues et bars tout court, s’étendent à
perte de vue.
Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de vivre les derniers fastes du British Empire je
recommande vivement de voir le film La Route des Indes ou de se plonger dans le beau
livre d’Edward Morgan Forster qui en est à l’origine.
On peut être insensible à l’uniforme mais pas à cette conviction pesant dans l’air, encore
moins à cette organisation parfaite et à ce grandiose sens de la mise en scène.
Pas étonnant qu’un demi millénaire après sa mort, William S. soit encore le plus célèbre
dramaturge de la planète!
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Littéralement : champs de mai
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Ricains
Pour l’exotisme, les Ricains n’ont rien à envier aux Brits’. Ils ne ratent pas une occasion de
nous prouver que pour être l’une des deux grandes puissances planétaires, point n’est
besoin d’être bon à l’école, encore moins de se forcer en adoptant les bonnes manières
européennes.
Un jour où nous sommes invités à l’État-major français, on nous sert un très bon couscous
avec une cuvée du président, un vin rouge d’Algérie pas ridicule du tout.
Mon voisin de table, jeune officier tout frais émoulu de West Point, fait des pieds et des
mains pour qu’on lui apporte à la place de cette nourriture immangeable des frites et du
coca.
L’air de rien, à sa manière, il fait un effort non négligeable.
Le coca du secteur français est produit en Allemagne. Dans le secteur américain,
personne n’aurait l’idée de boire ne serait-ce qu’une seule boîte de coca germanique.
Tous les distributeurs de boissons ne fonctionnent qu’avec d’authentiques dollars et
crachent fièrement du vrai Coke directement importé des States.
Devant ces distributeurs qui rappellent des Juke-box surdimensionnés, plus d’un
Américain bien intentionné a tenté de m’expliquer que ce coca-là, en particulier le light,
jusque-là inconnu de ce côté de l’Atlantique ou, pire, le cherry coke, sont le summum de la
civilisation.
Ben voyons.
Une fois et une seule, je mange américain chez les Américains et j’en redemande ! C’est à
l’occasion du Thanksgiving Holiday.
Grâce à mes relations émabiennes, j’ai réussi à m’introduire au plus profond des traditions
d’outre-Atlantique et en plus, j’ai de la chance, car cette année-là, le Thanksgiving Menu
est originaire de Louisiane. Ceci explique peut-être et même très probablement le mal que
se sont donnés les cuistots.
L’inéluctable dinde rôtie with Giblet Gravy est accompagnée par des patates douces
glacées, du baked hubbard squash 23 et plein d’autres délices qui font oublier sur le champ
le Zero Salad Dressing et le Milk low fat servis avec.
Parfois, je m’amuse comme un fou. J’évite autant que possible de prendre le train militaire
français pour aller en permission. Il est bruyant, d’une propreté douteuse et a en plus la
mauvaise idée d’atterrir à Strasbourg.
Strasbourg, pour se rendre en Charente, ce n’est pas à proprement parler un raccourci.
Aussi, fort de ma situation de planqué interallié, je prends plusieurs fois le transall pour la
base d’Orléans ou, à défaut, le train militaire américain jusqu’à Francfort sur le Main, et
depuis là, un train civil, ni bête, ni méchant.
Entre-temps, me voilà brigadier-chef. Y’a pas de quoi fouetter un seconde classe, me
direz-vous. C’est bien mon avis aussi, mais pas celui des Ricains dans leur beau train
douillet.
C’est que je suis bien âgé pour un bidasse, barbu au cas où vous l’auriez oublié, plus ou
moins anglophone et, qui plus est, j’arbore la célèbre pucelle 24 interalliée qui comprend,
entre autres, la bannière étoilée, et en plus brigadier-chef.
23
Mais qu’est-ce que ça peut bien être que ça ?
24
Pour les planqués de tous poils et autres ignorants des choses militaires : la Pucelle est l’insigne, certains prétendent
l’âme, du régiment
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Il va de soit que, brigadier-chef, ça n’existe pas dans l’armée américaine. La seule chose
qui ressemble un peu, du moins phonétiquement et encore pour un gars du middle-west
en train de mâcher du chewing-gum, c’est Brigade General. Vous avez bien lu, ils me
prennent pour un général de brigade !!!
No problem! Ce n’est pas moi qui les détromperai.
On m’attribue d’office un compartiment pour moi tout seul. Régulièrement, un soldat plein
de respect vient s’enquérir de mes besoins. Au début, je refuse quoi que ce soit.
Plus tard, pris au jeu, je me laisse apporter une boisson ou deux, avant de sombrer dans
le sommeil du juste. Je ne me rappelle pas avoir aussi bien dormi ou même avoir tout
simplement dormi dans un autre train.
Sur le chemin du retour depuis la France, comme tous les passagers du train militaire, je
suis tenu d’assister à la gare de Francfort au briefing des soldats américains arrivant de
toute la planète et qui sont en route pour Berlin, la seule ville au pied du rideau de fer dans
laquelle ils peuvent se rendre en uniforme.
Bien qu’un peu longue à mon goût, cette séance d’information vaut son pesant de
cacahuètes. Questions et réponses se suivent et se ressemblent. Elles enchanteraient
tout animateur de débat télévisé.
Après avoir longtemps attendu son tour, la sergent-chef N., de Houston (Texas), qui n’est
pas sans rappeler la célèbre Whitney du même nom, une belle drôlesse si vous voulez
tout savoir, pose avec tout le sérieux nécessaire la question qui l’a travaillée pendant tout
le long trajet depuis les plaines du far west :
« Est-ce bien vrai qu’il n’y a pas de civils à Berlin, Sir ? »
« Hmm, cela ne correspond pas exactement à la vérité, sergent-chef. A vrai dire, il y a des
habitants dans cette ville. »
« Des civils ? »
« Affirmatif. Des civils. »
« Merci, Sir. »
Au beau milieu du quartier américain se trouve le PX, équivalent de notre bel économat.
Le choix en vins n’est en rien comparable. Le rayon des t-shirts, sweatshirts, sacs à dos et
autres gadgets fabriqués aux US26, est infiniment plus intéressant.
Aujourd’hui, c’est encore une fois mercredi après-midi et la séance de sports se déroule
justement dans le quartier américain, en face du PX, près de la place principale, celle-là
même qui accueille la fête populaire germano-américaine au début juillet, à l’occasion de
la fête nationale d’outre-atlantique, comme vous l’aurez compris.
Pendant une semaine, on voit de tout dans les parages, de vrais cow-boys à cheval, des
Indiens échappés de leur réserve, des bidasses en uniforme gris-vert, silhouette d’athlète
et femme au bras aux allures de bibendum. Si c’est la femme qui sert sous les drapeaux,
c’est elle la sportive et son mari le macdo ambulant.
On boit de la très mauvaise bière, on mange des épis de maïs avec du beurre fondu et du
poulet grillé noyé sous le ketchup, on danse au son de la country music. L’Amérique.
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Au programme pour nous autres cet après-midi : Bowling. Le bowling, c’est pas mon truc.
Je vous l’ai déjà dit, ma main droite n’est pas terrible, suite à un sombre accident.
Quand je joue au bowling, j’ai à chaque fois la détestable impression que mes trois doigts
plantés dans la boule partent avec elle quand je la lance. Çà a beau n’être qu’une
impression, ça refroidit. Enfin moi, ça me refroidit sérieusement.
Comme si cela n’était pas suffisant, il y a cette musique de supermarché assourdissante.
Et un imbécile au micro qui met de l’ambiance. Ce brave homme n’a pas tardé à me
repérer :
« Le 3 va encore nous épater, regardez-le bien ! »
Le 3, bien sûr, c’est moi. Quand je tire pour la neuvième fois sans toucher la moindre
quille, il s’affole et promet la tournée générale en ricanant comme une hyène atteinte de
sénilité précoce :
« Si le 3 réalise un strike au prochain lancer ».
Autant dire que ce crétin qui ressemble à s’y méprendre à un maître-nageur de série B
californienne se paye ma tête.
Le dixième lancer est identique aux précédents : un zéro pointé, ce qui, entre nous soit dit,
n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire.
La tension retombe instantanément. Plus personne ne s’intéresse à moi, pas même le
débile dans sa cage en verre.
Il faut attendre le onzième frame, enfin le prochain lancer, pour que tombent dans
l’indifférence totale les dix quilles d’un coup, d’un seul, ce qu’on appelle un strike.
Quelques jours plus tard, alors que j’assiste fasciné à un pliage du Stars and Stripes selon
les règles de l’art, je me surprends à penser la chose suivante, tout bas bien sûr, comme il
se doit pour une incarnation vivante de la discrétion qui a bien l’intention de le rester
(vivante) :
« Mais comment se fait-il que les Américains ne s’entendent-ils pas comme cul et chemise
avec les Japonais ou à défaut au moins avec les Indiens (d’Inde, c’est entendu, les autres
sont eux-mêmes des Américains, faut-il vraiment vous le rappeler ?) »
Il faut être aveugle pour ne pas penser à l’art austère de l’origami alors que la bannière
étoilée, qui il y a un instant à peine claquait fièrement dans le vent, est repliée par une
poigne d’acier dans tous les sens pour finir par former un triangle parfait.
Et s’il ne s’agit pas là d’une grue stylisée, sans tête ni ailes, alors c’est certainement un
samosa garanti végétarien...
Mais ce qui m’impressionne le plus, c’est le comique involontaire de cette armée de
sauveurs de la planète.
Ainsi, un matin, entrant dans mon bureau, je tombe face à face avec Joe, sympathique
américain éminemment francophone et spécialiste de l’humour belge. Il tape à la machine
et me dit bonjour en souriant, comme tous les jours.
Mais, aujourd’hui, il est en tenue de combat, barda et armes au pied du bureau. Il a son
casque sur la tête et son masque à gaz à portée de main. Je lui demande ce qui se passe.
Il me répond doucement :
« Alerte rouge. Nos forces vont bombarder la Libye d’une minute à l’autre.»
« L’alibi ? »
« La Lybie ! Ils sont responsables de l’attentat de La Belle ! »
« Ah.»
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Réconciliés
Le traité de l’Élysée, celui-là même qui scelle la réconciliation franco-allemande - merci M.
De Gaulle ! Danke Herr Adenauer! - a trouvé à Berlin-Ouest, cette île franco-allemande
dans un océan d’amitié germano-soviétique, un terrain d’expérimentation idéal.
La première place dans la liste non exhaustive des institutions de ce secteur florissant
revient à la société franco-allemande (SFA), une vieille dame née dans l’Entre deux et
donc bien avant le fameux traité.
Peu après la fin de la première guerre mondiale, en signant le traité de Locarno, Aristide
Briand et Gustav Stresemann lançaient les bases d’une nouvelle phase de réconciliation
entre les deux pays.
La SFA vit le jour en 1928 et reçut dès le début le soutien de nombreuses personnalités
telles que Konrad Adenauer (déjà !), Albert Einstein, Otto Dix, Thomas Mann, Walter von
Molo, Georges Duhamel et André Gide... Excusez du peu !
Dissoute par les Nazis dès 1934, elle ne reprendra ses activités qu’en 1949 si l’on exclut
la période intermédiaire pendant laquelle une société fantoche avait vu le jour.
De nos jours, il va de soi que l’occupation de Berlin par les Alliés impose son empreinte à
la nouvelle société. Son siège principal est à la Maison de France, sur le Kudamm, soit au
centre ville (de Berlin-Ouest), mais en quartier britannique.
L’immense majorité des Français habitant au nord, comme par hasard dans le quartier
français, un Gruppe Nord a été créé, qui se retrouve au Centre Bagatelle, une belle villa à
Frohnau, banlieue huppée et boisée du quartier de Reinickendorf.
Et pour nous les bidasses comme pour la jeunesse ouest-berlinoise en général, il y a le
groupe des jeunes. Heureusement, car les rencontres du Kudamm sont bien
poussiéreuses à mon goût.
On y cultive le culte de la Grande Nation avec un sérieux très teuton. La France est à la
fois idéalisée comme le pays des Lumières, Ach, Fol-tè-reu! de la liberté, des arts et du
savoir-vivre et en même temps confinée à ce rôle de courtisane raffinée, perruquée,
poudrée et parfumée.
Personne ne semble pouvoir imaginer une seconde que dans ce pays féerique et irréel, on
puisse fabriquer des moteurs. S’ils savaient que plus d’une limousine, que dis-je, plus
d’une berline made in West-Germany est équipée d’un moteur gaulois 25 !
Le Gruppe Nord, c’est encore des vieux et en plus, ils sont perdus dans les bois. Ne reste
que le groupe des jeunes qui lui est très actif. A chaque nouvel arrivage de recrues, soit
tous les deux mois, il fait partie des rares associations qui vantent leurs prestations aux
nouveaux appelés dans la caserne.
Le groupe des jeunes organise quantité d’activités spécial bidasses, visites de la ville,
d’expositions, concerts...
Lors de la présentation au Quartier Napoléon, c’est souvent Claudia, une trentenaire bien
conservée, qui vante les charmes de l’amitié franco-allemande. Claudia a déjà beaucoup
donné de sa personne et elle continue à s’engager très personnellement.
Quelques mois plus tard, je ferai personnellement sa connaissance lors d’une soirée
culturelle.
25
Jusqu’à ce jour, les journaux allemands ne connaissent pas d’autre adjectif lorsqu’ils présentent à leurs fidèles
lecteurs les nouveaux modèles automobiles en provenance de l’hexagone.
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Après quelques mots anodins, elle me lance à brûle-pourpoint son invitation de femme
fatale :
« Viens chez moi. J’ai une grande baignoire. »
Je ne sais pas comment les jeunots du Quartier réagissent à cette offre alléchante (il n’y a
pas de baignoire à la caserne...), moi en tous cas, je pars dans un bruyant éclat de rire qui
me vaut un coup d’œil assassin à faire trembler un Corse. Par la suite, la belle Claudia
m’ignorera superbement.
Dans l’ensemble, ces soirées franco-allemandes sans prétention m’ont laissé un très bon
souvenir. Reflet de la situation loufoque de l’époque, ces rencontres sont un peu bancales.
La majorité des Français ont tout juste dix-huit ans, viennent des banlieues de la capitale
et ne parlent pas un mot d’allemand. La Philharmonie, même en carte postale, c’est pas
leur truc. Ce qui les intéresse, c’est les filles, les filles et encore les filles.
Ça tombe bien, les Allemands que nous rencontrons sont presque tous des Allemandes.
La plupart étudient, parlent bien, voire parfaitement, la langue de Molière et Jacques Brel.
Berlinoises, elles sont adeptes de l’amitié franco-allemande comme si c’était une religion.
Autant dire que la communication, bien que facile, est, à l’image de notre île urbaine,
pleine d’impasses qui donnent sur un mur infranchissable.
D’après les livres, juste après la guerre, la motivation des Berlinoises pour un
rapprochement avec des représentants de la troupe alliée était le plus souvent d’ordre
strictement matériel. Qui s’en étonnerait ?
Berlin-Ouest a depuis longtemps retrouvé la prospérité et ce cas de figure a disparu à
l’exception des professionnelles exerçant le soi-disant plus vieux métier du monde, un
commerce florissant aux abords du Quartier Napoléon.
Ces jeunes femmes, en général asiatiques ou européennes de l’est, n’ont rien contre ce
qui est französisch : c’est à la fois la nationalité de leurs meilleurs clients et aussi le nom
de l’un des services qu’elles proposent avec beaucoup de succès.
La disparité entre Français et Allemands n’est pas une exception mais plutôt la règle. Un
autre exemple est donné par le Lycée Français. Cette institution prestigieuse,
pluricentenaire car créée par les Huguenots peu après leur arrivée, propose un
enseignement bilingue à des élèves des deux pays.
Les jeunes Allemands sont triés sur le volet, il n’y a que des cracks. Pour les Français, le
critère de choix est plus simple, il suffit d’être en possession d’un passeport tricolore. Le
résultat, c’est que (pratiquement) tous les meilleurs élèves sont allemands.
Je profite de la situation et arrondis mes fins de mois en donnant des cours de maths,
physique... aux enfants des militaires de carrière. Ces enfants-là ne sont pas différents de
ceux à qui j’ai donné des cours le week-end pendant des années en Charente.
Les fréquents déménagements liés à la vie militaire n’ont certes pas facilité leur scolarité.
Là aussi, je suis habitué, beaucoup de mes anciens élèves étaient des enfants d’aviateurs
de la base aérienne de Cognac qui connaissaient le Tchad, Djibouti et la Guyane bien
mieux que la Grande Champagne.
Mais la cohabitation forcée avec des surdoués ne réussit pas aux Berlinois malgré eux. Un
de mes élèves me dira un jour, dégoûté :
« Qu’ils soient meilleurs que nous en maths, d’accord. (Dans son cas, ce n’était pas
franchement un exploit !). Mais, ils sont meilleurs que nous... en français... » (Soupir)
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L’un des évènements majeurs de l’agenda bilatéral est la Fête populaire francoallemande. Vous avez bien lu : populaire, ce mot est aussi galvaudé en ce haut-lieu du
capitalisme international que de l’autre côté du mur.
La fête en question est l’une des nombreuses frairies dont la population locale raffole. Plus
c’est kitsch, mieux c’est. Chaque année, on reconstruit en contreplaqué sur un terrain
vague en bordure de l’aéroport de Tegel quelques rues du centre ville d’une capitale
régionale de l’hexagone.
Pendant un mois se succèdent concerts de musique militaire, chorales et groupes
folkloriques. On n’échappe ni au défilé de majorettes, ni aux feux d’artifices et encore
moins au bal - il va de soi populaire - du 14 juillet.
Ma première visite de ce lieu bruyant et enfumé a considérablement élargi et qui plus est
pour toujours mon horizon gastronomique.
C’est que, au risque de vous faire croire que je ne m’intéresse qu’à mon estomac, j’avoue
que j’ai, ce jour-là, un petit creux, ou comme disait le grand Voltaire : « Ga26 ».
Comme tout le monde, je fais la queue, ça fait partie des attractions, et je finis par acheter
pour une somme modique une spécialité étonnante sinon unique : un cornet de frites
recouvert d’une généreuse portion de cuisses de grenouilles grillées assaisonnées au
ketchup ! Difficile de faire plus typique. Typiquement quoi ? That is the question.
La gastronomie joue, pas seulement pour moi, un rôle important. Beaucoup de Berlinois
font des pieds et des mains pour aller manger dans les restaurants des forces françaises.
Le plus chic de ces établissements est le Pavillon du lac. Je m’y suis rendu plusieurs fois
pour affaire, dans le cadre de mon dur labeur. La cuisine y est effectivement excellente.
Vient ensuite La passerelle, à la Cité Foch, moins luxueux mais quand même très bien
quoique le cadre soit plutôt impersonnel. Ici, c’est facile de venir en famille ou avec des
Allemands et les prix sont très raisonnables.
Il serait injuste et même tout simplement scandaleux d’oublier le restaurant du Foyer
Berthezène, tout proche de l’entrée principale. Cette cantine sans prétention, tremblant
sous les vrombissements des avions qui effleurent son toit avant d’atterrir juste derrière, a
accueilli des multitudes de bidasses en Begleitung, c’est à dire avec leur copine made in
West-Berlin.
Souvent, cette dernière y mange des escargots ou y boit du Beaujolais pour la première
fois de sa vie. En ce qui me concerne, je n’aime pas les escargots, qu’il s’agisse de
cagouilles charentaises, de lumas poitevins, de grosses bêtes de Bourgogne, de limaçons
de Provence ou d’escargots de vignes alsaciens !
Je fais juste une petite exception à Noël pour les escargots pralinés enrobés de chocolat
et encore pas n’importe lesquels.
Par contre, j’apprends à déguster et à apprécier les vrais Beaujolais, ceux qui ne sont ni
nouveaux, ni village, les Brouilly, Saint-Amour, Moulin-à-Vent et tous leurs potes. La carte
du Foyer du soldat est phénoménale et les prix sont ridicules.
Ici comme ailleurs dans la restauration officielle de l’administration française les Bougnats
sont rois. Et les Bougnats aiment le Beaujolais. C’est fou tout ce qu’on apprend à Berlin.
Les restaurants et les grands magasins de la ville sont très intéressés par les talents des
bidasses, du moins par les talents bien français.
26
Réponse du philosophe à l’invitation suivante du roi de Prusse :
P
à
ci
Venez
100
(Venez souper à Sans Souci. Réponse : Ga, soit : j’ai grand appétit)
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Lors d’une séance d’orientation professionnelle organisée à la caserne, on me regarde
avec pitié lorsque j’explique que je suis géologue.
Ce que l’on recherche, ce sont des pâtissiers, des sommeliers et autres cuistots. Le reste
de la troupe peut bien retourner en France ou aller au diable.
Les militaires essayent constamment de diversifier un peu l’image des Français auprès de
la population. C’est peut être la raison pour laquelle ils ont inventé les 25 km de Berlin.
Moi aussi, je participe presque volontairement à cette course à pieds qui finit en beauté
dans le stade olympique. J’apprends le vendredi soir que je dois courir le dimanche
suivant (C’est un ordre !).
Les chaussures achetées le samedi après-midi me sauvent la mise. Elles sont très chères
mais il était hors de question de courir vingt-cinq kilomètres sur le bitume avec les
abominables godasses fournies par l’armée.
Le lundi matin, je suis plein de courbatures, et j’ai les jointures en compote, mais je suis
fier d’avoir atteint la ligne d’arrivée en un temps raisonnable et sans même tricher. Pas
mal de bidasses trouvent en effet très futé de prendre le métro pour raccourcir le trajet.
Je n’ai jamais été un grand coureur. Pour cela, je n’ai ni la silhouette, ni la colonne
vertébrale, ni la passion nécessaires.
Il y a toutefois des choses étonnantes qui me motivent, par exemple s’il pleut à verse, si le
parcours est vallonné, bourbeux ou sablonneux ou, comble du luxe, s’il y a parmi les
concurrents un idiot notoire avec lequel j’ai un vieux compte à régler… Personne n’est
parfait.
J’ai, sinon gagné, du moins atteint une place honorable dans des courses organisées par
les clubs d’aviron et de rugby27 du sud-ouest lors de ma période sportive à Cognac.
Le cross annuel dans le parc François 1 er, celui d’avant la tempête de 1999, avec des
chênes pluricentenaires à perte de vue, de préférence après une bonne averse, et le tour
du lac de Bordeaux dans le sable, tels étaient jusque-là mes plus grands exploits du
genre.
A part les 25 km de Berlin, qui ne présentent, hélas, aucun de ces éléments motivateurs,
je participe bientôt à un cross dans les bois autour de la Waldbühne, juste à côté de
l’EMAB.
Le corporal Pennibal, un nostalgique du British Empire, qui a avalé un manche à balai
quand il était petit, et qui m’énerve toute la journée par son arrogance et sa profonde
bêtise, assis qu’il est en vis à vis de mon bureau, est plein de convictions inébranlables.
L’une d’entre elles stipule que lui, soldat de sa majesté aux chevilles ailées, fils de
général, est un grand coureur et moi pas. Mais où va-t-il chercher tout ça ?
Par chance, le sol est glissant à souhait, le fond de l’air frais. J’arrive troisième, loin
derrière les deux premiers, un Américain et un Français, deux sportifs hors pair. Mais une
bonne centaine de mètres avant mon insupportable collègue britannique qui doit encore
en faire des cauchemars, en tout cas je l’espère.
C’était sans compter sur mon sale caractère, ou, si l’on veut, sur mes compétences
athlétiques d’ordinaire cachées.
Dire que ce triste individu a quand même réussi à s’immiscer dans mon chapitre francoallemand ! Finalement, se pourrait-il qu’il fut jaloux ?
Jaloux ou pas, j’ai gardé le meilleur pour la fin : La Chorale franco-allemande de Berlin !
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Et même si « L’aviron, c’est pas du ru(g)by ! », comme disait mon entraîneur préféré au CYRC au siècle dernier
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La Chorale franco-allemande de Berlin28 !
Bien sûr, je suis allé à la chorale pour y faire plus ample connaissance de K., cette belle
blonde aperçue un soir pendant les classes comme en rêve.
Mais une fois de plus je ne vous apprends rien... Mes débuts à la chorale, enfin mon tout
début, comme spectateur, vous connaissez déjà 29.
Aussi commencerai-je mon récit en pleine répétition, un mardi soir de septembre. Les
répétitions, ou Chorproben, ont lieu dans le Centre culturel français de Wedding, à
quelques centaines de mètres de la porte principale de notre centre de villégiature.
La chorale de Berlin a été la première d’une bonne douzaine de chorales francoallemandes créées au fil des ans. L’idée en revient à un jeune diplomate français en poste
à Berlin en plein boum élyséen. Bravo Bernard !
Michael, le chef, est un Berlinois francophile grand amateur de chansons et de folklore. Le
niveau exigé de la part des bidasses est très bas. Tant mieux pour moi.
C’est l’échange humain qui prime sur la qualité intrinsèque de la musique. Ce n’est pas
moi qui m’en plaindrais, car j’ai grand besoin des deux !
Après quelques timides essais, je me retrouve basse. Comme tout le monde ou presque,
je dois être baryton. Mais comme beaucoup de barytons, je suis encore plus mauvais
comme ténor que comme basse.
La partie des ténors est d’ailleurs généralement plus raffinée que celle réservée aux
basses qui jouent le rôle ingrat de bouche-trou. Dans le meilleur des cas, ils chantent la
note qui manque pour compléter l’accord.
Le reste du temps, ils sont un ersatz de fortune pour la rythmique absente. Leur
vocabulaire indigent, composé de lala, tata et autres boumboum inlassablement répétés,
plonge instantanément chanteur et auditeur dans la période bénie de la prime enfance.
Blagues et Meckereien 30 mises à part, j’aime ça. Y compris et surtout les chants de noël
bretons à l’irrésistible candeur naïve.
Nous chantons un peu de musique classique : Brahms, Schütz... et beaucoup de
chansons du répertoire francophone.
Une fois de plus ce déséquilibre... C’est à croire qu’il n’y a pas de musique classique
française ni de chansons allemandes !
A la fin de la répétition, nous nous retrouvons pour boire ensemble un pot dans un petit
resto très sympa, Gulliver, situé dans le parc du Rehberge tout proche.
Certains d’entre nous, qui ont rejoint la répétition depuis le bureau ou le supermarché où
ils travaillent, en profitent même pour prendre un dîner tardif.
La chorale, ce n’est pas exclusivement l’expérience partagée du chant, c’est des
rencontres, des voyages, des bouffes à la bonne franquette, c’est une nouvelle famille.
Qui aime autant danser que chanter.
28
http://www.dfc-berlin.de/
Cf. “L’ours de Berlin », p. 19
30
« Rouspétances », spécialité berlinoise qui serait d’origine huguenote
29
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Qui eût cru qu’il fallait aller en Prusse pour danser sans complexe la bourrée auvergnate
et l’an dro ? Ou pour chanter à tue-tête La java bleue, Le temps de vivre et La langue de
chez nous dans les caves de la Harnack House après les concerts de noël alliés sous l’œil
ébahi des Ricains ?
Pas étonnant que la chronique matrimoniale bilatérale fasse un malheur. C’est bien
simple, s’il y avait autant de couples franco-allemands à l’échelle des deux pays que dans
ce cocon douillet, il y aurait de quoi remplir la Belgique et même le Luxembourg.
Au cas où les nouveaux arrivants, les jeunes choristes des deux camps, auraient des
doutes, le couple présidentiel est là pour donner un exemple sans équivoque.
Jean-Jacques était bidasse quand il a rejoint le groupe. Sa femme Christiane est l’une de
ces ouestberlinoises conquises par l’art de vivre des Franzosen. Déjà, la relève est en
marche.
A la chorale, je rencontre des Berlinois d’âges différents, issus de milieux variés. Tous ne
maîtrisent pas à la perfection l’idiome de Racine et Coluche, mais tous partagent le même
enthousiasme juvénile du plaisir d’être ensemble.
C’est promis, un jour quand je serai vieux, j’écrirai un livre rien que sur la chorale francoallemande de Berlin qui l’a bien mérité.
Plus de vingt ans après et bien que je ne chante plus, faute de temps, sauf sous la
douche et encore, pas souvent et faux en plus, je rencontre régulièrement de nombreuses
connaissances de cette époque, à commencer par mon épouse, que je vois tous les jours
quand je ne suis pas en mission à l’étranger, à Paris, par exemple.
Mais revenons si vous le voulez bien au Berlin du temps du mur, lorsque tout était encore
possible.
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Réconciliés ?
Au moment de quitter le bureau, le commandant Dublanc me fait part du message suivant
comme si de rien n’était, à mi voix et sans lever les yeux de son bureau :
« Ce soir, il vaut mieux éviter la caserne et ses abords. »
« Merci, mon Commandant ! »
Sur ce, il s’éloigne dignement en direction de la sortie.
J’ai dû rêver. J’ai entendu des voix. Au moins une. Que peut-il bien arriver ce soir ? Une
chute de météorites ? En plein sur le Quartier Napoléon. Ce serait plutôt rigolo. Disons
cocasse.
Déjà, à la fin avril, après une splendide journée estivale, nous avons pris une sacrée
saucée juste avant de franchir la porte de notre établissement communautaire. Il était tard
et nous sommes allés nous coucher à peine essuyés.
Le lendemain, nous avons appris à la radio que notre douche de la veille était radioactive
car arrivant tout droit de l’est, juste après l’accident, la big connerie de Tchernobyl.
Ce soir, tous les potes sont d’accord : Le message est clair, ce soir, c’est la fête au
Quartier. La grande fête surprise. Alerte maximum.
Trois minutes pour enfiler son treillis, embarquer sac-à-dos et descendre en cataracte les
escaliers pour aller récupérer son FAMAS à l’armurerie au sous-sol. Puis regroupement
devant la porte du QG, embarquement dans les camions et en route pour les bois de
Berlin by night ! Ambiance et insomnie garanties.
Nous fonçons au Quartier, enfilons nos fringues civiles plus vite que si l’alerte avait déjà
été donnée et nous nous éparpillons dans la nature, chacun pour soi, car les groupes de
jeunes rasés causant le français sont vite repérés par les rabatteurs.
Moi qui fuit ainsi sciemment le service de la patrie, il est vrai sur les conseils de mon très
sérieux chef, qui soit nous aime bien, soit n’a pas envie de nous entendre ronfler au
bureau toute la journée de demain, je vais vivre sans le vouloir une expérience digne des
grandes épopées de l’antiquité.
Tout commence dans la banalité la plus extrême. Je prends le métro direction centre-ville
et me fais tout petit dans un coin.
Trois bidasses montés en même temps que moi ne laissent aucun doute sur le fait qu’ils
sont moins bien informés que votre narrateur au sujet de l’orage qui se prépare à la
caserne.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule différence entre eux et le brigadier-chef Bouzac en cavale.
Ces trois individus au crâne luisant ne perdent pas une seconde et repèrent deux jeunes
beautés locales avec lesquelles ils se mettent aussitôt à blaguer.
C’est sûrement comme ça qu’ils appellent leurs braillements très au-dessous de la
ceinture.
Comme trop souvent dans ces cas-là, personne ne s’intéresse à la question. Je ne suis
pas vraiment chaud non plus. Je n’ai aucun intérêt à me faire remarquer à côté de ces
débiles.
Rien de tel pour rejoindre au plus vite la partie de plaisir en plein air !
Mais leurs victimes, des jeunettes timides qui ne connaissent de toute évidence pas une
seule des splendides images poétiques utilisées par ces brutes, ont quand même très bien
compris le message, assez direct, je le reconnais.
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Gênées, elles rougissent d’une oreille à l’autre, ce qui ne décourage en rien nos
conquérants au contraire plutôt aguichés.
Le plus grand des trois passe alors à l’acte et donne une brutale accolade à l’une des
deux filles. Elle étouffe mal un cri.
Sans me lever et même sans le savoir, je m’entends dire d’une voix ferme qui ne tolère
aucune contradiction à mes trois lamentables compatriotes :
« Vos cartes d’identité militaire ! »
Avantage indiscutable de l’armée, quand l’autorité se manifeste, vraie ou fausse, cela n’a
aucune importance, elle est en général respectée.
Les trois loups se transforment en agneaux et me tendent leurs cartes sans le moindre
commentaire.
J’examine sans les voir les cartes tricolores avec l’air le plus sérieux du monde, puis
j’annonce à la ronde, toujours avec cette voix piquée à John Wayne :
« Asseyez-vous et laissez les civils en paix ou vous aurez affaire à moi ! »
Deux jours plus tard, en sortant de bonne heure du QG pour aller chercher au garage le
Kombi, c’est ainsi que nous appelons notre minibus Volkswagen, je passe tout près du
centre d’entraînement des commandos. Cette formation légendaire a de nombreux
adeptes.
Certains, y compris dans les troupes alliées, se font muter à Berlin dans le seul but de
faire un jour partie des heureux élus du Rambo Club.
Les apprentis sauvages sont en tenue de combat camouflée. Ecrasés par d’énormes
sacs-à-dos, ils sont regroupés au pied du parcours aérien, première étape du parcours
d’obstacles, et écoutent attentivement leur instructeur.
Parmi la quinzaine de gorilles, j’en remarque trois qui ne sont pas très concentrés et
préfèrent se raconter des bêtises entre eux, sans doute pour se motiver mutuellement.
Ils sont vite rappelés à l’ordre par l’instructeur qui « n’a pas l’intention de se répéter à
cause d’une poignée de bavards » (je traduis pour vous).
Du coin de l’œil, je suis la scène depuis l’autre côté de la route et je reconnais tout à coup
les trois vainqueurs de l’autre soir en quête de chair fraîche.
A partir de ce jour, spontanément, je change de trajet pour me rendre au garage, évitant
les abords du centre d’entraînement. Je n’ai plus jamais revu ces trois atrophiés du
cerveau.
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This wall will fall31
Mercredi 3 juin 1987
Cet après-midi, pendant la réunion de service, nos chefs nous apprennent que, la semaine
prochaine, vendredi, nous devrons tous venir en tenue civile légère au bureau.
« C’est un ordre ! ».
Croient-ils bon de préciser.
« Comme pour aller à la pêche ! »
Répète le gros major Smith, tout fier de sa bonne blague. A chaque fois qu’il entend ça, le
commandant Dublanc lève les yeux au ciel.
« … à la pêche…, à la pêche ! »
L’entend-on murmurer.
« Comme à la pêche ! Je vous jure, ces Américains… Pourquoi pas comme à match de
base-ball pendant qu’on y est ? ».
A la fin du briefing, il précise que la tenue légère doit être correcte, British, s’avance-t-il en
espérant un soutien insulaire - un peu comme un uniforme d’été, mais en civil.
« Nous prendrons ensemble un bus de ville qui nous sera réservé. Un bus jaune comme
les autres bus de la BVG, sauf que celui-ci ne s’arrêtera pas en chemin. Mais ça,
personne ne le saura. »
« Nous irons à une rencontre alliée de première importance. En plein air. Pourvu que ce
foutu temps berlinois ne nous fasse pas de blague ! Nous occuperons les premiers rangs,
juste derrière les officiels qui ne logent pas sur la tribune.
N’oubliez pas d’applaudir ! Et tenez vous bien ! Mais, ayez l’air décontracté… Vous êtes
censés être des Berlinois enthousiastes. Des Berlinois de l’ouest venus rendre hommage
à leur cher US President. »
Enthousiastes et anglophones. C’est bien connu, les Berlinois sont des grandes gueules,
mais des grandes gueules polyglottes ? Cette dernière remarque n’est pas officielle. C’est
moi, le brigadier-chef Bouzac en personne, qui pense tout bas en retournant dans mon
bureau. Encore un remake du Ische ben en Bärlinä 32 en perspective ?
Je remplis quelques bons de commande pour du matériel de bureau, mon occupation
favorite. Pas d’armée sans stylo. Je vérifie qu’il reste assez de ce terrible café instantané
américain et de son inséparable compagnon, nommé creamer, pour d’ici la fin de la
semaine.
Dans la réserve, les étagères sont pleines de gigantesques boîtes bleues métalliques
d’Instant Coffee et de petits verres bruns à couvercle blanc comme la poudre magique
qu’ils renferment.
Tout est bon ? Non, il n’y a plus de sucre. Que serait cette fabuleuse boisson cafépoudres-eau chaude sans sucre ?
Je passe une commande et effectue quelques autres de ces tâches qui font honneur à la
présence alliée à Berlin.
Puis, je dis au revoir au détestable Corporal Pennibal, à Joe, et à notre chef commun,
l’énigmatique et très sévère Commandant Dublanc.
31
32
“Ce mur tombera” Ou : “Good job Mr. Robinson ! C’est lui qui a écrit le discours.
Extrait du discours d’un autre Mr. President de passage à Berlin et soi-disant berlinois (Il voulait dire au monde :
« Je suis un Berlinois »)
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Dans le couloir de l’EMAB, je salue furtivement la farouche Sergent Black. Cette Beauty
bien nommée au visage austère et à la silhouette parfaite ne prend les Blancs au sérieux
qu’à partir du grade de colonel.
Dommage ! C’est du moins ce que je pense. Comme d’ailleurs la poignée de French
bidasses chargée d’assurer à l’état-major allié la communication interculturelle, comme on
dit dans les livres, ce que j’apprendrai beaucoup plus tard.
Et je repars au Quartier Napoléon en Kombi, le minibus qui est sous ma responsabilité et
dont je suis le principal conducteur. J’y fais très attention depuis un accident qui m’a causé
bien des problèmes.
La loi est la même pour tous. Sauf exception. Ainsi, quand un véhicule allié piloté par un
bidasse rencontre d’un peu trop près un véhicule civil, c’est toujours le conducteur du
premier qui a tort. C’est qu’on les chouchoute nos chers civils.
La moindre connerie et hop, le bidasse se retrouve à Münsingen – ne pas confondre avec
Göttingen ! – quelque part dans le sud-ouest. Comme figurant dans l’immuable
souab’opéra les grandes manœuvres.
J’irais bien y faire un tour dans leur Sud-ouest. Histoire de comparer avec le mien. Et de
voir enfin de mes propres yeux Heidelberg et Tübingen !
Vendredi 12 juin 1987
En fait de tourisme, c’est Berlin et toujours Berlin qui est au programme. Et même pas à
l’Est cette fois-ci. Juste sur la frontière. Devant la Porte de Brandebourg. Difficile de rater
le rendez-vous. D’autant qu’on n’est pas franchement seuls.
Ce matin, dans la cour de l’Etat-Major Allié de Berlin, le bus annoncé nous attendait.
Déguisés en civils, nous sommes montés en rangs, deux par deux. Avec nos coiffures pas
très variées. Et au pas. Je ne sais plus qui a crié :
« Rompez les rangs ! ».
Sans aucun effet.
Le trajet de l’Olympia Stadion jusqu’au centre a duré une éternité. Il y avait un flic dans
chaque arbre. Deux dans les grands. La police berlinoise et des polices militaires de
toutes les couleurs.
La première est redoutable. Je me rappelle la frayeur qu’ils m’ont faite, un jour où, seul
dans mon Kombi (réglementaire ça ?) je traversais les bois tout près de l’état-major
américain et me retrouvai soudain en pleine manœuvre, en pleine guerre ???
J’avais beau chercher au fond de ma cervelle, je ne connaissais pas ces uniformes. Ni
alliés, ni de l’équipe adverse ! Des martiens ? C’était bien la peine d’avoir appris par cœur
les uniformes d’une douzaine d’armées toutes armes confondues…
C’était tout simplement la police de réserve ouest-berlinoise qui faisait prendre l’air de la
forêt de Grunewald à ses blindés de combat urbain. Ils auraient pu prévenir ! D’autant
qu’ils étaient plus nombreux que nous. Avec des treillis du meilleur effet.
Notre bus se fraye un chemin parmi la foule amassée dans la Rue du 17 juin 33 et nous
dépose tout près de l’estrade fièrement dressée devant la Porte de Brandebourg.
Nous prenons place devant à droite, dans les deuxième et troisième rangées, dans l’ordre
et avec une discipline toute prussienne.
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Ainsi nommée en souvenir du soulèvement populaire de 1953 à Berlin-Est, et dans toute la RDA, écrasé dans le sang
par les chars soviétiques
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Derrière nous, la foule afflue toujours. Fait la queue devant les stands enfumés. Curry
Wurst ou purée de pois cassés ? A cette distance, pas moyen d’être sûr. Cela n’a
d’ailleurs aucune espèce d’importance. Nous devons impérativement rester à nos places.
Les haut-parleurs nous font partager chaque instant de l’arrivée du héros.
« Il vient d’atterrir » …
« Il arrive au Reichstag » …
« Il s’approche ».
Lorsque enfin, il arrive pour de vrai et monte prestement les marches du podium, 25 000
berlinois, authentiques pour la plupart, l’acclament comme une pop star.
Mr. President prend la parole pour une demi-heure de sermon. Il parle d’histoire,
d’histoires. Cite Marshall, Khrouchtchev et von Weizsäcker 34. Tout d’un coup, il s’adresse
à l’inventeur de la nouvelle transparence et le met au pied du mur :
« If you seek peace…, Mr. Gorbatchev, tear down this wall35 !»
Les plus enthousiastes des reaganomaniaques n’en croient pas leurs oreilles ! Il a osé…
Il continue en rêvant tout haut. Nouveaux couloirs aériens, Jeux olympiques à Berlin, Est
et Ouest…
Pourquoi pas. Quoi que, les Jeux olympiques à Berlin… si vois voulez mon avis, ce n’est
pas forcément la meilleure idée pour rassurer les voisins.
Quand aux couloirs aériens, je les connais bien. Et les déteste sincèrement. Je n’arrive
toujours pas à comprendre comment, après plus de quarante ans, aucun avion allié n’a
été abattu par les Soviets.
C’est que le service de sécurité des vols, situé quelque part à Kreuzberg dans une belle
maison à colonnades, nous appelle toujours en pleine nuit.
A chaque fois qu’il y a du retard ou qu’un avion s’est écarté de la route autorisée. C’est à
dire très souvent. Et qu’ils attendent du bidasse français endormi - le gradé américain ou
britannique dort ou, pire, regarde un tournoi de basket à la télé - une réaction au quart de
tour : identification du couloir et de l’appareil, hauteur de vol… Tout ça en anglais,
américain, texan, pidgin English ou autre dialecte apparenté.
J’en fais des cauchemars la nuit suivante. En toussant la plupart du temps. La salle de
duty est une vraie glacière.
Nos téléphones multicolores ne supportent pas le climat berlinois, paraît-il. S’ils avaient lu
Tucholsky, - et oui, encore lui ! - ils sauraient que ce dernier, le climat berlinois,
évidemment, réputé mauvais, n’existe tout simplement pas. Ou qu’il incarne à lui tout seul
la spontanéité faite loi.
Mais, nous n’en sommes pas là. Ronald W. Reagan, président américain admiré et
détesté, c’est selon, nous fait le coup de « Berlin, ville de l’amour » et réchauffe la légende
de la croix géante qui trône sur la boule de la tour de la télévision, à Berlin-Est.
Ronald finit en beauté. Citant un graffiti :
« Lu sur un mur du Reichstag, vraisemblablement l’œuvre d’un jeune berlinois : This wall
will fall! »
Juin 2004
Amis Berlinois, Mr. President vient de s’éteindre. Soyons honnête, ceux qui y ont cru et
ceux qui étaient contre tout, cette fois-là, le Cow-boy avait raison.
34
35
Dire qu’il y a des gens qui ne savent pas qui est ce génial Monsieur.
« Si vous voulez la paix, Mr. Gorbatchev, rasez ce mur ! »
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A lier
Le monde des forces alliées présentes à Berlin est plein de surprises. Pas une journée
sans expérience nouvelle. C’est Confucius qui serait fier de moi !
Je sors de mon bureau en route pour le bureau des traducteurs auxquels j’ai une question
à poser. Je suis presque arrivé lorsque la porte d’entrée de l’EMAB s’ouvre sans prévenir.
Un uniformisé du troisième type entre. Nous échangeons un regard scrutateur. Son
uniforme gris est couvert d’étoiles dorées.
Incapable d’étiqueter cette apparition hollywoodienne, je ne réfléchis pas plus longtemps,
je me mets au garde-à-vous, salue sans grande conviction et bredouille quelque chose du
genre :
« Mes respects,... mon général ! »
Le général en question se marre comme un fou.
« Tu as raison petit, je suis bien général. Mais je suis surtout aumônier de l’armée belge.
Laisse tomber les saluts. »
Dit-il en s’éloignant dans les profondeurs de l’état-major, un large sourire sur les lèvres.
Ce soir, c’est la première de mes « Soirées de chants de noël alliées ». Je suis
doublement impliqué, comme éminent chanteur de la chorale franco-allemande de Berlin
et comme organisateur, l’EMAB, étant chargé de la réalisation de cette mesure de
relations publiques à l’égard de la population.
Nous chantons à l’église cassée. C’est le nom peu respectueux que donnent les Français
à la ruine de l’ancienne Kaiser-Wilhelm-Gedächtnis-Kirche, église transformée en
mémorial pour les victimes de la (seconde) guerre (mondiale).
Les Berlinois ne valent pas mieux, qui appellent le clocher tronqué de cette même église
la dent creuse.
Mais là n’est pas la question. Devant moi se dresse tout à coup l’un de mes supérieurs en
tenue d’apparat. Interloqué comme je le suis, ce sympathique passionné de voile me fait
l’immense honneur de m’expliquer la signification de sa tenue.
Ecossais, il fait partie d’un clan existant depuis le douzième siècle. L’un de ses ancêtres
était parmi la poignée de nobles d’Ecosse, ceux-là même qui assistèrent impuissants au
tragique destin de Macbeth. Jusque-là, je suis. Bien qu’il ait renoncé pour l’occasion au
port du Kilt, la bande de tissus fixée à son couvre-chef ne laisse aucun doute sur ses
origines nordiques. D’ailleurs son pantalon est du même tissu.
Mais ce qui attire mon attention, c’est une véritable patte de tigre (empaillée ?) trônant sur
son épaule gauche. Le Colonel R., m’explique, un sourire un peu condescendant sur les
lèvres :
« Ceci est en souvenir de mon ancêtre le Colonel R. qui a gagné la bataille de X. au
Royaume des Indes. L’impératrice lui a remis ce trophée en remerciement ».
Logique, en effet. Il se retourne alors et se penche élégamment en me montrant du doigt
son pied gauche, comme il ferait pour une œuvre d’art dans un musée :
« C’est un peu comme pour cet éperon d’argent. Celui-ci a été remis en mains propres par
sa majesté le roi d’Ecosse James II à mon ancêtre en reconnaissance de sa bravoure à la
charge de S., en 1452 ».
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Après cet échange pour moi fort instructif, la preuve, c’est que je ne dis rien, nous
retournons chacun de son côté vérifier que les derniers préparatifs pour le concert ont été
réalisés conformément aux consignes.
Nous sommes invités chez le chef de l’Etat-Major Allié, à Dahlem. Car notre chef est un
colonel américain, remarquable à plus d’un titre. Le Colonel Dylan est polyglotte et parle
couramment le français et l’allemand.
L’ensemble du personnel de l’EMAB est invité à une sympathique soirée barbecue dans le
jardin de la villa du patron en bordure de la forêt de Grunewald. C’est l’été, depuis des
jours il fait une chaleur étouffante avec des températures dépassant les 35 degrés.
Nous sommes tous en tenue légère. La météo a annoncé un rafraîchissement brusque.
Mais où irait-on si l’on commençait à croire les prévisions météo ?
Très vite, dès que le soleil disparait derrière les cimes des arbres, le thermomètre descend
en dessous de la barre des dix degrés. Vous avez bien lu.
Dans ma splendide chemisette en nylon à manches courtes, je gèle. Je rentre dans la
maison du Colonel, histoire de me réchauffer.
J’ai déjà rendu visite à plusieurs gradés, mais là, je suis très surpris par l’aménagement de
la salle de séjour. La pièce est remplie d’art moderne, tableaux, sculptures, catalogues
d’exposition.
Plongé dans l’un des catalogues, je sens une présence dans mon dos. C’est le colonel qui
me demande ce que je pense de ces œuvres. Il me parle de l’exposition et de l’artiste, un
ami de longue date.
J’observe mon supérieur, discrètement, il va sans dire. Avec ses yeux bleus très doux et
sa voix posée, il passerait lui-même pour un artiste, pour un enseignant ou un chercheur.
Mais il est en uniforme et je m’attarde un moment sur l’emblème qui orne sa chemise. J’ai
déjà vu ça quelque part, mais où ?
Quelques jours plus tard, par hasard, j’aurai la réponse à ma question, au cours d’une des
fameuses soirées vidéo du QG.
La tête de cheval noire de l’uniforme du Colonel est la même que celle que portent les
héros du film Apocalypse now.
C’est le symbole des forces spéciales aéroportées, celles-là mêmes qui ont mitraillé
depuis leurs hélicos quantité de villages de brousse au Vietnam.
L’adjoint du chef de l’EMAB est français. Il collectionne les vieux tapis, les vieux livres. Je
passe un temps fou avec lui à Berlin-Est à faire les brocantes. Nous ne passons pas
inaperçus et sommes constamment pris en photo par nos amis d’en face. Chacun
collectionne ce qu’il peut.
Un jour, nous ramènerons dans la voiture, choisie spécialement pour l’occasion, un piano.
Le gendarme de service au Checkpoint Charlie, jette le coup d’œil réglementaire dans le
coffre, salue et dit, étouffant un fou rire :
« Tout est en ordre. Mes respects mon Colonel ! »
Le Colonel est plutôt sympa avec les bidasses. Dommage qu’il soit infect avec sa
secrétaire, une franco-irlandaise aussi mignonne et susceptible que fière de son
indépendance.
Le Colonel amateur d’art ancien n’a rien à envier à son homologue américain, amateur
d’art moderne, lui il était para en Algérie.
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LE Mur
LE Mur, cet amas de béton étrangement appelé Rideau de fer en dehors de Berlin, je le
connaissais déjà avant de rejoindre la double capitale allemande pour y effectuer mon
service (inter)national.
La première fois, je l’ai vu lors des vacances de Pâques 1978 que j’avais passées dans
une petite ville près de Hanovre, dans le cadre d’un échange paroissial protestant. Mes
fans sont au courant.
Un week-end, nous avions, par un temps splendide, fait une excursion en bus dans le
Harz et observé la zone frontalière grillagée et armée depuis une plateforme en rondins
construite à cet effet.
La plateforme se trouvait en pleine forêt de conifères, le soleil brillait, les oiseaux
chantaient, notre groupe d’ados doublement mixte : français et allemands, filles et
garçons, s’amusait beaucoup.
La vision extrêmement banale de ce qui aurait pu être n’importe quelle caserne ou prison
ne nous a pas sérieusement impressionnés. Comble du désintérêt, je me souviens mieux
des vêtements que nous portions ce jour là que du fameux rideau de fer !
Ma deuxième visite du mur m’a beaucoup plus marqué, sans doute parce qu’elle s’est
doublée d’un passage de l’autre côté.
Pendant l’été 1984, j’accompagnais mes parents en route pour le premier rallye
international de camping en Europe centrale ouvert à des participants venus du monde
non socialiste.
Le rallye se tenait sur la mer Baltique, en Pologne. Venant de Charente et après avoir
rejoint un groupe de campeurs dans les plaines céréalières alsaciennes, nous devions
traverser la RDA de long en large : du point de passage sur la frontière germanoallemande, au sud-est, sur l’autoroute Munich – Leipzig, jusqu’à Szczecin, au nord-est du
pays.
Au premier poste frontière, nous avons fait la queue pour obtenir un visa de transit pour
nous et notre chien. Le chien, un boxer comme on en voyait très peu à l’époque dans la
zone soviétique, était passible de diverses redevances et d’une visite médicale vétérinaire.
A ma grande stupéfaction, personne ne jeta le moindre coup d’œil ni au chien, ni à ses
papiers, ni même à celui qui le tenait en laisse. La seule chose qui comptait, c’était les
Valuten, les devises étrangères.
Cette obsession capitaliste de base me parut profondément déplacée dans cette
installation militaire aussi laide que froide.
Au guichet des visas pour bipèdes, j’eus la preuve définitive que ma première impression
était la bonne.
Devant moi, un retraité français de notre groupe, ancien prof d’allemand, demanda
poliment s’il était possible de changer 100 DM en monnaie est-allemande.
« C’est possible. »
Lui répondit-on sans sourciller et sans le regarder derrière la vitre. Le retraité remit alors
100 DM à l’uniformisé. Ce dernier compta à voix haute :
« 100 DM à …, voilà qui fait …. Mark ».
Le fonctionnaire fit soigneusement un petit tas de billets de banque est-allemands.
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Prenant tout son temps, il compta et recompta la somme, puis ouvrit un tiroir et y lança la
liasse de billets et les pièces, avant de proférer :
« Au suivant ! ».
« Mais… »
dit le retraité...
« Vous ne m’avez pas donné mon argent. »
« Vous êtes en transit sur le territoire de la République Démocratique Allemande. Vous
n’avez pas le droit de posséder des Mark ! »
« Mais je vous ai demandé avant. »
« Vous m’avez demandé s’il était possible de changer de l’argent. »
« Quelle est la différence ? »
« Changer, c’est permis. Posséder, c’est interdit. C’est pourquoi j’ai changé votre argent et
vous l’ai aussitôt confisqué ! Conformément au règlement. »
«…»
L’ancien professeur resta un instant planté là, ne sachant quoi dire. Finalement, il se
retourna et quitta le guichet à grands pas en direction de sa voiture.
Là, j’ai compris que le mur, ce n’était pas rien que du béton, des fils barbelés, des mines
et des patrouilles.
Comme je suis un incorrigible optimiste, doublé d’un naïf ne connaissant pas la honte, j’en
ai aussitôt conclu qu’un système aussi stupide était automatiquement condamné à
disparaître à très court terme.
Lorsque, quelques mois plus tard, au printemps 85 pour ne rien vous cacher, je rédigeai
un rapport pour présenter les résultats de six mois de laborieuses recherches effectuées à
l’Université d’Aix-la-Chapelle, pour lesquelles j’ai d’ailleurs bien failli recevoir le prix Nobel,
soit dit en passant, je me crus obligé d’orner la couverture dudit rapport d’une petite carte
d’Allemagne, partant du principe qu’en Charente, personne n’avait jamais entendu parler
de la première capitale européenne.
Cette carte dessinée au Rotring d’un trait sûr m’attira bien des commentaires. C’est que
j’avais représenté l’Allemagne comme un bloc composé de la RFA et de la RDA, le tout
sans la moindre frontière entre les deux états.
A la question :
« C’est quoi ça ? »
que me posèrent de nombreux collègues allemands ébahis, je répondis sans broncher :
« L’Allemagne. »
« Mais, il y a deux Allemagnes ! »
« Pas pour longtemps ! »
«…»
Moi qui avais nié jusqu’à l’existence du mur, j’étais maintenant bien placé pour savoir qu’il
ne s’agissait en aucun cas d’une légende.
Pendant les classes, par un temps glacial et un soleil blafard, j’ai participé à une seule et
unique patrouille le long du mur, à Lübars, en bordure d’une zone naturelle protégée.
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Nous n’avions pas le droit de nous approcher, car si le mur se trouve comme il se doit en
territoire est-allemand, il est séparé de la frontière politique avec l’ouest par une bande de
terrain large d’environ deux mètres destinée aux patrouilles de la NVA, l’armée nationale
populaire. Au point où on en est, pourquoi pas une armée populaire?
Nous autres soldats des forces alliées de l’ouest - c’est nous les bons ! - devons respecter
des règles très strictes. Il nous faut saluer les gradés soviétiques comme nos propres
chefs, sous peine de punition.
Mais il nous est par contre formellement interdit de saluer les représentants de la NVA,
armée inexistante aux yeux des Occidentaux, sous peine… de punition. Vous aviez
deviné.
Une fois rendu à l’EMAB, c’en est fini des patrouilles.
Pourtant le Mur est plus que jamais présent dans ma vie quotidienne. Pendant mes
nombreuses missions en Kombi, seul la plupart du temps, je finis régulièrement par me
perdre.
En dernier recours, je fais demi-tour devant la bête en béton, dinosaure endormi, et tente
ma chance dans l’autre direction.
Pendant les services de nuit, on nous appelle à chaque fois qu’il y a un incident au Mur.
La plupart du temps, l’incident a lieu du côté ouest.
Les soldats de la police des frontières de la NVA ont capturé un artiste en herbe en train
de graffiter le rempart antifasciste ou un ivrogne en train d’alléger sa vessie sous les feux
des projecteurs.
Planté là, imperturbable, il pisse comme je pleure… sur les communistes infidèles. Suivant
l’heure, c’est parfois notre tour de prévenir la police militaire du secteur concerné.
A plusieurs reprises, l’incident s’est malheureusement traduit par la mort violente, voire par
le massacre de plusieurs civils est-allemands essayant de fuir Berlin, Ville de la Paix 36.
En 86-87, la plupart des traîtres, hommes, femmes et enfants, ont été abattus dans leur
voiture alors qu’ils essayaient de forcer un point de passage.
Mais le Mur, ce sont aussi ces histoires d’espions qui ont fait couler un peu de sang et tant
d’encre. Le service d’espionnage allié se trouve juste à côté de mon bureau.
La plupart des officiers et encore plus les bidasses affectés à l’intelligence se prennent
pour des héros.
La suite montrera clairement qu’ils avaient bien peu de raisons de se monter la caboche.
L’espionnage, c’est un business comme un autre. Et de toute évidence, Russes et EstAllemands sont beaucoup plus doués que nous. C’est vrai qu’ils y mettent les moyens.
Et que dans une ville comme Berlin, les secrets, s’ils existent, ont la vie courte. Les Alliés
emploient des milliers de civils pratiquement tous allemands. Allez donc savoir qui travaille
pour qui ?
D’ailleurs qu’y a-t-il d’anormal si, à la fin d’une longue journée au bureau, le lieutenant B.
raconte sa journée à sa femme alors que tous les deux font la queue devant la caisse de
l’économat ?
Cette scène répétée des milliers de fois tous les jours, ici et un peu partout dans le
secteur, est une source intarissable d’informations en tous genres.
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Ce slogan pour le moins provocateur et bien théorique orne plusieurs murs du centre de Berlin-Est.
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C’est un peu comme l’orpaillage. Qui sait être patient et trier le vrai du faux finit tôt ou tard
par découvrir une pépite.
A côté de ça, nos espions font figure d’amateurs. Ils parcourent la RDA dans des voitures
blindées et prennent des photos pendant les défilés du 1 er mai.
Je me suis porté volontaire pour exercer mon indéniable talent de photographe dans ce
cadre historique. Mais le responsable français, le capitaine H., a refusé.
Il ne m’a pas pardonné d’avoir refusé son invitation à lui rendre visite dans ses
appartements pour contempler ses estampes japonaises.
Faute d’informations, nos espions voient de dangereux agitateurs à la solde de Moscou à
tous les coins de rue.
Le soir, en général le week-end, nous autres bidasses de l’EMAB nous rendons en métro
dans les bistrots branchés de Kreuzberg. Pour économiser temps et argent, nous y allons
parfois en uniforme et nous nous changeons dans les toilettes.
Il n’est pas rare que des tracts traînent sur les tables ou les caisses de bière renversées
qui les remplacent.
Tout y passe, depuis la lutte anti-impérialiste classique en passant par des boycotts variés
et des manifs organisées contre tout et n’importe quoi.
Quand le lendemain, voire plusieurs jours plus tard, nous apprenons au bureau qu’un
dangereux groupuscule appelle à la révolte au nom de…, information classée
confidentielle qui n’est autre que le pâle résumé du dernier tract lu entre deux Weizenbier,
nous nous amusons bien.
La notion même de confidentialité est difficile à prendre au sérieux. Pendant les réunions
de l’Etat-Major français, il arrive que je sois chargé de passer les diapos pour le colonel de
l’EMAB.
Comme tout ce qui est dit est très secret, je dois rester en dehors de la pièce.
Je passe donc les diapos depuis une espèce de lucarne prévue à cet effet. Mais gare à
moi si je rate le bon moment pour chaque diapo !
Tendant l’oreille et tordant le cou pour ne rien manquer de la réunion, j’ai souvent
l’impression d’être le seul à prêter une telle attention à des discussions somme toute bien
banales.
On y apprend qu’au cours du mois passé, comme d’ailleurs les mois précédents, trois
Russes ont été surpris en train de photocopier des documents en plein milieu de l’étatmajor.
A l’entrée principale de la caserne, les bidasses de garde font tout ce qu’ils peuvent pour
empêcher les intrusions. Sans raison apparente, ils recalent des soldats en prétendant
que leurs papiers ne sont pas en règle.
Ces enfoirés ont été jusqu’à abattre de sang froid un bidasse français en train d’escalader
le mur après une balade nocturne… Comment font les Russes ?
Cela ne nous impressionne pas pour autant et nous prenons un malin plaisir à entrer en
présentant carte d’étudiant, de membre du club de tennis ou tout ce qui nous tombe sous
la main. Le pire, c’est que ça marche presque tout le temps !
Les Russes sont assurément étudiants ou sportifs.
Les Américains eux, contrôlent tout le monde et tout véhicule comme s’il était sur le point
de faire sauter tout le quartier. C’est fastidieux, mais au moins on sait à quoi s’en tenir.
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Parmi mes rares tâches un peu sérieuses, il y en a une qui consiste à ouvrir le coffre-fort
de notre département le matin et à le refermer le soir ou dans la journée en cas d’absence
prolongée.
La boîte aux trésors est en métal sombre.
Chaque jour, je prends un malin plaisir à tourner dans tous les sens le bouton en attendant
le déclic final comme dans un film de cambrioleurs. Sauf que je connais la formule par
cœur.
Mais une fois ouvert, le coffre-fort ne révèle rien d’extraordinaire. Quantité de documents
classés y sont empilés comme dans une vulgaire armoire.
Je m’acquitte minutieusement de mon travail matin et soir jusqu’au jour… où, tirant les
tiroirs un par un après avoir ouvert la porte blindée, je m’aperçois qu’il manque un
document.
Non pas qu’il s’agisse des plans de défense de la ville, mais le résultat ne se fait pas
attendre. On fouille tous les bureaux de fond en comble, étagères, bureaux, armoires, rien
n’est épargné.
Je suis interrogé à plusieurs reprises et par plusieurs de mes supérieurs. Je dois répéter
dans le détail mon emploi du temps de la veille au soir à partir du moment où le
commandant Dublanc m’a dit, comme tous les soirs :
« Bouzac, fermez le coffre ! ».
On a beau remuer ciel et terre, le document disparu ne refait pas surface pour autant. Ce
qui est troublant, c’est qu’aucun autre document ne semble manquer.
D’autre part, le coffre était fermé en bonne et due forme ce matin…
Qui pourrait ouvrir le coffre, retirer le document et refermer en toute tranquillité la
porte sans que cela ne se voie ? Personne, ou plus précisément deux personnes, mon
chef et moi.
Or, nous avons tous les deux de très bonnes raisons de penser que, ni l’un, ni l’autre surtout l’un - n’est le coupable recherché.
En fin de journée, je referme le coffre sous le regard attentif du commandant. Nous nous
quittons en échangeant quelques monosyllabes.
Le lendemain matin, j’ouvre à nouveau le coffre et vérifie aussitôt quelque chose : le tiroir
qui abritait le document disparu est plein à craquer, le document manquant se trouvait en
haut de la pile.
Et s’il était coincé, collé à la face inférieure du tiroir situé juste au-dessus ?
« Bouzac, vous êtes un génie ! »
Évidemment, personne n’a prononcé ces mots qui expriment pourtant une vérité profonde.
C’est donc tout bas que je me les dis. Le document disparu était bel et bien coincé là ou je
l’avais imaginé la nuit dernière.
Étendu sur mon lit au QG, je n’avais pas pu fermer l’œil tant que je n’avais pas trouvé une
explication plausible à la disparition du document classé.
A propos, le document en question était le dessin ayant reçu le premier prix suite à un
concours très médiatique organisé pour la première fois pour l’affiche de la prochaine
parade alliée…
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Une autre fois, vers la fin de mon service, j’ai l’honneur indicible de participer activement à
des grandes manœuvres interalliées dans le secteur américain.
Je fais la navette entre l’EMAB et le quartier général des manœuvres dans un bunker
perdu dans la ville fantôme et approvisionne les chefs en café, sucre et creamer, ma
spécialité.
La première fois que je vois tous les chefs alliés en pleine action, je crois que c’est une
blague. Mais ce n’est pas le genre de la maison.
Tout ce beau monde, en uniforme de combat bien entendu, s’affaire autour d’une grande
maquette en carton qui occupe tout le centre de la pièce et rappelle un peu le décor que
j’avais installé il y a bien longtemps à la cave pour mes trains électriques.
Sauf que le paysage n’est pas très varié, on n’a même pas pris soin de représenter les
bosses sableuses parsemées du champ de manœuvre. Et qu’il n’y a pas de train
électrique.
Sur des tableaux en papier, les officiers complètent fébrilement des listes au fur et à
mesure que les nouvelles du front arrivent par téléphone : chars et véhicules de transport
blindés détruits, soldats morts ou blessés.
Par souci de réalisme, la fumée provoquée par les tirs est schématiquement matérialisée
par des boules de coton. La guerre électronique propre n’a pas encore fait son apparition.
L’objectif des manœuvres est connu de tout le monde : tenir assez longtemps face aux
Soviets en surnombre pour que les chasseurs et bombardiers alliés en alerte sur les
bases les plus proches puissent atteindre Berlin et donner à ces vauriens la leçon qu’ils
méritent.
Dans le scénario le plus optimiste, nos troupes tiennent une heure, au plus deux.
Je contemple la maquette entre-temps remplie de coton lorsque le colonel français de
l’EMAB m’interpelle :
« Fiston, j’ai oublié un truc au bureau… »
dit-il en baissant la voix, se retournant pour vérifier que personne ne l’a entendu.
« Tu retournes au bureau, tu me rapportes la photocopieuse et le coffre-fort. »
«?»
« Tu n’y arriveras pas tout seul, tu réquisitionnes qui tu trouves pour t’aider à monter tout
ça dans le Kombi. »
Je repars seul, pas franchement enthousiasmé à l’idée de promener le coffre-fort d’un
bout à l’autre de Berlin (Ouest).
Arrivé à l’EMAB, je me retrouve dans les bureaux déserts à l’exception du service de
garde. J’explique à ces braves gens ce dont j’ai besoin.
L’idée de transporter la photocopieuse et le coffre-fort dans le minibus les enchante à peu
près autant que moi.
A force d’efforts surhumains, on n’est pas là pour bayer aux corneilles ! tout est prêt. Les
deux gars me souhaitent bonne route et retournent devant leur télé.
Vingt minutes plus tard, je suis pris dans un bouchon. Il fait chaud mais je n’ose pas ouvrir
les fenêtres. Seul à bord, je suis condamné à couler avec mon vaisseau en cas d’avarie...
Mais là n’est pas le problème. Le problème, c’est qu’il n’y a pas que des affiches pour le
prochain défilé allié dans la boîte en fer.
Si j’étais les autres, je le saurais depuis longtemps et ne résisterais pas à la tentation
d’aller cueillir la chose là où elle est.
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Mais je fantasme. Personne ne s’intéresse à moi ou à ma cargaison. Ils ont sans doute
déjà tous les documents en copie. Avec un peu de chance, ils ont eux-mêmes écrit les
originaux... Là, ça sent la déprime.
Toujours fabulant, j’imagine l’effet de l’annonce par la BZ 37, en couverture naturellement,
des plans d’évacuation de la ville en cas d’agression par la bête orientale. Croyez-moi,
l’image des intrépides protecteurs de la démocratie ne sortirait pas indemne d’une telle
aventure.
Le bouchon se dissout, je suis bientôt devant la porte d’entrée de la Ville fantôme. Une
fois passé le poste de contrôle, je démarre en trombe en mettant le cap droit sur le QG.
C’est sans compter sur le fait qu’ici, c’est la guerre. J’évite de justesse une collision avec
un gros char américain (70 tonnes !) qui me coupe la route au détour d’un monticule de
sable. Chauffard!!!
Dans sa tourelle, le mitrailleur de service me jette un coup d’œil incendiaire. Encore un qui
sous-estime la valeur de ma mission et les vertus du code de la route.
Je me gare dans un nuage de poussière devant l’entrée du bunker. A l’arrière du minibus,
je vérifie l’état de la photocopieuse qui a fait un vol plané lors de la rencontre inopinée
avec l’ami-ricain. Tout a l’air en ordre mais je n’arrive pas à remettre sur ses pattes la
machine, qui est lamentablement étendue sur le dos comme la bête à Kafka. Je vais
chercher du renfort à l’intérieur.
La maquette en carton est littéralement recouverte de coton. Une véritable avalanche. Ou
plutôt une hécatombe.
Le colonel m’aperçoit et se contente de dire, un sourire de héros fatigué au coin des
lèvres :
« Tu es là fiston. T’en as mis du temps ! La guerre est finie. Tu peux ramener tout le bazar
au bureau ! »
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Le „Ici Paris“ local
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Incident diplomatique au Pergamon Museum
Comme presque tous les mercredi après-midi, j’ai quitté l’État-major pour me rendre en
mission à Berlin-Est, histoire d’approfondir ma connaissance de l’ennemi, tout en évitant
par la même occasion la séance de tir hebdomadaire.
Pendant les classes, j’ai largement eu l’occasion de constater que le plus dangereux lors
de cet exercice n’était pas tant, comme on pourrait le penser, le maniement d’armes et de
munitions de guerre, pratique courante au Quartier Napoléon, mais bel et bien le fait que
notre belle armée de conscrits est pleine d’individus irresponsables, à peu près aussi à
l’aise un FAMAS chargé dans les mains, qu’armés de baguettes devant un bol de soupe
aigre-douce au restaurant chinois CHANG, près de Kurtschu 38.
Lors de l’une de ces inoubliables séances de formation à la vie militaire, la seule, la vraie,
tout en me concentrant sur le sujet, j’avais été surpris par la face verdie de notre aspirant,
issu tout droit de sa Vendée profonde et d’ordinaire fier représentant d’une famille servant
consciencieusement l’Église et l’Armée depuis les Gaulois…, notre aspirant qui regardait
bouche bée un petit voyou de banlieue parigote lui pointer sur l’abdomen son arme
chargée et momentanément enrayée, le bidasse n’ayant rien trouvé d’autre pour exposer
son problème à son supérieur.
Curieusement, cet incident me fit à l’instant prendre conscience du fait que la cible que je
visais avec plus ou moins de succès avait la forme sans équivoque d’un être humain.
Je ne connaissais pas alors Kurt Tucholsky ni sa redoutable accusation :
« Soldaten sind Mörder! » soit « Les soldats sont des assassins ! ».
Et pourtant, je décidai spontanément d’éviter à l’avenir cette activité pour le moins
douteuse, surtout pour un pacifiste se croyant convaincu, ne serait-ce qu’en mémoire de
mon grand-père paternel Gaston.
Gaston, qui avait refusé de combattre pendant la première guerre mondiale, a parcouru
l’Europe jusque dans les Balkans, d’un champ de bataille à l’autre.
Brancardier, il allait chercher les blessés entre les lignes. Plus d’une fois, on le
complimenta pour son courage et plus d’une fois, on le réprimanda parce qu’il s’occupait
aussi des victimes ennemies.
Chanceux, il survit physiquement à l’horreur des tranchées. Mais, il ne s’est jamais remis
de ce traumatisme et d’avoir connu de si près la folie des hommes.
Rétrospectivement, je peux me vanter d’avoir pleinement tenu mon engagement à
l’abstinence.
Après dix huit mois de service et à l’exception de l’incontournable mois de classes déjà
cité, en grande partie passé dans les bois et sur les lacs gelés, par un froid sibérien qui
avait réussi à impressionner mes Kameraden alsaciens, pourtant bûcherons, je n’ai plus
jamais participé aux séances de tir.
Tant et si bien que, lorsqu’à la veille de ma libération, on me demanda de fournir les
preuves de mon assiduité au tir, c’est à dire tout le contraire de mes activités de tire-auflanc, le gradé responsable, après avoir tout d’abord cru que je lui mentais effrontément
(comme c’était mal me connaître !), prit sur lui d’inscrire dans mon dossier que j’avais suivi
dix séances de tir, soit le minimum obligatoire, afin d’éviter, dit-il dans sa moustache, tout
problème pour moi et … nos supérieurs.
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Kurt-Schumacher-Platz dans le jargon des bidasses. Les Berlinois authentiques, eux, disent « Kurtschi ».
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Pour les bidasses de l’EMAB, le mercredi après-midi est consacré, comme nous l’avons
vu, soit à la découverte des sports préférés des alliés, soit à des missions à Berlin-Est,
soit, en dernier recours, aux fameuses séances de tir avec le gros de la troupe à la
caserne française.
Je l’avoue, j’apprécie plutôt ces après-midi sportives interculturelles pendant lesquelles les
différences entre bidasse et officier, jeune et moins jeune, allié et protégé s’estompent
presque au point de disparaître.
Mais, ma préférence va sans conteste aux missions à Berlin-Est, Capitale de la
République Démocratique Allemande.
Pour nous, il s’agit d’accompagner, comme l’exige le règlement, suite à des disparitions
plus que suspectes, des officiers français, le plus souvent pour aller faire un tour standard
de Berlin-Est comprenant une visite furtive des principaux monuments, une séance
beaucoup plus longue d’un shopping parfois étonnant (fringants soldats de Napoléon en
porcelaine de Meißen, trains électriques, pyramides de Noël en bois de Thuringe… et pour
les plus curieux : vieux livres en français chez les antiquaires improvisés au fond des
arrière-cours…) et finissant inéluctablement dans l’un des quelques restos chics, Ermeler
Haus, Moskau… réputés autant pour leur caviar servi en saladiers sur lit de glace que
pour la multitude de micros cachés sans fantaisie aucune sous les tables.
Le monument le plus visité est le musée de l’autel de Pergame, le Pergamonmuseum. La
plupart des visiteurs, en tous cas de mes visiteurs, quel que soit leur grade et à priori leur
niveau d’éducation, ne voient là qu’une perte de temps dans un programme chargé,
comportant, comme nous l’avons déjà vu, nombre de points autrement plus intéressants.
Mais il n’est pas question de perdre la face, ou de (se) mentir, on visitera le musée, quitte
à se contenter de zieuter pendant cinq minutes le fameux autel et lui seul, avant de quitter
en courant l’imposant édifice pour d’autres aventures.
Notre globetrotteur pourra alors dire, sans avoir à rougir, avec un regard plein de sousentendus :
« J’ai fait le Pergame ».
Après tout, ce bâtiment monumental a été construit pour et autour de l’autel de Pergame
qui a ainsi la bonne idée d’occuper et même de remplir à lui tout seul la première salle
juste à l’entrée.
Depuis le début de mon service, j’ai visité une bonne dizaine de fois le Pergamon à la vatrès-vite et quelques fois de manière plus approfondie.
Cette visite printanière est, à plus d’un titre, exceptionnelle.
J’accompagne un collègue et ami américain, Joe Karriott. Bien qu’étant mon supérieur
hiérarchique – ce qui, il est vrai, n’est pas dur - Joe, francophile et francophone notoire,
me traite quasiment d’égal à égal et m’a proposé d’aller visiter ensemble le grand musée,
qu’il n’a toujours pas vu, faute d’avoir traversé le rideau de fer, excursion rare, car prise
très au sérieux, chez les Amis comme les Berlinois nomment les Américains de manière
pas toujours très amicale.
Au péril of our lifes nous franchissons, dans la grosse limousine à Joe, le Checkpoint
Charlie, en plein centre de la ville, là ou le quartier multiculturel de Kreuzberg, au sud et à
Berlin-Ouest, rejoint le quartier chic des années 20, Mitte, au nord et à Berlin (Est).
Tout près de l’hôtel de ville, il y a un attroupement au carrefour suite à un accrochage. Le
conducteur inattentif d’une Ford scorpio avec une immatriculation ouest-allemande vient
de heurter l’arrière d’une Trabant qui s’est très prudemment arrêtée à un feu pas encore
entièrement rouge. Le pare-chocs de la Ford est à peine égratigné, la Trabant est bonne
pour la casse.
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Si vous voulez mon avis et si la qualité des voitures a quelque chose à dire sur la santé de
l’économie du pays, alors la RDA n’en a plus pour longtemps !
Nous sommes en uniforme de sortie d’été, et arborons tous deux la splendide pucelle de
l’EMAB, qui, je vous le rappelle une dernière fois, c’est promis, représente les drapeaux
français, américain et britannique enlacés... dessin appliqué, couleurs fades et triomphe
discret des vainqueurs et protecteurs du monde libre.
La seule vue de cette pucelle rarissime transforme instantanément de nombreux officiers
de passage, tout particulièrement les plus gradés qui sont aussi souvent les plus âgés, en
petits enfants têtus prêts à tout pour acquérir ce joujou précieux qui manque à leur
collection.
Mais le port de cet insigne militaire est nominal, limité à la trentaine de personnes en poste
à l’EMAB et la vente en est strictement interdite, du moins officiellement.
Je connais un bidasse peu scrupuleux qui s’est rapidement enrichi sur le dos de ces
collectionneurs passionnés.
Le secret de son succès est double : doté d’un culot colossal, il possède un autre don qui
l’a déjà sauvé de nombreuses fois de punitions sévères et lui a même permis de gravir les
échelons militaires à une vitesse inversement proportionnelle à son mérite.
L’abominable Boulano, pour ne pas le nommer, est capable de dénoncer n’importe quelle
personne innocente sans sourciller et surtout d’inventer à chaque fois une nouvelle
histoire plausible pour expliquer la disparition de sa pucelle (j’allais dire flambant neuf,
mais par égard à Jeanne…) toute neuve.
Et dire qu’il y a des gens qui croient qu’à l’armée, l’imagination et la fantaisie sont mal
vues !
Une fois au musée, nous admirons longuement le très bel autel de Pergame, la non moins
fantastique porte du marché de Milet et beaucoup d’autres merveilles provenant de sites
mythiques tels que Ninive, Assour et Babylone…
Après avoir visité l’aile droite du musée renfermant les collections antiques moyenorientales, nous retournons sur nos pas, traversant une nouvelle fois la salle de l’autel de
Pergame pour nous rendre dans l’aile gauche du bâtiment. Pour cela, il faut passer par
une salle de taille moyenne, du moins par rapport à la précédente, remplie de hautes
colonnes grecques et autres temples en kit, avant de tourner sur la gauche dans l’étroit
couloir qui mène aux salles remplies de statues.
C’est là que, profitant de la semi obscurité, l’ennemi communiste a bien failli déclencher la
troisième guerre mondiale, pour une broutille.
Mais ne suffit-il pas d’une broutille pour déclencher une guerre ?
Retournons si vous le voulez bien à notre couloir mal éclairé : d’un coup, d’un seul, je suis
brusquement stoppé dans mon élan de défenseur du monde libre, retenu par quelqu’un,
quelque chose ? à l’épaule droite.
En y regardant de plus près, plus aucun doute n’est permis. Mon fier insigne des Forces
Françaises de Berlin est bel et bien pris en otage par le non moins fier insigne du régiment
inconnu d’une Polonaise en uniforme qui arrivait en sens inverse et ne sait visiblement pas
trop, elle non plus, comment réagir face à cette agression inattendue, la forte tête de
l’OTAN s’en prenant à l’enfant terrible du Pacte de Varsovie ou vice versa ?
Au début, chacun de nous, l’inconnue et moi, très sérieux, essaie de se libérer en reculant,
en haussant les épaules ou de défaire le nœud par des contorsions diverses, tout cela en
tentant de garder un air impassible.
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Rien à faire, les liens historiques entre la France et la Pologne sont plus forts que nous !
Souriants mais plutôt gênés, nous finissons par renoncer à contrecœur à résoudre seuls le
problème, tandis que la foule, dans notre dos, ou plutôt dans nos deux dos, commence
sérieusement à s’impatienter.
Joe s’y met à son tour, unissant ses efforts à ceux de la collègue ou amie polonaise de
celle qui m’a cloué sur place.
Comment en suis-je arrivé là ? Pas du tout fasciné par la soi-disant magie de l’uniforme, je
suis probablement une fois de plus victime de l’irrésistible charme des Polonaises ?
Malgré le blocus de ce passage hautement stratégique du célèbre musée, cet accrochage
méconnu de la Guerre Froide (période finale, dite réchauffée) prend fin après dix bonnes
minutes d’efforts communs dans une ambiance cordiale bien qu’un peu crispée, car nous
redoutons tous une éventuelle intervention extérieure : police(s) militaire(s), Stasi et autres
gentils animateurs, ponctuée par les grognements des visiteurs piétinant autour de nous,
car incapables de goûter la dimension dramatico-historique de l’instant.
Le soir, de retour à la caserne, je recouds l’un des coins de l’insigne de ma veste de
sortie, lequel pendait lamentablement suite à son héroïque intervention au-delà des lignes
ennemies.
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Hélicos pa ruski
Les Russes n’ont pas froid aux yeux. On les trouve partout où ils n’ont rien à faire. Le plus
fort, c’est leur sempiternelle vengeance pour le dynamitage des tours de la radio de Tegel
par les Français.
De temps à autre, toujours en pleine nuit, un hélicoptère russe atterrit en toute tranquillité
sur l’aéroport de Tegel, tout près de l’endroit ou se dressaient les fameuses tours jusqu’à
la fin des années quarante. Les moteurs sont en marche, l’hélice continue de tourner au
ralenti. A l’intérieur de l’hélico, trois bidasses vérifient l’heure sur leur montre. Ils causent
pour passer le temps :
« Je parie qu’il n’en viendra que deux ! »
« Évidemment, le troisième est en réparations ! »
« Et puis le lieutenant D. est en vacances, son remplaçant a la grippe. Ça devrait pas être
brillant… »
Pour une fois, les experts ont raison. Dans un épouvantable bruit de ferrailles, un AMX
s’approche tous feux allumés de l’hélico.
Les Russes notent méticuleusement le numéro du char tricolore sur leur bloc-notes et le
temps qu’il a mis à venir depuis son garage de l'autre côté de la route. Ils saluent
l’équipage du blindé, s’amusant follement comme si cette blague de potaches était
nouvelle et repartent comme ils sont arrivés, en prenant tout leur temps.
De leur côté, les bidasses tricolores photographient l’hélico, notent son numéro et
retournent à leur garde. Les portes métalliques se referment. La nuit berlinoise peut
continuer.
Il est beaucoup plus rare de voir un hélico de guerre en plein jour... Ce mercredi aprèsmidi, je suis une fois de plus en mission à Berlin-Est. Nous faisons un tour dans les
arrière-cours, comme toujours. Le colonel achète quelques vieux bouquins en français, la
routine quoi.
Je l’accompagne en tant que chauffeur de la grosse Opel noire, mais il préfère conduire
lui-même, comme toujours. Magnanime, je le laisse faire. C’est qu’il a une manière très
personnelle d’envisager la conduite en ville. Et il me le prouve une fois de plus. Il vient
d’apercevoir, dans le ciel, tout près de nous, un hélicoptère qui survole la ville à basse
altitude.
« Un Mi-24V !!! Un hélico soviétique du type utilisé en Afghânistân. J’en n’ai jamais vu de
mes propres yeux… tu vois les mitrailleuses à l’arrière ?… »
Tout excité, le Colonel continue ses commentaires techniques sur les missiles et autres
accessoires équipant cette grosse bête affreusement bruyante. Entre-temps, mon
chauffeur est à moitié passé par la fenêtre de sa portière, il gesticule à la Louis de Funès,
parle sans interruption et ne quitte pas des yeux l’apparition.
Moi non plus, jusqu’au moment, ou regardant devant moi, je m’aperçois que nous sommes
sur le trottoir de la Friedrichstraße. Nous sommes tout près du point de contrôle.
Heureusement, car c’est la raison pour laquelle les trottoirs, comme d’ailleurs toute la rue,
sont absolument vides.
L’hélico s’éloigne lentement en suivant la ligne du mur du côté est. Le Colonel redescend
sur terre et la voiture sur la route. A défaut de pouvoir continuer de faire le portrait de
l’ennemi, il se demande dans ces termes sans équivoque :
« …ce que ces.... de Soviets peuvent bien foutre en plein centre ville avec cet engin de
guerre ».
Je n’aurais pas fait mieux.
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Rencontres insolites
Aujourd’hui, c’est la journée Portes ouvertes au Quartier Napoléon. C’est la deuxième fois
que j’y vais, aussi je sais ce qui m’attend : un monde fou, de la musique militaire, la
fameuse chorale franco-allemande de Berlin, des montagnes de merguez, des tonnes de
frites, des bataillons de baguettes toutes chaudes sortant de la boulangerie de campagne
et... des boudins créoles. Autant dire que ça vaut le coup, d’autant que c’est gratuit ou
quasiment.
Cette année, j’y vais avec deux nouveaux amis dont j’ai fait connaissance à la Société
franco-allemande. René est musicien, que dis-je, compositeur, Sylvie est de passage à
Berlin…
Elle n’aime pas trop parler des raisons de son séjour. En fait, elle accompagne son petit
ami qui est élève gendarme à Berlin. Or, à la gendarmerie, il est formellement interdit de
suivre son copain, ou sa copine sur le lieu de sa formation.
Si les autorités militaires s’aperçoivent de sa présence, la carrière de l’élu de son cœur
prendra fin sur le champ, tous deux seront sommés de quitter la ville sur l’heure.
On comprend que, dans ces conditions, Sylvie soit la discrétion même. Elle évite comme
la peste de rencontrer tout uniformisé, ce qui n’est pas une mince affaire à Berlin-Ouest,
dans le secteur français, qui plus est quand on ne parle pas un mot d’allemand…
Tous les trois, nous marchons en discutant en direction de l’entrée latérale qui fait face à
l’aéroport. Il fait beau, le Kurt-Schumacher-Damm est presque vide.
Tout d’un coup, alors que nous venons d’atteindre la courbe qui marque plus ou moins le
milieu du trajet entre les deux portes, nous remarquons à une centaine de mètres devant
nous une voiture de l’armée française qui s’arrête brusquement sur le bord de la route.
Un gradé en uniforme descend du véhicule léger tous terrains. Il porte une grande
enveloppe brune sous le bras et regarde autour de lui d’un air méfiant. A ce moment, une
camionnette russe vert olive se gare juste derrière la première voiture.
Là aussi un gradé descend, mais celui-ci n’a d’yeux que pour son collègue d’outre-mur. Le
Français remet son enveloppe au Russe qui lui tend en échange un sac en toile. Ils se
regardent en silence l’espace d’un instant et subitement se retournent tous les deux dans
notre direction.
Comme par miracle, l’officier russe a maintenant un appareil photo avec téléobjectif et
nous prend en photo sans gêne aucune.
Interloqué, je me retourne vers mes amis et suis à nouveau surpris. Sylvie regarde les
deux officiers bouche bée. Jusque-là, rien de très inquiétant. Mais René, lui, n’a rien
trouvé de mieux à faire que de sortir de son sac un appareil photo, bien sûr avec télé, et
de mitrailler les deux conspirateurs.
Je regarde à nouveau les deux officiers disparaître en coup de vent dans leurs véhicules.
Quelques secondes plus tard, les deux voitures passent en trombe devant nous. Le
Français est seul à bord et nous ignore superbement.
Les Russes sont deux. Celui qui est assis à droite du chauffeur continue à nous tirer le
portrait comme si nous étions des stars et lui un paparazzo.
Bientôt, le calme revient. Pas un piéton en vue, pas même de l’autre côté de la chaussée.
Quelques bagnoles fendent l’azur sans nous voir.
Nous sommes toujours plantés là et c’est moi qui romps en premier le silence :
« Qu’est-ce qu’on fait ? »
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« Rien en ce qui me concerne ! »
Crie René plus qu’il ne le dit.
Sylvie regarde le sol devant elle. Il ne faut pas compter sur elle. Mais pourquoi René ? Je
lui pose la question. Notre compositeur se lance dans des explications rocambolesques. Il
serait en mission secrète suite à des mésaventures avec le contre-espionnage roumain...
Pas la peine d’insister. Le problème, c’est que nos amis d’en face ont déjà toute une
collection de portraits de mon humble personne. Pour eux, c’est un jeu d’enfants de
m’identifier.
Nous décidons de nous séparer, de ne pas nous voir dans les prochains jours et de
prétendre ne pas se connaître si l’on nous pose la question.
Ayant perdu toute envie de me rendre aux Portes Ouvertes, je rentre seul à la caserne par
l’entrée principale et me rends au QG, ou plutôt dans le bâtiment qui abrite les dortoirs des
planqués servant aux états-majors français et allié.
Depuis peu, j’ai quitté le dortoir à cinq lits pour emménager dans une chambre double que
j’occupe tout seul. Car mon coloc, J., un beau mec parlant admirablement l’allemand dort
chez sa copine berlinoise. Je ne le vois qu’au bureau et encore.
Bien sûr, je ne suis pas aussi beau que lui, mais grâce à mon invincible charme naturel, je
suivrai bientôt son exemple et protégerai au plus près un exemplaire choisi de la
population ouest-berlinoise.
Le résultat est une fois de plus inattendu : l’une des rares chambres doubles du QG il y en
a deux !), et donc très convoitée, n’est habitée la plupart du temps que par nos deux
bardas qui dorment, sages comme des images, au fond des armoires métalliques.
Je m’étends sur mon lit, sans pour autant réussir à me calmer. La république n’est
probablement pas en danger, mais je ne peux pas garder cette histoire pour moi. D’abord,
ce serait bien la première fois que je garderais un secret. Comme espion, je serais
franchement nul.
On frappe à ma porte. Les Russes sont déjà là ? Mais non, c’est Christian, mon voisin, qui
m’annonce tout fier que la prochaine séance vidéo commence d’une minute à l’autre.
Vidéo, c’est beaucoup dire.
Du plus bleu des troufions à nos éminents sous-offs, tout le monde ne regarde que des
films de guerre, pour la plupart des films américains sur la guerre du Vietnam.
La plupart de ces films sont nuls. La série des Rambo en est le prototype. Mais parmi les
films de guerre, les plus célèbres et les plus appréciés par la troupe, y compris la vraie,
celle qui fait vraiment la guerre, sont bizarrement très souvent des films pacifistes pas
idiots.
C’est le cas de Apocalypse now, de Voyage au bout de l'enfer ou du tout récent Full metal
Jacket. Qui sait, quand on les regarde souvent, peut-être qu’on s’habitue ?
Nous avons aussi un cinéma au quartier, L’Aiglon. L’indigence du programme contraste
cruellement avec le nom ronflant. En dix-huit mois de séjour, je n’ai vu qu’un seul film,
mais je ne l’ai pas regretté, c’était : Out of Africa. Mozart dans la brousse, un peu kitsch
certes, comme dirait mon papa, mais superbe.
Pas moyen de dormir pendant la nuit suivante. Je rêve en Kodakolor de toutes sortes de
suites possibles à la rencontre d’hier après-midi. Finalement, je me réveille en sursaut et
en sueur et décide dans la pénombre d’aller consulter le commandant Dublanc dès mon
arrivée au bureau demain matin, après le petit-déj quand même.
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Là, je me rendors d’un sommeil profond dont je ne sortirai qu’au moment de l’inhumaine
déchirure de la sonnerie du réveil.
Je me lève, vais prendre une douche, m’habille et me rends à pied à l’autre bout de la
caserne pour y récupérer le Kombi.
Quand je reviens dix minutes plus tard au QG, mes trois acolytes interprètes attendent en
silence sur le trottoir. Ils montent dans le minibus, claquent la porte coulissante et
commencent aussitôt à raconter leur sortie de la veille dans les bars de Kreuzberg.
Je ne dis rien, ce qui est plutôt rare, mais personne ne semble s’en apercevoir.
Arrivés à l’EMAB, je gare le Kombi où je peux, car la place qui lui est officiellement
réservée est occupée par une grosse Volga noire qui arbore le drapeau rouge. Comme
tous les matins, nous allons à la cantine prendre notre breakfast presque réglementaire.
Puis, nous traversons le long bâtiment pour aller à l’EMAB. Sonnerie électrique, contrôle,
la porte s’ouvre.
« Morning ! »
Notre groupe se sépare automatiquement, chacun entrant dans son bureau.
La porte de la pièce où travaille le commandant de mon service est entrouverte. Je frappe
discrètement. Il se retourne vers moi et me salue, comme toujours affable.
« Mon commandant, j’ai une question... »
A peine ai-je commencé à raconter mon histoire qu’il me fait signe de m’interrompre.
« Je vous prends un rendez-vous chez X, le chef du service de contre-espionnage du
secteur français. Vous lui raconterez tout ce que vous savez, à lui, et à personne
d’autre ! »
« Merci mon commandant ! »
Je me remets au travail, saluant comme tous les jours mes collègues britanniques et
américains qui ne tardent pas à faire leur apparition.
J’ouvre le coffre-fort. Je fais du café et vais récupérer le courrier du jour.
Je suis chargé de répertorier les revues techniques arrivant à l’EMAB. Ces magazines en
papier glacé n’ont rien à envier aux plus luxueux des catalogues.
De la première à la dernière page, ils vantent sans complexe les chars d’assaut denier cri,
des missiles sol-sol, sol-air... ou tout simplement des mines anti-personnel
particulièrement innovantes.
Comme l’espionnage, la guerre, c’est avant tout un business, un big business. A dire vrai,
je n’avais pas de doutes avant de venir ici, mais maintenant, j’ai des preuves.
Le plus drôle, c’est que la plupart de ces splendides publications viennent tout droit de
Suisse. J’étais déjà au courant pour le chocolat et pour le secret bancaire, ce dernier
uniquement par ouï-dire. C’est ça la vie, on en apprend tous les jours !
En fin de matinée, le commandant s’approche de mon bureau et m’annonce :
« Vous avez une heure pour vous rendre au service de contre-espionnage sur la base
aérienne. Demandez le capitaine X. Bonne chance ! »
Je remballe mes affaires sans empressement et me lève en pensant que je vais rater mon
cher lunch. Avec un peu de chance, je pourrais manger des frites à la cantine du Quartier
Napoléon.
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La circulation est dense mais j’arrive avec un quart d’heure d’avance devant le bâtiment
indiqué. C’est une petite maison basse qui abrite les James Bond de la république,
quelque part sur la base aérienne qui jouxte l’aéroport civil de Tegel.
C’est peut-être le seul endroit allié à Berlin-Ouest où je n’avais pas encore mis les pieds.
Un quinquagénaire un peu sec m’accueille. Il me fait asseoir et prend place en face de
moi. Il attend mon récit, attentif et même un peu tendu.
Je raconte l’histoire comme si j’avais été seul. Mon interlocuteur me fait répéter un mot sur
deux, préciser l’heure, l’emplacement, décrire une nouvelle fois les véhicules et les
personnes.
Quand j’arrive au moment crucial de l’échange, le représentant officiel de l’intelligence
jaillit de sa chaise comme si c’était un siège éjectable, assène un fameux coup de poing
sur le bureau et crie hors de lui :
« Putain de bordel ! Les salauds... »
Rouge comme une tomate, il fait trois fois le tour de la pièce comme un chien fou dans un
dessin animé de Tex Avery, s’arrête tout à coup devant un panneau d’affichage accroché
au mur et plein de notes de toutes les couleurs.
Là, il se calme, se retourne et revient s’assoir à sa place. Le visage toujours pourpre, il
m’explique posément et presque à voix basse, sans me regarder dans les yeux :
« Ça fait un an que je les suis. Hier, nous étions derrière eux. Nous les avons perdus de
vue devant l’entrée principale de la caserne. Nous avons dû attendre au passage piéton.
Foutues portes ouvertes ! Y’avait un monde fou... Ils en ont profité... Continuez ! »
Je lui raconte par le menu le reste de l’histoire, version allégée. Le Russe me prend bien
en photo mais personne ne lui rend la pareille. Dommage. La réalité dépasse toujours la
fiction, c’est bien connu.
Peut-être se doute-t-il de quelque chose, il continue à me faire tout répéter. Mentir ne fait
pas partie de mes compétences de base. Je ne dis pas que je ne mens jamais ou que je
n’aime pas ça, ce serait un mensonge, mais quand je mens, personne ne me croit...,
même pas moi.
A la fin de mon interrogatoire, il semble enfin convaincu que je lui raconte la vérité. Moi
aussi, je suis surpris par le nombre de détails notés par mégarde.
Ce qui le travaille, de toute évidence, c’est qu’un bidasse tombé du ciel ait assisté par
hasard à la scène qu’il tente de surprendre – ou d’éviter ? - depuis des mois. Désolé, on
ne m’a pas non plus demandé mon avis.
Curieux comme je suis, je lui demande ce qu’ils peuvent bien avoir échangé. Il hésite un
instant puis dit en soupirant :
« C’est tout le problème, une fois, c’est une demi-douzaine de Play boy contre de la
vodka, la fois d’après, les plans du bunker de commandement !... Le cinéma est le même
à tous les coups. »
Ajoute-t-il après une courte pause, décontenancé.
Après lui avoir promis de l’informer sur le champ de tout nouvel incident – lui s’est bien
gardé de me promettre quoi que ce soit – je prends le chemin de la cantine française.
J’arrive devant la porte d’entrée quelques minutes avant la fermeture. Un adjudant tout
droit sorti d’un film de comique troupier me hurle en pleine figure :
« On salue ses supérieurs ! »
Je ne suis plus habitué, si je devais saluer tous les « supérieurs » que je rencontre à
longueur de journée à l'EMAB, je ne ferais plus rien d'autre.
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Mais cette explication n’intéresse pas cet individu incarnant à lui tout seul l’honneur de
l’armée tricolore.
« J’vais t’apprendre les bonnes manières ! »
Poursuit-il en exhalant des relents éthyliques bon marché. J’esquisse un salut et
commence à entrer, inutile de perdre plus de temps.
Mais le lourdaud me barre le chemin dans une position martiale sortie tout droit d'un
remake de Ben Hur. Il me hurle en pleine figure :
« Escadron, peloton ? »
Je réponds aussi cool que mes crampes d’estomac me le permettent :
« EMAB. »
« C’est quoi ça ? »
« Etat-Major Allié de Berlin. »
Dis-je en prenant soin de bien prononcer. Bon enfant, et pour mieux faire passer le
message au diplodocus, je montre du doigt ma pucelle. Une image en dit plus que cent
mots, paraît-il.
« On n’me la fait pas ! Le nom de ton adjudant !!! »
« Colonel T., chef de l’EMAB. »
« Colonel... ???? Barre-toi et que j’te rvoiye pus ! »
Il ne reste plus de frites. Pas étonnant qu’on ait perdu autant de batailles avec des abrutis
pareils !
Je mange un couscous pas comme là-bas, mais pas si mal que ça.
Jamais par la suite je n’ai revu ni l’alcolo mal embouché, ni Sylvie, une belle blonde ma foi,
ni René, le compositeur-conspirateur, ni enfin le petit malin qui a échangé les plans du
bunker de commandement contre de la vodka frelatée...
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De Berlin sur Charente à la guerre civile européenne...
Vous commencez à me connaître : l’exagération m’est radicalement étrangère, voire
insupportable.
Et si j’affirme que Berlin est arrosé par le plus beau des ruisseaux du royaume d’Henri IV,
c’est tout simplement parce qu’il en est ainsi.
C’est en visitant, à Berlin-Est, sur la Place des Gendarmes, en plein centre du quartier
historique et donc français, par une belle après-midi ensoleillée, le Musée Huguenot, dans
l’Église Française, tout juste rénovée dans le cadre du 750 ème anniversaire de la création
des deux moitiés de la ville, que j’apprends toute la vérité.
Les murs du musée, en blocs de calcaire, chose rarissime dans les marécages
brandebourgeois, sont couverts de gravures des 17 ème et 18ème siècles représentant
Jarnac, La Rochelle39…
Moi qui, en venant ici, m’attendais à découvrir une ville austère pleine de Prussiens,
grands, blonds et disciplinés, je sais maintenant que Berlin, c’est tout le contraire, c’est la
ville d’Allemagne la plus désordonnée, la plus loufoque, frondeuse et la plus… française !
(D’autres influences, en particulier slaves, juive, baltiques et méditerranéennes ont aussi
largement contribué à cette situation.)
C’est une vieille histoire.
Frédéric-Guillaume, Grand-Electeur de son état, avait eu l’idée assez originale d’attirer en
grand nombre des étrangers dans la principauté du Brandebourg à la fois ravagée et
dépeuplée par la guerre et la peste.
Après avoir fait venir de nombreux Néerlandais et Juifs autrichiens, il se dit que la
révocation de l’Édit de Nantes arrive à point nommé. Et promulgue aussitôt l’Édit de
Potsdam, un chèque en blanc offert aux Huguenots, ces protestants chassés du Royaume
de France, la superpuissance européenne de l’époque.
Si la plupart des réfugiés venaient du Languedoc, de Champagne et de Lorraine, il y avait
aussi bon nombre de Charentais.
Parmi les nombreux Huguenots ou descendants de Huguenots célèbres figure Theodor
Fontane, l’un des plus grands écrivains allemands. Sa famille paternelle, dont le nom était
alors orthographiée Fontaine, serait selon certaines sources originaire de Saintonge.
Charentais ou pas, l’héritage huguenot est très présent dans la région de Berlin. Cette
histoire d’une intégration presque parfaite est globalement considérée comme positive et
facilite les échanges avec la population locale. Ni les Britanniques, ni les Américains n’ont
une expérience comparable.
Quand aux Russes, s’ils ont eux aussi une longue histoire commune avec la région,
comme en témoigne par exemple la belle colonie d’isbas en bois Alexandrowka, en plein
cœur de Potsdam, on a tendance à les assimiler un peu vite avec le mal.
Ils ont gagné la guerre. Leurs troupes ont pris Berlin, quartier par quartier, immeuble par
immeuble, tas de gravats par tas de gravats. (Ils n’avaient pas commencé...)
Malgré la rénovation, les murs des rares édifices historiques conservés sont striés comme
après le passage d’un glacier, défigurés par d’innombrables traces d’impacts de
projectiles.
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Cette première impression s’est révélée être très exagérée lors de ma deuxième visite, toute récente celle-ci.
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Une bonne partie des bâtiments détruits n’a toujours pas été reconstruite. Même en plein
centre ville, les friches sont légion.
Qu’importe si les principales destructions sont le fait des bombardements aériens
américains et britanniques (« fascistes », comme on dit en R.D.A.) et non du siège de la
ville ?
C’est que les traces du traumatisme causé par les exactions des troupes soviétiques
après la prise de la ville sont profondément ancrées dans les esprits. Rares sont les
témoignages écrits. Jusqu’à ce jour, la plupart des victimes comme de leurs bourreaux ou
des nombreux témoins passifs préfèrent garder le silence, quitte à emporter avec eux
leurs souvenirs dans la tombe.
Cette expérience humiliante bien réelle a eu l’avantage incontestable d’occulter tout ce qui
s’est passé avant les massacres et les viols en série perpétrés par les Communistes.
La capitale du Reich, qui avait abrité tant de suiveurs, quantité de criminels et aussi
quelques courageux résistants, et systématiquement répandu l’horreur sur des milliers de
kilomètres, sur plusieurs continents, pendant des années, se trouvait d’un seul coup du
côté des victimes.
Essayant de comprendre comment on a pu en arriver là, je préfère l’explication de mon
papa qui ne voit dans l’histoire de la première moitié du vingtième siècle qu’une seule et
unique guerre civile européenne puis mondiale. Une guerre dont la plupart des figurants
sont là malgré eux et s’intéressent avant tout - et pour cause ! - à leur propre survie à très
court-terme.
Pas étonnant alors que la guerre froide - qui n’est rien d’autre que l’ultime étape de cette
triste histoire - et son nouvel ordre du monde simpliste soient les bienvenus.
Pourquoi se casser la tête à vouloir comprendre l’incompréhensible ?
Les bons de ce côté, les mauvais de l’autre côté du mur. Du passé, faisons table rase. Le
plus fort, c’est que sur ce point là, les deux côtés sont d’accord ! Et ce n’est pas tout.
Si l’on en croit les témoignages d’époque qui se multiplient à l’approche du vingtième
anniversaire de la chute du mur, au moment de la construction de ce dernier, les alliés
occidentaux ont laissé faire pour… préserver la paix. Argument d’autant plus surprenant
que c’était celui de l’Allemagne de l’Est dès le début et pour longtemps. A l’occasion du
25ème anniversaire de sa construction, je vais au restaurant à Treptow avec mes parents
en visite. Dans l’entrée, trône le journal est-allemand Neues Deutschland. Celui-ci titre en
première page sans rougir, un avantage incontesté des Communistes :
« Le rempart antifasciste est le garant de la paix en Europe !40 ».
Ce n’est pas de chance, ce chef-d’œuvre de l’architecture moderne, inlassablement
chouchouté et perfectionné depuis sa création quelque peu précipitée en août 1961,
commence à prendre de l’âge.
D’ailleurs, l’histoire de la Grande muraille de Chine ou, plus près de nous, de la bien plus
modeste Ligne Maginot, l’avaient déjà prouvé : la perfection est complètement inutile.
Les peuples enfermés ont en commun avec les envahisseurs - et avec l’eau - de toujours
finir par trouver une brèche dans le mur, quitte à devoir contourner celui-ci…
40
Ce sujet passionnant illustre aussi un splendide timbre proclamant haut et fort « 25 ans de rempart antifasciste ! ».
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Mur mûr (enfin !)
Depuis des mois, les nouvelles incroyables se suivent à un rythme effréné. Les Hongrois
ont ouvert la frontière avec l’Autriche à coup de cisailles !
Ils ont ainsi marqué l’essai avec une balle jouée plusieurs fois, à Berlin, Budapest, Praha,
Gdańsk ou ailleurs. A chaque fois, la balle avait roulé dans un coin, juste avant la ligne,
dans l’attente d’un joueur plus audacieux. Voilà qui est fait !
Le 4 novembre, nous aidons des amis à repeindre leur appartement. Horst a obtenu un
poste de chercheur à Bonn, sa femme Beate le suit. Elle qui a vécu pendant des années
au dernier étage de la maison Huth, la seule maison rescapée sur la place de Potsdam
par ailleurs déserte, va bientôt habiter le « village fédéral », comme on appelle par
dérision, une grande spécialité berlinoise, la capitale rhénane par intérim.
Un rouleau ou un pinceau à la main, nous causons de tout et de rien sans faire attention à
la radio qui marche toute seule dans un coin. Jusqu’au moment où nous entendons en
direct depuis Alexander Platz, à quelques kilomètres de là, de l’autre côté, les
interventions des orateurs de la plus grande manifestation jamais organisée en RDA 41.
Les discours des « bonzes » du parti et des opposants se succèdent et se ressemblent
étonnamment. Pas la moindre trace de révolution dans ces déclarations très sages
couvertes par les huées quand il s’agit des premiers, et inaudibles à cause des
acclamations dans le second cas.
Tous - ils sont 26 à se passer le micro ! - souhaitent timidement un « socialisme
démocratique ». Qu’est-ce que ça peut bien être ? Comment croire à un truc pareil après
quarante ans de RDA ? Personne ne pense (tout haut) à la fin du régime et encore moins
à la réunification, au deutsche Mark ou à l’économie de marché.
Pour la première fois, les représentants des églises et des mouvements écolos et
pacifistes, les seuls opposants sérieux en Allemagne de l’Est, ont la parole et sont écoutés
par les foules. Leurs revendications sont retransmises par la radio nationale !
Tous les intervenants sont très prudents. Quelques mois après les évènements de la
Place Tien An Men, on a très peur de la « solution chinoise », constamment évoquée au
plus haut niveau de l’état, en particulier par Egon Krenz, le successeur de Honecker.
Il y a dans ce petit pays des millions de gens armés et autant d’espions dressés depuis
leur plus tendre enfance, parfois plus tôt, à servir le pays coûte que coûte sans s’attarder
sur le sort des traîtres…
En juin 1953, les Berlinois de l’est ont été les premiers à se rebeller contre l’occupation
soviétique. Justement, personne n’a oublié l’écrasement au propre comme au
dégueulasse de la rébellion par les tanks du grand frère.
Cette situation extraordinaire, l’opposition ayant le droit de rêver tout haut et en public, ne
va durer que quelques jours et sera bientôt balayée par « le tournant, le virage… »,
Appelez comme vous voulez la chute du mur et l'implosion du système soviétique.
41
„Demonstration und Kundgebung am 4. November 1989“, cf. bibliographie
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Le 9 novembre 1989, je reçois un coup de téléphone tard dans la soirée. Depuis son
village des Borderies, mon papa me raconte que le mur de Berlin vient de s’ouvrir. Il l’a vu
à la télé, me précise-t-il.
Je raconte la nouvelle à ma femme, qui comme moi est fatiguée après une longue journée
de travail. Il faut dire qu’elle a eu de nombreux services de nuit à l’hôpital ces derniers
temps. Pour optimiser au maximum l’utilisation du peu de temps qui nous reste en
commun, je calque mes horaires de travail sur les siens. Comme je prépare une thèse de
doctorat en sciences environnementales, j’apprécie le calme des soirées passées à la fac.
Mais les changements d’horaire répétés finissent par ruiner la santé.
Plutôt hébétés, nous prenons note de cette information étonnante sans réellement y
croire. Puis nous allons nous coucher, comme si de rien n’était 42 .
Le lendemain matin, en quittant notre appart situé tout près de la frontière, à la limite entre
les quartiers de Reinickendorf et Wedding (à l’ouest) et de Pankow (à l’est), le trafic nous
surprend aussitôt. Un bouchon dans la Provinzstraße si bien nommée, du jamais vu !
Arrivés à l’arrêt de bus, nous nous retrouvons au milieu d’une grappe de gens qui
attendent, certains depuis longtemps, si l’on en croit leurs plaintes. Mais un Berlinois qui
se plaint de tout, ce n’est pas vraiment révolutionnaire, encore moins, si c’est dehors et en
public.
Le bus que nous attendons en vain est coincé dans le bouchon, pas loin d’ici, comme
nous pouvons le constater de nos propres yeux. Il finit par nous rejoindre, plein à craquer.
Nous montons à bord et contribuons à une augmentation sensible de la densité de la
population par mètre carré. Le bus repart au pas dans le flot ininterrompu qui continue
d'envahir la rue.
Au bout de dix minutes, nous avons bien parcouru deux cent mètres. Le conducteur nous
annonce alors dans le micro, qu’à son avis :
« Vous faites c’que vous voulez mais, croyez-moi, le mieux c’est sûrement de redescendre
et d’aller à pinces à la station de métro la plus proche ».
Quelle sagesse !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous descendons en troupeau désordonné au beau milieu de la
rue. Ça, c’est fort, car jamais un bus germanique ne s’arrête entre deux arrêts et en plus
loin du trottoir !
Quand nous atteignons la Soldiner Straße, un nuage suffocant de fumée bleue nous
accueille. A travers les volutes, nous apercevons des gens, des quantités de gens qui
défilent en rangs serrés de la gauche vers la droite, c'est-à-dire d’est en ouest.
Sur le trottoir noir de monde, jeunes, vieux, familles avec poussettes... les gens font du
surplace dans un calme étonnant. La ville est trop petite pour recevoir autant de visiteurs à
la fois.
A cent mètres de la Osloer Straße, un jeune homme plutôt réservé nous accoste et nous
demande à voix basse :
« Vous êtes d’ici..., ou bien..., simplement..., comme ça... ? »
Sur le coup, nous ne comprenons rien à son charabia. En arrivant au coin de la rue, tout
s’éclaire. Il nous a juste demandé, timidement, certes, si nous sommes de l’ouest ou,
comme lui, de l’est. Vraisemblablement, lui aussi cherche la sortie.
Les quatre voies de la Osloer Straße sont complètement bouchées par des Trabis
fumantes, les trottoirs, pourtant larges, ne suffisent pas à porter la population de Berlin-Est
en exode.
42
Nous ne sommes pas les seuls : voir par exemple « 89 » livre de A. Osang
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Un exode comme je n’en ai vu jusqu’ici, par chance ! qu’au cinéma, sauf que celui-ci est
profondément pacifique, plutôt ordonné et pourtant bien réel.
Le flot de visiteurs a traversé la frontière en prenant le pont de la Bornholmer Straße, le
seul existant dans le quartier. Jusqu’à la nuit dernière, il était fermé à la circulation.
Portés par la foule, nous nous déplaçons en direction de l’entrée de la station de métro
Osloer Straße. Nous qui comptions bien nous échapper par là en direction du centre ville,
nous déchantons car la station vient d’être fermée par la police.
« Pour cause de sécurité » nous dit-on, car il y a déjà tellement de monde à l’intérieur que
les nouveaux venus pousseraient sans le vouloir ceux qui attendent sous les rails du
métro. Ça a beau être des Ossis, des gens de l’est, ce n’est pas une raison!
Nous attendons paisiblement, nous laissant gagner par cette drôle d’ambiance à la fois
oppressante et euphorique.
J’arrive avec plus de deux heures de retard à mon bureau qui se trouve en haut d’une tour
blanche, tour d’ivoire ? près du zoo. Le soir, on y entend la polyphonie baroque des singes
chanteurs de Sumatra et parfois des fauves mélancoliques qui se racontent des histoires
du pays.
Les collègues viennent juste d’arriver ou continuent d’arriver, les uns après les autres.
Tous racontent leur histoire, la même histoire, tout excités et loin de penser que ce qui les
a mis dans un état pareil ne concerne pas qu'eux mais bien nous tous.
Le directeur de l’institut attend encore une petite demi-heure avant de nous convoquer
dans la salle de réunion.
Là, il nous annonce tout joyeux :
« Ceci est une journée historique ! Une journée historique, ça se passe pas au bureau. Le
mur est ouvert, allons-y ! »
Depuis notre institut de l’université de technologie de Berlin la frontière n’est pas loin. Mais
là aussi, les trottoirs sont bondés.
Nous nous rendons à la Potsdamer Platz. Je perds bientôt le reste de l’équipe et je me
laisse dériver dans le courant, comme un bout de bois flottant sur la mer, une poussière
dans la tourmente ?
Les gens sourient, rient, disent bonjour ou n’importe quoi à des inconnus comme si
c’étaient des amis de longue date. Épuisé, je finis par rentrer à la maison.
Plus tard, Katrin, ma femme, et moi, allons faire un tour sur le Kudamm, la grande artère
commerciale de l’ouest, qui même pour les fêtes de Noël, n’a jamais reçu autant de
lécheurs de vitrine en même temps.
Un peu partout, des queues interminables bloquent les trottoirs. Ce sont des Allemands de
l’est qui attendent sagement de recevoir leur cent Deutsche Mark de bienvenue offerts par
l’état fédéral aux brebis égarées qui viennent enfin de rejoindre le grand troupeau.
En bon Wessis, nous nous amusons follement des regards ébahis et des commentaires
naïfs des visiteurs. Avec leur « argent de bienvenue », certains achètent des sucreries, du
pâté pour le chat ou une Curry-Wurst, ou bien ce dont ils ont rêvé pendant des années.
Nous passons tout le week-end dans un bain de foule est-ouest, rejoignant en marchant
les points de passage du centre l’un après l’autre, depuis le pont de la Bornholmer Straße
jusqu’à la Potsdamer Platz.
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Nous restons du côté ouest, car aussi grotesque que cela puisse paraître, les Berlinois de
l’Ouest ne sont pas autorisés à se rendre à l’est 43 ! Il faudra attendre la période de Noël
pour que le régime est-allemand -ou ce qu’il en reste- nous fasse cet ultime cadeau.
Il fait un soleil resplendissant. La température et la lumière automnales sont un pur miracle
pour la saison... Mais on n’est pas à ça près. Personne ne s’étonne plus, ni du temps qu’il
fait, ni du reste.
Les marchands de bananes ont fait leur apparition un peu partout. Ils vendent le fruit qui
symbolise soi-disant le bon côté du capitalisme directement depuis des cartons comme on
en trouve au marché de gros.
Le jeudi suivant, je me rends à la Cité Foch, la plus grande résidence du personnel
français, pour y donner un cours de maths à la fille d’un ancien collègue de l’EMAB.
Bien sûr, nous parlons des évènements. Il m’avoue, déconcerté, qu’il a appris la nouvelle
comme tout le monde, en regardant la télé.
Celui qui parle ainsi n’est autre que le chef du service de renseignements de l’EMAB.
43
En fait, c’est possible, à la condition de faire une demande de visa et d’effectuer le change minimum
obligatoire, la routine quoi. Or, la routine, en pleine révolution, il n’en est pas question !
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Vingt ans après
Tous les matins, arrivant en métro de ma verte banlieue brandebourgeoise, je descends à
la station Potsdamer Platz.
Cette place, l’une des plus animées avant la guerre, a été pendant vingt-huit ans le plus
grand no man’s land du mur de Berlin. La partie située à l’ouest a accueilli des hordes de
touristes venus de toute la planète pour observer du haut de plateformes en bois les
individus de l’autre côté, comme lors d’un safari.
Complètement détruite pendant la seconde guerre mondiale, la place était déserte à
l’exception de la Weinhaus Huth et de ruines du Grand Hotel Esplanade 44.
Tous les chimistes vous le diront : Un espace vide le reste rarement longtemps. Ici, j’ai vu
plusieurs manifs dispersées par la police, des joueurs de foot amateurs qui se fichaient
pas mal de la politique, un modeste marché aux puces, et à côté le sinistre marché
« polonais », où l’on trouvait tout et surtout le contraire, la seule chose qui comptait étant
que ce soit très bon marché, comme ces tablettes de beurre emballées dans du papier
cellophane déposées à même le sol sur un journal alors que la place n’était qu’un
gigantesque bourbier.
Pour compléter le tableau, la « M-Bahn », train à sustentation magnétique dont une piste
d’essai rejoint Gleisdreieck à la Kemperplatz, près de la Philharmonie, passait en silence
au dessus des têtes, tout juste devant le mur.
Après 89, la place de Potsdam et sa voisine directe, la place de Leipzig, ont été
reconstruites dans le style des années quatre-vingt dix, avec beaucoup de verre et peu de
caractère et une facture énergétique salée.
Sony, la Deutsche Bahn et Daimler-Benz, chacun de ces grands groupes possède son
propre centre. La maison Huth a été intégrée dans le bloc Daimler-Benz. De l’ancien hôtel
de grand luxe, on n’a conservé que la Kaisersaal, la Salle de danse de l’empereur.
Il fallait probablement être japonais pour se donner la peine de transporter en un seul bloc
cette salle, impériale il est vrai, sur coussin d’air sur une distance de soixante-quinze
mètres.
La salle du petit-déjeuner de l’hôtel a elle été démontée en mille morceaux puis
reconstruite. Toutes deux font maintenant partie du Sony Center.
Je marche vers le sud et tourne bientôt sur la gauche dans la Niederkirchnerstraße. Après
deux cent mètres, deux grands bâtiments néoclassiques se font face.
Sur la gauche, la Maison des députés de Berlin et de l’autre côté de la rue, l’un des
musées les plus hétéroclites de la ville, le Martin-Gropius-Bau, de style néo-renaissance.
A peine le musée passé, le trottoir disparaît et fait place à une grille métallique qui va
jusqu’au prochain carrefour. Derrière la grille se trouvent quelques centaines de mètres
des derniers vestiges authentiques du mur.
Les éléments en béton d’environ un mètre de large sur trois mètres cinquante de haut,
recouverts à leur sommet par un tuyau de canalisation, lui aussi en béton, destiné à gêner
par sa forme arrondie d’éventuels fuyards, ont subi les attaques forcenées des pic-verts
du mur.
44
Ce dernier est un fossile des années 20 « d’or » -comme on les appelle ici- qui a accueilli entre autres Charlie
Chaplin, Greta Garbo, Billy Wilder… C’est dans cet hôtel que se rencontraient les conspirateurs du complot du 20
juillet 1944, attentat raté contre Hitler, médiocre peintre autrichien. Les cinéphiles avertis connaissent l’édifice. Ils l’ont
aperçu dans Cabaret ou dans les Ailes du désir.
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C’est ainsi que l’on a surnommé ces gens qui, juste après l’ouverture de la frontière, se
sont précipités sur le mur, armés d’un marteau et d’un burin et ont tenté de le faire
disparaître ou du moins d’en récupérer quelques morceaux pour exposer sur leur
cheminée, offrir à la famille en Bavière ou vendre aux touristes.
Du coup, l’œuvre des peintres amateurs qui, contrairement à une opinion très répandue,
avait vu le jour en l’espace de quelques heures seulement, a beaucoup souffert. La
structure métallique du béton a été mise à nu un peu partout. Elle est toute rouillée.
Parfois, l’acharnement des pic-verts a réussi à percer une brèche dans le rempart
antifasciste. Le coup d’œil à travers les trous vaut le détour. Non pas qu’il y ait grandchose à voir, sinon un chantier avec des grues.
Encore un musée en perspective. Celui-là présentera l’exposition Topographie des
Terrors. L’endroit est prédestiné, c’était jusqu’en 1945 le quartier général de la Gestapo.
En continuant vers l’est, on longe terrains vagues, anciens immeubles rénovés et
logements tout neufs, un patchwork sans cesse renouvelé et typique du centre-ville.
Bientôt, on traverse une rue étroite sans grand attrait. Tôt le matin, il n’y a personne à part
quelques employés qui rejoignent leurs bureaux et deux ou trois Japonais prenant des
photos en toute tranquillité.
Puis les bus arrivent et déversent des flots de touristes multilingues qui se photographient
numériquement les uns les autres et marquent leur passage un peu comme des félins
sauf qu’eux laissent sur le trottoir non pas une sécrétion parfumée mais tout ce dont ils
n’ont plus besoin.
La petite baraque au milieu de la rue surplombée par un drapeau américain est une
réplique du point de contrôle connu sous le nom de Checkpoint Charlie. De faux bidasses
portant les uniformes des quatre puissances alliées et celui de la NVA posent pour une
photo souvenir contre monnaie trébuchante.
Sur le sol court une ligne formée de deux rangées parallèles de gros pavés en granite.
Nous avons atteint la Zimmerstraße.
Les touristes, jeunes pour la plupart, iront voir ensuite le musée du mur qui se trouve juste
à côté.
Un café latte to go à la main, ils s’amusent comme des fous. Hier, ils ont pique-niqué sur
les pierres grises du Mémorial de l’Holocauste 45, à côté de la Porte de Brandebourg.
Demain, ils iront voir le musée de la Stasi et l’ancien camp de concentration de
Sachsenhausen, près d’Oranienburg, au nord de la ville.
Une ado avec l’accent du sud de la France dit à sa voisine :
« Ça me rappelle notre week-end à Rome, le Colisée et les thermes de … Comment
s’appelait-il déjà ? »
45
Aussi appelé : Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe
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9 novembre 2009
Lorsque j’ai commencé à écrire ce livre en mars 2008, j’avais bien l’intention de le finir « à
temps », c'est-à-dire avant l’année fatidique du vingtième anniversaire de la chute du mur.
Pour des raisons diverses, cela n’a pas était le cas. Il n’y aura pas grand monde pour
regretter ce retard, d’autant que de nombreux livres, articles de presses, reportages… en
Allemagne comme à l’étranger, ont été consacrés à cet évènement.
Moi qui avais décidé de raconter en réaction à l’ignorance et l’indifférence ambiantes, j’ai
bientôt été agréablement surpris par la quantité et surtout par la qualité de très nombreux
numéros spéciaux, rétrospectives, films et autres tentatives de mieux faire connaître,
d’expliquer, voire de ressusciter pour quelques heures ce moment historique unique.
Je me suis pris au jeu et j’ai lu d’innombrables textes, regardé moult émission télévisée,
visité plus d’une exposition consacrée à la chute du mur, à la guerre froide. J’ai appris
beaucoup de détails, d’autres me sont revenus en mémoire en lisant ou écoutant les
témoignages de personnalités ou d’illustres inconnu(e)s originaires des deux côtés.
Sur la fin, c'est-à-dire le week-end qui vient de s’achever et aujourd’hui lundi 9 novembre,
le tout prend une allure de cirque un peu désagréable. Trente chefs d’état, un programme
musical et culturel de première classe pour les VIP, un autre pour le peuple, sur place ou à
la télé, tout cela est bien gentil mais plutôt lourd.
Au risque de contrarier les fêtards, rien ne peut remplacer l’évènement lui-même. Ceux qui
y étaient, y étaient, les autres sont les bienvenus pour partager une joie réchauffée en
grande pompe mais qui n’a pas grand-chose en commun avec l’émotion d’origine.
Le 9 novembre 1989 nous avons cru naïvement et le plus souvent inconsciemment que le
monde serait dorénavant meilleur. Les images de ce gigantesque happening en plein air,
de ces masses grisées sans drogue continuent de faire le tour de la planète. La vie a
vraiment changé à Berlin, en Allemagne, en Europe. Si les nostalgiques de la
confrontation est-ouest46, et surtout ceux du système -à bien des égards confortable- de la
RDA existent toujours, la majorité des habitants de ce pays est belle et bien convaincue
du progrès accompli. C’est aussi le cas pour quelques pays voisins d’Europe centrale,
mais loin de faire l’unanimité47, par exemple en Hongrie, le pays dans lequel le premier
mur est tombé…
Personne ne croit plus au miracle. 1989 a vu la fin de la guerre froide et celle de
l’Apartheid. L’Afrique du Sud, l’Afrique en général ne se sont pas transformées pour autant
en Paradis. 1989, c’est aussi l’année du massacre de la Place Tien An Men. Après, il y a
eu les guerres du golfe, l’attentat du onze septembre, l’invasion de l’Afghanistan, le
malheureux protocole de Kyoto, la crise financière mondiale…
Dans ces conditions, on comprend mieux l’acharnement des médias et des politiques à
marquer le pas à l’occasion des vingt ans de la chute du mur. Les dix ou quinze ans
n’avaient pas fait recette. Qui sait ce que nous réserve le vingt-cinquième anniversaire ?
Vous l’avez remarqué vous aussi, la mémoire de la chute du communisme suit
scrupuleusement un plan quinquennal venu d’on ne sait où.
Moi qui ne suis ni journaliste, ni élu, je souhaite simplement qu’après la fête on garde à
l’esprit qu’à défaut de miracles, des changements notables sont possibles, au bénéfice du
plus grand nombre, et que si l’on ne peut pas tout prévoir, pas même quand un mur
tombe, cela vaut le coup d’y croire, de s’investir et de tout faire pour que cela se passe
dans la bonne humeur et sans recours à la violence.
46
47
Ceux qui continuent à parler du “bon” et du “mauvais” côté du mur
Cf. „End of Communism Cheered but Now with More Reservations“
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Remerciements
Mon papa a raison : je suis presque aussi doué que lui pour l’écriture !
Si j’en crois l’une des sommités nationales en la matière, Günter Grass
48
:
« Une bonne phrase doit être bien écrite, mais elle doit aussi avoir du souffle, et doit
pouvoir être lue à voix haute ».
Ceci explique pourquoi l’auteur du Tambour, célèbre autant pour ses œuvres que pour
leur lecture en public, lorsqu'il écrit dans sa maison de Lübeck, debout devant un pupitre,
répète et modifie chaque phrase jusqu’à ce que celle-ci lui convienne tout à fait.
Le modeste amateur que je suis ne dispose pas du temps nécessaire pour pratiquer cet
exercice certainement très méritoire. C’est la raison pour laquelle je mets à contribution
parents, ami(e)s et connaissances pour relire mes brouillons truffés de fautes et de
contresens.
Pour cette tâche ingrate, je ne remercierais jamais assez mes parents, Louis-Clément et
Marcelle, Sabine, mon épouse (tout le monde ne peut pas s’appeler Katrin), Patrice
(linguiste éminent), Florence Testa, Bab (l’inspiratrice de la construction de la tour de
Bab’elle), et quelques autres qui préfèrent rester anonymes.
Pour leur accueil chaleureux à Berlin, je tiens aussi à remercier Gerhard et la très
regrettée Ursula, mes beaux-parents.
J’adresse enfin mes remerciements les plus sincères à la S-Bahn de Berlin, le métro dans
lequel j’ai pratiquement écrit tout ce bouquin et au ministère de la défense (Paris), à qui je
dois cette aventure de jeunesse aux conséquences durables.
48
« Ein guter Satz muss Atem haben », Interview publiée dans mobil, revue de la Deutsche Bahn, 10/2005
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Textes de JP Bouzac cités dans « MA GUERRE FROIDE »
•
20 Jahre in Preußen – 20 ans en Prusse (bilingue)
Rhombos Verlag, Berlin, 2007
•
40 histoires franco-allemandes
40 auteurs, lauréats du concours de l’OFAJ à l’occasion du 40 ème anniversaire du Traité de
l’Elysée. (Dont deux histoires de JP Bouzac)
Edité par DOCUMENTS, Revue des questions allemandes, OFAJ - Office franco-Allemand
pour la Jeunesse, Paris, Berlin, 2005
•
40 deutsch-französische Geschichten
40 Autoren, Gewinner des DFJW-Wettbewerbs anlässlich des 40. Jubiläums des ElyséeVertrages. (Dont deux histoires de JP Bouzac)
In Zusammenarbeit mit DOKUMENTE, Zeitschrift für den deutsch-französischen Dialog, DFJW
- Deutsch-Französisches Jugendwerk, Berlin, Paris, 2005
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Lectures et autres sources d’information, d’inspiration, voire de consternation
•
Archives personnelles
•
89
Alexander Osang, Christoph Links Verlag, Herausgeber: Paperview / Berliner Verlag, 2007
•
Aspekte des Kalten Krieges in Steglitz und Zehlendorf. Die Jahre 1945-1961.
Exposition (4/11/2009-31/01/2010), Doris Fürstenberg, Galerie Schwartzsche Villa
•
Au jardin des malentendus – Le commerce franco-allemand des idées
Edité par Jacques Leenhardt et Robert Picht, Babel, ACTES SUD, 1997
•
Aufzeichnungen von Jugendleben (« Souvenirs de jeunesse »)
Gerhard Rummel, Berlin, 1984, non publié
•
Bahnhof Friedrichstraße
Ingeborg Drewitz, Erzählungen, Berlin, 1992
•
Berlin
GEO Special, Hamburg, 1986
•
Berlin
Merian, Das Monatsheft der Städte und Landschaften, Hamburg, Juli 1989
•
Berlin – Le ciel partagé
Autrement, Série monde, Paris, 1984
•
BERLIN-INFO
F.-J. Laternu, envoyé spécial permanent, Numéro spécial du Petit Charentais, Berlin, 1990
•
Chronik der Mauer
http://www.chronik-der-mauer.de/
•
Cela s’est passé au mur – Es geschah an der Mauer (édition en cinq langues)
Dr. Rainer Hildebrandt, Verlag Haus am Checkpoint Charlie Berlin, 1984
•
Comme une poussière dans la tourmente
Louis-Clément Renault, Éditions Bénévent, Nice, 2008
•
Demonstration und Kundgebung am 4. November 1989
http://uinic.de/alex/de/proj/4nov.html
•
Der Mauerspringer
Peter Schneider, Rowohlt Taschenbuch Verlag GmbH, Reinbek bei Hamburg, 1982/1995,
Herausgeber: Paperview / Berliner Verlag, 2007
•
Die Franzosen in Berlin, Besatzungsmacht, Schutzmacht, Partner für Europa
Ulrike Wahlich, Dorothea Führe und Ingolf Wernicke, Herausgeber: Bezirksamt Reinickendorf
von Berlin, Jaron Verlag, 1996
•
Die Hugenotten in Berlin
Gerhard Fischer, Union Verlag Berlin, 1988
•
End of Communism Cheered but Now with More Reservations, The Pulse of Europe
2009: 20 Years After the Fall of the Berlin Wall
Rapport du Pew Global Attitudes Project, Novembre 2009, http://pewglobal.org
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•
france allemagne la fin ? frankreich deutschland das ende? (bilingue)
Revue des deux mondes, Paris, numéro spécial, 2005
•
Fisimatenten. Franzosen in Berlin und Brandenburg - Les Français à Berlin et en
Brandenburg (bilingue)
Cyrill Buffet, Miteinander leben in Berlin, Der Ausländerbeauftragte des Senats, Barbara John,
Verwaltungsdruckerei Berlin, 2. Auflage, 1998.
•
Fremde, Freunde – Deutsche und Franzosen vor dem 21. Jahrhundert
Herausgeber: Robert Picht, Vincent Hoffmann-Martinot, René Lasserre, Peter Theiner, Piper
Verlag GmbH, München, 1007
•
Gesammelte Werke in 10 Bänden (Oeuvres complètes en 10 volumes)
Kurt Tucholsky, Rowohlt Taschenbuch Verlag GmbH, Reinbek bei Hamburg, 1975
•
Geschichte und Geschichten rund um die Berliner S-Bahn
http://www.stadtschnellbahn-berlin.de/
•
L’Allemagne
Béatrice Angrand, Aurélie Marx, collection “idées reçues”, Editions Le Cavalier Bleu, Paris,
2006
•
Les Ruskoffs
François Cavanna, Editions Belfond, Paris, 1979
•
Œuvres diverses : Si c’est un homme, La trêve, Le système périodique…
Primo Levi, Editions Albin Michel, S.A., Paris, 1987 (v.o. : 1947) ; Grasset, Paris, 1997
(v.o. :1967) ; Albin Michel, Paris, 2000 (v.o. :1975)
•
Œuvres dramatiques
William Shakespeare, GF Flammarion, 1964
•
Récits de Guerre et de Défaite
Guy de Maupassant, France Loisirs, Paris, 1994
•
Remarks at the Brandenburg Gate
Ronald Reagan, delivered 12 June 1987, West Berlin
http://www.americanrhetoric.com/speeches/ronaldreaganbrandenburggate.htm
•
Sonderzug nach Pankow (Chanson)
Udo Lindenberg, 1983
•
Sound of Revolution – A collection of songs that made the iron curtain fall (CD)
Bundesstiftung Aufarbeitung, Commission Européenne, 2009
•
Tage, die wir nie vergessen – Die friedliche Revolution
Berliner Illustrierte, Sonderausgabe, Dezember 1989
•
Tear Down This Wall!
Peter Robinson. How Ronald Reagan Changed My Life, by. Copyright © 2003. Published by
arrangement with ReganBooks, HarperCollins Publishers, Inc.
•
Une femme à Berlin : journal d’une femme anonyme
Anonyme, Eichborn Verlag, Frankfurt am Main, 1983 / Traduit de l’allemand par Françoise
Wuilmart, éd. Gallimard 2006
•
Voilà les bons, Historique du 11ème Régiment de Chasseurs
Jean-Paul Dutrannoy, Berlin, 2007, http://www.voila-les-bons.de/11eme_RCH/11eme_rch.html
•
Wanderungen durch die Mark Brandenburg
Theodor Fontane, 1862-1889, Aufbau-Verlag, Berlin, 1992-1994
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Table des matières
Préface
3
Encore un livre sur le mur ?
5
Berlin, Berlin…
7
Fort en version (Premier de la classe)
9
Chère Marianne
13
L’ours de Berlin
15
Classes (suite et fin)
19
Chez les Britanniques
23
Ricains
29
Réconciliés
33
La Chorale franco-allemande de Berlin
37
Réconciliés ?
39
This wall will fall
41
A lier
45
LE Mur
47
Incident diplomatique au Pergamon Museum
55
Hélicos pa ruski
59
Rencontres insolites
61
De Berlin sur Charente à la guerre civile européenne...
67
Mur mûr (enfin)
69
Vingt ans après
73
9 novembre 2009
75
Remerciements
77
Textes de JP Bouzac cités ou liés à « MA GUERRE FROIDE »
79
Lectures et autres sources d’inspiration, voire de consternation
81
Table des matières
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JP Bouzac, né en 1960 à Cognac, en Charente, fait la navette depuis de nombreuses années
entre Berlin, la région de Brandebourg, (le sud-ouest de) la France et… quelque part sur cette
planète qui s’entête à rester bleue, vue de loin. Après des études évidemment brillantes en
sciences naturelles et sciences humaines à Poitiers, en Inde, à Aix-la-Chapelle et Berlin, il
continue d’en apprendre tous les jours, le plus souvent dans le métro berlinois, en épiant ses
voisin(e)s.
Expériences variées en tant que vendangeur, voyageur, ouvrier cartonnier, prof de maths, soldat
occupant, importateur de Cognac et Pineau des Charentes, conseiller en développement durable,
grand-oncle et ami des arts et de la nature…
Auteur de nombreuses nouvelles et d’innombrables notes de service pour divers ministères.
Double lauréat bilingue (en tant que Charentais A.O.C. et Berlinoise de l’ouest en toc…) du
concours « 40 histoires franco-allemandes » organisé par l’Office franco-allemand pour la
jeunesse à l’occasion des cent ans du Traité de l’Élysée.
JP Bouzac a beaucoup oublié et peu publié, à part un recueil de nouvelles bilingues (entièrement
franco-allemand plus une histoire en polonais) en 2007 aux éditions Rhombos, intitulé « 20 ans en
Prusse ». Il travaille d’arrache-pied à deux ouvrages, tous deux dans la langue de Tokyo Hotel, le
premier consacré à des anecdotes interculturelles, en collaboration avec son ami Henry Kobsch, le
second rassemblant des histoires sur ce pays formidable qu’est la Pologne, si proche (de Berlin !)
et pourtant si exotique, et qu’il parcourt sans relâche depuis le 23 juillet 1984 à 18.00 heures...
Ma guerre froide, c’est l’histoire somme toute banale d’un étudiant en géologie épris d’horizons
lointains qui se retrouve malgré lui en classes de neige au Quartier Napoléon, principale caserne
des troupes françaises d’occupation / de protection de Berlin-Ouest, peu avant la chute du mur de
la honte.
Sa découverte involontaire d’un monde à part aux lois souvent étranges, qu’il s’agisse du milieu
militaire allié ou de la drôle de ville coupée en deux, le surprend et l’amuse plus souvent qu’à son
tour. Plongé dans cette ambiance de fin de règne, il se dit qu’il a eu bien de la chance avec sa
guerre à lui, comparée aux expériences de tant d’autres à commencer par sa propre famille, prise
dans les tourments des deux guerres mondiales.
Devenu Berlinois d’adoption, il assiste incrédule à l’automne 1989 au « Tournant », en tout cas à
l’une des césures majeures du siècle finissant. Vingt ans plus tard, toujours fidèle à la Prusse
comme à sa Charente natale, il s’étonne de l’ignorance de notre époque pour l’histoire récente, et
ce d’autant plus que des liens étroits et variés rapprochent ces deux régions, ces deux pays,
depuis des siècles.
Ce livre est le récit d’un témoin sans préjugé ni grande conviction, mais amoureux du détail surtout
quand ce dernier est un brin loufoque. On n’a bientôt aucun mal à croire sa future femme,
berlinoise, quand celle-ci affirme, froidement, dès sa première rencontre avec l’auteur, alors jeune
et timide :
« Dans sa langue maternelle, c’est sûrement un moulin à paroles ».
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