Interview with Georges Berthoin - Historical Archives of the

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Interview with Georges Berthoin - Historical Archives of the
Interview with
Georges Berthoin
Interview by
G. Bossuat
Paris 27/05/1998
Voices on Europe collection
M. Georges Berthoin
)EAN MONNET ORAL PROJECf, CHAIRES JEAN MONNET D'mSTOIRE
HISTOIRE DES DEBUTS DE LA CONSTRUCfION EUROPEENNE
INTERVIEW DES DECIDEURS DE L'UNlTE EUROPEENNE
PROGRAMMEFRAN~MS
1998
Entretien avec M. Georges Berthoin , par Gerard Bossuat, professeur a l'universite de
Cergy-Pontoise, 27 mai 1998, 22 septembre 1998
Transcription realisee par Christophe Gouel, doctorant en histoire, decembre 1998-janvier
1999 et par Marie-Laure Boubass, etudiante en Droit, janvier 1999.
UE
4 cassettes
assette n° 4, face A.
HA
EU
AH
... A ceux qui entendront, nous sommes donc Ie 27 mai 1998. Ie suis chez Georges Berthoin
qui a accepte de me recevoir pour parler de Monnet et de Schuman, de son experience
d'ambassadeur de la CEE a Londres entre 1956 et 1973, de la Trilaterale aussi, il nous
expliquera ce dont il s'agit, et enfin parlera du Mouvement Europeen. Peut-etre serait-il utile
que vous presentiez vos activites professionnelles et en particulier celles qui sont liees a
I'Europe.
HA
EU
AH
UE
Alors indirectement, j'etais de 1947 a 1948 a Harvard, comme etudiant de Ph D. mele a des
ateliers organises au ... Center sur la mise en application du concept du Plan Marshall, je l'ai
done vu du cote americain. Done nous etions un certain nombre d'etudiants europeens utilises
comme cobayes par les chercheurs americains qui avaient ete charges, ils n'etaient pas les
seuls je crois, par Ie departement d'Etat de mettre en ceuvre Ie discours de Marshall en 1947.
Ensuite aux Finances de 1948 a 1950 avec Maurice Petsche, qui etait Ministre des Finances, a
son cabinet. Ensuite je suis entre dans Ie corps pretectoral en 1950, et j'ai ete nomme
directeur de cabinet de l'Inspecteur general de l' administration en mission extraordinaire,
IGAME, qui etait a la fois pretet de la Moselle, et parmi les deputes il y avait Robert
,Schuman. Done j 'ai ete envoye la en 1950, quelques semaines apres l'annonce... Ie lancement
du Plan Schuman qui eut lieu Ie 9 mai, et nous sommes arrives avec Ie pretet qui etait AndreLouis Dubois, et moi, fin juin 1950. Et j'y suis reste deux ans, et de la je suis parti pour
Luxembourg en octobre 1952 pour devenir apres une toute petite periode interimaire, chef de
cabinet de Jean Monnet, ce que l'on appelait en France directeur de cabinet, mais qui dans Ie
jargon europeen s'appelait chef de cabinet de Jean Monnet. Je suis reste avec lui apres toute
une serie d'episodes assez rocambolesques, jusqu'a son depart en 1955, ou 1954...
Il demissionne en 1954, novembre 1954 et il reste en place en fait jusqu'en 1955, jusqu'en
juin 1955.
Jusqu'a Messine.
Qui.
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M. Georges Berthoin
AH
UE
Je reste formellement avec lui. Et puis la, lorsque Rene Mayer devient President de la Haute
Autorite, il m'envoie a Londres pour seconder Max Kohnstamm qui etait charge de creer la
premiere mission diplomatique de la Communaute Europeenne, de la CECA a l'epoque. Je
suis reste a Londres jusqu'en 1973, date a laquelle la mission diplomatique etait fermee
puisque les Anglais devenaient membres de la Communaute Europeenne, c'etait en juillet
1973, il y a eu une petite periode de six mois, interimaire. Ensuite en octobre 1973 j'ai
participe a la creation de la Commission Trilaterale qui est une organisation privee, qui n'est
pas une institution publique, composee du Japon, de l'Europe de l'Ouest et de I' Amerique du
Nord. Max Kohnstamm en a ete Ie premier President europeen, ensuite il est parti pour
Florence pour diriger l'Universite de Florence. Et j'ai ete elu pour Ie succeder en 1975 et je
suis reste co-president puisqu'il y avait une co-presidence japonaise, americaine et
europeenne, je suis reste 17 ans. C'etaient des mandats de 3 ans, j'ai ete renouvele pendant 17
ans, jusqu'en 1992. Entre temps en 1978 j'ai ete elu president international du Mouvement
Europeen, ce sont des mandats de 2 ans renouvelables une seule fois, donc jusqu'en 1981. Je
succedais a Jean Rey, et mon successeur etait Petrilli ... Ensuite apres 1992 je suis entre dans
des activites beaucoup plus globales si vous voulez, l' Academie internationale de la paix a
New-York etc. Mais je n'ai plus...arriver a un age ou l'on a plus de mandat si je puis dire, tres
contraignant. On prefere etre beaucoup plus libre, voila. C' est un resume qui repond a votre
question?
HA
EU
Tout a fait. Merci bien M. Berthoin. Est-ce que vous pouvez preciser, d'ou. vous vient ce
sentiment europeen ou cet interet pour ['unite europeenne ?
AH
UE
D'abord une tradition de famille. Mon pere quand il etait jeune, et avec son propre pere a
Grenoble, animait un petit groupe pour les Etats Unis d'Europe qui s'appelait « Pour les Etats
Unis d'Europe ». Donc j'ai toujours entendu parler de l'ideal europeen. Mais sur un plan
personnel c'est pendant la guerre et pendant la Resistance que j'ai considere que notre avenir
passait par l'unite europeenne.
«
HA
. De laquelle ?
EU
Oui, est-ce que vous pouvez preciser [es origines de ['association...
Des Etats Unis d'Europe
».
Celle de mon grand-pere ? Je crois que c'est une association qui devait exister un petit peu
partout. Mais j' ai dans mes papiers les comptes-rendus de la section grenobloise de
l'association « Pour les Etats Unis d'Europe » puisqu'il doit dater de 1911, 1912.
De 1911 ?
Oui. C' est une tres vieille idee. On parle de l' idee des Etats Unis d 'Europe et de l' unite
Europeenne comme si c'etait une idee totalement nouvelle et imposee par les americains.
Mais c'est totalement faux. Victor Hugo a plante a Guernesey, j'ai un tableau d'ailleurs, un
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chene. 11 a dit « lorsque ce chene produira... », vous connaissez tout cela, «les Etats Unis
d'Europe existeront ». Donc c'est une vieille idee. Garibaldi...
Vous venez de m'apprendre OU ill'a plante.
A Guemesey.
Je l'ai meme ecris dans un article en disant.·
Maintenant je le sais.
«
je ne sais pas OU est plante ce chene ».
UE
11 existe toujours, il existe toujours.
AH
Ah c'est extraordinaire!
EU
11 existe toujours, on peut Ie photographier.
HA
Je pense que votre famille est d'un milieu politique radical ?
Qui
UE
Vous vous rappe/ez qu 'Edouard Herriot a place ce mot les
«
Etats Unis d'Europe
».
HA
EU
AH
Edouard Herriot bien sur ! Les Etats Unis d'Europe ... Le mot et Ie concept «Etats Unis
d'Europe» appartient aux Europeens et il n'appartient pas aux autres. Et si l'on veut
remonter, alors vous etes historien et je ne Ie suis pas, mais Ie concept «Etats Unis
d' Amerique », quand meme, descend des inspirations des philosophes. Et puis on peut
"remonter jusqu'a l'epoque de Sully, etc. Bon mais, dans les greves du XIXeme siecle, il y a
eu deux grands reves ... il y a eu trois grands reves: Ie reve social, bon cela c'etait Ie marxisme
etc, Ie reve universaliste et Ie reve des Etats Unis d'Europe. D'ailleurs ce qui est interessant
c'est que la fin du XX e siecle a un rendez-vous extraordinaire avec ces trois reves.
Est-ce que vous pouvez expliquer ?
Qui, aujourd'hui nous avons la globalisation et Ie gros probleme c'est de gerer la
globalisation, I'QNU, toutes ces grandes organisations. La deuxieme, comment rendre
humaine la revolution industrielle et Ie developpement du capitalisme. Et I' autre, comment
creer en Europe un systeme librement consenti qui reunit les etats, qui ne cree pas un empire
ou un imperialisme, les Etats Unis d'Europe. Voila les trois grands reves du XIXe siecle.
D'accord.
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II Y a eu des convulsions fantastiques dans Ie XXe siecle, et sanglantes pour ces trois luttes.
Or nous arrivons au debut du XXle siecle, c' est un rendez-vous extraordinaire, et
vraisemblablement en mesure de repondre positivement a ces trois defis et a ces trois reyes. Et
l'action de Jean Monnet on Ie verra plus tard, a ete un element tres important dans Ie
developpement de ces trois questions, dans Ie traitement de ces trois questions.
Est-ce que vous pensez que Jean Monnet aurait pu poser des probLemes des rapports avec son
temps de La maniere dont vous Les posez actuellement ?
HA
EU
AH
UE
HA
EU
AH
UE
Non parce qu'il n'aimait pas poser les problemes. Parce que j'ai souvent discute avec lui, et
alors il me disait: « vous etes intellectuel », bon en fait je ne suis pas intellectuel, « vous etes
intellectuel », et dans sa bouche ce n'etait pas necessairement un eloge. Parce que lui, et c'est
cela qui a ete pour nous une grande le~on, lui avait un instinct des choses qu'il fallait faire que
nous n'avions pas, parce que souvent nous allions par Ie raisonnement. II ne faut pas oublier
que la vie de Monnet est une vie qui monte, et il a en partie les qualites de l'autodidacte. Donc
il avait un instinct tres sur. Et la deuxieme chose qu'il avait, c'est il disait: « bon alors qu'estce qu'on fait ». Donc Ie passage a l'acte pour lui etait aussi important que la discussion.
Quelquefois l'intellectuel s'arrete avant Ie passage a l'acte. Bon, mais pour revenir a l'origine
sur Ie plan personnel, pendant la Resistance, je me souviens des discussions que nous avions.
Mais en 19... J'etais dans la region grenobloise, a Grenoble ... , mais il y avait les maquis etc. II
y a eu un probleme ideologique. C'est que, on pensait que les debarquements auraient lieu en
1943, alors qu'ils ont eu lieu un an plus tard. Le probleme etait de donner un contenu
ideologique beaucoup plus structure a la vie des maquis, des lendemains qui chante, etc. Or a
l' epoque il y avait trois mouvements tres forts, des mouvements je ne dis pas nationalistes
mais patriotiques, avec une teinte sociale, qui etaient au fond les gaullistes, Ie mouvement
communiste qui etait extremement fort parce que c' est la les lendemains qui chantent, etc; et
un troisieme qui n' etait ni I' un ni I' autre et d' ailleurs on se retrouvera plus tard dans les
batailles politiques, c'est ceux qui revaient d'une Europe unie. Mais a I'epoque il etait tres
difficile d'aller sur Ie plan personnel, on reprenait les themes des Etats Unis d'Europe. Moi
j'ai fais des conferences dans des groupes de resistance dans Ie Vercors etc, en parlant des
Etats Unis d'Europe. Parce que c'etait un vieux slogan qui a quand meme fait vibrer pas mal
. de gens autrefois. Mais la difficulte qu'on avait, c'est que Hitler a la fin de la guerre, a voulu
utiliser certains slogans europeens pour dire « l'Europe unie contre Ie bolchevisme ». II y a
meme eu des affiches qui essayaient de reprendre ... La division fran~aise des gens qui ont
collabore dans l'armee allemande s'appelait precisement la division Charlemagne. Donc,
apres la guerre, beaucoup d' entre nous se sont sentis liberes des difficultes, ou des ambigu"ites
qu'Hitler avait impose a l'idee europeenne, nous n'avions rien a voir evidemment avec lui.
Lorsque Churchill a propose en 1946 quelque chose comme les Etats Unis d'Europe. Et c'est
Winston Churchill, grand vainqueur europeen, Ie seul grand europeen vainqueur de la guerre
mondiale, qui a rehabilite Ie slogan des Etats Unis d'Europe. Et cela a amene a la Conference
de La Haye etc., voila.
J e vais vous dire ce que vous m'avez appris. Vous m'avez appris que L'idee d'Europe
preexistait,. certes, je savais qu'elLe existait en France, mais dans Le cadre de La Resistance
vous temoignez qu'elle etait forte ...
Absolument
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Et qu'elle existait meme avant qu 'Hitler n 'utilise lui-meme ce slogan.
Bien avant. II a essaye de capter, il n'y a pas reussi, ce qui a ete autrefois avant la guerre une
idee forte. Le mouvement de Coudenhove-Kalergi date de l'entre deux guerres. Paneuropa
etait un mouvement a vocation europeenne. Donc ce n'est pas, c'est plus qu'un slogan,... La
croyance, Ie reve europeen datait de bien avant toutes ces periodes lao Si vous regardez la
carriere de quelqu'un comme Spinelli, Spinelli c'est dans les camps, c'est dans les prisons!
Tous les gens qui sont au debut de l'action europeenne, aucun n'a ete un collaborateur, aucun!
Ce sont des gens qui ont ete victimes de la guerre, victimes d'Hitler !
UE
- Vous savez qu'il y a certains briandistes qui ont mal tourne quand meme pendant la guerre.
AH
Oui, je vous parle des gens qui ont ete a l'origine de l'action europeenne apres la guerre.
EU
Qui bien sur.
HA
Oui il y a aussi des communistes qui ont mal tourne, et des socialistes. Non, je vous parle des
gens qui ont commence a militer ouvertement apres 1945.
UE
Une question encore pour l'idee europeenne dans la Resistance, et plus particulierement dans
la region grenobloise. Quels etaient vos mouvements de Resistance, vous n'avez pas precise
d'ailleurs Ie nom...
AH
Combat.
EU
Cela ne m'etonne pas.
HA
Mais entre nous on ne savait pas tres bien ce que l'on choisissait. N'oubliez pas ce qui etait
organise sur Ie systeme des sizaines. On n'allait pas dans une boutique s'inscrire au
mouvement Combat. Moi j'ai realise plus tard que c'etait cela. Je l'ai realise assez vite parce
que 1'on distribuait Ie journal « Combat », et les petites feuilles que l'on collait sur les murs.
Mais c'est Ie hasard.
Est-ce que vous eriez en rapport eventuellement avec d'autres personnes qui pensaient a
l'unite europeenne? Je pense en particulier a d'autres mouvements de Resistance par
l'intermediaire de la Suisse, parce que la Suisse a ete un grand lieu de rendez-vous entre les
resistants, en particulier en 1944 avec Spinelli, et ensuite...
Oui, Je suis entre dans la Resistance en octobre 1940, j'avais 15 ans. Alars j'etais vraiment a
la base de la base. II ne faut pas oublier ! Mais nous etions des etudiants, vous savez
l'Universite de Grenoble pendant la guerre a ete extremement bouillonnante. on discutait
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enormement. Et l'Europe etait un des themes dont on discutait. D'ailleurs cela me revient, en
automne 1944, alors que la guerre n'etait pas terminee, nous avons organise une reunion sur
l'Europe ... Le nom de l'organisation c'etait l'UEP, l'Union des Etudiants Patriotes, et c'est
done un des themes dont nous avons discute avant la fin de la guerre.
Est-ce que vous pouvez preciser Ie contenu que vous mettiez dans cette Europe unie ?
Etats Unis d'Europe.
UE
D'accord, mais Etats Unis d'Europe c'est relativement vague. Est-ce que c'est l'Europe de
Coudenhove-Kalergi, est-ce que c'est l'Europe deja occidentale ou pas?
AH
Qu'est-ce que vous voulez dire?
EU
Je veux dire, est-ce que vous aviez deja une vision de la geographie de l'Europe, de l'etendue
de I'Europe ?
EU
AH
UE
HA
C'etait a l'epoque oil il n'y avait pas de rideau de fer, il n'y avait pas de division. Par
consequent c'etait... Le grand reve, qui etait d'ailleurs un reve «rooseveltien », etait la
rencontre, la convergence de la revolution ou de l'existence communiste et de la revolution
democratique. On ne pensait pas qu'ils seraient necessairement ennemis. On commen~ait a Ie
voir. Moi j'ai raconte un incident par ailleurs qui etait Ie 6 juin 1945, lorsque Jacques Duclos
est venu a Grenoble pour celebrer Ie 6 juin. Et tous les discours etaient sur la brillante victoire
de Stalingrad. Nous avons ete quelques uns a vouloir prendre Ie micro, nous avions parle
d'ailleurs, mais on nous a interdit Ie micro. Nous avons quitte... c'etait au velodrome de
Grenoble, il y avait 35 000 personnes, nous avons quitte... Et la j' ai vu la falsification
historique. Alors que j'avais des amis, de tres proches amis qui etaient dans Ie Parti
communiste, alors ils ont tous petit a petit quitte. Done l'Europe etait pour nous une idee
forte.
Absolument.
HA
D'accord, est-ce que vous mettiez I'Angleterre dedans ?
Ce n'etait pas Ie cas de Churchill a Zurich en 1946 ?
Non, mais vous savez quand vous etes a la base, vous nagez dans l'illusion des bonnes
intentions.
Qui d'accord.
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UE
Mais, Ie discours de Churchill est de 1946. Je vous parle en 1945. Pour notre generation, Ie
pays phare, c'etait la Grande Bretagne, Ie pays qui avait resiste. C'etait la BBC, c'etait la
revolution sociale egalement, les travaillistes, etc. Done pour nous la reference c'etait la
Grande Bretagne, c'etait Londres. Et d'ailleurs beaucoup d' Anglais aujourd'hui vous diront,
c'est une enorme, c'est une grande occasion qu'ils ont rate. IIs avaient un leadership total. Et
c'est la France qui a pris ce leadership. Parce qu'il y a beaucoup d'occasion ratees dans
l'histoire. Alors 1946 si vous voulez, c'est d'ailleurs l'impact de ce qu'a dit Churchill etait
precisement... Apres tout Churchill a l'epoque etait une personne privee, il n'etait plus public.
Mais Ie fait que ce soit un Britannique qui dise cela, et il n'y avait qu'un Britannique qui
pouvait redonner Ie cachet de la grande victoire democratique a l'idee europeenne, qui n'avait
pas ete abimee par Hitler, mais elle avait besoin de quelque chose. II fallait que cela vienne de
l'Angleterre. Et Ie fait que cela vienne d'Angleterre ... Le congres de La Haye de 1948 a ete
organise en grande partie sous Ie leadership britannique. Churchill a mis son gendre, DuncanSandys, comme organisateur, etc. Et tout Ie monde est venu sauf les socialistes d'un certain
pays, notamment en France ils ont eu l'interdiction de venir.
AH
Ramadier est venu, c'est lui qui presidait la commission.
EU
Qui, mais en dissidence.
HA
Non, avec l'approbation...
UE
Non, non! J'ai eu une conversation a ce sujet avec Gerard Jaquet, Mitterrand, a l'Elysee, bon.
et bien justement. Mitterrand nous disait: « J'etais au Congres de La Haye parce que je n'etais
pas socialiste a l'epoque ».
EU
AH
D'accord.- Donc 1946-1948, il me semble que vous n'etes pas encore dans Ie corps
prefectoral ?
HA
Non, pas du tout. Alars je pars pour l'Amerique. Je pars pour l'Amerique pour apprendre
l'Anglais parce que j'etais tres faible. Et la, j'ai raconte recemment dans un papier que j'ai
fait, nous etions un tout petit nombre d' etudiants europeens. Et la il y avait des gens d' origine
allemande, enfin il y avait plusieurs... Et Ie fait... Et aux Etats Vnis nous avons decouvert les
uns et les autres, je dirais physiquement, ce que la notion d'Etats Vnis pouvait apporter de
plus a des europeens, qui deux ou trois ans avant etaient de part et d'autre dans Ie conflit. Et
cela nous /a donner une dimension individuelle beaucoup plus grande, avec un effet
liberatoire. Et on nous a tous offert des jobs. Et tous dans Ie groupe d'amis, sauf deux, nous
avons decide de rentrer en Europe, pour faire les Etats Vnis d'Europe. Alors je ne dis pas cela
d'une maniere romantique si vous voulez. Mais quand on a, quand on decouvrait, surtout a
l'epoque, en 1947, les Etats-Vnis, c'etait une planete totalement differente. Et on voyait
realiser dans la realite, realiser Ie vieux reve. A la fois Ie reve de nos peres et grands-peres, et
Ie reve que l'on avait eu pendant la periode de la Resistance. D'oll non seulement la notion
Etats Vnis d'Europe - Etats-Vnis d' Amerique a stade voisin, mais l'inspiration que nous
cherchions les uns et les autres dans Ie modele americain. Et cela a eu une enorme influence
etc. Et vous Ie retrouvez dans l'action de Jean Monnet. Alars, done, rentrer en Europe pour
cela. C'est-a-dire il faut apprendre un metier parce que bien avant l'idealisme... Alors aux
Finances j'ai appris evidemment beaucoup de choses. Ensuite a la Prefectorale, mais j'avais
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toujours cette idee lao Et quand j'ai entendu comme tout Ie monde la declaration de Schuman,
j'etais a Paris. Si vous regardez d'ailleurs la presse de l'epoque... Tout Ie monde a compris
que cette fois c'etait une proposition serieuse. Parce qu'il y avait eu beaucoup de proposition
avant cela, il y avait eu Ie FRITALUX, toute une serie de choses. La on s'est dit, la il y a
quelque chose de totalement nouveau. Et ce qui etait nouveau et ce qui a frappe, c'est qu'il y
avait un element de transfert de souverainete. Et il y avait Ie mot « Federation Europeenne ».
Ceci venant d'un Ministre des Affaires etrangeres franc;ais, cela avait une credibilite toute
speciale.
Est-ce que vous pouvez apporter un temoignage en contre point sur Bidault, non pas
forcement pour I'enfoncer, mais quelle etait sa maniere de percevoir les questions
europeennes par rapport aSchuman ?
HA
EU
AH
UE
HA
EU
AH
UE
A l'epoque il n'y avait pas de contraste entre eux les deux. C'est plus tard que c'est venu.
Bidault a rate l'occasion parce qu'il n'a pas ouvert Ie fameux tiroir dans Ie quel Monnet avait
mis Ie texte. II etait president du Conseil. Mais il n'y avait pas a l'epoque, je parle d'un
temoignage, je ne sais pas ce que les documents ..., il n'y avait pas un contraste fondamental
entre les deux hommes. La raison de la difference, et cela je l'ai compris en allant en
Lorraine, en Moselle, c'est que pour Schuman, cette idee la je dirais, etait consubstantielle a
ce qu'il etait et ce qu'il avait toujours ete. Parce que Ie drame de Schuman c'est Ie drame de la
Lorraine, de cette region lao Et l'offre d'une communaute europeenne de charbon et d'acier,
liberer cette zone d'une malediction historique. Et Bidault ne pouvait pas comprendre cela, il
ne l'avait pas vecu. Moi j'ai souvent discute avec Schuman alors qu'il etait Ie depute de la
Moselle, donc je suis aIle en juin-juillet 1950 prendre mon poste, j'ai souvent discute avec lui.
A l'origine de sa demarche il y a la logique d'un bon depute lorrain, pas simplement l'homme
d' etat europeen, franc;ais etc, autre chose. C' est en tant que depute lorrain. Et j' ai compris
lorsque nous avons fait les visites dans les differentes villes, villages de la Moselle et puis de
la Lorraine en regardant les monuments aux morts. Vous avez a « nos morts », et puis deux
colonnes: armee allemande, armee franc;aise. C'est cela sur les monuments. La j'ai compris
qu'il y avait une dimension toute speciale. Et en plus quand on a vu la reconstruction de la
siderurgie et la reorganisation des charbonnages, et que dans certaines usines ou certaines
mines, la frontiere qui etait une frontiere strategique, passait a travers la mine, dans la region
. de Forbach par exemple, etc. Ou la frontiere dans la region d'Esch sur Alzette et du cote de
Longwy. Et quand j'ai vu, - j'ai bien connu la famille Wendel- , que la frontiere de 1870
passait a travers leurs propres usines. Proposer une politique qui permettait aces differentes
entites divisees par l'histoire et les necessites militaires, de vivre dans une seule communaute,
cela la liberait totalement et lui rendait ses possibilites de richesses. Et cela c' est une des
raisons pour lesquelles Schuman a compris si vous voulez, beaucoup mieux que n'importe
quel parlementaire de l'interieur, comment dire, en Lorraine, la portee de ce que Monnet
suggerait. Et ce n' etait pas une proposition politique ou technique, c' etait une proposition
vitale.
Qui, vous avez vraiment tres bien explique cela. J e voudrais vous poser une question a ce
propos La. Souvent on presente Adenauer, Monnet, Schuman, De Gasperi comme les hommes
de la Frontiere. Ils Ie sont d'une certaine maniere. Est-ce que vous pensez que les motivations
d'Adenauer par exemple, etaient les memes que celles de Schuman?
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AH
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Elles etaient les memes, avec egalement une dimension qui existait chez les deux, et chez
Gasperi que je n'ai pas mentionne, une dimension spirituelle. La notion du pardon. II est tres
difficile de pardonner au niveau de l'offense, vous ne pouvez pardonner qu'en etant a un
niveau superieur a celui de l'offense. Et en proposant et en acceptant la requete d' Adenauer,
un ideal qui depassait les contraintes et les logiques purement nationalistes et guerrieres, on
avait une meilleure chance de se rassembler, et de se rassembler sincerement. Cela n'a jamais
ete... Cette affaire des Ie debut n'a pas ete un element superpose a la realite de maniere
artificielle. C'etait vecu profondement. Moi j'ai vu dans des reunions europeennes des gens
pleurer ! Quand Adenauer d'ailleurs est venu voir De Gaulle et qu'il y a eu la messe
commune a Reims, les gens qui etaient la avaient les larmes aux yeux ! Et pas par une
emotion facile, mais de ces larmes que l'on contient parce qu'on ne pleure pas. Et cela sortait
de choses, d'etat de souffrance, de desillusions. A l'origine, on l'a oublie malheureusement
parce qu'on parle de l'harmonisation de la TVA, de tous ces trucs la, cela fait partie des
choses de la vie si vous voulez. Mais l'origine de cette affaire qui etait credible parce qu'on
s'appliquait au charbon et a l'acier, autrement dit on rentrait dans la realite industrielle des
choses, une dimension humaine et spirituelle extremement puissante, qui a ete sentie des Ie
debut. D'ailleurs Denis de Rougemont, vous n'avez qu'a voir tout ce qu'il a ecrit la-dessus. Et
Schuman pour lui, cela a ete Ie couronnement de sa vie en tant que Lorrain, en tant
qu'individu Schuman. II etait Ministre des Affaires etrangeres, donc il avait Ie pouvoir.
a 1952.
HA
De 1950
EU
Puisque vous aviez des responsabilites prefectorales a ce moment la, c'est-a-dire en 1950...
AH
UE
De 1950 a 1952. Est-ce que vous pouvez preciser si au-de/a des elites, - Schuman fait partie
des elites, il est depute -, les gens a la base partageaient le sentiment que la proposition de
Schuman etait l'avenir pour eux?
HA
EU
Alors, d'abord la jeunesse, certainement. Les elites en place, les elites oui, mais il y avait en
Lorraine une division et qui va m'amener a vous racontez un episode interessant parce qu'il a
eu une influence sur Ie cours de l'histoire. Je l'ai deja raconte dans une interview, mais jusque
'la, cela a ete secret. Quand Andre Dubois a ete nomme, il a ete convoque par Ie President de
la Republique Vincent Auriol, pour succeder a Perillier qui est devenu resident en Tunisie.
Vincent Auriol lui a donne une instruction qui n'etait pas censee exister, en lui disant: « les
rapports que j'ai indiquent qu'aux elections de 1951 Robert Schuman sera battu. Je ne suis
pas partisan du Plan Schuman », il n'etait pas europeen, « mais on ne peut pas laisser mettre
en cause la politique de la France a l'occasion d'une defaite electorale locale. Donc, faites en
sorte que Robert Schuman soit elu ». Et nous sommes partis avec cette instruction qui n'etait
pas censee exister, et une partie de mon activite a consister a faire en sorte qu'il soit elu. Cela
c'est absolument..., c'est une des raisons du lien tres fort qui existait entre Schuman et moi. II
est venu ici meme pour me remercier, mon pere habitait ici. Et alors nous avons fait une
manipulation. Schuman etant Ministre des Affaires etrangeres, etait oblige de voyager
enormement. Donc il etait souvent absent. Et il avait contre lui une partie des maitres de
forges qui voyaient d'un mauvais ceil la creation de cette communaute du charbon et de
l'acier, ils preferaient reorganiser par Ie comite des forges les rapports excellents d'ailleurs,
qui existaient entre maitres de forge des differents pays , hollandais, belges, allemands,
luxembourgeois, etc. Donc ils etaient contre, plus pour cette raison que pour des raisons de
transferts de souverainete etc. Cela existait mais ce n'etait pas encore Ie gros debat. Le debat
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UE
c'etait que la Chambre syndicale de Ia siderurgie etait contre, absolument contre, tres
fortement contre. Donc, Schuman avait toujours ete elu sur Ies Iistes d'Union Lorraine, n'estce pas. En Lorraine la politique n'etait pas violente, c'est elle qui etait patronnee par Ies
Wendel. Et Ia il y a eu divorce. D'un cote il y a eu les Wendel, allies avec Ie RPF, et de
l'autre cote Schuman toujours absent, ou tres souvent absent, avec son Plan, et qui etait
minoritaire. J'ajoute qu'a l'epoque en Lorraine, les radicaux, les socialistes, tout cela etaient
presque consideres comme des communistes-, c' etait vraiment la gauche, c' etait la gauche de
Ia gauche. Et Ie MRP n'etait pas tres solide en Lorraine, il l'etait grace si vous voulez, a
Schuman et quelques... Mais il n'avait pas l'implantation assez forte qu'il avait dans d'autres
regions de France. Donc dans toutes les reunions locales tous les dimanches, les commissions
agricoles, les salons, etc. il y avait toujours Ie message adresse par Robert Schuman pour que
son nom soit la, dans Ie journal local, etc. Ces messages etaient faits dans mon bureau en
accord avec Metsdorff qui etait son secretaire prive. Mais on a systematiquement redonne a
Schuman une presence forte et quotidienne. Et cela compte la chronique locale. Puis, enfin
tout cela ce n'est pas si bien. Alors il venait...Pardon...
AH
Il a ete elu ?
HA
EU
11 a ete elu alors, parce qu'il y a eu un subterfuge. Pas de choses fausses, mais il y a eu un
subterfuge. A l'epoque Ie gouvernement pour essayer d'ecarter les gaullistes, Ie RPF, a cree la
loi sur l'apparentement. Vous vous souvenez du systeme ?
Qui, je connais.
HA
EU
AH
UE
Ce n'etait pas tres democratique. Or, Ie depute-maire de Metz qui etait Ie chef de file, etait
Mondon. Un homme tres sympathique, tres dynamique etc, plutot europeen finalement, mais
enfin il etait dans une logique differente. Et la loi sur l'apparentement disait que les chefs des
listes, les H~tes de listes devaient signer ensemble la declaration d'apparentement qui etait
conclue avant I' election. La difficulte c' est que celui qui se serait apparente avec les
socialistes et les radicaux risquait de declencher des reactions chez d'autres parties, tous les
details il faut que je les retrouve etc. Mais Ie scenario etait de creer un apparentement entre
.Schuman, Ies radicaux et les socialistes, auquel les gaullistes ne croyaient absolument pas
parce que cela paraissait contre nature. Donc Ie soir du depot des dernieres listes j' ai appele Ie
chef de division charge des operations electorales vers 11 heures, en lui disant « bon, il n'y a
rien », alors les gaullistes qui avaient leurs informations etaient tranquilles. On avait combine
que ce soir la Schuman donnait une conference a Sarrebourg, qui est a 120 kilometres. 11 etait
convenu que dans la nuitj'allais Ie voir, j'avais une declaration d'apparentement signe par les
socialistes et les radicaux, il ne manquait que sa signature, c' est totalement secret. Donc j' ai
pris moi-meme une voiture avec Ie dossier, j'ai fait signer. Schuman s'amusait beaucoup ; il
disait : «Ah, Monsieur !». Donc vers 2 heures du matin, j'ai fait signer, je suis rentre et Ie
Iendemain j'ai dit: «ecoutez il y a eu une declaration d'apparentement ». Alors les gens ne
savaient pas comment cela c'etait passe. C'etait signe, et c'est grace c;a ceia qu'il a ete elu a
300 voix pres sur un corps electoral de 800, 700 000 personnes. Et s'il avait ete battu Ie Plan
Schuman ne pouvait pas demarrer. 11 l'a reconnu, il l'a dit lui-meme. C'est une petite
contribution.
Autrement avez-vous continue a voir Robert Schuman apres ?
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Qh oui, jusqu'a la fin de sa vie! Nous etions fideles si vous voulez
Est-ce que vous pouvez preciser s'il avait evoLue par rapport aux questions europeennes ?
Est-ce qu'iL a toujours soutenu pLeinement Les differentes propositions d'unite ?
Absolument.
UE
Est-ce que vous pensez qu'iL a, a certains moments, cherche a intervenir dans Le processus
d'unite?
EU
AH
UE
HA
EU
AH
D'abord, parce que nous avions des rapports personnels extremement forts, j'ai suggere que
l'on celebre Ie 9 mai 1953, ce qui est devenue la fete de l'Europe, la declaration Schuman.
Qu'on en fasse une fete, et qu'on invite Schuman. Et Schuman a fait un discours a
Luxembourg, dans Ieque 1 il a raconte comment l'affaire s'est deroulee. C'est un manuscrit de
11 pages qu'il m'a donne d'ailleurs. Ce qui est un drame c'est que je ne sais plus ou il est, il
est dans cet appartement, mais j'ai la photocopie, c'est 11 pages ou il explique lui-meme.
Donc il recommen~ait a reprendre un role. Ensuite, lorsqu'il y a eu l' Assemblee commune, Ie
Parlement Europeen, j'etais de ceux qui ont beaucoup milite pour qu'il devienne President du
Parlement. Donc il a ete President du Parlement Europeen. II avait une action et une influence
considerable en matiere europeenne. Et tout ce qui s'est passe par la suite, ill'a soutenu. II y a
eu un livre que 1'0n a publie qui s'appelle« Pour I'Europe », quelque chose comme cela, qui
est un decoupage d'articles etc, et qui donne l'impression qu'il a recule par rapport aux
natiORs supranationales etc. Mais... Ce que certains ont utilise si vous voulez dans les debats
en disant: «vous voyez Robert Schuman a dit cela ». Non, pas du tout. II a ete toujours
favorable, d'ailleurs c'est dans la Declaration, a une conception de caractere federal. II a parle
de la federation europeenne a la declaration du 9 maio II n'a jamais renie cela.
HA
. Pardon, La vous abordez une autre question qui est importante. Est-ce que vous estimez que
Robert Schuman a trempe, Le mot n'est peut-etre pas bon, dans La redaction de La declaration
du 9 mai ? Parce que vous venez de me dire que Le mot « federation» est dans La declaration,
je suis d'accord avec vous.
Federation europeenne.
Ie mot federaL, je ne sais pLus exactement, mais c' est du Monnet, ce n 'est pas du Schuman ?
Qui c'est du Monnet.
Donc je vouLais vous demander de bien vouLoir preciser si vous estimez qu'iL a apporte
quelque chose a La declaration ?
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UE
Alors, j'ai entendu des theses si vous voulez apres. Mais je ne peux pas vous donner de
temoignage direct la-dessus. Sauf que, quand il parlait de la declaration, elle correspondait a
ce que toute sa vie il avait souhaite. C'est un rhenan comme Adenauer, c'est Ie vieux reve
rhenan. Mais sur Ie plan de ..., sur la fabrication, la redaction de la declaration, je ne sais pas
quelle part personnelle il a joue. En tout cas il a joue Ie role principal, c'est qu'ill'a accepte.
Or vous savez, un ministre, meme s' il n' a pas redige, il a pris la responsabilite politique, et il
l'a pris sciemment. Bidault n'a pas compris. S'il avait compris il aurait peut-etre saisi
l'occasion. Mais Schuman a compris, Rene Mayer a compris, Pleven a compris, c'etait en fait
des gens qui etaient proches de Monnet. Mais Schuman a pris Ie risque politique et historique.
Et rna these, il y a des gens qui diront peut-etre Ie contraire, c' est que vous ne pouvez bien Ie
comprendre qu'en regardant la dimension Lorraine, les drames de la Lorraine. Et donc c'etait
tres fort. De meme que vous ne pouvez pas comprendre, cela Eric Roussell'a utilise, Monnet
si vous n'allez pas a Cognac. Ce sont des hommes, ce ne sont pas des machines. Pour
Schuman, si vous voulez, c'est Ie chemin de Damas et puis Notre Dame, tout ce que vous
voulez, C' est cela. Toute sa carriere et toute sa lutte politique a ete determinee par ce choix lao
EU
AH
Est-ce que vous pouvez apporter un temoignage sur l'attitude de Schuman par rapport a
l'Allemagne anterieurement a la declaration? Vous vous rappelez qu'il a fait un voyage en
Allemagne qui ne s'est pas tres bien passe, c'etait en...
HA
Qui, j' aime bien ce mot.
EU
AH
UE
HA
Mars 1950, en tant que Ministre des Affaires etrangeres fran<;ais, parce que la politique
etrangere fran<;aise a l'egard de l' Allemagne redevenait traditionnelle, l'esprit de Versailles.
Et a ce moment la l'esprit de Versailles etait rejete par tout Ie monde, et nous n'avions plus la
force que nous avions apres la premiere guerre mondiale pour l'imposer. Par consequent nous
nous trouvions de plus en plus dans l'impasse, n'est-ce pas, dans l'impasse. Et ce qui etait
grave dans les malentendus de Schuman dans ce voyage la, c' est que, etant de culture
allemande il n'y avait pas de questions de mauvaise interpretation etc. Et il y avait une grande
inquietude, et c'est a ce moment la que Monnet a pu dire: « bon, on va vers Ie mur ». Et on a
transforme ce qui etait une crise en initiative de politique etrangere dont les effets benefiques
pour la France, durent toujours. Et Adenauer, parce que Ie rapport avec Adenauer avait ete
difficile en mars. Les rapports avec Adenauer sont devenus ... Parce que lui aussi a ete libere.
Le phenomene europeen, c'est cela que l'on explique mal, a un aspect liberatoire.
Cela vous libere. Vous ne trahissez pas votre patriotisme, mais votre patriotisme vous impose
quelque chose. Et tout d'un coup on vous offre avec la paix, quelque chose de plus large.
D'ailleurs Monnet l'a raconte je crois dans une sorte de temoignage, et Kohnstamm un jour
m' en a parle. Lorsque ces diplomates allaient a la conference, enfin on anticipe, mais a la
conference pour la mise en reuvre de la negociation du Traite de Paris, ces diplomates
arrivaient avec des instructions limitatives. Monnet ne les mettait pas en cause, il les
sublimait. Et les gens tout d'un coup sentaient qu'il fallait aller au-dela des instructions. Et en
allant au-dela ils entraient dans un espace beaucoup plus libre et ou tout Ie monde se
retrouvait. Quand je parle d' effet liberatoire je crois que c' est l' expression qui se rapproche Ie
plus du phenomene psychologique dont vous avez l'experience quand vous passe du national
a l'europeen, par cette methode lao Et vous ne trahissez pas Ie national. Un peu pour moi en
experience, Ie me me effet que j'ai ressenti en arrivant aux Etats-Unis d'Amerique. On a une
autre dimension mais on est toujours soi-meme. Alars l'erreur c'est que l'on a mal explique
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cela par la suite, et que l'Europe est apparue comme ennuyeuse, tatillonne, etc, Mais c'est
comme la vie quotidienne. Mais cela a fait cet effet liberatoire, a produit cet effet. Et pour
Adenauer cela a ete Ie cas, pour Gasperi cela a ete Ie cas. D' ailleurs ce qui est amusant c' est
que taus les gens qui venaient a Luxembourg, meme les gens de la siderurgie qui etaient
contre, tout d'un coup avait une dimension plus large. Et cette dimension va petit a petit
s'imposer. Et il y a enormement de gens qui sont venus dans les institutions europeennes qui
etaient totalement hostiles, qui sont devenus des neophytes tres convaincus. Parce que c'est
une experience psychologique individuelle. Meme avec les Britanniques cela a ete la meme
chose. Et il se trouve que l'architecte de cette transformation psychologique est l'homme qui
a ete toujours en permanence en train de creuser Ie meme sillon, c' etait Monnet et Ie seul. Les
autres ils sont passes, ils avaient autre chose etc. Monnet a toujours pousse dans cette meme
direction depuis la note d' Alger. La conception du plan, du commissariat au plan fran<$ais, la
remise en ordre de la France pour etre en mesure d' etre dans Ie systeme europeen fort.
UE
Interruption.
AH
Face B cassette n04.
HA
EU
[Schuman] Bon vous savez qu'il n'a jamais ete dans l'armee allemande contrairement a ce
que l'on a dit n'est-ce pas.
AH
11 a ete officier d' administration.
UE
Qui, j' aimerais bien que vous evoquiez ce point.
Cela c'est pendant La premiere guerre.
HA
EU
Premiere guerre mondiale. Et dans la deuxieme guerre il a ete interne par les Allemands.
. Donc quand on l'a traite de Boche, vaus vous souvenez, a l' Assemblee Nationale, cela a ete,
c'etait ignoble de faire cela parce que c'est un homme qui a souffert des Allemands. Mais il
avait une formation germanique comme Gasperi etc. Et il comprenait certaines chases. Mais
je raconte une histoire precise, les Allemands... les familIes d'allemands qui avaient habite en
Lorraine, ne pouvaient pas habiter, il fallait une autorisation de sejour. Et l'un des voisins de
Robert Schuman etait Ie fils de l'ancien maire allemand de Metz a l'epoque et apres 1970 et il
avait une petite maison, et il n'avait pas l'autorisation de sejour. J'avais vu Ie dossier puisque
c'est moi qui ai traite ces dossiers sur Ie plan politique, et vraiment il n'y avait rien, il n'y
avait pas de criminels de guerre ... Donc j' avais donne l' autorisation. Et Schuman quand il
venait, venait me voir ou j'allais Ie voir dans sa petite maison, on avait des conversations la.
C'etait un erudit. J'ai vu Gide annote par Schuman. 11 avait une bibliotheque extraordinaire
qui a ete dispersee en partie d'ailleurs. C'etait un amateur d'autographes ... C'etait un tres, tres
grand lettre, un tres tres grand lettre. Ou alors il venait a la prefecture, alors il frappait a rna
porte, et puis je voyais son nez... Et il me dit: « a propos )), je ne me souviens plus du nom de
ce fils de maire allemand, « vous avez donne une autorisation, tres bien, vous comprenez nos
regions )). C'est tout, voila.
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Pouvez-vous dire un petit mot sur la situation de Robert Schuman en 1944. Parce que j'ai lu
quelque part qu'if avait eu, quand meme des ennuis sinon avec le gouvernement provisoire,
du "Loins avec l'administration franc;aise ?
EU
AH
UE
Je ne peux pas, je n'ai pas de temoignage direct d'abord, et aucun souvenir de discussions a
ce sujet. La situation de ces regions la etait tres complexe, c' est pour cela que je vous ai
rappele « a nos morts» et puis les deux armees. II y a eu beaucoup de gens de ces regions qui
etaient annexees n'est-ce pas. Ce n'etait pas la France occupee, c'etait annexe. II y avait un
gauleiter qui etait la prefecture, je crois que c' etait Ie gauleiter Sauckel n' est-ce pas. Donc
c' etait un territoire allemand mais avec un statut special. II y a done eu des incorporations de
force ce qu'on appelait les « malgre nous », et il y a une association d'anciens combattants
« Les malgre nous ». Et cela a rendu Ie traitement de la relation franco-allemande dans la
perspective vainqueur-vaincu, extremement complexe dans cette region lao Et notamment
pour juger un certain nombre d'actions, notamment Oradour sur Glane, puisque a Oradour sur
Glane, il y avait dans cette division des gens qui avaient ete incorpores de force. C' est pour
cela... Ce sont des situations et ce sont des destins personnels extremement difficiles a juger
en blanc ou noir. Je me souviens en faisant des visites chez les conseillers generaux, voyant
dans la salle a manger de ce brave elu local Ie dipl6me et la croix de fer du grand-pere, la
croix de guerre du fils, etc. C'est pour cela que cette region de France a ete totalement liberee
par la politique europeenne. II n'y a plus d'antagonisme. Et n'ayant plus d'antagonisme ils
s'en sont sentis encore plus a l'aise comme Franc;ais.
UE
HA
Donc je retiendrais que la perspective Lorraine de Robert Schuman dans l' acceptation du
projet de Declaration...
EU
AH
Et dans l'interiorisation, pas autorite, c'est communaute europeenne, communaute. Le mot
« communaute» que l'on a eu tort d'abandonner, a une notion beaucoup plus humaine,
beaucoup plus chaleureuse, «une communaute », que la notion «union ». C'est d'ailleurs
faux parce que « union» theoriquement va beaucoup plus loin que «communaute », mais
cela a ete... II y a eu une epoque ou l'on a fait du vocabulaire europeen. Mais « communaute
europeenne» c'etait une formule qui avait cette chaleur et ce contenu humain a l'interieur
.duquel chacun etait a l'aise. Voila, d'ailleurs sur Ie passeport c'est toujours « communaute
europeenne ».
HA
Alors on termine sur Schuman ? Simplement pour dire que sans Schuman, ou sans
l'homme politique qui a pris la responsabilite, les choses n' auraient pas pu se faire. Donc
Monnet avait besoin du vehicule politique et de quelqu'un qui prenait la responsabilite
politique, mais en meme temps aucun des hommes politiques n'aurait eu l'idee, la
conception... parce qu'il y a tout l'itineraire personnel de Monnet, la premiere, deuxieme
guerres mondiales, les pools de ... etc. II a ete Ie seul parce que c'est quand meme un homme
politique, ce n'est pas un fonctionnaire, Ie seul qui a eu cette permanence dans l'action, cette
tenacite.
VOLtS
parlez de Monnet la ?
Je parle de Monnet. L'un au debut avait besoin de l'autre et reciproquement.
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Peut-etre est-ce le moment de passer aMonnet. Quand avez-vous rencontre Monnet ?
AH
UE
Monnet je l'ai rencontre deux fois, mais rencontre totalement anonymes si je puis dire,
lorsqu'il venait au Ministere des Finances voir Petsche. Et la premiere fois que je l'ai vu il y a
eu un dejeuner dans la petite salle a manger a cote du bureau au Louvre, et Monnet etait la,
mais c'etait Ie Haut commissaire au plan. II y avait une certaine tension entre Ie Ministere des
Finances et Ie Haut commissariat au plan parce qu'en fait, aux Finances, je n'etais pas un des
cadres mais j'etais dans Ie cabinet du ministre, Monnet et Ie Haut Commissariat etaient pen;us
comme a beaucoup d'egards, une institution plus forte que les Finances. Ce n'est pas
l'habitude du Ministere des Finances de ne pas se sentir... Pourquoi ? Parce qu'il avait une
influence enorme sur Ie deblocage des contre-valeurs du Plan Marshall, et son amitie avec
Hoffman. Et en meme temps les deblocages se faisaient selon une utilisation assez rationnelle
des fonds. Donc Ie Plan avait une enorme importance. Et derriere l'idee du Plan il y avait
l'arme du deblocage. Donc il avait une position plus forte que celle du Ministere des Finances
d'une part. D'autre part Monnet avait toujours eu l'art de trouver des formules
institutionnelles originales, il n' etait pas fonctionnaire, il n' etait pas ministre, il etait Haut
commissaire, et il avait pour lui la duree que les ministres n'avaient pas. Donc c'etait aussi
une superiorite.
EU
Donc cela c' etait votre periode avant...
UE
HA
C'est 1948-1950. Donc cela c'est la rencontre. Mais c'est une rencontre vraiment la... j'etais
vraiment Ie preneur de notes.
AH
Avant de continuer sur Monnet puisque vous venez de citer Maurice Petsche, qui est aussi un
Ministre des Finances oublie, comment pouvez-vous qualifier ses sentiments europeens ? Estce qu 'if a fait quelque chose pour l'unite europeenne d'apres vous.
EU
II n'y avait pas grand chose. II y avait des conversations. II y a eu la creation de l'QECE bien
sur...
HA
Qui c'est dans le cadre de I'OECE.
Qui, mais c'etait une organisation theoriquement europeenne. Mais enfin elle etait la pour
gerer la contre-valeur, enfin la perspective Marshall et l'union europeenne des paiements si
vous voulez. Donc la oui, tres bien. Petsche personnellement etait europeen. Enfin je me
souviens quand il y a eu la declaration Schuman il etait enthousiaste. Je ne sais pas s'il etait
encore Ministre des Finances, je ne Ie crois pas, mais ill' etait personnellement. Mais Petsche
etait sur une carriere si vous voulez, sur une trajectoire politique qui l'aurait conduit
vraisemblablement a devenir President du Conseil, mais enfin il a eu ses problemes de sante
donc il n'a pas pu continue. Mais Petsche etait place sur l'echiquier politique de telle sorte, a
un tel endroit qu'il avait cet avenir lao Donc ille gerait certainement, mais il etait europeen et
je sais qu'il a soutenu, enfin je Ie sais parce que cela je l'ai entendu me me chez lui, rue de la
Faisanderie, il soutenait l'action europeenne de Schuman et de Monnet.
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Donc vous ne voyez pas de contradiction eventuellement entre ses propres positions
l'OECE et celles de Schuman?
a
Non, parce que l'une etait la continuation de l'autre. De meme que Ie Conseil de l'Europe au
debut c'etait la solution, et puis ensuite on a vu que l'on etait bloque, donc il fallait aller plus
loin, d'ou la demission de Spaak de la presidence de l' Assemblee consultative du Conseil de
l'Europe.
Est-ce que vous pensez que les hauts fonctionnaires du Ministere des Finances mettons ceux
de la Direction du Tresor ou de la DFE, approuvaient Ie plan Schuman?
UE
HA
EU
AH
UE
Je ne peux pas vous Ie dire de fa~on directe parce que Ie secteur dans lequel je... Vous savez
au Cabinet du Ministre ai' epoque, je ne sais pas si cela existe, on appelait cela les
portefeuilles. Donc j'avais les profits illicites et les sequestres et c'etait quelque chose de
grande confiance. II fallait voir ce que c'etait. Les relations parlementaires sur un certain
nombre de dossiers et parfois de maniere episodique, Ie Plan Marshall. Mais enfin il y avait
des gens pour Ie Plan Marshall, mais en fait de maniere episodique, puisque j'avais ete... Bon,
mais a l'epoque, alors la vous pouvez encore, ils sont toujours la Jean Guyot, etc ... jouaient
un role important, donc il a temoigne la-dessus. Gaudet etait aux Finances aussi, on a meme
ete collegues parce qu'il etait directeur de cabinet de Tinguy du Pouet qui etait secretaire
d'etat pour la perequation des pensions. C'est Ia que j 'ai connu Duhamel et un peu Giscard
quand il etait chez Edgar Faure. Mais les questions europeennes si vous voulez n'etaient pas
dans mon domaine administratif. Et l'approbation de Petsche vient de conversations que j'ai
entendues chez lui rue de la Faisanderie, ou il recevait enormement de gens notamment quand
il a re~u Sir Stafford Cripps ou il y avait eu un choc tres fort.
AH
Oui, tout a fait, fevrier 1948 vraisemblablement.- Non, fevrier 1949.
EU
1949, parce que moi je suis rentre en octobre 1948 d' Amerique, oui, oui c'est cela. Et puis il
.l'a invite dans les Hautes Alpes pour essayer de Ie seduire etc.
HA
D'accord, donc voila pour Petsche. Alors Monnet vous Ie retrouvez...
Alors laj'etais totalement anonyme, enfin Ie sous preneur de notes. Et puis, quand Ie Traite de
Paris a ete ratifie, c' etait la mise en place, je voulais aller travailler avec lui. l' en avais parle a
Schuman, mais Schuman ne faisait jamais d'intervention pour qui que ce soit, jamais. II n'a
jamais fait d'intervention. Ce n'etait pas du tout Ie genre. Mais il m'avait dit: «allez voir
Monnet, allez voir Monnet ». Donc j'ai demande a voir Monnet, je suis aIle Ie voir au Plan, et
la conversation a ete assez breve d'ailleurs. II m'a dit: «pourquoi vous voulez venir ? », et
moi: « parce que j'y crois ». Je Ie lui ai dit d'une maniere a la fois simple et forte si vous
voulez, parce que bon j'y croyais. Et il m'a dit: «est-ce que vous parlez allemand? », j'ai dit
non, il a dit: «il faudrait l'apprendre parce que j'ai besoin de quelqu'un qui parle allemand ».
Cela a toujours ete son probleme d'avoir quelqu'un qui parle l'allemand. Et je parle
l'anglais d'ou l'importance de Kohnstam pour l' Allemagne... Et il a dit: "bon et bien on
verra", et puis c'est tout. Et je sais qu'il s'est informe aupres de Dreyfus qui etait president
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des Houilleres de Lorraine, qui a du donner de bans renseignements parce qu'il y a eu des
grandes greves dans Ie charbonnage et la siderurgie, et Ia j' etais en premiere ligne donc il m' a
vu agir si vaus voulez. Et je sais que Dreyfus lui a donne des jugements assez positifs, et c' est
cela qui a fait qu'il a dit « bon et bien voila» et qu'il m'a pris. Et je devais Ie rejoindre des Ie
debut, mais je ne pouvais pas, on ne quitte pas la pretectorale comme cela. Done il y a eu un
petit delai...
Interruption.
Done vous en etiez a Monnet, vous aviez demande
vous a renvoye La premiere fois.
a Le voir,
if vous a reru et dans Le fond if
UE
Non. Monnet quand il prenait ses decisions il ne vous Ie disait pas comme cela.
AH
Ah d'aeeord, iL prenait son temps!
UE
HA
EU
II prenait son temps, il prenait ses renseignements. Mais si je puis dire, au fond de lui la
decision etait prise sur Ie champ. Vous savez Monnet c'etait un paysan des Charentes, c'etait
un homme prudent. Son instinct lui disait je prends celui au pas, donc de ce point de vue il
etait rapide. Mais apres Ia mise en reuvre etait tres prudente, patiente etc. Alors Ia c'est un cas
particulier, il m' a pris et j' ai ... II voulait me prendre comme chef de cabinet, mais. Done il y a
eu des delais et au lieu d'arriver tout de suite en aout je ne suis arrive qu'en decembre. Entre
temps...
AH
Deeembre 1951 ?
HA
EU
1952. Non, non, Ia mise en reuvre. A ce moment Ia Ie chaos createur existait a Luxembourg.
J'etais quelques temps avec Kohnstam, et puis au debut de 1953 j'ai pris mes fonctions avec
Monnet. Mais avec Monnet ce n' etait pas des fonctions, c' etait une sorte de galaxie qui etait
. assez penible a vivre pour tout Ie monde, mais finalement sortait de nous Ie meilleur. On etait
sans cesse broye, remis en cause etc. II n'y avait pas d'organisation a I'epoque, mais cela a ete
Ia periode Ia plus feconde. C' est quand nous avons commence a nous organise mieux que Ies
chases sont devenues plus bureaucratiques etc. Et alors j' ai d' ailleurs dans mes papiers aussi,
vous savez Ies papiers roses de Monnet, il y a une note rose, il y ales ... Monnet faisait des
petits dessins quand il parlait etc. Et il y en a eu des premieres reunions de Ia Haute autorite.
J'ai cette note la, il fait un petit schema de Ia Haute autorite avec des noms, et il y a ecrit
dessus: « 100, pas plus ». Et Iorsqu'il est parti, rna femme, qui est morte maintenant, elle etait
ceramiste, alors on a fait une table que I'on a offerte a Monnet qui etait une interpretation
artistique de cette premiere note, qui est quelque part. Ie ne sais pas si elle est dans Ia famille,
chez Marianne au bien a Lausanne, je ne sais pas. Ie sais que la table existe toujours. Avenue
Foch elle etait dans I'entree.
Done vous ites reste aLuxembourg?
Oui.
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J usqu 'a quand ?
1956. Mais il y a eu une periode de tension entre Monnet et moi. Quand je dis Monnet et moi
cela a I'air de dire que 1'on etait a egalite, evidemment que l'on n'etait pas a egalite, j'etais a
son service. Mais c'est quand il y a eu Ie ministere Mendes France.
Qui, si vous voulez bien deve/opper cela, cela a l'air important. Excusez-moi, votre pere etait
ministre de Mendes France.
UE
- Ministre de Mendes France.
AH
Ce/a a un rapport ou pas?
EU
Oui, direct. Non seulement ministre de Mendes France, mais ami intime de Mendes France
depuis longtemps. Et ils avaient tous les deux Ie meme genre de rigueur, la vie politique etait
quelque chose, un sacerdoce.
HA
C'est une amitie qui venait du Parti radical ou de Grenoble
HA
EU
AH
UE
Non, Mais une amitie... Mon pere n'etait pas tres militant radical. Mais bon! on a toujours ete
dans la famille radical. Il etait Ie collaborateur d' Albert Sarraut pendant la guerre. Mais, non,
c'etait une amitie personnelle. Il se trouvait qu'ils etaient dans Ie meme parti d'accord, mais
enfin c' etait une amitie, un respect personnel. Enfin il est dans son ministere. Monnet etait
gene que je sois avec lui et que mon pere soit dans Ie gouvernement de Mendes France, et il
souhaitait que je ne sois pas trop meIe a ce qu'il voulait faire, je ne sais pas. Et Kohnstam
m'avait fait comprendre que je devais demissionner de mon poste. Et j'ai dit que je
~emissionnerais si Monnet me Ie demandait parce que, a Monnet on ne refusait nen. Vous
savez, pour nous Monnet etait un patron assez dur, difficile, mais il y avait, il representait une
cause si forte, et il etait tellement la cause si vous voulez, ... il n'y avait pas de servilite autour
de Monnet. C'est un homme qui detestait cela d'ailleurs. Mais ce qu'il demandait et qui
representait la cause, avait un caractere quasi-sacre vous comprenez. Cela n'a rien a voir avec
les rapports entre les fonctionnaires et M. Santer et tout cela, c'est tout a fait autre chose.
C'etait... On avait un petit cote jeunes marechaux d'empire avec Napoleon, sans tout
l'element contestable de certains aspects de Napoleon. Mais il etait Ie chef d'une grande
aventure. C'etait fort. Vous Ie retrouvez chez tous les gens qui vous parleront de lui. Meme
en nous faisant souffrir, mais cela n'avait aucune importance.
Vous l'avez dit tout a l'heure, if en tirait le meilleur.
Ah oui en en tirant Ie meilleur. Donc s'il me Ie demande je Ie fais, il ne me l'a jamais
demande, il ne me l'a jamais demande. Donc j'ai dit je ne demissionne pas, mais il a fait
occuper mon bureau par Eric Westphal. Un jour j'ai trouve mon bureau occupe, mon bureau
etait a cote du sien. Alars je suis assez tetu donc je m'asseyai a cote de l'huissier qui passait
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M. Georges Berthoin
UE
HA
EU
AH
UE
comme ~a gene etc... Et puis je continuais a avoir enormement de demandes de discours, et
comme j'etais assez disponible par definition, j' acceptais et j' allais faire des discours dans
toute I'Europe etc. Et il Y avait les revues de presse, Ie chef de cabinet de Jean Monnet a dit
que ... Et il ne me l'a jamais demande, et puis apres Eric Westphal, il a pris Fernand Spaak
comme chef de cabinet, mais cela n'a jamais ete formalise, j'etais toujours ... C'etait assez
delicat. Et alors on arrive en aout 1954, Ie debat. Monnet est avenue Foch et moi j 'habite chez
mon pere rue de Grenelle. J'avais passe toute une serie de notes a mon pere pour essayer de
trouver un compromis entre les Europeens et les non-europeens etc, sur la CED, notamment
avec Ie general Koenig qui etait dans Ie gouvernement a l'epoque. Et je passais cela avenue
Foch, donc on a cherche des formules. Finalement j' etais actif quand meme. Et puis Ie jour du
vote de la question prealable je suis aIle voir Monnet, alors on avait une relation emotionnelle
evidemment: tu m'aimes, tu m'aimes plus, vous voyez Ie genre. Et il a pris cet echec d'une
maniere tres forte. Je me souviens de toute une serie de details ... Et cela a ete Ie debut d' une
reconciliation, parce que l'on a continue a sa fa~on, moi a mon niveau modeste, lui a son
grand niveau, a toujours essayer d'avancer. Et puis quand tout Ie monde est rentre a
Luxembourg, il a un peu plus tard presente sa lettre de demission, et ensuite il a fait une autre
lettre reprenant, retirant sa lettre de demission. J'etais contre cela. Westphal raconte d'ailleurs
dans Ie texte des reflexions que je lui ai faites que vous avez du lire, quand on a ramasse la
lettre dechiree dans la corbeille a papier. Et puis retrait de la lettre de demission qui etait
totalement ignoree par la Conference de Messine dont l'objet principal etait d'ailleurs de
trouver un successeur pour Monnet. Et il Y a eu un episode a la fin, il habitait a Bricherhof
pres de Luxembourg. Et a la fin il y avait un petit cote adieux de Fontainebleau, il n'y avait
pas grand monde. Et il Y avait Ie demenagement, enlever tous les meubles, etc, et il y avait
une table de bridge, il y avait une lampe, Mme Monnet, Monnet et moi un peu apres la
bataille etc. Et cela c' est tres Monnet. Des adieux assez emouvants etc. La il etait touche . II
me dit: « a propos Berthoin, to utes vos conferences que vous avez faites, j' ai lu cela, vous
avez eu raison », voila.
AH
Il se rattrapait d'une eertaine maniere avos yeux, par rapport a...
EU
Oui, parce qu'en fait il etait tres humain, tres humain. Mais on etait tous a la limite de soimeme si vous voulez.
HA
Et done vous avez eu une rupture nerveuse, psyehoLogique ?
Non pas rupture nerveuse. II y a des gens qui ont eu des depressions, Fontaine en a eu une tres
serieuse au debut, et bien d'autres d'ailleurs. Et puis un jour. .. II n'y avait pas de vacances. On
appelait cela la maison du fou a Luxembourg, parce que cela n'arretait pas, cela ne fermait
pas.
Au moins La nuit quand meme ?
Ah, cela ne fermait pas. Moi je partais vers quatre heures du matin, j 'habitais chez des amis
qui avaient un chateau pres de Thionville a ..., qui etaient des grands amis de Schuman,
surtout qu'a l'epoque, Thionville etait la circonscription de Schuman. Donc je partais en
voiture, je partais a trois heures, quatre heures du matin, et puis sa lumiere etait lao Et pas de
vacances jusqu'a un jour ou la notion de vacances est arrivee chez Monnet lorsque Ie collegue
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de Gaudet a eu une crise cardiaque dans Ie bureau de Monnet. Et vous en parlerez a Gaudet, ...
vous avez dfr voir son nom c'etait un allemand, il y avait deux chefs du service juridique:
Gaudet et .... Alors on a dit que peut-etre on pouvait prendre des vacances, non ? Alors on
envoyait les uns et les autres aller regulierement a Saint Paul de Vence se refaire un petit peu
et repartir sur Ie ring. Ah non, Ie rythme a ete dement. Le rythme est devenu un peu meilleur,
un peu plus humain vers l'ete 1953. Parce qu'a l'epoque il fallait mettre, il fallait creer toutes
les institutions. Elies partaient d 'un texte des traites c' est tout!
Quand vous repensez a cette periode, est-ce que... (Interruption).
HA
EU
AH
UE
Vous savez je me souviens ici d'un dejeuner avec mon pere, avec Schuman justement. Mon
pere pensait qu'il aurait fallu commencer par un grand referendum fondateur, Ies Etats Unis
d'Europe, etc. On aurait vraisembiablement eu un oui, mais qui tres rapidement aurait ete
dementi par les faits et les interets, la tres rapidement. Moi personnellement j' etais convaincu
que c'etait la bonne formule a cause de mon experience lorraine. Parce que Ie charbon et
l'acier a l'epoque, on faisait des investissements a tour de bras, enfin bon... A l'epoque Ie
charbon et l' acier etaient des bases industrielles veritables, c' etaient des bases de pouvoir.
Bien, cela a change, apres on ne savait plus comment faire pour Ie reduire, mais Ie fait de
placer des interets economiques... Si vous voulez il y avait quelque chose de marxiste dans la
demarche. Comme j 'ai beaucoup fait de marxisme par mes amis a l'universite, etc... Si vous
voulez c' est une demarche qui me paraissait beaucoup plus solide que les declarations, les
sentiments, c'est important d'ailleurs...
UE
Une action volontaire ?
HA
EU
AH
Non. C'est faire que les interets economiques soient places dans Ie cadre que vous voulez
atteindre politiquement plus tard. Alors on a appele cela Ie fonctionnalisrne parce que Monnet
n'etait pas du tout marxiste. Mais mon analyse etait plus marxiste tout c;a parce que je suis
d'une generation..., on a baigne la dedans. Et c'est d'ailleurs une bonne methode d'analyse.
Un referendum purement politique a l'epoque, maintenant avec l'euro c'est tout a fait
different, mais la mise en commun des interets... D'abord deplacer certains acteurs
economiques du cote europeen d'une part, d'autre part montrer dans un domaine d'ailleurs
pour reprendre la declaration, limite rnais reel, que c'etait possible. Moi je me souviens au
debut, puis qu'il y avait ce que l'on appelle Ie prelevement, vous connaissez, bon, cet impot
europeen. Alors on a fait, on a improvise au moment de Noel 1952 un journal officiel, je me
souviens j'etais charge de faire ce truc lao On a fait les premiers numeros sur l'imprimerie de
l'Eveche de Luxembourg, puis envoyes par avion dans tous les sens pour qu'il ait une base
juridique bien. Puis on a attendu pour voir si les gens allaient payer, oh miracle ils ont payes.
Mais la on etait un peu dans la situation des gens dans un laboratoire de chimie qui disent:
mais cela marche ! Et oui parce que c'etait un element, c'etait un transfert, mais on etait
totalement incertain. Et ce qui etait d' ailleurs, on l' a dit souvent ce n' est peut-etre pas original
ce que je vais dire, mais la CECA a ete un banc d'essai pour enormement de gens pour
montrer que c' etait possible et comment les choses devraient evoluees. Et a certains egards la
conception supranationale creait une directive, non pas dirigiste mais une directive, qui en fait
se substituait un peu a l'autorite des Etats dans Ie bassin de la Ruhr. Alors cela c'etait une
maniere de presentation: « Alors vous voyez les Allemands ne seront pas les seuls qui ... ~~,
comme on dit aujourd'hui Ie Deutsche Mark ne sera plus ... bon. C'est vrai et ce n'est pas vrai
parce que c'est autre chose qui est en train de se creer. Mais quand on fait ce transfert,
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M. Georges Berthoin
HA
EU
AH
UE
beaucoup de gens ont vu cela comme un bane d' essai tres utile, ce qui etait tres interessant par
exemple dans les milieux syndicalistes. Les syndicalistes non communistes ont ete tres meles
au debut de l'affaire de la CECA. Et quand je vous disais les trois defis, Ie defi social, Ie
principe de la readaptation que vous connaissez, qui a ete repris apres par Ie gouvemement
Mendes France, qui a introduit une notion totalement nouvelle qui est la responsabilite de
l'entreprise et de l'Etat sur la permanence du revenu du salarie. C'est la premiere fois que
c' etait fait. Bon alors la on a experimente des tas de choses. Par exemple, il y a un debat
aujourd 'hui sur I' introduction des etudes europeennes dans I' enseignement secondaire et
meme primaire. Monnet avait fait faire un projet la-dessus, il m'avait demande de travailler
la-dessus, on y avait deja pense a l'epoque. Donc c'etait Ie banc d'essai. Charbon et acier a
montre que c'etait reel, qu'on entrait dans Ie vif du sujet dans des domaines importants, mais
en memes temps que cela pouvait etre utilisable ailleurs. Et alors la l'experience sur Ie plan
institutionnel etait importante, on faisait fonctionner un executif europeen tres independant, la
Haute Autorite, elle avait des pouvoirs considerables, un Conseil des ministres qui etait une
sorte de boite de vitesse entre les souverainetes nationales et cette souverainete supranationale de la Haute Autorite, et une assemblee parlementaire qui a la difference d 'une
assemblee consultative avait un pouvoir nouveau qui etait tres important, celui de pouvoir
voter une motion de censure a l'occasion de la presentation du rapport general, c'est la
premiere fois. Et il Yavait egalement la notion de, peut-etre, que cette assemblee serait elue au
suffrage universeI direct. Tout cela etait parfois tres clair, parfois en filigrane, mais cela
permettait d'envisager d'autres progres, non pas sur Ie plan de l'idealisme plus ou moins
irreel, mais en disant on a des choses a dire. Et souvent on pouvait dans nos debats europeens
allant plus loin dire: « vous voyez cela marche ».
UE
D 'accord, cela c' est tres important ce que vous dites lao J e voudrais tout simplement pour
I'Histoire et pour enregistrer tout cela savoir si cela vient de Monnet ? Ou est-ce que cela
vient du travail de groupe realise dans cette maison de tous ou du tou ? Est-ce que cela a ere
pense par Monnet ou est-ce que ce sont des idees que vous avez amenees , les uns et les autres
AH
?
EU
II Y a un travail collectif, vous y trouverez du Jean Guyot, vous y trouverez du Gaudet, vous y
trouverez du Kohnstamm ... C'est un cocktail permanent, si vous voulez, mais avec un
.animateur de genie. Parce que c'est un homme que l'on voyait de pres comme etant un
homme de genie.
HA
Interruption, fin de la cassette n 0 4.
Debut de la cassette 1
Vous avez ere Ie representant des Communautes europeennes a Londres ?
En ce qui me conceme personnellement, j' ai ete numero 2 pendant un certain nombre
d'annees et numero 1. Mais dans Ie cadre de cette delegation, a son debut, elle etait dirigee
par un ambassadeur neerlandais. II y a toujours eu des Neerlandais qui ont cherche a
conserver ce poste. C'etait des gens exterieurs a la Communaute europeenne, exterieurs au
groupe des vieux pionniers. Par consequent, rna position de numero 2 etait un peu speciale.
C'etait quelque fois 1 bis, quelque fois 1. Cela a cree d'ailleurs quelques problemes.
Bon, la delegation a ete creee en 1956, dans l'automne 1956 pour permettre la mise en
ceuvre du Traite d'association entre Ie gouvemement de la Grande-Bretagne et la Haute
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Autorite de la CE.CA. Et petit a petit, au fur et a mesure que Ie domaine communautaire
s' elargissait, les competences de la delegation se sont elargies parallelement.
Donc ouverture en automne 1956. Cela coincide avec la crise de Suez. Nous avons eu
des difficultes considerables dans notre installation a Londres parce que les autorites
britanniques ne savaient pas quel statut nous donner, nous reconnaitre. Nous ne representions
pas un pouvoir souverain et nous etions un animal totalement nouveau dans la vie
diplomatique.
Si on peut raconter une anecdote: nous avions trouve un batiment dans un quartier
central de Londres et les voisins de l'immeuble que nous avions choisi avaient bloque la
negociation parce qu'ils avaient peur que nous entreposions sur Ie trottoir de ce quartier chic
des sacs de charbon. Et il a fallu que je fasse faire une etude par un avocat britannique pour
expliquer que nous ne faisions pas Ie commerce de l'acier et du charbon! Voila. Le voisin
etait Lord Mountbatten, pour ne pas Ie nommer.
UE
Bon, alors c'est pour vous montrer a quel point Ie domaine que nous avions a traiter
etait totalement nouveau et ce que nous avons fait etait Ie resultat de creation sans aucun
precedent. <;a a fonctionne.
~a,
c'est Ie debut. Je ne sais pas si vous avez des questions precises sur
HA
Voila, alors
cette periode-Ia.
EU
AH
Alors, j'ai dit 1956, Suez. C'est tres important parce que, tres rapidement, nous avons
vu ... j'ai vu personnellement l'impact psychologique et historique de cette crise de Suez sur
l'esprit de pas mal de dirigeants et c'est la que certains, Macmillan etait de ceux-la d'ailleurs,
ont pense qu'il fallait rejoindre Ie mouvement de l'idee europeenne.
AH
UE
Est-ce que vous pouvez apporter un temoignage sur la maniere dont les Anglais ont
accepte d'entrer en relations avec la Haute Autorite ? Est-ce que c'est que/que chose qui est
venu d'eux ou est-ce que c'est la Haute Autorite du Charbon et de l'Acier qui l'a demande et
suscite?
HA
EU
Jean Monnet voulait etablir les relations les plus etroites avec les Britanniques parce qu'il
pensait que, lorsqu'ils auraient compris, premierement que ce que nous commencions allait
. durer, deuxiemement que notre volonte de developpement europeen etait extremement forte et
que, finalement, nous arriverions a des faits europeens concrets, il fallait leur donner la
possibilite de sentir qu'ils n'etaient pas exclus. Mais, lorsqu'ils auraient fait leur mutation
psychologique et politique, ils seraient les bienvenus dans notre groupe, mais qu'ils ne
pourraient pas lui interdire d' exister.
D'ou ce concept du Traite d'association qui etait une formule tres originale. Les
Britanniques gardaient leur souverainete, evidemment, dans Ie domaine du charbon et de
l'acier et nous dans ce que nous faisions a l'interieur de la C.E.CA. Mais ce Conseil
d' association permettait de discuter de mesures paralleles et concordantes. Done, ~a leur
permettait de se familiariser petit a petit, et de fa~on tres concrete avec ce que nous faisions et
avec ce que nous avions l'intention de faire.
Pour gerer ce Conseil d'association qui se tenait entre Gouvemement britannique et
autorites britanniques chargees du charbon et de l' acier et Haute Autorite de I' autre cote, pour
gerer ce Conseil d'association, il fallait une representation de la Haute Autorite a Londres,
alors qu'il y avait une representation diplomatique britannique a Luxembourg aupres de la
Haute Autorite. D'ailleurs la representation britannique a ete la premiere des missions
diplomatiques accreditees aupres de la Haute Autorite. Et les Britanniques qui etaient dans
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cette mission, sous la direction de Sir Cecil Weir, ont ete totalement convaincus, des Ie debut,
que la place de la Grande-Bretagne etait dans cette entreprise communautaire. Si bien que ce
petit noyau-Ia representant les industries charbon - acier, Lord Ezra, par exemple ... Je disais
que la mission diplomatique anglaise etait composee de gens qui consideraient que la place de
la Grande-Bretagne etait dans la C.E.C.A. et que l'avenir allait dans cette direction. Done, ils
ont agi considerablement a Londres pour favoriser la creation de liens speciaux entre la Haute
Autorite et les auto rites britanniques.
En plus de cela, il y avait un certain nombre de Britanniques qui, sur Ie plan politique
et historique, avaient fait l'option europeenne. II y avait notamment une section britannique
du Mouvement europeen qui etait tres puissante, dirigee par Sir Edward Beddington-B nski
(?) qui etait un tres vieil ami de Macmillan, et Macmillan, personnellement, etait pro
europeen.
UE
Passons maintenant au deuxieme point. Les negociations apres Messine.
UE
HA
EU
AH
Messine, vous vous souvenez, les Britanniques sont invites a cette relance europeenne et
Ie Gouvernement britannique a retire son representant dans les discussions pendant la periode
du Comite Spaak, et une strategie differente s'est esquissee en Grande-Bretagne. Le
Gouvernement et les milieux dirigeants britanniques etaient tres sceptiques sur les chances de
la negociation qui a finalement conduit aux Traites de Rome. Parce qu'ils avaient compris,
notamment en lisant Ie rapport Spaak, que la mise en ceuvre de ce qu'il contenait supposait
certains transferts de souverainete et que la plupart des pays, notamment les Fran~ais, ne
l'accepteraient pas. Par consequent, ils se sont retires en pensant que la tentative echouait.
Lorsqu'ils ont vu que la negociation s' engageait assez bien, alors ils ont essaye de contourner
Ie probleme et ont propose ce qui est devenu la Zone de libre-echange.
EU
AH
Concernant la presence britannique au Comite Spaak, d'abord, qui etait le representant
britannique et d'autre part, commen.t se fait-it que les Britanniques ressentent que les
Franr;ais n'accepteront pas des transferts de souverainete ? Comment se fait-il qu'its aient pu
imaginer que les Franr;ais n'accepteraient pas ces transferts de souverainete ?
HA
Parce que les Fran~ais n'acceptaient pas les transferts de souverainete. Les batailles pour
la creation de la C.E.C.A. ont ete terribles. L'echec de la C.E.D. en France. L'echec de la
Communaute politique. C'est Ie pays ou l'affaire europeenne a cree les crises sur les
problemes de souverainete les plus graves et les plus visibles. Par consequent, Ie drame qui
c'etait produit en 1954, l'affaire de la C.E.D. n'a pas ouvert uniquement un debat militaire,
mais un debat de souverainete. Voyant ces reaction fran~aises, ils se sont dit qu'on n'allait
pas, par la force economique, reposer des problemes que la France avait refuse de resoudre.
C' etait assez raisonnable de Ie penser.
Les Britanniques, au debut, puisqu'a Messine on a invite les Britanniques, ont envoye un
fonctionnaire de niveau moyen qui, personnellement, etait un monsieur fort bien, d'ailleurs, il
s'appelait Bretherton, mais qui etait du Board of Trade qui n'etait pas des grands ministeres et
il etait la comme observateur. Et il a ete retire lorsque Ie rapport Spaak s'est elabore. Moi, je
l'ai tres bien connu. II a considere personnellement que, ce jour-la, Ie Gouvernement
britannique avait fait une enorme erreur et, d'ailleurs, il l'a dit brutalement. Enfin, les
fonctionnaires britanniques sont des gens extremement disciplines, corrects, etc ... Mais, a son
opinion personnelle, il me l'a dit parce que je l'ai vu tres rapidement apres : « C'est notre plus
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M. Georges Berthoin
grande erreur
ete.
»,
et
~'a
ete une erreur strategique. On en commet quelque fois, mais la,
~a
l'a
EU
AH
UE
Donc, ils ont voulu contourner ... Et alors, au debut, ce que l' on a oublie, pas les
historiens mais l'opinion en general, la proposition de zone de libre-echange a ete faite, non
pas pour completer Ie Marche Commun, mais a la place du Marche Commun. La, mes
souvenirs ne sont assez precis, mais c' est une chose a exploiter sur Ie plan historique. II y a eu
les discussions du plan Eccles, du plan Maudling a 1'O.E.c.E. qui montre qu'il s'agissait de
remplacer la tentative des Six, et non pas de l'entourex. La, j'ai ete, a titre personnel, assez
engage. A titre personnel, parce que la delegation n'avait pas a s'occuper d'autre chose que du
charbon et de 1'acier. En ouvrant les yeux d'un certain nombre d'amis, notamment les
diplomates fran~ais, sur ce que je pensais etre, a l' epoque, la strategie britannique de
remplacement et non pas de complementarite, mais je sais que Ie lien franco-britannique au
moment de Suez a ete extremement fort. M. Pineau et M. Guy Mollet ont failli tomber dans Ie
piege. II y a des circonstances tres precises ou j' ai eu I' occasion d' alerter l' Ambassadeur de
France, Chauvel, avant une reunion Pineau au Chequers , sur ce qu'a mon avis, je croyais etre
la strategie britannique de remplacement. Et dans cette analyse, j'ai ete aide par un certain
nombre de Britanniques qui etaient evidemment beaucoup plus inforrnes que moi, qui etaient
des militants europeens, et qui voyaient dans Ie systeme communautaire l'espoir pour
l'organisation de 1'Europe et trouvaient que Ie systeme propose par Ie Gouvemement
detruisait cet espoir, parce qu'indirectement, on revenait au systeme du Conseil de l'Europe.
Et on revenait a toutes ces veilles crises. Ce n' etaient pas des crises nouvelles ou des tensions
nouvelles, mais c' etait Ie retour a ces anciennes crises.
HA
Done, sur Ie plan officieux, je crois que nous avons incontestablement aide, si je puis dire,
a contenir Ie flanc britannique de la negociation.
AH
UE
Pourriez-vous indiquer pLus precisement en quoi Christian Pineau ou Guy Mollet avaient ete
seduits par L'offre de La zone de libre-echange britannique dans Le cadre du contexte de
Suez?
HA
EU
La, je ne suis pas sur de ce que je dis, scientifiquement, si je puis dire. Mais, c'est Ie
sentiment que j'avais a l'epoque, et qui provient de conversations que j'avais eues avec des
.diplomates fran~ais. La France negociait Ie Marche Commun et Euratom dans deux etats
d'esprit. II y en a un que je dirais l'approche Jean Monnet de la negociation et l'autre, c'etait
l'approche plutat semblable a celIe des Britanniques.
II y a toujours eu dans la position fran~aise, et vous Ie voyez meme aujourd'hui, la
dualite : on va vers les institutions de caractere federal, ... enfin la dynamique Monnet mais
en meme temps, on va vers la dynamique britannique. Je dirais qu'il y a toujours cela. Or, les
Britanniques ont toujours essaye de voir s'ils pouvaient attirer une certaine partie de la
reflexion fran~aise vers leur these, l'Europe a la britannique, sachant que ces deux theses
etaient en conflit a l'interieur de la position de negociation fran~aise.
En meme temps, il ne faut pas oublier que les elites politiques fran~aises, sorties de la
guerre, consideraient, a juste titre d'ailleurs, qu'on ne pouvait pas faire l'Europe sans la
Grande-Bretagne, parce que, non seulement, eIle etait la Grande-Bretagne mais pour Ie role
qu'elle avait joue pendant la guerre. Beaucoup de gens disait en prive, Marjolin etait un de
ceux-Ia, qu'il fallait 1'amitie franco-allemande. Tout Ie monde savait que c'etait essentiel,
mais il y avait une affinite intellectuelle, des souvenirs communs beaucoup plus constructifs
avec les Britanniques qu'avec les Allemands. Alors les Britanniques ont joue cette carte.
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Lorsque Ie couple franco-allemand s'est forme, s'est renforce, etc ... et, en plus, quand de
Gaulle, plus tard, lui a donne Ie sceau final du heros de la Resistance, jusque la, les
Britanniques pensaient qu' ils avaient une carte. Cette carte existait, elle existe meme
aujourd'hui. A certains egards, il y a cette dualite.
Alors, proposer en disant : vous allez faire ce Marche Commun a Six, vous allez couper
l'Europe en deux, vous allez former une sorte de blocus continental, nous, nous sommes pret
a venir avec vous dans une zone, on va etre tous ensemble; a ce moment-la, cela a rassure
enormement de Franc;ais. D'ailleurs, on venait de Ie voir par la crise de la C.E.D., MendesFrance etait gene que la Grande-Bretagne ne soit pas dans Ie systeme de la C.E.D. 11 etait plus
a l'aise, et on Ie comprend, dans un systeme de securite ou il y avait les Britanniques, que
dans un systeme de securite ou il y avait les Allemands. Non parce que c' etaient les
Allemands, ... bon les souvenirs de la guerre, chacun les a digeres a sa fac;on, les a traites ...
mais en se disant : on ne peut pas se couper des Britanniques.
UE
HA
EU
AH
UE
A l'epoque, les armes diplomatiques de la Grande-Bretagne, les moyens de pression
etaient considerables. Aujourd'hui, la Grande-Bretagne est un pays comme les autres pays
europeens et quelques fois, beaucoup moins puissant. Elle a un savoir-faire tres superieur a
beaucoup de pays mais pas la puissance de la I' Allemagne, pas la puissance meme de I' Italie
dans beaucoup de domaines. Mais, elle a un savoir-faire extraordinaire. A l'epoque, nous
sommes en 1956, les cartes britanniques etaient considerables. Par consequent, Pineau et
Mollet, n'oubliez pas que chez les socialistes notamment, la gauche franc;aise etait divisee
entre deux grands courants : la gauche marxisante, communisante qui voyait Ie grand modele
dans l'Union sovietique et la gauche socialiste et sociale-democrate qui voyait Ie grand
modele dans l' Angleterre d' Attlee. Donc, pour un socialiste, se couper de la Grande-Bretagne,
c'etait egalement se couper du grand mouvement travailliste, social-democrate de gauche
qu'on voulait. Donc, on comprend la tentation. Elle etait sur plusieurs plans. Et en plus, on
etait complice dans une situation un peu bizarre a Suez, ce qui cree des liens.
AH
Est-ce que vous pouvez nous parler de la position des Americains par rapport a ce choU:
possible de la France et donc de l'Europe continentale aussi, du choU: entre une zone de
libre-echange et un marche commun ?
EU
.Les Americains, sans la moindre ambigu"ite, etaient favorables a l'approche communautaire.
HA
Comment ont reagi les Anglais ?
11 faut revenir a Suez. Suez est un cas, Ie premier cas visible apres la guerre, d'une cassure
entre Britanniques et Americains. Cela a ete politique, psychologique. En plus, c'est une
operation qui a ete montee avec les Franc;ais, dans Ie secret britannique par rapport aux
Americains. La, il y avait une rupture dans ce contrat ecrit et non-ecrit tres fort qui a existe
avant la guerre, pendant la guerre, apres la guerre, dans la relation anglo-americaine tres
etroite. Cela a ete, si je puis dire, une infidelite tres grave.
Mais, les Americains, de plus en plus clairement, ont montre qu'ils soutenaient l'effort de
Jean Monnet en fait. Non, parce que, comme on l'a dit idiotement, Monnet etait l'agent des
Americains. Pas du tout! Monnet a su se servir des Americains pour convaincre les Anglais,
c'est tout a fait different. Et, entre l'Europe qui etait organisee, la volonte d'aller de l'avant,
l'entente de plus en plus forte entre Franc;ais et Allemands, et Ie soutien americain a ce qui se
faisait en Europe continentale, petit a petit, la situation anglaise devenait de plus en plus
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inconfortable. Cela a mene finalement a 1961, a l'initiative prise par Macmillan de demander
l'ouverture de negociations. Mais, on anticipe un peu, quand Macmillan a demande
l'ouverture de negociations, il faut se souvenir des termes dans lequel ill'a presentee. Il n'a
pas demande a ouvrir des negociations pour entrer dans la Communaute, il a demande a
ouvrir des negociations pour savoir si les conditions pouvaient etre reunies qui permettaient
l'ouverture de negociations. II les a enumerees: Ie Commonwealth, les balances Sterling,
etc ...
UE
Mais, nous revenons a la periode de la negociation du Traite de Rome. Nous arrivons en
1958. Les Traites sont ratifies pendant l'annee 1957. Les Britanniques se sont aperc;;us que la
ratification, les debats de la ratification n'avaient pas remis en cause les negociations, que Ie
drame de la C.E.D. ne s'etait pas renouvele. Donc, la, ils se sont dits que c;;a va etre fait. lIs ont
reagi. lIs ont fait Ie Traite de Stockholm pour organiser tout autour de cette Communaute des
Six un ensemble economique qui pourrait a la fois aider les non-membres a organiser leurs
relations economiques normales mais, en me me temps, pouvait creer une coalition
diplomatique permanente ... pour un jour negocier des accords techniques, faire pression,
etc ... Autrement dit ne pas etre isolee, Grande-Bretagne face a la Communaute des Six.
HA
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Mais arrive de Gaulle. Un point, je Ie dis parce que cela a beaucoup joue dans les
relations anglo-franc;;aises avant la guerre, a l'epoque de Suez et apres. Lorsque, et cela justifie
beaucoup de choses de de Gaulle, c;;a les explique en tous les cas, ... lorsqu'il y avait des
gouvemements faibles, dependants de majorites parlementaires variables, la Grande-Bretagne
et d'autres pays pensaient qu'ils avaient certains moyens d'influence sur Ie gouvemement. II
faut se souvenir, par exempIe, de l'epoque de l'occupation de la Rhenanie, de l'epoque
Sarraut, etc ... Les Britanniques savaient qu'il n'y avait pas de majorite pour telle ou telle
chose au sein de la Chambre des Deputes.
AH
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A l'epoque, on l'oublie, mais quand il y avait des traites difficiles, toutes les Arnbassades,
et meme nous avec Monnet, on faisait des pointages parlementaires quasi quotidiens, je me
souviens, pour la C.E.D. pour savoir s'il y avait la majorite. On ajoute un protocole, c;;a fait
faire peut-etre 10 voix de plus, etc ... Sur l'affaire du Marche Commun, qui avait ete une
negociation difficile et Maurice Faure, qui avait remarquablement bien negocie pour la
France, avait ete oblige d'etre sur qu'il ne risquait pas un accident parlementaire. Donc, sans
cesse pendant qu'il negociait a Bruxelles, il negociait egalement avec Ie Palais Bourbon.
HA
EU
Donc, la signature du gouvemement franc;;ais n' etait pas la fin de toute cette histoire. II
fallait savoir si Ie Parlement, finalement, signait. II y avait toute une serie de mesures
d'exception que la France avait obtenues dans Ie Traite pour que cela apparaisse. Car nous
etions encore dans une economie tres franc;;aise, il y avait donc des grandes frilosites, des
craintes ... et c'est normal. Par consequent, il n'etait pas sur que la ratification se passe bien,
puis ils voient qu'elle se passe bien. Et de Gaulle arrive. Je me souviens que Ie negociateur
britannique de la zone de libre-echange, qui etait un de mes amis, lui, a titre personnel, avait
aussi une opinion: «Evidemment, c'est vous qui allez gagner }}. Mais, il avait des
instructions. Quand de Gaulle est arrive au pouvoir, il m'a dit : « Ah, c;;a, c'est fichu! On ne
pourra plus influencer comme avant.}} C'est une des raisons pour laquelle la politique
etrangere est de facto du domaine reserve, c'est qu'elle n'est pas soumise a des fluctuations
parlementaires dont certaines peuvent etre plus ou moins influencees de I' exterieur.
Le negociateur britannique, vous ne l'avez pas precise, c'est...
?
Sir Franck Figgures, qui etait d'ailleurs un Autrichien. Enormement de Britanniques que j'ai
rencontre avaient des noms britanniques mais etaient de familIes europeennes : Leon Brittan
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qui vient des pays baltes mais Ie nom change. II etait aussi de l'equipe Maudling a I'O.E.C.E.
Les experts de ces negociations, il n'y en a pas beaucoup parce que c'est extremement
complexe. II a ete d'ailleurs, apres Ie Secretaire General d'E.F.T.A. (European Free Trade
Association). Des gens de tres grande qualite et avec Iesquels vous pouviez parler technique
et geopolitique. La coincidence de la mise en reuvre des Traites de Rome et de Ia mise en
reuvre de la Constitution de la Verne Republique a renforce les deux ...
Les deux ?
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C'est-a-dire que les Britanniques se sont demandes, au debut, si de Gaulle n'allait pas
remettre en question tout <;a, parce que les gaullistes n'etaient pas des enthousiastes des
Traites de Rome. Mais de Gaulle avait des principes. D'abord Ia signature de la France, elle
ne change pas, elle est respectee. D'autre part, il a ete convaincu par un certain nombre de
personnes, dont Rueff, dont Armand, dont Monnet par I'intermediaire de Couve, etc ... que
sur Ie plan economique, la question politique n'etait pas posee d'une maniere claire, Ie
Marche Commun etait dans l'interet de la France et que c'etait un moyen de fa<;on graduelle
d'ouvrir, de liberer la France de ses habitudes protectionnistes qui, finalement, allaient contre
ses interets a long terme. De Gaulle, ensuite, a eu la reunion de Colombey-Ies-Deux-Eglises
avec Ie Chancelier Adenauer et nous avons eu tres vite des rapports du cote allemand qui
montraient que <;a s'etait extremement bien passe. D'abord, ces deux hommes se sont sentis
au meme niveau historique. lIs se sont compris. C' est la que Ia relation franco-allemande
ouverte par Robert Schuman et Jean Monnet a pris, avec de Gaulle, une dimension encore
plus considerable. II est aIle plus loin sur Ie plan de l' emotion historique. Cela a totalement
marginalise les Britanniques. On Ie sentait tres bien de Londres et Ie petit espoir qu'ils ont eu
que de Gaulle remettrait en cause cette construction qui commen<;ait, a disparu au bout de
quelques semaines.
EU
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Est-ce que Monnet pensait vraiment que de Gaulle s'etait converti a l'Europe et je dirais
meme a I'Europe tederale. II y a des mots, des phrases de lui qui impliquent qu 'il pensait que
de Gaulle marchait...
HA
Ce que Monnet pensait sur la conversion de de Gaulle au federalisme, je ne peux pas vous
donner de temoignage direct donc, je ne veux pas faire dire a l'un ou a l'autre ce qu'ils n'ont
pas dit. A l'epoque, en 1958, la question agricole, dans la Communaute europeenne, n'avait
pas ete reglee. Elle avait ete Iaissee hors negociations. Donc, Monnet, Hallstein qui etait Ie
President de la Commission, beaucoup de gens pensaient que la France avait besoin d'une
politique agricole commune et que de Gaulle, avec Pisani, avaient besoin de la politique
agricole commune et que c'etait un engrenage qui pouvait l'amener a aller plus loin dans les
faits, vers des formes federales que ne Ie faisaient la theorie et la rhetorique. II y a eu ce pari
implicite en disant qu'il y aura un engrenage qui amenera de Gaulle a accepter la realite de
structures federales et non pas l' ideologie. L' etau pouvait se resserrer.
Le grand moment a ete Ie passage a la deuxieme periode d' application des institutions,
c'est-a-dire Ie vote majoritaire. Et c'est la qu'il y a eu la crise de la chaise vide. Donc de
Gaulle a echappe a ce piege vers lequel il etait petit a petit conduit de maniere assez naturelle
et logique par des negociations techniques sur toute une serie de domaines. C' est vrai que de
Gaulle a parle de federation une ou deux fois dans sa vie: avant Ia guerre et apres Ia guerre ...
[fin de la face A de la cassette]].
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... qui vient de discussions assez poussees avec des collaborateurs directs de De Gaulle.
C'est qu'a la longue, il aurait accepte des institutions, qu'apres coup on aurait decrites comme
federales, parce qu'il etait pret a accepter la notion confederale, comme la Confederation
helvetique, et toute formule confederale est une formule intermediaire et instable. On revient
vers les nations d'origine et les souverainetes d'origine, ou on va vers les formules de
caractere federal. Mais quand vous regardez la creation de toutes les federations et ce que,
dans Ie debat europeen, on n'a pas dit parce qu'on a pris sur un autre plan, il n'y a pas deux
systemes federaux qui se ressemblent et tous les systemes federaux sont Ie resultat d'une
bataille et d'un compromis entre l'affirmation du tout et l'affirmation des composantes. C'est
une resultante de caractere politique, de rapports de puissance. Ce n'est pas une formule toute
faite et quand on a voulu decrire, et la je crois que nous, les Europeens, on s'est tres mal
de£endu la-dessus, l'Europe comme etant destinee a faire disparaitre les nations, a plonger
tout Ie monde dans un magma, etc ... on s'est laisse entrainer sur un terrain qui n'etait
absolument pas celui de nos actions et de nos intentions. Cela aurait ete stupide ! Les nations
existent toujours. Les provinces existent toujours. II yale Pays basque qui existe toujours. II
y a l'Alsace qui existe toujours, meme dans un Etat centralise et jacobin comme l'est la
France. Ces realites ne meurent pas et, d'ailleurs, pour reprendre de Gaulle, les nations ne
meurent pas. II y a une nation galloise ; il Y a une nation ecossaise, alors que Ie centralisme
britannique etait considerable. Tout <;a, on Ie savait, mais on ne s'est pas assez de£endu sur Ie
debat et nous avons souffert en partie de l'echec de la C.E.D. parce que la Conference de
Messine a fait reprendre Ie dossier europeen par Ie do maine economique, technique pour
revenir a l'intention politique, qui n'a jamais ete reellement discutee. Alors, de Gaulle a
essaye plus tard avec Ie Plan Fouchet de passer au niveau politique. Aujourd'hui, beaucoup
regrettent que cette operation ait echoue.
AH
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Comment expliquez-vous cette aprete du debat ideologique parce que actuellement dans le
debat sur 1'Europe, je crois qu'on ne se bagarre plus vraiment sur Les termes de federation ou
de confederation ? Il n 'y a que queLques hommes politiques que je ne nommerai pas qui
denoncent La federation. Mais, Le debat sembLe moins apre. Est-ce votre avis?
HA
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II est moins apre, parce que l'Europe est devenue pour pratiquement tout Ie monde une
"habitude. Tout Ie monde utilise la dimension europeenne. A l'epoque, je me souviens avoir eu
des discussions avec Monnet. J' etais un collaborateur jeune, modeste et alors on ne negociait
pas ... mais avec Monnet, on pouvait discuter sincerement. Je pense que l'erreur qui etait
commise, c'etait d'aller a un rythme beaucoup plus rapide que la prise de conscience de
l'opinion publique ne Ie permettait. On a explique Ie charbon, on a explique l'acier, on a
explique la politique agricole commune, etc ... Mais, on n' expliquait pas assez, sur Ie plan
politique, aux gens ce que cela signifiait.
J'ai fait des milliers de conferences dans toute cette periode de cinquante ans. J'ai bien vu
les reactions d'auditoires et les plus interessantes, d'auditoires hostiles. IIs etaient hostiles
pour de bonnes raisons, parce qu'il y avait des craintes. On n'expliquait pas et quand on ne
vous explique pas les choses, vous avez des craintes, vous avez des reactions extremement
negatives. Si on vous explique ce qu'on fait, ... Mon metier a ete passionnant en GrandeBretagne parce que j'ai du expliquer a un pays tres mefiant a l'egard du continent, tous ces
pays qui ont ete battus pendant la guerre, etc ... II Y avait donc un prejuge tres negatif, mais
j'ai vu des reactions extraordinairement positives des differents auditoires, parce qu'on leur
expliquait. D'habitude, on n'expliquait pas d'ou l'on venait, ou on etait, ou on allait. Si vous
appliquez a priori une formule : une federation, Ie federalisme, vous declenchez chez les gens
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des reflexes qui viennent de leur definition du federalisme. Or, dans la tradition politique
franc;aise, qui n'est pas tres girondine, Ie federalisme, tel qu'il etait compris, voulait dire en
fait l'Etat, un Etat europeen qui dirigeait tout. Or, ce n'est pas c;a Ie federalisme. D'ailleurs,
n'oubliez pas, cela a ete souvent rappele dans Ie debat europeen, que si I' Allemagne
d'aujourd'hui a une structure federale, c'est a la demande de la France. Et Rocard l'a rappele
dans un article de L'Observateur, c'etait pour affaiblir l'Allemagne alors que c;a I'a
renforcee ; parce que pour nous, une structure federale, c' est une structure qui limite I' action
de l'Etat done affaiblit un pays. On a vu ce que cela a donne.
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D'ailleurs, la grande tradition de gauche etait federaliste et jacobine et heureusement,
qu'il y a eu Gaston Defferre. Defferre est, a mon avis, un des hommes les plus importants. Il a
fait, et d'ailleurs cela a ete dans la negociation du Traite de Rome, l'autonomie, Ie selfgovernment pour les colonies, la loi Defferre. Grace a c;a, nos collegues de la Communaute
europeenne ont accepte la liaison Europe-Afrique, parce qu'ils ne voulaient pas que l'Europe
serve a renforcer et a prolonger Ie colonialisme franc;ais. Done, il y a eu la loi Defferre et sur
Ie plan interieur, la loi Defferre de la decentralisation. C'est un homme qui occupera une place
tres importante. C'est dans Ie debat europeen et l'Europe est un element de decentralisation et
quand vous voyagez aujourd'hui en France, vous voyez Ie moindre village, il est bien tenu, il
est fier de ce qu'il est, et c'est Ie resultat de la decentralisation. Les regions egalement.
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Tout c;a n'est pas hors du sujet parce que c;'a ete implicitement Ie grand debat entre
Britanniques et Franc;ais. Les Britanniques ont une conception beaucoup plus federale. Mais,
ils ne prononcent pas Ie mot parce qu'il y a eu des debats interieurs pendant des decades en
Grande-Bretagne sur Ie federalisme ; l'Ecosse avait sa monnaie. Mais, dans la realite des faits,
les Britanniques sont capables de s'adapter a ce genre de structure, et d'ailleurs ils ont cree,
lorsque les colonies se sont transformees en Commonwealth, des constitutions multiples de
structure federale.
AH
A propos des Britanniques en 1958, lorsque de Gaulle revient au pouvoir, qu'il y a cette
entente franco-allemande, est-ce que vous pouvez donner un temoignage sur les reactions de
vos interlocuteurs britanniques. Ont-ils ere etonnes, peines... ?
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Ils ont ete divises. Dans toute la politique, tout Ie monde est divise entre l'attitude
.traditionnelle de l'equilibre des puissances et la construction d'un monde nouveau. Je prend
des termes qui ont l'air un peu romantique mais c'est c;a. C'est Churchill, en 1946, qui a parle
d'une sorte d'Etats-Unis d'Europe. c'est Churchill, en 1946, qui a dit que Ie premier pas,
c' etait la reorganisation de I' amitie franco-allemande. Ce n' etait pas un Vichyssois. C' etait un
homme qui etait un des leaders europeens de la victoire qui disait: il faut passer par la et
sortir de cette malediction historique. Par consequent, quand de Gaulle a adhere a cette
creation de ce couple franco-allemand et lui a donne une dimension considerable,
enormement de Britanniques, de ce point de vue, s'en sont rejouis. Mais, par ailleurs, la
diplomatie traditionnelle a la Metternich l'a deplore car cela creait une puissance continentale,
chose que les Britanniques traditionnellement n'ont jamais souhaite. Mais, c'est la ou la
politique europeenne, Dieu sait si on I'a souvent explique, qui a ete inaugure avec Monnet, est
une autre maniere de faire de la politique. C'est-a-dire lorsque les gens s'unissent dans ce
secteur-Ia, c'est un plus pour vous et non un moins. Et dans les circonstances historiques de
I'epoque, j'ai souvent explique aux Britanniques, que s'il y a une bonne entente entre Franc;ais
et Allemands, cela renforce votre securite et ne la menace pas. C'a ete long a faire
comprendre cette chose-la, et c'est toujours long meme aujourd'hui quand on parle du triangle
entre les Trois. C' est un triangle. Ce n' est pas fait pour separer France et Allemagne. II y a
des operations de ce genre: la Bourse de Londres et de Francfort, vous voyez. Non, c;a depend
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en partie de ce que les uns et les autres veulent faire, notamment de l'attitude franc;aise. Mais,
a l'epoque, certains se sont inquietes et certains ont applaudi et quelques fois, c'etait la meme
personne divisee.
Alors, on arrive a la Conference de Stresa sur l'agriculture. Beaucoup de Britanniques
ont cru que c;a allait capoter. C'etait une negociation extremement difficile. Elle a reussi. En
fait, c;a, les experts britanniques ne s'y sont pas trompes, de Gaulle acceptait une gestion de
caractere quasi federale de la Politique agricole commune. Elle a ete a l' epoque,
incontestablement, un renforcement tres puissant du mouvement vers la cohesion
communautaire. J'avais parle de Rueff aussi, sur la reforme Armand-Pinay-Rueff, si vous
voulez. La devaluation qui est intervenue a l'epoque, a mis la France en situation de mieux
participer a l'elaboration du Marche commun, et quand on a vu de Gaulle devenir partisan de
l'acceleration des demantelements tarifaires, alors les Britanniques ont compris que la
Communaute etait la pour rester. Donc, probleme : qu'est-ce qu'on fait?
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En 1961, il Y a deux evenement qui, personnellement, m'ont beaucoup frappe. Je l'ai
souvent utilise dans des discours. C'est que Ie meme mois, il y a reconnaissance de fait de
I'importance et de la solidite de la Communaute europeenne par Khrouchtchev et Macmillan.
C'est en juillet 1961. Or, dans les deux cas, ce sont des gens qui avaient un sens du realisme
politique. J'ai souvent dit a Monnet: "Cela vaut to utes les reconnaissances diplomatiques
qu'on veut". C'est la ou Khrouchtchev a fait un article theorique en disant que tout Ie Marche
commun, la Communaute europeenne etait un element positif, objectif, etc ... Et Macmillan, a
la Chambre des Communes, demandait a ouvrir des conversations. Alors la, il y a un incident
que j'ai explique a la television anglaise, donc ce n'est pas un secret, mais assez amusant. Ce
qui m'avait frappe dans la discussion a la Chambre des Communes, c'est que Macmillan
entourait cette demarche de to ute une serie de precautions, etc ... et Michael Foot, a un
moment donne, interrompt Macmillan a la Chambre des Communes et dit: "Mais si on
comprend bien Ie Premier Ministre, nous avons demande a entrer dans une equipe de football
a condition que les regles soient amenagees de telle sorte que finalement (at the end of the
day) on va leur demander de jouer au cricket". Alors, c;a m'avait interesse ... Michael Foot
etait un des hommes politiques les plus intelligents qui soient, un Premier ministre
impossible. J'ai bien connu cet homme. Tres attachant.
HA
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Je n'avais pas la confirmation que c'etait c;a, la strategie. Mais, un jour, je suis en weekend chez des amis anglais, et a cote de moi une petite jeune fille, charmante, vingt ans. Je ne
savais pas tres bien de quoi parler et je lui dis: "Quand vous dansez, est-ce que vous aimez
parler ou etre silencieuse". C'est important. Alors, elle me dit: "C'est amusant, la question
que vous me posez. Vous savez avec qui j'ai danse hier soir? ". J'ai dit : "Non, racontez-moi
un petit peu", un peu leger, vous savez. "Eh bien, j'ai danse avec Ie Premier ministre, M.
Macmillan !". "Ab, ai-je dit alors, il parle ou il ne parle pas? ". Elle m'a dit: «J'etais tres
intimidee (c'etait Ie mois ou il avait fait ce discours), je ne savais pas quoi lui dire. II ne disait
rien, lui ne devait pas tres bien savoir quoi lui dire, et alors je lui dit : alors on va entrer dans
ce Marche commun ? Alors en dansant, il m'a dit : Don't worry, my dear ... et il m'a bien
serree ... we shall embrace them destructively (on les embrasse pour les detruire) ". Alorsj'ai
dit: "Ab, tiens, c'est amusant !", etc ...
C'est Ie petit point qui manquait dans Ie puzzle, et j'ai ecrit une lettre personnelle a
Monnet et a Hallstein, mais Hallstein pas du tout a la Commission, en leur disant : voila, je
vous raconte cette histoire ; et grace a c;a, cela a eclaire pour moi, la comprehension de toute
une serie de negociations, d'attitudes techniques, de discours ... We shall embrace them
destructively! ... Et plus tard, en lisant les memoires de Macmillan, il expliquait, d'apres ses
dires, au cabinet britannique qu'il n'y avait pas a s'inquieter, que cette negociation allait
permettre de changer les choses de maniere positive pour la Grande-Bretagne. Mais, Ie "We
shall embrace them destructively", pour moi, cela a ete la cleo Et cette cle, je I'ai eu debut aout
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1961. C'etait tres peu de jours apres Ie discours. C'etait une anecdote. Mais, comme quoi,
quelques fois, les jeunes femmes disent plus qu'elles ne Ie croient.
Est-ce que vous avez eu des reactions de Monnet
a votre lettre ?
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Oui. Mais Monnet n'etait pas aveugle. II avait compris. Mais c'etait la confirmation directe et
amusante. J'ai vu beaucoup Monnet pendant cette periode-Ia. Mais, si vous voulez, Monnet,
... moi je connaissais les Anglais comme c;a ; Monnet les connaissait mieux. II les estimait.
Tout ce que je dis, ce n'est pas du mepris qu'il y a dans mon commentaire. Les Anglais se
battent dur et quand ils voient que cela ne marche pas, ils s'adaptent dur, n'est-ce pas? Donc,
il faut savoir ce qu'on veux, ce qu'on est, et a ce moment-Ia, d'abord, on se fait respecter, et
finalement on avance. II ne s'agit pas de faire Ie roquet, de faire des grandes declarations puis
de s'aplatir. Ce que souvent certains de nos hommes politiques faisaient dans la relation
britannique. IIs etaient impressionnes par les Britanniques, parce que les Britanniques ont une
technique, meme personnelle, qui consiste a impressionner c'elui avec lequel il negocie. Des
details. Par exemple, vous allez chez certain ministre. II est sur un fauteuil, vous etes assis sur
un fauteuil qui est pratiquement a ras du sol.
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Alors, j'expliquais cela. Je me souviens expliquant c;a a Lapie. Pierre-Olivier Lapie
connaissait pourtant tres bien les Britanniques. II etait President du groupe parlementaire
franco-britannique. Je lui disais: "Attention. Faites attention, on Ie paiera ... " Bon, les
silences. IIs ne disent rien, alors vous voulez combler Ie silence et alors vous racontez tout ce
que vous ne deviez pas raconter. Ce sont de petits details. Ou alors lorsqu'il y a une reception
ou on veut vous seduire, vous recompenser, alors il y a un decorum extraordinaire et puis
vous ne cedez pas, alors tout se refroidit. II y a un film d'ailleurs que j'ai fait montrer a des tas
de gens, un film britannique "Carlton Brown from the Foreign Office", qui montre toute cette
technique britannique extraordinaire. IIs ont raison. C' est comme les Chinois. Chaque pays,
c'est ... Chez nous, c;a sera un grand diner, c;a sera les Folies Bergeres, c;a sera tout ce que
vous voulez. Mais ces negociations, ce sont des hommes qui negocient, ce ne sont pas des
machines, ce ne sont pas des ordinateurs. Donc, tout Ie decorum de la negociation, tout
l'enveloppement psychologique de la negociation a une enorme importance. Donc, ils ont
utilise tout c;a. Monnet les connaissait bien, ayant ete ... , apres tout, travaillant pour eux a
Washington pendant la guerre, penetrait leur psychologie et savait quelles etaient leurs forces
'et leurs faiblesses ; comment la mecanique se declenchait. Donc, quand je lui racontais tout
c;a, c'etait pour lui beaucoup plus familier qu'a l'epoque pour moi. Aujourd'hui, je les connais
par cceur. C'est pour c;a qu'ils se mefient. IIs n'aiment pas etre connus si vous voulez. Mais
quand on connait la mecanique, on sait comment elle marche. C'est une mecanique tres
realiste.
Alors Ie fait qu'en 1961, Khrouchtchev, moi je connais bien Ie communisme, les
Sovietiques, etc... Ie fait que Khrouchtchev fasse cet article a une enorme importance. Et
1961, pour moi, cette double reconnaissance, presentant des dangers, mais egalement des
zones tres positives, c' etait la consecration du succes. Apres, il faut gerer. Je pense que ce que
je vous dis a certainement figure dans les papiers envoyes a de Gaulle, la reflex ion de de
Gaulle. C'est-a-dire qu'on avait la certitude que tout l'aspect economique de cette affaire
allait perdurer, donc il fallait passer au stade politique. D'ou l'idee du Plan Fouchet. Et quand
vous regardez Ie Plan Fouchet, vous constatez que de Gaulle s'est preoccupe personnellement
de toute une serie de contacts, de conversations avec les chefs d' Etat et de Gouvernement des
Six. De Gaulle s'est saisi personnellement du dossier. II n'a pas envoye tel ou tel diplomate. II
a eu des conversations bilaterales avec Ie President du Conseil italien, etc ... II a certainement
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fait cette analyse qui etait evidente : c'est qu'on etait la, c'est que Ie Marche commun etait la
maintenant pour durer.
Mais, vous vous hiez a l'epoque Ie n° 1 ou Ie n° 2...
N° 2 ...
Ie n° 2 de la delegation...
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Mais, il Y a eu des vacances donc j' etais charge d' affaire longtemps, etc ... Si bien que Ie
numero 1, franchement, il etait la, mais, bon, c'etait, je ne veux pas etre pretentieux, c'etait
moi qui etait Ie delegue. C'est avec moi, d'ailleurs, que les ministres conversaient, etc ...
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Done, est-ce que vous avez ete amene aparler du Plan Fouchet aux Britanniques ?
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Qui, done dans queI sens en avez-vous parle et ...
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Bien sur.
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Et queUes ont ete leurs reactions?
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Positif.
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Ce n'etait pas tout a fait l'attitude de Bruxelles mais cela n'avait pas beaucoup d'influence sur
mon jugement parce qu'on ne recevait jamais d'instructions.
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C' est important que vous Ie disiez !
On n'a jamais re<;u d'instructions. La machine diplomatique de Bruxelles, maintenant il y en a
une qui existe ; elle n'existait pas. Donc, il n'y a jamais eu d'instruction et je l'expliquais aux
Britanniques lorsqu'ils sont entres. J'ai eu une reunion avec une serie de hauts diplomates
anglais. IIs m'ont dit, parce qu'ils cherchaient a voir, a essayer de dechiffrer les telegrammes,
etc ... On avait droit au chiffre. II a fallu Ie negocier au debut, pour avoir droit au chiffre. On
n'en a jamais utilise. Et ils n'ont jamais pu deceler les instructions parce qu'il n'y en avait
pas. IIs se sont dits que Ie secret etait formidablement bien garde. Et alors, quand je leur ai dit
que les instructions, c'est moi qui me les donnaient, ils ont cru que je me fichais d'eux. Ce
n'est plus du tout comme <;a maintenant. II y a une machine diplomatique tres bien huilee. La
machine diplomatique europeenne est tres bien huilee. C'est pour <;a que je regrette que l'on
n'utilise pas ... on ne donne pas a la Commission un role determinant dans l'elaboration de la
politique etrangere commune parce qu'il y a toujours ce conflit : intergouvernemental, etc ...
Mais a l' epoque, il n 'y avait rien du tout.
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Donc Ie Plan Fouchet. Moi, j'etais accuse ... II y a eu des tas de drames. On a demande de
me renvoyer, etc ... Du cote britannique, il y a eu des pressions, parce qu'on a cru que j'etais
un agent du Quai d'Orsay. Le Quai d'Orsay a cru que j'etais un agent des Britanniques. Enfin,
une rigolade tout c;a. Mais, il y a eu des operations assez penibles. II y a eu, a l' epoque de
Wilson, une fuite ... un rapport qui a ete fait par l'attache economique de la delegation, qui
etait un Allemand, un rapport en allemand, moi je ne parie pas un mot d'allemand, qui a ete
une fuite a Bruxelles. II y a des rapports qui ont ete passes aux Britanniques par un des
Commissaires. Et cela a declenche une baisse de la livre sterling, ce rapport. Donc cela a
declenche une enquete, etc ... pour dire que j'etais responsable. Donc, j'ai demande qu'il y ait
une enquete serieuse qui n' a pas eu lieu puisque Ie Commissaire qui avait passe Ie rapport ne
voulait pas qu'on Ie sache. Mais, je ne dis pas son nom encore. Voila. Tous les procedes ont
ete utilises, vous savez. Mais c;a, c' est de bonne guerre. II faut savoir que c;a existe, et il faut
savoir que j'ai ete cambriole plusieurs fois. II y a des micros qui ont ete mis chez moi, etc ...
Ce n'est pas de tout repos ce genre de choses, mais cela ne m'a jamais perturbe, parce que les
interets qui etaient en cause etaient tellement considerables, que toute une serie de moyens
etait a prendre, sauf que ces moyens ... J'ai souvent explique, j'ai dit : "Vous perdez votre
temps". La conviction qu'on avait avec Monnet, est qu'on travaillait avec la force de l'histoire
derriere soi et non pas les trucs habiles d'un Etat. On avait l'impression d'etre vraiment, non
seulement de changer, mais d'aller dans Ie sens de l'histoire. Quand vous avez cette
conviction, c'est ce que les communistes ont essaye de faire en disant : on va dans Ie sens de
I'histoire, je ne dis pas que c'est du determinisme historique ... Quand vous avez la conviction
que vous avez c;a et que ce que vous faites est pour Ie bien de tous, ce n'est pas asseoir un
imperium; vous comprenez, c;a vous donne une force considerable, si bien que tous ces
moyens classiques de la diplomatie apparaissent comme derisoires et ils ne marchent pas.
Moi, j'ai souvent explique cela a des gens du Foreign Office en rigolant, je leur ai dit : "Cela
ne sert a rien et la preuve, vous la voyez la".
HA
En s'appuyant sur qui?
EU
AH
UE
Alors, Ie plan Fouchet. Donc, je parle du plan Fouchet premiere maniere. On considerait
que c'etait tres positif. Le fait que de Gaulle se preoccupe de ce probleme etait un element tres
positif et la fac;on dont il voulait aborder l'affaire politique n'etait pas celIe a laquelle je
croyais moi-meme, c' est autre chose, mais c' est celIe qui me paraissait politiquement viable
pour l'epoque. Quand on fait de la politique, on est sans cesse a faire Ie partage entre ce que
l'on croit et ce que I'on peut. A l'epoque, c'etait un progres considerable. Les Britanniques
ont, lorsqu'il y a eu Ie plan Fouchet II, agi pour faire capoter l'affaire. IIs ont ete tres actifs, ils
se sont servis ...
Sur Spaak. Et Spaak l'a absolument regrette par la suite. II l'a dit publiquement. C'est dans
ses Memoires. C'est dans les memoires de Rothschild, etc ...
Ils ne se sont pas appuyes sur Luns ?
Les deux. Spaak a ete beaucoup plus eloquent. Luns etait connu pour etre un antifranc;ais
visceral, parce qu'il avait un complexe puisque sa mere etait franc;aise. J'ai eu des discussions
avec lui, un homme remarquablement intelligent, mais psychologiquement, il avait un
probleme. J'ai ete en dialogue avec lui, dans les conferences et je ne I'ai pas, comme je n'ai
jamais eu Ie sens de la hierarchie, je pouvais etre numero 2, 3 ou 4, pour moi, cela n'avait
aucune importance; j' avais mon point de vue et c;a enervait certains mais cela en
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impressionnait d' autres et avec, Luns ... II etait supremement intelligent, Luns, habile. Mais, il
n'etait pas europeen. II etait anti-europeen, il etait atlantique. Ce n'est pas la meme chose. Ce
n'est pas contradictoire, mais ce Il'est pas la meme chose. On etait europeen et il y avait des
alliances, c'est tout a fait autre chose, mais pas des integrations. Dans Ie cas de Luns, il etait
diabolique et il s'arrangeait toujours pour que ... il prenait une position tres europeenne qu'il
savait ne pas pouvoir etre acceptable pour la France de de Gaulle, pour amener de Gaulle a
dire ou faire entendre: non, pas question; ce qui permettait a Luns de dire: ecoutez, nous on
veut faire l'Europe, mais la France bloque.
AH
UE
Je vais meme vous raconter une histoire qui n'a pas ete racontee: les instructions
neerlandaises qui m'a ete racontee par un tres grand diplomate neerlandais. Quand il y avait
des discussions a Bruxelles, notamment sur les affaires anglaises, etc ... , il Y avait des tours de
table des representants permanents. Deux hypotheses. Si Ie tour de table faisait que Ie
Franc;ais parlait avant, c'etait ennuyeux. II fallait que Ie Neerlandais parle avant. Donc, il
presentait une these ultra-europeenne. A ce moment-la, Ie Franc;ais freinait. Ensuite, Ie
Neerlandais pouvait dire: on a voulu, mais la France a dit non. Donc Ie truc, c'etait d'essayer
de parler avant la France et c;a 'etait une instruction qui etait donnee aux diplomates
neerlandais a l'epoque. <;a, c'etait Luns, si vous voulez. L'attitude qu'il a eue sur l'histoire du
plan Fouchet a ete negative, mais habilement negative. Mais on savait que Luns etait comme
c;a.
HA
EU
Dans Ie cas de Spaak, cela a porte beaucoup plus parce que Spaak etait un francophile
dans les tripes et, en meme temps, il etait anti-gaulliste. Anti-gaulliste pour des tas de raisons:
est-ce que c'est un general Boulanger; est-ce que c'est Bonaparte, enfin tout ce que vous
voulez. Mais, il avait ...
[Fin de La cassette 1 face BJ
UE
Debut de La cassette 2 face A
HA
EU
AH
Le plan Fouchet, 1961. La situation de la delegation etait un peu speciale, parce que la
gestion d'accord d'association, qui etait notre raison d'etre, n'etait pas tres lourde. II y avait
beaucoup de temps libre et c'est la raison pour laquelle, Hallstein, avec lequel je m'entendais
tres bien, me demandaitquelques fois de remplir certaines missions pour lui a 1'exterieur.
Vous savez qu'Hallstein avait une notion de la Presidence de la Commission tres forte, ce qui
.a amene des conflits avec de Gaulle et 1'une des consequences de cette conception, c'est qu'il
voulait etre informe sur les problemes de politique internationale, etc ... Donc, j' ai
discretement voyage quelques fois pour voir. Ainsi, je suis aIle a Moscou. Et a l'epoque, il y
avait une tres bonne excuse. C'est qu'il y avait l'Exposition franc;aise a Moscou qui durait un
mois. Donc, j'y suis aIle et j'ai loge chez un ami de l' Ambassade, Emmanuel de Margerie, qui
est devenu Ambassadeur plus tard a Washington. C'est un vieil ami. Et la, a l'epoque, les
Ambassades avaient des difficultes pour avoir des rapports avec les dirigeants sovietiques.
Mais, a l'occasion d'une exposition, on pouvait en avoir enormement, si bien que j 'ai vu en
quelques semaines, ... C'etait Ie mois du Mur de Berlin. Je dinais a I' Ambassade britannique
Ie soir ou Ie Mur de Berlin commenc;ait a etre construit et j' ai vu dans la conversation tout de
suite les grandes lignes du nouveau paysage international qui se dessinait. Les Sovietiques
etaient silrs ce soir-Ia qu'il n'y aurait pas de reactions militaires occidentales. Je me souviens
d'un Americain qui etait tres dechaine, etc ... Le Sovietique etait la ... j'ai marque les noms
sur mes carnets, mais je ne les ai plus en memoire. Le Sovietique, important, disait aux deux
Americains qui etaient la: "Ecoutez, vous ne comprenez pas I'Histoire. Nous autres vieux
pays (en parlant des Anglais et des Franc;ais), nous savons comment on traite ce genre de
probleme". II y avait ce cote: nous, les vieux pays.
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M. Georges Berthoin
EU
AH
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HA
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J'ai donc parle avec enormement de gens de cette histoire du Marche commun. Pourquoi
on avait <;a. L'attitude de l'Allemagne. Notre attitude vis-a-vis de l' Allemagne, etc ... J'ai eu
un avant-gout de choses qui se sont produites me me 10 ans apres, une conversation avec IIya
Erhenbourg qui etait passionnant de cynisme et de culture, sur l' opinion des partis
communistes occidentaux, toute une serie de choses. J' en suis revenu avec Ia conviction, que
j' ai fait partager d' ailleurs dans des conversations, pas dans des ecrits, avec Jean Monnet
qu'un jour, nous aurions, en tant que Marche commun, une influence decisive sur l'evolution
sovietique et sur l' evolution du rideau de fer. C' etait clair. Quand vous avez des conversations
a ce niveau-Ia, c' est I'interet de ces organisations comme Ia Trilaterale, etc ... , quand vous
avez avec des gens a ce niveau-la, dans Ia mesure ou iis ne sont pas bornes dans leur travail
quotidien, vous voyez clairement dix ans a l'avance. C'est limpide. Et c'est depuis, d'ailleurs,
cette epoque-la qu'a Londres, j'avais en moyenne tous Ies deux mois une longue conversation
avec l' Ambassadeur sovietique, tantot chez moi, tantot chez lui. Et j'etais numero 2 au debut,
mais iis avaient compris, si vous voulez. lIs etaient bien renseignes. Les conversations se
passaient a l'Ambassade dans une piece qui etait merveilleuse du point de vue acoustique,
donc je suis sur de ne pas etre cite hors contexte puisque c'etait enregistre. Et j'ai demande,
depuis Ie changement, si on pouvait retrouver Ies rapports des conversations que j' ai eues
parce que ce sont des conversations tres fortes. Alors la, j' en tenais informe Hallstein, Monnet
mais personnellement. Je ne faisais pas d'ecrit parce que vous ne savez jamais ou vont les
ecrits et que les circuits a Bruxelles n' etaient pas surs. lIs etaient truffes de trucs, etc ... Alors
la, il n'etait pas question que <;a sorte. Mais, ce qui s'est passe apres etait ... Si vous voulez,
ce qu'il y avait de bien, parce que j'avais beaucoup d'amis dans Ia Resistance qui etaient
comrnunistes, on a beaucoup discute, c'est que vous aviez une analyse et une perspective
historique. Par consequent, on pouvait parler histoire. Ce n'est pas la gestion de Ia securite
sociale, c' est autre chose. Pour moi, dans mes conversations politiques, il y a quatre endroits
ou cela vaut la peine de discuter de politique, c'est-a-dire Washington, Ie Vatican, Moscou et
selon Ies cas, un peu Paris, un peu Londres, un peu Tokyo parce que la, vous aviez une vision
du deroulement historique, tel qu'on Ie voulait ou tel qu'il se produisait. Et a I'epoque, iis
etaient intrigues par cette histoire du Marche commun, tres intrigues et Ie fait, d'ailleurs, que
Macmillan ait demande a ouvrir les negociations, pour eux, etait aussi un test parce que Ies
Sovietiques etaient tres attentifs a la diplomatie britannique. Elle etait prise au serieux. lIs
avaient raison, parce qu'elle est tres superieure a Ia diplomatie americaine, qui est tres
sporadique, si vous voulez. Donc Ie fait que cela bouge du cote britannique, cela voulait dire
quelque chose.
HA
Je suis aIle ensuite en Amerique Iatine, au moment ou de Gaulle avait envoye Chauvel
pour preparer sa strategie fran<;aise et accessoirement europeenne vis-a-vis de l' Amerique
latine, dans Ie rapport Amerique Iatine - Amerique du Nord. Bon, moi, j'ai fait Ia tournee de
mon cote. Je suis aIle en Islande, parce qu'il y avait une question de peche. Enfin, il y a eu
toute une serie de voyages. Donc je pouvais faire <;a sans que Ie microcosme
intergouvernemental qui etait a Bruxelles s'inquiete parce que voila, on ne savait pas
exactement, et c'est <;a qui m'a donne une vue des choses extraordinaire.
Est-ce que vous etiez en contact avec la diplomatie fram;aise ?
Peu. En tant que diplomate, non. Avec les individus, oui. Par exemple, Iorsqu'il y a eu Ie veto,
on arrive a 1963 ...
l'ai une question a vous poser quand meme pour 1962. Est-ce que vous avez un temoignage a
apporter sur les rencontres, et en particulier je pense ala rencontre de Rambouillet d'octobre
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1962 entre de Gaulle et Macmillan ? C' est une rencontre importante parce qu'iL sembLe que
de Gaulle ait propose a Macmillan une sorte de travaiL en commun pour monter peut-etre une
force de defense europeenne nucleaire, puis apres c' est L'histoire des PoLaris...
EU
AH
UE
D'accord. Je n'ai pas de temoignage direct. J'ai eu les informations diplomatiques. Mais de
temoignage direct, non. Alars, sur l'histoire du plan Fouchet. La, il y a un temoignage direct.
C'est a une reunion de l'D.E.O. que la rupture s'est faite, je crois, sur Ie plan Fouchet. Je crois
me souvenir, Georges Brown y assistait et puis il y avait Spaak, etc... Je crois que c' est la
qu'il y a eu cette rupture. Mais, simplement je savais que les Britanniques allaient utiliser
cette reunion ministerielle de I'D.E.O. pour, dans des circonstances que j'oublie mais qu'on
peut toujours retrouver parce qu'elles sont clairement rapportees, casser, stopper l'operation
Fouchet II. Et la, j'ai fait des demarches personnelles aupres de Brown. J'ai vu
l' Ambassadeur de France. J'ai vu d'autres ministres pour leur ... Mais je sais que la demarche
que j 'ai faite etait de dire: "Faites attention. Ne stoppez pas Ie plan Fouchet parce que vous
allez creer une crise considerable dans les affaires europeennes. Mais vous n' en serez pas Ie
beneticiaire interne. Tout Ie monde va etre perdant". Bon, cette demarche n' a abouti a rien,
mais je me souviens de <sa. Alars la, il faudrait que je retrouve mes carnets de l'epoque. Je ne
les ai pas ici avec moi. Ils sont en province. Je vous dis <sa parce qu'avec les elements que
vous avez, sur Ie plan historique, vous pouvez trouver. Alors, negociations, 1962, on negocie
Ie traite. On etait tres actif a la marge puisque ce n'etait pas nous les negociateurs. Mais tres
actif parce que ...
HA
Negociations entre La Communaute europeenne et I'AngLeterre ?
UE
Oui, cela se passait a Bruxelles.
AH
La, on parLe de La candidature de La Grande-Bretagne.
HA
EU
C'est <sa, qui a abouti au veto de 1963. Mais il y a eu des negociations, negociations
considerables et en fait, elles n'ont pas ete perdues. Et quand on a recommence, ... vous savez,
ces negociations, on a a peu pres des zones d'accord et puis apres, <sa echoue. Mais, on ajoute
Ie petit supplement ...
Donc La, vous etes intervenu dans cette negociation
?
Dans la negociation directe, non puisqu' elle etait menee a Bruxelles. Elle etait menee par les
representants des Etats et par la Commission. Mais, on avait besoin d'alimenter la
Commission en informations, sur ce qui allait se passer et comment telle chose passait, etc ...
N'oubliez pas qu'on est a la peripherie quand on est a Londres. Il y a des choses sur lesquelles
on etait au centre, mais la, dans ce cas des negociations, on est en peripherie. Mais, j'etais a
une epoque presque chaque semaine a Bruxelles. Je voyais les negociateurs. De la
Commission, pas ceux des Etats ! C'est une negociation qui a ete bien menee. Chacun faisait
bien, la OU il etait, son travail. Moi, j'informais. Je passais quelques fois des messages. Je
pouvais apprecier ce qui, politiquement, etait possible en Grande-Bretagne ou les pressions ;
ce qui se passait du cote du Commonwealth, ce qui etait important; suivais tres attentivement
les reactions australiennes ou neo-zelandaises parce que c'etait une des grandes difficultes de
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la negociation. Je voyais les Hauts Commissaires de taus les pays du Commonwealth parce
qu'ils faisaient plus au mains pression. Les Hauts Commissaires, c'est-a-dire les
Ambassadeurs dans Ie systeme anglais. Donc la, c' etait une periode de travail intense et
j'alimentais en informations, en suggestions, enfin toute une serie de chases. Mais ce n' etait
pas la negociation a proprement parler. Mais j' etais souvent a Bruxelles dans la salle au on
negociait pour passer une reaction ...
Dans vos rapports avec les Britanniques, au sens large du terme, Commonwealth compris,
quels sont les points forts qui vous ont peut-etre marque? Est-ce que les Australiens, les
Neo-Zelandais etaient opposes a l'entree de la Grande-Bretagne dans Ie Marche commun ?
EU
AH
UE
HA
EU
AH
UE
lIs etaient tres negatifs. Tres negatifs, parce que Ie developpement economique de ces deux
pays a l'epoque reposait quasi exclusivement sur la relation avec la Grande-Bretagne, au par
la Grande-Bretagne. lIs n'avaient pas organise leurs relations economiques sur un plan
regional, ce qui est Ie cas maintenant. II y avait des raisons historiques, des raisons raciales ...
Les Japonais n' avaient pas laisse un tres bon souvenir dans cette region, etc... II y a eu des
pressions morales enormes: visites aux champs de bataille, aux cimetieres des anciens
combattants qui sont morts de l' Australie, etc ... La pression est tres nette et sur des plans
technique, politique et emotionnel : on est venu se faire tuer chez vous et maintenant vaus
nous laissez tomber. II faut dire, et d'ailleurs on Ie voit quand on arrive a Londres
aujourd'hui, que la transformation que nous demandions aux Britanniques, si nous l'avions
demande a des Fran~ais a cette taille, elle aurait ete refusee. On demandait notamment sur Ie
plan des passeports, de l' accueil dans un pays ... Quand j' arrivais a Londres au debut, moi, je
faisais la queue dans la colonne "Aliens" et puis il y avait "British and Commonweatlh". Bon,
aujourd'hui, quand vous etre Canadien au Australien, vous faites la queue dans ce qui est
maintenant "Aliens" et moi, je passe comme ~a. Cela n'a l'air de rien mais c'est enorme
comme transformation. Et, ces gens, parce que la Reine est reine, ont des titres. Un
Australien, - quand ce sera la Republique, ~a sera different-, peut devenir Sir quelque chose
au Lord quelque chose. Donc, il va a la Reine qui lui pose l' epee sur l' epaule, etc ... II Y a une
allegeance. Dans Ie domaine religieux, l'Eglise d'Ecosse a une enorme influence sur Ie
Nouvelle-Zelande. Les textes de priere, j'ai decouvert ~a un jour par un de mes amis qui etait
au Secretariat des Eglises britanniques, les textes sont decides par Ie Roi en son Parlement.
. Par consequent, toute la substance, et cela a ete mal compris ...
HA
L 'Eglise d'Ecosse ou d'Angleterre ?
L'Eglise d' Angleterre mais je crois que l'Ecosse aussi, rnais il y a un autre statuto
Mais, on demandait a la Grande-Bretagne sur Ie plan financier de liquider les balances
sterling, sur Ie plan commercial de mettre des tarifs exterieurs communs contre des gens,
surtout Ie Commonwealth blanc en plus. Bon, Ie vieux Commonwealth. Bon, on leur
demandait des transformations. On leur demandait d'introduire Ie systeme metrique. On leur
demandait d'utiliser les centigrades. On leur a meme demande a une epoque, au je me suis
fait renvoyer sur les roses, la circulation a droite, etc... et qui avait ete prevue et elle etait
prevue. Donc, les transformations que l'on demandait a l'Empire et ensuite au
Commonwealth britannique, a cette communaute de pays, d'habitudes, de droits, etc ...
fantastiques d'entrer dans un systeme, et quand meme assez romain. La transformation etait
enorme. Elle a ete faite.
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Donc, pendant la periode ou on commen<;ait a negocier, les resistances etaient enormes. II
y a eu des resistances canadiennes, ... Mais les plus fortes etaient les resistances neozelandaises et australiennes. Mais alors, les Neo-Zelandais qui sont en general des Ecossais,
pas des gens qui ont ete condamnes comme on envoyait en Autralie ; mais les Neo-Zelandais,
tres solides, ils ont quand meme obtenu une derogation pour la forme du mouton. Elle dure
toujours, je crois d'ailleurs. II n'y a pas eu a l'egard du Commonwealth des resistances
institutionnelles. C' etait axe a la Grande-Bretagne, comme avant. Sur Ie plan des autres
obstacles, il y a eu la discussion sur la souverainete. Mais les Britanniques n' ont pas les
memes reflexes a l' egard de la souverainete que chez nous. Sauf deux choses que je retiens
comme <;a en parlant. C'est qu'il n'y a pas de constitution ecrite en Grande-Bretagne.
Maintenant, il y en a une: ce sont les Traites de Rome. On l'oublie. C'est une sacree
transformation. Deuxiemement, il y a un principe que Ie Parlement est totalement souverain et
qu'un Parlement qui suit un autre Parlement peut detaire ce qu'a fait l'autre Parlement.
Maintenant, ce n'est plus possible parce qu'il y ales Traites. Vous vous rendez compte de la
transformation que cela apporte !
EU
AH
Ceci dit en France aussi. Ie m'aper~ois a longueur de temps que les Communautes
europeennes, rUnion, prend des decisions pour notre vie et que c'est extremement difficile
de revenir dessus ...
UE
HA
Oui, mais l'Union, c' est la combinaison de la Commission et des Gouvernements representes
au Conseil des Ministres. Ce n'est pas l'oukase, une espece de pouvoir, etc ... Et vous savez,
cela a ete dit maintenant dans les journaux, qu'il y a beaucoup de decisions qui sont prises a
Bruxelles suggerees par les Gouvernements qui preterent que cela passe par Bruxelles que de
Ie faire directement.
AH
Oui, Mais cela, on Ie dira dans la campagne. Les Europeennes, c'est faits pour ~a.
EU
Je ne sais pas si cela sera entendu mais cela sera dit. Bon, dans Ie cas des negociations, vous
parliez des difficultes ...
HA
Oui, des difficultes, des resistances ou des gens qUl ont pu vous marquer parmi les
negociateurs britanniques. Des gens interessants ...
Le grand negociateur pour cette affaire-la, nous sommes en 1963, c'est Heath Ie ministrenegociateur. II a tres bien negocie. Mais ils ont fait une serie d'erreurs, psychologiques
d'ailleurs. Moi, je leur ai dites. J'etais devenu tres ami avec Heath a l'epoque. Petit detail. La
delegation britannique avec Heath, son chef, arrive a Luxembourg. La negociation,
Luxembourg, un peu a la bonne franquette, etc ... Vne Rolls grise, merveilleuse, Ie drapeau
britannique, etc ... Enfin, on arrivait. lIs nous faisaient l'honneur de venir negocier avec nous.
C'est tombe a plat. Mais, il voulait ... Le Britannique considere que Ie decorum est une
element important, il a raison, pour impressionner les indigenes. Mais la, cela n'a pas marche.
Voila un detail.
Sur Ie plan de la negociation elle-meme, la, j 'ai eu une discussion avec Courcel qui etait
Ambassadeur de France. Je dirais que la diplomatie fran<;aise redoutait Ie succes de cette
negociation. En mai ou juin 1962, il Ya un dejeuner a l' Ambassade, je crois que Lapie etait la
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je crois que oui ... II etait beaucoup la, parce qu'il etait un specialiste des affaires
britanniques, et il etait dans la Haute Autorite encore, si je me souviens bien. Et les Fran~ais,
l' Ambassade consideraient que la negociation allait reussir ...
Vous parlez de Luxembourg quand vous dites
France...
a l'Ambassade?
C'est l'Ambassade de
AH
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A Londres. Les gens disaient: "Voila, ~a va reussir (MIas)". Et moi, j'ai dit: "Cela va
echouer". Je me souviens que Nanteuil qui est a Paris maintenant m'a dit : " Enfin, Georges
(j' avais meme parie une caisse de champagne). Ce n' est pas serieux. Vous faites des paris
comme ~a. Non, c'est gagne !". "Oui. Bon, on verra". J'avais fait une analyse pour Bruxelles,
qui doit etre dans les papiers, et pourquoi ~a allait echouer. Parce qu'il faut connaitre Ie
rythme, je ne sais pas si c'est Ie sujet, de la vie politique britannique. Parce que c'est la
rentree de septembre. C'est l'epoque ou vous avez Ie Congres du T.U.c., Ie Congres des
partis politiques, la Conference des Premiers ministres du Commonwealth ... II y a toute une
serie de rendez-vous tres importants, ou Ie bilan de l'annee ecoulee est elaboree, et ou les
strategies en cours sont modifiees. C' est tres important.
EU
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Ce qui m'avait frappe dans la maniere de negocier des Britanniques, c'est qu'avant l'ete
1962, ils avaient negocie sur des petites choses. C'etaient des escarmouches. Bon, il y a eu
des petits accords. Mais que les gros dossiers difficiles etaient remis a I' automne. Je
considerais ... je leur avais dit: "C'est une erreur considerable". Pourquoi? Je Ie dis parce
que je l'ai ecrit a la Commission avant. Ce n'est pas des choses que l'on dit apres, si vous
voulez. C'est que les dossiers difficiles n'ayant pas ete traites au fond et des zones d'accords
n'ayant pas ete delimitees, les Congres, les lobbies, Ie Commonwealth etaient en mesure de
faire une pression considerable au lieu, si je puis dire, d'avaler ce qui avait ete plus ou moins
decide a Bruxelles. lIs mettaient un a priori considerable dans la negociation britannique.
C'est-a-dire qu'ils reduisaient la flexibilite. Pourquoi cela a ete fait? Certains Britanniques
me l'ont explique. Et ~a, c'est souvent les erreurs qu'on fait et notamment dans les
negociations avec les Americains. C'est-a-dire quand vous negociez : "La-dessus, c'est facile.
On peut s'entendre. Mais, la, j 'ai un gros probleme. Le pays ne va pas suivre. Faites une
concession". Autrement dit, de dire: "Aidez-moi vis a vis de mon opinion ou vis a vis du
Congres. Mais en faisant ~a, avalez ce que je vous demande". Autrement dit, utiliser la
pression qui va venir pour faire lacher l'adversaire.
HA
Donc, la strategie de Macmillan a ete de laisser ces gros dossiers, afin qu'il y ait une prise
de position tres dure de la part du 'Commonwealth qui voulait garder les balances sterling, tres
dure de la part des Neo-Zelandais, etc ... , tres dure de la part du T.U.C., syndicat qui ne
voulait pas ceci, et ensuite de reaborder la negociation avec nous en disant : "Voyez. Ecoutez.
La, j'ai les mains liees. II faut ceder". C'est souvent comme ~a qu'on fait. Moi, j'avais dit aux
Britanniques: "vous allez rater", et j'etais sur que ~a raterait. Ma these qui n'est pas la these
des historiens en general, c'est que quand de Gaulle a impose son veto en 1963, la negociation
etait deja morte.
Effectivement, ce n'est pas la these que l'on defend habituellement.
Pas du tout, et je crois que de Gaulle voulait etre vu comme ayant tue Ie cadavre, c' etait deja
un cadavre. Parce qu'en faisant ~a, il montrait aux Anglais pour la prochaine fois, et quand
vous lisez de tres pres ce qu'a dit de Gaulle: la prochaine fois quand vous voulez, parce
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qu'un jour vous viendrez, la porte n'est pas a Bruxelles, elle est a Paris. Et c'est ce qui s'est
passe. Autrement dit, il a voulu apparaitre comme celui qui a tue la negociation, mais elle
etait deja morte.
Pour vous, La negociation, est morte d'une mauvaise preparation...
Non. De cette strategie-Ia ! Que s'est-il passe? II y a eu les reunions des congres politiques,
syndicaux, Commonwealth, etc ... et des prises de position publiques, de pression ...
Ce n'etait pas une strategie qui etait vouLue par Le Gouvernement britannique ?
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HA
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Les Britanniques ont cru ... Je prend un exemple facile. Vous allez acheter quelque chose et
vous dites a la personne : "Ecoutez. D'accord mais c'est un gros achat, il faut que j'en parle a
rna femme". Et puis apres vous en parlez et vous revenez en disant : " Elle ne veut pas". Si
l'autre veut vous vendre, il va vous faire une concession. Donc, vous utilisez la perspective
d'une imposition de certains elements composants pour dire a l'adversaire, celui qui est en
face est l'adversaire : "Je ne pourrais pas aller au-dela. Avalez ce que je vous dit"'. Or, les gros
dossiers difficiles etaient des dossiers qui concernaient Ie Commonwealth, les syndicats, les
partis politiques et comme ils ont vu l'occasion d'imposer a priori des restrictions a la liberte
de negociation, lorsque tous ces congres, toutes ces reunions se sont produits fin octobre novembre, la marge de negociation, la marge de flexibilite des negociants britanniques etait
tres etroite. Et, ils nous pla~aient devant Ie sujet : "Bon, vous nous voulez. Deja, on a essaye.
Une bonne atmosphere. Alors, cedez". Et nous, on ne pouvait pas ceder. Par consequent, on a
pietine et quand vous regardez Ie detail des comptes-rendus de negociations, vous constaterez
que fin decembre, debut janvier, on pietine. Cela ne bouge pas. Cela ne pouvait plus bouger !
Puce que c'etait : "Take or leave it. Make or Break". Bon, et ce n'est plus possible. Je ne dis
pas que c'etait un ultimatum mais on ne pouvait pas negocier. On n'avait plus la flexibilite
des deux cotes. C'est ce que, quelques fois, les Americains font en disant : "II yale Congres,
etc ... " et c' est vrai ! Cela a ete une strategie habituelle. C' est souvent ~a. On montre que sur
les dossiers, ... parce que les gros dossiers, c'etaient les dossiers qui interessaient I'interet de
tous ces gens dont j'ai parle, de tous ces groupes mais egalement qui etaient de l'interet
. national britannique tel qu'il etait con~u. Bon, donc c'etait fini. On ne pouvait plus avancer et
on Ie sentait. Et si vous relisez les journaux de l' epoque, avant Ie veto de de Gaulle, vous
verrez que les gens disent : on est bloque, ~a n'avance pas. Alars, cela n'avan~ait pas, mais
comme on voulait, et pour des raisons politiques, d'equilibre, "on avait deja commence", que
les Britanniques viennent, ils pensaient que plus on attendait, plus la pression sur nous, les
Six, allait s'exercer, ce qui allait dans leur sens. Mais, c'etait mort. Alars, de Gaulle, a ce
moment-la, clac ! Apres, la crise, etc ... En plus, I'avantage, c'est qu'on pouvait designer du
doigt cet homme, de Gaulle. "C' est toujours de Gaulle". C' etait facile.
Apres Ie veto, il y a eu une crise considerable. L' Ambassadeur de France a ete boycotte.
Bon, moi, j' etais Fran~ais mais j'etais Europeen aussi, donc je n' etais pas boycotte. Courcel,
c'est a ce moment-la qu'on s'est vu. Je Ie voyais regulierement, chaque semaine, au moins
une fois par semaine, et je lui expliquais un peu ce qui se passait a l'exterieur, ce qui je
n'avais jamais fait. Je n'ai jamais ete en position de subordination vis a vis de la diplomatie
fran~aise et elle ne me l'a jamais demande. Cela a toujours ete tres correct. La tradition de
l'Etat en France, on sait qu'elle y est encore. Ce n'est pas corrompu moralement quand meme.
Mais la, j'allais Ie voir pour lui dire, parce qu'on ne Ie recevait plus, les gens ne Ie voyaient
plus. Un boycott terrible! Ce n' etait pas facile. II a tenu avec une dignite absolument
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remarquable. Moi, j'allais Ie voir. Je lui racontais un peu ce qui se passait et, sans instructions,
je me suis dis: "Cela ne va pas durer, tout <;a". 1'ai decide d'inviter chez moi Ie Secretaire des
syndicats europeens, Ie syndicat ouvrier europeen, Max Kohnstamm, des Anglais tres
importants, Ie Conseiller diplomatique prive de ...
[Fin de La face A, 2eme cassette]
Debut face B, 2 e cassette
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... pesante, comme on disait en Italie. Les Anglais etaient persuades que Ie veto de De
Gaulle allait faire eclater la Communaute europeenne. Persuades! Relisez tous les joumaux.
lIs en etaient persuades. II y avait trois ou quatre bons Neerlandais aussi. Et Ie but etait de
faire comprendre aux Anglais, pas par moi, que la Communaute allait survivre a cette crise et
qu' elle continuerait. "Et je sais, par Ie conseiller diplomatique de Macmillan, qui etait Sir
Philip Zuileta ( ?) qui est mort maintenant, mais qui me l'a dit quelques temps apres, pas tout
de suite, que cette reunion ... il Yavait egalement les grands editorialistes des grands joumaux
... cette reunion etait un toumant pour eux. Les Anglais se sont aper<;us que <;a n'eclaterait
pas et je leur ai dit : "Preparez-vous de continuer de deal with us". Certains ont voulu dire que
cette reunion que j'avais faite avait ete teleguidee par la diplomatie fran<;aise. C'est totalement
faux. C'est teleguide par moi ! Mais, <;a a ete un toumant et alors <;a, Zuiletta (?) me l'a
raconte. II a fait evidemment son rapport personnel a Macmillan et c'est la qu'ils se sont dits
que les tentatives d'exploitation du trouble ne meneraient a rien et finalement, ils n'en ont pas
fait beaucoup. Cette reunion, je la cite pas pour me vanter mais parce qu'apres, les gens qui y
ont assistes m'ont tous dit que <;'avait ete Ie demarrage. Et <;'a ete fait quelques semaines
apres Ie fameux veto de de Gaulle ...
Fevrier 1963 ?
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Jen' ai plus la date en tete mais c' est tres peu de temps apres. Toute Ie monde etait a chaud.
Et alors, Macmillan a quitte Ie pouvoir quelques temps apres. II y avait l'affaire Profumo.
Toute une histoire. Donc, Lord Hume qui je connaissais bien, que j'avais amene a Bruxelles
lorsqu'il etait ministre des Affaires etrangeres pour visiter la Commission, etc ... a dit:
"L'histoire europeenne is a dead dud issue". C' est-a-dire qu'on ne veut plus en discuter.
Donc, il n'ont pas perdu de temps a attaquer, a essayer de detruire, etc ... Bon, il y a eu les
petits trucs habituels, mais enfin ce n'est pas grave. Mais, ils ont compris la strategie : il fallait
se recomposer soi-meme et on verra la prochaine fois. La, je sais que <;a joue un role.
J e crois que votre temoignage sur La periode britannique est important.
<;a eclaire.
Est-ce que vous pouvez encore dire queLque chose sur 1965, peut-etre ? C'est-a-dire sur La
crise de La chaise vide.
La, on a ete indirect sur la chaise vide sauf que j' avais forme avec Ie fils de Spaak un club ou
il y avait des gens qui sont tous devenus assez puissants. II y avait Davignon, Umberto
Agnelli, etc ... lIs etaient tous plus jeunes. l' avais fait ce club, dont j' ai les archives d' ailleurs,
puisque c'est chez moi que <;a se tenait. On faisait des reunions soit chez moi, soit chez Spaak
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M. Georges Berthoin
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fils qui etait Directeur general a Euratom. Des reunions ou on elaborait des strategies. On
faisait notre petit comite d'action, sije puis dire, a notre fa<son. Sur l'histoire de la chaise vide,
on a fait passer pas mal de papiers a Spaak pere pour sortir de l' impasse. Ce qui est
interessant a l'epoque de la chaise vide, c'est qu'on a vu que les Anglais ont suivi avec
enormement d'attention toutes crises intra-europeennes qui leur donnaient un peu d'espoir, si
je puis dire. Ce qui est interessant, on m'a dit a l'epoque ... je n'en ai pas eu la confirmation
formelle, mais peut-etre que l' acces aux documents devrait permettre de Ie confirmer
aujourd'hui. Les gens en avaient assez de ces crises avec la France parmi les Six, et ont m'a
dit a l' epoque que, dans plusieurs ministeres des Affaires etrangeres, sinon tous, parmi les
Six, on avait envisage la fin de la Communaute europeenne et que les constats qui avaient ete
etablis au nom des interets nationaux de chaque pays, c' etait qu'il valait mieux continuer. On
me l'a dit a l'epoque. Je n'en ai pas eu une preuve directe, mais je me suis servi de <sa pour
expliquer aux Britanniques, que la solidite de la Communaute europeenne venait du fait que
l'interpretation de l'interet national de ses composantes jouait desormais en faveur de
l'Europe.
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Et, c'est 130 ou Ie pari de Monnet etait gagne. C'est-a-dire qu'il fallait que les interets
fondamentaux des pays deviennent des interets europeens et qu'au nom des interets, on
resterait europeen. Ceci permettait d'arriver a la conclusion suivante que les Britanniques ont
tres bien compris : comme les interets de chacun des pays individuellement est que l'Europe
continue, elle continuera. Si les interets fondamentaux d'un pays ou de plusieurs pays
nationaux etaient contre l'Europe, elle ne continuera pas. Donc, ne vous faites pas d'illusion,
maintenant, dans la balance des interets. Alors vous regardiez les syndicats, ils etaient
europeens. Les agriculteurs, ils etaient europeens. Les industriels, ils etaient europeens. Les
banquiers, partisans europeens. Finalement, il y avait les bureaucrates, les fonctionnaires qui
n'etaient pas tres europeens pour des tas de raisons, parce qu'ils avaient peu de '" Bon. Mais
les interets objectifs etaient passes europeens ce qui n' etait pas du tout Ie cas autrefois. Et la, a
mon avis, Ie pari de Monnet etait gagne. C' etait un pari marxiste : les interets sont devenues
europeens, les superstructures ne I' etaient pas encore. D' ailleurs dans la demarche d' origine,
on l'a souvent dit, on l'a dit me me a Pierre Uri, que c'etait une demarche de type marxiste, ce
qui n'est pas vrai d'ailleurs. Mais cela pouvait etre analyse comme <sa. Donc la, ce n'est pas la
delegation, c' est l' action personnelle. Le fait d' etre a Londres facilitait beaucoup de choses et
puis, surtout, c'etait un poste de reflexion,d'observation bien superieur a Bruxelles ou a
Luxembourg, evidemment.
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La, c'est 1965. Ensuite, on arrive a la tentative de Wilson. Tentative de Wilson. Wilson
etait un homme bizarre. C'etait un homme supremement intelligent, qui n'etait pas sur de
l'etre et qui voulait demontrer qu'il l'etait. Et cela lui a fait faire des betises. C'etait assez
etonnant. Meme dans des conversations a Downing Street, il avait besoin de montrer a quel
point il etait intelligent. Ce n'est pas vraiment necessaire, ce qui n'etait pas Ie style de
Macmillan ou de Douglas Home. C'est tres inhabituel en Angleterre de montrer qu'on est
intelligent. En general, on essaye de montrer qu'on est stupide et on ne l'est pas, evidemment.
Mais Wilson avait ce cote-lao II a voulu montrer qu'il serait capable d'etre un Europeen
beaucoup plus sophistique que tout Ie monde et certainement que de Gaulle. Et alors, je crois
qu'il a joue un jeu complexe, c'est-a-dire qu'il voulait ... et je vous dirais comment cette
interpretation a ete confirmee ... il voulait par Ie discours, par la presence, mettre de Gaulle
sans cesse sur la defensive, en demontrant a l'opinion europeenne et aux dirigeants europeens
que lui, Wilson, s'ille pouvait, serait beaucoup plus europeen que de Gaulle et qu'en plus, il
ne voulait pas faire une Europe a la fran<saise, mais l'Europe pour tout Ie monde. Autrement
dit, il a utilise Lord Chalfon qui etait son ministre pour les affaires europeennes pour faire des
discours europeens impeccables. J'ai eu des conflits assez graves avec Chalfon, ou il a ete
assez petit et personnel, comme on dit. Et quand on devient personnel dans les pays anglosaxons, c'est grave. C'etait un journaliste a l'origine, tres intelligent, etc ... II faisait des
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discours invraisemblables, europeens ... On vibrait. Alors je lui ai dit, un jour, que ses
discours europeens, quel est Ie contenu de tout <sa. Vne espece de surenchere. II m'a dit :
"Moi, mon probleme, c'est la longueur des articles citant mes discours europeens dans la
presse continentale qui compte". Donc, il y a eu cette espece d'harcelement europeen
permanent. Alors, un jour, ce jeu s'est devoile. C'est Ie jour 00 de Gaulle a demissionne.
Saragat, comme President d'Italie, etait en visite officielle a Londres. Les Italiens voulaient
aller tres loin dans Ie sens federal et notamment, voulaient donner au Parlement europeen une
importante plus grande: l'election du Parlement au suffrage universel, etc ... Sur la base des
discours britanniques et de l'action britannique a Rome tres forte, Wilson, Brown (ou
Brand ?) et Chalfon se sont beaucoup servis de certains relais italiens pour montrer a quel
point on etait europeen, puisque les Italiens etaient les plus europeens au fond. Le
communique final qui concluait la visite de Saragat, visite d'Etat, contenait une declaration
commune, italienne et britannique, pour Ie Parlement europeen, etc ... impeccable. Du Spinelli
presque. Tout etait en preparation. Le Conseiller diplomatique de Saragat etait un vieil ami,
Staderini ( ?), qui avait ete un des directeurs a Bruxelles. Et, on apprend que Ie referendum de
de Gaulle est perdu et qu'il demissionne et ne rentre pas a l'Elysee. Staderini ( ?) m'appelle
chez moi, vers 10 heures du soir, il me dit: "Est-ce que vous pouvez venir? Je vais vous
raconter ... Venez". C'etait au Claridge, et il m'explique que les Britanniques disent, alors
qu'ils etaient d'accord sur ce communique commun-: "On n'est plus d'accord sur ce
communique commun. Enlevez tous ces trucs sur Ie Parlement europeen, etc ... ". Puisqu'il n'y
avait plus de Gaulle. Alors, il dit: "Qu'est-ce qu'on fait ?". Dans to utes les affaires
europeennes, maintenant, c'est fini tout <sa, mais j'avais une petite situation un peu speciale,
parce que les gens qui avaient ete avec Monnet au debut, on etait traites un peu a part. C'est
pour <sa qu'on se permettait aussi des choses, sans abuser. Mais enfin, il y avait ... Bon,
Staderini (?): "Qu'est-ce qu'on fait ?". "<;a a ete negocie. Vous etiez d'accord. Vous
insistez". Alors, on voit Saragat. Saragat n'etait pas un homme qui cassait les choses. C'est un
homme de conciliation. Sympathique, d'ailleurs. II parlait un fran<sais extraordinaire. Moi, j'ai
dit: "Non". Enfin, je passe tous les details. Donc, ils sont decides. C'est parfait. Les
Britanniques : "II n'y a rien a faire. On ne publiera pas de communique commun". Pour moi,
cela a ete la confirmation a posteriori de cette chose-lao Mais <sa, ce que je vous dis est
absolument authentique et j' en prend la responsabilite. Dans certains cas, je dis: je pense
que ... <;a, je l'ai vecu directement, dans la suite presidentielle du Claridge. Entre nous, les
Britanniques savaient que je savais tout <sa. lIs savaient que j'y voyais un peu plus clair, etc ...
D'oo Ie prix que j' allais payer en 1973 ; dont je vous parlerais tout a l'heure.
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Bon, il y a echec. Wilson perd les elections et Heath arrive comme Premier ministre. Et
l'election de Heath, ce dont on ne souvient pas assez, Ie peuple britannique, en votant, votait
implicitement pour aller vers l'Europe parce que Heath avait ete Ie negociateur de Macmillan.
Heath etait un Europeen depuis son election. II a ete elu en 1950 et comme jeune
parlementaire, -vous savez Ie premier discours qu'on fait-, a ete sur l'Europe. Heath a toujours
ete un Europeen. Ce n'est pas une girouette qui a suivi les modes. II l'a toujours ete. Et en
plus, il avait pour la personne de Monnet et pour les idees de Monnet la plus grande
reverence. II avait compris d'ailleurs Monnet. II avait compris ce que Monnet voulait. Heath
est incontestablement Ie Premier ministre Ie plus europeen. Macmillan etait europeen parce
qu'il avait ete traumatise par les carnages de la Premiere Guerre mondiale, par la crise sociale
de 1929, etc ... Macmillan etait un conservateur de gauche, plut6t internationaliste. Mais il
avait cette approche romantique de I'homme qui a vu les tragedies des champs de bataille.
Plus jamais <sa, si vous voulez. Heath etait different. Heath etait beaucoup plus proche de
Monnet, parce qu'il n'avait pas une approche emotionnelle et romantique de I'Europe. II
aimait l'Europe a la Jean Monnet. Vous connaissez Monnet, done c'etait <sa. II a ete elu avec
ce programme. II a ete elu pour la modernisation de la Grande-Bretagne par et grace a
l'Europe. II ne faut pas oublier qu'il a eu un mandat populaire pour <sa. II est elu et la
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negociation reprend assez vite parce que la negociation a laquelle il avait participe avant avait
deblaye tout Ie terrain. Les gros dossiers difficiles, on avait vu I' erreur. Dieu sait si j' en ai
discute avec les Britanniques de ce que je pensais avoir ete une erreur strategique, parce
qu'elle etait de la negociation d'autrefois. Monnet a eu une enorme influence. Les
Britanniques etaient de son Comite d' action, etc ... Donc, on ne negociait pas tellement en
adversaires qui ne se connaissaient pas rna is qui se decouvraient. On negociait dans un etat
d'esprit de gens qui etaient deja passes par la ; on avait beaucoup de choses en commun et, si
je puis dire, au lieu d'avoir des jeunes epoux qui se decouvraient Ie jour du mariage comme
dans la premiere negociation, on avait vecu ensemble, on avait travaille ensemble, donc
c'etait presque un phenomene relativement naturel et facile. En plus, la situation objective de
la Grande-Bretagne avait change dans I' economie mondiale, etc ...
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Donc, c;a a reussi et avant d'arriver a la reussite, il faut quand meme penser au
changement avec Pompidou, l'influence de Christopher Soames qui avait deja ete envoye par
Wilson, qui a joue un jeu complexe, dont la complexite a ete realisee lorsqu'il y a eu la
fameuse affaire Soames. La, j' ai ete assez meIe a c;a. Retombees anglaises. l' ai vu Ie rapport
qui avait ete edite et envoye aux Allemands. Il y a eu fabrication, un petit cote depeche d'Ems
si vous voulez. Incontestable! <:;a, c'est verifie. 1'ai eu a Ie voir de tres pres, parce que j'ai ete
interviewe a la television britannique lorsque toute cette affaire a eclate et l'autre, c'etait Ie
negociateur britannique et alors fonctionnaire Sir Connonhill (?), homme remarquable, un
Irlandais du Nord, protestant, grande integrite, tres grande integrite! Un negociateur
remarquable, c' etait du super Couve de Murville. Donc, il fallait a la television ... il Ya eu un
debat. Donc, je representais Ie point de vue sage, europeen sur cette affaire qui etait une
manipulation. Manipulation, d'ailleurs, dont l'origine etait tres complexe et qui n'a jamais ete
totalement elucidee. Enfin, a rna connaissance. Peut-etre que les historiens sont alles plus loin.
Mais Christopher Soames, lui-meme, a considere que cette affaire-la, que cette manipulation
au Foreign Office, manipulation de documents, de son rapport, avait ete faite pour Ie
discrediter a Paris. Lui l'a interprete comme un moyen des professionnels du Foreign Office
de la, de la ... Bon. C' etait un homme assez voyant, assez arrogant et il avait une maniere de
traiter Ie Foreign Office un peu cavaliere. Il y a eu plusieurs intentions et plusieurs, en tout
cas, sous-produits, plusieurs effets. La crise a ete tres grave. Donc, c;a insinuait, en tous les
cas, tant que de Gaulle etait la, il n'y aurait plus de negociations ...
fran~ais
ou plus
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Vous ne mettez pas du tout dans cette affaire Soames le Gouvernement
€xactement de Gaulle.
Le Gouvemement a ete completement court-circuite dans cette affaire-Ia.
J e parlais de De Gaulle.
Ah, oui ! De Gaulle. Non, parce que j'ai parle a Soames tout de suite. Il n'y a pas eu de
temoin, sauf les epouses. Soames est quelqu'un que je voyais enormement. Quand il a eu ses
deboires politiques en ... Moi, les relations institutionnelles ne m' interessent pas. l' ai des
relations personnelles, ou je n'en ai pas. Et avec lui, j'avais une relation personnelle. La
famille de Churchill, par Ie peintre qui peignait avec lui, dont les tableaux sont la, Paul Mase
( ?), un Franc;ais. C'etait un ami. C'est lui qui a fait rencontrer Blum et Churchill avant la
guerre. Il y a beaucoup d'artistes qui jouent des roles dans tout c;a. Ce n'est pas que des
diplomates un peu froid. 1'avais donc avec la famille Churchill, Duncan Sandys, des rapports
personnels, tres bons ; Mary Soames, Mary Churchill qui etait la femme de Soames. Donc, il
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y avait de tres bons rapports. Et, je Ie voyais frequemment, et il m'a parle aussi sincerement
qu'un homme qui fait de la diplomatie peut Ie faire, il ne faut pas etre un naIf. La conversation
avec de Gaulle, de Gaulle avait fait une ouverture et avait brosse une architecture de ce que
devait etre l'Europe qui etait a la taille de ce que vous lisez dans ses Memoires. D'ailleurs,
vous lisez les trucs de Peyrefitte, De Gaulle m'a dit. C'etait un homme d'Etat. II n'y en a pas
beaucoup, vous savez. Depuis lui, il n'y en a pas eu. II y a eu des hommes politiques. Mais, il
y a une vision de l'Histoire, une vision de la fac;on dont elle se deroulait, etc '" Alors, il a
esquisse tout c;a parce que ... Ma comprehension de De Gaulle, pour moi, est illustree par les
discours qu'il avait fait en Pologne. De Gaulle savait et a l'age qu'il avait, et comme je suis
dans ces ages-la, je sais tres bien comment on reagit, plus on est vieux, plus on pense a
l'avenir, parce qu'on pense sans arret a ce qui se passera apres. C'est les deux ages de la vie,
18 ans et quand on a plus de 70 ans, qu'on pense a l'avenir. Le reste, on est dans Ie present.
Donc, il y a des tas de choses qu'il disait pour apres. C'est les discours de Pologne. Quand
vous les relisez, je l'ai fait recemment, c'est extraordinaire. C'est ce qui s'est passe. Mais, il
mettait les graines. Et la, il mettait des graines dans la tete de Soames. II savait que Soames
faisait partie de I' Establishment, etc ... II passait c;a au Gouvernement, mais ne c' etait pas un
papier confie a un ambassadeur. Une conversation avec un ambassadeur, c'est tout a fait autre
chose. Tout Ie monde dans Ie metier Ie sait, ce n' est pas la meme chose. Donc la, il revait un
peu. II voyait l'avenir. Vous ne revez pas devant un ambassadeur. Alors, Machin ( ?) a fait Ie
papier. Bon, vous connaissez les circonstances, ce n' est pas la peine de les developper. II
verifie avec Tricot, etc ... Bon, Tricot avait entendu de Gaulle un petit peu, mais, de Gaulle,
avec ses collaborateurs, ne parlait pas de ces grandes visions-lao II reservait c;a a des types
comme Soames, et puis, en plus, c'est Ie gendre de Churchill. Le Gouvernement n'avait rien
a voir avec tout c;a. La diplomatie franc;aise, ce n' est pas Ie meme niveau historique. Le
Gouvernement, c'est la gestion de ce qui existe. Donc, je ne mets pas en cause Ie
Gouvernement, d'autant qu'il fait partie de cette generation, comme Monnet d'ailleurs, qui ne
concevait l'Europe qu'avec la Grande-Bretagne. La generation actuelle, bon, c'est les Beatles
et puis voila. Ce n'est pas la meme chose. Si on est toujours la, c'est quand meme la GrandeBretagne qui a joue ce role.
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Alors, c'etait fini avec de Gaulle. Pompidou arrive et il a essaye de descendre un peu de
niveau et de revenir un petit peu aux choses realistes dans beaucoup de domaines. La France
etait un peu essoufflee de De Gaulle. 11 faut se souvenir quand meme. Bon, du calme, du
calme. Done, il a repris Ie dossier britannique, enfin de I'ouverture. II savait que c'etait
possible et en meme temps, certains etaient assez favorables a la reprise du dossier, parce que
c'etait un frein vers la supranationalite. Des tas d'elements franc;ais ne l'acceptent toujours
pas, notamment au Quai d' Orsay. Le dossier etait relativement bon et cela sortait de
l'isolement. il y avait un certain isolement franc;ais, quand meme, avec de Gaulle. 11 y a eu une
coalition de mauvaise volonte. La negociation a marche et alors la, il y a eu un malentendu
considerable et sur lequel j'apporte un temoignage direct. 11 y a eu l'accord de l'Elysee entre
Pompidou et Heath. La Grande-Bretagne de Heath etait, la je parle de conversations que j 'ai
eu avec lui et avec toute son equipe, decidee, sachant que la de de l'Europe etait a Paris et
non plus a Bruxelles, d'accepter l'entree dans la Communaute europeenne par la porte
franc;aise. C'est c;a, l'accord Pompidou. Ce n'est pas une soumission, evidemment que non.
Mais, on l'acceptait. Pompidou a un petit peu pousse. II y a une chose symbolique qui a
echappe peut-etre aux gens. C' est qu'il a demande a la Reine Elizabeth et au Prince Philip de
revenir en France. Vous vous souvenez. Regardez, il y a eu une seconde visite officielle. Or, il
n'y a pas deux visites en general. 11 l'a demande. Cela faisait partie un peu de ses exigences.
Vous savez qu'on disait : "Je veux l' Angleterre tout nue". II avait un peu ces exigences-la. Et,
ils I'ont fait. Mais, il y a eu un signal. Le Duc d'Edimbourg etait a to utes les ceremonies et
notamment a l' Arc de Triomphe avec un manteau couleur mastic. Pas Ie manteau noir. Quand
on connait les Britanniques, on comprend ce que cela veut dire: ah, vous voulez que je
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vienne; alors, je viens mais je serais en sport, en poil de chameau. C'est Ie signe: vous
m'avez force, etc ... La Reine fait ce que Ie Gouvemement lui dit, bon. Mais c;:a faisait partie
des exigences.
Les bons connaisseurs de La Grande-Bretagne peuvent comprendre fa ...
[fin de La cassette 2 face B]
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Mais, c'est visible. Poils de chameau ! Regardez les photos, vous verrez. On n'a pas besoin de
faire de grandes declarations, vous verifierez ! Bon, ils ont accepte. On ne l' a pas eu to ute
nue, mais on I' a eu en poils de chameau, I' Angleterre. II y a des accords sur I' utilisation de la
langue franc;:aise, sur les fonctionnaires. Toute une serie de choses. Mais, Heath voulait jouer
Ie jeu et il dit : "Bon, d'accord. Vous avez Ie leadership". Et cela a ete en partie, cet accord
reel et ces accords d' intention, d' arriere-pensees, remis en cause au niveau de I' execution des
deux cotes, anglais et franc;:ais. Et I'entente entre Pompidou et Heath qui pouvait mener a une
relance europeenne faite en harmonie entre Britanniques et Franc;:ais, incluant les Allemands,
a ete dans certains cas sabotee. J'ai demande meme, quand je suis rentre en France apres avoir
termine rna mission, a etre entendu pas des commissions parlementaires pour expliquer ce
qu'il s'etait passe. Mais, evidemment, cela a ete refuse. Mais, j'etais temoin direct et quelques
fois, acteur direct, intermediaire, que l'esprit de l'accord Heath-Pompidou etait remis en cause
au niveau des professionnels des deux cotes. Cela a destabilise Heath et cette destabilisation,
parce que Heath voulait la regeneration incontestablement de I' economie britannique, qui en
avait bien besoin, par l'Europe, comme cela avait ete Ie cas pour I'economie franc;:aise par
l'Europe. Le Marche commun nous a reveilles, no us a modernises, etc ... II voulait faire la
meme chose. Mais comme il a ete tres clair qu'a un niveau, working level comme disait
Monnet, on n'appliquait pas la chose, c;:a a bloque. II y a des choses que je ne veux pas encore
dire Ia-dessus, parce qu'il y a encore des gens vivants la-dessus, de ce sabotage. Une chose
assez revelatrice. Les Britanniques entrent Ie 1er juillet 1973 formellement et nous avons
ferme la delegation en juillet 1973. Donc, il y a eu six mois de periode de la liquidation, etc ...
Pendant cette periode-Ia, j'ai vu individuellement, - je n'ai pas fait de reception de depart -,
individuellement tous les personnages cles que j' avais vus pendant to utes ces annees et
notamment les antieuropeens ...
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[Cassette n° 3, face A]
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... Les grands anti-europeens. Parce que j'ai toujours eu si vous voulez, quand j'ai presente
I'affaire europeenne des ..., j'avais autant de contacts avec les pro-europeens qu'avec les antieuropeens ....Les gens comme Peter Shaw, Barbara Castle, des gens comme cela si vous
voulez, Enoch Powell. Je les voyais beaucoup. En general des gens fort intelligents et
interessants. Donc j'avais des discussions qui me permettaient egalement d'affiner rna propre
conviction, parce que quand vous avez des gens intelligents qui essayent de vous contrer si
vous voulez, vous etes amene a aller plus loin, et c' etait des gens intelligents. Alors dans Ie
cas de ces receptions individualisees, je me souviens d' un dejeuner que j' avais donne ou il y
avait, alors la c'etaient des travaillistes, des anti-europeens et des pro-europeens, bon. Les
anti-europeens, alors que I'on pensait que I'esprit des accords Heath-Pompidou allait
triompher et etre mis en application, ces gens la, etant des realistes, etaient en train de se
rallier aux idees europeennes, parce que ce n'etait plus des idees, c'etait des faits. Et c'est
lorsqu'ils ont vu, ils me l'ont dit d'ailleurs apres, lorsqu'ils ont vu que les bonnes intentions
exprimees par ces deux hommes n'etaient pas suivies d'effet ou etaient sabotees, qu'ils se
sont replaces dans une attitude anti-europeenne. Et notamment sur la question du Parlement.
II y avait un espoir considerable notamment dans les milieux federalistes, que je partageais,
c'est que la logique d'une participation britannique aux institutions europeennes, allait donner
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a l'institution parlementaire une importance plus grande, et c'est ce qui a d'ailleurs ete Ie cas
dans l'examen des comptes, dans les questions, «the question time », etc. Donc Ie retlexe
normal d'un homme politique britannique meme s'il est contre, c'est de donner a l'institution
parlementaire l'importance qu'il a l'habitude de voir dans son propre contexte, puisque ils
sont plus de tradition parlementaire que de tradition jacobine, bonapartiste. Donc c' etait un
plus pour les institutions europeennes et cela a amene a transformer Ie pari du debut qui etait
apres Messine, Ie passage par l'economique et les techniques pour Ie politique. Et bien!
l'arrivee britannique permettait tout naturellement de developper Ie politique, par consequent
la legitimite de tout Ie systeme. Parce que les institutions europeennes du point de vue
democratique ont un probleme de legitimite. Le Conseil des ministres legifere, ce n'est pas
son role dans les Etats membres, ce n'est pas bon...enfin toute une serie de choses. Mais, il y a
eu cet espoir reel. II a ete malheureusement de<;u, parce que l'on a vu que les accords HeathPompidou etaient assez systematiquement ignores, voila.
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A propos des accords Heath-Pompidou dont vous parlez, est-ce que vous pensez que
Pompidou pariait vraiment sur le triangle Heath, Brandt et lui-meme ?
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Le cote Brandt-Pompidou n'etait pas Ie plus fort comme vous Ie savez, mais je crois que oui,
mais <;a, je ne peux pas interpreter la pensee. Moi je Ie juge de l'exterieur, mais il faut
demander, mais vu de Londres, c'etait, vu de Londres, vu de Heath... , certainement c'etait pris
au serieux et cru. Et ce n'etait pas parce que ..., n'oubliez pas que Heath a approche cela dans
l'esprit de Jean Monnet. Jean Monnet voyait ce triangle non pas pour detruire la relation
franco-allemande, mais pour la renforcer. Et pour faire en sorte que les allemands n'aient pas
a choisir entre Londres et Paris, parce que les allemands ne veulent pas choisir entre Londres
et Paris, parce qu'ils avaient Ie souvenir... IIs ne veulent pas, ils n' aiment pas cela. IIs
n'aiment pas cela, parce que pour eux, Londres c'est Londres-Washington, or si l'on demande
a un allemand de choisir entre Londres et Paris ou Washington et Paris, il ne choisira pas
Paris si cela exclut les deux autres, il voudra avoir les trois.
EU
Est-ce que vous pensez que la Grande Bretagne a joue un role dans l'ichec de l'Union
economique et monetaire prevue dans ces annees la ?
HA
Je vous reponds, pas sur la base d'une information indirecte, mais sur la base d'une analyse
. Je dirais, elle n'a pas
instinctive, ce que j'ai d'ailleurs dfi faire souvent quand j'etais a
eu d'influence sur cet echec. Je crois que les causes de l'echec etaient a l'interieur des six.
Mais l'influence dans ce domaine de la Grande Bretagne etait marginale. Tout m'amene a
penser qu'ils n'ont pas, ils n'ont pas, je n'ai pas eu de cas concrets d'action directe alors que
dans d'autres domaines je vous ai dit que je l'ai vu, de la part des Britanniques, cherchant a
saboter cette affaire. IIs n'y croyaient pas, ils n'y croyaient pas, entre nous Ie vieux plan
Werner, Barre, etc, Triffin, allait tres, tres loin. Les gens ne se rendent pas compte de ce qu'ils
ont decide avec l'euro. Et cela va poser des problemes politiques, autrement cela casse, parce
que cela n' est pas gerable tel que c' est. Donc c' est Ie plus gros pari depuis Ie Traite de Rome.
C'est un pari qui depend de circonstances exterieures, un pari entre nous que les Anglais
acceptent. Ils sont tous dans I' euro. Tout Ie monde Ie saito
Vous avez evoque votre depart en 1973 de Londres. J'ai cru comprendre que ce depart avait
ete difficile.
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© Historical Archives of the European Union
M. Georges Berthoin
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Non, c'est a dire, il y a eu une chose. C'est que, la Commission Rey qui cessait ses fonctions
pour donner la place a la Commission Ortoli, qui elle s'est elargie, Christopher Soames etait
dedans, la Commission Rey...Le fait que j'avais si vous voulez une situation en Grande
Bretagne assez rare, qui n' etait pas celIe d' un ambassadeur mais qui etait differente. Bon, on
me creditait d'une influence assez grande, c'est vrai, c;a c'etait l'opinion de chacun. Mais en
tout cas la commission de Jean Rey avait decide a l'unanimite de demander, de suggerer a la
commission qui suivait, de me nommer comme premier ambassadeur de la Communaute
elargie a Washington. Et c' etait bien vu par tout Ie monde. J' etais aIle voir M. Ortoli, dont je
ne dirai pas grand chose, mais enfin il est, il n' est pas tres haut dans l' estime des vieux
pionniers de l'Europe parce qu'on l'a vu agir. Et j'ai compris parfaitement bien qu'il ne me
soutiendrait en rien. Pas personnel d' ailleurs, mais il y avait Monnet, tout c;a. Ortoli a quand
meme trahi Monnet donc c'est un peu genant. II Ie savait et il savait qu'on Ie savait. J'ai vu
Ortoli comme President, je l'ai accompagne quand il a fait des visites aux Britanniques dans
cette periode interimaire. II avait une conception de la Commission de 1'Europe totalement
contraire aux idees de Monnet. Je me souviens d'une reunion ou Alec-Douglas Home lui pose
la question: « quel est Ie role de la Commission par rapport au Conseil des ministres ? ». Moi
j'avais expliquer toujours l'equilibre, vous savez Ie coup classique, la Commission propose,
dispose, enfin tout c;a, et lui repond: «la Commission est a la disposition du Conseil des
ministres », etc. Et je vois la tete de Michael Paliser, etc, qui me regarde comme cela en me
disant: «pauvre Georges, tout ton truc », etc. Et meme un detail, Alec-Douglas Home que
j'avais finalement convaincu, a laisse tomber son crayon par terre de stupeur. Cela a ete tres
penible tout cela. Et j'ai dit a Ortoli apres dans la voiture, je lui ai dit: « ecoutez cela ne va
pas, vous ne pouvez pas en tant que President de la Commission dire cela ». Parce qu'il a
senti qu'il y avait tout de meme un etonnement, parce qu'il me dit: « est-ce que j'ai ete
mauvais ? », mais je lui dit :« c'est atroce ce que vous avez fait. Vous avez dit Ie contraire de
ce que l'on dit depuis des annees, Ie contraire de la realite », etc. Ortoli, avant, etait europeen
dans les debuts, mais enfin, je n'en dis pas plus sur Ie micro mais enfin c'est triste. Et alors
c'etait tres genant du point de vue donc... , les Anglais ont bu du petit lait, mais ils n'y
croyaient pas si vous voulez, a tout cela. Alors les r€flexions que je lui ai fait dans la voiture
n'ont pas dG. lui plaire, mais enfin mon devoir c'etait de lui dire l'erreur, parce que si l'on
developpait cette chose on allait abimer les fameux accords Heath-Pompidou, c'etait un des
elements qui n'ont pas ete... Donc il y avait la question de la nomination de l'ambassadeur et
cela devait etre fait dans les premiers mois de 1973, et Ortoli s'est oppose. Et Soames m'a dit,
on etait en voiture ensemble a Paris, a Londres, il me dit: « ecoute, je ne peux pas etre plus
royaliste que Ie roi, si Ie president franc;ais ne veut pas que tu y sois, je ne vais pas me battre
pour que tu y sois ». Bon, les Anglais n'etaient pas tellement chauds pour que j'y ailIe, parce
que cela a meme ete explique tres clairement au Foreing Office, ils ne voulaient pas que je
risque d'avoir une influence plus grande a Washington que l'ambassadeur britannique, et
l'ambassadeur britannique, c'est celui qui a Ie plus d'influence comme ambassadeur. Et ils
avaient vu comment je travaillais et ils savaient que je pouvais avoir une enorme influence a
Washington. C'etait un vieux reve pour moi d'etre Ie premier ambassadeur des Etats Unis
d'Europe si je puis dire, a Washington, enfin bon. C'est un vieux reve d'etudiant. Mais
Soames m'a dit: «je ne peux pas te soutenir contre Ortoli ». Bon, tres bien, mais voyant cela
j'ai decide de quitter la Commission, et Dieu merci, je l'ai fait. Ce qui m'a permis apres une
periode un peu difficile pendant quelques temps, de me lancer dans l'aventure de la Trilaterale
qui a pris une ampleur considerable, ou j'ai pu utiliser finalement toute l'experience, et la
developper, que j'ai pu acquerir aLondres.
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M. Georges Berthoin
Ensuite j'ai peut-etre une question a vous poser, on peut considerer que c' est la derniere. Estce que vous pouvez brosser un portrait de vos relations avec Monnet a la fin de sa vze,
puisqu'il est mort en 1979. Quelles etaient vos relations?
Monnet, je Ie voyais en permanence. II venait tres souvent a Londres. II logeait au Hyde Park
Hotel, il dinait a la maison, on etait en famille. Le hasard a voulu que je dine avec lui Ie soir
de la mort de De Gaulle, puisque c'est l'anniversaire de Monnet. Donc Ie lendemain matin
c'est moi qui Ie lui ai appris au telephone. Les rapports humains etaient excellents.
Est-ce que son jugement sur [,Europe, ou sa vision de l'Europe telle qu'elle se construisait,
avait ere modifiee ?
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Non, parce que c'est l'Europe qui allait vers sa vision a lui. Ab non, mais c'est extraordinaire!
Vous savez Monnet n'etait pas quelqu'un qui cherchait a faire des constructions
intellectuelles. II avait, il trac;ait un sillon dans Ie paysage, enfin je ne parle pas ..., c'etait un
sillon qu'il n'avait pas improvise et qui etait Ie resultat de... II a commence a etre tres actif en
matiere europeenne, il avait cinquante ou soixante ans ! Une experience enorme! Et si je puis
dire, si on lui avait dit, il aurait dit cela n'existe pas. J'ai dit la vue strategique, parce qu'il
n'aimait pas ces mots la, «vue strategique », il m'a dit c'est un truc d'intellectuel cela. Mais il
savait instinctivement, il savait ou cela devait aller... Qui, mais strategie qu' il n' aimait pas.
Mais il avait une vision des choses, vision c'est-a-dire voir clair, ce n'est pas Ie «vision
think », c'est voir clair et non pas aller dans les nuages; et les analyses qu'il avait faites, les
actions qu'il avait entreprises sur la base de ces analyses s'averaient justes. Parce qu'il
incorporait egalement l'echec. La force de Monnet c'est qu'il incorporait l'echec ou l'obstacle
dans ce qu'il faisait de positif. D'ou l'histoire de l'obstacle. Par consequent il a vu a peu pres
se developper les choses dans la direction qu'il pensait. II a eu une deception a l'egard des
Anglais. Deception qui l'a touche personnellement, c'est que par exemple Ie Comite d'action
etait finance par les partis politiques et les syndicats qui en etaient membres. Et en fait les
Anglais n'ont pas paye leur cotisations. IIs ont un peu paye avant l'entree, apres ils n'ont plus
paye. J'ai ete temoin parce qu'il y avait dans la chambre de Monnet, il y avait Lord Alec qui
devait negocier pour les conservateurs, qui a commence a discuter. .. La il a ete dec;u. Je lui ai
raconte un peu les reactions de certains apres l'entree, mais il a dit: «cela n'a aucune
importance ». II voyait plus loin. C'est un homme qui n'aimait pas les mesquineries
politiciennes ou diplomatiques.
Est-ce qu'il avait garde de l'influence a la fin de sa vie? Mais voulez vous me faire une
reponse objective, car il est evident que sur vous, sur ses amis, sur les gens qui etaient
proches de lui, il avait de I'influence, puisqu'il en a encore tellement actuellement a vous en
entendre parler.
Ab, il en a plus aujourd'hui presque, a titre posthume parce que l'on interprete.
Voila, exactement. Est-ce que vous pensez qu'il avait autant d'influence dans les annees 1970
qu 'auparavant ?
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M. Georges Berthoin
II Y a eu un petit creux apres l'entree des Anglais peut-etre, parce qu'il y a des tas de gens qui
avaient moins besoin de lui peut-etre. Mais il a repris tres vite son influence. Et il n'exerc;ait
pas son influence de la meme fac;on si vous voulez. Sa sante n' etait pas excellente, il ne faut
pas l'oublier, ce n'etait pas un homme jeune, il avait des soucis de ce cote Ia qu'il gardait
secrets evidemment, mais enfin il savait et il vivait. Je l'ai beaucoup vu je vais vous dire parce
qu'il m'a meme offert de travailler quotidiennement avec lui apres mon retour en 1973 ici.
Vous avez refuse.
J' ai refuse. J' ai refuse parce qu' il faut un age pour tout. J' avais plutot Ie sens du grand large si
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vous voulez, donc je lui ai dit: «vous m'appelez et je viendrai », etc. Donc je Ie voyais
quelque fois quatre fois dans la semaine, et puis je partais en voyage etc. Et puis cette histoire
de « Trilaterale » a commence en octobre 1973 n'est-ce pas.
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Il a trempe dans cette affaire ?
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Pas du tout. II etait assez sceptique meme a ce sujet. II y avait Kohnstamm. Kohnstamm a ete
Ie premier President europeen avant qu'il aille a Florence pendant un an, un an et demi. Avec
Kohnstamm on a travaille ensemble a la creation de la partie europeenne de la Trilaterale , il y
avait Duchene, il y avait toute une serie de gens. Mais Monnet a ete une reference
indispensable pour beaucoup de gens. Je parle d'hommes politiques au pouvoir. Alors que
Schuman etait beaucoup plus puissant que cela, il y avait Ie cote...ou les gens allaient voir
Pinay vous savez. Quand ils voulaient avoir une credibilite financiere, on allait voir Pinay.
Bon mais enfin cela n'allait pas tres loin avec Pinay. Monnet cela allait beaucoup plus loin,
mais il fallait voir Monnet, avoir l'opinion de Monnet, pouvoir dire « Monnet pense que ».
C'est cela l'influence, ce n'est pas Ie pouvoir, c'est l'influence. Alors il y a un cas, un cas tres
precis que je vais raconter, un temoignage: l'histoire de l'election du Parlement Europeen au
suffrage universel. Monnet n'avait pas une fibre parlementaire tres developpee, il respectait
cela, mais enfin ce n'etait pas dans son instinct. Et un jour je Ie vois avenue Foch, et il devait
rencontrer Giscard qui souhaitait avoir son soutien pour l'idee du Conseil Europeen, qui est
devenu une institution maintenant, qui avant etait une situation de fait. Et Giscard avait besoin
·du soutien de Monnet parce que beaucoup de gens avaient besoin de Monnet..., si on disait
« Monnet est d'accord », cela ouvrait des portes. Si on disait « Monnet n'est pas d'accord »,
ou si on verifiait si Monnet n'etait pas d'accord, donc vous voyez c'etait l'influence. Et Ie
hasard veut, Monnet me dit: « cela m'etonne, qu'est-ce que vous en pensez ? ». Enfin il posait
souvent des questions, ou il avait l'air completement perdu, je ne sais pas ce qu'il fait. Alors il
vous forc;ait a parler et, il etait hesitant sur cette histoire la 'parce que cette institution, c'etait
un etat d'esprit intergouvememental quand meme. Mais il y avait de bonnes raisons pour
penser a cela, et Schmidt etait de ceux qui etait pour, c' est que les ministres des
gouvemements en allant a Bruxelles echappaient un peu a la tutelle coordinatrice des
chanceliers ou des premiers ministres. Parce que Ie ministre de l' agriculture ou des transports
revenait de Bruxelles en disait: « on a un accord a Bruxelles ». Donc si vous voulez les chefs
de gouvemement voulaient se retrouver pour reprendre leur attitude de synthese, de strategie
generale, etc. Donc il y avait une bonne alchimie, M. Schmidt m'a souvent raconte cela.. Mais
enfin c' est Ie cote gouvememental. Alors c' est la ou j' ai dit, il y a des temoins d' ailleurs de ce
que j'ai dit a Monnet, «mais pourquoi vous n'echangez pas cela contre l'election du
Parlement europeen au suffrage universel ? » Ce qu'on va aller dans l'intergouvememental
avec cela, on compense par l'element parlementaire etc. Moi j'ai toujours ete pour l'histoire
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M. Georges Berthoin
du Parlement. Et je dois dire qu'ayant vu fonctionner un Parlement en Grande Bretagne,
j' etais encore plus dans cette tradition la. Et Monnet a ete convaincu de cela. Donc il a dit a
Giscard: « Je soutiens Ie Conseil, vous me donnez l'election du Parlement au suffrage
universel direct ». C'est comme cela que cela c'est passe. Et cela je m'en suis beaucoup
occupe apres de cette affaire du Parlernent Europeen, ici avec Barre, etc.
C'est vrai que Monnet n'a pas La tete parLementaire.
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Non parce qu'il n'etait pas orateur, ill'a toujours regrette. II etait conscient de ce qu'il savait
faire et de ce qu'il ne savait pas faire. II avait beaucoup d'admiration pour les orateurs
notamment pour Spaak: « c'est formidable de parler comme cela ». Spaak etait un orateur,
c'etait un delice de l'entendre. Et en plus il y avait de la substance, ce n'etait pas simplement
du beau violon. Et, il avait beaucoup de respect pour cela. D'ailleurs, un jour, j'ai demande a
Monnet pourquoi il n'avait pas fait de politique. II me dit: « c'est parce que je ne suis pas
orateur, je ne sais pas », il ne sait pas. Alors il a pris les moyens ou il etait bon, et pour
finalement faire la meme chose, finalernent plus efficace d'ailleurs. Mais il a obtenu cela.
Alors l'autre jour au colloque, a votre colloque a Lausanne, j'avais dernande a Pascal
Fontaine qui avait pris une note de cette conversation, s'il avait Ie papier de cette
conversation. Parce qu'il prenait des notes de conversation, et celle-Ia, mon souvenir, rnais
verifiez Ie, mon souvenir, c'est qu'il etait la pour prendre note de la conversation, alors je ne
salS pas...
Vous pensez qu'ilL'a?
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Je ne sais pas. Mais je Ie lui ai dit, et il ne s' en souvient pas, bon tres bien. Remarquez je me
souviens tres bien de cela parce que, apres Monnet m' en a reparle, et il etait tres content
d'avoir fait cette suggestion lao Voila.
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J e voudrais vous dire que ceLa a ete tres passionnant, et je vous remerde vraiment.
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[Fin de La cassette n°3J
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