Pour en savoir plus sur l`Hôtel des Bergues

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Pour en savoir plus sur l`Hôtel des Bergues
L’Hôtel des Bergues
Dans l’Histoire illustrée des Bergues 1834-1984, Pionnier de l’hôtellerie suisse,
(©Société Nouvelle des Bergues, Benjamin Laederer, éditeur, Genève) Louis H. Mottet
nous raconte :
« C’est en 1827 que Dufour présente un mémoire très complet sur [le besoin d’embellir
la rade]; il est rapidement accepté par les autorités. Les travaux commencent en 1829 et le
Grand Quai est terminé en 1833 déjà.
Sur la rive droite, ... tout l’ensemble des bâtiments, maisons, hangars, pavillons et
jardins de l’ancienne manufacture d’indiennes est vendu en 1827 par Jean-Louis Fazy
pour le prix de quatre cent mille francs de France à la Société des Bergues. Fondée en
1826, dont l’objet social était la construction d’immeubles et l’aménagement de rues.
C’est en 1829 que la Société des Bergues avait pris la décision de construire un grand
hôtel destiné à être le fleuron du nouveau quai ; elle ouvrit donc, cette année-là, un
concours doté de prix. C’est un jeune architecte lyonnais, A. Miciol (1804-1876), qui se
classa premier, mais c’est un architecte genevois, François-Ulrich Vaucher, d’une famille
d’architectes bien connue, qui dirigea l’édification de cet immeuble d’un volume
important pour Genève à cette époque. Le projet fut naturellement soumis à l’approbation
du colonel Dufour et probablement aussi à celui de Samuel Vaucher-Crémieux architecte
renommé avec lequel Dufour aimait travailler. Les dépenses furent divisées à quelque
300 000 francs mais la construction revint finalement à 1 100 000 florins, soit à 500 000
francs.
Le conseil d’administration de la Société des Bergues comprend à cette époque MM.
François Duval, Pelegrino Rossi, Ador-Dassier, Naville-Saladin, Pernessin, le colonel
Guillaume-Henri Dufour et les banquiers, L. Pictet et Calandrini. La stipule que
l’aspect de l’édifice devra être riant ; l’architecture en sera simple, d’un style pur et
dégagé d’ornements superflus. L’orientation étant ainsi donnée, le bâtiment ne pouvait
être que néo-classique ; la Genève de la Restauration raffolait en effet de ces rappels de
l’Antiquité et de la Renaissance offrant des façades sobrement enrichies de colonnes ou
de pilastres supportant un fronton. Faut-il rechercher l’origine de cette vogue dans
l’habitude des architectes genevois de parfaire leur formation à Paris et en Italie ? Le fait
est que, marquée de longue date par la culture française, Genève vit fleurir à cette époque
colonnades et frontons qui, venant s’ajouter aux belles constructions classiques du
XVIIIè siècle, lui conférèrent son image particulière.
Selon les instructions de la Société des Bergues, l’hôtel sera composé d’un rez-dechaussée, de trois étages et d’un attique. Il aura une porte cochère sur la place des
Bergues permettant aux équipages de pénétrer dans la cour et une porte d’entrée sur le
quai. On aménagera au rez-de-chaussée des magasins et un grand café avec entresol. Sur
le toit, un belvédère offrira aux hôtes la possibilité de profiter dans toute sa plénitude de
la vue qui s’offre à eux sur le lac et les montagnes environnantes. L’hôtel comprendra des
salons, des salles à manger, des chambres avec alcôves et des appartements divisibles au
gré des clients. La façade comportera un léger avant-corps central couronné d’un fronton.
A noter que les pilastres qui soulignent aujourd’hui son architecture n’existaient pas dans
le plan d’origine, de sorte que le bâtiment s’apparentait davantage aux autres maisons des
quais.
C’était néanmoins une très belle construction, digne de l’emplacement exceptionnel qui
était le sien. Aucun hôtel genevois ne pouvait lui être comparé et l’Hôtel de l’Ecu,
construit quelques années plus tard, procèdera d’une conception beaucoup plus modeste.
Les autres grands hôtels genevois seront plus tardifs puisqu’il faudra attendre 1854 pour
voir l’Hôtel Métropole ouvrir ses portes, 1862 pour l’Hôtel de la Paix, 1865 pour l’Hôtel
Beau-Rivage et 1875 pour l’Hôtel Richemond et l’Hôtel National, lequel sera transformé
en 1920 en Secrétariat de la Société des Nations. [Rappelons aussi qu’]au moment où
s’édifiait l’Hôtel des Bergues, Genève comptait une dizaine d’hôtelleries de qualité
médiocre.
L’Hôtel des Bergues avait ouvert ses portes le 1er mai 1834 et un prospectus illustré
avait été publié. On y pouvait lire
et tout au long des 36 pages qu’il comportait on y donnait moult recommandations
utiles concernant le service, la rémunération des domestiques, les équipages et les
curiosités à voir à Genève et aux environs dont, notamment, la prison pénitentiaire.
L’Indicateur genevois de 1835, qui donnait plus de 6000 adresses utiles, imprima la
notice suivante :
HÔTEL DES BERGUES (Rufenacht). Grand hôtel pour les étrangers, où l’on trouve
toutes les commodités possibles, tables d’hôtes, grands et petits appartements
meublés, caves, écuries, remises. Cet hôtel est situé sur les bords du lac et à la porte
de la ville, près d’une promenade.
M. Rufenacht loue, du 1er novembre au 1er avril, des appartements garnis, avec
cuisines pour le ménage ; ou bien, il prend des personnes en pension au mois et à prix
fixes.
L’hôtel est situé place des Bergues
Tables d’hôtes : à 10 heures ½ à fr. 2.50 ; à 1 heure fr 3.- ; à 5 heures fr 3.-.
Le premier directeur de l’hôtel est Alexandre Emmanuel Rufenacht, bourgeois de
Thoune, engagé très jeune dans l’armée française, blessé à la Bérézina lors de la
campagne de Russie et capitaine du régiment suisse de Steiger au service de la France
sous Louis XVIII. Un voyageur français, M. Bailly de Lalonde, ne tarit pas d’éloges à ce
sujet ; il écrit en effet dans son Voyage à Genève et dans le Canton de Vaud – Le Léman,
paru en 1842, que le directeur des Bergues « a su donner à sa maison une teinte militaire
par la manière dont les emplois y sont distribués graduellement, c’est-à-dire en
établissant une certaine hiérarchie parmi les gens de son hôtel, qui sont tous subordonnés
les uns aux autres. Les sommeliers forment ce qu’on pourrait appeler l’état-major de la
maison ; ils agissent immédiatement sous les ordres de leur chef. Ce sont de jeunes
Allemands, la plupart de bonnes familles bourgeoises ou fils d’aubergistes, qui ont
l’intention de devenir à leur tour maîtres d’hôtel, car cette profession n’est point
dédaignée dans leur pays quand on l’exerce honorablement. Ils portent un costume
uniforme, de même que les filles de chambre destinées pour les dames étrangères. Ces
sommeliers parlent tous français et allemand ; plusieurs d’entre eux connaissent l’anglais,
et quelques-uns savent encore l’italien. La table d’hôte est très variée pour le genre et la
qualité des mets, apprêtés les uns à la française, les autres à l’allemande ou à l’anglaise,
car il y a cuisiniers français et cuisiniers allemands. La pâtisserie est l’ouvrage de deux
pâtissiers-confiseurs suisses d’une habileté peu commune.
L’Hôtel des Bergues prit un bon départ et sa création fut très remarquée dans le milieu
de la profession. Il était alors le plus vaste de Suisse et le premier par sa conception et le
confort qu’il offrait ; on y accourut bientôt de Suisse et de l’étranger…
Genève était, à cette époque, très courue par la haute société européenne ; sa situation,
au point de croisement de deux grands courants de voyageurs, l’un constitué par les
touristes originaires des pays du nord-est européen attirés par le soleil de la Riviera et de
l’Espagne, l’autre composé du flot intarissable des sujets de Sa Majesté britannique en
route vers les splendeurs romaines et orientales.
Th. Du Moncel "Genève pris du bastion Chante-Poulet" – Musée du Vieux-Genève
La lecture du « Livre d’Or » de l’hôtel en dit long sur cette Europe monarchique du
XIXè siècle, qui nous paraît aujourd’hui à la fois si proche et si fabuleusement lointaine.
Que de majestés et d’altesses impériales, royales ou sérénissimes d’Allemagne,
d’Autriche, d’Angleterre, de Russie, du Danemark, de Hollande et du Portugal ! Que de
Bourbons, de Habsbourg et de Hohenzollern, souvent sous des noms d’emprunt qui ne
trompaient personne. Parmi ceux-ci l’empereur François-Joseph, l’impératrice Elizabeth
et le prince impérial Rodolphe. Le prince de Galle, futur Edouard VII, l’impératrice
Victoria d’Allemagne, l’impératrice Marie de Russie, le roi Léopold Ier de Belgique, la
reine Wilhelmine et la famille royale du Danemark furent aussi les hôtes des Bergues. Et
que d’altesses de Saxe-Weimar, de Hesse-Cassel, de Mecklembourg-Schwerin et de
Schleswig-Holstein ! Que de princes héritiers, de princes régents, de princes électeurs, de
pachas et de vizirs ! Et parmi tout ce très grand monde, en 1866, une reine pas tout à fait
comme les autres, Emma, souveraine d’Hawai, dont le royaume est alors agité par les
intrigues de missionnaires trop zélés et par les visées des Etats-Unis.
Mais l’histoire n’est pas faite que de rendez-vous princiers. Entre-temps, Genève avait
subi une profonde transformation politique. A l’appel de James Fazy, la petite
bourgeoisie et les milieux populaires avaient, en 1846, renversé le gouvernement
conservateur et fait accepter par le corps électoral en 1847, une nouvelle Constitution.
Les fortifications, qui enserraient la ville dans un corset devenu inutile, étaient
démantelées et, sur leur emplacement, des quartiers nouveaux étaient aménagés. Genève,
qu’un souffle démocratique et progressiste vivifiait, ouvrait ses portes à tous ceux qui
voulaient y venir travailler et innovait allègrement en matière de politique et d’économie
non sans provoquer de violents conflits entre citoyens. Les journées mouvementées des 6
et 7 octobre 1846, qui virent les troupes gouvernementales canonner depuis la rive
gauche du Rhône le faubourg de Saint-Gervais afin d’abattre les barricades élevées en
l’Ile et à la place des Bergues, causèrent quelques dégâts à l’Hôtel. Dickens, qui se
trouvait à Genève dans les jours qui suivirent ces évènements déclare avoir aperçu, de sa
chambre à l’Hôtel de l’Ecu, un grand trou fait par un boulet de canon dans la façade de
l’Hôtel des Bergues. Les traces de l’impact de deux projectiles, tirés par un pointeur
maladroit, demeurèrent longtemps visibles.
Genève attire aussi déjà l’attention de nombreux milieux politiques. C’est ainsi qu’en
septembre 1867, tout le quartier des Bergues est en effervescence : Garibaldi est arrivé à
l’Hôtel de Russie, invité par des républicains français. La population de la ville, parmi
laquelle beaucoup de réfugiés français, italiens, allemands et polonais, lui réserve un
accueil triomphal. Garibaldi ne séjourna que trois jours à Genève et le Congrès, plus
enclin à vitupérer contre la papauté et les régimes autocratiques qu’à réfléchir à la paix,
se débanda dans la confusion mais au grand soulagement des Autorités genevoises, non
sans avoir créé une chimérique Ligue de la Paix et de la Liberté.
Un autre Congrès, bien différent, se tint à Genève en octobre 1868 : il s’agissait d’une
conférence internationale convoquée en vue d’apporter diverses modifications à la
Convention de Genève de 1864 qui avait officialisé la Croix-Rouge née l’année
précédente. Vingt-et-un délégués de pays étrangers se réunirent à Genève sous la
présidence de Guillaume-Henri Dufour assisté de Moynier. Le Gouvernement genevois
ne pouvait faire autrement que témoigner sa vive considération aux hautes personnalités
présentes. Et comment le faire mieux qu’en les conviant à un dîner solennel… à l’Hôtel
des Bergues ? Dire que l’on fit bien les choses est réellement insuffisant lorsqu’on lit le
menu de ce festin :
Anonyme - Le Rhône et le Quai des Bergues
1862, le pont du Mont-Blanc vient d'être construit (1862)
On remarquera les chaînes soutenant le tablier du Pont des Bergues
Document réalisé grâce à la gentillesse de Philippe Bonhomme, Etoy, ancien de l'Hôtel des Bergues
qui nous a mis à disposition son exemplaire personnel