O Telegrama - Cap Magellan
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O Telegrama - Cap Magellan
Liliana Azevedo O Telegrama Do outro lado do rio Histoire de l’émigration portugaise vue par la deuxième et troisième génération Association Cap Magellan O Telegrama Do outro lado do rio Vol 2 Histoire de l’émigration portugaise vue par la deuxième et troisième génération 3 PREFÁCE Je voudrais tout d’abord manifester ma profonde reconnaissance pour cette initiative si singulière de Cap Magellan. Il est peu habituel de publier des livres avec des témoignages de jeunes, surtout quand le thème central en est la vie des parents et les causes qui les ont amenés un jour à prendre le chemin de l’émigration. Il n’est pas facile de parler de soi-même, de témoigner des passages et des périodes de nos vies qui sont souvent cause de malêtre et de souffrance. Plus encore quand nous parlons de nos parents, même quand nous le faisons avec l’objectif de mettre en avant leur exemple et de maintenir vivante la mémoire de leurs parcours, préoccupés à préserver leur image et leur dignité. Je peux donc avoir une idée des contraintes de tout ordre qu’il aura été nécessaire de contourner pour mener à bien ce travail. J’ai donc accepté avec beaucoup de plaisir la demande de préface de cette ouvrage qui se caractérise par son caractère précurseur et innovateur, mais aussi par son importance et intérêt pour la connaissance de la problématique des jeunes nés dans des familles de parents émigrés. Je laisse aux jeunes qui ont accepté de collaborer à ce livre un mot de félicitation, pour leur disponibilité et leur sens du service, mais aussi d’encouragement pour de nouvelles interventions. Par leur exemple, ils aident beaucoup d’autres jeunes à mieux se connaître, à avoir confiance en soi et à jeter, ainsi, les bases d’un futur prometteur. Aux parents, qui sont les protagonistes de ce livre, je veux également leur exprimer ma reconnaissance et mon estime, restant disponible pour continuer à collaborer à la valorisation humaine et professionnelle de leurs enfants. Leur témoignage maintient vive la mémoire d’un parcours douloureux, mais dont nous devons être fiers parce qu’il symbolise la victoire de la détermination sur l’adversité. Et aussi parce qu’il montre les chemins du futur, basés sur ce qui est une marque de l’émigration portugaise : travail, caractère, sérieux, intégration et préservation des valeurs qui nous distinguent comme Peuple. António Monteiro Ambassadeur du Portugal en France PREFÁCIO Quero antes de mais manifestar o meu apreço por esta tão singular iniciativa da Cap Magellan. É pouco habitual a publicação de livros com depoimentos de jovens, sobretudo quando o seu tema central é a vida dos pais e as causas que os levaram um dia aos caminhos da emigração. Não é fácil falar de nós próprios, testemunhar sobre passagens e períodos das nossas vidas que tantas vezes são motivo de malestar e de sofrimento. Menos ainda quando falamos dos nossos pais, mesmo quando o fazemos com o objectivo de salientar o seu exemplo e de manter viva a memória dos seus percursos, preocupados sempre em preservar a sua imagem e a sua dignidade. Posso portanto fazer uma ideia dos constrangimentos de toda a ordem que terá sido necessário contornar para levar a cabo este trabalho. Por isso acedi com muito gosto ao pedido de prefaciar esta obra que se caracteriza pelo carácter precursor e inovador, bem como pela sua importância e interesse para o conhecimento da problemática dos jovens nascidos em famílias de pais emigrados. Deixo aos jovens que aceitaram colaborar neste livro uma palavra de felicitações pela sua disponibilidade e sentido de serviço, assim como de encorajamento para novas intervenções. Com o seu exemplo, estão a ajudar muitos outros jovens a melhor se conhecerem , a ganharem confiança em si próprios e a criarem, assim, as bases de um pro- missor futuro. Aos pais, que são os protagonistas deste livro, quero igualmente expressarlhes o meu apreço e estima, mantendo a disponibilidade para com eles continuar a colaborar na valorização humana e profissional dos seus filhos. O seu testemunho mantém viva a memória de um percurso doloroso, mas de que nos deveremos orgulhar porque simboliza a vitória da determinação sobre a adversidade. E também porque aponta os caminhos do futuro, baseados naquilo que é a marca da emigração portuguesa: trabalho, carácter, seriedade, integração e preservação dos valores que nos distinguem como Povo. António Monteiro Embaixador de Portugal em França 5 6 TABLES France Daniel........................................................................................... Estelle.......................................................................................... Lévi.............................................................................................. Liliane.......................................................................................... Lionel........................................................................................... Hermano...................................................................................... Jean Philippe............................................................................... Marco........................................................................................... Maria............................................................................................ Marie............................................................................................ Marie Hélène............................................................................... Nathalie....................................................................................... Silvia............................................................................................ Sosana........................................................................................ 9 10 22 28 30 44 52 56 62 64 66 76 84 86 Suisse Brigite.......................................................................................... 92 Liliana.......................................................................................... 94 Renata........................................................................................ 106 Susana........................................................................................ 110 Canada Cristina........................................................................................ 112 7 8 Turismo de Lisboa Simple ‘histoire que je vais vous raconter est celle de mon père, Manuel Martins, 60 ans aujourd’hui. Durant son enfance, il a vécu dans le petit village d’Aldeia do Bispo da Raia, dans le district de Sabugal, à une soixantaine de kilomètres de Guarda. Les activités économiques s’y résumaient à l’élevage d’animaux de ferme : vaches, moutons, porcs et poules, ainsi que la contrebande. L témoignage... Son voyage vers la France commença le 11 septembre 1964. Avec une dizaine de personnes de son village et avec l’aide d’un «passeur» payé 20.000 escudos (environ 100 euros) par personne, il entama, à pied, une longue traversée de l’Espagne pour arriver en France où son père l’attendait. La traversée dura 11 jours. Elle se déroula uniquement de nuit dans les montagnes et sans aucune lumière, Les chutes et les égratignures étaient nombreuses, mais il fallait toujours avancer et ne pas s’arrêter pour ne pas perdre de temps. Une fois arrivé en France, à Saint Denis, son père le récupéra et lui trouva un travail avec lui dans le bâtiment ; ce qui lui procura par la même occasion des papiers. Lorsqu’il me racontait cela, mon père avait les larmes aux yeux, ce qui “Lorsqu’il me racontait cela, mon père avait les larmes aux yeux, ce qui m’a fait comprendre toutes les difficultés qu’il a dû endurer pour offrir à sa famille et à ses enfants une vie meilleure.” Mais cela n’était pas suffisant pour nourrir correctement une famille de 7 personnes. Dès lors, son père ainsi que deux de ses soeurs sont partis en France, comme beaucoup de Portugais à l’époque, et à l’age de 16 ans, ça allait être son tour. tandis que la journée, tous se cachaient afin d’éviter de se faire remarquer par les policiers espagnols qui les auraient immédiatement conduits en prison. Comme il me le confiait, le plus dur était le manque de visibilité, le fait de ne pas savoir où l’on va. m’a fait comprendre toutes les difficultés qu’il a dû endurer pour offrir à sa famille et à ses enfants une vie meilleure. Pour cela, nous ne pouvons mes soeurs et moi que lui en être reconnaissants. Daniel. 9 10 Minuit, un soir à Créteil… L e moment est choisi. Ce moment, je l'ai pensé et réfléchi, comme tout ce que je fais dans ma vie. Rien ne doit être laissé au hasard. Ce moment j'ai voulu le garder, le protéger, le fixer pour toujours. Ce moment, c'est cette transmission d'histoire, transmission de vie. C'est l'histoire de mes parents. Cette histoire, je l'enregistre avec mon minidisc. Je ne veux rien perdre de ce moment si Leur histoire, mon histoire. "Papa, maman, racontez moi votre histoire". REC. Un peu gêné d'abord par l'enregistreur, il a suffi de quelques secondes pour que mon père se lâche et raconte tout. Comme si ces moments, il les revivait, là, à nouveau. Tout lui revient en tête. C'est incroyable comme notre mémoire retient un nombre fou de détails. Des détails qui, au fond, ont peu d'impor- “Cette histoire, je l'enregistre avec mon mini-disc. Je ne veux rien perdre de ce moment si intime et si rare, d'une conversation à trois, sur un passé si lointain.” intime, si rare, d'une conversation sur un passé si lointain, douloureux parfois. Ce moment, c'est ma mémoire. Celle de mes parents, la mienne, celle qui m'a construite inconsciemment. Celle qui a fait ce que je suis aujourd'hui. tance. Mais des détails qui font toute l'histoire. L'histoire avec un grand H. Ma mère écoute, attentive, sans jamais oser rien dire. "Comment as-tu décidé de partir et tout quitter pour aller en France, Papa?" La réponse est simple: "Pour 11 “Comme tout homme, j'aspirais à une vie meilleure, pour moi et pour mes enfants.” construire un futur meilleur pour ma famille. " Mon père est parti en 1964, il avait 29 ans. Il laissait derrière lui une femme enceinte de 8 mois et 3 enfants (une fille et deux garçons). Il travaillait à l'époque à Ovar dans le nord du Portugal, dans une entreprise de plastique, FOPIL, où les salaires étaient incroyablement bas. "On n'arrivait pas à vivre dignement à l'époque au Portugal. Comme tout homme, j'aspirais à une vie meilleure, pour moi et pour mes enfants." 12 me dit-il. C'était l'époque où de nombreux portugais partaient vers la France. Il avait un cousin, lui aussi, là-bas, en France. Ce fut son contact, celui qui le mènerait vers l'autre pays, celui dont tout le monde parle, celui où tout est possible. Il écrivit une longue lettre à son cousin pour lui demander s'il pouvait aller travailler en France, avoir un contrat de travail, seul moyen pour entrer légalement en France. Son cousin n'a pu lui trouver ce fameux contrat. Mais mon père n'abandonna pas, si ce n'est pas possible d'y aller légalement, il irait comme d'autres, clandestinement, coûte que coûte. Il ne savait pas encore quand il partirait et arriverait en France, mais que son cousin ne s'inquiète pas: S'il était arrêté, il ne dirait pas le nom de son contact en France. 18 juin 1964, après avoir parlé avec un passeur qu'il connaissait à travers un de ses collègues de travail, il décida de partir. Durant le voyage, qui le mena vers la France, voyage, que “Ce voyage dura 3 jours. Mon père partit le 18 juin 1964 du Portugal et arriva gare d'Austerlitz le 21 juin.” dis-je, véritable épopée, il rencontra trois voisins de son village. Ils partiront ensemble. Il payera 11 mille escudos (un an de travail à l'époque) pour cela. (C'est incroyable comment ce type de montant reste en mémoire!). Dans le nord du Portugal, tous déjeunent à Amarante. Frontière avec l'Espagne: en face, une rivière, de l'autre coté on entend les espagnols. Que faire? Cette rivière il faut la traverser coûte que coûte, c'était le début du tunnel pour un futur meilleur. Ils le feront. Être recouvert d'eau jusqu'au cou, pas de problème! mais il faut la passer cette fichue rivière! C'est fait. Son contact portugais passe alors tous les clandestins, dont mon père, à son contact espagnol, et ils suivirent tous dans une DS traversant l'Espagne en voiture jusqu'à Hendaye. A Hendaye, direction Paris, en train. Ce voyage dura 3 jours. Mon père arriva gare d'Austerlitz le 21 juin 1964. Trois jours, trois longs jours. Il n'avait qu'à la main, l'adresse de son cousin. Il se lance, il faut trouver un taxi, sans par- ler la langue, après un voyage déjà bien éprouvant. De gare d'Austerlitz, il partit vers Gare de Lyon pour trouver une file de Taxi. Un taxi lui parle, pour mon père c'était la même chose que de lui parler en japonais, il ne comprenait rien. Direction Bonneuil dans le Val de Marne (94). Ma mère, pendant tous ce temps, est restée à se morfondre dans son petit village au Portugal, São Vicente de Pereira. Elle ne pouvait rien dire à personne. Trop dangereux. Personne ne devait savoir que son mari par- 13 “Mon père n’assistera pas à la naissance de son quatrième enfant. Il n’aura comme image que les photos envoyées par ma mère.” tait clandestinement vers la France. Elle a attendu trois long jours avant d'avoir enfin de ses nouvelles. Enfin, le soulagement, il est bien arrivé. Elle alla de suite à bicyclette, annoncer la bonne nouvelle à ma grandmère, la mère de mon père. Mon père n’assistera pas à la naissance de son quatrième enfant. Il n’aura comme image que des photos envoyées par ma mère. Mon père, après avoir pris un taxi alla directe14 ment à l'entreprise qui allait l'embaucher, à Bonneuil Première réaction "Mon dieu, on aurait dit un vrai enfer. C'était terriblement sale. Tant de monde à travailler." Sans argent pour payer le taxi, il chercha partout son cousin, qui ne savait pas de sa venue exacte et lui prêta les 3000 anciens francs, pour le taxi. Enorme! Petit rappel: Mon père part le 18 juin du Portugal, arrive le 21 en France et commence à travailler le 24 juin à Bonneuil, dans une entreprise de fabrication de poutres de béton et de brique. Pas de problèmes de chômage en France à l'époque! Et la langue dans tout ça, lui demandais-je. "Comment as-tu fais pour travailler sans parler un mot de français?" Simple, finalement. Il n'y avait pas besoin de parler beaucoup dans ce genre de travail, il suffisait de regarder ce que faisait l'autre et de le copier. L'entreprise disposait aussi de logement pour ses travailleurs. “Le dimanche, mon père avait l’oreille collée à son poste radio pour écouter la retransmission des matchs de football portugais.” "Vraiment bien", me dit mon père. Quatre par appartement, une cuisine où il pouvait faire à manger, une douche, du chauffage pendant la nuit. Le grand luxe! Mieux que ce qu'il connaîtra par la suite. Il ne retournera au Portugal qu'un an après sa venue en France. Un an! Il ne communiquera avec ma mère que par lettre, plusieurs fois par mois, racontant son quotidien, ma mère lui répondant en y ajoutant, dès qu'elle le pouvait, des photos des enfants. Notamment, des premiers pas du petit dernier, celui qu'il n'a pas vu naître. Ces premiers pas, qu'il ne verra qu'en photo. La première fois qu'il retourna au pays, il reviendra avec les fameux "caramelos" (caramels mous) achetés dans le train. à la frontière portugaise. Ces mêmes « caramelos » au kilo que l'on peut encore acheter aujourd'hui. Ils feront la joie de ses enfants, mes frères et soeurs. C'était déjà pas si mal... En France, il ne vivait quasiment qu'avec des portugais. Il se souvient : "Une fois je suis parti à Paris, seul, ne parlant pas la langue, prenant le métro pour la première fois afin de régulariser mes papiers". Tout cela pour recevoir une Carte temporaire faite par le patron d'une durée d'un an. Sortie : Station Strasbourg St Denis. Quand il me le raconte, 15 j'ai la sensation que ce fut une aventure. Tous les mois il envoyait de l'argent à ma mère. "Mais comment faisais-tu pour lui envoyer?" lui demandais-je. En fait, c'était assez simple: par la banque. Ce que je ne savais pas, c'est qu'à l'époque les banques portugaises allaient à la sortie des entreprises à la fin du mois où travaillaient de nombreux portugais, pour avoir de nou- la retransmission des matchs de football portugais. Parfois, il allait avec quelques compagnons portugais à Champigny rejoindre d'autres Portugais. "Que des bidonvilles, où habitaient des familles entières!" me dit -il, effaré. En 1971, sept ans après sa venue en France, il ira chercher le reste de sa famille. Une femme et 5 enfants, avec en prime, un appartement France. (Petite information pratique: Pour pouvoir le faire, il fallait que la Junta de Emigração voit la maison de mon père en France, et donne un avis favorable. Cela prenait au minimum 6 mois, impossible d'attendre si longtemps!). Ils décidèrent donc de venir quand même. Bravant encore une fois l'interdit. Les enfants devront passer la frontière illégalement. C'était ainsi. Le contact pour le faire: un homme “En 1971, sept ans après sa venue en France, il ira chercher le reste de sa famille. Une femme et 5 enfants.” veaux clients. Rien de plus simple, au final. Il reviendra tous les ans au Portugal pour un mois de vacances, en août. De ses venues, naîtra ma soeur, Céleste. Il fera ça pendant 7 ans. 7 longues années à vivre seul en France et comme quasi seule occupation un travail difficile. " Et le Week-End tu faisais quoi, papa?" Le samedi était consacré à laver le linge (à la main s'il vous plaît!), et aussi à écrire à sa femme, ma mère. Le dimanche, mon père avait l’oreille collée à son poste radio pour écouter 16 enfin convenable pour loger tout ce petit monde. Et là, une autre aventure les attendait. Mon père avait ses papiers, ma mère avait réussi à avoir un passeport de touriste. Et les enfants? Là était le problème. Mon père voulait évidemment qu'ils entrent légalement en France. Après des démarches infructueuses pour avoir un passeport pour chaque enfant, le Gouverneur Civil de Aveiro estima que mon père n'avait pas les conditions nécessaires pour les accueillir en qui errait dans Vilar Formoso, que mon père avait déjà vu et qui lui disait qu'il pouvait les faire passer, moyennant une somme d'argent. Evidemment. 500 escudos par enfants. C'était décidé, ils iront en France, ainsi. Le départ est proche. Mon oncle emmena toute la petite famille (mon père, ma mère plus 5 enfants) dans sa Ford Cortina GT Blanche jusqu'à Vilar Formoso. Là, les enfants seront donc laissés à ce fameux contact à la frontière portugaise. L'une des mes 17 “Je me rends compte combien ces quelques heures ont dû être difficiles pour ma mère. En résumé, elle laissait ses 5 enfants, à un quasi inconnu.” soeurs, la plus petite, 2 ans et demie à l'époque, marchait à peine et était en pleurs lorsque mes parents s'en séparèrent. Mes parents, eux, montent dans le train. Et ne retrouveront leurs enfants que quelques heures plus tard, si tout se passe bien de l'autre coté de la frontière. Ma mère a les larmes aux yeux en me le racontant. Elle soupire : "Ce fut douloureux, terriblement douloureux!" Je me rends compte combien ces quelques heures ont dû être difficiles pour elle. En résumé, elle lais18 sait ses 5 enfants, à un quasi inconnu. En espérant, en priant, que tout se passe bien et qu'ils arriveront à temps pour continuer le trajet tous ensembles. A Fontes de Onoro, première station après la frontière portugaise, le train s'arrête 45 min comme c'est l'habitude. Les minutes passent et toujours pas d'enfants à l'horizon. L'angoisse. Quelques minutes avant le départ du train, au fond, au loin, mon père voit enfin ses enfants sur le quai accompagnés de ce fameux passeur. Soulagement. Enfin, tous réunis. Evidemment aucun des enfants n'avait de billets. Ma mère se souvient. "Le train était bondé. Il y avait du monde partout. Comment a-t-on pu tous tenir là dedans ! Mes enfants, les pauvres! Chacun savait en nous regardant que les enfants n'avaient pas de billets. Ils n'étaient pas les seuls, dans cette situation". Comme par magie, lorsque le contrôleur passe dans le wagon, plus de lumière. Coupure totale. Comme “Comme par magie, lorsque le contrôleur passe dans le wagon, plus de lumière. Coupure totale.” par hasard... hum.. oui, sûrement. Evidemment quelqu'un avait provoqué cette coupure afin d'éviter le contrôle, synonyme de retour à la case départ ou pire. Quelques heures plus tard, la lumière en plus, le contrôleur repasse. Tout le monde en choeur dans le wagon "les contrôleurs sont déjà passés ici, pas besoin de vérifier une nouvelle fois." Tous dans la même galère. C'est ce que je pense. Une solidarité qui permettait à tous d'accé- der à un peu plus de bonheur, dans cet autre pays, la France. Ils arriveront à bon port à Austerlitz, gare mythique pour tous les portugais de France. Encore une fois, il fallait trouver un taxi qui accepterait bien de pendre 7 personnes. Oui, j'ai bien dit 7. Évidemment, lorsque c'était leur tour, le taxi en les voyant, leur dit: "ça va pas être possible". La chance viendra d'un policier tout près, qui obligera le taxi à prendre la famille Valente (mon nom de famille) au complet. Les voici tous arrivés à Créteil, appartement que mon père avait réussi à louer. Cet appartement, mes parents l'ont encore aujourd'hui. Mon père travaillera comme mouleur en béton à Villeneuve Saint Georges, jusqu'à sa retraite. Ma mère, quant à elle, après de nombreuses années à élever ses enfants, travaillera comme couturière. De la France, ils n'ont 19 que de bons souvenirs. Le français, ils le parlent comme ils le peuvent, encore aujourd'hui. Leurs enfants l'apprendront bien plus rapidement qu'eux. Mes parents auront tout au long de leur parcours été respectueux de ce pays, la France, respectueux des français, de ceux qui les ont accueillis. Ne jamais créer de problèmes, s'intégrer au mieux, tel était leur devise. Aujourd'hui, je travaille pour que les clichés tombent enfin. Des français envers les portugais. Des portugais envers les émigrés. Une lutte perpétuelle. Une lutte sans fin. Une lutte qui vaut la peine. Cette histoire, je l'ai enregistrée il est vrai, avec mon mini-disc, j'en aurais pour toujours, le son. Mais surtout, je l'aurais toujours en mémoire. Vous savez, dans ce petit organe à gauche, sans “Ils n'étaient partis que pour 4 ans tout au plus, ils y resteront plus de 35.” Ils n'étaient partis que pour 4 ans tout au plus, ils y resteront plus de 35. Celle qui raconte cette histoire, c'est moi, la petite dernière. La sixième d'une longue lignée. La seule qui soit née en France, un certain 8 août 1976. Un peu née par hasard, pas vraiment prévue au programme! La seule qui a ce lien si intense et profond avec le Portugal. Etrange. Du Portugal, je n'ai que les souvenirs de vacances, et ceux que j'ai eu plus tard en tant que femme. Cette lutte, ce respect, cette éducation, je m'en rends compte aujourd'hui, viennent de cette histoire. 20 lequel on ne peut vivre. Plus tard, je serai heureuse, j'en suis certaine, d'avoir gardé cet enregistrement et de pouvoir encore écouter et réécouter mes parents me raconter leur Histoire. STOP. Ah, j'oubliais, à la fin de l'enregistrement, mon père a voulu réécouter sa voix, son témoignage, comme s'il voulait confirmer, une fois de plus, que cette histoire avait bien eu lieu. Estelle. 21 Le Portugal s’est longtemps résumé... L e Portugal, à mes yeux, s’est longtemps résumé à l’histoire de ma famille, émigrée dans les années 60 pour fuir la misère et la dictature, cette «longue nuit», pour reprendre Miguel Torga dans son journal En franchise intérieure. Cette bande de terre aux frontières inchangées depuis Afonso Henriques, et léchée par le flux et le reflux de l’Atlantique, je n’en profitais qu’une fois l’an, en été, lorsque notre automobile se chargeait à ras bord et que nous «descendions», selon l’expression consacrée, davantage de ce pays «périphérique», car c’est ainsi que le décrivent les mauvaises langues, lesquelles, doublées d’une inculture confondante, s’évertuent encore aujourd’hui, et avec une constance désarmante, à rouler les «J» et les «R», comme si les mondes hispanique et lusophone étaient les deux faces d’une même médaille. Ces voyages, vécus le plus souvent sur la banquette arrière de notre Citroën Pallas, sonnaient comme la récompense annuelle offerte à mes parents, une sucrerie ponctuant une année de “Ces voyages, vécus le plus souvent sur la banquette arrière de notre Citroën Pallas, sonnaient comme la récompense annuelle offerte à mes parents.” rendre visite aux nôtres, qui nous considéraient de moins en moins comme portugais. Mais peut-être nous-mêmes nous éloignions chaque année 22 labeur à l’usine. Une traversée des territoires à une époque où l’Europe ouverte et chaleureuse n’était encore que le rêve de quelques esprits éclai- Liliana Azevedo metteuses. Et pareil à un comte d’Andersen, je revois toujours la lourde bicyclette noire de l’oncle Manuel – toutes identiques au pays, seule une plaque de métal figurant l’interminable patronyme du propriétaire, permet de les distinguer - , mais aussi les yeux sombres et mélancoliques de ma tante Madeleine, un peu plus voûtée à chaque visite, et emmurée dans sa longue robe noire, celle du deuil éternel que les femmes supportent après le départ du mari. Le noir, encore, des taxis de mon enfance, habillés d’un peu de vert sur les toits, une coquetterie, “Je me souviens de cette interminable attente, à la frontière de Vilar Formoso” rés. Je me souviens de cette interminable attente, à la frontière de Vilar Formoso, et de la longue procession des voitures, pare-chocs contre pare-chocs, dans la fournaise estivale. Des douaniers espagnols, zélés, et prompts à vider les coffres des autos dans un mouvement de menton qui trahissait de vieux réflexes autoritaires, cette même croix que nous avons porté, nous aussi, du temps du théoricien de l’Estado Novo. Mais ces désagréments s’évaporaient dès lors que surgissaient devant mes yeux embrumés, plantée au sommet d’une forêt d’eucalyptus, notre maison cintrée d’azulejos. Ma terre, comme on dit au Portugal, bordée de choux et de vignes pro- sans doute, d’un peuple qui n’a jamais manqué d’ironie et de sens de la dérision. Et cette danse, toujours, du noir et du blanc, sur les trottoirs de nos villes. Figures géométriques, arabesques, légendes, qui traduisent si bien l’âme portugaise, où se mélangent saudade et glorification du passé, rêves poétiques et illusions métaphoriques. A l’image de Lisbonne, 23 Liliana Azevedo “A l’image de Lisbonne, d’ailleurs, cette ville toute en contrastes, presque en trompe-l’oeil.” d’ailleurs, cette ville toute en contrastes, presque en trompe-l’oeil. Lisbonne métissée, elle aussi, terre d’arrivées et de départs, de rires et de larmes, en perpétuelle construction et déconstruction. Une cité que j’aime, car c’est une ville d’incertitudes. La découvrant depuis le Tage, on craindrait presque qu’elle ne s’écroule dans le fleuve. Tout y est provisoire, cahotique, émiété, et décrépi. Mais c’est sa beauté à elle, nue, et 24 incandescente. Incertitude, encore, du retour sans cesse promis et espéré de Dom Sebastião. Incertitude, toujours, d’une nouvelle secousse qui emporterait la cité patiemment reconstruite par Pombal. Incertitude, enfin, et même mystère, de Pessoa et de tous ses personnages, susceptibles de resurgir à tout instant dans nos vies, tant ils nous parlent de nous, à moins qu’ils soient nous-mêmes. Lisbonne de chair et de sang, car cette ville est d’abord mâtinée d’odeurs et d’atmosphères, comme Paris est une métropole de monuments. La sardine ou la morue, des couleurs africaines ou brésiliennes, la gravité et la solennité de Belem, mais aussi l’insouciance et un art de vivre vaporeux dans les dédales de Mouraria ou de l’Alfama : c’est cela Lisbonne. Cette cité a sa propre sueur, sa propre fragrance, ennivrante. “Le Portugal m’a changé, car il m’a révélé mes racines, me les rappelle en permanence, et l’éloignement rend plus tangible encore ce sentiment d’appartenance.” bles, prononcés à tout bout de champ par n’importe quel portugais, médecin ou paysan. L’un de mes préférés est sapatilhas. Il sonne comme une rafale de mitraillette. Là se trouve peut-être l’explication de mon goût pour les baskets ! Mais aux côtés de ce Portugal sans âge, je vois une nation nouvelle émerger. Fiers de l’héri- tage laissé par Vasco da Gama, Cabral, ou Magellan, probablement sereins dans leurs tombeaux, les Portugais se nourrissent désormais d’autres rêves, faits d’échanges, de projection dans la modernité, d’appétit, et de volonté de se manifester au coeur du monde. Je me souviens du Nobel de José Saramago : il y avait foule Liliana Azevedo Le Portugal m’a changé, car il m’a révélé mes racines, me les rappelle en permanence, et l’éloignement rend plus tangible encore ce sentiment d’appartenance. La croix d’Aviz, les pétards des fêtes de villages rytmées à l’accordéon, ou les petits pains ronds des repas, c’est le Portugal intemporel, enveloppé de mots : certains, inavoua- 25 Turismo de Portugal/Antonio Sacchetti “Un souhait, magnifiquement synthétisé par Virgílio Ferreira, lorsqu’il écrivait: «De ma langue, on voit la mer ».” autour de moi à l’instant de la nouvelle, mais je n’ai pas pu partager ma joie car je ne sais si j’aurais su exprimer un tel bonheur. C’est cela le Portugal nouveau, cette Splendeur du Portugal, pour reprendre le titre d’un livre de Antonio Lobo Antunes, même s’il ne s’agit plus aujourd’hui d’entretenir un quelconque empire. Car j’aimerais que ce rectangle du bout de l’Europe, dont la langue est usitée par 200 26 millions d’individus, et qui a contribué à donner une géographie à la planète, s’affirme. Que cette forme d’expression lui fasse retrouver une nouvelle centralité, non plus fondée sur les Découvertes et la conquête de territoires, mais assise sur d’autres explorations, celles des idées et des audaces. Le Portugal, solidement ancré à la démocratie, doit redevenir un phare car, plus que d’autres, il a vocation à être un interlocuteur naturel au sein de l’Europe, de l’Afrique, de l’Amérique ou de l’Asie, en un mot, du monde. Un peuple possédé par luimême, arrimé à son Histoire, mais désireux de s’élancer à nouveau. Un souhait, en somme, magnifiquement synthétisé par Virgílio Ferreira, lorsqu’il écrivait : « De ma langue, on voit la mer ». Lévi. 27 Turismo de Lisboa Si... “Si grande l’aventure de ta vie. Dans ces champs, que tu connais si bien maintenant, tu débuteras une nouvelle vie.” 28 i jeune, tu te lances le grand défi. Tu arrives en France en mai 1980. Tu avais alors tout juste 18 ans. S là-bas, dans ce pays bien loin à l'époque. Orpheline, tu travailles depuis l'âge de 9 ans pour subsister. Alors majeure, tu décides de sauter le pas. à la frontière franco-espagnole. Comme tous, tu prétextes un séjour touristique. Mais toi seule as 18 ans. Tu réussis à poser les pieds en territoire français. Si déterminée, tu avais appris que l'on avait besoin de main-d'oeuvre Si téméraire, tu parviens à convaincre les forces de police postées Si courageuse, les conditions dans lesquelles on t'accueille ne t'ef- “Tu nous sauves du dur labeur, de la clandestinité, de la précarité. Tu nous donnes ce que tu aurais tant rêvé... “ fraient pas. Une vieille école récupérée sans sanitaires, des lits de l'armée réquisitionnés, vous servent de point de chute. Trois pièces où jeunes et vieux, hommes et femmes, tous portugais, cohabitent. Si lointain, ce pays. Mais si proches ces gens que tu ne comprends pas encore. Tu apprends une nouvelle langue, une culture différente. Tu étais partie de ton Portugal natal pour un mois. Mais la routine des saisons et des récoltes te retiendront en France. Si grande l'aventure de ta vie. Dans ces champs, que tu connais si bien maintenant, tu débuteras une nouvelle vie. Tu rencontres alors un homme. Le père de tes trois filles. Si volontaire, désormais le grand défi de ta vie est que tes enfants ne connaissent jamais tes difficultés. Tu nous sauves du dur labeur, de la clandestinité, de la précarité. Tu nous donnes ce que tu avais tant rêvé. ... Liliana. 29 30 Turismo de Portugal / Estoril & Sintra Golf Coast ous sommes le dimanche 7 décembre 2008 et ce matin, depuis mon petit appartement parisien, je regarde la cérémonie de sacrement de Cristiano Ronaldo, troisième joueur portugais de l’histoire du football à recevoir le ballon d’or ! Bien entendu, tout est léger autour de cette nou- N d’oreilles à l’appui, un prototype parfait de notre société de consommation où le paraître grignote sans faire de bruit, chaque jour un peu plus, les êtres que nous sommes. Je le regarde donc. Du bout des pieds, il jongle avec un ballon tandis que du bout de son regard, on le devine jonglant avec des millions et soudain cette pensée me vient…c’est un émigré ! “Du bout des pieds, il jongle avec un ballon tandis que du bout de son regard on le devine jonglant avec des millions et soudain cette pensée me vient…c’est un émigré !” velle et pourtant, en regardant cela, tout à coup je suis pris d’une mélancolie poignante et je suis en proie à un questionnement qui me désarme ! Je regarde ce petit bout de bonhomme, qui est à lui seul, gomina, muscles et boucles Comme mes parents et mes grands parents, ce bellâtre a quitté le Portugal pour tenter sa chance à l’étranger. Donc, c’est un émigré !! Je l’imagine quittant sa terre natale, son sourire, ses dents, un jeu de maillot de football ainsi qu’un ou deux biceps 31 Liliana Azevedo “Je suis tout ouïe, je quitte cette réalité pour plonger sans résistance vers un formidable voyage dans le temps…” sous le bras et hop : «Papa, Maman, je veux être riche, alors c’est décidé je vais chercher du boulot en Angleterre !» et son père inquiet, de lui demander «Mais Cristiano, tu ne prends pas ton ballon ??» question à laquelle il a certainement dû répondre nonchalamment «euh…si, si, donnes le moi, on ne sait jamais, ça peut servir.» Et le voilà parti. Et bien ça a marché… Aujourd’hui à tout juste 22 ans, Cristiano est beau, fier, riche et…je 32 l’espère, heureux. Mais, et pour toi, papa? Ca s’est passé comme ça? Je m’interroge. Mon père et ma mère m’en parlent. Très vite je comprends que non ! Pour mes parents et mes grands parents, les choses ont été un peu différentes. Déjà, parce que mon grand père était un tout petit peu moins musclé et qu’il n’avait pas de contrat avec Nike, aussi parce qu’il y a plus de public dans les stades pour y regarder les joueurs de football taper dans le ballon que pour regarder les ouvriers poser des parpaings et installer les gradins et enfin parce qu’il n’existe pas, à l’instar du ballon d’or, de truelle d’or ou de casque de chantier d’or. (Notez que si cela avait été le cas, mon grand père en aurait certainement eu un.) Mais tout cela m’intrigue. Je veux savoir. On me répond qu’il faudra ajouter plus de poussière, de doutes et de larmes, mais qu’au “Contrairement à ce que l’on peut croire ce n’est pas un vénal appât du gain qui pousse des gens dans la force de l’âge à tout quitter pour tout reconstruire, c’est l’appel d’un rêve.” 1962, mes grands parents débarquent sur le sol français avec la ferme intention d’y trouver non pas une vie meilleure mais de quoi améliorer leur vie, là-bas, dans leur pays d’origine, au Portugal. C’est la raison pour laquelle ils arrivent seuls, sans leurs enfants, qu’ils retrouveront très bientôt et à qui ils offriront une vie sans encombre. C’est du moins ce qu’ils croient et ce qu’ils gardent en tête à chaque instant. Contrairement à ce que l’on peut croire, ce n’est pas un vénal appât du gain qui pousse des gens dans la force de l’âge à tout quitter pour tout reconstruire, c’est l’appel d’un rêve, celui de donner une vie meilleure à leur descendance. Mes grands parents, ces gens qui ont tourné une page sur leur passé, font don de leur présent et hypothèquent leur futur pour mettre leurs enfants à l’abri. Et le prix de ce pari? Se séparer de leurs deux enfants, dont la vie dicte toute cette prise de risque. C’est étrange, j’écoute ce récit avec attention, mais tout me semble terriblement abstrait. Imaginez, votre grandmère, cette femme aux cheveux poivre et sel qui fait des crêpes mieux que quiconque et vous raconte des histoires passionnantes d’un temps qui n’est pas le vôtre. Imaginez-la donc, jeune et belle, une longue chevelure brune, des traits fins, une peau lisse, la poitrine pointant vers l’infini, les yeux remplis d’un Marco Martins final on en ressortirait beaux, fiers, riches et… je l’espère heureux. Je suis tout ouïe, je quitte cette réalité pour plonger sans résistance vers un formidable voyage dans le temps… voilà d’où je viens: 33 espoir sans limite et un sourire qui nargue la face de la planète d’une formidable envie de vivre. Vous l’avez ? Bien sûr que non ! Personne ne peut imaginer sa grandmère comme une femme… Et pourtant elles le furent toutes ! Chaque mamie a un jour mis des pantalons pattes d’ef, ri à gorge déployée, aimé à en perdre la raison, bu à en tituber et dansé sur des rythmes endiablés ! Et chacune gens qui arrivent dans un grand pays dont ils ne parlent pas la langue et ne maîtrisent pas les us et coutumes. De jeunes gens perdus dans l’immensité et l’hostilité d’un urbanisme en pleine expansion. Un couple qui, de leur maison de campagne, au coeur d’un village où le temps avance seconde par seconde, au rythme du clocher de l’église, se retrouve plongé au milieu de cités dortoirs, de tours, front et armés des premiers outils qu’ils auront pu trouver. Pour lui ce sera un marteau piqueur, pour elle un plumeau. Les voilà prêts à assumer une bataille qui s’annonce rude mais une bataille qu’ils assument parce que cette vie, c’est la leur, c’est celle qu’ils ont choisi. Cela représente déjà une grande part du seul luxe qu’ils s’accordent et sur lequel ils ne feront jamais l’impasse : la dignité ! “Les voilà prêts à assumer une bataille qui s’annonce rude mais une bataille qu’ils assument parce que cette vie c’est la leur, c’est celle qu’ils ont choisi.” des clubbeuses que nous voyons aujourd’hui danser la tectonique en devisant sur la médiocrité de leurs parents seront un jour des grand-mères aimantes et appliquées à faire les meilleures crêpes que le monde eût porté. Il est donc extrêmement difficile d’imaginer de façon concrète l’arrivée de ce couple en terre inconnue. Et pourtant, sur place tout a dû être si concret pour eux. Voilà donc de jeunes 34 de dizaines d’étages qui affichent des milliers de fenêtres s’abattant sur eux comme autant de paires d’yeux, à l’affût de leurs moindres défauts, dont les gens s’empareront bientôt pour les qualifier et les distinguer des autres arrivants… C’est donc en région parisienne qu’ils s’installent, dans la première chambre d’hôtel qui veut bien les accueillir. Une chambre d’hôtel qu’ils paieront piécette par piécette à la sueur de leur Dans cette bataille, les ennemis vont s’avérer nombreux et ne seront pas toujours ceux que l’on croit. Il faut lutter contre une politique de quota qui complique l’accès à l’emploi, il faut lutter contre le Français moyen qui, comme le disait si bien Leluron, n’est pas raciste puisque son chien est noir, mais qui s’indigne tout de même, comme disait Coluche, de ces Portugais qui viennent voler le pain de «leurs » arabes…non mais des fois ! 35 Liliana Azevedo Liliana Azevedo “L’intégration, l’intégration coûte que coûte, c’est en cela que réside le seul graal de ce jeune couple.” Et puis il faut lutter contre les Portugais euxmêmes. La solution de facilité, qui consisterait à se replier dans un communautarisme dangereux et stérile. Rester entre nous uniquement ? Nous aurions pu le faire là-bas ! Cela nous bloquerait dans notre quête d’inté36 gration ! Ce serait, d’une certaine façon, tourner le dos à ce pays… et pourtant lui, il nous a accueillis ! L’équilibre est d’une difficulté herculéenne. Comment trouver un juste milieu entre cette communauté qui est la leur et vers qui ils vont naturellement, et ce pays dans lequel il leur faut, c’est une évidence, s’intégrer à tout prix ? L’intégration, l’intégration coûte que coûte, c’est en cela que réside le seul graal de ce jeune couple qui, respectueux et redevable, sait que quoi qu’on lui fasse subir ici et quelles que soient les nouvelles règles du jeu, il faut s’y plier, car quelques prérogatives qui, me dit-on, régissaient leur comportement quoti- Est-ce possible ? Tout est déjà tellement à la hauteur des rêves que nous “Dire merci, baisser la tête et ne pas faire d’histoires. (...) Il s’agissait simplement d’une réelle humilité.” c’est l’hôte qui annonce le moment de passer à table. L’invité ne se sert pas au frigo, ne met pas les pieds sur la table, dis merci et aide même à débarrasser. Les bases sont simples, elles sont claires. Une nouvelle vie commence. Et si aujourd’hui les choses me paraissent compliquées ou que parfois, à l’écoute de ce périple, il peut m’arriver d’interpréter certaines parts de ce récit avec une réflexion «petit bourgeois» pour eux, à l’époque tout était simplement limpide. Il faut travailler et se réjouir qu’on daigne nous donner un emploi, sourire à la vie, se contenter de ce que l’on a et se donner les moyens si l’on veut plus. Dire merci, baisser la tête et ne pas faire d’histoires. Ne voyez pas d’ironie ou un quelconque second degré dans ces dien. Il s’agissait simplement d’une réelle humilité. Et après tout, cela se comprend. Nous ne blâmons pas aujourd’hui les manifestants qui lutent pour leurs droits, arpentant la place de la république à Paris, des slogans très imaginatifs plein la bouche et des banderoles très créatives plein les bras. Mais à l’inverse, nous ne sommes pas aptes à comprendre et à concevoir que des gens, vivant dans des pays où la terreur fait pleuvoir des bombes sur les enfants de ceux qui prient chaque jour un ciel sourd, aveugle et muet, étaient si heureux de trouver en France, du travail, de l’argent, un système social développé, qu’ils s’en émerveillaient sans jamais demander leur reste. Revendiquer? Se plaindre? Pourquoi donc!? Pour avoir mieux ? nourrissions !! Soyons discrets et profitons autant que faire se peut… Tel était le mot d’ordre. Et c’est ainsi, que le rêve devenant réalité, déversa bientôt de la joie et du bonheur à outrance sur une existence qui se satisfaisait parfaitement de toutes les difficultés. Les clichés et la barrière de la langue devinrent des anecdotes et cela tombait plutôt bien puisqu’il s’agit là d’un faux ami, et que le mot anecdote en portugais signifie : une blague. C’est ainsi que les clichés et les imitations vinrent : « B o n j o u r c h , madamch, échcouzé moi mais jou bien mis lou chat dehors ma maintenon il é froid, y pourcontre lou gâteau dans lou frigo…il est mortch’ » «Votre femme de ménage, on ne comprend absolument rien, c’est désagréable, elle cho37 chotte, elle a un cheveu sur la langue ou quoi ?! » Et hop, tel le divin enfant, le voilà né le cliché des portugais poilus ! De la même façon, on notera l’histoire de cette Portugaise originaire du nord. (D’une région du Portugal où la prononciation est un peu particulière et où, en sonorité, les V remplacent les B et inversement.) L’histoire donc de La vie suivait son cours et le bonheur s’installait peu à peu dans cette nouvelle vie. Mais au milieu de tout ce bonheur, vint se glisser un manque dans l’existence de mes aïeux. Celui d’une famille restée à des milliers de kilomètres dans un monde où le téléphone portable, msn ou facebook n’avaient pas droit de cité. La déchirure reprenait substance s’ils ne sont pas partagés avec leurs enfants et, d’autre part, qu’ils s’éloignent peu à peu de leur plan originel qui faisait de ce passage un moyen et non pas une fin. Venus pour ne passer que quelques années avant de repartir dans leur pays et retrouver leurs enfants, les voilà changeant leur fusil d’épaule et décidant de s’installer ici pour y vivre. Les enfants sont encore “La déchirure reprenait ses droits et la blessure se rouvrait. Une blessure purulente suintant ce qu’on appellera la « saudade »” cette femme qui se promenant dans les allées d’un grand magasin de hi-fi s’arrêta devant une télé pour laquelle elle eut un véritable coup de coeur s’écriant alors à tue tête dans le magasin : «Bite, bite, un bandeur!» Vous aurez compris qu’elle appelait un vendeur et qu’elle espérait que ce dernier vint le plus vite possible… comme la langue est parfois trompeuse! 38 ses droits et la blessure se rouvrait. Une blessure purulente suintant ce qu’on appellera la «saudade», une blessure que l’on pansera à coups de chansons de Linda de Suza, emplies de nostalgie, mais une blessure beaucoup trop profonde qui ne guérira jamais. Mais alors que faire et comment y remédier ? Au moment même où c’est ici que s’inscrivent leurs projets d’avenir, ils réalisent, d’une part, que ces projets n’ont pas de jeunes, ils s’adapteront facilement, ils décideront de les faire venir et de s’installer définitivement en France. Cela nous paraît peu de chose aujourd’hui. mais il faut bien imaginer que ce monde là, celui de la fin des années 60, était beaucoup moins mobile que ne l’est le nôtre, aujourd’hui en 2008. À cette époque, me dit-on, le monde était beaucoup moins connecté, les pays, les nations et les peuples se confondaient et la communication 39 Liliana Azevedo n’était pas du tout ce qu’elle est devenue. Quitter son pays ce n’était pas rien, c’était SON pays, SA patrie que l’on laissait derrière soi, et prendre la décision de s’installer définitivement ailleurs, loin de sa famille, c’était prendre la décision ne les revoir qu’une fois l’an, tout au mieux… n’allez pas vous imaginer qu’ils pensaient à l’époque revoir leur oncle ou dictature, la guerre et la misère, qui n’ayant plus rien que leur famille, veulent tenter le tout pour le tout, pour sauver cette famille et lui offrir un futur loin du passé qu’ils ont eu, mais qui, pour ce faire, doivent couper physiquement les liens qui les unissent à cette famille, laissant leurs enfants derrière eux. Puis, qui arrivent dans un pays étranger où ils doi- comme envie de regarder le monde droit dans les yeux et de lui dire : «ce sont MES grands parents!» les larmes emplissent mes yeux, mais je dois me reprendre, l’histoire continue. 1968 mes parents sont en France. Sous les pavés, derrière les étudiants, là-bas au loin, on voit une petite fille qui rentre de l’école. “Soudain je suis pris de remords ! J’ai comme le sentiment d’avoir été protégé de tout et j’en culpabilise comme si tout à coup je prenais conscience d’un manque de substance, de vécu, de légitimité.” leur tante en webcam ou sur visiophone… c’était grave comme décision ! Et s’ils se trompaient ? Si les enfants ne s’adaptaient pas ? Soudain je suis pris de remords ! J’ai comme le sentiment d’avoir été protégé de tout et j’en culpabilise, comme si, tout à coup, je prenais conscience d’un manque de substance, de vécu, de légitimité. Imaginez ces gens qui ont connu la 40 vent apprendre une nouvelle langue, affronter le regard de l’autre et l’âpreté d’un travail qui, aussi dur soit-il, est salvateur et dont ils sont donc reconnaissant qu’on le leur donne… le respect me gagne, je me fais petit face à eux, et immense face au monde ! J’ai comme envie de leur demander pardon pour toute l’ignorance dont j’ai pu faire preuve et pour tous les caprices que j’ai pu engendrer. J’ai Il s’agit de ma mère. Elle a 10 ans et vit ici depuis maintenant 4 ans. Quatre belles années où elle s’est fait des copines et des copains. Le déracinement a été minime pour elle. A 6 ans, on est encore malléable et finalement pour elle cela s’est passé aussi simplement que pour notre ami Ronaldo, un ballon, des sourires, quelques mois d’adaptation et hop le tour était joué ! (faut-il rappeler que les joueurs Liliana Azevedo de football ont souvent six ans d’âge mental???... tiens, il jongle toujours là, à la télé…) elle vit donc une parfaite petite existence de française, avec de superbes notes… à cette exception près que sa mère et son père parlent portugais à la maison. Et cet autre petit détail, que sa mère est concierge d’un immeuble de Pigalle, ce qui fait d’elle la chouchoute de toutes les prostituées de cette rue. Et oui, ce n’est pas courant d’avoir comme nounou les femmes de joie rondes et rougies par le froid sous les quelques centimètres de tissus qui cachent quelques centimètres de ce qu’elles ne dévoilent jamais, leur coeur, de cette rue mythique du vieux Paris des cartes postales. Soudain, je me retourne pour éviter une matraque de CRS et là, derrière moi, au milieu des étudiants, je vois passer un petit bonhomme qui bouscule Daniel Cohn-Bendit en plein discours et qui fonce chez lui, la tête basse. Il s’agit de mon “Sa mère est concierge d’un immeuble de Pigalle, ce qui fait d’elle la chouchoute de toutes les prostituées de cette rue.” 41 père. Il a 12 ans, il vient d’arriver et parle déjà très bien le français grâce au cours de langue de qualité du collège où il a entamé ses études là-bas au Portugal. Mon père me raconte qu’il a très vite appris à parler un français parfait grâce à ces bonnes bases. Il insiste énormément sur la langue, l’importance de la maîtriser et surtout il me dit cette phrase : « j’ai été français quand j’ai commencé à même soyons le plus intégrés, le plus enracinés possible dans ce pays. Mes parents sont arrivés à ces âges où les liens sont si solides que l’on ne peut les casser, quand bien même à une si longue distance qu’elle nous mène au-delà des frontières. Ils sont arrivés à des âges où l’émigration ne représente pas beaucoup plus qu’un déménagement. Aujourd’hui, adultes, qui ont plusieurs décennies d’avance sur ma génération. Ils sont citoyens du monde ! Riches de multiples cultures et d’une histoire pleine, ils ne veulent pas choisir, et je les comprends, car choisir entre deux c’est abandonner l’un… L’émigration, l’exil, le déracinement, tout me semble plus concret à présent. Je fais un raccourci rapide et conclus “J’ai été français quand j’ai commencé à penser en français. Ça te parle à toi penser en français ? Moi quand j’ai résonné en français j’ai su que j’étais français.” penser en français. Ça te parle à toi penser en français? Moi quand j’ai résonné en français, j’ai su que j’étais français. » Mes parents m’ont toujours parlé en français et non en portugais. Aujourd’hui j’ai la chance de maîtriser les deux langues et je suis riche de cela, mais ce que je comprends de mon éducation à travers cet échange avec mon père, c’est qu’ils se sont battus pour que mes frères et moi42 leurs liens sont forts qu’ils auraient beaucoup de mal à les casser, mais ces liens, ils les ont tissés ici. C’est en retournant au Portugal qu'on les déracinerait à présent, et pourtant, au fond de leurs coeurs, leur âme est restée portugaise. Ne seraitce que parce qu’on le leur rappelle tous les jours. Pas français ? Pas portugais ? Finalement je crois que je les envie et je pense que ce sont eux qui sont dans le vrai et avec mon père que finalement, il ne faut y voir que du positif et se dire qu’ils en sortent riches de cette double culture. Je jette un dernier coup d’oeil à la télévision où Ronaldo ne jongle plus, il sourit. Je quitte la pièce en lançant à mon père que je sais à présent que lui et ma mère sont beaux, fiers, riches et… je l’espère, heureux. Lionel. Turismo de Lisboa 43 44 A tous ceux qui ne savent rien J e ne sais rien de leur histoire. J’ai 42 ans et je suis en France depuis 1971. Novembre 1971. Mon père était arrivé avant. Un an avant. Maria dos Anjos, ma mère, Carlos, mon petit frère et moi avons pris un train. J’avais cinq ans. Carlos peut-être 4, car il est né le 19 novembre 1967. grands-parents. En fait, surtout des bribes d’images, de sons, de senteurs, d’amour et de bonheur. Je ne savais pas que je quittais le Portugal et j’étais avec ma mère, mon frère, pour rejoindre mon père qui était loin. Je ne sais rien et, inconsciemment d’abord, je n’ai rien voulu demander. J’ai entendu des dizaines, en fait des cen- “Je ne sais rien et, inconsciemment d’abord, je n’ai rien voulu demander.” Sommes-nous arrivés à Paris, avant ou après son anniversaire? Où sommes-nous arrivés? À Austerlitz? Je n’ai aucun souvenir du voyage. Je n’ai aucun souvenir de l’arrivée à destination. Je me rappelle de pleins de scènes de la Ville de Guarda, où mes parents travaillaient ; d’Alcains où je suis né ; du petit village de Carregais, posé sur le flanc d’une colline boisée, où ma mère était née et où nous visitions mes taines d’histoires racontées parfois plutôt comme des anecdotes, souvent par des hommes. Soit, à la manière des récits de caserne, ils rigolaient, maintenant, de moments qui avaient été vraiment difficiles, mais dont ils voulaient garder l’image d’un chemin initiatique. Soit ils racontaient, entre émotion et colère, les pires moments d’un périple noir, entre sauvagerie, escroquerie et humiliation, là où la majorité 45 Liliana Azevedo “Je n’ai pas trouvé de document portant les noms de Carlos ou Hermano pour ce voyage et mon premier passeport a été délivré le 22 janvier 1973 par le Consulat du Portugal à Versailles.” de ceux qui étaient encore protégés des bassesses d’une émigration clandestine ont perdu une partie de leur âme, de leurs croyances, de leur insouciance, en enterrant souvent, à 20 ans, leur propre jeunesse. Ces premiers récits, liant scènes de familles au travail des champs ou des fêtes et romarias à des faits de guerre, en Afrique, n’ont pas eu prise sur moi. J’écoutais, 46 comme distrait, et j’entendais sans vouloir approfondir. Je ne posais pas de questions et ne cherchais pas à lier ces histoires à celle de mes parents. J’étais juste conscient de faire partie d’une famille noble et courageuse, qui, comme d’autres familles nobles et courageuses, avait fait un long voyage pour chercher, parfois dans le gris de la région parisienne, quelque chose de mieux que le ciel bleu de la Beira Interior n’avait pas pu leur apporter. Je n’ai pas trouvé de document portant les noms de Carlos ou Hermano pour ce voyage et mon premier passeport a été délivré le 22 janvier 1973 par le Consulat du Portugal à Versailles. C’est celui que mes parents présenteront aux Douanes portugaises de Vilar Formoso, le 8 août suivant, pour ce qui a dû être mon premier retour. “Il en est pour les premiers mois de vie en France comme pour ce voyage que j’imagine préparé dans le secret, je n’ai pas de version officielle.” J’ai retrouvé aussi mon Bulletin Individuel de Santé, délivré à Alcains en 1966, et portant mention de mes vaccinations. La première, le 6 octobre 1966 (anti-variolique). Mais c’est un très vieux et très jauni Certificat International de Vaccination ou de revaccination contre le choléra qui me donne indication des derniers jours passés au Portugal, avec une dernière vaccination reçue sur le sol portugais le 11 novembre 1971. Bizarrement, ce document ouvert pour la première piqûre contre le choléra le 18 octobre 1971, mentionne le village de ma mère, et non la ville de Guarda, comme étant mon adresse. Comme si ma mère ne voulait pas qu’à Guarda, on sache qu’un document international existait et présageait d’un départ éminent. Un document obtenu dans un bourg chez les siens, loin des yeux soupçonneux d’une dictature veule et à bout de souffle, mais suffisamment organisée dans la ville des autres. Il en est pour les premiers mois de vie en France comme pour ce voyage que j’imagine préparé dans le secret, je n’ai pas de version officielle. Je vois les tampons des administrations françaises sur mon vieux certificat de vaccination, avec le sceau de la Mairie ou le tampon d’un hôpital, mais je n’ai que quelques souvenirs du 47 pavillon de domestiques attenant à une grande maison bourgeoise, où ma mère, maîtresse d’école au Portugal, servait, nettoyait, rangeait, déclinait à foison le mot de « sacrifice » tout en animant son mari, tour à tour, dans un même parcours complet de pendule, jardinier dans le jardin des autres, puis nettoyant les beaux immeubles des quartiers huppés - que ses enfants chercheront à habiter plus pres et dégradées. Je me rappelle pourtant de mon école primaire, des journées de fin de semaines passées souvent en compagnie de mes parents dans les entreprises où ils travaillaient en plus, puis à la messe, parfois en forêt ou dans les parcs. Ma mère, en usine, préparant, dans un bruit assourdissant de machines, des millions de kilomètres de caoutchouc pour isolation des vitres des voiture. Mon père, novembre 2008. Mon père a maintenant 65 ans et frappe toujours d’un pas rageur chaque jour que Dieu lui donne, beaucoup à Carregais entre les vignes et les oliviers, dans ce paradis perdu qu’ils ont toujours cultivé ; ma mère aurait eu 69 en janvier, si l’hôpital de Castelo Branco avait eu la bonne idée de la laisser survivre à un mauvais rhume, et est enterrée dans le cimetière tout blanc et paisible de “Mon père, commençant à 4 heures du matin, qui se couchait toujours trop tard pour une nuit toujours trop courte, happé par cette envie irrésistible de lutter pour des jours meilleurs,” tard - avant de finir, en soirée, gestionnaire de stocks à ranger les milliards de tonnes de palettes que les hypermarchés proposaient déjà. Tellement loin de son activité de cadre commercial régional pour un équipementier international basé à Guarda. Loin aussi, les premiers déménagements vers une cité propre et arrangée, mais encerclée par des cités moins pro48 commençant à 4 heures du matin, se couchait toujours trop tard pour une nuit toujours trop courte, happé par cette envie irrésistible de lutter pour des jours meilleurs, souvent pour les autres parce que les associations et les syndicats ont cette posture d’exiger beaucoup de temps à certains et une participation toujours très limitée du plus grand nombre. Trente-sept ans plus tard, nous sommes en Montes da Senhora, sous une dalle noire où pour la première fois les noms de Ribeiro Carrega et Sanches Ruivo se sont retrouvés gravés dans la pierre ; Carlos vient de fêter ses 41 ans, à Shangai, en route pour l’Australie, plein de projet dans la tête et notamment celui de s’installer à Lisbonne, la trop belle sirène couchée au bord du Tage. Nous serons toujours quatre, car aucun des 49 trois qui restent ne peut oublier les trois autres. Une personne ne meurt jamais complètement tant qu’une autre continue de s’en souvenir. Tant qu’une photo, un film, une lettre, un nom, continuent d’être regardés, lus, susurrés. Tant qu’une histoire, parmi les millions de récits possibles de cette migration portugaise des années 70, continuera d’être réécrite, accouchée, toujours dans la douleur, transpirée ou mais elle est poignante. Elle n’est pas avilissante, bien au contraire, mais elle porte trop de sentiments. Elle n’est pas nouvelle, mais n’a jamais été écrite avec les noms que nous portons, entre les villes que nous connaissons, sur les choses qui, jour après jour, ont façonné nos personnalités, à bien ou à mal. J’éprouve une grande tristesse parce que je crois que trop d’ombres, de flou, cachent, en réa- ces ; commencer à ouvrir la porte de cette pièce remplie de toutes les émotions trop longtemps délaissées et qui se vengeront maintenant de la pire des façons, en submergeant tout. Au début, je ne savais pas, comme aucun enfant ne pouvait savoir. Adolescent, je cherchais mes propres marques et, jeune adulte, je travaillais à ma propre tribu. Adulte maintenant, je suis obligé de répondre aux questions de mes “Une personne ne meure jamais complètement tant qu’une autre continue de se souvenir. Tant qu’une photo, un film, une lettre, un nom, continuent d’être regardés, lus, susurrés.” pleurée et rarement donnée sans combat. Alors ce premier témoignage voulait juste montrer que, comme des milliers de fils et de filles, de frères et de soeurs, de cousins et de cousines, je ne connais qu’une infime partie de ce que nos parents ont vécus. Certains sont morts trop tôt, d’autres ne voudront pas tout dire, les derniers ont commencé de parler. L’histoire n’est pas triste, 50 lité, de belles vérités empreintes d’humanisme. Entendre parfois parler de l’histoire de mes parents, qui est un grand bout de la mienne, me fait comprendre que tout n’a pas été dit et que les stéréotypes ont la vie dure. Ainsi j’accepte ce que j’ai toujours refusé jusqu’ici : commencer à poser les vraies questions; commencer à vraiment écouter les réponses ; commencer à en accepter les conséquen- enfants. Je n’y échapperai pas. Je sais que cela va être très dur. J’écris ces lignes depuis presque trois heures et j’ai déjà pleuré plus qu’en douze longs mois. Je m’y suis préparé. C’est dans les gênes de tous les migrants. Et les nôtres migrent depuis que le Portugal existe. Hermano. 51 52 Le Portugal de mon coeur M ême si je ne suis pas né sur les terres lusitaniennes, ma conception je crois... c’était là-bas... Mes parents ont décidé, un beau jour, de retourner dans leur pays natal, et à ce moment-là, c’était bien leur pays et non le mien. J’avais 8 ans, autant dire que pour moi, c’était plus une aventure de Crusoé des temps modernes qu’un défi de la vie ! Cette être la fin de l’histoire est en fait devenu le début d’un chemin sinueux parsemé d’embûches... Mon père s’est mis à son compte, dans le bâtiment (tiens!), il a embauché les jeunes du village en manque de travail. Ma mère, elle, a pris quelques cours de comptabilité et est devenue assistante de luxe... Quant à mon frère et moi –oui j’ai oublié de vous dire que j’ai un frère, quatre ans plus jeune que moi (et 8 cm de moins, mon cher “Mes parents ont décidé, un beau jour, de retourner dans leur pays natal, et à ce moment-là, c’était bien leur pays et non le mien.” aventure a pourtant très mal commencé, elle a même failli s’arrêter un beau matin d’hiver, en Espagne à Bilbao, lorsque qu’un sale c... a grillé un feu et nous est rentré dedans, nous envoyant en tonneaux sur 100 mètres... Ce qui aurait pu frère !!!) – tous les matins, nous avons appris ce qu’est aller à l’école par de beaux chemins décorés par les couleurs des saisons, nous avons appris à réapprendre, car l’éducation nationale portugaise en 1983 était bien différente de 53 celle que nous connaissions en France... Les souvenirs sont mémorables... la sortie de l’école se faisait toujours dans la joie et la bonne humeur, on improvisait des jeux en chemin, tantôt on jouait avec les quelques poules vagabondes, tantôt on suivait à la trace une pauvre fourmi qui emportait des éléments dix fois plus grands qu’elle! la vie était belle... Enfin, en tout cas pour mon frère et moi... Car, deux ans après notre arrivée, c’était de nouveau le départ de NOTRE pays, et pour mes parents, c’était un pilule était dure à avaler, et même nous, aussi jeunes, sentions toute la frustration, la peine et le découragement de nos parents... Après tous ces allers-retours, la vie s’est stabilisée en France, la vie a repris son cours, mes parents ont refait leur vie (chacun de leur côté d’ailleurs, à croire que c’est à la mode). Aujourd’hui mon frère a 24 ans et se prépare à être policier (ça peut toujours servir d’en connaître un !) et moi, à 28 ans, je travaille au sein de la communauté portugaise, avec au fond de moi, une soif de revanche contre le “Après tous ces allers-retours, la vie s’est stabilisée en France, la vie a repris son cours, mes parents ont refait leur vie chacun de leur côté .” départ au goût amer, même s’il ne se faisait pas dans les conditions de celui qu’ils vécurent jeunes “a salto”, bravant des conditions redoutables dans les Pyrénées (en ce qui concerne mon père, il a d’ailleurs perdu un ami en route...), la 54 destin... Qui sait, un jour peut-être je reprendrai le flambeau et irai réussir là où mes parents ont échoué... Car pour eux, l’avenir n’est plus là-bas, mais bien ici... Jean-Philippe. 55 56 Turismo de Portugal / Jose Manuel De Neves à Paris D e Neves à Paris. En voiture, en barque, en train ou encore à pieds. Une aventure qui était loin d'être sûre. Voici l'histoire de cet émigrant de l'année 1970. Américo, un homme de 56 ans, est émigré en France depuis les années 70. En ce temps-là, l'émigration était très contrôlée. Malgré cela, Américo a décidé de tenter sa chance par la voie clandestine. Le passage était risqué, mais qu'importe, à quelques jours de ses 18 ans, il sait ce qui l'attend soldats mourraient. Moi j'ai préféré fuir mon pays, et rester en vie. » Les démarches au Portugal pour les clandestins étaient très difficiles à cause de la PIDE, la police secrète portugaise, qui grâce à quelques personnes, s'informaient en échange d'argent. Tout était non-dit. « J'en ai parlé à mon père et il s'est occupé de tout. Je ne peux te dire comment car je ne sais pas. Je sais juste qu'il a contacté Berto, un homme de notre village et qu'il lui a payé 6 500 escudos pour me faire passer la fron- “Le passage était risqué mais qu'importe, à quelques jours de ses 18 ans, il sait ce qui l'attend s'il reste au pays.” s'il reste au pays. C'est avec ses mots que son histoire commence. «C'était la fin mars, je savais que mes 18 ans approchaient, et par conséquent, je devais aller à l'armée. À cette époque, on était recruté et souvent on finissait par être appelé pour partir en Afrique où beaucoup de tière. » Le voyage payé, il ne reste plus qu'à embarquer et surtout ne pas se faire prendre. « Il devait être 5h ou 5h30 du matin quand mon père m'a emmené dans la forêt pour retrouver Berto. Je suis parti avec lui et un autre homme de mon village. On est arrivé à Neves, un village où 57 “On a roulé pas mal de temps avant d'arriver près d'une forêt, qui ne devait pas être très loin de l'Espagne. Là, la voiture s'est arrêtée sur le bas côté et a attendu. Elle a fait des appels de phare, on lui a répondu.” Berto avait laissé une Peugeot noire. Nous sommes entrés dans la voiture et peu de temps après, deux autres personnes nous ont rejoints. Serrés comme des sardines, la voiture a démarré.» Le voyage commençait enfin. «On a roulé pas mal de temps avant d'arriver près d'une forêt, qui ne devait pas 58 être très loin de l'Espagne je présume. Là, la voiture s'est arrêtée sur le bas côté et a attendu. Elle a fait des appels de phare, on lui a répondu, et nous sommes sortis de la voiture. Toujours dans le silence, un homme est sorti de la forêt et nous a fait signe de le suivre. Nous ne savions pas qui il était ni pourquoi il était là. L'essentiel était qu'il nous emmène à bon port. On a marché pendant quelques minutes, on a gravi la montagne et, en contrebas, il y avait le fleuve et une barque qui nous attendait. Je me rappelle que l'eau était calme et qu'aucun bruit n'était perceptible. Nous avons embarqué, il devait “Quelques minutes plus tard, nous étions de l'autre côté du fleuve. L'aventure en Espagne allait enfin commencer.” y avoir pas moins de 15 personnes dans cette petite barque. Je ne savais pas du tout où nous étions. Je me souviens seulement que j'ai aperçu de fortes lumières, peut-être était-ce la frontière. Quelques minutes plus tard, nous étions de l'autre côté du fleuve.» L'aventure en Espagne allait enfin commencer. « Nous avons marché longtemps, nous avons traversé un chemin de fer, puis des vignes. Nous étions des moutons, nous suivions chaque nouvelle personne que nous rencontrions. Mais, je m'en rappelle bien de ce passage là, car comme j'étais le plus jeune, j'étais un peu paniqué, alors j'essayais de suivre le rythme. Je voulais tellement bien faire qu'en suivant de trop près l'un de ceux qui était avec nous, il m'a écrasé le pied. Quelle douleur j'ai eu. Mais je ne pouvais faire aucun bruit.» L'Espagne, une terre d'accueil. «Nous sommes arrivés sur une petite route au milieu de la forêt, et là, la personne qui nous accompagnait nous a laissés. On se cachait dans la brousse en silence. Puis un homme est apparu, comme toujours d'on ne sait où, et il nous a fait signe de le suivre. Sa stratégie était simple, il marchait 20 mètres devant nous, au cas où. À un moment, il s'est volatilisé, mais n'oubliait pas de nous indiquer de suivre le chemin. Ce chemin qui menait à une gare espagnole. J'étais le plus jeune du groupe, je ne me suis occupé de rien, je sais juste que quelqu'un a acheté les billets à la gare. Ceux qui étaient de chez moi, s'occupaient de moi. D'ailleurs, il se produisit une chose étrange, pendant que nous attendions le train, l'homme qui nous avait accompagné jusqu'à la gare est passé et nous a compté, nous, évidemment, nous faisions mine de ne pas le regarder. Cela toujours dans le silence. » La voie royale pour la France s'ouvrait. « On est rentré dans le train. On s'est installés, puis on a essayé de dormir malgré les secousses, car le chemin était plutôt détérioré. Les uns contre les autres, on essayait de dormir pendant le long chemin jusqu'à Hendaye.» La porte de la frontière française n'était plus qu'une étape sur le long chemin de la liberté. « Arrivés à Hendaye, c'était chacun pour sa pomme. Toujours avec le groupe de mon village, on s'entre-aidait. Un premier a passé le grillage qui séparait l'Espagne de la France. Puis l'un d'un côté et un autre de l'autre, ils m'ont aidés à basculer en France. Enfin en France, nous avons retrouvé Berto. Il nous a acheté les billets pour pouvoir aller à Paris. Et c'est là que j'ai vu le plus terrible de mes souvenirs. Une femme, complètement blanche, accroupie dans 59 un coin. Je l'ai regardé, mais évidemment je ne pouvais rien faire, nous étions terrifiés, nous n'arrivions même pas à parler, de peur d'être pris. Cette femme, je m'en souviendrais toute ma vie. Elle était là, avec ses jambes recouvertes de sang jusqu'à ses bottes. Je voyais déjà du sang séché par le froid qu'il faisait. Elle était si pâle, pleine de sang. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue. On devait partir aussi vu le reflet de la lumière sur l'eau. Je ne sais pas où nous étions, mais cela ne devait pas être loin de la Seine. Nous avons frappé à sa porte, il n'était pas là, mais son beau-frère nous a ouvert la porte. Là, il nous a montré un lit, et on a dormi tous ensemble dedans. C'était déjà bien plus confortable que ce qu'on avait eu jusqu'alors. » L'aventure se terminait. « Le matin, ils nous ont donné un heur d'arriver en France. Au Portugal, j'ai commencé à travailler à l'âge de 13 ans et je gagnais 7 escudos par heure. Après sur les chantiers portugais, je gagnais 48 escudos par jour. C'était déjà bien pour l'époque. Le plus terrible à ce moment là, c'était de garder le secret jusqu'au dernier moment. Il y avait une personne qui dans mon village me disait toujours que je n'allais pas tarder à partir en France. Mais “Une femme, complètement blanche, accroupie dans un coin. Je l'ai regardé mais évidemment je ne pouvais rien faire, nous étions terrifiés, nous n'arrivions même pas à parler, de peur d'être pris.” et on n'avait pas le temps de porter assistance à quelqu'un. Je ne suis pas médecin, mais mon impression, c'est qu'elle avait une hémorragie. » La capitale française était enfin à portée de vue. « On a pris le train jusqu'à Paris, Gare d'Austerlitz. Puis on est monté dans un taxi, et on lui a indiqué l'adresse de Berto à Paris. Quand nous sommes arrivés chez lui, j'ai remarqué que c'était un grand immeuble et j'ai 60 petit déjeuner, et après, chacun est parti de son côté. Le groupe se séparait enfin. Berto m'a accompagné jusque chez mon frère qui habitait en France.» Une nouvelle vie commençait. « J'ai eu la chance qu'on m'aide à trouver un travail. À l'époque c'était essentiel. Si tu avais un contrat de travail, tu pouvais prétendre à la carte de séjour. » Une aventure dont il se souviendra pour toujours. « Pour moi, c'était le bon- moi je démentais toujours. Si on découvrait mes intentions, je n'aurais jamais pu partir. » Aujourd'hui, Américo revoit sa situation dans celle des Africains. « Nos passeurs étaient comme ceux qui exercent en Afrique. Tu payes et après tu vois s'il est sérieux et s'il t'aide vraiment. » Quant à ses parents, Américo sait qu'ils étaient contents pour lui. « Ils voulaient que je sorte du pays, car “Sa vie est en France, et cela grâce à 6 500 escudos et à deux jours de chemin à travers le Portugal, l'Espagne et la France.” ils savaient que si je restais, je serais parti en Afrique. Ils voulaient que je vive heureux, même si cela devait m'emmener en France. » Liliana Azevedo Américo ne regrette pas son choix, il a été, et est encore aujourd'hui, heureux en France. Le Portugal pour lui, c'est surtout les vacances et le moment de revoir la famille. Près de la retraite, il n'est pas du tout prêt à repartir. Sa vie est en France, et cela grâce à 6 500 escudos et à deux jours de chemin à travers le Portugal, l'Espagne et la France. En cette fin du mois de mars de 1970, à quelques jours de son 18ème anniversaire qui est en début avril. Quelques jours avant d'être appelé à aller au service militaire, qui ne réjouissait personne à l'époque. Marco. 61 62 Turismo de Lisboa Lettre à mon Pays Natal J e te salue Portugal, Au nom de tous ceux qui un jour ont dû partir. Je te salue Portugal, Dans la langue de Molière, Puisqu’elle épouse chaque jour Dans ma vie celle de Camões. Je ne me présente pas, Car tu me connais, mieux Et pourquoi cette obsession De résister à toutes les tempêtes de la vie ? Et pourquoi cette obstination tenace De réussir coûte que coûte ? Parce qu’un de tes enfants, Portugal ! Est plus qu’un navigateur Accroché à son gouvernail, comme le marin Du jolie poème Un Portugais à l’étranger c’est toi tout entier. que personne. Je suis faite de ta curiosité, De ton désir d’aventure, De ton ambition Et pourquoi pas De ton arrogance Et de ton défi. Un Portugais est un peu de tout cela, En quantité suffisante pour aller Au-delà de tes frontières, Et pouvoir se réjouir de la « saudade » Et pouvoir sourire face à l’adversité. «Mostrengo» de Fernando Pessoa. Un Portugais à l’étranger c’est toi toute entier. Voici la raison De mon salue journalier. Voici la raison De me sentir avec toi à l’étranger. Et cette douce «saudade» Me berce chaque fois que je m’endors Et m’encourage à chaque réveil. Maria. 63 64 Liliana Azevedo ci je ne suis pas vraiment française, Là-bas, je suis fille d’émigré. J’ai appris le portugais, j’ai lu les livres Etudié l’histoire, la géographie Afin que personne ne remarque la différence… I Chaque année des indélébile… Pour panser l’absence, un seul baume : je me rassasie De saveurs et d’odeurs de là-bas. Je lis des vers et écoute Des mots chantés dans la langue de mon Père. Je voudrais dire aux portugais de là-bas : Et à l’heure de repartir : la déchirure. vacances inoubliables. Ma montagne rude et abrupt comme les gens qui l’habitent. Les soirs, le ciel est parsemé et illuminé d’étoiles Et dans le fond, concert de grillons et sérénade de grenouilles Et à l’heure de repartir : la déchirure. J’ai entendu chanter maintes fois «a saudade», Elle habite mon coeur, elle se nourrit de mes douleurs, De mes déceptions…et ce manque, ce souvenir Mes parents ne sont pas incultes, ils ont fui pour se Nourrir et pour ne pas mourir. Pour offrir, un meilleur Futur à leurs enfants, loin de la dictature et des tyrans. Je suis née ici, je suis riche de deux cultures, c’est une chance… Mais je continue malgré tout à être perdue… Au Portugal, je ne veux plus être étiquetée : « fille d’émigré » !!! Marie. 65 66 Mes grands-parents sont des héros, en quelque sorte.... N ovembre 2008 Je m'appelle MarieHélène, j'ai 22 ans. Ma mère est française, originaire de Champagne. Mon père est portugais, d'un village du centre du pays : Mira de Aire. Mes parents sont famille est réunie autour da braseira, bassine en métal dans laquelle on mettait des braises pour se réchauffer. Le chef de la famille – mon grandpère – vient leur dire au revoir. À ce moment, mon père ne comprend pas ce qui se passe, mais devine qu'ils ne se verront pas “Il y a 25 ans, mon père avait 22 ans et pour lui ça n’a pas été aussi facile.” séparés, je vis avec ma mère et mon beau-père, «à francesa». Avoir 22 ans au 21ème siècle, franchement, c'est pas trop dur. On a toute la vie devant soi et des soucis pas si dramatiques que ça. Il y a 25 ans, mon père avait 22 ans et pour lui ça n'a pas été aussi facile. Flashback En 1961, mon père naît na Rua da Escola Velha à Mira de Aire. Il a un frère qui a 9 ans de plus que lui. En février 1964, mon père n'a que 3 ans. Un soir, toute la pendant un long moment. Je resterai toujours admirative face à ce courage. Ils sont partis de rien, tenter leur chance dans un nouveau pays sur lequel ils ne savent rien, dont ils ne parlent pas la langue non plus. Comme si, tout tenter pour améliorer leurs conditions de vie était leur devoir de chefs de famille. Ils sont tout un groupe à «tenter l'aventure» : rejoindre, à pied, avec des passeurs, la France. Pendant des semaines, ils marcheront, se cacheront, ne mangeront pas à leur faim… J'ai appris 67 que mon grand-père a travaillé comme bûcheron dans le Var, avant de rejoindre Champigny. Pendant quelques années, d'un coté, ma grand-mère élevait seule ses deux garçons, d'un autre coté, mon grandpère travaillait à longueur de journée, dormait dans des bidonvilles et économisait le moindre sou pour sa famille. Mira de Aire est une petite ville dans le centre du pays et j'ai toujours pensé que peu de personnes étaient parties tenter leur chance à l'étranger. Après tout, la plupart de mes amis portugais, ici, viennent du nord du Portugal. Mon père me contredit : « Il y a eu et il y a encore énormément d'émigrants à Mira de Aire, en France, en Allemagne, au Brésil, aux États-Unis, au Venezuela etc. » Décidément, je n'imaginais pas tout ça… Il continue à racon- ter… De temps en temps, son père rentrait à la maison, au Portugal : un été, pour faire installer l'eau et l'électricité, une fois pour Noël, une autre fois avec une mini-télé en noir et blanc. Grâce à son travail, la famille de mon grand-père devenait aisée. «Je me rappelle qu'une année, [mon père] a eu un accident au travail et il a pu venir passer Noël avec nous. Il m'a ramené une petite voiture Postais de João Vieira, Mira de Aire “Mon grand-père travaillait à longueur de journée, dormait dans des bidonvilles et économisait le moindre sou pour sa famille.” 68 Postais de João Vieira, Mira de Aire de pompier, du style «Majorette». Tu n'imagines pas pendant combien de temps j'ai gardé cette voiturette ; je n'avais jamais reçu de cadeaux pour Noël avant. C'était ça mon enfance. Du jour au lendemain, on m'a envoyé en France.» 1971 Mon oncle a 19 ans, il doit faire son service militaire, en Guinée Bissau. Une autre histoire, pas belle non plus je pense. Mon père a 10 ans et c'est décidé, sa mère et lui partent en France rejoindre son père. Et les premières difficultés arrivent. Alors que ma grand-mère obtient facilement un passeport et peut voyager sans pro- blème, celui de mon père lui est refusé. On finira par leur faire comprendre que c'est pour des raisons militaires. Raisons militaires? À 10 ans? Je l'interroge. «Les autorités ne laissaient pas partir les garçons, même de 10 ans, car ils avaient besoin de monde pour les guerres coloniales.» “C’est donc clandestinement que mon père rejoindra la France, comme son père quelques années auparavant.” 69 C'est donc clandestinement que mon père rejoindra la France, comme son père quelques années auparavant. Le voyage Il part avec un passeur. Le voyage se fait en train jusqu'à la frontière. Mon père me raconte qu'ils doivent descendre du train un peu avant d'arriver à Vilar Formoso, pour éviter les contrôles. Pour traverser la frontière, il se mélange à un et leurs enfants et d'autres personnes encore pendant quelques semaines. Après, ils emménagent dans un pavillon de Champigny sur Marne, où vivaient déjà trois autres hommes, puis dans un autre appartement « délabré ». Pendant des années, mon grand-père travaillait sur les chantiers, ma grand-mère faisait des ménages, mon père allait à l'école et, petit à petit, ils ont construit leur vie sont aujourd'hui encore. Mais finalement, mon père n'a pas été privé, comme je l'aurais imaginer. Pour avoir un peu d'argent de poche, comme les copains, il a commencé à travailler très tôt. D'abord, en servant dans des cafés, les clients portugais qui partaient travailler. A cette époque, ses patrons l'emmenaient en vacances au ski, à la mer etc. «Les loisirs, je n'ai pas à me plaindre. Les grands- “Mes grands-parents n’ont jamais eu de loisirs. Ils ont 84 ans et je suis sûre qu’ils ne sont jamais allés au cinéma.” troupeau de moutons, sans oublier de donner une pièce au berger, pour qu'il retienne les bêtes. Une fois en Espagne, ils prennent de nouveau le train jusqu'à la frontière. Cette fois, c'est cachés sous les trains qu'ils passent la frontière. Une fois arrivés au 21 Rue Paul Sangnier, à Villiers sur Marne, ils appellent ma grand-mère qui les rejoint en train deux ou trois jours après. En France Arrivés en France, ils ont partagé une maison avec un oncle, sa femme 70 ici, sûrement sans s'en apercevoir. En même temps, ils faisaient bâtir une maison au Portugal, qui a d'abord servi à mon oncle, puis à mes grands-parents quand ils y sont retournés, à l'âge de la retraite. Curieuse, je demande à mon père quel rapport il avait avec l'argent, en m'attendant à une réponse classique comme « chaque sous comptait, on se serrait la ceinture, mes parents étaient très stricts, etc. ». En fait, non. Certes, mes grands-parents étaient plutôt économes et le parents n'en ont jamais eu, par contre. Ils ont 84 ans et je suis sûr qu'ils ne sont jamais allés au cinéma.». J'en suis persuadée aussi. Anecdotes Avec le recul, je me rends compte que les seules fois où mon grandpère m'a parlé de sa vie en France, c'était pour me raconter des anecdotes. Des problèmes de compréhension dus à la barrière de la langue, des souvenirs de collègues, etc. Mais finalement, il ne m'a jamais parlé de tout 71 Postais de João Vieira, Mira de Aire “Et vous, vous saviez que dans les années 60’, un groupe de portugais a réclamé l’indépendance du bidonville de Champigny sur Marne?” ça, le voyage, le travail en France, les conditions de vie... Par pudeur ? Je demande à mon père de me raconter des anecdotes, des faits qui l'ont marqué. Et vous, vous saviez que dans les années 60, un groupe de Portugais a réclamé l'indépendance du bidonville de Champigny sur Marne? Déclaré territoire portugais, ils contrôlaient les 72 entrées et les sorties et y avaient symboliquement planté un drapeau portugais au milieu. Aujourd'hui, cette histoire peut faire sourire, mais je la trouve importante ; elle montre leur persévérance et leur rage. Une autre anecdote me revient. Mon père me l'avait racontée il y a longtemps. Au moment de faire ses papiers français, à la sous-préfecture de Rosny sous Bois (93), une salariée propose à mon père de franciser son nom, pour qu'il s'intègre plus facilement. Vieira aurait pu devenir Vicira. Évidemment, il a refusé, mais… Avec le temps J'espère que mon grand-père est fier de lui, de ce qu'il a fait de sa vie. Il est parti de rien et, en “Au moment de faire ses papiers français, à la sous-préfecture, une salariée propose à mon père de franciser son nom. Vieira aurait pu devenir Vicira. Évidemment, il a refusé, mais…” pas lancé d'entreprise ou autre, mais ils ont réussi, à leur manière. Mes grands-parents sont retournés vivre au Portugal quand ils ont été en âge de prendre leur retraite. Moi, je venais de naître. Je me rappelle qu'étant petite, ils venaient me chercher à Paris pour m'emmener passer les vacances au Portugal. Et même si aujourd'hui, ils ne reviennent plus en France, ils s'en souviennent encore. Des personnes qui leur ont donné du travail ou un toit au début, des collègues, de certains lieux Postais de João Vieira, Mira de Aire quelques années, il a réussi à changer la situation de sa famille, à faire venir sa femme et son fils en France, à ses cotés, à trouver du travail pour l'une et une école pour l'autre. À leur offrir une vie meilleure. Ils ne sont pas devenus millionnaires, n'ont 73 Postais de João Vieira, Mira de Aire “Mais le plus marquant c’est ce devoir de transmettre ce témoignage au reste de ma famille, qu’elle soit portugaise ou française que je ressens à présent.” où ils ont vécus, des Italiens, des Français ou des Espagnols qu'ils ont rencontrés, etc. Il y a un mois encore, je ne connaissais pas toute leur histoire, je n'en avais qu'une vague idée. Pour pouvoir rapporter ce témoignage, j'ai demandé à mon père, qui vit maintenant au Brésil, de me raconter son histoire et 74 celle de mes grandsparents. À force de lire et de relire les messages qu'il m'a laissés, de lui poser des questions, d'imaginer ces bouts de gens traverser deux, trois, voire quatre ou cinq pays, sans aucune garantie de réussite, j'ai l'impression de la connaître par coeur maintenant. Mais, le plus mar- quant c'est ce devoir, de transmettre ce témoignage au reste de ma famille, qu'elle soit portugaise ou française, que je ressens à présent. Et surtout, beaucoup d'émotion, de fierté. Mes grands-parents sont des héros, en quelque sorte… Marie-Hélène. 75 Postais de João Vieira, Mira de Aire Le saut vers l’inconnu L es histoires de l'émigration de nos grandsparents et de nos parents se ressemblent un peu toutes, du moins les raisons de ce départ sont similaires, ou presque. Echapper à un service militaire trop long, offrir une meilleure vie aux siens, partir à la recherche de «El dourado» tant espéré. C'est aussi et surtout un drame personnel, un déchirement, une cassure, une séparation familiale, linguistique, patriotique, car les hommes partaient souvent seuls en «explorateurs», « tâter le famille, celle de mes grands-parents, commence dans un village situé dans les montagnes, à la frontière, entre deux régions agricoles, celle de «Beira Alta » et celle de «Trás-os-Montes». Cette région est surtout agricole, huile d'olive, fromage, amandes et vin - notamment grâce au développement des nombreuses plantations de raisins de vin de Porto - rythment les saisons et sont abondamment récoltés. Le travail y est donc saisonnier et les retombées d'argents irréguliè- “L’histoire de ma famille commence dans un village situé dans les montagnes, à la frontière entre deux régions agricoles celle de Beira Alta et Trásos-Montes.” terrain», trouver du travail pour ensuite faire venir leur famille. L'histoire 76 de ma res, les personnes vivent, pour la plupart, au jour le jour grâce notamment à un jardin potager qu'elles cultivent quotidiennement. Liliana Azevedo “Il partit donc à la fin de l’été 1969, quittant sa famille, son village, son pays pour une destinée inconnue avec pour seul bagage un sac.” Après les travaux agricoles, la grande distraction des hommes est de se retrouver entre eux dans une «tasca» (bar du village), où ils s'abreuvent de vin jusqu'au soir, les femmes restent à la maison avec les enfants, s'occupent des quelques animaux domestiques et préparent le repas. Mon grand-père a émigré de façon tardive, vers la fin des années 60, en 1969 plus exactement, après avoir été encouragé par des hommes du village, et la famille, qui se trouvaient déjà en France. Mon grand-père est donc parti, accompagné de son beau-frère, qui se trouvait déjà à Parthenay (dans les Deux-Sèvres), où il travaillait en tant qu'ouvrier dans une usine de confection de brique. Mon grand-père décida d'émigrer non pour s'enrichir, mais pour améliorer la vie quotidienne des siens, faire quelques aménagements dans la maison - qui était étroite pour 5 personnes, quelques poules et un âne - et peutêtre un jour avoir de l'argent en banque et ne pas se contenter de quelques maigres économies, 77 cachées sous un matelas de paille. Il est donc parti à la fin de l'été 1969, quittant sa famille, son village, son pays, pour une destinée inconnue, avec pour seul bagage, un sac, comme celui qui servait à la récolte des olives, avec ses vêtements à l'intérieur et un petit baluchon contenant du pain et un morceau de fromage. Nous sommes originai- res de «Almendra», un village situé à 50km de la frontière espagnole de «Vilar Formoso». Mon grand-père, accompagné de mon oncle, monta dans une camionnette jusqu'à la frontière, où ils furent déposés à quelques kilomètres du barrage frontalier entre l'Espagne et le Portugal et où ils attendirent la tombée de la nuit pour passer la frontière par les petites montagnes environnantes. Une fois en Espagne, il fallait se rendre à la ville espagnole la plus proche «Ciudad de Rodrigo», située à une quinzaine de kilomètres de «Vilar à Formoso», afin de prendre le train jusqu'à Hendaye. Toujours avec cette peur au ventre de se faire prendre et de devoir rebrousser chemin et certainement être puni par les autorités portugaises, mon grand-père a dû se sentir bien seul dans la nuit espagnole marchant à tra- Liliana Azevedo “Le voyage fut long, la traversée de l’Espagne périlleuse, jouant à cache à cache avec les contrôleurs, épuisé, affamé, le voyage lui parut une éternité.” 78 79 Turismo de Portugal / Pedro Aboim Turismo de Portugal / Antonio Sacchetti “Mon grand-père restera en France jusqu’en 1981, année au cours de laquelle, un tragique accident a fait éclaté la famille.” vers champs. Une fois dans le train, les deux compères étaient aux aguets, car ils circulaient illégalement, clandestinement, sans billets de train, ni papiers. Le voyage fut long, la traversée de l'Espagne périlleuse, jouant à cache à cache avec les «contrôleurs». Épuisé, affamé, le voyage lui parut une éternité. Arrivés à Hendaye, ils descendirent du train, les 80 douaniers français avaient installé un barrage frontalier à l'intérieur de la gare et ils devaient le contourner s'ils souhaitaient prendre un 2ème train qui leur permettrait de relier Hendaye à Poitiers. Grâce à bien des astuces et, il est vrai, à une certaine expérience de son beaufrère, mon grand-père traversa la voie ferrée, loin des gardes frontières, et passa dans un trou de souris. Les clandestins avaient arraché discrète- ment un bout de clôture, arrivaient à s'engouffrer à travers cette dernière, et à se retrouver ainsi en France. Ils arrivèrent à temps pour prendre le 2ème train qui leur permettrait d'arriver enfin à destination. Le voyage fut long et fastidieux, deux jours de fatigue, avec pour seul repas, un bout de pain et du fromage, mais au-delà de la souffrance physique, la souffrance psychologi- “Régulièrement il envoyait de l’agent à ma grand-mère restée au Portugal.” que était encore plus forte, car sa famille et ses repères lui manquaient terriblement. Il se trouva ainsi projeté de plein fouet dans un pays inconnu. Turismo de Lisboa Mon grand-père, à son arrivée, travailla dans l'usine de briques, où il partagea pendant un an, une petite maison sans eau, ni électricité avec cinq portugais, tous venus dans les mêmes condi- tions. Régulièrement, il envoyait de l'argent à ma grand-mère, restée au Portugal, mais contrairement à beaucoup, mon grand-père, lorsqu'il arriva à «Almendra», l'été 1970, ne supporta plus l'idée de repartir seul et embarqua dès lors toute sa petite famille dans ce périple douloureux. De retour cet été-là, après une année de séparation, mon grand- père réapparut avec, pour valise, le même sac rempli de vêtements sales, dans un état pitoyable, ce qui traduisait les souffrances vécues au quotidien par ces émigrés. A la fin de l'été, mon grand-père partit avec sa femme et ses 3 enfants sous le bras de la même façon qu'une année plus tôt, il avait quitté son village. Cette fois, le voyage 81 fut moins pénible que le précédent, car il était entouré par ceux qu'il aimait tant. Ils ne se sont pas installés dans les Deux-Sèvres, mais dans le Loir et Cher où mon grand-père travaillait comme saisonnier et ma grand-mère avait trouvé du travail dans une cantine, à faire le ménage, et où le propriétaire les logeaient et les nourrissaient. Mon grand-père restera en France jusqu'en 1981, année au cours de laquelle, un tragique accident a fait éclaté la famille. Lui, qui souhaitait tant ne plus être jamais séparé des siens, s'est retrouvé, bien malgré lui, loin d'eux à tout jamais. Il ne verra jamais les travaux entrepris dans sa maison, la récompense de son dur labeur, mais il nous appris une chose : ne jamais avoir honte de nos origines et toujours se souvenir de nos racines. Nathalie. Turismo de Portugal / TURIHAB - Solares de Portugal “il nous appris une chose, de ne jamais avoir honte de nos origines et de toujours se souvenir de nos racines.” 82 Liliana Azevedo 83 Histoire C esaltina Vicencio est née le 30 juin 1949 dans un petit terrain de campagne au Portugal appelé Monte da Preguiça. Cette femme, pleine de force et de courage, a eu une vie très dure. Depuis son enfance, sa vie n’a été faite que de pauvreté et misère. Elle perdit sa maman à l'âge de 5 ans. Et resta seule au monde, car son père l'ignorait. Cette petite fille a d’une petite fille. des vaccins étaient prévus à l'école, cette petite fille prit son âne et s'enfuit. Une autre fois, elle s'enfuit de la maison, car elle voulait mourir et elle est restée cachée, sans boire ni manger. Avec la chaleur, elle changea d'avis et alla dans un champs voler des concombres pour s’ôter la soif. Le propriétaire du champ l’aperçut, la petite fille savait que quelqu'un l'observait, elle commença à courir au milieu des champs. Toute sa famille était à sa recher- qui voudraient bien la prendre travailler chez eux. Après de nombreuses recherches, ici et là, cette petite fille trouva enfin du travail. Les temps étaient durs et l'agriculture lui semblait difficile. Son travail consistait à récolter et à semer des pommes de terre, des tomates... Elle y est restée jusqu'à l'âge de 18 ans. Lorsqu’elle eu 10 ans, elle retourna chez son père, pour lui donner l'argent qu’elle avait gagné. Ce fut là qu'elle ren- “Depuis son enfance, sa vie n’a été faite que de pauvreté et misère. “ commencé à travailler à la maison, à faire ses propres vêtements. Elle s'occupait seule d'une maison, elle avait alors à peine 5 ans. Son père n’était pas souvent là, car il travaillait dans la vente de poisson. Cette petite fille allait à l'école, mais à l’époque, ce n'était pas comme maintenant. Elle allait à l'école sur le dos d'un bourricot. Un jour où 84 che, le propriétaire la reconnut. Son père, qui avait pourtant un coeur de pierre, pleurait toutes les larmes de son corps pour retrouver sa petite fille. À l'âge de 7 ans, elle décida d’aller trouver du travail. Elle prit sa petite sacoche, qu’elle avait faite elle-même, et partit. Elle alla en Algarve à la recherche d’agriculteurs contra son amoureux, qui deviendra plus tard son mari. En 1969, elle resta seule car il partit en France avec d’autres personnes. Ils sont partis à pied, ont monté et descendu des barrières pour échapper aux policiers, et à la PIDE. Avant la révolution du 25 avril, beaucoup de gens sont partis, ils voulaient avoir une nouvelle vie. Ils payaient des passeurs pour pouvoir passer les frontières. Quelques mois plus tard, la jeune fille partit aussi. Elle partit à pied. Elle rejoint Bourges, où elle trouva un travail. Elle ne parlait pas français. Elle y signa son premier contrat. Son patron ne la payait pas beaucoup, mais lui Plus tard, ils sont repartis au Portugal, pour se marier. Puis ils reviendront à Paris, où ils resteront 10 ans, Cependant, pour des questions de santé, ils repartiront au Portugal. Ils avaient un rêve, avoir un enfant. Ils ont essayé, de nombreuses fois, en vain. Ils ont alors rage, a eu un petit problème de santé, un petit noyau au sein. Plus tard, elle découvrit un kyste à la tête et un petit problème de coeur. Pour le moment ce n'est pas grave, mais avec ces choses-là, on n’est jamais assez prudents. Cette femme, de petite taille, a une force incroyable pour surmonter tout ça. Elle a été accueillie en France comme si c’était son pays. Les français et les française l'ont bien accueillie, ils ont été et sont très gentils avec elle, ils lui ont ouvert leur coeur. Elle a une chance incroyable, depuis 15 ans qu’elle travaille chez sa patronne ; une patronne 5 étoiles. Plus qu'une “Plus tard, ils sont repartis au Portugal, pour se marier. “ offrait le logement, et elle gagnait sa vie avec les pourboires. Son amoureux était dans le Cantal, où il travaillait dans une ferme. Une fois son contrat terminé, il est allé à Paris où elle le rejoint. Arrivée à Paris, elle chercha immédiatement du travail. Partout où elle allait, elle avait cette chance de trouver facilement du travail, car elle savait tout faire. fait un magnifique geste d'amour en adoptant une petite fille de 11 jours. Leur fille a eu un accident au Portugal et comme les médecins au Portugal ne pouvait la guérir, nous sommes revenus en France en 1992 ; retour à la case de départ. Cela fait maintenant 15 ans que nous vivons à Paris. Un jour, cette maman, pleine de forces et de cou- patronne une mère, une fille, une soeur. Maman adore la France et la France lui a apporté beaucoup. Mais elle n'oubliera pas ses origines portugaises, même avec la distance, loin des yeux mais près du coeur malgré tout. Ses origines, elle en est fière. Silvia. 85 Témoignage d’une luso-descendante Christian Schu entre ici et là-bas, Entre superstitions, histoires de religion Et rêve de tutu blanc …SAUDADE ... C’est avec ce texte que démarre mon spectacle en solo intitulé « SÓ », car j’ai eu la chance de réaliser mon rêve : devenir danseuse. J’y raconte les rêves de petite fille et les désenchantements qui ont fait partie de mon parcours… …Quand une enfant réclame de faire de la danse et que le père qui a seul le droit de décision “Que se passe t -il dans la tête d’un jeune homme de 28 ans à peine, père de 2 fillettes, qui un beau matin de l’année 1967, du jour au lendemain décide de tenter sa chance en passant de “l’autre côté”.” es parents sont nés làbas, Moi je suis née ici, Mes soeurs sont nées làbas, elles ont grandi ici, Moi aussi. La danse m’a été donnée M 86 dans le foyer tranche pour un non catégorique, qu’il faudra attendre le clash d’un divorce demandé par la mère qui se devait de remplir son rôle de femme au foyer, cette jeune fille qui n’est 87 Christian Schu 88 Christian Schu plus une enfant tente de comprendre : Pourquoi ? Comment ? Quand ? Et c’est là que toute la richesse des origines va pouvoir se révéler, mais avant de pouvoir l’incorporer, il faudra accepter le poids d’une éducation pas toujours facile. Si je remonte dans le temps, je peux me demander ce qui se passe dans la tête d’un jeune homme de 28 ans à peine, père de 2 fillettes, qui un beau matin de Nasci a 4 de Dezembro de 1969, Num inverno muito frio, com muita neve, Às 18h40, pesava 2.700kg, não é muito, pois não? A minha mãe conta Que o meu pai quando veume ver a primeira vez, Caiu da mobilette, havia tanta neve ! A minha mãe conta Que o bebé nasceu com os olhos todos encarnados, A minha mãe conta Que o seu cabelo era douradinho como a sua aliança, mais une caravane où allait vivre la famille pour quelques mois. Il y avait plein de portugais dans cet endroit et quelques personnes que mon père connaissait. De fil en aiguille, mon père a réussi à trouver de riches patrons où il restera jusqu’à sa retraite. Il bosse, il ramène de l’argent à la maison, et 6 ans après il peut même acheter une maison avec un jardin ! Tout a l’air d’aller sauf que ma soeur aînée “Que la ville où je suis née c’est Versailles, et ma première maison ce n’était pas un château mais une caravane où allait vivre la famille pour quelques mois.” l’année 1967, du jour au lendemain décide de tenter sa chance en passant de «l’autre côté», prêt à affronter le froid, la faim, la peur…tenter sa chance pour un meilleur avenir, motivé par l’argent qu’il va pouvoir gagner pour faire «mieux vivre» sa famille…En faisant quoi ? Des petits boulots de maçon bien sûr ! Eh oui, c’est ainsi que la 3ème des filles, c'est-à-dire moi, est conçue et mise au monde: A minha mãe conta tanta coisa… A minha mãe conta Que desde as primeiras horas, já punha o cuzito para cima assim, Assim e caia, A minha mãe conta Que levantava a cabeça e que a deixava cair assim, O que é que eu posso contar mais ? Que la ville où je suis née c’est Versailles, et ma première maison ce n’était pas un château qui est adolescente aspire à une vie de jeune fille comme celle de ses copines qui ont le droit de sortir et de s’amuser. Chez nous, l’amusement n’est pas un critère pour l’éducation. Mais les critères de notre éducation semblent être d’une autre génération pour les enfants que nous sommes. N’oublions pas que nos parents sont arrivés dans un pays où ils ont été déracinés, ils ne parlent pas la langue au 89 départ, ils apprennent le français au fur et à mesure, sur le terrain, leur niveau scolaire ne leur permet pas de s’intégrer aussi facilement que nous le faisons aujourd’hui quand nous voyageons ou allons travailler à l’étranger. Ils ramènent leur culture en France et nous, les enfants, sommes en totale rupture face à toutes ces valeurs. soeur aînée se marie à 15 jours de ses 16 ans pour échapper à l’autorité parentale et mon autre soeur se retrouve sur le marché du travail dés sa majorité. Finalement ma mère finira par tirer les conclusions de ce qu’est une femme libérée à la française en demandant le divorce ! Que cherchons-nous dans la vie ? Que gagnet-on? Que perdons-nous? Portugal et quand je suis au Portugal, je peux parler de la vie en France. Que dire de plus sur le pays de mes parents ? Que j’aime profondément ce pays, j’aime parler ma langue maternelle, celle qui m’a bercée quand j’étais dans les bras de ma mère. J’aime ce pays où j’ai passé tous mes étés, où j’ai connu toute ma famille : mes grands parents, mes oncles, mes “Mon expérience est unique car je suis à mon tour ‘passeur’ de cette double culture qui est d’autant plus riche qu’elle est intéressante.” L’éducation laïque de l’école que nous recevons nous éloigne de ce que nos parents veulent inscrire en nous. C’est ce que je nomme le choc des cultures ! A 13 de Maio na Cova de Iria, Apareceu brilhando a virgem Maria, Avé, avé, ave-Maria Avé, avé, ave- Maria Car il faut bien dire que ma mère a bien du mal à nous faire entendre raison face à toutes ses croyances religieuses. Pour ma part, je m’arrête à la 1ère communion, ma 90 Ce sont les questions que je me pose encore malgré tout. S’il est vrai que les décisions que mes parents ont pris au cour de leur vie ont été dictées par ce qui leur semblait le plus juste ou le plus viable, il est vrai aussi que l’album de famille est rempli de contrastes. Ma vie s’est construite grâce à ce qui m’a été transmis et mon expérience est unique car je suis à mon tour ‘passeur’ de cette double culture qui est d’autant plus riche qu’elle est intéressante. Quand je suis en France, je raconte le tantes, mes cousins, mes cousines…j’aime l’odeur des vergers, des eucalyptus, la lumière qui traverse le ciel, la mer avec ses grosses vagues, tant de souvenirs liés aux sensations… Sosana. Les textes en italique viennent du spectacle autobiographique de Sosana Marcelino ‘SÓ’ créé en 2005. Ce spectacle a été soutenu par le Ministère de la Culture, le Conseil Régional de Lorraine, le Conseil Général de Meurthe et Moselle, la Ville de Nancy. Il a reçu l’appui de la Fondation Calouste Gulbenkian, de l’ambassade du Portugal et de l’Instituto Camoes. www.sosanamarcelino.com [email protected] 91 Christian Schu 92 Liliana Azevedo E m 1980, a vida em Portugal não era muito fácil, sobretudo nas pequenas aldeias, onde as pessoas sobreviviam apenas dos seus próprios recursos, tais como a agricultura e a criação de gado. A oferta de emprego era mínima e os salários não eram, de todo, apelativos. A fome e o desespero eram cada vez maiores e a vontade de encontrar um rumo para uma vida melhor também aumentava de dia para dia. Esta foi a eleito para iniciar uma vida nova. A minha mãe já tinha uma oferta de emprego num restaurante, onde acabou por permanecer durante três anos. Aprendeu as tarefas relativas ao serviço de mesa, e também aprendeu a falar francês. O meu pai não tinha qualquer oferta de emprego, no entanto, assim que chegou à Suíça, iniciou a sua busca e não teve dificuldade em encontrar trabalho numa quinta agrícola onde trabalhou catorze anos. Apesar de não conhecer o país nem o seu idioma, o facto da Suíça ser um país muito bem organizado a todos os níveis, fez com que a integração nesse novo ambiente fosse bastante rápida, alcançando deste modo, o nível de vida procurado. No período de tempo em que os meus pais foram emigrantes alcançaram os objectivos pretendidos quando deixaram o seu país de origem, conseguiram obter um melhor nível de vida e, também cresce- “Após dezassete anos de emigração, os meus pais consideraram que já tinham alcançado o ideal de vida, daí decidirem regressar a Portugal para vivermos junto da nossa família e na nossa própria habitação.” razão que levou os meus pais a procurar um país onde pudessem encontrar um melhor nível de vida. A Suíça, nessa época, era o país que oferecia melhores condições financeiras, no que diz respeito aos salários atribuídos, daí ter sido o país durante três meses. Não sendo um trabalho que lhe agradasse, continuou sempre a procurar algo na sua área de formação, que é a carpintaria. Até que acabou por encontrar uma vaga disponível numa carpintaria onde desempenhou as suas tarefas ao longo de ram a nível pessoal. Após dezassete anos de emigração, os meus pais consideraram que já tinham alcançado o ideal de vida, daí decidirem regressar a Portugal para vivermos junto da nossa família e na nossa própria habitação. Brigite. 93 94 Mémoires d’une famille portugaise… … mes parents ont émigré en Suisse en 1981… J e suis née en 1977. Mes parents habitaient, depuis leur retour d’Angola, en janvier 1975, chez mes grandsparents paternels. Quelque part dans le nord du Portugal, à une cinquantaine de Km à l’est de Porto. Mon grandpère possédait un magasin de meubles. Ma grand-mère était couturière, elle travaillait à Mes parents louaient une petite maison humide. Le loyer, três contos de reis, une vraie fortune pour qui gagnait 6-7 mil escudos par mois. Ils travaillaient tous deux dans le secteur textile, jour et nuit, dimanche inclus. Ma mère travaillait à domicile, sur une machine de tricoter Passat, elle faisait des pulls pour enfants pour l’exportation. Mon père travaillait dans une usine textile, jour et nuit, parfois “1980. J’avais 3 ans. Mes parents louaient une petite maison humide. Le loyer, 3 contos de reis, une vraie fortune pour qui gagnait 6-7 mil escudos par mois.” domicile. Mon père était l’un des employés de mon grand-père et touchait un salaire de misère. Ma mère aidait aux tâches domestiques et là où c’était nécessaire. 1980. J’avais 3 ans. 48h de suite. Ma mère raconte encore souvent que lorsque j’étais bébé, mon père passait parfois une semaine entière sans me voir, car il n’avait pas d’heure pour rentrer. Souvent il l’appelait pour lui dire qu’il serait là dans 95 “Mon père résume cette période de leur vie en quatre mots «Pataca ganha, pataca gasta !»” une heure ou deux et, alors que le repas était sur le feu, il rappelait pour lui dire qu’il fallait qu’il reste travailler et qu’il ne rentrerait que le lendemain soir ! Mon père résume cette période de leur vie en quatre mots «Pataca ganha, pataca gasta !». Cette année-là, l’une de mes tantes, soeur de ma mère, a réussi à obtenir un contrat de travail en Suisse, chez un maraîcher, dans le canton de 96 Vaud. Mon père lui avait alors dit « si tu me trouves du travail, je pars aussi ». Il y a quelques années, il avait déjà pensé à émigrer, mais cela n’avait pas été possible, par manque d’argent. Mon père pris l’avion à Porto le 1er mars 1981. Destination Genève. Il est allé travailler comme ouvrier maraîcher, à Pully, petite commune dans les environs de Lausanne. Il n’avait jamais travaillé la terre, ni sous la neige. Les premiers jours furent très durs, il se dit « je travaille deux mois, l’un pour payer le voyage du retour et l’autre pour mettre quelques sous de côté et je m’en vais». À l’époque, il gagnait 1100 francs par mois (ce qui représentait un peu moins de 30mil escudos), nourri et logé. Deux mois, cela a été le temps nécessaire pour qu’il s’adapte à la langue et à la nourriture. Le 2 mai 1981 ma “Nous sommes arrivés à Paris, Gare d’Austerlitz, le lendemain suivant à onze heures du matin. Dans l’après-midi, nous avons pris le train pour Lausanne.” mère a pris l’avion pour rejoindre mon père. Je restai chez mes grandsparents paternels pendant les six mois qui suivirent. Je dormais avec ma grand-mère qui m’apprenait à prier le soir avant de dormir. Ave Maria, Cheia de graça, O Senhor é convosco, Bendita sois vós entre as mulheres, E bendito é o fruto do vosso ventre, Jesus… Lundi, 1er mars 1982. Je pris le train avec mes parents. Nous sommes arrivés à Paris, Gare d’Austerlitz, le lendemain suivant à onze heures du matin. Dans l’après-midi, nous avons pris le train pour Lausanne, où nous sommes arrivés le mercredi à 06h du matin. Pour éviter que la police ne nous suspecte, ma mère et moi, d’immigration clandestine, mon père est allé s’asseoir dans un autre wagon. Quand le douanier est passé, il a regardé ma mère d’un air interrogateur et lui a demandé si nous ne connaissions pas un monsieur qui voyageait dans un autre wagon, ce à quoi ma mère répondit calmement « non ». Il l’a crue, ou pas, mais nous a laissé passer, ouf ! Nous avons pris le train et non l’avion car il était très difficile, à l’époque, de passer la douane à l’aéroport : il fallait avoir de l’argent et une adresse. Si la police suspectait une tentative 97 d’immigration illégale, il mettait un cachait « refusé » sur le passeport et renvoyait la personne par l’avion suivant. Je me souviens de mon premier jour en Suisse, mon père me dit, sur le pas de la porte de la cuisine, « quand tu rentreras, tu verras une dame âgée, c’est ma patronne, dis lui « bonjour ». Mes cinq ans, six, sept et huit ans se passèrent entre oignons et carottes, pommes de saisonniers consécutifs chez le même employeur. Selon la loi, mon père ne pouvait nous avoir avec lui, ma mère et moi ! En 1983, la loi suisse interdisait encore que des enfants « sans papier » fréquentent l’école publique. Ainsi, je fis mes deux premières années d’école primaire à l’Ecole Catholique du Valentin, la seule qui acceptait de scolariser des enfants « clandestins ». Mes parents déboursaient à coin de la ville. Comme je ne savais pas encore lire, mon père me fit un support, que je portais autour du cou, et où il était écrit « 9 » et « Lutry », qui était le terminus. Je devais comparer ce qui figurait sur le petit bout de carton avec ce qui était écrit audessus du bus. Un jour, je devais être âgée de sept déjà, je décidais prendre un trajet alternatif. Je savais que si je prenais le bus numéro 8, j’arriverais à la maison par le “Je me souviens de mon premier jour en Suisse, mon père me dit, sur le pas de la porte de la cuisine, « quand tu rentreras, tu verras une dame âgée, c’est ma patronne, dis lui « bonjour ».” terre et tomates, gerberas et roses. Le petit-fils de la soeur de la patronne de mes parents, Thierry, avec qui je jouais fréquemment, se plaignait « elle parle chinois! ». Toutefois j’appris rapidement à parler français, en quelques mois à peine. Ma mère travaillait au noir. Le système d’immigration suisse était très rigide et ne consentait le regroupement familial qu’après quatre contrats 98 l’époque 300 francs par mois, ce qui rognait une part substantielle de leur salaire. L’école se situait en plein centre ville de Lausanne et nous habitions Pully, à cinq Km de là, je devais donc prendre le bus pour m’y rendre. A l’aller, pas de risque de me tromper car il n’y avait qu’un seul bus. Par contre, au retour, j’aurais pu monter dans un autre bus, par mégarde, et me retrouver dans un autre bord du lac. Tentée par la promenade, et poussée par une petite copine, j’osais tenter l’aventure. Ce qui me valut une bonne fessée, car j’arrivais assez en retard sur l’horaire habituel pour que mes parents se fassent un sang d’encre ! Ce n’est que récemment que je compris les moult instances parentales « ne parle en aucune circonstance avec un inconnu ! » et leur manie de la surprotection. Au-delà de la 99 “En fait, mon père a appris à écrire français en même temps que moi.” peur de l’enlèvement, que tous les parents doivent ressentir – d’autant plus présente dans une situation comme celle-ci, où ils n’avaient d’autres choix que de me laisser aller à l’école toute seule dès mes 6 ans, ne pouvant m’y accompagner – il y avait la question de notre statut légal précaire. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui valorisaient l’éducation et ont toujours accompagné de prés ma scolarité, bien qu’ils ne maîtrisassent pas le français et qu’ils ne comprissent pas grand chose à un système scolaire qui ne ressemblait 100 en rien à celui qu’ils avaient connu dans leur enfance. Quand je rentrais de l’école, je mangeais d’abord le ‘quatreheure’, puis j’étais sommée de rejoindre mon père au fond du jardin pour lui dire quels étaient mes devoirs pour le lendemain. Il accompagnait de très près En fait, il a appris à écrire français en même temps que moi, car il relisait mes devoirs chaque soir avant le coucher. Lorsque j’avais une poésie à apprendre par coeur, il me la faisait répéter, pendant qu’il bêchait, et il mettait beaucoup moins de temps à la mémoriser ! D’ailleurs il se souvient encore de quelques-unes, contrairement à moi… J’ai un petit train en bois qui ne va pas vite ma foi, mais il peut aller partout, même dans les cailloux. Tchu tchu ! J’ai un beau train à vapeur, qui fait bien du 10 à l’heure, mais il faut le remonter, pour qu’il se mette a marcher Tchu tchu ! Je suis un enfant gâté, j’ai trois trains pour m’amuser, mais le plus joli je crois, c’est mon petit train en bois Tchu tchu ! J'ai un petit train électrique qui est tout automatique, mais je n'ose pas y tou- “Mon père a été le «passeur» de nombreuses personnes vers la Suisse.” cher, c'est papa qui le fait marcher. L’été et pendant les vacances scolaires, j’aidais au jardin, j’arrachais les mauvaises herbes, j’écossais les petits pois, je cueillais les framboises et les cerises, j’arrosais les plantes de la serre. Du reste, j’aidais à la cuisine : j‘étais chargée de laver la salade, d’en faire la sauce (2 cuillères d’huile de tournesol, 2 cuillère de vinaigre de pomme, 1 petite cuillère de moutarde et une pincée de sel) et de mettre la table. L’adaptation de mes parents à la culture suisse se fit lentement. Parmi les nombreuses histoires que j’ai entendu mon père raconter maintes fois, je retiens celle-ci qui illustre bien les hauts et les bas du processus d’intégration. En semaine, c’était toujours la patronne qui cuisinait, un jour elle mit sur la table un plat qui lui sembla être ‘bacalhau com natas’, il s’en servit abondamment croyant que, pour une fois, il allait bien manger. Cependant, lorsqu’il porta la fourchette à sa bouche, il s’aperçut qu’il s’agissait en réalité d’un gratin de pommes de terre avec du fromage ! et ce fut un grand sacrifice que de finir son assiette, car il n’aimait pas le fromage, aliment auquel il n’avait été habitué pendant son enfance. Mon père a été le «passeur» de nombreuses personnes vers la Suisse, notamment de tous les frères et soeurs de ma mère. Il a réussi à ce que sa patronne donne du travail à tout le 101 monde, en attendant qu’ils/elles trouvent un autre emploi et un appartement. Mes tantes, Ana et São, sont venues d’abord, puis mon oncle Inácio en 1984 et finalement mon autre oncle, Quim, à peine âgé de 16 ans à l’époque. Il a d’ailleurs été retenu à la gare de Lausanne et renvoyé à la frontière. Il a dû rester quelques jours chez un cousin à Dijon, où mon père est allé le chercher en voiture, pour le a fallu faire de nombreux arrêts car elle ne pouvait rester longtemps assise. Au retour, le douanier nous a obligé à vider la voiture, suspectant que nous n’essayions de passer des presuntos, chouriços et vinho. Les douaniers avaient pour habitude de fouiller les moteurs et les sièges des voitures des immigrants, suspects de contrebande de charcuteries et eaude-vie. En réalité, cette fois-ci, notre coffre était j’étais endormie et ma soeur veillait ! Une fois le Permis B en poche, l’ambition de mes parents était de changer d’emploi et de louer un appartement à eux. Bref, gagner un peu plus d’argent et avoir un peu plus de confort. Avril 1986, mon père a commencé à travailler comme chauffeur-maçon et ma mère comme aide-pâtissière. Nous louions un 3 pièces qui coûtait 1375 francs par mois, ce qui “Nous achetons notre première voiture, une Ford Sierra blanche. Cette hiver-là (1984), nous faisons, pour la première fois, le voyage SuissePortugal en voiture.” faire passer par une frontière peu surveillée. Octobre 1984. Mon père obtient le Permis B (permis de travail annuel, qui autorise le regroupement familial et lui donne la possibilité de changer d’employeur). Nous achetons notre première voiture, une Ford Sierra blanche. Cette hiver-là, nous faisons, pour la première fois, le voyage Suisse-Portugal en voiture. Ma mère était enceinte de ma soeur et il 102 plein d’habits de bébé ! Mes parents ont commencé à faire des nettoyages le soir lorsque ma soeur n’était encore qu’un bébé. Il leur fallait à présent subvenir aux besoins de deux enfants. Nous étions en 1985. Mes parents allaient travailler après le dîner et j’avais pour mission de veiller sur ma soeur jusqu’à leur retour. Apparemment c’était plutôt contraire qui se passait… lorsqu’ils rentraient représentait alors une somme considérable. Mon père a ensuite travaillé en tant que chauffeur-livreur (1987), charpentier (1988–1990), aide-concierge (19901993) et finalement concierge professionnel au service de l’Etat de Vaud dès 1993, poste qu’il occupe maintenant depuis 15 ans. Quant à ma mère, elle est devenue nettoyeuse professionnelle dans un gymnase (l’équivalent du 103 “Ce qui m’épate, aujourd’hui, lorsque je feuillette les pages de ma mémoire, c’est l’organisation qui régnait à la maison.” lycée en France), qui l’employait les après-midi et le soir, et faisait des ménages chez des particuliers le matin. Le travail du soir s’est toujours maintenu. Puis, dès 1987, mes parents ont commencé à travailler occasionnellement en fin de semaine, ils nettoyaient des appartements lorsqu’il y a avait changement de locataires. Plus ou moins vers la même époque, ma mère a accepté de prendre en charge des enfants – pour dépanner des amis ou des gens qu’elle 104 connaissait – les midis et les matins où elle n’avait pas de ménages à faire. Il y eu Marco, Flavio, Gabriel, Mélanie et d’autres. Certains ont grandi à la maison. Moi, qui étais déjà grande, aux dires de mes parents, je faisais d’assistante baby-sitter, je changeais les couches, donnais à manger ou surveillais tout simplement. Mais j’étais déjà habituée à être la grande soeur, celle qui donne l’exemple, se comporte comme il faut et aide sa maman. Ce qui m’épate, aujourd’hui, lorsque je feuillette les pages de ma mémoire, c’est l’organisation qui régnait à la maison. Nous avons toujours pris nos repas ensemble, les quatre assis à la même table, midi et soir, alors que mes parents cumulaient les emplois, auxquels s’ajoutaient les tâches domestiques, les courses, le suivi scolaire, etc. Le dimanche était quand même le jour du repos et de la famille. Typiquement, nous allions à la messe portugaise à 11h (nous, c’està-dire, ma mère, ma “.... j'ai moi-même émigré vingt ans plus tard. Destination: Lisbonne.” soeur et moi, mon père se contentait de nous y conduire), puis déjeunions avec des amis, chez eux ou chez nous, et finalement allions faire une promenade à pied au bord du lac, tous ensemble. Enfin, les hommes devant et les femmes derrières ou vice-versa... les hommes discutaient souvent foot et voitures et formaient un petit groupe duquel les femmes se distanciaient car, tous les 50 mètres, l’une d’elles faisait une pause, pour mieux se faire entendre des autres, je suppose, avant de continuer à marcher à pas d’escargot. Qu’est-ce que je m’ennuyais ! L’été c’était beaucoup plus amusant, car on faisait souvent des pique-niques au bord du lac avec d’autres familles. Grillades, salades, pastèques et melons. Depuis ce temps-là, que de chemin parcouru ! Je me suis naturalisée suissesse, ai terminé une licence et un DEA, ai bossé tous les étés dès me 14 ans, ici et là, distribution de journaux, supermarchés, aide à domicile, nettoyages, baby-sitting, livraisons, magasin de sport, etc. Et, malgré le fait de ne m’être jamais identifiée à la culture portugaise qui m’était proposée, car alors je ne savais ce qu’elle renfermait, à part le rancho, le foot, la morue, le Porto, Fátima et Camões… ....j'ai moi-même émigré vingt ans plus tard. Destination: Lisbonne. Mais c’est une autre histoire… Liliana. 105 106 L'émigration de mes parents C e que je vais raconter va être imprécis et épars... Mes parents ne m'ont jamais beaucoup parlé de leur venue en Suisse ni de leur vie d'avant. Ils m'ont souvent raconté que leur enfance était très dure parce qu'ils étaient pauvres et qu'ils ont du aller travailler chez des propriétaires terriens lorsqu’ils n’avaient que 10 ans. Mais, de leur adolescence ou du commencement de leur vie d'adulte, ils n'en parlent mon père 26. Mon père est le plus jeune d'une famille de 8 enfants. Il fait des petits jobs, mais se rend compte qu'il n'arrive pas à joindre les deux bouts et ne voit aucun avenir dans cette région très pauvre du Portugal. Il veut modifier sa vie et prend la décision de partir vivre et gagner sa vie dans un autre pays. Il connaît le frère d'un ami du village, qui est parti depuis peu en Suisse, et se décide à le rejoindre. Cette personne lui trouve, avant son arrivée, un tra- “Je vais toutefois, avec les quelques phrases que j'ai pu leur soutirer, raconter l'histoire de leur venue en Suisse...” jamais. Je vais toutefois, avec les quelques phrases que j'ai pu leur soutirer, raconter l'histoire de leur venue en Suisse... Mes parents viennent de villages voisins d'une région du nord du Portugal, ils se sont rencontrés lors d'une fête au village. Ma mère avait à cette époque 20 ans et vail de boulanger (profession que mon père n'avait jamais exercé) dans un village de la partie francophone de la Suisse: Cully. Mon père part donc pour Cully en 1980 et habite chez la famille de l'employeur. Pour mon père, ces premières années ont été très dures, car il ne connais107 sait ni la langue ni ses droits. Il était donc à la merci de cette famille qui l'exploitait passablement en le sous-payant et en le faisant travailler sans relâche. De plus, mon père ne pouvait se plaindre ou aller chercher du travail ailleurs, car il devait rester au moins cinq ans chez le même employeur pour pouvoir obtenir un permis d'établissement. Mais il rencontre d'autres Portugais dans la même situation et lie de fortes amitiés. En arrivant en Suisse et en ayant un contrat de travail, mon père avait obtenu le permis A qui l'obligeait à retourner plus éprouvant lors de son arrivée, mais ensuite cela lui a permis de rencontrer les personnes du village et d'améliorer énormément son Français. Chacun gagnait 6 francs suisse de l'heure et, quelques fois, ils ne pouvaient manger qu'une fois par jour! «Pour ma part, je serais partie depuis longtemps, mais que faire lorsqu'on ne veut plus retourner dans son pays et qu'on veut à tout prix un permis en vue de meilleures conditions?» Je suis née en 1984 lors du séjour «obligé» de mes parents au Portugal et je suis venue toute et ont dû déménager. Ils ont trouvé un logement qui appartenait à l'église protestante et qui était fait pour les familles à bas revenu. C'était, d'après mes souvenirs, un logement très rudimentaire... Il n'y avait pas de chauffage et tout était très vieux. Et je me souviens qu'on avait un chat qui venait m'apporter les rats qu'il trouvait dans l'immeuble. Le fait que mon père soit boulanger permettait à mes parents de s'organiser pour ma garde, sans demander l'aide de personne (ce qui était important pour eux). Mon père travaillait la nuit et venait le matin me gar- “Je suis née en 1984 lors du séjour “obligé” de mes parents au Portugal et suis venue toute petite en Suisse.” tous les ans au Portugal pendant 3 mois. En 1982, lorsqu'il rentre au Portugal, il se marie avec ma mère. Elle désire, elle aussi, partir du Portugal et part avec mon père travailler dans cette même famille de boulangers. Ma mère était à la caisse et mon père à l'arrière, aux fourneaux. Le fait que ma mère fasse un travail qui l'obligeait à parler avec les clients était, bien sûr, 108 petite en Suisse. Le voyage se faisait en train et durait, à l'époque, une semaine entière. À leur retour, ma mère a reçu beaucoup d'aide de la part du village. Des personnes âgées offraient des tricots ou encore des mères de famille proposaient de me garder. Avec ma venue, mes parents ne pouvaient plus habiter dans la famille de l'employeur der tandis que ma mère partait à ce moment-là au travail. Dès que mes parents ont reçu le permis d'établissement, ils ont tout de suite cherché un autre emploi. Mon père, aimant conduire, choisit d'être chauffeur dans une grande entreprise d'alimentation et ma mère a été engagée dans cette même entreprise comme “Ma mère m'a dit qu'elle n'a jamais été victime de discrimination ou de racisme en Suisse tandis que mon père dit le contraire.” vendeuse, tout en faisant quelques heures de ménage chez des privés. Ma mère m'a dit qu'elle n'a jamais été victime de discrimination ou de racisme en Suisse. tandis que mon père dit le contraire. Il ne s'est jamais réellement intégré en Suisse et s'est toujours ressenti comme rejeté, alors que ma mère pas du tout. En ce qui concerne le racisme, ma mère ne dit jamais avoir été victime, mais moi je l'ai vu et ressenti à sa place. Je pense qu'elle ne connaissait pas les comportements racistes et que l'on se moquât d'elle, parce qu'elle était différente, lui semblait tout à fait normal. Finalement, je me rends compte que mes parents, qui aujourd'hui ne veulent jamais voyager et qui sont très terreà-terre, ont effectué un bouleversement au début de leur vie que je n'aurais certainement jamais eu le courage de faire. Renata. 109 110 N ous sommes arrivés en août 1986 pour commencer une nouvelle vie tous réunis. Papa était immigré en Suisse depuis 5 ans déjà et, suite à l’arrêt d’études de mon frère, toute la famille est venue le rejoindre. Nous sommes cinq. Mes parents connaissaient bien la vie d’immigrés, ils avaient déjà vécu en Angola, pendant près de 12 ans, même s’il ne s’agissait pas vraiment dû recommencer l’année scolaire déjà faite au Portugal et surtout bien nous accrocher. Pour mes parents, le fait de ne pas maîtriser la langue, surtout pour ma maman, était dur car elle ne pouvait suivre et aider ses enfants. Ayant maintenant plus de vingt années de vie en Suisse, je crois que l’on peut dire que nous sommes intégrés à la vie ici. Bien que nos droits restent différents de ceux des habitants de ce pays qui en ont la nationalité, forcément. À ce jour, envisager le retour au pays. Ce fameux retour qui nous a bien pourri la vie pendant les premières années d’immigration, nous ne pensions qu’à ça, alors comment s’intégrer vraiment? Aujourd’hui notre vie est ici. Le Portugal est notre pays d’origine, de coeur et pour nos enfants, aussi le pays des vacances, dans la maison familiale, qui fut à l’origine de l’immigration de leurs grands-parents. Cette maison pour laquelle ils ont émigré ! Mais les mentalités chan- “Cela n’a pas été facile d’intégrer leurs trois enfants dans une société assez différente de celle que nous connaissions.” d’une immigration ; ils s’y sont d’ailleurs rencontrés, mariés et enfantés leur premier fils. Cela n’a pas été facile d’intégrer leurs trois enfants dans une société assez différente de celle que nous connaissions. Ma soeur avait fini sa deuxième année de «ciclo » et moi j’avais fini la quatrième primaire. Arrivées ici nous avons aucun des membres de ma famille n’a entamé les démarches en vue de la naturalisation. Dès lors, nous sommes tous de nationalité portugaise avec des enfants de la même nationalité et, pour ma part, des enfants de double nationalité lusosuisse. Aujourd'hui, la vie ici est facile, car nous avons tous décidé de ne plus gent… Ce qui était important autrefois, ne l’est plus aujourd’hui. Rester à proximité les uns des autres, pour pouvoir s’aider dans les choses quotidiennes, garder les petits-enfants, les voir grandir, voilà la priorité pour mes parents aujourd’hui. Susana. 111 112 Emigrações... S ou da terceira geração de emigrantes na minha família. O meu pai brinca frequentemente com o facto de nos termos mudado muitas vezes. Eu acho que andámos a caçar fantasmas. Cresci a ouvir a história do meu avô paterno, António Santos e a sua história de emigração. Ele emigrou duas vezes. Os meus avós paternos, Maria do Carmo e António e os seus três fil- alguns anos voltaram à aldeia de Boiças em Pampilhosa da Serra. Naquele tempo havia outros homens na aldeia que tinham emigrado para os Estados Unidos. Depois da quinta filha, Clotilde, António emigrou novamente, desta vez sozinho, para os Estados Unidos. Sabemos que viveu e trabalhou nas minas de carvão de Beckley, West Virgínia. Tomou conta da família financeiramente, enviando dinheiro a um comerciante local ao qual “Cresci a ouvir a história do meu avô paterno, António Santos e a sua história de emigração. Ele emigrou duas vezes.” hos, Palmira, António e Casmira emigraram para França por volta de 1920. Viveram em Versailles onde António trabalhou numa fábrica que estava perto de um teatro. Não sabemos muito sobre as suas vidas lá, a não ser o facto que tiveram uma filha, Jerménia, enquanto lá viveram. Passados bastava Maria do Carmo pedir o que necessitasse. Visitou a família em Portugal pelo menos duas vezes, trazendo prendas como pipocas, cobertores, um relógio de lareira e um fonógrafo com uma colecção de discos. Disse à família que vivia numa casa cuja dona era uma mulher ita113 “Os meus avós paternos, Maria do Carmo e António e os seus três filhos, Palmira, António e Casmira emigraram para França por volta de 1920. “ liana. A última vez que visitou a família foi em 1934. A minha avó ficou grávida do meu pai. Quando o meu avô soube do nascimento do seu último filho, escolheu darlhe o nome de longe, Reinaldo Santos. O meu pai cresceu a ouvir que, quando tinha 2 anos, a senhoria italiana notificou à minha mãe que o seu marido tinha morrido de um ataque do coração. A senhoria foi suficientemente amável para enviar a certidão de óbito e para informar a minha avó que 114 o tinham enterrado em Beckley. António morreu com 42 anos, tinha Maria do Carmo 36. A partir desse dia, a minha avó vestiu-se de preto, uma cor que o meu pai detesta ainda hoje, visto significar para ele tanta tristeza e restrição. Os homens que regressaram dos Estados Unidos diziam ao meu pai o quanto António era bom. Disseram-lhe que o pai dele tinha sido bem sucedido na América porque tinha aprendido a falar inglês e trabalhava legalmente, contrariamente a muitos deles que tinham sido deportados por trabalharem ilegalmente. Um homem contou quão maravilhoso era que o António o tivesse visitado em São Francisco. Interrogámonos muitas vezes como é que ele tinha atravessado os Estados Unidos, muito provavelmente durante a depressão. O meu pai repete ainda hoje com orgulho esses fragmentos de informação. A vida tornou-se muito difícil para a minha avó “Apesar de não contarmos esta como uma das nossas histórias de emigração, a minha mãe descreve a sua mudança para Lisboa como a sua primeira emigração.” apesar de os seus filhos mais velhos se terem tornado independentes e trabalharem fora de casa. Tinha uma casa adorável com rosas trepadeiras cujo cheiro ainda me lembro quando me aproximo da casa. Mas o meu pai descreve ter crescido numa casa muito melancólica com aquele relógio de lareira ecoando cada segundo do tempo através daquela grande sala de jantar. Em 1949, o meu pai foi para Lisboa trabalhar, tinha então 14 anos. Vivia com as suas irmãs que estavam agora casadas e tinham filhos. Quando se tornou adulto, começou a explorar formas de emigrar para fora de Portugal para lugares como os Estados Unidos, Angola e Brasil, mas não concretizou nenhuma das situações. Em 1959, ele e a minha mãe, Ilda Marques Almeida, também ela de Boiças, casaram em Lisboa. Apesar de não contarmos esta como uma das nossas histórias de emigração, a minha mãe descreve a sua mudança para Lisboa como a sua primeira emigração. Ela ficou impressionada pela forma como o meu pai fez tudo o que podia para que ela se adaptasse à vida da cidade e com a velocidade com que o fez rapidamente. Os meus pais descrevem muitas vezes quão 115 “Mas alguma coisa continuava a empurrar o meu pai e em 1963, quando eu tinha dois anos – o meu pai foi para Inglaterra.” felizes eles eram, tendo eu nascido em 1961, tendo-se tornado jovens adultos independentes e tendo uma simpática casinha junto à praia da Parede, perto de Lisboa. Mas alguma coisa continuava a empurrar o meu pai e em 1963, quando eu tinha dois anos – o meu pai foi para Inglaterra. O plano era ele começar a vida lá e nós juntarmo-nos a ele mais tarde. Agora que olho para trás, vejo o simbolismo de eu ter a 116 mesma idade que o meu pai quando o pai dele morreu. A minha mãe e eu regressámos a Boiças para viver com os meus avós maternos, Maria do Céu Marques e Constantino Almeida, e os três irmãos da minha mãe, António, Júlio e Irene. Visto a minha mãe ser a mais velha, eu era a única neta e com uma idade próxima da idade da minha tia mais nova, Irene. Até hoje, pensei em mim como sendo o quinto filho daquela casa. As minhas primeiras recordações são da casa dos meus avós. A minha avó paterna vivia apenas algumas casas mais longe e eu era livre de visitar quem eu quisesse. A vida era o que tinha de ser para uma criança. Eu era adorada pelos meus três avós, pela minha mãe e os seus irmãos e irmã. Vivia na antecipação visto estarmos à espera de ir ter com o meu pai a Inglaterra. Mas, para a minha “A história preferida do meu pai retrata, penso eu, o início da revolução sexual dos anos 60, que tinha acabado de chegar a Inglaterra mas ainda não tinha atingido Lisboa nessa altura. “ mãe, a história era diferente. Inicialmente o meu pai enviava-lhe cartas regularmente. Mas a um certo momento, as cartas de repente pararam. A minha mãe pensou que algo terrível lhe tinha acontecido; talvez também ele tivesse morrido. Mas outras pessoas metiam-se com ela e diziam-lhe que talvez ele tivesse encontrado outra mulher. Isto continuou durante meses até que um dia as cartas não só retomaram, como todas as cartas que o meu pai tinha enviado durante esse tempo chegaram de uma só vez. Tinha havido uma greve dos correios bastante prolongada em Inglaterra. Dado o ambiente político em Portugal, não é surpreendente que uma greve relativa aos direitos dos trabalhadores não tenha sido noticiada em Portugal. Decorrido um ano, o meu pai regressou para levar a minha mãe para Inglaterra. Deixaram-me com os meus avós, a minha tia e dois tios. Eles foram de carro até França e provavelmente fizeram a travessia por mar até Inglaterra. Os meus pais contam histórias de como a cultura era diferente para eles. Eles trabalhavam na restauração em clubes privados de golfe. A história preferida do meu pai retrata, penso eu, o início da revolução sexual dos anos 60, que tinha acabado de chegar a Inglaterra mas ainda não tinha atingido Lisboa nessa altura. Ele estava a servir às mesas enquanto a minha mãe trabalhava na cozinha a lavar copos. Uma patroa que tinha abusado do álcool nessa noite estava a bloquear o acesso do meu pai às mesas que ele estava a servir. Mas ela era muito amigável e prestável. Cada vez que o meu pai passava e pedia licença, ela respondia "com cer- teza, querido" e dava-lhe um beijo. Achando isto tão engraçado, o meu pai tentou partilhar o humor com a minha mãe na cozinha e disse-lhe para ver o que acontecia cada vez que ele pedia licença aquela mulher. Em breve, a sala de jantar ecoou com o barulho de copos de vinho partidos vindos da cozinha. O meu pai diz que os benefícios do dono do restaurante podem não ter chegado a pagar todos os copos que a minha mãe partiu na cozinha. Até hoje toda a gente, excepto a minha mãe, ri desta história Os meus pais aprenderam a apreciar novos cozinhados; natas espessas, rosbife, rábano e sherry trifle. Quando queriam cozinhar comida tradicional portuguesa, tinham que improvisar com alguns ingredientes. O único sítio onde conseguiam encontrar azeite era nas farmácias, onde era vendido em pequenas garrafas medicinais. 117 Achavam que os britânicos eram pessoas simpáticas com os seus frequentes "por favor e obrigado" e a sua honestidade nos transportes públicos. A única coisa que não lhes parecia ser tão simpática era a forma como os britânicos comiam o seu fish and chips embrulhado em papel de jornal. Em 1965, depois de ter estado em Inglaterra durante um ano, a minha mãe regressou a Lisboa, inteiro até a minha mãe conseguir adicionar-me ao passaporte dela. Ela descreve ter sido tratada de forma muito rude pelos funcionários de Lisboa e ter ficado terrivelmente assustada relativamente ao que podiam fazer. Era uma época em que uma pessoa não se podia queixar. Aparentemente as coisas resolveram-se e apanhámos o avião para Manchester na época de Natal de 1965. Com a mais cara da cidade. Era feito de couro de ovelha e tinha uns olhos lindíssimos. Esse ursinho continua a acompanhar-me ainda hoje Há 2 anos que não vivia com o meu pai e precisei de algum tempo para o conhecer novamente. Os meus pais contam-me quanto preocupados estavam pelo facto de, cada vez que tentavam abraçar-se ou dar-me um beijo, eu começava a chorar. “Há 2 anos que não vivia com o meu pai e precisei de algum tempo para o conhecer novamente.” para me levar para Sheffield, Inglaterra. Ela conta que ficou muito assustada quando chegou a Lisboa e viu que eu não lhe dirigia palavra. Nessa primeira noite, jantei em silêncio olhando para ela o tempo todo. As suas ansiedades foram rapidamente apaziguadas quando nos fomos deitar e ela teve que me ouvir contar todas as aventuras que tinha vivido durante a sua ausência. Tinha tanto para lhe contar que falei até o sol se levantar na manhã seguinte. Demorou um mês 118 maravilhosa idade de 4 anos, cheguei com a minha mãe a Sheffield, onde encontrei uma lindíssima árvore de Natal que o meu pai tinha arranjado e decorado com chocolates cobertos de uma brilhante folha fina e o mais lindo ursinho cor de âmbar no topo. A árvore parecia uma fantasia tornada realidade. Lembro-me de tentar comer os chocolates e achá-los bastante amargos. O grande prémio era este urso de peluche que o meu pai tinha comprado para mim na loja de brinquedos Durante os primeiros dias em Inglaterra, eu não suportava vê-los tocarem-se. Mas rapidamente nos tornamos novamente numa família. Comecei a escola sem saber uma palavra de inglês e foi-me dada uma chave de casa, visto os meus pais trabalharem. Vivíamos no primeiro andar de uma casa que era propriedade de uma família lituana. A história de emigração deles fizeram-nos apreciar a sorte que tínhamos de estar juntos. Era um casal de idade, tinham um filho adulto com uns 30 anos. O filho e a mãe 119 “A nossa vida em Inglaterra decorreu durante os significantes anos 60 em Sheffield, a menos de 100 km de Liverpool, onde os Beatles embarcavam para a carreira musical mais famosa do século. “ tinham chegado há pouco tempo a Inglaterra para viverem com o pai depois de 30 anos de separação. Eram muito bons connosco e tomavam conta de mim quando regressava da escola Nessa altura, sentíamos verdadeiramente que tínhamos finalmente embarcado juntos numa viagem maravilhosa. Os medos que vivemos enquanto família durante os dois anos de separa120 ção foram tão traumáticos que tiveram impacto em várias fases das nossas vidas ao longo dos anos. O efeito daquela greve dos correios britânicos e o ano de separação de mim foram tão duros para a minha mãe, que ainda hoje, com uns 70 anos, tem pesadelos devido ao medo de nos perder. Quando a minha filha tinha 2 anos, o meu pai, então com uns 60, reflectiu sobre o passado e chorou por me ter deixado em Portugal quando eu era tão pequenina. Apesar de já ser uma adulta de meia idade, estou determinada em não me separar dos meus pais outra vez. Mas estas experiências também teceram laços tão fortes entre nós os três que até hoje nenhum conseguiu separar-se. A nossa vida em Inglaterra decorreu durante os significantes anos 60 em Sheffield, a menos de 100 km de “Mas precisamente a meio desse Inverno, os meus pais informaram-me que íamos para o Canadá. Ainda me lembro de assumir que só havia dois climas no mundo, Portugal e Inglaterra.” Liverpool, onde os Beatles embarcavam para a carreira musical mais famosa do século. Apercebíamo-nos do quanto os homens deixavam crescer o seu cabelo, os casais eram livres de se beijar na rua e as mulheres conduziam carros. Aprendemos todos a falar inglês e fizemos alguns amigos maravilhosos para toda a vida. Vimos e vivemos num mundo que só podia ser vivido ali. Tornamo- nos muito mais liberais e passámos a aceitar pessoas que eram diferentes de nós e a aprender com elas. Em 1966 aproximadamente, o irmão do meu pai, António, e a mulher dele, Maria Emília, vieram ter connosco a Inglaterra, onde ficaram o resto das suas vidas e tiveram duas filhas, Elisabeth e Anabela, que nasceram em Shefield. Por volta de 1967, tinha feito novos colegas na escola e gostava muito do gelo e da neve dos Invernos de Sheffield. Mas precisamente a meio desse Inverno, os meus pais informaram-me que íamos para o Canadá. Ainda me lembro de assumir que só havia dois climas no mundo, Portugal e Inglaterra. Disse aos meus pais quão perturbada eu estava de ter de deixar os Invernos ingleses porque eu gostava mesmo muito 121 “No início dos anos 70, tinha eu 13 anos, viajamos até West Virgínia.”. da neve. Eu tinha 6 anos quando chegámos a Toronto, Canadá, a 5 de Janeiro de 1968. Fomos recebidos por uma das mais importantes tempestades de neve da história de Toronto. Ao sairmos do aeroporto, olhei pela janela do táxi e vi que os montes de neve à beira da estrada eram tão altos quanto o táxi. Fiquei de imediato impressionada com os Invernos canadianos e continuei a apreciar cada queda de neve desde então. Durante muitos anos falámos em regressar a Portugal e eu cresci acre122 ditando que um dia regressaria à vida com os meus avós e primos. Mas com o tempo acabámos por nos instalar. A irmã da minha mãe, Irene, veio viver connosco até casar e começar uma vida sua. Teve três filhos, Nelson, David e Sandra, que preencheram as saudades que sentia dos meus primos em Portugal. A minha avó materna, Maria do Céu, após a morte do meu avô em 1978, passou o resto da sua vida viajando para trás e para a frente entre a nossa casa e a casa dela em Portugal. Com o passar do tempo, apercebi-me, antes dos meus pais, que não queria voltar. Lembro-me que tinha 11 anos, em 1972, quando informei os meus pais que Portugal já não era a minha casa. A minha família em Portugal já não me considerava como sendo como eles, enquanto os meus amigos no Canadá consideravam. Em Toronto, havia muito mais gente que era imigrante como eu ou cujos pais e avós tinham imigrado como nós. Eu tinha agora uma nova casa com amigos que eram a minha família. Eu estava numa cidade na qual tantos de nós tinham tido experiências parecidas e sentimentos por países que podiam ser tão diferentes uns dos outros. Mas a verdade é que eu não percebia porque tínhamos emigrado. Os meus pais descreviam ter uma boa vida em Lisboa, onde o meu pai tinha um emprego bom no Casino do Estoril. A minha mãe contou muitas vezes quão maravilhosoa era a nossa casinha na Parede. Quando íamos de visita, parecia-me que os meus primos em Lisboa tinham vidas mais privilegiadas do que a nossa. Eu tinha percebido que deveríamos ter ficado ricos no Canadá, mas nunca parecíamos estar perto de ficar ricos. Pampilhosa eram naquela altura. Visitámos tudo naquela pequena cidade, incluindo alguns cemitérios. O meu pai correu a lista telefónica à procura de alguém com o nome Santos e depois à procura de nomes portugueses. Não encontrou o que temia; talvez meios irmãos, mas encontrou a sepultura do seu pai. O padre, num cemitério católico muito antigo e repleto, encontrou o registo do enterro e mostrou-nos a sepultura. Do registo, aprendemos que na verdade António Santos tinha morrido de apendicite quando o meu pai tinha apenas 18 meses. Visitámos o museu da mina de carvão onde procurámos uma cara familiar nas fotografias antigas. Foi uma via- pai, António e outra com a irmã dele, Clotilde, quando vieram visitarnos ao Canadá. O meu pai estava extremamente orgulhoso por ter sido capaz de encontrar o famoso Beckley e a sepultura do pai dele, não só por ele, mas pelos seus irmãos. De certa forma, isto constituiu um fim a uma viagem especial à qual tínhamos sido destinados desde a infância do meu pai. Acredito que emigrámos à procura daquilo que o meu pai nunca teve ao crescer – um pai. Quando a minha avó morreu e fizeram-se as partilhas, o meu pai só quis o relógio de lareira e o fonógrafo. Essas heranças viajaram de volta até à América do “Acredito que emigrámos à procura daquilo que o meu pai nunca teve ao crescer – um pai.” Então, porque tínhamos nós emigrado? No início dos anos 70, tinha eu 13 anos, viajamos até West Virgínia. Encontrámos Beckley no meio de montanhas muito verdes, cobertas de pinheiros, como as nossas serras de gem catártica para o meu pai. Ficou tão comovido por finalmente ter visitado o seu pai, que nunca conheceu e por ter entrevisto a vida que o seu pai tinha vivido há tanto tempo. Voltámos ainda mais duas vezes, uma vez com o irmão do meu Norte. Durante anos, o meu pai não podia suportar ouvir o tic tac do relógio, que permaneceu silencioso, parado no tempo. O meu pai só começou a apreciar o relógio de lareira após a visita a Beckley. Hoje está na lareira dos meus 123 pais marcando o tempo, sarando todas estas feridas e fazendo descansar esses fantasmas. Das poucas vezes que visitámos Portugal, costumava pensar que a tristeza que eu sentia eram saudades da minha família. Aprendi que a tristeza não eram saudades, mas sim o luto pelo que tínhamos perdido. À procura de uma relação com uma família fantasma, perdemos a relação com a nossa família des, nesta nova casa a que chamamos Canadá. Para emigrar é preciso sonhar e viver no futuro. Primeiro sonhamos e romantizamos o nosso novo país. Será óptimo, vamos trabalhar duro e ficar ricos. Será um país democrático onde teremos direitos. Depois romantizamos o país que deixamos para trás. Era uma maravilha, tínhamos tantos amigos e família chegados. Só mundo. Posso não ter ficado rico em dinheiro, mas fiquei rico em experiências.” Começamos agora um novo capítulo. A minha filha, Jordan Santos-Sparrow, incorpora muitas gerações de imigrantes. Ele tem um passado rico de Portugal, como tem de muitos outros países como Inglaterra, Alemanha, Rússia, de onde os antepassados do meu marido “Começamos agora um novo capítulo. A minha filha, Jordan SantosSparrow, incorpora muitas gerações de imigrantes.” real. Mas, como com todas as experiências, há tantas positivas que podemos colher. Esta viagem permitiu-me um grande entendimento do que acontece às famílias e do que acontece aos indivíduos durante o processo de emigração. Tenho muito orgulho no meu trabalho com a grande comunidade portuguesa de Toronto e com imigrantes de outras comunidades, fazendo aconselhamento e ajudando imigrantes nas suas dificulda124 relembraremos os Verões maravilhosos e esqueceremos quão frias as casas eram no Inverno. Durante a nossa última visita a Portugal, a minha tia Clotilde perguntou ao meu pai “Não terias tido uma boa vida se tivesses ficado aqui?” Ele respondeu “Economicamente sim, mas espiritualmente não. Nunca teria aprendido tudo o que aprendi da experiência que foi viver em outras partes do imigraram. A vida é uma viagem e nós fomos tão afortunados que a nossa incluiu, ao mesmo tempo, família e aventura. Hoje, o mundo é muito mais pequeno do que era nas nossas aventuras familiares. Casa, é onde decidimos instalarmo-nos. Os fantasmas fazem agora parte da história e interrogo-me ao que a Jordan chamará de casa. Cristina. 125 Témoignages : Daniel, Estelle, Lévi, Liliana, Lionel, Hermano, Jean-Philippe, Marco, Maria, Marie, Marie-Hélène, Nathalie, Silvia, Sosana, Brigite, Liliana, Renata, Susana, Cristina. Crédit Photo : Liliana Azevedo, Turismo de Portugal, Turismo de Liboa, Postais de João Vieira “Mira de Aire”, Christian Schu et photographies personnelles des auteurs. Conception, graphisme et mise en page : Estelle Valente Imprimerie : Quick Biz, artes gráficas e marketing, lda. Distribution: Association Cap Magellan Appui : DGACCP, Mairie de Paris, Caixa Geral de Depósitos, TAP. Edition : Décembre 2008 Association Cap Magellan - www.capmagellan.org Toute reproduction totale ou partielle des textes est interdite, sans l’autorisation de l’association Cap Magellan. Livre gratuit. Interdit à la vente. Le projet de ce livre couve depuis bien longtemps. Et il n’a pas été simple de réunir ces quelques témoignages qui illustrent l’histoire de l’émigration portugaise au XXème siècle ! Pas simple que la deuxième, ou troisième, génération raconte l’histoire de la première. Et pour cause, ils n’en savent souvent pas grand chose. L’idée est partie d’une phrase: ‘Papa, maman, racontez-moi votre histoire’. Votre histoire, notre histoire. Car tout n’est que continuité, votre passé est présent. Vos décisions ont bouleversé nos vies, la vôtre, la nôtre. Que de fois nous nous sommes interrogés ‘Pourquoi ?’. Que de fois, nos questions sont restées sans réponses. Que de fois, vos visages sont restés fermés. Silences. Que de fois, nous ne nous sommes pas compris. Il est temps d’établir des ponts, de nous confier vos mémoires, de nous raconter, de vous raconter. C’est ce qu’ils ont fait, à la demande de Cap Magellan. Ce livre a eu le mérite de raccourcir les distances qui séparent les générations, de permettre la parole sur un sujet délicat mais fondateur pour chacun et chacune de nous : notre histoire de famille. Précisons que les histoires qu’il est ici donné aux lecteurs et lectrices d’entrevoir ont été “transpirée[s] ou pleurée[s] mais rarement donnée[s] sans combat”. Nous remercions tous les jeunes qui ont accepté de prendre la plume - ou le clavier - pour nous transmettre des bribes de mémoire que leurs parents leur ont confiées. Nous rendons hommage à tous les parents qui ont osé prendre leurs destins en main, défier les frontières et se lancer dans l’inconnu. Histoires de vie sublimes, de par la hardiesse et la ténacité qu’il leur a fallu pour vaincre les moments de tristesse et la douleur de la séparation. Nous remercions la DGACCP qui nous a soutenus et rendu possible la publication de ce livre. Association Cap Magellan Edition Appui