L`ETHNOLOGIE ARCHIVISTIQUE

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L`ETHNOLOGIE ARCHIVISTIQUE
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Eric Ketelaar
L’ETHNOLOGIE ARCHIVISTIQUE *
“Dans les pays froids on aura peu de sensibilité pour les plaisirs; elle sera plus grande dans les
pays tempérés; dans les pays chauds, elle sera extrême. Comme on distingue les climats par
les degrés de latitude, on pourroit les distinguer, pour ainsi dire, par les degrés de sensibilité.
J’ai vu les opéra d’Angleterre et d’Italie: ce sont les mêmes pièces et les mêmes acteurs; mais
la même musique produit des effets si différents sur les deux nations, l’une est si calme, et
l’autre si transportée, que cela paroit inconcevable”.
Voilà ce qu’écrivit Montesquieu, dans De l’esprit des lois. 1 On pourrait regretter
que les organisateurs n’aient pas mis d’opéra au programme de ce colloque
européen: nous aurions pu étudier les réactions différentes des différentes
nations. Des nations différentes d’archivistes: quelles seraient leurs réactions par
exemple, à une représentation de l’opéra le plus archivistique de tous les temps,
Vec Makropoulos (la chose ou la pièce Makropoulos) de Janacec, qui date de
1926. Le coeur de l’intrigue de cet opéra est le document archivé Makropoulos,
qui contiendrait le secret de la vie éternelle. Le document lui-même aussi est
destiné à la vie éternelle, mais à la fin de l’opéra, il finit par être jeté dans le feu.
Et voilà la boucle bouclée, boucle qui commence dans la première scène de l’
opéra où le clerc Vitek monte sur une échelle pour sortir un dossier des archives
gigantesques. Il finit son air par les mots: “Rien ne dure éternellement”. Lors de
la première à New York il y a trois ans, notre archiviste tomba de l’échelle avec
son dossier et mourut. Non pas parce que Janacek l’avait prescrit, mais par
suite d’ une crise cardiaque. Mourir en gardant un dossier sous les bras. Rien ne
dure éternellement. La sensibilité française aurait-elle produit une autre réaction
que celle des Américains?
Sensibilités
Depuis 1995, les Pays-Bas et l’Allemagne ont un corps d’armée commun, cantonné à Münster.
La langue commune est l’anglais, mais les sensibilités sont restées différentes selon la
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nationalité. Le fait que leurs collègues néerlandais laissent ouverte la porte de leur bureau
irrite les officiers allemands : on est presque forcé d’y jeter un coup d’oeil en passant devant
la porte et on voit les Néerlandais toujours en train de discuter en buvant du café. On entre
dans leur bureau comme ça, sans frapper, sans se présenter à la façon militairement correcte:
“"Soldat untel, à vos ordres, mon commandant”. De l’autre côté, les Néerlandais trouvent que
les portes toujours fermées des bureaux allemands empêchent les relations entre collègues:
qu’est-ce qui se passe au fond derrière ces portes fermées?
L’image des portes fermées et ouvertes rend bien les sensibilités ou les conceptions
complètement différentes du travail, qui se révèlent ailleurs aussi. Dans une société orientée
sur le consensus – comme l’est la société néerlandaise depuis des siècles, depuis l’époque de
la république fédérale des Provinces Unies, gouvernée par des régents – l’échange d’idées dans
une discussion est une forme de travail. Mais dans une société orientée sur les règles, comme
la société “prussienne”, c’est le travail individuel fait derrière le bureau qui compte. Si l’on ne
reconnait pas cette distinction et si l’on ne sait pas en tenir compte, on sera déçu dans une
réunion internationale.
Dans ce même quartier général néerlando-allemand les Néerlandais regardent une réunion
comme un moyen de discussion ouverte, qui doit mener à un consensus servant de base à
une prise de décision collégiale – exactement comme délibéraient et décidaient leurs ancêtres
aux Etats Généraux. Les participants allemands par contre, à une réunion pareille, s’irritent: ils
considèrent les réunions non comme un moyen de négociation, mais comme un moyen de
décision. Pour eux, “Befehl ist Befehl”, à condition que l’ordre soit donné par quelqu’un qui
est qualifié par sa fonction et que cet ordre puisse être exécuté strictement et
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professionnellement, tandis que pour les officiers néerlandais l’ ordre est bon quand tous ceux
qui sont impliqués dans celui-ci, pensent qu’il peut être exécuté convenablement.
Dans la culture néerlandaise, dans des réunions collégiales, l’inégalité des participants qui
existe en dehors de la réunion, est transformée en une égalité formelle de membres d’un
corps. L’échange des idées se fait oralement, et le procès-verbal ne sert qu’à rendre le point de
vue de chacun et de fixer les décisions concernant l’organisation du travail. Lorsque, il y a
trente ans de cela, j’étais secrétaire du Conseil néerlandais des Archives, je prenais soin que
chaque membre du Conseil fût mentionné au moins une fois dans le procès-verbal, même s’il
n’avait rien dit pendant la réunion. Ainsi le procès verbal confirmait la participation de tous les
membres au processus décisionnel.
Cela se passe de façon différente en France? Selon John Mole la présentation orale et la
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discussion sont des innovations d’origine anglosaxonne dans les réunions en France. Une
réunion serait surtout l’occasion pour le chef d’exercer son autorité. Ce n’est pas le consensus
le but le plus important, mais les instructions et la coordination.
Qu’est-ce qui se passe, selon ce même John Mole, quand vous recevez une invitation à une
réception ou un dîner portant l’heure 7.30? En France vous arriverez à 7 h. 45, à 8 h. ou à 8
h. 30, cela dépend des conditions sociales et de l’importance de celui qui vous invite. En
Allemagne vous sonnerez à la porte à 7 h. 30 précises, pas à 7 h. 31, ni à 7 h. 29. Les Anglais
ont "formalisé leur unpunctualité”: arriver à l’heure n’est pas poli, donc on arrivera avec un
retard de 10 à 20 minutes; mais si l’on est invité “entre 7 h. 30 et 8 h.”, il ne faut jamais
arriver après 7 h. 50.
Un monde multiculturel
A beau mentir qui vient de loin. Pourtant il y a infiniment de différences dans les habitudes,
les valeurs reconnues, le comportement des gens, des peuples, des nations. Montesquieu –
que l’on a appelé parfois, non sans quelque exagération, l’ancêtre du droit comparé4rattachait les différences aux différences de climat: sous le soleil, on se comporte de manière
différente que dans un pays où le climat est froid et humide, n’est-ce pas? Les étrangers
pensent, travaillent et se comportent d’une manière qui nous étonne souvent. Qui nous
étonne, car nous avons aucune idée de l’origine, du passé culturels. Souvent, c’est l’ étranger,
cet autre, qui n’est pas conscient de la manière dont il agit, parce que son esprit est comme
on pourrait dire, culturellement programmé. L’anthropologue de l’organisation Geert Hofstede
a fait de multiples recherches portant sur nos “programmations mentales”, pour mieux
comprendre comment il faut Vivre dans un monde multiculturel.5 Par une recherche empirique
effectuée dans plus de cinquante pays, Hofstede a identifié cinq dimensions de culture, dont
deux ont une influence particulière sur notre façon d’envisager les organisations. La distance
hiérarchique est la mesure du degré d’acceptation d’une répartition inégale du pouvoir. Le
degré de contrôle de l’incertitude d’un pays mesure le degré d’inquiétude de ses habitants face
aux situations inconnues ou incertaines. Ce sentiment s’exprime, entre autres, par le besoin de
prévisibilité: un besoin de règles. Les membres d’une société à fort contrôle de l’incertitude ont
été programmés depuis leur petite enfance à se sentir à l’aise dans les environnements
structurés.
La France, comme la Belgique, joignent une grande distance hiérarchique avec un contrôle
élevé de l’incertitude. Le modèle implicite d’une organisation française et belge est la
pyramide humaine. Le Danemark, la Suède et le Royaume-Uni par contre connaissent une
faible distance hiérarchique et un faible contrôle de l’incertitude, ce qui se traduit dans un
modèle d’organisation de la place du marché. Les Suisses et les Allemands ont une distance
hiérarchique moyenne et un contrôle de l’incertitude élevé. Leur modèle implicite est la
machine bien huilée. Tous ceux qui ont une expérience internationale peuvent, selon Hofstede,
confirmer que les entreprises françaises ont une plus forte concentration de l’autorité, que les
Allemands souhaitent bien structurer les activités sans concentrer l’autorité et que, dans les
entreprises britanniques, on se fie plus aux solutions au cas par cas.
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L’étude du Prof. Hofstede contient des éléments qui méritent l’attention des archivistes. En
1992 déjà, David Bearman a attiré l’attention sur cette étude dans un article d’une importance
fondamentale paru dans le numéro de l’ “American Archivist”, consacré entièrement aux
aspects internationaux de notre profession. 6 David Bearman avait été frappé par la différence
d’approche du préarchivage ou de la gestion des documents électroniques aux Etats-Unis et et
en Europe. Il explique cette différence d’approche en partie par la différence de la mobilité des
employés dans les organisations: en Europe on travaille beaucoup plus de temps chez un
même patron qu’aux Etats-Unis, où l’on change vite d’ entreprise pour aller travailler pour une
autre. Un employé américain a moins de deux ans pour apprendre ce qu’on attend de lui dans
sa fonction, tandisqu’en Europe on a plus de trois ans pour l’apprendre. Bearman en tire la
conclusion que les règles de procédure pour la gestion des archives courantes, par exemple les
classifications prescrites, disparaissent dans une culture de l’entreprise où l’employé n’a
simplement pas le temps de s’approprier ces règles. On peut croire par contre que dans une
organisation où les employés restent de longues années à leur poste, ces mêmes règles de
procédure ont aussi la fonction de confirmer le rôle et la culture: “ici, on travaille ainsi”. Quand
je faisais mes débuts, comme jeune fonctionnaire, on m’a appris de commencer par demander
“le dossier” et d’en copier “fiat insertio” ce qu’on avait décidé avant dans un cas pareil. Cela,
c’est du passé, au moins dans beaucoup d’organisations publiques néerlandaises: les vieux
dossiers - la mémoire de l’organisation, ou plus simplement l’exemple invoqué comme
autorité - ont cédé la place au style personnel du fonctionnaire individuel qui est plutôt jugé
d’après les résultats et non d’après son respect des procédures. Ce changement dans la culture
administrative a amené avec lui un changement de conceptions concernant les archives et les
méthodes de l’archivage. L’informatisation y joue son rôle évidemment. On n’est plus
préoccupé du dossier contenant des précédents historiques mais on est plutôt, pour ainsi dire,
fixé sur l’écran, où on peut manipuler l’actualité avec des résultats immédiatement
perceptibles.
Culture de l’organisation
Bien sûr, il y a des différences selon le type d’organisation. Celle-ci est-elle orientée sur le
procès ou sur le résultat, sur l’homme ou le travail? Les collaborateurs sont-ils liés à leur
organisation ou à leur profession (autrement dit: leur réponse à la question “que faites-vous?”
est-elle: “Je suis archiviste” ou “je travaille chez ABC”). Voilà trois des six dimensions de la
culture de l΄organisation que distingue Bram Neuijen, élève et collaborateur du Prof. Hofstede.
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La culture de l’organisation est le logiciel de l’organisation. Mais les valeurs de la culture de
l’organisation - quelques unes de ces valeurs au moins – sont étroitement liées, paraît-il, à la
nationalité de ceux qui travaillent dans une unité de l’organisation. Ces valeurs sont au
nombre de trois: besoin de sécurité, centralité du travail et besoin d’autorité. La première et
la dernière de ces trois valeurs coïncident avec deux dimensions distinguées par Geert
Hofstede: la distance hiérarchique et le contrôle de l’incertitude. La combinaison de ces deux
dimensions détermine quatre styles bureaucratiques, comme l’a constaté Bearman. La
‘bureaucratie totale’ est caractérisée par la distance hiérarchique élevée et un fort contrôle de
l’incertitude par standardisation des processus organisés par technostructures. La ‘bureaucratie
du marché’ ou l’adhocratie combine une distance hiérarchique faible avec un faible contrôle de
l’incertitude. Dans une “bureaucratie workflow” ou bureaucratie une distance hiérarchique
faible va de pair avec un contrôle élevé de l’incertitude . David Bearman a jugé, en se fondant
sur le premier livre de Geert Hofstede Les différences culturelles dans le management 8 que la
France et les pays latins appartiennent à la catégorie bureaucracies pleines: les fonctions sont
définies très précisément, la communication passe surtout de haut en bas, de sorte que l’on
puisse s’attendre à ce que l’information au plus haut niveau soit la plus ample. Dans les
bureaucraties du marché, comme on les trouve aux pays scandinaves et anglosaxons, mais
aussi aux Pays-Bas, les fonctions ne sont pas fortement liées à un lieu fixe dans l’organisation
et la communication va dans tous les sens: de bas en haut, de l’extérieur vers l’intérieur à tous
les points différents. On peut donc y trouver des “caches” d’archives partout dans
l’organisation. Dans les ‘workflow bureaucracies’ ou bureaucraties du processus du travail –
dans les pays germanophones et en Finlande - on accentue la régularisation des activités, pas
la régularisation des relations. Les fonctions sont fortement liées à la structure, la
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communication – et donc
dans le menu détail.
l’archivage aussi – se passe selon des procédures définies jusque
Je le reconnais quand, à l' étranger, je visite un secrétariat quelconque. En
Allemagne, il est possible de déterminer avec précision la responsabilité
individuelle de chaque fonctionnaire spécifique occupé à une affaire; ce qui
s'avère tout autre au sein de la culture de consensus propre aux Pays-Bas. Le
cadre de classement allemand et les annotations apportées sur les documents
réfletent la répartition des affaires.9 La régularisation du flux des travaux est
parfaitement visible sur la Laufmappe, la chemise qui passe de bureau en bureau.
Lorsque je pris en charge les archives formées par un haut fonctionnaire
néerlandais peu après la libération en 1945, je fus véritablement stupéfait d' y
trouver des chemises si typiquement allemandes. L' explication était bien simple:
ce fonctionnaire avait travaillé au Cabinet de la Reine, là où pendant l'occupation
allemande un bureau nazi s'était installé. Après la guerre, la pénurie de papier
avait contraint les Néerlandais à utiliser les articles de bureau abandonnés par les
Allemands.
Traditions archivistiques
Il n'était pas question dans ce cas d'une commutation consciente vers un autre
système d'archivage. Ce qui, au contraire, fut bien le cas dans le département de
l'Elbe, au royaume de Westphalie, sous le règne de Jérôme Bonaparte. Le premier
préfet fut un Prussien; son successeur un Français, le chevalier de Bercagny. Le
Prussien organisa l’administration selon le modèle brandebourgeois: un
classement des documents en dossiers d'affaires, disposés en rubriques selon
l'ordre alphabétique, du A de accises jusqu'au Z de Zölle, droits de douane. Le
Français, par contre, forma, conformément à la tradition française, pour chaque
bureau les archives courantes, avec un système de séries centrales de
correspondance se distinguant les unes des autres d'après les principaux
correspondants.Un système d'archives courantes centralisateur n'existait pas. Les
registres d'arrêtés et de d'expédition formaient le noyau même du système
d'archivage français. Wolfgang Stein en a fait une description récente dans son
excellente étude de diplomatique moderne consacrée aux systèmes d'archivage
introduits en Allemagne au temps de la Révolution française et de l' Empire. 10
L'ordre dans les archives prussiennes était, selon lui, établi sur un système
général de classification des dossiers, indépendant de l'organisation du travail des
bureaux. Ça demande une institution spécialisée: la Registratur. Par contre,
l'ordre dans les archives françaises était établi justement selon la répartition du
travail entre les différents bureaux. L'administration française se caractérisait par
la spécialisation des bureaux; sous le Directoire, ces bureaux étaient reliés aux
cinq administrateurs. Mais sous les préfets de l'époque napoléonienne, les
bureaux séparés continuèrent à fonctionner. En Prusse et en Hollande également,
cela signifia une rupture d'avec le passé, un passé d'ancien régime dans lequel
l'accent reposait justement sur la Registratur et un greffier fonctionnant sous des
ministres généralistes. Une répartition en portefeuilles au niveau de l'appareil
administratif était chose tout simplement impensable sous la République des
Provinces-Unies. Je suis curieux de savoir ce qu'on découvrirait en répétant la
recherche faite par M. Stein sur les départements français dans lesquels
respectivement un administrateur néerlandais et un gestionnaire néerlandais ont
exercé la fonction de préfet: dans le Vaucluse (C.G. Hultman) et en LoireInférieure (J.van Styrum). Il n'est pas étonnant que dans les Pays-Bas, après la
restauration de 1814, on prit ses distances vis-à-vis de la spécialisation des
bureaux tant execrée et des dossiers et cartons appariés,et qu'on en revint au
traitement généraliste des affaires auxquelles correspondait la série
chronologique des documents reçus et expédiés. Il fut expressément interdit de
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classer les pièces par ordre de matières: c'était le seul moyen pour briser le
pouvoir des bureaucrates spécialisés.
Ainsi les cultures nationales sont la cause de différences d’archivage. Ces différences sont
plus complexes que la simple ligne de rupture entre les pays de la Registratur et de la non
Registratur, cette ligne de rupture qui, selon Robert-Henri Bautier, sépare l’Europe germanique
de l’Europe romane. 11 La Registratur peut cependant être reconnue également dans le Sud,
par exemple en Italie. Puis, il y a une assez grande différence par exemple entre la
registratuur néerlandais et la Registratur allemand, une différence qui est liée aux différences
entre la culture collégiale de consensus et la culture basée sur les responsabilités individuelles
des bureaucrates que j’ai déjà indiquées ci-dessus. Mais une raison plus importante de refuser
la représentation de M. Bautier comme étant trop simple est qu’elle est plutôt fondée sur
l’ethnographie archivistique que sur l’ethnologie archivistique.
La Tour de Babel
Dans la littérature archivistique on trouve un grand nombre de livres, de rapports et d’articles
écrits sur les archives, l’archivistique et les archivistes dans les différents pays. Le plus
souvent ces publicatons sont de caractère descriptif. C’est l’ethnographie qui nous donne une
image claire de la situation dans tel pays ou dans un certain nombre de pays. On n’a par
exemple, qu’à feuilleter les actes de la Conférence Internationale de la Table Ronde des
Archives, la CITRA, pour y trouver un grand nombre de rapports synthétiques intéressants et
utiles: le concept d’archives et les frontières de l’archivistique, les archives imprimées,
l’information et l’orientation des utilisateurs des archives etc. Chacun de ces rapports est basé
sur un questionnaire mondial, dont les réponses bien classifiées ont paru dans le rapport. Pour
savoir comment on traite les archives imprimées en Italie, ou en France ou au Japon, un
rapport CITRA contient des renseignements utiles. Mais qu’est-ce qu’un pareil rapport nous
apprend de plus, si ce n’est que ces thèmes dans tel pays sont traités comme ceci ou comme
cela? Au mieux nous apprenons qu’il existe certaines différences et certains rapports entre les
traditions archivistiques et les systèmes archivistiques, mais on n’y apprend pas le pourquoi de
ces différences. Je dis ‘au mieux’ , car un grand nombre de ces études internationales
souffrent du fait que le point de départ et les hypothèses des auteurs diffèrent entre eux, que
l’ensemble des données n’avait pas du tout ou pas assez été normalisé, que la terminologie
n’était pas uniforme ou n’était pas assez précise. Un exemple simple. Si nous lisons qu’ il y a
500 archivistes au pays X et qu’ au pays Z il y en a 5000, cela ne me dit pas grand’chose si
l’on ne m’a pas donné la définition exacte de ce qu’on entend par “archiviste”. Je me rappelle
combien j’étais étonné en apprenant d’un collègue archiviste national dans un pays africain
qu’il était à la tête de 500 archivistes. En interrogeant mon interlocuteur, j’appris que tous les
archivistes et tous les documentalistes des ministères y étaient compris. Voici un autre
exemple: Dans le rapport Les Archives dans l’Union européenne on lit “La législation des
différents Etats membres met certaines bornes au libre accès aux documents administratifs,
en imposant soit un délai d’accès général, soit des délais particuliers qui s’appliquent à de
différentes catégories d’archives. Malgré la diversité de la législation archivistique dans les
différents Etats membres, ceux-ci ont adopté un délai général pour l’accès aux archives de
trente ans.” 12 Sans parler du terme ‘accès’ - mon ami Michel Duchein m’a appris à dire:
communicabilité - l’expression: le délai de communicabilité qui a un sens spécifique dans la
législation concernant les archives et la pratique archivistique françaises, allemandes et
anglaises, est employé à tort ici pour indiquer un système tout différent d’accessibilité de
documents d’archives – ou la communicabilité est lié au délai de versement des documents
aux dépôts d’archives publiques, comme cela existe aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie, au
Luxembourg et au Portugal.
La description cause dans l’ethnographie archivistique les mêmes problèmes que ceux
rencontrés par l’anthropologue et l’historiographe. Quelle langue et quelle terminologie faut-il
employer? Comment éliminer la déformation causée par le niveau social et culturel de celui
qui fait la description et la distance dans le temps entre lui et son sujet? Un Français qui ne
connaît pas la Sachaktenregistratur allemande, traduit Sachakte par “dossier de
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documentation” – on trouve cette traduction dans le Dictionnaire de terminologie archivistique,
publié sous les auspices du Conseil International des Archives, mais cette traduction induit
chaque lecteur français en erreur. Michel Duchein a donné plusieurs exemples de ce genre
d’erreurs. 13 Dès le commencement, il y a le problème de la traduction de l’idée fondamentale
de l’archivistique: le terme ‘archives’. Si on traduit ce terme français en anglais par archives
et en allemand par Archive, un Américain ou un Allemand comprend tout autre chose: ce que
l’on appelle en français ‘archives définitives’. Archives courantes et archives intermédiaires ne
sont pas des archives pour les Américains et les Allemands, mais records aux Etats-Unis et
Schriftgut en allemand.14 Et puis il y a les “faux-amis”. La série en français n’indique pas la
même chose que la Serie allemande ou le series anglais - et dans le Dictionnaire de
terminologie archivistique le terme français série a été collé sur une traduction française de la
définition anglaise de record group. Le mot français fonds a un autre sens que le mot russe
ΦOH∆, qui, à son tour a un sens essentiellement différent du mot néerlandais fonds. Pourtant
le russe et le néerlandais ont emprunté ce terme au français. Les langues, pour exister,
cherchent toujours à emprunter les unes aux autres.
Le mot sélection employé en Belgique et au Québec a un autre sens que le mot anglais
selection, le mot néerlandais selectie est l’equivalent du mot français tri. Tout récemment,
Björn Lindh, Philippe Charon et Rosine Cleyet-Michaud avaient besoin de 9 pages dans Janus
pour donner des explications de certains mots. 15 Et ils n’avaient parlé que des termes ‘tri’,
‘élimination’ et ‘destruction’!
Les définitions sont-elles des descriptions d’une réalité trouvée dans la pratique archivistique
d’un pays, ou veulent-elles définir l’ensemble où sont englobées les différentes réalités? La
terminologie archivistique internationale doit-elle être descriptive ou prescriptrice? Le
Dictionnaire de terminologie archivistique ne choisit pas, le vieux Lexicon d’Elsevier vise bien à
l’uniformisation et à la normalistion. C’était conforme au point de vue du Néerlandais Herman
Hardenberg qui avait préparé un rapport sur l’uniformité de termes archivistiques pour le
deuxième Congrès International des archives à La Haye en 1953. 16 Il désirait l’unification des
termes principaux; puis, pour comprendre les termes peu usuels un glossaire ou un lexique
suffirait. L’idée d’uniformité fut combattue par Sir Hilary Jenkinson en personne, soutenu par
Robert-Henri Bautier. Ce dernier fut membre du comité de terminologie archivistique, avec
entre autres Herman Hardenberg, le futur inspecteur général Marcel Baudot, Herman Meinert
de l’Allemagne et l’Anglais Peter Walne. En 1956 le comité décida que chaque membre ferait
dans sa langue maternelle une liste des 100 termes les plus usuels avec leurs définitions. Ces
listes ont servi de base au Lexicon d’Elsevier, paru en 1964. Le Dictionnaire parut vingt ans
plus tard, réalisé par Peter Walne. Son point de départ était une liste de termes et de
définitions américaines et anglaises, pour lesquels on chercha un équivalent dans chaque
langue. Les définitions françaises n’étaient souvent que des traductions de la définition
anglaise, parfois telles que même pour un français elles étaient incompréhensibles et
inacceptables. Michel Duchein en donna quelques exemples.
Comme vous le savez, on a commencé, il y a quelques années, sous la direction de Björn
Lindh, à travailler à ce qui devrait devenir la troisième édition du Dictionnaire de terminologie
archivistique. Au cours du travail il se révéla qu’on ne pouvait plus continuer à travailler selon
la méthode de l’ancien Dictionnaire. Au lieu de chercher un équivalent en français, en italien,
en allemand ou en russe pour le terme anglais et la définition anglaise, on devrait définir les
idées archivistiques dans chaque langue. Après seulement, on peut décider s’il y a des
équivalents en d’autres langues. En fait, le résultat est un dictionnaire international fondée sur
des dictionnaires nationaux. Aussi va-t-il sans dire que l’on publie à part ces dictionnaires
nationaux avec des renvois aux équivalents étrangers. Pour cela, l’Internet est un meilleur
moyen qui est plus accessible qu’une publication en livre. En employant les liens hypertexte on
peut passer d’une langue à une autre, en continuant à voir le terme dans son contexte
historique et administratif qui ressort de la définition d’origine. Nous espérons que cet
instrument terminologique moderne – le fil d’Ariane qui devra nous aider à sortir de la Tour de
Babel – sera montré au congrès international des archives à Séville.
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Description ou prescription? Les normes internationales ISAD (G) et ISAAR (CPF)(Norme
générale et internationale de description archivistique et la Norme internationale sur les
notices d’autorité archivistiques relatives aux collectivitiés, aux personnes et aux familles) font
bien un choix: ce qui est appelé un ‘fonds’ et une ‘série’ par l’ ISAD est un terme pour un
phénomène qui est appelé ‘fonds’ ou ‘série’ dans certains systèmes, pas dans d’autres;
cependant pour l’application de la norme ils sont groupés sous un dénominateur commun.
Selon l’ISAD (G) une série est: l’ensemble de documents considérés comme une entité
homogène pour toute raison découlant de leur origine, de leur utilisation, de leur forme ou de
leur système d’archivage. L’équivalent français n’est pas une série, mais subdivision du fonds.
Le mot ‘série’ selon l’ISAD(G) est donc une notion prescriptrice normalisée et pas une
description du mot français ‘série’
La terminologie employée par Frank Evans et moi-même dans notre Guide pour inventorier les
systèmes et services d’administration d’archives et de gestion de documents est également
prescriptrice. 17 Mais on ne doit pas employer ces définitions et ces termes prescripteurs pour
une description d’un autre système d’archivage. Les termes endogènes usuels dans ce système
ne peuvent pas être simplement traduits, car ils empruntent leur sens à un contexte
historique, politique, social, culturel voire même religieux. Archives communales: que signifie à
vrai dire le mot ‘commune’? Liasse: celui qui n’en a jamais vu, a, au moins, besoin d’une
image pour comprendre cette notion. Archives privées et archives publiques sont des notions
dont il faut d’abord comprendre le contexte politique et juridique dans un pays avant de
pouvoir comprendre le concept auquel le terme se rapporte. C’est surtout pour cette raison
que Hilary Jenkinson préférait une encyclopédie et ne voulait pas d’un dictionnaire
international de terminologie archivistique. 18 Aujourd’hui encore on a toujours besoin de
cette encyclopédie archivistique internationale, comme l’a constaté la Commission de
l’administration du programme du Conseil International des Archives. Une encyclopédie
composée d’anthologies nationales, ordonnées selon un schéma fixe offrirait aux archivistes et
aux chercheurs et aux enseignants des connaissances élémentaires de différents systèmes
nationaux, et mettrait chaque système dans son contexte historique et son fonctionnement
actuel. En outre elle devrait faire comprendre les différences et les caractéristiques communs
des systèmes d’archivage, des traditions et des terminologies. Faire une telle encyclopédie
internationale est une vaste entreprise et il n’est pas du tout sûr qu’elle puisse être réalisée.
La méthode comparative
Je me suis référé aux rapports de la CITRA. Ces rapports-là et les études comparables offrent
de bonnes descriptions et de bonnes analyses de la façon dont un sujet archivistique est traité
dans les différents pays. J’aimerais les caractériser comme études transnationales, pour les
distinguer des études qui décrivent la situation dans un pays déterminé. Les deux
appartiennent à ce que j’aimerais appeler l’ethnographie archivistique. Mais comme
l’ethnographie sert de base à l’ethnologie, l’ethnographie archivistique ne suffirait pas. Il ne
s’agit pas seulement de description mais aussi d’essayer d’ expliquer. Et cette explication,
fondée sur une description et une analyse consciencieuses, est le but de l’archivistique
comparée, l’explication dans le contexte social, politique, économique, culturel, religieux et
historique. 19 L’archivistique comparée n’est pas normative, elle ne prescrit pas de règles, mais
elle essaie de comprendre ce que l’on fait et pourquoi. Le comparatiste cherche cause et effet,
relations entre les phénomènes observés. Le comparatiste commence par une “conjecture
intelligente” sur un lien supposé entre des faits ou variables. Ensuite il faut examiner cette
hypothèse et la mettre à l’épreuve. 20
On ne peut pas appliquer la méthode comparative à chaque phénomène. Une certaine
correspondance entre ce qu’on examine dans l’un et l’autre pays est indispensable. Une
comparaison entre les archives d’un village grec et les archives nationales de la Suède n’aura
aucun résultat. Les phénomènes examinés doivent être identiques, ou plutôt pour être plus
exact: il faut définir exactement quelles caractéristiques particulières seront examinées, et
comment on les a délimitées et définies. Ensuite, la description et l’analyse ne doivent pas
seulement concerner les phénomènes examinés mais aussi leur contexte socio-culturel.
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Vous vous demanderez maintenant si ce contexte n’est pas si différent que toute comparaison
en devient boiteuse? L’archivistique n’est-elle pas si liée aux traditions légales et
administratives de l’un comme de l’autre pays que la comparaison ne puisse être utile? Toute
recherche scientifique part de l’hypothèse que les caractéristiques d’un univers ou d’une partie
d’un univers peuvent être définies et comparées. Chaque être humain est unique, il n’y a pas
deux individus identiques, pourtant normalement tous les êtres humains
ont deux bras, deux jambes, deux oreilles et deux yeux, n’est-ce pas? Donc ils ont ces
caractéristiques en commun. On peut dire de même pour les systèmes archivistiques. En deux
ou plusieurs pays ils seront différents. Décrire et dénommer ces différences est le premier pas.
La plupart des études archivistiques internationales s’arrêtent là! Mais l’ethnologie archivistique
continue, elle analyse les différences dans les termes de leur contexte socio-culturel et de leur
histoire. Suit l’identification des variables et l’examen de leur unicité et de leur influence
déterminative pour un système archivistique donné. Cela exige une approche
multidisciplinaire, où l’on emploie des méthodes et des techniques empruntés aussi bien au
domaine juridique et historiographique, qu’au domaine sociologique et anthropologique. Cette
approche sociologique et anthropologique de l’archivistique ouvre des champs de recherche
entièrement nouveaux. Je cite comme exemple les études de Mmes Claudine Dardy et Marie21
Anne Chabin. Mme Chabin nous a montré l’importance de l’examen de l’image que les medias
publics font des archives et des archivistes. La fiction elle aussi nous tient un miroir, parfois le
22
miroir de la caricature.
Vous connaissez tous Sylvestre Bonnard, mais connaissez-vous aussi Monsieur Mongrébin,
l’archiviste dans Miquette et sa mère, de De Flers et De Caillavet (1906)?
“Les archives y sont très riches. C’est là que j’ai découvert, il y a cinq ans, la charte
communale authentique de Château-Thierry, ce qui me valut les palmes d’officier
d’Académie. L’année suivante, j’eus la chance de démontrer que cette charte était
fausse, ce qui me valut la rosette d’officier de l’Instruction Publique…. C’est beau, la
science!”
L'archivistique comparée
C’est beau, la science de l’archivistique comparée: elle peut être comparative dans le temps
aussi. ‘Pour comprendre le present, il faut en sortir’, comme Emile Durkheim a dit, il y a cent
ans. 23 La comparaison historique d’institutions, de pratiques et de procédures à de moments
différents, la tentative d’expliquer ces différences. Attention: je dis comparer et expliquer.
L’histoire des archives et du discours archivistique se limite le plus souvent à la description et
la juxtaposition, comme dans beaucoup d’études transnationales. En outre, dans les études on
isole souvent l’archivistique de son contexte social, tandisqu’il s’agit justement des relations
entre les modèles politiques, économiques, sociaux dans une société concrète et la création et
l’utilisation d’archives, et de quelle ils s’ influencent entre eux. 24
On peut – et on doit souvent – employer un modèle, un Idealtype, dans le sens Wéberien du
mot. Donc pas de prescription, mais une aide pour décrire et analyser les phénomènes. En
1972 l’UNESCO a publié un Projet de loi d’archives type, inspiré – pour ne pas dire copié – de
la législation italienne. En Algérie, il servait de modèle de la loi d’archives de 1977, cela veut
dire comme matrice ou moule, pas comme modèle ou type auquels on confrontait les
caractéristiques nationales. Il n’étonne pas que la loi algérienne n’a jamais fonctionnée. Ayant
tiré une leçon de cette expérience, l’UNESCO a décidé plus tard de ne pas publier un projet de
loi d’archives type, mais des principes directeurs pour la législation, fondés sur une analyse
25
exhaustive des lois d’archives existantes.
L’archivistique doit être comparative comme discipline scientifique. Comme l’écrivit le grand
comparatiste français René David: “L’origine historique de nos classifications, le caractère
relatif de nos concepts, le conditionnement politique ou social de nos institutions ne nous sont
revélés avec netteté que si, pour les étudier, nous nous plaçons en dehors de notre propre
système de droit.” 26 Ce qu’écrit David – en fait il ne fait que répéter Durkheim – vaut aussi
pour l’archivistique.
9
Vu la place importante qu’occupe le droit comparé dans la formation des juristes, il n’est pas
étonnant que les rares études cpmparées dans le domaine archivistique soient surtout de
caractère juridique. Je pense au livre de Carol Couture et Marcel Lajeunesse, Législations et
politiques archivistiques dans le monde 27 et à la publication du regretté Hervé Bastien:
Perspectives de droit comparé publication en annexe de son Droit des archives et du rapport
Braibant. 28
Quelle est l’utilité de l’ethnologie archivistique? On pourrait bien poser la même question à
propos du projet du CNRS sur l’ethnologie du football. Pour cela on pourrait s’adresser, à
Strasbourg, à l’Institut d’Ethnologie de l’Université Marc Bloch. Une réponse suffit à l’homme
de science : la satisfaction de la curiosité scientifique et la consolidation de la méthode
scientifique. La preuve de l’hypothèse aura une plus grande validité par la comparaison
comparative elle-même. 29 Mais l’archiviste, le praticien, voudra en apprendre plus. Pour cela
nous pouvons nous utiliser ce qu’on en a écrit dans une discipline soeur, celle des
bibliothécaires. Il y a plus de 25 ans la “Library Association” américaine a publié une petit
livre: The dimensions of comparative librarianship écrit par J. Periam Danton, qui enseignait la
bibliothéconomie comparée à Berkeley en Californie. 30 Une grande partie de ce livre est
occupée par les énumérations d’un grand nombre d’auteurs, avec qui Periam Danton n’est pas
d’accord, mais il donne aussi sa propre opinion sur les avantages spécifiques de la
bibliothéconomie comparée. Appliquée à l’archivistique comparée ce sont les avantages
suivants.
L’étude comparative bien faite des pratiques et procédures archivistiques résultera dans
l’adoption générale des “meilleures”, étant donné certaines circonstances et conditions. Ceci
n’est pas le but de l’archivistique comparée en soi, mais pourrait en être la conséquence
indirecte. Cela vaut aussi pour la découverte, par l’archivistique comparée, de techniques
complètement nouvelles ou adaptées, et qui pourront être appliquées ailleurs. Troisièmement
l’archivistique comparée pourra mener à un élargissement du point de vue, un plus grande
sensibilité et en même temps à un plus grand professionalisme. Celui qui ne connaît que son
propre système d’archives, est a tendance à regarder ses structures existantes comme
nécessaires et inchangeables. Les notions françaises de l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des
archives publiques ou le système de la dérogation par exemple. L’archivistique comparée
“nous fait voir qu’elles ne sont pas reçues partout, qu’elles peuvent être en déclin ou avoir
même été abandonnées en certains pays; elle conduit à nous interroger, au delà de leur
31
origine sur leur justification et leur portée réelles” dans notre système national actuel. A
juste titre le Président Braibant mentionne fréquemment des exemples pris à l’étranger dans
son rapport au premier ministre. L’observateur aura également une perspective plus large,
différente sur sa propre situation, qu’on comprend mieux grâce à l’intelligence acquise par
l’étude comparative: “il nous montre d’autres nations, que nous jugeons démocratiques,
adhérer à de toutes autres formules…il nous révèle d’un autre côté que dans d’autres Etats on
regarde comme faussement démocratiques et hypocrites les formules don’t nous affirmons les
32
mérites. L’établissement de la vérité gagne à ces réflexions.”
La publication d’études comparatives contribue à l’échange d’idées sur lequel est fondé
l’amélioration de la profession. L’archivistique comparée contribue également à l’amélioration
de la compréhension internationale et de la collaboration, mais aussi à la solution des
problèmes d’archives de caractère international. Le problème épineux des contentieux
archivistiques en est un exemple. En beaucoup de cas on ne pouvait les résoudre qu’après
avoir acquis une meilleure idée de l’histoire comparative et le contexte de la création des
archives en métropole et aux colonies, non seulement celles de son propre pays, mais aussi
ailleurs.
Pour terminer je voudrais mentionner la contribution inestimable de l’archivistique comparée à
l’éducation et la formation des archivistes. Même sous sa forme la plus simple – vous n’avez
qu’à penser aux contacts amicaux pendant le Stage technique international d’archives -, mais
aussi, sous une forme plus scientifique, l’archivistique comparée aiguise l’esprit, aide à élargir
la compréhension, et confirme le caractère scientifique de l’archivistique. C’est pour cela que
10
j’aimerais d’entreprendre avec d’autres centres d’archivistique des projets de recherche en
archivistique comparée.
Dans ces paroles célèbres d'Emile Durkheim “La sociologie comparée n’est pas une branche
particulière de la sociologie; c’est la sociologie même, en tant qu’elle cesse d’être purement
33
on peut remplacer sociologie par
descriptive et aspire à rendre compte des faits.”
l’archivistique: l’archivistique comparée, c’est l’archivistique même, en tant qu’elle cesse d’être
purement descriptive et aspire à rendre compte des faits. Travaillons-nous dans cet esprit.
* Conférence inaugurale du Colloque européen de l’Association des archivistes
français, Strasbourg, 20-22 octobre 1999.
1
Oeuvres complètes de Montesquieu (Paris 1835), p. 301: De l’esprit des lois,
livre XIV, chapitre II.
2
Wolfgang Herrlitz, Ist Befehl Befehl ? Beobachtungen beim deutschniederländischen Korps in Münster, dans: Friso Wielenga (éd.), Niederländer und
Deutsche und die Europäische Einigung (Amsterdam 1998), pp. 66-70.
3
John Mole, Mind your manners (London 1992).
4
René David, Les grands systèmes de droit contemporains (Paris 19787),p. 6.
5
Geert Hofstede, Vivre dans un monde interculturel. Comprendre nos
programmations mentales (Paris 1994).
6.
David Bearman, Diplomatics, Weberian bureaucracy, and the management of
electronic records in Europe and America, dans: American Archivist 55 (1992),
pp. 178-179.
7
Jan A. Neuijen, Diagnosing organizational cultures. Patterns of continuance and
change (Groningen 1992).
8
Geert Hofstede, Les différences culturelles dans le management (Paris 1987).
Ce jugement a été confirmé dans Hofstede Vivre dans un monde multiculturel,
pp. 196-199 et pp. 202-206.
9
Stefan Fisch, Archiv und Registratur in deutscher und französischer
Verwaltungstradition. Erfahrungen aus Forschungen zur elsässischen Geschichte,
dans: Andreas Metzing (éd.), Digitale Archive - Ein neues Paradigma ? Beiträge
des 4. Archivwissenschaftlichen Kolloquiums der Archivschule Marburg (Marburg
2000) (Veröffentlichungen der Archivschule Marburg Institut für
Archivwissenschaft 31),pp.239-251.
10
Wolfgang H. Stein, Französisches Verwaltungsschriftgut in Deutschland. Die
Departtementalverwaltungen in der Zeit der Französischen Revolution und des
Empire (Marburg 1996) (Veröffentlichungen der Archivschule Marburg Institut für
Archivwissenschaft 24); Wolfgang H. Stein, Une archivistique alternative ? Le
traitement des archives des départements français d’Allemagne de l’époque
révolutionnaire et impériale, dans: La Gazette des archives 162 (1993) ,pp. 189202.
11
Robert-Henri Bautier, La phase cruciale de l'histoire des archives: la
constitution des dépôts d'archives et la naissance de l'archivistique (XVIe-début
du XIXe siècle), dans: Archivum 18 (1968) ,p. 146; Michel Duchein, L’histoire des
11
archives européennes et l’évolution du métier d’archiviste en Europe, dans:
Michel Duchein, Etudes d’archivistique 1957-1992 (Paris 1992) ,p. 72.
12
Les Archives dans l’Union européenne.Rapport du groupe d'experts sur les
problèmes de coordination en matière d'archives (Luxembourg 1994), p. 34.
13
Michel Duchein, Les archives dans la tour de Babel: problèmes de terminologie
archivistique internationale, dans: La Gazette des archives 129 (1985),pp. 103112, réimpr. dans: Duchein, Etudes d’archivistique, pp. 47-56.
14
Nils Brübach, Records oder Akten - Internationale Normung für die
Schriftgutverwaltung, dans: Andreas Metzing (éd.), Digitale Archive - Ein neues
Paradigma ? Beiträge des 4. Archivwissenschaftlichen Kolloquiums der
Archivschule Marburg (Veröffentlichungen der Archivschule Marburg Institut für
Archivwissenschaft 31) (Marburg 2000) ,pp. 221-237.
15
Björn Lindh, Some thoughts on appraisal terminology, dans: Janus 1997/2, pp.
18-22; Philippe Charon - Rosine Cleyet-Michaud, à propos de l’article de Björn
Lindh: le point de vue français, dans: Janus 1997/2, pp. 111-114.
16
Eric Ketelaar, The Archivist's Creed, Task and Aim. Revisiting the first two
international congresses 1950, 1953, dans: Frank Daelemans (ed.), Miscellanea
in honorem Caroli Kecskeméti (Bruxelles-Brussel 1998) (= Archives et
bibliothèques de Belgique, numéro special 54) 245.
17
Frank B. Evans – Eric Ketelaar, Guide pour inventorier les systèmes et services
d'administration d'archives et de gestion de documents: une étude RAMP (Paris
1983).
18
Hilary Jenkinson, The problems of nomenclature in Archives, dans: Selected
writings of Sir Hilary Jenkinson (Gloucester 1980),pp. 350-351; Michel Duchein,
Introduction à l'édition française, dans: Les archives. Extrait de 'ALA World
Encyclopedia of Library and Information Services', 1980 (Paris 1982); Elio
Lodoloni, Archivistica. Principi e problemi (Milano 19988), pp. 123-124; Wolfgang
Leesch, [Coompte-rendu du] Dictionary of archival terminology, dans: Der
Archivar 38 (1985) col. 465-466.
19
Eric Ketelaar, The difference best postponed ? Cultures and comparative
archival science, dans: Archivaria 44 (1997),pp. 142-148, réimpr. dans: Peter J.
Horsman – Frederick C.J. Ketelaar – Theo H.P.M. Thomassen (red.), Naar een
nieuw paradigma in de archivistiek. Jaarboek 1999 Stichting Archiefpublicaties,
pp. 21-28.
20
J. Periam Danton, The dimensions of comparative librarianship (Chicago, 1973),
pp. 73, 116-118.
21
Claudine Dardy, L'identité-papier, dans: Pouvoirs du papier (Les Cahiers de
médiologie, 4) (Paris 1997), pp. 223-229; ; Claudine Dardy, Identités de papier
(Paris - Montréal 19982); Marie-Anne Chabin, Les nouvelles archives ou
conclusions d'une revue de presse, dans: Gazette des archives 172 (1996), pp.
107-130; Marie-Anne Chabin, Je pense donc j'archive: l'archive dans la société
de l'information (Paris - Montréal 1999).
22
Arlene Schmuland, The archival image in fiction: an analysis and annotated
bibliography, dans: American Archivist 62 (1999),pp. 24-73.
12
23
L’Année sociologique 2:v (1899), cité par Periam Danton, pp. 136-137.
24
Terry Cook, From information to knowledge: an intellectual paradigm for
archives, dans: Archivaria 19 (1984-1985), réimpr. dans: Tom Nesmith (ed.),
Canadian archival studies and the rediscovery of provenance (Metuchen - London
1993),p. 217. Cf. A. Black, Information and modernity. The history of information
and the eclipse of library history, dans: Library history 14 (1998) ,pp. 39-45.
25
Eric Ketelaar, Législation et réglementation en matière d'archives et de gestion
des documents: une étude RAMP accompagnée de principes directeurs (Paris
1986).
26
David, Les grands systèmes, p.7.
27
Carol Couture - Marcel Lajeunesse, Législations et politiques archivistiques dans
le monde (Québec 1993).
28
Hervé Bastien, Droit des archives (Paris 1996),pp. 125-133; Guy Braibant, Les
archives en France. Rapport au Premier ministre (Paris 1996) ,pp. 131-159.
29
Periam Danton, The dimensions, p. 118.
30
Periam Danton, The dimensions. Cf. J. Periam Danton, “Definitions of comparative and
international library science”, dans: John F. Harvey (ed.), Comparative & international library
science (Metuchen, 1977) ,pp. 3-14.
31
David, Les grands systèmes, p. 7.
32
David, Les grands systèmes, p. 8.
33
Emile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique (Paris 1895), p. 169.

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