Fiction in situ VERSION FINALE

Transcrição

Fiction in situ VERSION FINALE
ENS Louis Lumière
7 allée du Promontoire, BP 22, 93161 Noisy le grand cedex, France
Tel. 33 (0) 1 48 15 40 10 fax 33 (0) 1 43 05 63 44
www.ens-louis-lumiere.fr
Mémoire de fin d!études et de recherche
Section Cinéma, promotion 2008 / 2011
Date de soutenance : Jeudi 8 Décembre 2011
La « fiction in situ » :
Peut-on raconter avec l'existant?
Approche de cette thématique dans le cinéma brésilien
contemporain.
Angèle Gohaud
Ce mémoire est accompagné de la partie pratique intitulée : Um dia na Baixada
Directeur de mémoire : Frédéric SABOURAUD
Co directeur de mémoire : Tunico AMANCIO
Président du jury ciné : Gérard LEBLANC
Coordonnateur des mémoires : Frédéric SABOURAUD
Coordonnateur de la partie pratique (PPM) : Michel COTERET
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Remerciements
Merci à Frédéric Sabouraud, pour son aide et son implication dans le suivi de ce travail.
Merci à Tunico Amancio, pour ses encouragements et ses conseils avisés au Brésil
comme en France
Merci aux réalisateurs qui se sont rendu disponibles pour me confier leurs expériences et
leurs précieux témoignages : Jorge Bodanzky, Gustavo Spolidoro, Gabriel Mascaro et
Frederico Benevides.
Merci à Claudia Mesquita qui m!a orienté au début de ma recherche vers ces merveilleux
films.
Merci à Tatiana Monassa pour m!avoir fait découvrir le milieu du cinéma brésilien et donné
de précieux contacts.
Merci à Michèle Bergot, pour son soutien dans mon projet d!échange.
Merci à Florent Fajole, pour la création d!un CDI sans frontière.
Merci à Chloé pour la traduction du résumé en anglais.
Merci à mes chers personnages acteurs : Carine, Renato, Mayara et Robert, ainsi que
Stéphanie et Rodrigo pour leurs participations à mon film Um dia na Baixada
En remerciant tout particulièrement Maman, pour toutes les relectures, corrections,
conseils avisés et grand soutien, François et Alban pour leur patience, leur soutien
quotidien et leurs bons conseils.
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Résumé
Des films comme Jaguar de Jean Rouch ont ouvert la voie à un type de réalisation particulière
mêlant fiction et réalité. Ce mémoire se propose d’explorer cette production entre documentaire et
fiction. Le terme « fiction in situ » pose l’hypothèse de l’émergence d’un nouveau type de
cinéma, à l’instar des artistes plasticiens qui, à partir des années 1970, en implantant leur production
dans des lieux, inventèrent « l’art in situ ». Dans le cadre du cinéma, il s’agit de raconter des
histoires spécifiques à un lieu en utilisant les éléments qui le composent : les cadres de vie, les
habitants et leurs aventures authentiques. Les films étudiés prennent ce réel comme matière même
de narration. À partir de ce postulat de départ, cette étude développera une série de questionnement
sur le mode de fabrication de ces films et leurs rapports à leur environnement.
La mise en scène du réel sous forme de fiction pose des problèmes concrets de mode de
fabrication : comment écrire un scénario, une histoire sur ce qui ne peut pas être prévu ? Comment
intégrer un dispositif de filmage de fiction dans un environnement réel ? Ces films opèrent une
fusion entre l’espace de tournage et le réel, et donnent ainsi lieu à des interactions entre ces deux
mondes. Pour répondre à ces questionnements, cette étude se base sur des entretiens et témoignages
des réalisateurs des films du corpus.
Ces dispositifs de fiction sont très proches du documentaire, et remettent en cause la notion de
frontière entre ces deux genres. Tout au long de ce travail, l’effacement de cette frontière ne cesse
de poser des nouvelles problématiques. Cette fictionnalisation de l’existant perturbe notre régime de
croyance en l’image, et instaure en nous un doute perpétuel vis-à-vis de ce que nous voyons. Elle
remet aussi en cause la notion d’acteur. Celui-ci jouant son propre rôle, la frontière entre ce qui est
de l’ordre du jeu, et ce qui vient de lui-même est souvent indiscernable. Cela ouvre une réflexion
plus générale sur les notions de jeu, de direction d’acteur, et plus fondamentalement d’identité. Audelà de la place de l’acteur, l’organisation interne de l’équipe est modifiée, pour tendre vers un
fonctionnement plus collectif. Le réalisateur perd son statut d’inventeur d’un monde, d’auteur, et
devient le créateur d’un dispositif qui réorganise les éléments du réel.
Cette recherche se base sur un corpus de films brésiliens contemporains. L’étude de ce contexte de
production particulier donne lieu à une réflexion sur les rapports entre le contexte socio historique
et la fabrication des films. En effet, la production cinématographique brésilienne a une histoire
chaotique et les films étudiés portent en eux les marques de ce contexte.
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Abstract
Movies like Jean Rouch’s Jaguar opened the path to a kind of cinematographic production that
mixes fiction and reality. This essay seeks to explore these films between documentary and fiction.
The term « fiction in situ » hypothesizes the advent of a new type of cinema, like the artists who,
since the 70’s, have invented the « art in situ », implanting their creations on existing locations.
Transposing this concept to cinema, means telling stories related to a place, using elements from it:
the scenery, the inhabitants and their adventures. The movies studied take reality as the substance of
narration. Through this postulate, this research questions the way of making these movies and their
relationship to their surroundings.
Using reality in a fiction is a practical problem: how can one write a script, a story, on something
that can’t be predicted? How can a fiction shooting device fit into an existing setting? These movies
blend their shooting sets with reality, and generate interaction between the two worlds. This study
aims at answering these questions through interviews and film director’s testimonies.
These « fiction in situ » devices are close to documentaries, and question the boundary between the
two genres. As the work goes on, the limit fades and new questions arise. This fictionalization of
what exists disturbs our way of believing images, and makes us endlessly doubt what we see. It also
questions what being an actor is: when he acts his own part, the boundary between what is acted
and what is true is often undistinguishable. It opens a larger thought on the experience of acting,
actor direction, and more essentially identity. Beyond the place of the actor, the internal
organization of the team is also modified, and tends toward a more collective performance. The
director looses his author status, inventor of a world, and becomes the creator of a device that
reorganizes elements of reality.
This research is based on contemporary Brazilian movies. Studying this particular production
context questions the relationship between the socio historical context and the way of making
movies: the Brazilian cinematographic production has a chaotic history and movies studied here
bear the marks of this context.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION ............................................................................................................... 11
DU SCENARIO AU TOURNAGE, UN AUTRE TYPE DE PRODUCTION.........................19
1. La construction du scénario................................................................................................ 19
a. Le repérage comme mode d!écriture ...................................................................................... 19
b. Quel type de scénario ? .......................................................................................................... 24
c. Les allers-retours entre scénario et tournage .......................................................................... 26
d. Création d!un arc dramatique.................................................................................................. 28
2.
a.
b.
c.
d.
e.
f.
Le tournage........................................................................................................................... 29
Intégration du plateau de tournage dans l'environnement ...................................................... 29
La caméra invisible ................................................................................................................. 31
Filmer l!imprévu avec un langage de fiction ............................................................................ 32
Le plan de travail : la notion d'espace et de temps.................................................................. 34
Interactions entre la vie et le film............................................................................................. 35
L!événement du tournage donne lieu à l!histoire...................................................................... 37
LA SIGNIFICATION DE L!IMAGE ....................................................................................41
1. La croyance en l!image, entre documentaire et fiction ..................................................... 41
a. Perturbation du régime de croyance ....................................................................................... 41
b. Remise en cause du pacte de vérité ....................................................................................... 42
2. Le mélange de différents supports..................................................................................... 46
a. Aller retour entre différents registres d!images ........................................................................ 46
b. Utilisation d!images d!archives................................................................................................ 48
3.
Le temps de se confronter à l!Autre ................................................................................... 49
4.
Mythification de la vie, création d!épopée ......................................................................... 50
5.
La dénonciation sociale....................................................................................................... 51
LA LIMITE ENTRE L!ACTEUR ET LE PERSONNAGE....................................................53
1.
2.
3.
4.
5.
L'adaptation à l'imprévu de la personne ................................................................................. 54
La création du personnage ..................................................................................................... 56
La spontanéité : remise en cause de la notion de jeu ............................................................. 57
La confusion entre la personne et le rôle ................................................................................ 58
Le personnel devient collectif ................................................................................................. 60
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LE CONTEXTE DE PRODUCTION...................................................................................63
1. Redistribution des rôles ...................................................................................................... 63
a. La formation de l!équipe.......................................................................................................... 63
b. La relation aux acteurs ........................................................................................................... 65
c. La place du réalisateur............................................................................................................ 67
2. Vie et cinéma entremêlés .................................................................................................... 69
a. Le film comme processus ....................................................................................................... 69
b. Les conséquences du tournage dans la vie des participants .................................................. 70
3.
Le contexte actuel de la production brésilienne ............................................................... 72
4. Les collectifs de films.......................................................................................................... 73
a. Contexte d!origine ................................................................................................................... 74
b. Le fonctionnement .................................................................................................................. 75
c. Un mode de production de « fictions in situ »?........................................................................ 77
d. Devenir, évolution ................................................................................................................... 78
CONCLUSION...................................................................................................................81
FILMOGRAPHIE ...............................................................................................................84
BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................................................86
TABLE DES ILLUSTRATIONS.........................................................................................89
ANNEXES .........................................................................................................................91
I. Carte du Brésil……………………………………………………………………………………….. 92
II. Chronologie des évènements………………………………………………………………………. 93
III. Extrait d!Ebauche du Scénario d!Iracema............................................................................... 94
IV. Questionnaire des entretiens…………………………………………………………………..…… 96
V. Dossier de la PPM……………………………………………………………………..……….……. 98
VI. Scénario de la PPM………………………………………………………….…………………...... 106
VII. Compte rendu de la PPM…………………………………………………………………..…….... 114
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« C'est-à-dire que je crois que le « réel » n’est jamais déjà organisé comme un film,
définitivement pas. Quelle serait cette réalité préalable et préexistante que le cinéaste
n’aurait en somme qu’a aller rencontrer, enregistrer, reproduire, copier, retranscrire ? Rien
n’est écrit sans écriture, rien n’est dit sans parole, nul nom n’est nommé sans nomination,
rien n’est filmé sans film. »
1
Jean Louis Comolli
« C’est toujours la méthode avec laquelle on tourne le film qui est le vrai sujet »2
Jacques Rivette
1
2
COMOLLI, Jean-Louis, « Quels scénario pour le réel ? » dans Voir et pouvoir, Editions Verdier, 2004. P. 167-168
Jacques RIVETTE cité dans l’introduction d’Alain BERGALA de le cinéma Révélé de Roberto ROSSELLINI, p
26.
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INTRODUCTION
Documentaire et fiction sont-ils définitivement opposés?
Ce sujet de mémoire part d'un questionnement apparu au long de ma scolarité à Louis Lumière.
Pendant ces années d'apprentissage à l'école nous avons appris une structure de travail, un système
de production propre au cinéma de fiction et un autre au documentaire, les deux étant radicalement
opposés. En fiction, nous apprenions beaucoup en studio, avec des étapes de travail bien marquées
et définies. Nous avons appris à partir du scénario, à réinventer une « réalité » de toutes pièces, pour
pouvoir mieux la contrôler et la mettre en image. Je n'ai cessé d’être impressionnée par le nombre
de personnes dans l'équipe, de matériel nécessaire, d'opérations qu'il fallait faire pour contrôler ce
que l'on filmait. Tout ce processus nous éloignait de la réalité, et créait deux lieux distincts : le lieu
du tournage et le lieu de la réalité. Que l'on soit en décors naturels ou en studio le même fossé se
creusait entre les deux espaces. Cette énergie, ce temps, cet argent déployé pour reproduire une
réalité me questionne. D'autant que cette réalité recréée me paraît moins consistante et intéressante
que ce qui se passe en dehors.
Or, transcrire et partager la richesse que j'observe dans « la vie réelle » constitue ma motivation à
filmer. Ce que je vois dans ma vie au jour le jour, les personnes que je rencontre, les histoires que
l'on me raconte, les lieux que je découvre m'ont donné envie de faire du cinéma, d'en faire des
films, de les mettre en image. Mon envie, mon questionnement, après ces deux années
d'enseignement a été de trouver une manière de mettre en scène ce réel pour en faire un film,
trouver un dispositif de filmage qui permette de nous rapprocher de la réalité. Comment mettre en
scène une histoire tout en lui gardant l'aspect vivant, épique, qu'elle présente, dans un
environnement authentique ? Car beaucoup d’histoires « réelles », de notre vie, présentent déjà en
elles un caractère romanesque, d’épopée qui nous donne l’impression d’être dans une histoire
fictionnelle. Nous sommes en présence d’une réalité naturellement riche en histoire et personnages,
le travail du film serait un réagencement, une mise en scène de cette dramaturgie déjà existante.
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Un parallèle, une référence : l'art in situ
Le titre « fiction in situ »reprend un terme désignant un type d'œuvre d'art, d'installation : l'art in
situ.3 Ce mouvement est apparu dans la seconde moitié du XXe siècle : dans le contexte de la
mercantilisation grandissante de l'art, des artistes cherchaient une manière de sortir de ces
institutions et d'échapper à la transformation des œuvres en objets de spéculation. Ils sont sortis des
musées et ont commencé à faire des créations en lien direct avec le site, indéracinables. Cela donne
des artefacts qui s'élaborent en fonction du site dans lequel ils s'inscrivent. Le lieu est un terreau
avec lequel l'œuvre dialogue. Dans ce type de création, nous retrouvons des artistes anglais tels que
Goldsworthy. Sa philosophie: « un homme, un site », le mène à se confronter seul, sans autre outil
que son corps à un site dont il se contente d'utiliser les matériaux en place. Le mode de création est
le ressort et participe au sens de l'œuvre.
Reprenant les principes communs à ces artistes dans le milieu de la fiction, cela signifierait raconter
une histoire à partir d'un lieu, en décors naturels, avec les habitants de ce lieu. Le lieu serait
l’inspiration, la matière même avec laquelle serait construit le film, du scénario au tournage. Le
plateau de tournage du film ne serait plus en dehors du réel, du monde, mais en interaction avec lui.
De la même manière que les œuvres d'art in situ partent du lieu pour s'élaborer, le film se crée à
partir de ce qui existe déjà : les histoires dépeignent le lieu et les gens qui sont impliqués dans la
conception. Les acteurs, les personnes du lieu ne sont pas simples participants, mais créent
l’histoire, la composent, la modifient, en tant que personnes et non simples professionnels. Cela
remet en question la hiérarchie, la distribution des rôles habituels du plateau de cinéma, ainsi que la
notion d’auteur. Le réel n’est plus inspiration, mais matière même en dialogue avec le film, le
réalisateur n’est pas à l’extérieur de l’histoire, mais dans l’histoire. Dans l’art in situ, l’espace
existant est le lieu, le terreau de l’œuvre, et l’œuvre intervient en dialogue, en interaction, en
réponse au lieu. De même manière que l'œuvre influence le lieu, le lieu influence l'œuvre.
Ce type de tournage rappelle le tournage de documentaire. Tout au long de cette recherche, la
frontière entre documentaire et fiction ne cessera d'être abordée, questionnée, car ce type de films
que nous cherchons à définir se situe autant du côté de la fiction que du documentaire. Ces aspects
documentaires ou fictionnels seront l'objet de réflexion tout au long de ce travail.
3
Cette expression a été officialisée par les critiques d'art en 1982 pour caractériser le travail fait par Daniel Buren au
Palais Royal, « les colonnes ».
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Notions liées à l!approche du réel
Jean Luc Lioult, dans son livre A l'enseigne du réel, s'attache à définir les concepts que recouvrent
ces termes de documentaire et fiction, donnant ainsi des outils de réflexion . Il définit
plus
particulièrement le concept d'approche de la réalité à partir de quatre termes :
! Le réel de premier ordre, désigne « un monde dont les propriétés objectivement
connaissables peuvent donner lieu à un consensus »4, c’est-à-dire le réel concret, sans
attribution de sens, le réel hors de toute représentation.
! Les réalités de second ordre, désignent « les mondes affectés de sens et de valeurs que
(re-)contruisent les représentations du réel. »5, C’est-à-dire la réalité qui nous est
montrée à travers les médias, les films.
! Les éléments afilmiques se rapportent à « l'ensemble des données du réel qui ne sont
pas affectées par le filmage »6
! Les éléments profilmiques se rapportent aux « manifestations concrètes d'une volonté de
production cinématographique de sens avec leurs conséquences »7, par exemple dans le
domaine de la fiction : la direction de jeu des acteurs, les décors, ou dans le cadre
documentaire la situation d'interview, ou la demande de répétition d'un geste à un
personnage.
À partir de ces termes, Jean-Luc Lioult définit la position du documentariste ainsi : « (Il) rend
compte de la réalité des modifications profilmiques qu'il apporte au réel afilmique de premier
ordre. »8. Cela signifie que le documentaire s'affirme en tant que tel, il nous montre, par la mise en
scène de l'équipe, par l'interaction directe avec la caméra, que nous sommes dans un documentaire,
il nous montre qu'il opère une transformation. En fiction, la mise en évidence de la mise en scène de
cette réalité profilmique n'est pas acceptée. Nous n'avons pas d'indice pour savoir à quel point le
réel de premier ordre est lié à la réalité de second ordre qui nous est montrée. Les « fictions in situ »
vont donc entretenir une confusion délibérée entre ces deux registres.
4
5
6
7
8
LIOULT, Jean-Luc, À l'enseigne du réel. Penser le documentaire, Aix-en-Provence, Presses de l'Université de
Provence, 2004. P. 37
LIOULT Jean-Luc, ibid., p. 37
LIOULT Jean-Luc, ibid., p. 37
LIOULT Jean-Luc, ibid., p.37
LIOULT Jean-Luc, ibid., p.44
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Comprendre les méthodes spécifiques de fabrication de ces films
Généralement, la fiction « classique »9 invente une réalité de deuxième ordre pour avoir plus de
facilité pour la raconter, la mettre en image. Cette nouvelle réalité, avec le contrôle possible des
acteurs, décors, lumière, permet de mettre en image l'histoire exactement comme elle fut écrite,
avec un langage filmique fictionnel. Par langage fictionnel, nous entendons les formes filmiques
plus propres à la fiction : image avec une courte profondeur de champ, cadrage très composé,
champ/contre-champ, raccords dans le mouvement, travelling sur rail. Ce langage est généralement
utilisé seulement en fiction car il nécessite un contrôle des événements, des décors, des
personnages, et de la lumière. Pour pouvoir faire un champ/contre-champ ou raccord dans le
mouvement, il faut pouvoir filmer la scène deux fois à l'identique, pour pouvoir avoir le temps de
composer le cadrage, faire un suivi de point, il faut faire des répétitions.
La répétition d'une scène nécessite aussi le contrôle de la lumière, le contrôle du décor, des
personnages participants de la scène, et une chorégraphie et un dialogue préalablement établis pour
pouvoir être répétés à l'identique par les acteurs.
La fiction se construit dans un ordre avec des étapes successives : On commence par écrire un
scénario, à partir du scénario on fait un dépouillement, on fait des repérages pour trouver les lieux
qui correspondent à ce qui est écrit, un casting pour trouver les acteurs qui vont incarner les
personnages. Mais, dans ces films « in situ » le schéma de production est en un sens inversé,
puisque le film part du lieu, des personnages. Le système de production du film, l’organisation du
tournage se doit de trouver une autre dynamique.
Cette recherche aura comme but premier de découvrir, d'étudier, de comprendre à travers les
exemples étudiés, les différents dispositifs qui permettent cette fictionnalisation de l’existant.
Comment parviennent-ils à réorganiser, ré agencer un matériel documentaire et le mettre en scène
sous forme de fiction? Par l'étude du dispositif, il est entendu l'étude de la production du film du
scénario au tournage, l'organisation de l'équipe, le rapport aux acteurs, la place du réalisateur.
9
Pour avoir plus de facilité à discuter les différences entre documentaire, fiction, et ces formes hybrides, nous
parlerons de la fiction dans sa forme archétypale de cinéma « industriel ».
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Les films précurseurs traçant cette voie entre documentaire et fiction
Cette idée de fiction, à partir d'un matériel documentaire, m’est apparue par la découverte de films
qui travaillaient cette question. En cherchant mon sujet de mémoire, j’ai fait la liste des films qui
m’avaient plu et questionné particulièrement ces dernières années, Cela allait des films de Jean
Rouch à Pedro Costa, en passant par des réalisations plus récentes comme L’Apprenti de Samuel
Collardey, ou Ce Cher Mois d’août de Miguel Gomes. Je me suis rendu compte que tous
questionnaient cette frontière documentaire fiction, et tous se basaient sur un lieu et des
personnages déjà existants pour construire leurs histoires. J’ai aimé la manière dont Jean Rouch,
dans Jaguar par exemple, a utilisé la fiction, la fable, pour mieux relater ce pays, ses amis, et parler
à la fois d’une réalité tout en l’inventant, comme si la fiction pouvait dire bien plus qu’une simple
description.
Le mode de fabrication de ces films m'a intrigué, questionné. J'ai voulu découvrir, en leur
consacrant mon mémoire, un autre type de tournage, une autre manière d'envisager la fabrication
d'un film. J'ai souhaité ainsi revisiter, questionner, ce que j’avais appris dans un premier temps à
l’école.
Le contexte d!étude : le cinéma brésilien
Au cours de la conception de mon sujet de mémoire, j’ai décidé d’aller faire ma recherche dans le
cadre d’un échange avec l’Université Federal Fluminense de l’Etat de Rio au Brésil. J’ai gardé cette
même problématique et changé mon corpus de film. Je ne connaissais du cinéma brésilien que le
cinéma Novo, qui d'une certaine manière était en lien avec ma problématique, par son influence
néo-réaliste. Mais je voulais explorer le cinéma plus récent brésilien, savoir ce qui se passait
aujourd’hui, s’il y avait des films analogues à ceux que j’avais découverts en France. Le risque était
de ne rien trouver. Heureusement j’ai trouvé là-bas une création cinématographique riche en
production et expérience, comprenant des objets qui correspondaient à mon questionnement de
départ. Mon corpus s’est donc composé de réalisations brésiliennes, datant des années 70 à nos
jours.
Pour comprendre le contexte de production de ces films, il est nécessaire de les situer dans
l’histoire du pays et de la production cinématographique. À partir de la fin des années 1950, le
cinéma Brésilien connut un âge d’or de avec le cinéma novo, mouvement influencé par le néoréalisme italien. Les films étaient tournés caméra épaule, avec peu d’éclairage, en décors naturels,
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avec des acteurs non professionnels et la figuration jouée par la population. Ces nouveaux
dispositifs de tournage étaient dus tant à une économie de budget, qu'à l’arrivée de nouvelles
technologies, et un besoin de montrer une réalité du pays, souvent socialement très dure, occultée
par les films de studio de l’époque. Ce mouvement a été interrompu brutalement par l’arrivée de la
dictature militaire à la fin des années 1960. Beaucoup d’autres films continuaient à êtres produits
(une centaine par an, dans les années 1970), mais ils étaient coupés et transformés par la censure.
Puis la production s’est fragilisée jusqu’à disparaître complètement au début des années 1990 suite
à une crise économique. Elle reprend vraiment à, la période appelée « retomada » (reprise) qui
commence officiellement en 1996. Enfin depuis les années 2000 apparaît un nouveau type de
production: les collectifs de films.
Toutes ces époques ont en commun la présence d'une production importante de documentaires. Ce
fait témoigne des conditions économiques souvent précaires : la fiction nécessite beaucoup plus de
moyen.
Les films composant mon corpus portent chacun les traces de cette histoire chaotique du cinéma
brésilien. Les premiers, Iracema et Cabra marcado para morrer, ont leurs histoires de production
liées à la dictature, et nous verrons comment ce contexte politique extrêmement dur influe l’histoire,
le sujet et la production de ces films. Le dernier, Avenida Brasilia Formosa, est issu d’un collectif
de films. Nous essayerons de comprendre si ce nouveau type de production influe sur les sujets, le
rapport à la réalité. Cette recherche questionnera les liens entre le contexte de production et le
résultat filmé, problème qui relève aussi d’un type d’interaction avec le réel.
Plan de la recherche
Dans un premier temps, au chapitre I: « Du scénario au tournage, un autre type de réalisation », je
cherche à comprendre les caractéristiques de ces films dans les dispositifs qu'ils impliquent: quel
type de scénario, les modes de tournage et de production. Les interviews des réalisateurs permettent
de découvrir une approche pratique nouvelle, à la fois souple et rigoureuse, et de réaliser le rôle
central du repérage. J'approfondirai ensuite au second chapitre: « La signification de l'image » : la
question du sens de l'image alors que l'on introduit de la fiction dans le réel. Le troisième chapitre:
« La limite entre l'acteur et le personnage » aborde la problématique délicate de la place de l'acteur
qui est aussi souvent le personnage, voire le sujet du film. Le dernier chapitre « Contexte de
production » met en évidence la façon dont les conditions de filmage créent un contexte qui mêle
vie réelle et film et mène à créer de nouvelles relations. Cela passe par l'abolition des rapports
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hiérarchiques dans l'équipe, la mise à contribution des gens présents qui interfèrent dans l'histoire.
En conclusion je questionnerai la pertinence de ce concept de « fiction in situ » au regard de ce tour
d'horizon. J’ai trouvé à partir de cette hypothèse un corpus de films presque plus riche que ce à quoi
je m’étais attendu. Doit-on penser que ce type de production est spécifique au Brésil ? Ou plus
largement permet-il de définir un type de film proposant un nouveau rapport au réel?
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DU SCENARIO AU TOURNAGE, UN AUTRE TYPE DE PRODUCTION
1. La construction du scénario
L’élaboration d’un scénario, d’une histoire pour filmer le réel pose d’emblée le problème :
comment écrire une histoire sur quelque chose d’incertain, d’incontrôlable ? Or, chaque film de ce
corpus contient une courbe dramatique avec un début, une progression, et une fin. Comment la
mettre en place dans un contexte existant? Comment dramatiser le réel ? Comment écrire sur ce qui
existe déjà ? Jean Louis Comolli écrit sur l’acte de scénarisation du documentariste :
« Obligation d’imaginer, de tester, de vérifier des dispositifs d’écriture – inédits dans la mesure
où ils ne peuvent qu’être étroitement liés à un chantier particulier, un trait du monde. Qui plus
est, ces dispositifs d’écriture chaque fois contingents à un état donné des lieux sont eux-mêmes
soumis à la pression du réel. Le mouvement du monde ne s’interrompt pas pour permettre au
documentariste de fourbir son système d’écriture. » 10
Quand il s’agit de la fiction en studio, le dispositif mis en place soustrait le tournage de la pression
du réel, il cherche a tout contrôler. Mais dans le cas d’une fiction « in situ », il est nécessaire
d’adapter une manière d’écrire, de raconter, à la matière première qui ne peut être contrôlée, il y a
donc obligation d’inventer des dispositifs particuliers à cette position de non contrôle. Les
expériences relatées par les auteurs des différents films de cette étude permettent d’aborder les
solutions qu’ils ont mises en place pour ces scénarios.
a. Le repérage comme mode d’écriture
Iracema, film le plus ancien du corpus, raconte l’histoire d’une prostituée de quinze ans avec un
chauffeur de camion, dans le contexte de la construction de la route transamazonienne. Le film se
passe en décors réels, dans des lieux où les deux personnages s’insèrent dans des scènes
10
COMOLLI, Jean-Louis, « Au risque du réel » dans Voir et pouvoir, Paris, Editions Verdier, 2004. p. 514
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documentaires. La fiction est tissée au sein de l’espace réel. Jorge Bodanzky, à la fois réalisateur et
cadreur, filmait les interactions de ses comédiens avec la réalité dans chaque lieu où ils arrivaient. Il
n’y avait pas de prise d’essai, ni de dialogues prévus, les comédiens improvisaient sur les intentions
données par les réalisateurs. Les figurants du documentaire ne savaient pas que les deux
personnages principaux étaient des acteurs, ils pensaient avoir affaire à une équipe de documentaire
et de vraies personnes. Certaines scènes sont des pures mises en scène fictionnelles, jouées par les
acteurs, des membres de l’équipe du film et des figurants locaux engagés sur place. Par exemple,
dans une scène où l’actrice principale, jouant une prostituée, est engagée par un pilote pour aller
dans une ferme appartenant à un fermier employant du personnel esclave, l’assistante de production
joue sa collègue prostituée, le pilote est joué par le co-réalisateur Orlando Senna. Le tournage s’est
fait en équipe réduite, à la manière d’un documentaire, avec le cadreur réalisateur en caméra épaule,
et un ingénieur son pour le son synchrone. Le film a une visée politique : il veut dénoncer la
propagande du « grand Brésil » prônée par la dictature de l’époque, et les problèmes sociaux et
écologiques qu’elle entraîne (esclavage, prostitution infantile, déforestation). Le lieu de tournage est
la construction transamazonienne, une grande autoroute qui traverse le pays. Les deux personnages
principaux représentent chacun des types sociaux : Tiao Brasil Grande, interprété par Paulo Pereio,
acteur professionnel, incarne l’utopie du Brésil comme grand pays industriel en voie de
développement, et Iracema, incarné par Edna de Cassia, actrice non professionnelle, incarnent les
laissés pour compte, les victimes de cette utopie politique. Il y a donc une dimension allégorique
dans ce dispositif de base et le scénario qu’il développe. De plus, le nom d’Iracema fait écho à un
ancien conte racontant l’histoire d’amour d’une princesse indienne avec un chevalier portugais. Ici
la princesse est devenue prostituée et le chevalier un camionneur cynique.
Ce fut le premier film de Jorge Bodanzky en tant que réalisateur, jusque-là il était opérateur de
reportage. Dans un entretien réalisé en Juillet dernier, il nous explique comment a surgi l'idée du
scénario :
« J'ai voyagé la première fois en Amazonie pour faire un reportage pour une revue de Sao
Paulo. A l'époque il n'y avait pas la Transamazonienne, il y avait juste la Brasilia-Belém. Pour
une raison quelconque nous n'avons pas fait notre reportage, et nous sommes restés avec le
reporter quelques jours dans une station-service. Je suis resté là, observant les gens, le
mouvement. J'ai vu la quantité de prostituées, de chauffeurs de camion qu'il y avait. De là a
surgi l’idée de raconter une histoire de l'autoroute, avec une fille et un camionneur, les
personnages les plus communs de cet endroit. (…) Dans les années 70 commençait la
construction de la Transamazonienne, j'ai donc transféré l'histoire sur cette autoroute, aire de
sécurité nationale. Les nouvelles officielles communiquaient que tout était bon, que le progrès
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arrivait, je savais que ça ne pouvait pas être ainsi. (…) J'ai développé l'idée de raconter cela au
travers de ces deux personnages. » 11
L’idée a germé d’une rencontre avec la réalité. Le réalisateur a inventé une histoire pour pouvoir
dépeindre la réalité qui se passait sous ses yeux. Il a eu l’idée en s’immergeant dans le réel. Il a
développé le scénario en étant sur place, en observant ce qui se passait autour de lui. Il avait
remarqué, a force de rester dans ce lieu, le nombre de prostituées très jeunes qui se trouvaient
autour de l’autoroute, il a donc décidé de créer une histoire à partir d’une prostituée, Iracema.
Morro do Céu, de Gustavo Spolidoro, relate le quotidien d’un jeune lycéen, Bruno, vivant dans un
petit hameau, Morro do Céu, dans la campagne du Sud du Brésil. Il est passionné de mécanique, il
bricole des moteurs avec son cousin Joël. On le suit dans son quotidien : l’école, les sorties avec les
amis, les vendanges, l’église, la famille. Il s’est amouraché d’une jeune fille du village d’à côté, à
qui il envoie des messages sans cesse, et l’invite au carnaval. Le réalisateur a filmé tout seul ces
jeunes, et n’apparaît jamais et n’intervient jamais lorsqu’il filme.
Le réalisateur explique qu’il connaît cette contrée reculée parce que sa grand-mère en est
originaire :
«Je vais là depuis que je suis né. (…) J'ai toujours voulu y faire un film. Quand le concours du
DOCTV12 est apparu, j'avais déjà une proposition de faire ce film dans une version fictionnelle,
sur les choses qui s'étaient passées là-bas pendant mon adolescence. (...) Je venais de la ville, la
capitale, et arrivais dans un village de 4000 habitants, je pensais donc que j'étais la personne la
plus libre et experte. Mais j'ai découvert que non. Ce groupe de jeunes, mes amis adolescents,
vivaient dans un lieu très réprimé par l'église, la famille, les traditions - vivre dans une petite
ville est une chose qui opprime car tout le monde sait ce que tu fais. Et pour cela ils savaient
vraiment ce que voulait dire la liberté, ils lui donnaient de la valeur car ils n'en avaient pas. Ceci
m'a beaucoup ouvert l'esprit, m’a influencé jusqu’à dans ma manière de faire du cinéma. » 13
Le scénario était composé de scènes racontant le quotidien d’adolescents, inspirées de scènes qu’il
avait vraiment vécues. Ses connaissances préalables de l’endroit ont nourri l’histoire. Par exemple,
il voulait montrer le fait que tout le monde soit au courant de la vie des autres, le poids de la famille
11
12
13
Entretien réalisé avec Jorge Bodanzky le 4 Août 2011 par skype entre Sao Paulo et Rio de Janeiro (Annexe IV)
DOC TV est un appel à projet documentaire du gouvernement Brésilien.
Entretien réalisé avec Gustavo Spolidoro le 25 Août 2011 par skype entre Porto Alegre et Rio de Janeiro. (voir
Annexe IV)
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dans la vie des jeunes. Il a donc déclenché une scène où la mère de Bruno demande avec insistance
à son fils s’il a une petite amie.
Avenida Brasilia Formosa, de Gabriel Mascaro fait un portrait du quartier Brasilia Teimosa de
Recife. Ce quartier populaire, situé au bord de la mer près du centre de la ville, s’est formé de
manière spontanée dans les années cinquante par des sans domicile fixe. Les constructions sur la
rive étaient des habitations précaires. Au début des années 2000, le gouvernement a décidé de
détruire la partie du quartier au bord de la mer pour créer une grande avenue, l’Avenue Brasilia
Formosa. Les habitants ont été relogé dans des immeubles de l’autre côté de la ville. Ce film nous
montre des moments de vie d’habitants et anciens habitants de ce quartier. Il décrit ainsi les
changements qu’a subi ce lieu et l’influence sur la vie des personnes. Gabriel Mascaro explique
qu’il a voulu avec de film :
« Prendre le nom d’un projet de gouvernement, et lui donner une complexité humaine (…)
Je voulais montrer une partie du monde qui n’était pas englobée par l’économétrie,
travailler avec des dimensions humaines, le désir, le bonheur. » 14
Cette idée lui est apparue au contact des habitants, il a vécu toute sa vie dans un immeuble à côté de
là où furent relogés les ex-habitants de Brasilia Teimosa. Il a été beaucoup touché de voir la
transformation sociale de ce lieu et le changement de vie des habitants. Il a commencé par écrire un
scénario de fiction :
« Le scénario était le résultat d’une analyse avec laquelle je pourrais tenter de refléter la
complexité de ce lieu. J’ai pensé à des situations, un réseau de personnages, qui
interagissent entre eux d’une certaine manière. » 15
Ces situations, explicitant la problématique de ce lieu et de la vie de ses habitants, sont le reflet
d’une observation. Par exemple, une scène nous montre un des personnages principaux, le pêcheur,
monter son filet de pêche sur un terrain de bitume, en face des immeubles. Cette scène nous montre
que ces gens vivaient au bord de la mer, et qu’ils continuent leurs activités dans un lieu très
différent. Mascaro, vivant à côté, avait remarqué le problème de ces pêcheurs qui doivent s’adapter
à cette délocalisation. Il voulait mettre en scène cette confrontation entre la vie, les activités des
gens, leurs désirs, leurs habitudes, et le choix que le gouvernement leur imposait.
14
15
Entretien réalisé avec Gabriel Mascaro le 31 Octobre 2011 par skype entre Recife et Paris. (Voir Annexe IV)
Entretien avec Mascaro, op. cit.
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Le pêcheur monte son filet sur le terrain de sa nouvelle habitation
Dans Serras da Desordem, Andréa Tonacci nous raconte une partie de la vie d’un Indien
d’Amazonie, Carapiru. Une connaissance lui avait rapporté son histoire. Cet Indien avait perdu sa
famille dans un massacre et retrouvait son fils dix ans après. Cela a beaucoup touché Tonacci, car il
venait de se séparer de sa femme et de ses fils, cette séparation était très douloureuse. Il pensait
que son état du moment était très en lien avec ce qu'avait vécu Carapiru. Il a donc décidé de monter
le projet à partir de cette histoire. Il résume ainsi le développement de l'idée du film :
« Cela vient d'une situation personnelle, d’ordre émotionnel, qui me lie à cette histoire qui s'est
vraiment passée, avec des personnages qui ont existé, qui sont devenus de notoriété
publique. »16
Il est intéressant de noter que ces films ont toujours d’une manière ou d’une autre commencé, été
mis en route pour des raisons personnelles propres aux auteurs.
En effet, ces réalisateurs ont eu l’idée de faire leur film, écrit leur scénario à partir d’une
connaissance intime de leur sujet. C’est la confrontation au réel, le repérage en lui-même qui à fait
naître l’idée du film, et c’est la matière première de leurs scénarios. Nous ne sommes plus dans
l’ordre : écriture de scénario puis repérage, mais repérage qui donne lieu à une écriture de scénario.
Ces repérages ont consisté en un moment de leur vie, que ce soit personnel (comme Spolidoro) ou
de travail (comme Bodanzky). Il s’agit d’un temps de vie en commun, non pas d’un moment
délimité de travail, mais d'une vraie expérience personnelle. C’est ce que Gérard Leblanc évoque
dans un article récent :
”Croiser les enjeux de la vie avec les enjeux du cinéma (...) Mettre en jeu quelque chose
de soi qui ne relèverait pas seulement de la création en tant qu'activité séparée,
circonscrite précisément dans le temps de la création” 17
16
Andréa TONACCI interviewer par CAETANO Daniel in, Serras da Desordem, Azougue Editorial, 2008, p. 117
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Dans cette production de scénario, dès la naissance même de ces films nous avons affaire à un
mélange entre le temps de vie et le temps de création, quelque chose d'indéfini ou de mêlé. Ce sont
ces expériences de vie qui ont été l’élément déclencheur, moteur, de leurs motivations à tourner, à
créer.
b. Quel type de scénario ?
Bodanzky, réalisateur d’Iracema, après avoir eu l’idée de raconter l’autoroute au travers de ce
couple prostituée-chauffeur, retrace comment a débuté le projet :
« J’ai fait un voyage de repérage, de recherche. Je suis parti de Sao Paulo en Coccinelle, avec
mon partenaire, Orlando Senna, et Wolf Gauer qui était mon producteur allemand. Nous avons
traversé, affronté la Transamazonienne. J’ai mis en image ce voyage en photographie et en
Super 8. C’est à partir de cet enregistrement que nous avons monté Iracema. Ce film n’a rien
d’inventé, tout ce que nous avons écrit dans ce scénario sont des choses que nous avions vues
pendant ce voyage. J’ai monté ce matériel super 8, je les ai amenés en Allemagne et montré au
producteur. Il m’a dit que si je faisais un film à partir de ces images super 8, il produirait le
film. » 18
Le scénario dans ce cas est une capture du réel. Il a choisi et enregistré des scènes qu'il a
réagencées. Les scènes ont été inspirées et reproduites à partir d’images déjà filmées. Le travail
d’écriture du scénario est à la fois une captation du réel et une invention d’une réalité. À partir de ce
voyage et du filmage en super 8, Bodanzky a écrit un scénario schématisé du film (extrait en
Annexe III). Chacune des pages est un chapitre du film. Des annotations décrivent l’action globale,
le type de lieu où elle se passerait, le type de personne qu’Iracema rencontrerait. Les dialogues ne
sont pas détaillés. Les deux personnages précis décrits dans ce scénario sont Iracema et le
chauffeur de camion. Les autres sont désignés de manière plus imprécise : « prostituées »,
« groupes de filous », ou « VRP ». Certaines fois, le scénario offre le choix du type de personne :
« ça peut être un mineur, un fermier, un menuisier, un banquier ».19
Dans l’exemple suivant, il écrit ainsi la séquence de discussion d’Iracema avec une autre prostituée
dans le bordel :
17
18
19
LEBLANC, Gérard, « De l'exposition subjective directe », in Cahier Louis Lumière n°8, 2011, p 7
Entretien avec Bodanzky, op. cit.
Pré scénario de Iracema, sources donnée par Jorge Bodanzky.
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«Belém, bordel, durant le jour, Iracema au milieu des prostituées, dialogue avec des
prostituées qui sont nomades, parler d’autres lieux. »20
Le lieu et le sujet de conversation sont donnés de manière globale, pour pouvoir s’adapter à la
réalité. Dans le film, cette scène se passe dans une chambre de bordel et une prostituée parle à
Iracema de ses voyages et de son désir d’aller à Sao Paulo. A chaque situation écrite, le sujet de
discussion est toujours précisé. En comparant avec le film, on peut remarquer qu’il est toujours
respecté. Ainsi ce type de scénario schématique permettait à Bodanzky d’avoir une base de situation
à proposer sans pour autant entrer dans le détail, et ainsi s’adapter à la réalité.
Discussion entre Iracema et la prostituée, alors qu!elle se prépare dans la chambre du bordel.
Gustavo Spolidoro, pour Morro do Céu, a écrit un scénario de fiction à partir de ses souvenirs pour
le projet DOCTV. Mais quand il a commencé le tournage du film, il l’a mis de côté. Quand je lui ai
demandé s’il avait un type de pré scénario, un guide, pendant le tournage, il a répondu :
« Dans la maison où j'habitais, j'avais un mur rempli de fiches avec sur chacune tout ce que je
voulais de chaque personnage, toutes les choses de la ville, les dates des évènements, les fêtes.
Tout ce que je souhaitais qui soit dans le film était inscrit. » 21
Ce type de « scénario » permet de s’adapter au réel, à l’imprévu, c’est une manière d’organiser le
réel tout en le laissant libre. Il savait qu’il voulait filmer certaines institutions, comme l’église,
l’école, mais en fonction de la vie du protagoniste, il pouvait s’adapter. Par exemple les vendanges
prenaient beaucoup de place dans la vie de Bruno, il a donc structuré son film autour de cette
activité.
20
21
Pré scénario d’Iracema, voir Annexe III
Entretien réalisé avec Gustavo Spolidoro, op. cit.
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c. Les allers-retours entre scénario et tournage
Dans Morro do Céu, le premier et principal changement entre le scénario de départ et le film,
concerne les personnages principaux :
« Originellement le projet était sur cinq amis. Ca a fini par être un projet juste sur Bruno, et autour de
lui, son cousin, sa mère, les amis, la famille, les habitants de Morro do Céu. » 22
Spolidoro commence le tournage en Novembre 2008, il suit un groupe de jeunes garçons et de
jeunes filles dans la ville de Cotipora, la ville de sa grand-mère. Il suit son idée initiale de faire un
film sur un groupe d’amis. Un jour, filmant ces jeunes dans l’école, il rencontre par hasard Bruno
avec son cousin Joël :
« « Qu’est ce que tu fais ici ? viens nous filmer » Ils commencèrent à m’embêter, je leur ai dit
que j’avais d’autres choses à filmer, mais comme au fond je n’avais pas grand-chose à faire, j’ai
commencé à discuter avec eux. J’ai découvert qu’ils habitaient à Morro do Céu, un lieu très
beau à côté de la ville de Cotipora. Ils commencèrent à raconter beaucoup de choses de leurs
vies ; au final de la conversation je leur ai demandé si je pouvais venir chez eux (…) J’y suis
allé, j’ai découvert Bruno, sa famille, et je ne suis jamais vraiment reparti. » 23
En quelque sorte, ce n’est pas le réalisateur qui a choisi le protagoniste du film, mais le protagoniste
qui l’a choisi. Bruno est venu a la rencontre de Spolidoro, et lui a montré son désir d’être filmé. Ici
le réalisateur s’est laissé porter par le mouvement des jeunes autour de lui. On sort du schéma
classique du réalisateur qui décide, qui est omnipotent. Ici il reçoit, écoute ce qui se passe autour de
lui, et s’adapte. Bodanzky explique avoir fonctionné dans ce même schéma, se laissant porter par le
réel :
« Le scénario pour nous était juste un guide. Nous ne nous attachions pas au scénario, nous
nous laissions embarquer par les situations qui se présentaient devant nous. » 24
22
23
24
Entretien avec Spolidoro, op. cit.
Entretien avec Spolidoro, op. cit.
Entretien avec Bodanzky, op. cit.
26/118
En regardant l’ébauche de scénario de Iracema (Annexe III) à l’origine du film, nous remarquons
que beaucoup de séquences sont absentes du film, et certaines ne sont pas écrites. Le décalage
s’explique par la manière de tourner. Bodanzky filmait une scène, et, si ça ne fonctionnait pas en
recréait une autre analogue dans un autre lieu. L’équipe ne pouvait pas retourner de scène, de par
leur dispositif de tournage presque documentaire, et par leur illégalité à filmer, à chaque fin de
scène, ils devaient partir en courant. Ainsi si une scène ne fonctionnait pas, ils en ré inventaient une
autre, avec un sujet de discussion et un principe équivalent.
Le sujet même des séquences et des discussions était aussi développé en fonction du lieu de
tournage. Bodanzky évoque un lieu où ils ont filmé une séquence qui compose le milieu du film :
« Cette région était très conflictuelle, il y avait eu un massacre là 7 ans auparavant, appelé Eldorado
do Caraja. C’est une région qui est aujourd’hui encore le lieu de beaucoup de conflits de terre. Nous
savions donc que la question de la terre se discutait là. On avait donc une notion du sujet à provoquer
dans chaque lieu. » 25
Au moment de la construction de la Transamazonienne, beaucoup de richesses naturelles furent
découvertes, dans cette région, il s’agissait du minerai. Ainsi le gouvernement a décidé d’exploiter
ces ressources, et pour cela il a exproprié les tribus indigènes qui vivaient là et n’avaient aucun droit
de propriété « légale ». Ce type d’expulsion des petits paysans existe à travers le Brésil depuis
longtemps. La question de la terre est un sujet essentiel et polémique du pays. Ainsi en traitant de ce
sujet, Bodanzky parle d’un problème d’ampleur national.
Dans Avenida Brasilia Formosa, G Mascaro avait suivi un déroulement traditionnel : écrit un
scénario de fiction, inventé des personnages, puis il avait fait un casting pour trouver les
personnages correspondant le plus à son scénario. Il a ensuite organisé le tournage conformément
au scénario prévu. Cependant, certaines scènes ont été rajoutées selon les actions des acteurs. Par
exemple un des personnages principaux, Caua, enfant âgé de quelques années, s’est fait couper les
cheveux au milieu du tournage. Le réalisateur a donc créé une scène dans un coiffeur au bord de la
mer pour justifier de ce changement de coupe.
25
Entretien avec Bodanzky, op. Cit.
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d. Création d’un arc dramatique
Dans Iracema, l’arc dramatique du scénario était composé par le couple principal du film :
« La ligne maîtresse existait déjà : Iracema sort de la forêt, va pour la fête religieuse de Nazaré,
elle rencontre le routier et part avec lui sur l’autoroute, il l’abandonne et se retrouvent après.
Tout cela était dessiné. » 26
« Une fois ces deux personnages construits, tout le reste se composait autour d’eux. Ce sont
deux mondes qui se rencontrent : celui de l’autoroute et celui du fleuve. »27
Bodanzky avait défini en amont quelques scènes qui raconteraient la rencontre, le développement,
et la fin de cette histoire. Grâce à cette structure de départ, il pouvait se laisser porter par le réel à
partir de ces scènes définies.
Morro do Céu retrace le quotidien de Bruno. L’histoire qui structure le film, lui donne un début, un
milieu et une fin est sa romance avec Borboleta, une jeune fille avec qui il veut sortir. Ainsi cela
devient un « authentique boy meets girl »28. Le début est la présentation de l’amour de Bruno pour
Borboleta, la narration se développe avec ses tentatives pour inviter la jeune fille à au carnaval, le
film se termine le jour de cette fête. Mais cette histoire n’était pas prévue dans le scénario de début :
« J'avais déjà un pré scénario, qui était la liste des lieux et institutions à filmer.
Indépendamment des jeunes que j'allais choisir, je savais déjà ce que je voulais filmer, ce
qui faisait partie de leur quotidien, comme l'église, la famille, les scènes de train. Tout cela
était déjà prévu. Mais après avoir connu Bruno, certaines choses ce sont rajoutées, ce
n'était pas un scénario très défini. L’ajout principal est l'histoire de la fille Borboleta, qui
est apparue au milieu du processus (…) Tous les jours je revenais chez moi, regardais le
matériel, supprimais et pensais le scénario en fonction de ce qui se passait. »
Le scénario était en mouvement permanent, et en lien direct avec le réel. Pour créer cette histoire au
sein de la vie d’un jeune homme, Spolidoro a repensé son écriture chaque jour en fonction de ce
qu’il voyait être une histoire possible.
26
27
28
Entretien avec Bodanzky, op. cit.
Jorge Bodanzky cité in MATTOS, Carlos Alberto, Jorge Bodanzky : o homem com câmera, São Paulo, Imprensa
Oficial do Estado de São Paulo, 2006, p 172
Fabio Andrade in revista cinetica : http://www.revistacinetica.com.br/morrodoceu.htm
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2. Le tournage
Dans une fiction, un plateau de tournage est créé à partir du réel pour pouvoir intégrer le dispositif
de la caméra, et contrôler ce que l’on filme. Ici, le plateau de tournage est composé par des éléments
du réel. Pour autant nous ne sommes pas dans un tournage documentaire, il y a un type de scénario,
et une volonté d’interaction des réalisateurs avec les personnages. Le dispositif de filmage doit donc
s’adapter à un non contrôle permanent, tout en gardant le maîtrise de l’ensemble. Il doit permettre à
l’équipe d’intervenir dans le réel et intégrer ce réel dans l’histoire.
a. Intégration du plateau de tournage dans l'environnement
Certains dispositifs d’intégration dans le réel sont permis par des avancées technologiques récentes.
Dans les années 1950 un autre cinéma a été possible par l’arrivée de nouvelles technologies telles
que la caméra légère et portative, l’enregistreur de son Nagra, les pellicules à plus grande
sensibilité. De même le dispositif utilisé par Gustavo Spolidoro dans Morro do Céu nous montre les
nouvelles possibilités de tournage aujourd’hui.
Il a filmé et fait le son seul. Il était à la fois réalisateur, opérateur, et ingénieur son. Il a filmé avec
une Canon Vixia HG 21, une caméra portable de la taille de la paume de la main, qui enregistre 11h
en Full HD. Ainsi il est possible de la transporter seul, pas de nécessité de la décharger dans la
journée. Le son a été pris avec des micros cravate et une perche posée qui prenait le son
d’ambiance. Ainsi il n’avait besoin d’aucun assistant, l’enregistrement du son se faisait de manière
autonome. Il laissait la caméra sur le trépied, et l’actionnait avec la télécommande, ce qui le
déchargeait aussi de la fonction d’opérateur. Cette configuration lui permettait de prendre
pleinement sa position de réalisateur sans avoir besoin d’une équipe. Le plateau de tournage était
complètement intégré dans le réel.
Dans Iracema, l’équipe était réduite, elle était formée de cinq personnes : les deux réalisateurs,
l’ingénieur son, un assistant caméra et une assistante de réalisation/production. Ils voyageaient en
combi. Dans chaque lieu où ils arrivaient, l’acteur principal (Paulo Pereio) déclenchait l’action.
Dans la scène du restaurant des routiers, Il vient s’installer à une table où mangeait leur chauffeur
de camion. Il ne connaissait pas les autres. Il s’installe et commence à dire : « Maintenant que la
route est en train d’être construite, ça va aller de mieux en mieux ». Ainsi les autres chauffeurs de
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camions renchérissent sur le sujet de la route. Cette discussion permet d’introduire le
positionnement des routiers sur la construction de la Transamazonienne, et introduire la pensée du
personnage Tiao Brasil Grande.
Pereio arrive à la table des routiers
Pereio converse sur l!autoroute avec les routiers
Bodanzky explique comment lui et son équipe arrivaient sur les lieux de tournage :
« Intentionnellement, je me présentais toujours avec la caméra déjà sur l’épaule. Je parlais avec
les personnes, préparais la scène et commençais à filmer par un simple échange de regard avec
le reste de l’équipe. Il n’y avait pas de clap, ni de « Attention ! ça tourne ! coupez ! ». (…) Le
plan se terminait souvent sans que les acteurs et figurants ne se soient rendu compte que cela
avait commencé. »
La question du clap est importante, car c’est l’élément qui marque la rupture entre les évènements
de la vie réelle et le moment du tournage. Il crée une division de temps. Les acteurs cessent d’être
eux-mêmes pour incarner les personnages du film. En enlevant cet élément de rupture, Bodanzky
inscrit les plans tournés dans le flux du réel, capte l’instantané.
En parallèle à cette recherche, j’ai réalisé une petite fiction « in situ » à Rio de Janeiro pour ma
partie pratique de mémoire (PPM). Je mettais en scène une actrice de la zone riche de la ville qui
arrivait en banlieue et rencontrait des jeunes y habitant. Dans cette expérience de tournage, je me
suis aussi confrontée au problème du clap. Nous en avions besoin car nous enregistrions l’image et
le son sur deux supports séparés : l’image sur un Canon 5D, et le son sur un zoom. Le dernier jour,
une relation d’amitié s’était créée entre l’actrice et les personnages du film, des conversations
intéressantes surgissaient spontanément entre eux, qui témoignaient d’une intimité. Je voulais capter
ces conversations. Or nous avions pris l’habitude avec mon équipe de commencer à filmer avec un
30/118
clap de synchro. A chaque fois que l’équipe faisait le clap, les conversations s’arrêtaient, et les
personnages perdaient leur naturel, une chose se cassait. Nous aurions dû nous adapter à la manière
de Bodanzky pour ne pas avoir à créer cette rupture d’espace temps que symbolise le clap. Ayant
compris ce problème le troisième et dernier jour de tournage, je n’ai pas eu le temps de changer
mon dispositif et l’organisation de mon équipe.
b. La caméra invisible
Gustavo Spolidoro explique ses intentions de départ quant à sa position en tant que réalisateur et la
place de la caméra :
« Je savais que je voulais devenir leur ami, et ainsi me rendre invisible. (…) Je faisais présence
comme personne, mais comme réalisateur, je me faisais oublier. Je restais silencieux et laissais les
choses arriver (…) Je posais la caméra sur le trépied et l’allumais avec la télécommande. » 29
De la même manière que Bodanzky se présentait avec la caméra, Spolidoro laissait la caméra
présente en permanence, pour la faire oublier, avec cette volonté de la rendre et se rendre invisible.
On retrouve dans cette volonté d’invisibilité l’idéologie du cinéma direct américain des années 60,
l’idée de transformer la caméra en une « mouche sur le mur »30, et se faire oublier pour pouvoir
capter la réalité telle qu’elle se présente. Bien que Spolidoro n’ai pas cet idéal de réel capté sans
interférence (nous y reviendrons plus tard), il a cette volonté de se rendre invisible pour mieux
raconter cette histoire, l'intégration de sa personne, de la caméra permettant de laisser les scènes de
vie se dérouler. Gérard Leblanc écrit sur l'acte de filmer en direct « que la vie devient film au
moment où l'on filme et qu'il n'existe pas de séparation entre l'acte de filmer et celui de vivre. »31.
Spolidoro, dans la manière dont il s'intègre à la caméra, ne délimitait pas le moment de vie du
moment de tournage, les deux se confondaient. Il était à la fois présent en tant que personne,
réalisateur, opérateur de la caméra. Cette fusion opérée entre le réalisateur et l'homme, entre la vie
et le film, nous donne accès à des moments de vie intime, auxquels le dispositif de filmage s'intègre.
L'invisibilité de la caméra souligne la qualité de cette intimité, nous sommes en présence de
moments qui ne sont généralement pas montrés, comme les scènes de Bruno au téléphone portable
tentant de séduire Borboleta, la fille dont il s’est amouraché.
29
30
31
Entretien aves Spolidoro, op. cit.
DA RIN Silvio, O Espelho partido, tradiçao e transformaçao do documentário, Azougue Editorial, 2004, pp 33 à
47
LEBLANC Gérard, « De l’exposition subjective directe », op. cit.
31/118
D'autre part, ce dispositif d'invisibilité de la caméra, venant du cinéma direct, nous rappelle aussi
celui de la fiction : Celle-ci nous raconte une histoire comme si la caméra n’y était pas, elle feint
une absence de dispositif filmique. Mais cette notion de feintise est très importante : nous savons
que dans la fiction ceci est une mise en scène, ce qui se passe sous nos yeux n'est pas vrai. Nous
savons que la réalité a plus ou moins été remise en scène pour être captée. Le temps de la vie réelle
a été mis en suspens pour créer une fiction. Or le cinéma direct, et ces films de « fiction in situ »,
intègrent la caméra dans le réel pour ne pas avoir à le suspendre, pour pouvoir s'intégrer dedans. Et
comme Spolidoro le relate, pour cette intégration, il avait besoin de lui-même s'intégrer en tant
qu'être humain. Il n’était pas seulement présent comme réalisateur, mais comme une personne à part
entière.
c. Filmer l’imprévu avec un langage de fiction
Une des problématiques de la « fiction in situ » est de parvenir à filmer avec un langage fictionnel,
ce qui est de l’ordre de l’imprévu. Par langage fictionnel nous entendons les formes filmiques
traditionnellement prêtées à la fiction : caméra posée, gros plans, champ/contre-champs. En filmant
des acteurs non professionnels, dans un contexte de vie réelle, sans dialogue écrit, faire plusieurs
fois la même prise est très difficile. Tout changement d’axe de caméra, raccord dans l’axe,
champ/contre-champs, devient une opération très compliqué. Quelles méthodes de filmage déploie
pour ce faire chacun des réalisateurs vis-à-vis du réel ?
Gabriel Mascaro, pour Avenida Brasilia Formosa, explique32 qu’il a commencé à filmer de manière
improvisée les scènes, sans pré-découpage, sans répétition. L’image était faite caméra à l'épaule
dans un style documentaire classique. Au premier visionnage d’image, il s’est rendu compte que
cela ne marchait pas : il avait besoin d’une rigueur méthodique du cadre pour que l’on sente
quelque chose d’étrange, que cela induise un doute dans ce film à l’apparence documentaire. Il a
donc changé la méthode de tournage avec son chef opérateur :
« On préparait chaque scène pendant une heure trente, c’était comme dans un tournage de
fiction, on avait des scènes écrites dans le scénario, il y avait une installation lumière,
une composition de cadre, la pose des microphones. Une fois cette mise en place faite,
32
Rencontre avec Gabriel Mascaro à l’Université Federal Fluminense le 9 Juin 2O11
32/118
l’espace devenait un espace de création collective, tant pour moi que pour les
personnages. » 33
L’action des personnages se déployait dans un espace préalablement préparé, éclairé. Le film est
composé de plans fixes, sur trépied, très composés, très esthétisants. Mascaro laissait les comédiens
improviser dans le cadre. Au cas où ils sortiraient du cadre, l’ingénieur son avait posé des
microphones dans tous les espaces attenants aux lieux de tournage pour pouvoir utiliser le son
malgré des déplacements imprévus.
Nous retrouvons la même méthode du trépied dans le dispositif de Morro do Céu. Gustavo
Spolidoro cadrait la scène avec la caméra sur trépied, et laissait l’action se passer. Néanmoins, ce
film a une esthétique moins travaillée, car les espaces n’étaient pas préalablement éclairés, et les
scènes n’étaient pas non plus préparées. Cette esthétique très simple nous donne l’impression d’être
dans un documentaire, alors que dans Avenida Brasilia Formosa, le réalisateur voulait de montrer
que c’était une fiction.
Bodanzky, dans Iracema, filmait caméra à l'épaule. Il explique qu’il prémontait déjà la scène en
cadrant, car il n’avait aucune possibilité de la refaire. Le film est principalement composé de plans
séquences. La virtuosité de la caméra, due aux années d’expérience de reporter de Bodanzky, nous
fait oublier l’aspect caméra épaule improvisé qui rappelle le documentaire. La chorégraphie de la
caméra s’adapte parfaitement à la chorégraphie des participants :
“En travaillant avec des non acteurs, il est compliqué de découper pour faire des contrechamps, gros plans…etc car cela retire toute spontanéité. J’ai fait donc en sorte que la
caméra lie l’action, anticipant le montage. L’habitude en a fait ma manière de diriger. Je
veux raconter l’histoire en poussant les personnages avec ma caméra, comme si je
scénarisais, découpais, filmais et montais en même temps. » 34
Nous avons un exemple dans la scène de la rencontre d’Iracema et Tiao Brasil Grande dans un bar
de nuit. Bodanzky suit l’arrivée d’Iracema dans le bar en caméra portée. Il la filme s’asseoir, se
rapproche pour faire un plan rapproché d’elle. Puis il filme la rencontre : Tiao Brasil Grande vient
l’inviter à danser, nous sommes en plan américain. Puis, Iracema et Tiao se lèvent pour aller danser.
Bodanzky élargit le cadre jusqu'à un plan d’ensemble en se reculant grâce à son zoom. Il utilise
beaucoup d’inserts sur des personnes qui composent la scène pour se servir de coupes : il filme les
33
34
Entretien avec Mascaro, op. cit.
Jorge Bodanzky cité in MATTOS Alberto Carlos, Jorge Bodanzky, o homem com câmera,op. cit. p 183-184
33/118
autres danseurs et les regards des femmes sur la scène en train de se passer. Grâce au zoom et aux
mouvements de l’opérateur, la caméra découpe la scène en ne filmant celle-ci qu’une seule fois.
Arrivée de Iracema
Plan rapproché une fois
assise
Tiao vient l!inviter à danser
Plan d!ensemble, dansant
dans la boîte de nuit
d. Le plan de travail : la notion d'espace et de temps.
Lioult pointe le fait que la fiction, généralement, tourne selon un plan de travail non chronologique,
par obligation ou commodité.« Lorsque on déroge à cette dernière règle, c’est au bénéfice d’un
effet de réalité, ou de réel »35. Dans le documentaire, en général, l’espace et le temps valent toujours
pour eux-mêmes. Qu’en est il des films étudiés dans ce corpus ?
Bodanzky résume ainsi l’organisation du tournage d’Iracema :
« Pour qu’Edna comprenne mieux l’évolution de son personnage, nous avons tourné les
trois parties du film dans l’ordre chronologique : Le fleuve, la fête, et l’autoroute. »
Ayant affaire à une actrice non professionnelle, le choix de l’ordre chronologique s’est imposé.
Filmer les histoires selon une autre chronologie demande à l’acteur un grand travail de jeu. Or
Bodanzky ne voulait pas qu’elle joue mais qu’elle soit elle-même. Elle devait donc être dans un
temps logique et réel. De même, il trouvait important que les acteurs jouent dans des lieux et
temporalités qui valent pour eux-mêmes, car « L’atmosphère réelle renforçait la vérité des
dialogues » 36. Utiliser les lieux et temps pour ce qu’ils sont, mettre les acteurs dans une situation
réelle, était une manière de diriger les acteurs en simplifiant ce qu’ils avaient à jouer.
Dans Morro do Céu, Gustavo Spolidoro a respecté la chronologie du tournage dans le film pour les
narrations principales, telle celle de l'histoire d'amour. Mais il a fonctionné différemment pour les
autres scènes : « J'ai utilisé la réalité qu’ils me donnaient pour la transformer en narration du film.
35
36
LIOULT, Jean-Luc, A l'enseigne du réel, op. cit., p. 48
Jorge Bodanzky cité in MATTOS Alberto Carlos, O homem com câmera, op. cit., p. 182
34/118
Je n’ai pas tout utilisé de manière chronologique »37. Il se donnait donc la liberté de ré agencer les
séquences en fonction de ce qui lui semblait plus intéressant au niveau de la narration.
Dans mon tournage de PPM, le besoin de tourner en ordre chronologique s'est fait sentir : la relation
d’amitié entre l’actrice et les jeunes de banlieue se développait au fur et à mesure. Il aurait été très
dur de forcer les choses, de les faire jouer l’évolution de ce rapport réel, en train de se créer.
Néanmoins quand nous parlons de « non chronologie », il s'agit de l'ordre des séquences. Le
dispositif de tournage très proche du documentaire utilisé lors de ces fictions ne permet pas de
contrôler la réalité au point de pouvoir tourner des plans de la même séquence à des semaines
d'écart. L'utilisation d'un plan de travail non chronologique reste donc d’un usage limité.
e. Interactions entre la vie et le film
Comme nous l’avons vu précédemment, lieu du tournage s’intègre au à l’environnement réel. Il n’y
a plus de limite physique entre ces deux espaces. L’interaction entre l’évènement que représente le
filmage et la réalité est donc possible. Quelles conséquences la fusion de ces deux espaces va-t-elle
déclencher ?
Pour Morro do Céu, Spolidoro a pris comme fil directeur du scénario l’amourette du protagoniste,
Bruno, pour une fille du village. Pendant le tournage, il demandait à Bruno de le prévenir à chaque
fois qu’il parlait avec cette fille pour enregistrer. Il lui donnait aussi des conseils pour la draguer “en
tant que réalisateur, mais surtout en tant qu’ami. J’ai déjà eu son âge : je savais que s’il continuait
de la sorte, la fille n’allait pas vouloir sortir avec lui.”38
Le tournage se terminait au carnaval :
« Je lui ai dit : « Bruno, la fin du film est le carnaval, si tu sors avec cette fille il va y avoir une fin
heureuse, si tu ne sors pas avec cette fille il va y avoir une fin triste, et la faute sera la tienne, tu ne
suis pas mes conseils » (…) La fille ne voulait pas sortir avec lui, elle est restée près de sa mère
pendant tout le carnaval, Bruno était super déprimé, et c’est pour ça que ça se termine de cette
manière, Bruno marchant tout seul » 39
Ainsi l’histoire de Bruno se confond directement avec le film. La fin du film est une partie de son
histoire personnelle, que le réalisateur ne peut pas anticiper. L’événement crée par le tournage
37
38
39
Entretien avec Spolidoro, op. cit.
Entretien avec Spolidoro, op. cit.
Entretien avec Spolidoro, op. cit.
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devient le réel lui-même. Le tournage devient un événement social sujet du film, un lieu de fiction.
Les personnages évoluent au long du film, l’histoire évolue par ce qui est créé par le tournage, et
réciproquement.
Bruno reste seul à la fin du carnaval, déprimé
Séquence de fin, il marche seul le long de la voie de train
Dans Iracema, Les figurants présents étaient des personnes vivant dans l’endroit où ils filmaient, ils
faisaient partie du lieu. Ils agissaient comme dans leur vie, et non selon la volonté du réalisateur.
Ainsi la manière dont ils se comportaient dans le film révélait les types de comportements du lieu.
Bodanzky relate deux cas d’interaction de la personnalité des figurants avec le tournage :
“La violence contre la femme, un des thèmes sous-jacents du film, surgissait souvent de la
réalité du tournage. Quand les policiers ont expulsé Iracema d'une boîte de nuit, parce
qu'elle était mineure, nous n'avions pas demandé qu'ils agissent avec violence. Ils étaient
vraiment policiers et reproduisaient juste ce qu'ils avaient l'habitude de faire. Dans la
bagarre des deux femmes près du puits, le garçon qui est arrivé pour les séparer n'était pas
un acteur, mais un habitant qui a agi spontanément, pensant que la représentation sortait
de tout contrôle.” 40
Bodanzky voulait montrer la violence envers les femmes. Pour ce, il a utilisé les réactions
spontanées des participants vis-à-vis des situations qu’il mettait en place. Le film s’est en partie
construit à partir de cette valeur de réalité qu’avait le tournage.
40
Jorge Bodanzky cité in MATTOS, Alberto Carlos, O homem com câmera, op. cit., p. 183-184
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Iracema se fait sortir de la boîte par les policiers
Iracema et le figurant qui la sépare de la bataille
f. L’événement du tournage donne lieu à l’histoire
Dans Cabra marcado para morrer, Eduardo Coutinho, le réalisateur, revient sur les traces des
acteurs d’une fiction qu’il a entamée dix-sept ans auparavant. Ce film juxtapose des scènes d’une
fiction avortée avec des scènes documentaires du retour du réalisateur dans le même lieu vingt ans
après. Le film commence par nous expliquer, au travers d'images d'archives et de coupures de
presse, le contexte historique dans lequel s'est formé le premier projet du film de fiction intitulé
Cabra marcado para morrer . Cette fiction racontait l’assassinat de Joao Teixera, un leader paysan
du Nordeste. Le film devait se faire dans les lieux originaux avec la famille et les collègues du
paysan, jouant leurs propres rôles. Il était financé par l'UNE (Union Nationale des Etudiants). Mais
deux jours avant le tournage, à cause d'une bataille entre la population et les militaires, il devint
impossible de tourner dans les lieux originaux. Finalement le tournage commencera trois semaines
plus tard en Galiléa, une autre région du Nordeste où il y a aussi un fort mouvement paysan. Il n'y
aura qu'Elisabeth, la veuve de Joao Teixera qui jouera son propre rôle. Les autres seront des
habitants et partisans du mouvement paysan de Galiléa. Après trente-cinq jours de tournage, à cause
du coup d'Etat, les militaires arrivent dans la région. L'équipe est forcée de fuir et l'armée prend
possession du matériel et des bobines de pellicules restées sur place. Le réalisateur réussira
quelques années plus tard à récupérer les rushes envoyés au laboratoire à Rio avant l'arrivée des
militaires. Il revient avec ces rushes sur les lieux du tournage dix-sept ans après, à la recherche des
participants du film, sans scénario prévu.
Après cette introduction historique, le film commence par le retour de Coutinho sur les lieux de
tournage, en Galiléa. Il organise une projection des rushes de 1962 et 1964 pour les acteurs de
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l'époque. C'est un évènement dans le village. Le lendemain, les souvenirs ravivés par la projection
des rushes conduisent les acteurs de l'époque à se rappeler du passé. Ils nous racontent ce qui s'est
passé après le tournage. Seuls deux membres du mouvement paysan de l'époque sont encore en vie.
Ils portent l'histoire de ce mouvement. Mais ils ne savent ni lire ni écrire. Ils sont la mémoire
vivante d'une époque. Coutinho, en filmant leur témoignage, transmet leur histoire. Après être passé
à Sapé, il va à la recherche d'Elisabeth Teixera, la veuve, qui a disparu depuis dix-sept ans, étant
recherchée par la police militaire. Il la retrouve dans un petit village du Nordeste. Elle avait changé
de nom, caché son histoire auprès de tous, et commencé une nouvelle vie. Là encore Coutinho
organise une projection des rushes pour rappeler le passé et déclencher la parole. Les rushes du film
de fiction apparaissent comme un support, un fil rouge pour renouer avec cette histoire. La voix
d’Elisabeth Teixeira relatant à Coutinho son histoire est superposée aux images de fiction du
tournage interrompu en 1964.
Ce film n’est pas à proprement parler une fiction, car il se présente comme un documentaire. Mais
la manière dont le documentaire se déroule et se lie à la fiction d’autrefois en fait un sujet d’étude
intéressant .En effet, il lie les images du film de fiction avorté, qui avait beaucoup d’une « fiction in
situ », avec les conséquences de ce tournage dans le présent.
Dans la partie de recherche documentaire du film, Coutinho se met en scène ainsi que son équipe
dans les interviews. L’équipe de filmage comporte deux caméras filmant deux types d’images
différentes : l’une filme les gens et l'autre filme l'équipe interviewant les gens. Ainsi l'équipe est
montrée dans le même espace que les protagonistes, il n'y a plus la frontière filmeur/filmé. Cela
nous montre que Coutinho ne croit pas en un réel, une objectivité, il nous montre qu'il filme un réel
qui existe grâce à la présence de la caméra, qui est un réel en mouvement. Nous pouvons rapprocher
ce rapport au réel du cinéma-vérité et de Jean Rouch, qui nous propose « Un réel envisagé non
comme une réalité préexistante, ni préfabriquée, mais comme ce qui se produit au moment où on
filme parce que l’on filme. »41 Coutinho lui-même dit à propos de son travail « Ce qui me
différencie de beaucoup de réalisateurs est que je ne fais pas un film sur les autres, mais avec les
autres ».42
41
CHEVRIE, Marc, Jean Rouch, le renard pâle cité de NINEY François, L’épreuve dur réel à l’écran, Bruxelles, De
Boeck, 2002. p. 159
42
LINS Consuelo, O cinema de Eduardo Coutinho: uma arte do presente. In : http://publicaciones.fba.unlp.edu.ar/wpcontent/uploads/2011/08/Lins_O-cinema-de-Eduardo-Coutinho.pdf
38/118
L!équipe allant à la recherche d!un
personnage
Interview d!Elisabeth Teixera (au
centre), en bas à droite le réalisateur
Coutinho
L!équipe fait l!interview d!un paysan
Serras da Desordem met en scène une partie de la vie de Carapiru, Indien de la tribu Awa Gwajà de
l’état du Maranhao au Brésil. L’histoire de Carapiru commence au moment où sa tribu a été
massacrée par des fermiers en 1978. Il arrive à s’en échapper. Et il vit seul, en errance, parcourant
plus de deux mille kilomètres pendant dix ans. Puis il est accueilli par une ferme communautaire,
qui le nourrit et le loge. Il vit là une année avant d’être découvert par Sydney Possuelo, membre de
la FUNAI (Fondation Nationale pour les Indiens). Celui-ci le ramène à Brasilia, le loge chez lui, et
cherche un traducteur pour savoir d’où il vient. Il entend parler d’un jeune Indien, Awa Gwaja, qui
parlait aussi portugais, ayant été élevé en partie par des fermiers brésiliens. A leur première
rencontre, le jeune Indien, Bemvindo, reconnaît en Carapiru son père. Il avait lui aussi subi le
massacre dix ans plus tôt, mais avait réussi à s’en échapper et avait été recueilli et élevé par des
fermiers. Les médias découvrent cette histoire incroyable, qui devient instantanément un fait-divers
national. Carapiru est ramené dans une autre tribu Awa Gwaja, où il décide de rester vivre.
Le réalisateur, Andréa Tonacci, découvre l’histoire de Carapiru par l’intermédiaire de Sydney
Possuelo en 1993. Il décide de monter un projet de fiction sur cette histoire. Il écrit beaucoup de
versions successives de scénario. Il fait des recherches sur l’histoire de cet Indien. En 2000, il reçoit
des fonds pour monter le projet. Il refait le parcours de Carapiru et commence à filmer. Il avait
abandonné l’idée de la fiction et filmait dans un style de documentaire journalistique. Il se rendit
compte que cela ne fonctionnait pas, et pensa à faire une version urbaine totalement fictionnelle de
l’histoire : un homme perdu dans la ville pendant dix ans retrouve son fils. Mais finalement, étant
toujours entouré de Sydney et Carapiru, il leur demanda d’interpréter cette fiction eux-mêmes. Ils
acceptèrent.
Dans ce film, Tonacci remet donc en scène Carapiru dans sa propre histoire. Il le fait revenir vingt
ans plus tard sur les lieux de son périple. Le film alterne entre la fiction qui nous raconte l’histoire
de Carapiru, et la partie documentaire nous montrant les coulisses du tournage, les retrouvailles de
Carapiru avec les personnes de son passé. Ces rencontres sont les conséquences de la fiction. Cette
39/118
démarche donne au tournage une valeur d’événement social, c’est une manière de réunir les
personnes, et non simplement un moment pour faire des images. Et cela casse la frontière entre ce
qui est de l’ordre du film et du non film, entre la vie réelle et le tournage, car les retrouvailles sont
un moment aussi important, voire plus que la partie de fiction dans le film. Dans un sens, la
frontière entre ce qui est de l’ordre du film et du réel est questionnée, effacée. La vie fait partie du
tournage, et le tournage fait partie de la vie, c’est « un véritable va et vient entre vie et cinéma. »43
« Tendre vers une limite, faire passer dans le film la limite d'avant et d'après le film, saisir
dans le personnage la limite qu'il franchit pour entrer dans le film et pour en sortir, pour
entrer dans la fiction comme dans un présent qui ne se sépare pas de son avant et son après
(…) non pas atteindre un réel tel qu'il existerait indépendamment de l'image, mais
atteindre à un avant et un après tels qu'ils coexistent dans l'image, tels qu'ils sont
inséparables de l'image (…) atteindre la présence directe du temps. » 44
Carapiru accepte de jouer son propre rôle et revenir sur les traces de son passé pour revoir les gens,
en exprimant la condition que Tonacci le ramène dans sa tribu après. C'est donc le désir du
personnage qui conditionne le déroulement du film, c'est parce qu’il avait envie de retourner voir
ces gens que le film s'est fait, c'est le hors film, la vie qui prend le pas sur la narration du film.
43
44
NINEY François, L’épreuve du réel à l'écran, op. cit., p. 313
DELEUZE, Gilles, L’image mouvement, Paris, éditions de Minuit, 1985, p. 55,
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LA SIGNIFICATION DE L!IMAGE
1. La croyance en l’image, entre documentaire et fiction
a. Perturbation du régime de croyance
Cette mise en scène du réel pose la question de la croyance en l’image : ce que je suis en train de
regarder est-il vrai ? Est-ce une mise en scène ? Selon Jean-Louis Comolli, ce besoin de croire en
l’image est inhérent au cinéma, il développe « un mouvement complexe de doute et de croyance qui
entretient et fonde la relation du spectateur au film »45. Le spectateur veut croire et douter à la fois
de ce qu’il voit. Dans le cas du documentaire, la croyance en cette réalité filmée serait plus grande.
Selon Jean-Luc Lioult :
« La relation au monde de référence, tel qu'effectuée par le spectateur de documentaire, est
précisément le résultat d'une mise en rapport de la réalité de deuxième ordre qui lui est
proposée, avec le réel de premier ordre qui est par définition absent, mais qui ne cesse pour
autant d'être objet de tous les enjeux » 46
Dans le documentaire, le rapport entre ces deux réalités est essentiel. Dans le cas de la fiction, on
admet que c’est un leurre. Dans le cas de ces « documentaires fictionalisés », le régime de croyance
est perturbé. A propos de Serras da Desordem et Juizo, Claudia Mesquita et Consuelo Lins,
chercheuses et théoriciennes du cinéma documentaire brésilien, écrivent :
“Ce sont des œuvres qui dissolvent les distinctions traditionnelles entre documentaire et fiction
et amplifient les possibilités créatives du cinéma brésilien, posant une question peu discutée
dans la création visuelle contemporaine : la croyance du spectateur devant les images du
monde“47
Pour Avenida Brasilia Formosa, Gabriel Mascaro, le réalisateur, voulait que le spectateur soit
perturbé par les images, qu’il ne sache pas de quoi il s’agit. Pour cela il mélangeait volontairement
les codes fictionnels et documentaires :
45
46
47
COMOLLI, Jean-Louis, « Au risque du réel », Voir et pouvoir, Paris, Editions Verdier, 2004. p. 509
LIOULT, Jean-Luc, À l'enseigne du réel. Penser le documentaire, Aix-en-Provence, Presses de l'Université de
Provence, 2004. p.39
MESQUITA Claudia, LINS Consuelo, filmar o real, sobre o documentario brasileiro contemporâneo, Zahar, 2008,
p. 81
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« Je voulais tout mélanger : le casting principal ne regarde pas la caméra, mais les
figurants si. Nous sommes dans l’improvisation mais l’image est très bien cadrée, éclairée,
le son est très présent et précis même quand nous sommes loin. Avec tout cela, je voulais
provoquer une sensation d’étrangeté. Je voulais voir comment on réussirait au travers
d’une chose aussi formelle que la fiction à créer un questionnement sur le réel, comment
au travers de cet excès de rigueur technique, on pouvait percevoir le film comme
expérience documentaire. » 48
Ainsi, Mascaro voulait, en jouant sur les codes de documentaire et fiction, créer une perturbation de
la croyance du spectateur en ce qu’il est en train de voir, et questionner les notions de réel et
documentaire.
Pour Serras da desordem, Le réalisateur explique qu’il voulait laisser indéfinie la frontière entre ce
qui est de l’ordre de la fiction et ce qui est de l’ordre du documentaire. Il voulait provoquer un doute
constant chez le spectateur, un espace d’indéfinition où le sentiment de possible peut transiter, pour
rester un peu moins ancré aux définitions, aux certitudes, et ainsi « gérer le déplacement du regard,
qui transforme le documentaire en fiction et révèle ce qui existe de fictionnel dans le
documentaire. » 49. Ce doute permanent instauré dans ce film permet de casser les frontières entre
ce que l’on désigne comme fiction et comme documentaire. Tout élément documentaire peut être de
la fiction.
b. Remise en cause du pacte de vérité
Dans Morro do Céu, Gustavo Spolidoro explique qu’il est clairement intervenu dans les scènes, Il
voit son travail comme la transformation de la réalité que leur donnaient les protagonistes en une
narration cinématographique.
« Le cinéma n’est pas fidèle à la réalité, il ne la représente pas, il la transforme. (…) Je n’ai pas
altéré la réalité, je l’ai transformée pour qu’elle soit cinématographiquement intéressante. Ça ne
vaudrait pas la peine de les montrer dans une réalité qui ne soit pas cinématographiquement
intéressante. » 50
A la fois, la réalité est clairement transformée, mais elle ne cesse de faire référence à elle-même.
Pour Spolidoro, l’intérêt narratif prévaut à la véracité exacte des faits. Il ne se positionne pas dans
48
49
50
Entretien avec Mascaro, op. cit.
CAETANO Daniel (org.), Serras da Desordem, Azougue Editorial, 2008, dans l’entretien avec Caetano, p. 135
Entretien avec Spolidoro, op. cit.
42/118
un pacte d’objectivité avec le spectateur, il veut avant tout lui raconter une histoire qui soit
photogénique. Par exemple, il nous explique qu’il a choisi volontairement de modifier les lieux des
activités des jeunes dans un intérêt cinématographique :
« La chute d'eau près de Morro do Céu n'est pas un bon lieu pour filmer, elle est très
obscure, Je préférais les filmer dans une chute d'eau plus loin que je trouve plus jolie. » 51
Or, les jeunes protagonistes de son film ne connaissaient pas cette chute d’eau, il leur a fait
découvrir et a installé l’action là-bas, comme si c’était un lieu de leur quotidien, celle de Morro do
Céu.
Chute d!eau plus photogénique choisie pour le film
Jean-Luc Lioult définit ainsi notre régime de croyance envers la fiction : « on recourt à des formes
d'imitation du réel, mais en s'accordant sur le fait que cette faire-semblance n'est pas une
tromperie »52. Selon Schaeffer, la fiction serait une « feintise ludique partagée », par opposition,
Jean-Luc Lioult décrit le discours de non-fiction comme « assertion sérieuse consentie ». Morro do
Céu pencherait plus pour du côté de la fiction en ce sens. De plus, selon Bill Nichols53, le
documentaire est donneur d’informations, il n’a pas de vertus esthétisantes. Or Spolidoro met en
avant ce qui est esthétiquement intéressant, il se détache de l’image comme preuve du réel, comme
information. De la même manière Gabriel Mascaro, dans Avenida Brasilia Formosa, ne se pose pas
ce souci de vérité en ce qui concerne les faits et personnages qu’il met en scène. Par exemple il
explique que dans son scénario de fiction, il y avait un personnage de vidéaste. Or ils n’en ont pas
trouvé dans la communauté de Brasilia Teimosa, ils l’ont donc cherché dans une autre communauté
qui n’avait rien à voir avec Brasilia Teimosa et l’ont fait passer pour un habitant de cet endroit.
51
Entretien avec Spolidoro, op. cit.
LIOULT, Jean-Luc, À l'enseigne du réel. Penser le documentaire, Aix-en-Provence, Presses de l'Université de
Provence, 2004. p.32
53
HELKE, Susanna, A trace of Nanook : cinematic methods interwining documentary and fictional styles, in
Nanookin Jälki, Jyväskylä, Gummerus Kirjapaino Oy, 2006, p.210
52
43/118
Ces films, par leur caractère fictionnel, se détachent du pacte de vérité que l’on attribue en général
au documentaire classique. L’image n’est pas synonyme de vérité :
« Il n’y a pas d’image qui garantisse vérité ou authenticité, tout peut être simulé, et savoir
cela est déjà un bon point de départ pour mieux comprendre ce qui se passe autour de
nous. »54
Dans Serras da Desordem, Tonacci utilisait des situations réelles pour l’histoire qu’il voulait
raconter : il voulait montrer Carapiru isolé dans la tribu après son retour. A ce moment, Carapiru
était malade, il avait la tuberculose, il ne pouvait pas manger avec les autres. Tonacci a filmé cette
situation pour exprimer une autre signification, propre à l'histoire qu’il voulait raconter. Pour lui,
toutes les personnes, les situations représentaient des éléments construisant la narration du film,
même dans les moments les plus documentaires, strictement dédiés à l'observation.
La séquence d’ouverture du film est une description durant une quinzaine de minutes de la vie de la
tribu d’Indiens Awa Gwajà, la tribu où Carapiru vit actuellement. Tonacci a mis en place une
reconstitution : il a demandé aux Indiens de construire un nouveau village, lieu de vie, et il les a
filmés dans le quotidien de cette construction. Cette séquence est très documentaire dans le sens où
elle observe, nous montre le quotidien de cette tribu : la manière dont ils s’installent dans un lieu,
comment ils construisent leurs habitations, comment ils vivent en harmonie avec les animaux.
Comment ils font du feu. Cette séquence nous informe sur la vie des Indiens. La caméra est très
descriptive. Mais dans la narration, elle est essentielle : elle nous introduit le personnage de
Carapiru dans son contexte de vie, on voit son intégration à la tribu. La suite de l’histoire de
Carapiru étant son errance dans le monde « civilisé », toute cette introduction à un sens narratif
essentiel pour comprendre la délocalisation qu’a vécue le protagoniste.
Les Indiens construisent une hutte
Indienne allaitant
Indiens prenant un bain dans la rivière
Ainsi ce que Tonacci filmait, même de façon documentaire, contribuait à constituer l’histoire qu’il
imaginait. Ici aussi l’intérêt de la narration prime par rapport à la véracité de l’événement. L’image
54
LINS Consuelo, MESQUITA Claudia, Filmar o real, p. 82
44/118
se détache de son référent, le réel de premier ordre, pour prendre sens dans une autre réalité, celle
de la narration du film.
« Le profilmique de la fiction sert la diégèse, celui du documentaire renvoie au référent
lui-même » 55
Ici le travail profilmique de Serras da Desordem renvoie à la diégèse, nous nous détachons du sens
référent premier. Nous sommes donc pleinement dans une éthique de fiction.
c. Réalité et fiction sont équivalentes
Dans Avenida Brasilia Formosa, Gabriel Mascaro met en scène des personnages jouant leur rôle
dans un scénario pré écrit. À la question sur les modifications entre le scénario et le résultat filmé, il
répond :
« Pour moi tout est construction, performance, même ce qui a été improvisé. Donc je
n’arrive pas à me rappeler ce qui a été changé ou pas parce que pour moi tout est
manipulé.» 56
Mascaro dit ne pas donner de valeur à la différence entre la fiction et le documentaire, mais parle de
« niveau d’intervention et de contrôle sur le réel »57. Le schéma habituel de vérité de documentaire
versus mensonge de fiction est ici complètement perturbé. Nous retrouvons la même confusion dans
le tournage d’Iracema, la réalité était tellement entrelacée à l’histoire du tournage, que les figurants
ne faisaient plus la différence. Jorge Bodanzky relate un exemple :
«La participation des figurants et extras avait aussi une grande teneur de véracité. Pour
faire la scène de vente des travailleurs esclaves, nous sommes allés dans la banlieue de
Belém et avons offert un salaire journalier à quelques travailleurs pour rester à notre
disposition en haut du camion. Nous sommes allés jusqu’à l’entrée d’une ferme et
avons filmé le dialogue entre le trafiquant et le fermier.(…) Une fois le tournage
terminé, malgré toutes nos explications sur le mensonge cinématographique, les
travailleurs ont été très déçus parce qu’au final, ils n’ont pas eu l’emploi négocié sous
leurs yeux. »
55
56
57
58
58
LIOULT, Jean-Luc, A l’enseigne du réel op. cit., p. 49
Entretien avec Mascaro, op. cit.
Entretien avec Mascaro, op. cit.
Jorge Bodanzky cité in MATTOS, Alberto Carlos, ibid., p 183
45/118
Il explique aussi qu’« il n’y avait pas la préoccupation d’éviter que les personnes regardent la
caméra dans les scènes de rue, vu que la réalité et la mise en scène étaient équivalentes »59.
L’espace de tournage se confond donc complètement avec la réalité, à tel point que les regards sont
assumés. Ainsi que ce soit pour le spectateur ou pour les participants, dams ce type de films, la
frontière entre les deux mondes, entre la vérité et le mensonge est imperceptible. Ces notions
deviennent obsolètes.
2. Le mélange de différents supports
a. Aller retour entre différents registres d’images
Dans Serras da Desordem, Tonacci nous raconte l’histoire avec un matériel filmique très
hétéroclite. La narration est composée de plusieurs types d’image :
- Les prises de vue de fiction sont la plupart du temps en pellicule 35 mm noir et blanc, avec
un langage cinématographique élaboré : découpage prévu, caméra sur pied ou en travelling sur rail,
raccords dans le mouvement, champs /contre champs. Il est utilisé pour les remises en scène de
l’histoire de Carapiru.
- Les scènes documentaires sont l’envers du tournage, les conséquences du retour de
Carapiru parmi les siens, les retrouvailles avec les lieux et personnes de son passé. Elles sont aussi
les entretiens des personnes qui ont côtoyé Carapiru. Elles sont filmées en caméra à la main, en
couleur et en numérique.
- Des scènes sont filmées en pellicule 35mm couleur, ce sont des scènes d’ambiance qui
pourraient aussi bien être dans le passé que dans le présent.
- Certaines scènes sont aussi reconstituées au travers d’images d’archives de l’époque.
L’histoire de Carapiru ayant été connue, elle avait été couverte par les médias, la télévision, les
journaux.
- Une partie de l’histoire est aussi raconté par des interviews qu’avait faites le réalisateur au
début de son projet, dans un style très documentaire journalistique.
Tous ces mélanges de types d’images nous maintiennent perpétuellement dans un flottement, un
doute quand à ce que nous sommes en train de voir. Ces moments de tournage ont été faits à
59 Jorge Bodanzky cité in MATTOS, Alberto Carlos, O homem com câmera, op. cit., p 183
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différentes étapes. Cela provoque une confusion temporelle, car ces différents régimes d’image
représentent, symbolisent des temps différents.
Mise en scène de l!errance de Carapiru en 35mm noir et
blanc
Retrouvaille de Carapiru avec les gens de la ferme en mini
DV
Image d!ambiance de la ferme en 35mm couleur
Interview de Sydney Possuelo en DV
Extrait d!émission TV à la découverte de l!histoire de
Carapiru, à gauche Possuelo et à droite Carapiru
Les journaux de l!époque à la découverte de l!histoire, en
titre : « l!histoire vraie d!Ava » 60
L’histoire dans Cabra marcado para morrer est aussi racontée par différents supports : le
documentaire au présent crée par le retour du réalisateur, les images de fiction du film de 1964, et
des photos et images d’archives de l’époque. De la même manière que dans Serras da Desordem,
nous passons d’un régime d’image à un autre, nous sommes ballottés sans cesse entre différents
modes de narration, de croyance, ces changements nous perdent et nous questionnent à la fois sur le
type d’image que nous sommes en train de voir. Sommes nous dans le documentaire ? Dans la
fiction ? Selon Lins et Mesquita :
60
Avant que Carapiru raconte son histoire, on pensait qu’il s’appelait Ava, mot qu’il répétait tout le temps
47/118
« [Cette confusion porte] la capacité de perturber la croyance du spectateur en ce qu’il est
en train de voir, de susciter des doutes sur l’image documentaire et faire que cette
perception soit moins une compréhension intellectuelle qu’une expérience sensible. » 61
En effet, l’impossibilité de pouvoir catégoriser le type d’image que nous sommes en train de voir
nous oblige à accepter de nous laisser aller, à suivre l’histoire en tant que telle, sans avoir un
contrôle intellectuel sur l’objectivité des images, leur mode de fabrication. Ainsi nous nous laissons
porter par l’histoire sans se demander ce qui est vrai ou pas, ce qui compte est ce que l’on nous
raconte. La réception de ces films devient bien plus de l’ordre de la sensation, et de l’affect. Par
exemple en suivant l’histoire de Carapiru, nous nous concernons beaucoup plus pour sa vie, nous
nous laissons porter par cette histoire, sa force, en laissant de côté les questions d’objectivité et de
vérité.
b. Utilisation d’images d’archives
Dans Avenida Brasilia Formosa, une séquence montre Fabio, personnage vidéaste habitant du
quartier Brasilia Teimosa, découvrant et visionnant une cassette VHS de son père. La cassette en
question montre la venue du président Lula au moment du chantier de l’avenue Brasilia Formosa,
avec la destruction des anciennes cases des habitants. Dans le film, ce matériel filmique est visionné
avec la voix-off du père qui raconte l’histoire de la destruction de son quartier. Ces images prennent
une valeur de témoins d’une histoire personnelle et commune à la fois. Réellement, Gabriel
Mascaro a récupéré ces images du parti des travailleurs (parti politique de l’ex-président Lula) :
« J’ai transformé ces images institutionnelles du gouvernement, en images affectives,
intimes, personnelles, d’une personne qui habite à Teimosa. » 62
Il se réapproprie ces images d’archive, à la base officielles, de la grande histoire, et les transforme
en témoin d’une histoire personnelle par le biais de la fiction. C’est un déplacement du discours
gouvernemental vers le discours intime, personnel. Dans un sens l’utilisation, la fictionnalisation de
ces archives relie la petite histoire à la grande histoire, montre les conséquences de ces changements
du pays dans le quotidien des habitants, ce que cela transforme.
Nous retrouvons le même lien entre la petite et la grande histoire au travers de l’utilisation des
images d’archive dans les films Cabra marcado para morrer et Serras da Desordem. En effet, dans
ces deux films, comme nous l’avons vu, l’histoire personnelle des protagonistes est en partie
61
62
LINS Consuelo, et MESQUITA Claudia, Filmar o real, op. cit., p.81
Entretien avec Gabriel Mascaro, op. cit.
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racontée par des archives officielles de journaux, de télévision. Celles-ci, dans le contexte de ces
histoires personnelles, fictionnalisés, nous ramène dans des références communes à notre monde.
Fabio découvre la cassette VHS de
son père
Image VHS de destruction du
quartier
Image VHS de la venue de Lula, exprésident
Dans Serras da Desordem, le réalisateur narre certaines parties l’histoire de Carapiru avec des
images d’archives de la télévision. Car celle-ci avait fait des émissions suivant Carapiru jusqu'à son
retour dans la tribu. Ces séquences sont juxtaposées aux scènes du film de fiction. Cette
comparaison directe de deux modes de narration rend évidente l’appropriation que la télévision a
faite de cette histoire : Dans ces séquences, la narration est faite par le journaliste, il prend la parole
des protagonistes, simplifie l’histoire. Carapiru est montré de loin comme un animal, on ne lui
donne pas la parole et le rythme du montage est très rapide. Alors que dans le reste du film, la
narration se fait sans voix off. Carapiru est montré, écouté. Le film prend le temps d’écouter et de
montrer les protagonistes.
La journaliste commente le retour de Carapiru dans la tribu Awa Gwaja, elle parle pour lui
3. Le temps de se confronter à l!Autre
Nous remarquerons que les films de notre corpus ont un rythme de narration assez lent. Dans Morro
do Céu, et Avenida Brasilia Formosa, il y a beaucoup de plans descriptifs, de contemplation. Dans
tous les films, les séquences de dialogues sont longues, et fournies. Les personnages prennent le
49/118
temps de raconter beaucoup de choses. Cette temporalité peut se comprendre par le fait que nous ne
sommes pas dans un scénario avec des dialogues écrits, synthétiques, concis. Nous ne pouvons donc
pas être dans le même rythme de montage. Le scénario, si tant est qu’il existe, ne peut pas être dans
un rythme soutenu de l’action. Ces durées, des longueurs nous plongent dans un autre temps, et
selon Comolli, laisse la place pour un autre rapport entre spectateur et personnage :
« La durée, la fiction, ce sont ensemble l’idée de la transformation, qui ne peut-être que
transformation du spectateur, saisi par le film comme sujet et confronté à l’Autre. La durée,
c’est le temps pour que quelque chose se transforme et d’abord qu’une relation se pose,
s’installe, se développe entre le sujet (spectateur) et l’autre filmé (ce qu’il faut lui faire sentir, ce
qui doit produire de l’affect, de l’émotion). (…). Cette durée, c’est ce qui manque. Ce ne sont
pas tant les images qui manquent, que les images qui durent qui manquent. » 63
Cette longueur serait donc un temps nécessaire pour se confronter à l’autre, et développer une
relation avec les personnages. En effet, les longs plans sur Carapiru, qui incarne l’altérité, nous
permettent de nous familiariser avec lui, nous donnent le temps de créer une relation, de nous
confronter à la fois à sa différence et sa proximité.
Sans cette durée, notre rapport à Carapiru serait peut-être celui que nous propose la télévision, les
médias. Elle est donc essentielle pour la rencontre avec l’autre, il nous faut un temps, qui n’est pas
celui de l’action, mais celui de l’homme. Jean Rouch disait : «Le cinéma, art de l'instant et de
l'instantané, est à mon avis l'art de la patience et l'art du temps ».64
4. Mythification de la vie, création d!épopée
Le film Cabra marcado para morrer est composé en grande partie de l'interview d'Elisabeth,
femme du leader paysan assassiné, jouant son propre rôle dans le film de 1964. Quand l'équipe la
découvre dans un petit village du Nordeste, Elisabeth s'appelle Marta, et aucun de ses amis et
voisins ne connaît son passé ni son histoire. C'est l'arrivée de la caméra qui déclenche le retour de
son passé, et lui fait reprendre son identité. Dans cette interview, elle retrouve peu à peu, sur le
support des images, les gestes qu'elle a faits, les paroles qu'elle a dites dans le passé. On assiste en
direct à sa métamorphose, pendant cette interview, elle raconte l’histoire de sa jeunesse, comment
63
64
COMOLLI Jean-Louis, « Les hommes ordinaires, la fiction documentaire » in Voir et pouvoir, op. cit., p. 51
Jean ROUCH cité in L’épreuve du réel à l’écran de François Niney, op. cit., p. 157
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ils ont dû fuir avec son mari. Elle a plusieurs identités qui se chevauchent, elle est à la fois
Elisabeth, Marta, l'actrice du film de fiction de 1964.
Elle raconte son histoire sur un ton grandiloquent, mythifie, elle décrit son mari comme un héros,
une légende. On écoute cette voix-off d'Elisabeth, en voyant les images de fiction du film de 1964,
cela nous forge une image d'autant plus forte de ce passé. Ces images de fiction sont utilisées
comme des images d'archives dans un documentaire traditionnel. Ainsi, on ne fait plus la différence
entre la fiction et le réel, entre ce qui est vrai ou pas, cela ne nous importe plus, on assiste en direct
à une histoire qui se crée.
Coutinho, par ce film, donne l'occasion à Elisabeth de fabuler, de s'inventer une légende, et donc
une mémoire, à la fois personnelle, car elle retrouve la mémoire de sa vie antérieure qu’elle avait dû
oublier, et à la fois collective, car le film donne une visibilité, une existence, une transmission à
cette histoire qui a été oubliée et enfouie par le régime militaire. Il donne une existence à Joao
Teixera, homme dont il ne reste rien de concret, rien de visible, juste une photo de journal le
montrant mort.
« Ce qui s'oppose à la fiction ce n'est pas le réel, ce n'est pas la vérité qui est toujours celle des
maîtres et des colonisateurs, c'est la fonction fabulatrice des pauvres, en tant qu'elle donne au
faux la puissance qui en fait une légende, une mémoire, un monstre. » 65
Coutinho à travers ce dispositif permet cette fabulation, et donne un pouvoir et une mémoire à cette
famille, ces gens, dont le passé a été écrasé par le régime militaire. L’histoire prend une valeur
fictionnelle, la valeur d’une épopée.
5. La dénonciation sociale
Cette fabulation, qui permet à ces gens de se réinventer une histoire, est une manière de lutter contre
le régime oppresseur mis en place. Nous allons voir que cette fictionnalisation de l’existant peut
être une manière de réagir, de dénoncer une situation politique, sociale.
Iracema nous montre les problèmes sociaux et écologiques liés à la construction de la route
Transmazonienne. Ce film s’est fait dans un état d’urgence, avec des financements étrangers, sans
65
DELEUZE, Gilles, L’image temps, op. cit., p. 196
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autorisation de filmer. Bodanzky nous dit avoir voulu faire ce film pour dénoncer ce que le
gouvernement voulait cacher, au moment de la dictature : « La raison de faire ce film était de
montrer ce qui se passait avec cette autoroute »66.
Dans Serras da Desordem, Bodanzky raconte l’histoire d’un Indien, Carapiru, dont la tribu a été
massacrée par des fermiers.
« En 1978, l’année du massacre de la tribu de Carapiru, c’était l’époque de la dictature
militaire, l’idéologie du Grand Brésil, du slogan « Aime-le ou quitte-le », du progrès à
n’importe quel prix, de l’idée que l’Indien devait être incorporé à ce grand effort de
croissance économique, même si cela devait se faire par la force. » 67
Tonacci dit avoir fait ce film « pour son propre intérêt ainsi que par idéal politique, et humaniste ».
Cette histoire appartient à Carapiru, « mais fait déjà part d’une histoire plus grande, historique,
personnelle, subjective: la nôtre. ». Ainsi cette fiction est une manière de faire partager ce qui nous
concerne tous, et crée un monde commun.
66
67
Entretien avec Bodanzky, op. cit.
BARBOSA, Neusa, Serras da Desordem' discute questão do índio no Brasil
In : http://www.estadao.com.br/noticias/arteelazer,serras-da-desordem-discute-questao-do-indio-nobrasil,158568,0.htm
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LA LIMITE ENTRE L!ACTEUR ET LE PERSONNAGE
Nous avons vu précédemment que le scénario, l'histoire des fictions « in situ » était fruit d'une
expérience de vie, d'un lieu. Et qu'en est-il des personnages? Car ces films mettent en scène des
acteurs non professionnels la plupart du temps, qui jouent un rôle qui est le leur, ou proche du leur.
Dès lors la frontière entre ce qui est de l'ordre du jeu, de la représentation, et ce qui est de l'ordre de
la personne devient floue, trouble.
Nous retrouvons cette problématique dans le néoréalisme, dans lequel « la conception du jeu
d’acteur comme une transformation en quelqu’un d’autre a été remise en cause et cassée. »68. Mais
cette confusion entre l’acteur et le personnage est inhérente au cinéma. Flaherty, en créant le
personnage de Nanook dans Nanook l’esquimau dans les années vingt, commence déjà à perturber
cette séparation. En effet Nanook se nomme en réalité Allakariallak, et Flaherty l’a dirigé, l’a remis
en scène dans des situations, pour pouvoir mieux le filmer, et arriver à créer des compositions et
tensions dramatiques. Selon Niney, Flaherty « inaugure le documentaire joué, c'est-à-dire réalisé
avec les autochtones dans leur propre rôle et leur propre décor, jouant et rejouant devant la
caméra les gestes de leur propre vie ».69 Le terme de documentaire joué pose en lui-même le
paradoxe inhérent en un sens à tout acteur, à la fois lui-même et jouant un autre. En effet, chaque
acteur emprunte à lui-même tout en se transformant pour composer son rôle. Mais dans les films de
fiction dits classiques, l’acteur incarne un rôle déjà écrit, plus ou moins éloigné de lui, avec dans la
plupart des cas un nom différent, dans un lieu qui n’est pas son lieu de vie. Or que se passe-t-il
quand on met en scène un personnage jouant lui-même dans son propre lieu de vie ?
Cela appelle une autre manière de filmer, un autre rapport. Nous allons essayer de comprendre
quelles conséquences entraîne cette nouvelle relation à l'acteur.
68
69
HELKE, Susanna, A trace of Nanook, op. cit., p. 227
NINEY François, L’épreuve du réel à l’écran, op. cit., p. 115
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1. L'adaptation à l'imprévu de la personne
Dans Iracema, un acteur professionnel (Paulo César Pereio), interagit dans un environnement réel.
Les autres acteurs étaient parfois des acteurs non professionnels, parfois des hommes et des femmes
dans leur environnement quotidien. Bodanzky, le réalisateur cadreur, explique comment il filmait
ces scènes :
« Le son direct éloignait la possibilité de grandes interventions de direction pendant le
tournage des plans. Les choses n’étaient pas faites « pour » la caméra, mais entre les
acteurs eux-mêmes, qui savaient bien peu comment la scène allait se terminer. Ils ne se
positionnaient pas pour la caméra, mais je les suivais et créais le cadre en fonction
d’eux. » 70
Dans la séquence finale du film, Iracema est assise entre des prostituées devant une maison
abandonnée. Tiao (Pereio) passe sur la route devant la maison en camion, s’arrête, et vient voir le
groupe de femmes. Bodanzky nous dit que l’action n’était pas prévue, et qu’il ne pouvait pas refaire
une prise car le chauffeur véritable du camion devait livrer rapidement le bétail dans le camion.
Il suit donc la scène à la caméra dans un total imprévu. Il crée le cadre en fonction du mouvement
des prostituées, qui improvisaient complètement dans le sens où elles jouaient leur propre rôle.
Pendant la discussion des retrouvailles entre Tiao et Iracema, les prostituées imitent Iracema et font
des blagues. La caméra de Bodanzky passe sur les prostituées qui prennent part à la scène de
retrouvaille. Il se laisse porter par l’action des acteurs. Le mouvement des acteurs était prioritaire
par rapport à celui de la caméra.
Iracema et les prostituées
attendent devant la maison
abandonnée
Les retrouvailles de Tiao et
Iracema
La caméra passe sur les
prostituées qui font des
blagues
Une prostituée prend Tiao à
partie
A propos de l’approche des acteurs dans le documentaire, Jean-Louis Comolli écrit :
70
Jorge Bodanzky, cité in MATTOS, Carlos Alberto, Jorge Bodanzky : o homen com camera. Op. cit., p. 175
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« Filmer les hommes réels dans le monde réel, c’est être aux prises avec le désordre des
vies, l’indécidable des occurrences du monde, ce qui du réel s’obstine à tromper les
prévisions. (…) Nous ne sommes pas en mesure de leur donner des ordres (tout au plus
des indications), de chambouler leur propre mise en scène (il s’agit au contraire de la
laisser venir au premier plan), d’interrompre ou d’altérer le cours de leurs actions (sinon le
temps suspendu d’un tournage). Nécessité du documentaire.» 71
Dans ce type de tournage, nous ne sommes pas en mesure de diriger l’acteur, c’est la caméra qui
doit s’adapter à la personne. Le mouvement du personnage prime sur le mouvement de la caméra.
Ce qui permet à l’acteur de s’exprimer pleinement, sur le moment, sans dépendre de la technique de
mise en image. Selon Cassavetes, cette hiérarchisation de la technique par rapport à l’acteur est
essentielle, « parce que les gens ne passent pas du côté de la caméra sans que la caméra soit
passée du côté des gens. »72 Cassavetes explique73 que pour son premier film, Shadows, il avait fait
une première version très virtuose au niveau technique, il dit être « tombé amoureux de la
caméra »74 et avoir privilégié l’esthétique des plans sur l’expression des acteurs. Cela rendait le
film irregardable, et les acteurs étaient étouffés par tant de technique. Il a donc refait une seconde
version en une semaine sans pré découpage, en laissant la caméra se faire guider par les acteurs.
« La technique permet de tout contrôler et interdit le hasard, le droit des choses à se faire
remarquer ».75
Adapter la caméra aux acteurs serait une manière de les laisser s’exprimer, de les laisser « se faire
remarquer », de les remettre à leur place, au centre du film.
Dans Avenida Brasilia Formosa, avant chaque scène, L’équipe préparait, éclairait et cadrait le lieu
du tournage. Le réalisateur explique ainsi cette transformation de l’espace :
« On préparait une estrade, qui devenait un espace du quotidien, puis un espace de
performance. (…) Il s’agissait de créer un espace, un dispositif technique, sonore et
audiovisuel, où l’ambiance, l’architecture devient un espace de création collective, autant
du niveau des techniciens que des personnages. » 76
71
72
73
74
75
76
COMOLLI Jean-Louis, « Au risque du réel », in Voir et pouvoir, op. cit., p. 514
DELEUZE, Gilles, L’image temps, op. cit., p. 201.
CASSAVETES, John, Autoportraits, Paris, Les Cahiers du cinéma, 1992, p. 14
CASSAVETES, John, ibid, p. 14
WENDERS Wim, made in USA 2, Cahiers du cinéma, Juin 1982, p.15
Entretien avec Mascaro, op. cit.
55/118
Ainsi en préparant le lieu du tournage pour les acteurs, cela leur donnait un endroit pour s’exprimer,
le lieu devient une vraie scène pour accueillir leurs performances, leurs créations. Et cette création
pour le réalisateur est collective, elle se fait dans la collaboration entre les techniciens et les acteurs.
2. La création du personnage
Cassavetes écrit sur son propre film : « Shadows émane des personnages, alors que dans les autres
films ce sont les personnages qui émanent du scénario. »77 . Comme il en a été question dans le
premier chapitre, l’histoire de la « fiction in situ » émane du lieu, de la même manière, l’histoire
émane aussi des gens qui composent ce lieu, ses acteurs.
Iracema, dans le film éponyme, est une prostituée d’une classe sociale pauvre d’origine indienne.
Le réalisateur du film, Bodanzky, explique qu’il savait qu’il ne trouverait pas ce type de personnage
dans le milieu du théâtre, et il voulait qu’elle soit jouée par une jeune fille qui puisse s’identifier à
ce rôle. Il a donc cherché en faisant un casting sauvage dans les alentours de Belém. Il a trouvé
Edna de Cassia, actrice interprétant Iracema, dans l’audience d’une émission radio. Il dit l’avoir
choisi pour « son apparence et ses manières »78. Bodanzky résume ainsi la manière dont il l’a
dirigée :
« On a très peu répété. On a un peu travaillé avec elle, mais on ne voulait pas trop lui en dire
pour ne pas perdre la spontanéité.(…) Elle devait être elle-même. On lui donnait le sujet qu’elle
devait aborder, mais elle utilisait ses propres mots, elle devait improviser. » 79
Ainsi les dialogues, les réactions, les manières d’Iracema sont celles d’Edna de Cassia. La création
de ce personnage s’est en partie faite avec la personnalité réelle de son interprète.
Dans Serras da desordem, Carapiru interprète son propre rôle vingt ans plus jeune. Carapiru, non
seulement prête ses manières, sa personnalité au personnage du film, mais est à l’origine du rôle luimême, puisque c’est sa propre histoire qui est contée. Ici non seulement le rôle émane de la
personne, mais le film tout entier. Carapiru a accepté de rejouer son rôle, de revenir sur les traces de
77
78
79
CASSAVETES John, Autoportraits, op. cit., p.15
Entretien avec Bodanzky, opus cité
Entretien avec Bodanzky, opus cité
56/118
son passé car il voulait revoir les personnes qui y avaient pris place. Ainsi une partie du film est
composée des rencontres de Carapiru avec ces personnes.
3. La spontanéité : remise en cause de la notion de jeu
Dans Avenida Brasilia Formosa, le réalisateur a écrit un scénario de fiction, puis a fait un casting
pour trouver des personnes qui correspondent dans la vie réelle aux personnages de son histoire.
Les acteurs avaient un rôle et un scénario, avec des textes écrits. A priori il n’y avait pas
d’improvisation prévue dans le dispositif, cependant, le réalisateur explique :
« Souvent le meilleur des scènes était ce que je ne dirigeais pas, quand après plusieurs
heures de tournage, ils oubliaient qu’ils étaient en train de jouer. Cela devenait plus
naturel. Par exemple, une fois un enfant est arrivé, le personnage a changé le texte pour
parler avec l’enfant, et l’enfant devenait un personnage du film. C’est cela le tumulte du
réel. »
Ainsi malgré le dispositif de fiction et de dialogue, le réalisateur cherchait en un sens à ce qu’ils
oublient qu’ils jouent, que ce dispositif soit bousculé par les évènements du réel pour retrouver un
imprévu, que les acteurs aient leurs propres mots, leurs propres réactions.
Dans Iracema, Bodanzky avait un scénario, mais qu’il utilisait autrement :
« Nous avions un scénario-guide, que nous ne montrions pas aux acteurs. On expliquait la
situation, leur disait ce qui devait absolument être dit, et les laissions libres devant la caméra.
Edna, par exemple, avait une idée basique de la situation d’Iracema dans la scène, mais ne
savait pas exactement ce que Pereio allait dire ou demander. » 80
Par cette démarche, l’improvisation, la spontanéité des acteurs devient essentielle. Edna, actrice non
professionnelle, devait être elle-même, et telle une personne qui ne joue pas, elle ne répétait pas
deux fois la même chose :
« Dans ce style de cinéma, nous ne pouvions pas répéter les scènes, nous ne pouvions pas
construire vraiment la scène car nous perdions la spontanéité, il y avait en vérité beaucoup
plus de scènes que ce que j’ai utilisé. Nous faisions une scène, et si cela ne marchait pas,
nous en inventions un autre. » 81
80
81
Jorge Bodanzky cité in MATTOS, Carlos Alberto, Jorge Bodanzky : o homem com câmera, op. cit., p. 74
Entretien avec Bodanzky, op. cit.
57/118
Il est donc impossible de répéter les scènes. La majorité des personnages n’étant pas des acteurs
professionnels, il fallait suivre leur rythme, s’adapter à leur spontanéité.
Dans Morro do Céu, Gustavo Spolidoro filme de jeunes acteurs non professionnels, dans leurs
scènes de vie du quotidien. Il savait qu’il voulait leur faire aborder des sujets particuliers dans
chaque scène. Il a trouvé pendant le tournage comment il devait aborder ces jeunes :
« J’ai découvert que je ne pouvais pas leur demander de dire ou répéter une chose, car à
l’instant où je faisais ça, cela cassait ce que l’on pourrait appeler « conscience scénique ». Ils
savaient qu’ils étaient filmés et se laissaient filmer.
Mais s’ils étaient sur un plateau de
tournage, ils allaient devenir acteurs, et s’ils devenaient acteurs disons « conscients », ils
n’allaient pas réussir ce qu’ils ont fait. Ils devaient vivre leurs vies et je devais être le plus
tranquille possible. C’est pourquoi je devais être ami intime avec eux, pour que je puisse entrer
dans la scène, parler, sortir de la scène » 82
Les acteurs devaient oublier qu’ils jouaient, qu’ils étaient filmés, pour garder cette spontanéité.
Mais peut-on alors parler de jeu ? Car dans Morro do Céu, les acteurs jouent leurs propres rôles,
dans leurs activités quotidiennes. Nous sommes dans un cas très proche du documentaire. Le
réalisateur intervenait en leur demandant de parler de sujets en particulier dans la journée, et leur
proposait des activités. Ici, l’idée de jouer une personne, de devenir quelqu’un d’autre n’existe pas.
En quelque sorte on demande à l’acteur d’être lui-même dans des circonstances définies par le
réalisateur. Cela nous conduit à une perturbation de la séparation entre ce qui est du rôle et de la
personne.
4. La confusion entre la personne et le rôle
La question de l’acteur dans ce type de film est essentielle. Comme l’aborde le paragraphe
précédent, nous sommes en présence d’acteurs non professionnels, qui jouent leur propre rôle, ou
un rôle proche du leur. Dans bien des cas, la directive donnée à l’acteur est de ne pas « jouer ».
Dans Serras da Desordem, les reconstitutions du passé sont jouées par les protagonistes de
l’histoire réelle. Carapiru joue son propre rôle, les personnes qu’il a rencontré le long de son périple
82
Entretien avec Spolidoro, op. cit.
58/118
aussi. Ainsi dans la scène de découverte de Carapiru par les fermiers, ce sont les mêmes fermiers
qui rejouent la scène au même endroit où cela s’est passé vingt ans auparavant. Dans le montage,
ces reconstitutions sont accolées à des scènes documentaires dans le présent de ces mêmes
personnes. Ce passage d’un type d’image à un autre, avec toujours les mêmes acteurs, nous fait
douter de la nature de ce que nous voyons. Ce doute est particulièrement fort avec le personnage
principal Carapiru :
« Carapiru est acteur, agent de fiction (dans les mises en scène du passé), et est lui-même,
objet du regard « documentaire » du film (au présent). Dans chaque situation, par
conséquent, nous sommes toujours en questionnement : Carapiru est-il en train de jouer
son rôle au passé ou est-il lui-même au présent ? L’ambiguïté permanente, entre la
personne et le personnage, a comme effet de renforcer l’altérité de Carapiru,
l’impénétrabilité, l’invraisemblance de son expérience, jamais révélée ou décryptée
entièrement. » 83
Carapiru est toujours le même vingt ans après, que ce soit dans son jeu dans les mises en scène ou
parties documentaires. Il est bien souvent impossible de savoir si nous le voyons dans le passé, ou
dans le présent. Certaines scènes nous le montrent en train de parler seul dans la langue Awa
Gwaja, elles ne sont pas sous titrées. Ces scènes décrivent son incapacité à communiquer d’il y a
vingt ans, son décalage vis-à-vis des autres, sa solitude. Mais cela pourrait aussi bien se passer dans
le temps présent, car Carapiru, vingt ans après est toujours dans le même rapport à notre langue,
notre civilisation. Il a toujours la même incapacité à communiquer avec les autres. Ces scènes ont
une valeur multi-temporelle.
Carapiru parle seul en langue Awa Gwaja
83
MESQUITA Claudia, LINS Consuelo, filmar o real, sobre o documentario brasileiro contemporâneo, op. cit., p.
74-75
59/118
5. Le personnel devient collectif
Edna incarne Iracema dans le film éponyme, elle joue un rôle très proche du sien. Elle était
effectivement une jeune Cabocla (métisse d'Indien et de blanc) pauvre de Belém. Elle n’était pas
prostituée, mais faisait partie de la classe sociale de jeunes filles qui le devenaient. En quelque
sorte, lui faire jouer ce rôle révèle une tournure possible de sa vie.
Le film Juizo, de Maria Augusta Ramos, nous raconte l’histoire de délinquants mineurs, de leur
première altercation jusqu’au jugement devant le tribunal. Une loi au Brésil interdisant de filmer les
mineurs délinquants, ils sont joués par des jeunes non-délinquants venant de même milieu et classe
sociale. Ce dispositif proche de celui d’Iracema, montre que ce qui arrive à ces jeunes prisonniers
pourrait arriver à n’importe quel jeune de même situation. C’est une manière de dénoncer un
problème lié aux conditions sociales des jeunes Brésiliens. À ce propos, Lins et Mesquita
concluent :
« Maria Augusta Ramos réussit à transformer un subterfuge de mise en scène, inhérent aux
conditions de production du film, en un choix révélant un risque réel qui menace la majorité des
jeunes pauvres des grandes villes brésiliennes. »84
Cette transformation de l’expérience personnelle en une expérience collective implique un
questionnement sur le jeu d’acteur et l’idée de personne ayant une identité stable et définitive.
L'acteur n'est pas un être unique et fermé qui change du tout au tout lorsqu’il joue. Cela insiste sur
le fait qu’il n’y a pas de frontière nette, ou de frontière tout court entre la vérité de la personne et ce
qu’elle joue.
Jogo de cena, d’Eduardo Coutinho, nous pose ces mêmes questionnements. Ce film met en scène
des femmes confiant des histoires qui leur sont personnelles, intimes. Mais au fur et à mesure de
l’avancée du film, nous nous rendons compte que les mêmes histoires sont racontées par des
femmes différentes. Certaines sont des femmes témoignant, d’autres sont des actrices jouant le
témoignage de ces femmes. Cela nous rend indiscernables « les passages entre le singulier et le
84
MESQUITA Claudia, LINS Consuelo, filmar o real, sobre o documentario brasileiro contemporâneo, op. cit., p. 72
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collectif, le privé et politique, le sujet et l’impersonnel, la vérité et la fabulation, la mémoire et la
présentification. »85
Ces personnes sont à la fois elles-mêmes et quelqu’un d’autre. Cela nous montre une vision de
l’individu sans identité fixe, sans séparation entre vérité et mensonge Il est traversé et fractionné
par la fiction, et cette fiction est produite par la présence de la caméra.
Si le personnage que l’on regarde est fractionné, multiple, cela remet en cause notre propre altérité.
Car si cet Autre filmé peut avoir d’autres possibilités d’identités, de vie, moi aussi je peux moi aussi
en avoir. Je peux en un sens m’identifier avec une partie de cette Autre qui m’est commune.
J’accepte de porter une altérité en moi. Selon Gérard Leblanc :
« On ne peut filmer l'autre que dans le mouvement de la découverte de l'altérité en soi. Il
est différent, et en même temps, il a quelque chose de commun avec moi. Et si je peux le
reconnaître comme tel c'est parce que je suis multiple. Parce qu'il représente un de mes
possibles, un possible que j'aurais pu actualiser si j'avais vécu les conditions initiales qui
l'ont fait devenir ce qu'il est. » 86
Ce possible que provoque la disparition des frontières stables de l'identité serait une manière de
s'ouvrir à l'autre, accepter notre altérité intérieure. Nous n'avons pas « d'identité stable, véritable,
mais un tissu de rôles et de relations que nous entretenons avec nous-mêmes.»87
Nous retrouvons ici l'héritage du cinéma-vérité de Jean Rouch, ou la caméra crée un jeu de rôle, un
masque qui cache et découvre en même temps. Nous retrouvons l'idée de la fabulation : c'est en
inventant, en entrant dans la fiction que nous serons plus vrais. Quand Edna joue le rôle de Iracema,
cela ne révèle-t-il pas quelque chose d'elle-même, un possible de sa vie qui n'est pas si éloigné ?
Cette manière d'appréhender le réel avec la caméra, selon Ilana Feldman, chercheuse en cinéma
brésilienne, casse « les dichotomies de la philosophie platonicienne : essence/apparence,
profondeur/superficie, authenticité/mise en scène, réel/fiction. »88
85
FELDMAN Ilana, na contra mao do confessional in MIGLIORIN Cezar (org.), Ensaio no real, Azougue Editorial,
2010
86
LEBLANC Gérard, « de l’expression subjective directe », op. cit., p. 9
87
NINEY, François, L’épreuve du réel à l’écran, op. cit., p.163
88
FELDMAN Ilana, “Na contra mao do confessional”, in Ensaio no real de Cezar MIGLIORIN, Azougue editorial,
2010.
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LE CONTEXTE DE PRODUCTION
1. Redistribution des rôles
Dans les chapitres précédents, l’étude du corpus a montré que ces « fictions in situ » se détachaient
du mode de production classique. L’intégration dans le réel de ces films déclenche de nouvelles
problématiques, induit un autre type de production d’image et une autre organisation de tournage,
une autre formation de l’équipe. De même le rôle du réalisateur et des acteurs change. La question
de l’auteur est remise en question. Le réalisateur ne viendrait plus créer, mais organiser le réel en
histoire, en image. A partir de cette nouvelle donne, comment les rôles de chacun se redistribuentils au sein de l’équipe ? Quelles relations se créent avec les acteurs/personnages ? Peut-on définir
une nouvelle place une nouvelle fonction de réalisateur ?
a. La formation de l’équipe
La formation de l’équipe technique ne peut pas être la même que celle des fictions classiques. Le
plateau de tournage s’inscrit dans le réel, et pour cela nécessite une équipe et infrastructure plus
légère. Dans la plupart des films de notre corpus l’équipe est de petite taille (dans Avenida Brasilia
Formosa l’équipe totale est de six personnes) voire inexistante (Gustavo Spolidoro est seul dans
Morro do Céu)
Dans le cas d’Iracema, L’équipe était composée de cinq personnes, ainsi que les deux acteurs.
Bodanzky décrit la manière dont l’équipe fonctionnait :
« La forme de production d'Iracema ne favorisait pas la division rigide des fonctions dans
l'équipe. Il y avait avant tout une intégration autour d'une aventure et d'une responsabilité
communes à tous. Même ainsi, il est possible de dire qu’Orlando Senna créait
l'atmosphère pour que Pereio et Edna puissent jouer, orientait les figurants et la population
qui faisait présence dans le tournage, en plus de beaucoup aider dans la production. Je me
débrouillais seul avec la lumière et la caméra. Wolf Gauer était mon bras droit, quelqu'un
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qui avait un oeil critique avec qui je pouvais dialoguer, et il chargeait le magasin, entre
autres. Conceiçao Senna (la femme d'Orlando) a été d'une grande importance non
seulement comme actrice, mais aussi dans le choix des costumes et dans les soins et la
tutelle d'Edna. » 89
Dans cette organisation, les rôles de chacun allaient au-delà de leur première assignation. Il me
semble important de souligner la notion de « responsabilité commune ». Les personnes de l’équipe
ne limitaient pas à leur propre fonction mais se sentaient investies par le projet en lui-même. Les
techniciens n’étaient pas des simples exécutants d’un cerveau pensant (le réalisateur) mais
participants de la création.
La notion de hiérarchie, remise en cause par ce fonctionnement de tournage, l’est aussi par la petite
taille des équipes de ces films. Car dans les tournages classiques s’établit une hiérarchie
(nécessaire ?) entre le réalisateur, le producteur, les chefs de postes, les premiers assistants, seconds
assistants... Or, dans le cas d’Iracema, le réalisateur est aussi chef opérateur, il a un assistant qui est
aussi producteur. Les mêmes relations de pouvoir ne peuvent pas être mises en place.
Gustavo Spolidoro, réalisateur de Morro do Céu, n’avait aucune équipe technique, il était seul avec
ses personnages. Dans un entretien il résume en quoi la présence d’une équipe lui a manqué :
« Je suis entré en crise car je n’avais personne avec qui discuter sur ce que je voyais. (…)
Ce qui me manquait principalement était un directeur de production pour organiser les
journées et assistant de réalisation qui m’aurait compris, conseillé. » 90
Ainsi ce qui lui manquait le plus était une personne avec qui dialoguer, avec qui construire le projet.
Bodanzky évoque le même besoin d’être conseillé par son producteur/ assistant caméra, Wolf
Gauer. Il semble donc que le besoin de conseil, d’échange au niveau de la création soit primordial.
Cezar Migliorin, théoricien de cinéma brésilien, dans son texte pour un cinéma post industriel,
décrit une autre organisation d’équipe :
« Le cinéma post industriel se constitue avec une autre organisation du plateau et de la
production. Des groupes et collectifs se substituent aux productions hiérarchisées, avec
peu ou aucune séparation entre ceux qui pensent et ceux qui exécutent. » 91
89
90
91
Jorge Bodanzky, cité in MATTOS, Carlos Alberto, Jorge Bodanzky : o homem com câmera,op. cit., p 79-80
Programme Doc TV, DOCTV IV - Morro do Céu |RS - Gustavo Spolidoro autor e diretor do documentário In
http://www.youtube.com/watch?v=cQT-n583reM
MIGLIORIN Cezar, por um cinema pos-industrial In : http://www.revistacinetica.com.br/cinemaposindustrial.htm
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Cette autre manière d’organiser les tournages serait une alternative à ce que Migliorin nomme le
cinéma industriel, évoquant les plateaux, sur lesquels chacun a une fonction définie, comme sur
une chaîne de montage où les techniciens seraient de simples exécutants à la manière des ouvriers.
Cette définition, opposant ces deux types de cinémas, peut paraître trop manichéenne et manquer
de nuance car il existe des situations plus diverses. Cependant force est de constater que sa
définition du cinéma post industriel correspond au contexte des films étudiés dans ce corpus
A ce propos, Migliorin décrit ainsi les possibilités de « dé hiérarchisation » :
« Dans diverses parties du pays il existe des collectifs qui inventent constamment des
façons de dé hiérarchiser la production, que ce soit par le brassage des équipes, ou dans la
relation même qu’établissent les acteurs avec les personnages. » 92
La relation aux acteurs, les changements de rôles entre acteurs et personnages, permettent-ils de
faire évoluer les rapports de pouvoir dans l'équipe?
b. La relation aux acteurs
La relation aux acteurs, dans ce type de tournage est aussi remise en cause. D’une part la confusion
entre la personne et le rôle qu’elle interprète, comme il en a été sujet plus haut, change la manière
dont le réalisateur « dirige » ses acteurs, l’action de diriger pouvant elle aussi devenir inadéquate.
D’autre part, ils sont souvent filmés dans leurs lieux de vie, ou lieux touchant à leurs histoires
personnelles, leurs scènes de jeux se confondant bien des fois avec la vie réelle.
Par cette dernière remarque, la place de l’acteur de ces fictions semble se confondre avec un
personnage de documentaire. Une réflexion de Jean Louis Comolli aide à mieux comprendre les
relations et différences entre comédiens de films et personnages de documentaire :
« Les hommes réels qui jouent dans les films documentaires ne sont aucunement comédiens de
métier, à la merci comme eux d’une production, d’un contrat, d’un ordre. Ils n’entrent dans un
film qu’à la mesure de leur désir. Rien ne les oblige, et c’est de leur bon plaisir que nous
dépendons, cinéastes. » 93
Il ressort qu’une des différences essentielles serait le salaire, et de là découle beaucoup de
problématiques. En effet, un acteur de fiction est payé, il est donc dans un cadre de travail, souvent
dans un autre lieu qui lui est neutre, tel un studio. Le tournage est un temps ou il est donc payé pour
92
93
MIGLIORIN Cezar, por um cinema pos-industrial op. cité
COMOLLI, Jeans-Louis, « Au risque du réel », Voir et pouvoir, op. cité, p. 513
65/118
exécuter les scènes. Dans le cadre du documentaire, les personnages ne sont pas payés, sont filmés
dans leurs lieux de vie, dans leurs activités personnelles, ils ont le libre choix d’accepter ou rejeter
la présence du réalisateur et de l’équipe. Dans un cas le tournage leur est un temps de travail, dans
l’autre un temps de vie. Cela impose des cadres de relations humaines très différents voire opposés
qui peuvent poser des problèmes éthiques
Le plus souvent dans ces films, la position de l’acteur est ambiguë : il s’avère que dans la grande
majorité les acteurs ont été payés (Iracema, Serras da Desordem, Avenida Brasilia Formosa).
Cependant ils sont filmés dans des lieux qui peuvent leur être intimes, exposent leurs propres
personnalités. L’investissement qui leur est demandé est énorme, d’autant plus si on voit leur
performance comme un travail.
Cette position d’acteur/personnage peut soulever des problèmes éthiques, comme dans le cas de
Serras da Desordem. Le réalisateur, Tonacci, résume ainsi un des problèmes :
« Je suis un envahisseur de l’âme de Carapiru, de son histoire. Seulement, mon intention est la
meilleure possible. Mais si je regarde concrètement les choses, c’est comme cela qu’elles sont :
au fond, c’est une appropriation. Avec des droits ou pas ? Et là il y a ce problème, parce que
c’est une histoire réelle, mais il y a un scénario enregistré, tout le monde a été payé, et il y a un
auteur dans tout ce bordel. Et c'est de ça dont nous sommes en train de parler. » 94
Ici, le cœur du problème est résumé, car il s’agit bien d’un fonctionnement de fiction, avec un
scénario, un auteur qui compose l’histoire à sa manière, sur la base de l'histoire personnelle d’un
homme. L'ambiguïté survient quand ce même homme
accepte d’être dirigé pour raconter sa
propre histoire. Il me semble important de souligner l’idée de « bonne intention ». Peut-être ce type
d’appropriation ne serait elle possible que par un profond respect, une grande bienveillance envers
son personnage. Carapiru n’a-t-il pas accepté de confier son histoire, quitter sa tribu, revivre son
passé que dans la mesure où il faisait confiance à Tonacci ? Ici la dimension humaine devient
fondamentale, et sans doute essentielle pour demander un investissement si grand à ces
acteurs/personnages.
La notion d’auteur est modifiée dans ce contexte de personnages/acteurs. En effet, l’acteur est le
plus souvent à l'origine de la création de son personnage, parfois même à l’origine de l’histoire du
film. Il a un rôle actif dans la création de son rôle et même du scénario. Cette situation découle
94
Entretien avec Tonacci dans Serras da Desordem, de Daniel CAETANO, op. cit., p. 131
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naturellement sur la notion du film participatif. Morro do Céu en est un exemple. Spolidoro décrit
ainsi le fonctionnement du tournage :
« Quand la journée se terminait, nous (Gustavo Spolidoro et les jeunes acteurs) discutions
tous ensemble pour savoir ce que nous allions faire le jour suivant. Les jeunes proposaient
des choses, définissaient leurs activités. » 95
Ce mode de fonctionnement rappelle celui de Jean Rouch dans ses fictions d’anthropologies
partagées; Dans Jaguar par exemple, Rouch et ses acteurs décidaient le matin ce qu’ils allaient
filmer dans la journée. Il est intéressant de noter que Spolidoro crédite au générique de son film les
acteurs en tant qu’auteurs du scénario. L’acteur à lui aussi son rôle redistribué, élargi, transformé.
c. La place du réalisateur
Le réalisateur, dans une fiction classique, est celui qui dirige, coordonne tous les corps de métiers
pour que le résultat s’approche de son idée. Mais les exemples étudiés ont montré que cette place
d’auteur/directeur est remise en cause dans ces films complètement intégrés à la vie, au tumulte du
réel. Cléber Eduardo, critique brésilien, définit ainsi la place du réalisateur dans le dispositif de
films qu'il nomme « en processus » définissant ces films dont le processus de filmage est essentiel :
« Dans ces films il s'agit surtout de mettre en place la déprogrammation de l’auteur et de
l’autorité comme exercice de contrôle, au nom d'intentions antérieures à la rencontre entre
l’équipe de cinéma et la vie. L’auteur devient l'organisateur d’un dispositif, ayant du
pouvoir sur le processus. » 96
Ainsi par le contact du tournage, de l’équipe avec la vie réelle, le réalisateur est moins quelqu’un
qui contrôle et anticipe que quelqu’un qui met en place un dispositif qui va permettre cette
rencontre. Or dans les « fictions in situ », la notion de rencontre avec le réel est primordiale, et pose
une autre problématique pour le réalisateur. En effet, les acteurs jouent eux-mêmes dans des décors
réels. Le déroulement du tournage est très proche de la vie des personnages participants. Et qu’en
est-il du réalisateur ? Comme le questionne Gérard Leblanc :
95
96
Entretien avec Spolidoro, op. cit.
EDUARDO, Cléber, Obra em processo ou processo com obra ? Dans le catalogue de la rétrospective « cinéma
brasileiro, anos 2000, 10 questoes. » Mai 2011, CCBB, Rio. p. 62
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« Avoir une vie d'être humain (en tant qu'être social), avoir une vie de cinéaste. Les deux
peuvent-ils interagir? En quel point et jusqu'à quel point? »97
Dans le chapitre I.1.a (Le repérage comme mode d’écriture), le lien fort existant entre la vie des
réalisateurs et la construction du scénario est souligné, Les réalisateurs témoignent du fait que la
motivation à filmer vient d'un moment de vie qui leur est propre. Comment cette donnée de base
modifie la place et le rôle du réalisateur dans le tournage ?
Dans Cabra marcado para morrer, Le réalisateur montre à travers sa présence dans le film,
l'évolution dans son travail. En 1964, il désire faire un film militant, se rapprochant le plus du réel
pour montrer, divulguer l'histoire de cet assassinat. Il est donc dans la volonté de montrer une vérité.
Quand il revient sur les lieux en 1981, il se met en scène, il montre son attachement aux
personnages, montre que lui aussi fait partie de l'aventure, la scène d'adieu avec Elisabeth à la fin
du film le montre bien, il est aussi un personnage qui a suivi cette aventure, et qui doit lui aussi la
quitter. Gilles Deleuze écrit à propos de la frontière entre film et non film dans le cinéma de
Cassavetes et Clarke :
« Ce qui doit être filmé, c’est la frontière, à condition qu’elle ne soit pas moins franchie
par le cinéaste dans un sens que par le réel dans l’autre sens. » 98
Tout au long de ce film, qui nous conte cette épopée de vingt ans, cette frontière ne cesse d’être
traversée, que ce soit par les acteurs ou par le réalisateur. Et celui-ci nous montre l'évolution de son
travail, il va au-delà de cette dénonciation militante d'une vérité à laquelle il croyait autrefois.
Ainsi le réalisateur se met au centre du film, il montre son implication en tant qu’être humain avec
les acteurs, et quitte sa place de réalisateur distant. Spolidoro, réalisateur de Morro do Céu, dit avoir
été dans un grand rapport de proximité avec son acteur principal, Bruno, et être devenu très ami
avec lui. Il continue à le rencontrer, bien que le film soit terminé. Dans la dernière séquence de
Serras da Desordem, Tonacci se met en scène filmant Carapiru. Il assume sa place au centre du
film. Ainsi dans ces exemples, les réalisateurs laissent leur personnalité apparaître, s’engagent, se
positionnent aussi autrement vis-à-vis de ses acteurs.
“Replacer le désir de filmer dans le scénario de sa propre vie amène à reconsidérer sa
position par rapport aux personnes que l'on s'apprête à filmer.”99
97
98
99
LEBLANC Gérard, « De l’expression subjective directe. », p. 10
DELEUZE Gilles, L’image temps, op. cit., pp. 201-202
LEBLANC Gérard, « De l’expression subjective directe », op. cit., p. 13
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Comme l’écrit Gérard Leblanc en assumant de mélanger sa vie avec le tournage, le réalisateur
instaure d’autres relations avec les acteurs qu’il filme.
2. Vie et cinéma entremêlés
a. Le film comme processus
Dans Serras da Desordem, la construction du film intègre des aller-retours constants entre la vie et
le tournage. Le film s’est fait en plusieurs étapes expérimentales modifiant l'écriture André Brasil,
critique brésilien, décrit ainsi le résultat de ce tournage :
« Ce jeu (…) entre écriture et expérience, fait de Serras da Desordem une œuvre dont le
résultat est indissociable de son processus de production. » 100
En effet, cela est rendu évident dans la séquence de fin : Carapiru a été reconduit dans sa nouvelle
tribu Awa Gwaja. Après une longue description de sa vie dans sa nouvelle tribu, la fin du film
nous montre la mise en scène de la première séquence : l’arrivée du réalisateur, la manière dont il
dirige Carapiru, la mise en place des caméras et de l’équipe technique. La narration de la vie de
Carapiru finit par le tournage du film. . Cette boucle créée par cette séquence finale mélange vie et
cinéma d’une manière magistrale : Le film fait partie de la vie de Carapiru, tout comme la vie de
Carapiru fait le film. Le processus de création compose cette histoire. A ce propos, Andrea Tonacci
explique son intérêt pour cette notion :
« Je crois que s’il existe une vérité dans l’œuvre, elle vient du processus. Si celui-ci réussi
à être imprégné dans la narration, nous maintenons la fraîcheur pour celui qui le voit et en
a la découverte. Et c’est cela qui m’intéresse. » 101
Cette démarche faisant naître le film de son
processus de production
permet de garder la
dynamique du vivant, une authenticité non figée. Le spectateur assiste à un moment de vie, une
œuvre en devenir. La notion d’action prend le pas sur la notion de résultat. Gérard Leblanc évoque
cette notion :
100
101
BRASIL André, cité in MESQUITA Claudia, « Obra em processo ou processo como obra ? » retrancription de la
conférence du 5 Mai 2011 au CCBB à Rio de Janeiro.
Andrea Tonacci cité in « entretien avec Andrea Tonacci » in Serras da Desordem de Daniel CAETANO, op. cit., p
138
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« Il s'agit en fait au filmage d'aligner le désir de film sur le désir de filmer et non
l'inverse. » 102
La motivation pour faire un film se basera plus sur la volonté de filmer plus que sur l’envie du
résultat. Dans ce type de films, l’action mise en place est ce qui importe le plus. C’est l’expérience
qui devient primordiale, et donc le rapport à la vie :
« L'acte de filmer renvoie à un scénario de vie avant de renvoyer à la construction d'un
film. » 103
Le déroulement du tournage est le résultat des aléas, des opportunités que le contexte réel entraîne.
La vie devient plus que le contexte du film, mais le matériel même avec lequel celui-ci va
s’entremêler. Claudia Mesquita, critique et chercheuse brésilienne, définit ainsi les films qui sont
des « œuvre en processus »104 :
« Ce sont des films dont la confection se déroule dans le temps, et dans des circonstances
variées, et résulte de son croisement avec le vivant »105
Ainsi la construction du film se mêle intimement avec la vie, et c’est ce processus lui-même qui est
le résultat.
b. Les conséquences du tournage dans la vie des participants
Bruno, protagoniste de Morro do Céu, est un jeune d'une contrée reculée du Sud du Brésil, qui
s’intéresse à la mécanique. L’expérience du film déclenche chez lui l’envie d’être acteur. Dans un
entretien avec le réalisteur, Spolidoro, une journaliste lui demande si il pense avoir changé la vie de
Bruno, il répond :
« Bien sur je l’ai changée, Mais je voudrais mettre au clair le fait que je ne crois pas que
le cinéaste ait une fonction sociale vis à vis de ses personnages et acteurs. Si quelque
102
103
104
105
LEBLANC Gérard, « De l’expression subjective directe », op. cit., p12
LEBLANC Gérard, ibid., p. 13
Thème de la conférence donnée par Claudia Mesquita et Cezar Migliorin au CCBB à Rio le 25 Mais 2011.
MESQUITA Claudia, Obra em processo o processo como obra, op. cit.
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chose change, tant mieux, mais ce n’est pas un principe. La fonction du cinéaste, si elle
peut atteindre le social, c’est au travers du film et de ses significations. »106
Ce serait le film en lui-même, et non le rapport personnel avec le réalisateur, qui pourrait changer la
vie des acteurs. Cette influence du film sur l’évolution de ses protagonistes se retrouve aussi dans
Avenida Brasilia Formosa. Déborah, esthéticienne habitante à Brasilia Teimosa, joue plusieurs
séquences où elle se met en scène dans un vidéo clip pour l’envoyer comme candidature pour Big
brother107. Le réalisateur raconte :
« Après le tournage elle m’a appelé, et elle m’a demandé « tu pourrais me donner la vidéo
du Big brother pour que je l’envoie? ». Le Big brother était une histoire fausse mais s’est
transformé en désir réel. » 108
L’envie du personnage qu’elle interprétait s’est transformée en sa propre envie. Ce qu’elle a fait
pour le film a pris une valeur de réalité, et cette expérience a des conséquences qui perdurent après
le film.
Dans Cabra marcado para morrer, le réalisateur va à la recherche des participants du film de 1964.
Il découvre Elisabeth, , dans un village où elle a cachée son identité. Elle a perdu tout lien avec huit
de ses onze enfants. Dans la dernière partie du film, Coutinho va à la recherche des enfants
d’Elisabeth, cela dure en tout deux ans, il les retrouve un à un, et leur donne des nouvelles de leur
mère, des photos. Il recrée le lien cassé. A la fin du film, la voix off du réalisateur nous dit :
«Jusqu’à Juin 1983, date à laquelle ce texte a été écrit, Elisabeth Teixera a réussi à
rencontrer deux de ses autres huit fils. »
Ainsi le film a permis à une famille éparpillée par la dictature de se retrouver. Le film vient ici
recoudre les cassures crées par l’histoire entre le début du film, en 1962, et la reprise en 1981. Le
processus du film vient littéralement relier ce qui a été cassé.
Dans ce cas, les conséquences du tournage, sont tellement fortes, importantes que le film en luimême pourrait presque passer au second plan, n’être plus qu’un prétexte pour faire ces actions.
Tonacci dit « au final, le film paraît être ce qui reste, le dépôt »109. Le résultat serait presque
106
107
108
109
BARBOSA, Neusa, Gustavo Spolidoro critica documentários "cabeças falantes" por terem "soluções simplistas
para contar histórias" In : http://cinema.uol.com.br/ultnot/2011/06/24/gustavo-spolidoro-critica-documentarioscabecas-falantes-por-solucoes-simplistas-para-contar-historias.jhtm
Emission de télé réalité brésilienne
Entretien avec Gabriel MASCARO, opus cité.
Andréa Tonacci cité in MESQUITA Claudia, « Obra em processo ou processo como obra ? » retrancription de la
conférence du 5 Mai 2011 au CCBB à Rio de Janeiro.
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secondaire par rapport à l’expérience de tournage. Ce serait un témoignage, une trace de ce qui s’est
passé. Dans cette vision, le cinéma passerait au second plan derrière la vie.
Ces expériences témoignent de l'extraordinaire interaction entre la réalité et ces créations: le film
naît du réel et des personnages, et en retour il transforme leur vie. Dans le meilleur des cas le
tournage en revisitant l'histoire permet ainsi de recréer des liens qui s'étaient distendus.
3. Le contexte actuel de la production brésilienne
Au Brésil la production de ces dernières années s'élève à une centaine de films par an, de nature
assez hétérogène, allant de grosses productions commerciales à des films indépendants faits par de
jeunes réalisateurs. Elle est en grande partie financée par l’Etat.
Cette production recèle des films différents, qui se démarquent de manière radicale. La critique les
a regroupés sous le terme de
« Novissimo cinema Brasileiro ». Les films récents du corpus
(Avenida Brasilia Formosa, Morro do Céu et Serras da Desordem) sont considérés comme faisant
partie de ce groupe.
Ce « Novissimo cinema Brasileiro » peut être vu par certains comme un mouvement. Il en présente
les caractéristiques : Un groupe de cinéastes et critiques, des textes manifestes (Sobre um cinéma
pos industrial et A Carta de Tiradentes – voir bibliographie), un lieu de diffusion, (le festival de
Tiradentes), et une revue en ligne (revista cinetica – voir bibliographie)
Les films de ce groupe sont peu présents dans les salles, mais très présents sur les forums internet,
les festivals. Ils sont peu vus par le grand public mais très reconnus par les milieux académiques et
artistiques. Cet autre type de production se démarque radicalement de l’industrie par plusieurs
facteurs : des productions souvent faites en collectifs (le dernier chapitre traitera particulièrement de
ce sujet), un langage esthétique différent, et une production avec peu ou pas du tout de moyen.
Cette dernière caractéristique conduit logiquement la production des films vers une facture plus
documentaire.
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On peut essayer de comprendre l’arrivée de ce mouvement par des circonstances historiques : Tout
d’abord le développement de technologies depuis une dizaine d’années permet à chacun de faire un
film sans savoir spécifique nécessaire et avec des budgets accessibles au particulier. Puis au début
des années 2000, Le gouvernement a été à l’initiative de lois encourageant la production tant de
films que de festivals. Ces lois ont aussi provoquées
une décentralisation de la production
cinématographique, des lieux d’accès à la culture et de formations. En effet, « grâce aux festivals
les gens de tout le pays se rencontrent plusieurs fois. »110.
Le DOCTV, appel à projet grâce auquel ont été produits Morro do Céu et Avenida Brasilia
Formosa, est un bon exemple de cette politique. C’est un programme d’encouragement à la
production et télédiffusion du documentaire brésilien. Il est né en 2003, à l’initiative la politique du
secrétariat de l’audiovisuel. Ses buts sont :
« Promouvoir la production de documentaires à la télévision publique. Il a pour objectif
de créer des structures et marchés, aider à la formation de professionnels, garantir la
régionalisation de la production et la diffusion à une ampleur nationale » 111
Deux à trois réalisateurs de chaque Etat sont sélectionnés, participent ensemble à des ateliers, et
reçoivent un budget pour produire leurs films. Cela favorise des rencontres de jeunes réalisateurs de
tout le pays. Ce type d’initiative gouvernementale décentralise la production, et stimule de
nouvelles organisations et dynamiques de création. L'apparition des collectifs peut être vue comme
une des conséquences.
4. Les collectifs de films
Il me semble important de finir cette étude sur la présentation de ce type de production pour
plusieurs raisons. Bien que seulement un film du corpus étudié soit issu d’un collectif (Avenida
Brasilia Formosa, du collectif pernamboucain Simio), d’autres films de collectifs présentent des
caractéristiques similaires à ce que je nomme la « fiction in situ ». O Céu sobre os ombros, de
Sergio Borges, du collectif Téia, fictionnalise le portrait de trois habitants de la ville de Belo
110
111
Entretien avec Frederico BENEVIDES réalisé par Skype entre Rio de Janeiro et Paris le 6 Novembre 2011, (voir
Annexe IV)
Extrait de la présentation officielle du DOC TV sur le site gouvernemental : http://doctv.cultura.gov.br/
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Horizonte. Dans Estrada para Ythaca, du collectif Alumbramento, les réalisateurs (les frères Pretti
et cousins Parente) se mettent eux-mêmes en scène dans une histoire de fiction où ils jouent leurs
propres rôles. La présentation des collectifs permettra à la fois d’essayer de comprendre s’il y a un
lien entre le mode de production et le résultat filmique.
Pour tenter de comprendre ce que sont ces collectifs, j’ai interviewé Frederico Benevides et
Gabriel Mascaro. Le premier est membre du collectif Alumbramento de Fortaleza et poursuit une
recherche sur les collectifs dans son master de cinéma à l’Université Federal Fluminense. Gabriel
Mascaro est le réalisateur de Avenida Brasilia Formosa et membre du collectif Simio de Recife. Je
leur ai demandé de raconter l’origine du collectif, leur relation à cette organisation, et présenter leur
vision du collectif.
a. Contexte d’origine
Les collectifs sont des structures de production de films qui sont apparues de manière spontanée et
informelle dans différents Etats du Brésil. Les principaux collectifs ici étudiés sont apparus au début
des années 2000 dans la Région Nordeste du Brésil, dans les Etats de Pernambouco et du Céara
(voir Carte Annexe I). Le collectif Simio de Recife, Pernambouco, s’est formé en 2004. Gabriel
Mascaro présente comment cette histoire a débutée :
« Ça a commencé avec un groupe d’amis, de personnes qui voulaient faire des choses en
commun, le cinéma. (…) La où l’on vivait il n’y avait pas de cours de cinéma à
l’université, c’était une manière de se regrouper pour faire des choses. Parce qu’en
s’aidant les uns les autres, on est plus fort » 112
Mascaro précise aussi qu’ils ne s’étaient absolument pas réuni à partir d’une même esthétique du
cinéma, chacun avait des goûts, références, opinions très diverses en matière de film. Cette
formation à partir d’un groupe d’amis qui veulent faire du cinéma, sans avoir une esthétique
commune, se retrouve dans la formation du collectif Alumbramento de Fortaleza, Ceara. Frederico
Benevides raconte qu’a la fin de ses études de communication il a rencontré à l’Alpendre, ONG
ayant un rôle de maison des arts, un groupe de gens qui voulaient faire du cinéma :
« On a commencé à se réunir, faire des projets. Puis on est allé vivre ensemble dans une
grande maison isolée, à trente kilomètres de la ville – décider d’aller vivre ensemble était
une chose très forte. Après quelques temps, en 2005, on a décidé de monter une boîte de
112
Entretien avec Mascaro, op. cité
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production, structure nécessaire pour répondre aux concours et appels à projet de
l’Etat. » 113
Dans la formation de ce collectif, le mode de vie faisait partie de l’aventure. L’idée de créer quelque
chose était indissociable de l’expérience de vie. De même, la formation de ces collectifs ouvre des
possibilités de création palliant à l’absence de structure dans ces villes du Nordeste, plus petites et
en dehors de l’axe de production Rio/ Sao Paulo. Benevides donne son avis sur l’existence de
collectif particulièrement dans le Nordeste :
« Je crois que les petites villes proposent un type de relation, des rencontres plus
régulières. Et les personnes ont plus besoin les unes des autres, comme il n’y a pas de
structures prêtes dans la ville, il n’y a pas de grande production, où les gens vont
travailler, de chaines de télévision. Les personnes sont plus libres aussi, moins dans la
folie de gagner de l’argent, et il y a plus de temps libre pour créer » 114
L’absence de structure est ainsi transformé en une incitation à se regrouper pour créer. C'est dans
cette liberté de temps et d’espace que les collectifs peuvent déployer leurs initiatives autonomes .
Pour Mascaro, c’est aussi donner une possibilité de faire sur place :
« On s’est formé avec beaucoup de gens qui ne voulaient plus sortir de leurs lieux pour
faire des films, ne voulaient plus aller à Rio et Sao Paulo.(…) Les collectifs permettent de
ne plus dépendre de techniciens de Rio et Sao Paulo, qui sont souvent du milieu de la
publicité. Nous voulons être dans un schéma de production d’auteur en dehors de
l’industrie. »115
La majorité de la production se situant entre Rio et Sao Paulo, l’apparition de ces collectifs entre
dans le mouvement de décentralisation mis en place par les lois gouvernementales citées
précédemment. En tournant sur le lieu avec les techniciens du lieu, il s’agit de promouvoir un
cinéma local, que l’on pourrait appeler en quelque sorte cinéma in situ.
b. Le fonctionnement
Chaque collectif s’étant crée indépendamment et de manière parallèle, a son propre fonctionnement.
Les structures des collectifs Alumbramento et Simio sont celles d’une société de production. Chez
Alumbramento, une partie de l’argent gagné par les films est collectif :
113
114
115
Entretien avec Benevides, op. cité
Entretien avec Benevides, op. cité
Entretien avec Mascaro, op. cité
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Aucun film n’a jamais rapporté beaucoup d’argent. Mais si il y en a, cinq pourcent de
l’argent récupéré va au collectif, on a donc loué un appartement qui était le siège de la
production. »116
Une des caractéristiques principales des collectifs est la rotation des équipes : les membres sont plus
ou moins spécialisés en un domaine, et les uns travaillent sur les films des autres. Mais ils ne
constituent pas seulement les équipe avec des membres du collectif, d’autres personnes peuvent
participer. Il est courant qu’il y ait des échanges inter collectif. Frederico Benevides définit ainsi le
fonctionnement d’un collectif :
« Il n’y a pas de hiérarchie, de propriétaire, de chef. Les films ne sont pas soumis à des
critères de valeur pour faire partie d’Alumbramento, je trouve que c’est une chose
fondamentale, nous sommes partenaires de vie, pas seulement partenaires d’une
entreprise. Alumbramento n’est pas un certificat de qualité, c’est un nom qui doit porter
beaucoup plus. Cela devrait être une anti-entreprise, par certains aspects. » 117
Dans cette définition, il y a une volonté de se construire en dehors de toute référence au schéma
classique d’organisation pyramidale, et de voir le collectif comme le partage d’autres valeurs que
celles du travail. De la manière dont les collectifs se construisent et veulent fonctionner, une volonté
de ne pas rentrer dans un cadre de cohérence et d’efficacité de production. Le fonctionnement de
l’équipe au tournage, lui aussi se démarque de celui de la production traditionnelle, comme
l’explique Ivo Lopes Araujo, membre de Alumbramento :
« Quand un film est dans un schéma plus traditionnel, chaque personne rempli son rôle, et
l’équipe technique finit par ne plus prendre place dans le processus créatif des films. Tout
est très spécialisé, bien dans le schéma de l’industrie. Quand nous faisons ensemble, (…)
tout le monde crée, interfère, bien que respectant la volonté du réalisateur. » 118
On retrouve ici la même idée de création collective qu’il y avait dans Iracema (Chapitre IV, 1, a).
Benevides donne un exemple concret de la manière dont cette volonté de création collective prend
forme sur le tournage :
«Tout le monde produit quelque chose sur un plateau, que ce soit le décorateur, le
réalisateur, l’opérateur. Je ne veux pas penser que je crée, seul, avec mon idée, l’idée du
réalisateur, je crois que tout le monde crée ensemble. (…) Dans le dernier film
116
117
118
Entretien avec Benevides, op. cit.
Entretien avec Benevides, op. cit.
Ivo Lopes Araujo, membre du collectif Alumbramento, cité in MESQUITA Lauro, Cinema em Grupo, In :
http://www.maissoma.com/2010/1/7/cinema-em-grupo
76/118
d’Alumbramento auquel j’ai participé, l’équipe était d’une trentaine de personnes. Malgré
ce grand nombre, on faisait les réunions collectives de découpage tous les soirs pour le
lendemain. Tout le monde pouvait participer, dire son avis. Le réalisateur du film
modérait. Il n’avait pas juste invité des techniciens, mais des personnes qui ont envie de
créer. »
119
On remarquera dans ces témoignages que la notion de décision reste celle du réalisateur. Ce qui est
ajouté dans ce fonctionnement est l’implication des autres membres de l’équipe.
c. Un mode de production de « fictions in situ »?
Bien que les collectifs ne se soient pas fondés à partir d’affinités esthétiques, ou de volonté de faire
le même type de création, les films issus de ces productions auraient plusieurs caractéristiques
communes. Selon Rodrigo Capistrano, étudiant chercheur de l’Université Federal Fluminense :
« D’entre elles, nous soulignerons le caractère essayiste et l’oscillation entre documentaire
et fiction, la négation de la transparence du cinéma classique et l’utilisation du support
vidéo comme éléments généraux constitutifs de la majorité des œuvres. Mais nous attire
aussi l’attention sur (…) l’implication des réalisateurs et de leurs histoires de vie avec le
film. »
120
Dans ce résumé tentant de définir cette production, on retrouve plusieurs caractéristiques propres
aux films étudiés dans ce mémoire : les fictions in situ. Les plus éloquentes, présentent ce concept
d’hybridation entre documentaire et fiction, et le mélange de la vie et des participants du film avec
la création du film lui-même.
De même, la manière des produire des collectifs fait écho à celles des films du corpus. Fred
Benevides décrit ce qui lui semble être le lien entre la manière de produire proposé par les collectifs
et leurs productions :
« Il s’agit de prendre ces situations qui sont dans le monde et leur donner une autre
possibilité. Je pense que ces films sont ainsi parce qu’ils incluent une manière
d’expérimenter la vie, une manière plus humaine de vivre, intégrée, où l’on vaut plus par
ce que l’on est que par ce que l’on a.»
119
120
Entretien avec Benevides, op. cité
CAPISTRANO, Rodrigo, Anotações sobre o cinema contemporâneo no Ceará: o coletivo Alumbramento
77/118
Ainsi, en produisant autrement, avec une éthique de travail, une éthique de vie, sans séparation
entre la vie et le travail, les collectifs proposeraient un mode de création et une manière de voir le
monde qui ont beaucoup à voir avec le questionnement premier de ce mémoire.
d. Devenir, évolution
Les collectifs, apparus au cours de la décennie passée, semblent être de nos jours sujets à des
transformations et fragilisations. Gabriel Mascaro retrace l’évolution du collectif Simio :
« Ca a commencé de manière informelle. Quand c’est devenu plus sérieux, c’est devenu
plus difficile, les relations sont devenues formelles, beaucoup de gens sont sortis. » 121
À partir d’un moment, le collectif s’est officialisé, et les personnes n’y trouvèrent plus leurs
comptes. Quand j’ai interviewé Frederico Benevides, il venait de sortir du collectif Alumbramento,
pour des raisons analogues :
« Je suis sorti d’Alumbramento parce que je trouvais qu’elle devenait une boîte de
production normale. (…) Pour moi un collectif c’est inviter les différents, les hétérogènes
pour discuter, et mettre ces différences en mouvement. Cela donne des relations qu’on ne
peut pas prévoir. Mais les personnes de la production ont besoin de plus d’organisation, il
y a cette idée de centralité, les gens veulent faire le même film, le même résultat, et ils
vont dire ce qui est bon pour les autres. C’est un type organisation qui fonctionne mais je
ne pense pas comme ça. Je veux pouvoir faire le travail que je veux, l’idée que mon travail
peut être le sujet du veto de quelqu’un pour pouvoir participer m’enlève toute envie. » 122
Ainsi l’idéal de création des collectifs semble être compromis par le fait de s’insérer dans le
marché. Car l’idée était de ne pas avoir de chef, de faire des films avec une totale liberté. Seulement
les films commencent à être reconnus, et les groupes tendent à s’organiser, peut-être pour pouvoir
se conformer au marché. Benevides souligne un autre problème selon lui, pour garder l’esprit des
collectifs :
121
122
Entretien avec Mascaro, op. cit.
Entretien avec Benevides, op. cit.
78/118
« Ce mot a été trop utilisé, il est devenu politiquement correct, est rentré dans l’ordre. (…)
on donne un nom pour conformer, pour faire des articles de journaux, pour enfermer, figer
en concept. » 123
Ces organisations ne supporteraient pas le succès et la reconnaissance, car en leur donnant un nom,
en les transformant en label de qualité, cela les classifie, les fait rentrer dans une case. Cela tue ce
qui serait une caractéristique principale de ces groupes : faire autrement en dehors de tout système.
Ces organisations seraient donc vouées à une courte durée, car soit elle périclitent, soient elles
s’intègrent dans le marché et cessent d’être des collectifs.
123
Entretien avec Benevides, op. cit.
79/118
80/118
CONCLUSION
Cette recherche partant d’une thématique inventée sous le terme de « fiction in situ » cherche à
étudier des films d’une part nés d’un lieu, d’autre part y introduisant une fiction. Cela a fait
apparaître de nombreuses réalisations. Elles sont cependant très hétérogènes. Peut-on parler d’un
genre en soi ? Quels sont leurs points communs ? Quelles qualités spécifiques peut-on trouver à
cette démarche mêlant lieu et fiction ?
Nous avons vu qu’ils se présentent tous comme des portraits de lieux et leurs habitants qu’ils
mettent en scène. Le sujet émane du lieu et des personnages. Et ainsi le rôle des participants du film
est changé ; en cassant la frontière entre rôle et vérité, entre personne et personnage, les acteurs
prennent une place principale, essentielle. En effet, le dispositif de fiction leur permet de participer
pleinement à la création.
Le réalisateur lui-même prend une autre position. La création se fait à partir de l’histoire
personnelle, il s’implique dans le projet du film à tel point que sa position de directeur auteur est
autre. En interagissant avec leur milieu, ce sont des témoins vivants d’une situation, car la réalité
mise en scène est crée et vécue par le film. Le film naît du réel et de la vie de ses participants pour
la modifier, la transformer. Le filmage est une partie du film. Il n’y a plus d’opposition entre vie et
cinéma, le film est la vie.
Pour permettre cette interaction avec le réel, la caméra prend une fonction double : Elle s’intègre
dans le réel, et ainsi capte sur le vif des scènes à la manière d’un documentaire. En même temps,
Elle agit comme catalyseur d’action, elle provoque une autre réalité, avec objectif d’introduire une
narration qui permet d’apporter une densité, une concentration du réel. La place de la caméra est
donc ambigüe, entre caméra invisible et catalyseur, à la fois présente et absente.
Cette expression
m’a permis de réunir des objets d’étude très différents, et découvrir la
problématique qui au fond m’est essentielle : le rapport du cinéma à la vie. Et tous ces films
travaillent et s’inscrivent dans le réel avec une grande force et finesse. J’ai découvert des films
d’une portée et d’une innovation que je n’imaginais pas, tel Serras da Desordem. En dépassant les
frontières entre documentaire et fiction, en liant l’histoire d’un individu à celle du Brésil, il atteint
une force, une portée qui confine au mythe que je trouve incroyable.
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Chacun de ces films est lié à un contexte très spécifique. Ils sont tous nés de la réaction à un
évènement de l’histoire brésilienne dans lequel ils s’insèrent . Leurs conditions de production sont
souvent précaires. Cette constatation soulève une question : Ces films ne peuvent-ils naître que
dans une économie de moyen ? En dehors de la grande production ? Comme si la production avec
beaucoup de moyen ne permettait pas cette authenticité de rapport au réel.
Ce sont aussi des témoignages avec une portée humaine, sociale, que ce soit Iracema en dénonçant
les méfaits du développement du brésil, Serras da Desordem en retraçant les conséquences du
massacre d’une tribu indienne, ou Avenida Brasilia Formosa voulant montrer le changement du
quotidien des petites gens qui ont été expulsés de leur quartier. Tous relient la petite histoire à la
grande histoire. Ils parlent du personnel et pourtant atteignent le symbole, le mythe.
J’ai été surprise de me rendre compte de cette caractéristique commune car je ne m’y attendais pas.
En construisant mon sujet, je suis partie de l’idée d’utiliser le réel pour en faire une histoire sans
chercher de message social. L’émergence de ce type de film serait-elle liée à des contextes
spécifiques de contraintes économiques ou idéologiques ?
Une des choses qui me semble la plus importante est l’impact de ces histoires sur le spectateur. En
donnant
la possibilité à tout élément documentaire de devenir
une histoire, une fiction, le
spectateur est amené à recevoir autrement ces oeuvres :
« [Ces films] Nous obligent à renoncer au désir de contrôle sur ce qui est ou non réel, à
nous confronter au fait que la frontière entre le monde et la scène est inexistante dans
beaucoup de situations, et que même ainsi, nous nous laissons toucher, impliquer par ce
que nous voyons. » 124
Le spectateur doit lâcher prise, sortir de ses repères. Et ainsi transformer cette approche du réel en
une expérience sensible et affective. Ces films permettent de figurer le réel de façon plus forte, car
on n’est pas dans le rapport intellectuel et didactique de certains documentaires. On partage la vie
d’autres gens, on construit un monde commun ensemble. Ces films témoignent bien de l’apport de
la fiction : elle permet d’enrichir le réel, et même de le modifier : des évènements se sont produits
après certains films. La façon dont chaque film redistribue les rôles et mène à inventer un
déroulement de filmage spécifique me paraît très stimulant. Cette recherche a été pour moi
foisonnante et je serai intéressée à l’étendre afin de vérifier l’existence de réalisations aussi riches
d’humanité et de mythe dans d’autres circonstances.
124
MESQUITA, Claudia et LINS Consuelo, Filmar o real, op. cit., p. 81
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FILMOGRAPHIE
• BODANZKY Jorge, et SENNA Orlando
Iracema, uma transa amazônica (Iracema, une trans-amazonienne)
Iracema, jeune indienne de quinze ans, vivant sur les rives de l!Amazone, quitte sa famille en arrivant à la
ville (Belem) pour se prostituer. Elle rencontre dans un bar de nuit Tiao Brasil Grande, camionneur du sud du
Brésil qui parcours de long en large l!autoroute transamazonienne en vantant les vertus du progrès, de la
construction de l!autoroute et la grandeur de son pays. Il prend Iracema dans son camion, ils parcourent la
transamazonienne et sont témoins des désastres écologiques et sociaux qu!entraîne cette autoroute.
Avec : Edna DE CASSIO et Paulo Cesar PEREIO
Image : Jorge BODANZKY
Son : Achim TAPPEN
Scénario : Orlando SENNA, Hermano SENNA et Jorge BODANZKY
Montage : Jorge BODANZKY et Eva GRUNDMANN
Brésil, 1976
97 min, couleur
Format 4/3
Tourné en 16mm
• TONACCI Andréa
Serras da Desordem (Les montagnes du désordre)
Carapiru, indien Awa Gwaja de l!état du Maranhão, réussit à échapper au massacre de sa tribu par des
fermiers. Il erre seul dans le pays pendant dix ans avant d!être accueilli par une communauté de fermiers.
Un membre de la FUNAI (Fondation National pour l!Indien) vient le chercher et essaie de lui trouver un
traducteur pour savoir d!où il vient et connaître son histoire. Le jeune Awa Gwaja qui vient faire traducteur
s!avère être le fils de Carapiru, lui aussi ayant échappé au massacre. Carapiru raconte son histoire et est
ramené dans une tribu Awa Gwaja, où il continue à vivre, jusqu!au jour où un réalisateur vient lui demander
de jouer son propre rôle dans un film.
Image : Alziro BARBOSA, Fernando COSTER, Aloysio RAULINO
Son : René BRASIL, Valéria MARTINS FERRO
Montage : Cristina AMARAL
Scénario ; Andréa TONACCI
Brésil, 2006
135 min, couleur et noir et blanc.
Format 16/9
Tourné en DV, 35mm couleur et 35mm noir et blanc
• SPOLIDORO Gustavo
Morro do céu (Mont du ciel)
Bruno est un adolescent vivant dans une petite communauté d!italiens emigrés dans la campagne du Sud du
Brésil : Morro do Céu. Il partage sa vie entre aller au lycée, faire de la mécanique avec son cousin Joël, faire
les vendanges et sortir avec ses copains. Il tente de séduire Borboleta, jeune fille du village voisin dont il
s!est amouraché.
Image, son : Gustavo SPOLIDORO
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Montage : Bruno CARBONI
Production : Patrícia GOULART
Scénario : Gustavo SPOLIDORO, Bruno CARBONI, Patrícia GOULART et les personnages du film
Brésil, 2009
80min, couleur.
Format 16/9
Tourné en full HD
• MASCARO Gabriel
Avenida Brasilia Formosa (Avenue Brasília magnifique)
Brasilia Teimosa, quartier pauvre de Recife, à connu un grand changement ces dernières années : la
construction de la grande avenue Brasilia Formosa, le long de la mer, détruisant ainsi toute les cahutes
composant une partie de ce quartier. Comment les habitants vivent-ils avec ce changement ? comment voitils leurs quartier ? qu!est ce qu!ils y projettent ?
Image : Ivo LOPES ARAUJO
Son : Phelipe JOANES
Montage : Tatiana ALMEIDA
Scénario : Gabriel MASCARO
Brésil, 2010
85min, couleur
Format 16/9
HD
• COUTINHO Eduardo,
Cabra marcado para morrer (Type marqué pour mourir)
Le réalisateur du film Cabra marcado para Morrer, fiction brutalement arrêté par la dictature, revient sur les
lieux du tournage vingt ans après, à la recherche des participants. Il cherche à comprendre ce qu!il s!est
passé pendant toutes ces années.
Brésil, 1981
119 min, noir et blanc et couleur
Format 4/3
Pellicule 16mm
FILMOGRAPHIE ANNEXE :
•
COUTINHO, Eduardo, Jogo de cena (Jeu de scène)
Brésil, 2007, 100 min, couleur, ratio 1,66, son dolby digital.
•
RAMOS Maria Augusta, Juízo (verdict)
Brésil, 2007, 90 min, couleur
•
BORGES Sergio, O Céu sobre os ombros (Le ciel sur les épaules)
Brésil, 2010, 71 min, HD, couleur
•
PRETTI, Ricardo et Luiz, DIOGENES, Pedro et PARENTE, Guto, Estrada para
Ythaca
Brésil, 2010, 70 min, couleur
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BIBLIOGRAPHIE
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BARBOSA, Neusa, 'Serras da Desordem' discute questão do índio no Brasil
In : http://www.estadao.com.br/noticias/arteelazer,serras-da-desordem-discute-questao-do-indio-nobrasil,158568,0.htm
MATTOS, Carlos Alberto, Jorge Bodanzky : o homem com câmera (Jorge Bodanzky : l’homme
avec une caméra), São Paulo, Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2006
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LINS, Consuelo, O cinema de Eduardo Coutinho
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Sur les collectifs :
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In : http://www.revistacinetica.com.br/cinemaposindustrial.htm
La carte de Tiradentes : http://www.mostratiradentes.com.br/CARTA-DE-TIRADENTES.pdf
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In http://www.revistaprojecoes.com.br/site/index.php?option=com_content&view=article&id=129:
anotacoes-sobre-o-cinema-contemporaneo-no-ceara&catid=1:panoramica&Itemid=2
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GAUTHIER, Guy, Le documentaire, un autre cinéma, Paris, Editons Armand Colin, 2005.
HELKE, Susanna, A trace of Nanook : cinematic methods interwining documentary and fictional
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LEBLANC, Gérard, « De l'exposition subjective directe », in Cahier Louis Lumière n°8, 2011.
LIOULT, Jean-Luc, À l'enseigne du réel. Penser le documentaire, Aix-en-Provence, Presses de
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NICHOLS, Bill, Introduction to Documentary, Indiana University press, 2001.
DELEUZE, Gilles, L’image temps, Paris, Les éditions de minuit, 1985.
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Sitographie :
Revista cinética : www.revistacinetica.com.br
ANDRADE, Fabio , Morro do céu, as grade do rigor
In : http://www.revistacinetica.com.br/morrodoceu.htm
Programme Doc TV, DOCTV IV - Morro do Céu |RS - Gustavo Spolidoro autor e diretor do
documentário, entretien avec Gustavo Spolidoro sur Morro do Céu
In http://www.youtube.com/watch?v=cQT-n583reM
BARBOSA, Neusa, Gustavo Spolidoro critica documentários "cabeças falantes" por terem
"soluções simplistas para contar histórias"
In : http://cinema.uol.com.br/ultnot/2011/06/24/gustavo-spolidoro-critica-documentarios-cabecasfalantes-por-solucoes-simplistas-para-contar-historias.jhtm
EDUARDO Cléber, Obra em processo ou processo com obra ? dans le catalogue « cinéma
brasileiro, anos 2000, 10 questoes. »
In : http://www.revistacinetica.com.br/anos2000/download.php?id=Catalogo_10questoes.pdf
MESQUITA Claudia, « Obra em processo ou processo como obra ? » retrancription de la
conférence du 5 Mai 2011 au CCBB à Rio de Janeiro.
In : http://www.revistacinetica.com.br/anos2000/download.php?id=Debate05-05-RJ.pdf
Documentaires informatifs :
BODANZKY Jorge, Era uma vez Iracema, documentaire sur le tournage de Iracema, 2003.
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
FILMS DES PHOTOGRAMMES DU CORPS DE TEXTE
p. 21 : Avenida Brasilia Formosa
p. 23 : Iracema, uma transa amazônica
p. 28 : Iracema, uma transa amazônica
p. 32 : Iracema, uma transa amazônica
p. 34 : Morro do Céu
p. 35 : Iracema, uma transa amazônica
p. 37 : Cabra marcado para morrer
p. 41 : Morro do Céu
p. 42 : Serras da Desordem
p. 45 : Serras de Desordem
p. 47 : en haut : Avenida Brasilia Formosa / en bas : Serras da Desordem
p. 52 : Iracema, uma transa amazônica
p. 57 : Serras da Desordem
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ANNEXES
I.
CARTE DU BRESIL………………………………… P. 92
II.
CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS……………….. P. 93
III.
EXTRAIT D!EBAUCHE DU SCENARIO D!IRACEMA... P. 94
IV.
QUESTIONNAIRE DES ENTRETIENS………………. P. 96
V.
DOSSIER DE LA PPM…………………………….. P. 98
VI.
SCENARIO DE LA PPM…………………………... P. 106
VII.
COMPTE RENDU DE LA PPM……………………. P. 114
91/118
I. CARTE DU BRESIL
SITUATION DES SITES DE TOURNAGE DES FILMS
Source carte : HTTP://WWW.TERRE-BRESIL.COM/IMAGES/IMAGE/CARTE-BRESIL.GIF
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II. CHRONOLOGIE
EVENEMENTS POLITIQUES DU BRESIL ET LEURS LIENS AUX FILMS ETUDIES
D ATES
ÉVENEMENTS NATIONAUX
1955
Début du Cinéma Novo avec le film Rio
40 graus de Nelson Pereira dos Santos
Assassinat du leader paysan Joao Pedro Teixera
– Coutinho Découvre l!histoire et décide de faire
un film dessus : Cabra Marcado para morrer
1962
1964
Coup d!état et installation de la dictature.
Age d!or du Cinéma Novo
Instauration de l!acte institutionnel n° 5
supprimant toute liberté individuelle.
1968
Fin du Cinéma Novo
Production d!une centaine de films par
an sous le joug de la censure de la
dictature
1978
1979
1996
2003
2004
2005
2006
2009
2010
Tournage de Iracema, uma transa amazonica
Massacre de la tribu de Carapiru, et début de son
errance
Retour de Coutinho sur les lieux du tournage de
Cabra Marcado para morrer, grâce à la loi
d!amnistie
Fin de la dictature
Découverte de l!histoire de Carapiru par les
médias et retour de Carapiru dans une tribu Awa
Guaja
1988
1990
1992
Jorge Bodanzky à l!idée de faire un film sur
l!autoroute Belem Brasilia
Début du déclin de la dictature et
amnistie politique, déclarée par le
président Figuereido
1981
1985
Arrêt du Tournage de Cabra marcado para morrer
par l!arrivée des militaires
Début de la construction de la Transamazonienne
1972
1974
ÉVENEMENTS LIES AUX FILMS DU CORPUS
Presidence de Fernando Collor de
Mello, crise économique.
Disparition de la production
cinématographique
Début de la « retomada » avec le film
Carlota Joaquina, princesa brasileira
Institutions par Lula de lois
encourageant la production
cinématographique Brésilienne
Début des multiples tournages de Serras da
Desordem
Création des collectifs Simio et Alumbramento
Sortie de Serras da Desordem
Sortie de Morro do Céu
Sortie de Avenida Brasilia Formosa
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III. EXTRAIT DE L!EBAUCHE DU SCENARIO D!IRACEMA
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TRADUCTION
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IV. QUESTIONNAIRE DES ENTRETIENS
LISTE DES ENTRETIENS REALISES
• Entretien avec Jorge Bodanzky, réalisateur de Iracema.
Le 5 Août 2011, par skype entre São Paulo et Rio de Janeiro
• Entretien avec Gustavo Spolidoro, réalisateur de Morro do Céu.
Le 26 Août 2011, par skype entre Porto Alegre et Rio de Janeiro
• Entretien avec Gabriel Mascaro, réalisateur de Avenida Brasília
Formosa et membre du collectif Símio.
Le 31 Octobre 2011, par skype entre Recife et Paris
• Entretien avec Frederico Benevides, membre du collectif
Alumbramento.
Le 6 Octobre 2011, par skype entre Paris et Rio de Janeiro
QUESTIONNAIRE TYPE DES ENTRETIENS
La relation du scénario à la réalité
Comment est venue l!histoire du film ?
Como você teve a ideia do filme ? como surgiu ?
Comment avez-vous écrit le scénario ? avec qui ? où ? Comment la réalité vous a-t-elle inspirée?
Como aconteceu a escritura do roteiro ? com quem ? aonde ? como a realidade inspirou você ?
Avez-vous intégré des éléments de la réalité dans le scénario ?
Você integrou elementos da realidade no roteiro antes da filmagem ?
Comment ont été les allers retours entre l!écriture du scénario et la réalité ?
Como foi as indas e voltas entre a escritura do roteiro e a realidade ?
Quelle est la différence de l!histoire entre ce qui a été écrit et ce qui a été tourné au final ?
Qual sao as différencias entre o que foi escrito no roteiro e o que foi filmado no final ?
A quel point le scénario était abouti précisement ? Y a!t-il eu des dialogues écrits ?
Até qual ponto o roteiro foi escrito precisamente ? os diálogos ?
Jusqu!à quel point les acteurs modifiaient le scénario ? Ils suggéraient des choses ?
Até qual ponto os atores mudaram o roteiro ? Eles sugeriram coisas ?
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Sur la fronière entre l!espace filmique et la vie réelle
Quels ont été les rapports de causes à conséquences entre l!acte de filmer et le résultat sur le réel ?
Qual foram as relações causas/ consequências entre o ato de filmar e o resultado no real?
Que déclenchait la caméra avec les personnages principaux ?
O que provocava a presencia da câmara sobre os protagonistas?
Comment s!intégrait la caméra ?
Como se integrava a câmara?
Comment concrètement s!organisait le tournage pour s!insérer dans le réel ?
Como se organizava a filmagem para caber em um ambiente real?
Quel matériel utilisé ?
Qual era o material utilizado ?
Sur la limite entre le rôle et le personnage
Comment avez vous choisi les acteurs ?
Como você escolhou os atores ?
Comment leur avez vous présenté le projet ?
Como você apresentou o projeto para eles ?
Quelles ont été les différences entre le rôle prévu et la personne ?
Qual foi a diferencia entre o papel previsto e a pessoa ?
iIs ont amené aux rôles de choses qui leurs étaient propres ?
Eles trouxeram coisas proprias deles ?
Comment vous les dirigiez ?
Como você dirigava eles ?
Sur la formation de l!équipe
Quelle était la formation de l!équipe ? Qui faisait quoi ?
Qual era a formação da equipe? Quem fazia que?
Comment a été produit le film ?
Como foi produzido o filme?
Quel était les rapports du réalisateur aux acteurs ?
Qual foi as relações do diretor aos atores
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V. Dossier de la PPM
ENS Louis Lumière
7 Allée du Promontoire
93 161 Noisy le Grand Cedex
+33 (0)1 48 15 40 10
[email protected]
Partie pratique de Mémoire de fin d’études et de recherche 2011
Les Dispositifs de tournages
entre documentaire et fiction
Soutenance en Décembre 2011
Angèle Gohaud
29 rue Stéphenson, 75018 Paris
+33 (0)6 67 66 70 68
[email protected]
Directeur de Mémoire :
Frédéric Sabouraud
+33 (0)1 42 28 55 04
[email protected]
Co-directeur de mémoire :
Tunico amancio
+55 (0)21 27 14 11 92
[email protected]
Coordonateurs de mémoire :
Michel Coteret
[email protected]
Frédéric Sabouraud
+33 (0)1 42 28 55 04
[email protected]
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SOMMAIRE
CV …………………………………………………………………………….p. 3
Note d’Intention……………………………………………………………….p. 4
Étude Technique et Economique………….…………….…………………….p. 5
Liste du Matériel employé…………………………………………………….p. 6
Plan de travail…………………………...…………………………………….p. 7
Note d’intention du mémoire………………………………………………….p. 8
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NOTE D’INTENTION
Mon mémoire traite des dispositifs de tournage de films entre documentaire et fiction.
C’est-à-dire les films qui mettent en scène une histoire en utilisant des matériaux réel déjà existant :
des personnes jouant leurs propres rôles, parfois leurs propres histoires, dans des décors réels. Je
voudrais donc réaliser pour ma partie pratique un court-métrage utilisant un dispositif de ce type. Il
s’agira d’adapter les grandes lignes d’un scénario à un environnement réel. L’idée serait de mettre
en place un dispositif qui intervienne un minimum dans le réel tout en permettant un travail de mise
en scène de fiction. Il s’agirait donc d’un tournage en décors naturels, avec des acteurs non
professionnels jouant pour la plupart leur propre rôle ou des rôles proches d’eux. Le scénario
s’adapterait à la vie des personnages et aux décors existant. Tout au long du temps de repérage, je
ferai des aller-retours entre le scénario de départ et ce que la réalité nous propose. Le scénario ne
devrait être qu’une mince ligne directrice pour structurer les scènes autour. Le tournage se fera avec
une équipe très légère qui puisse s’intégrer dans un environnement documentaire. Le travail de
lumière sera minimum, et se restreindra aux sources disponibles dans l’espace. Mon travail sera de
jouer avec les contraintes du lieu. Il s’agira d’amener les acteurs à la lumière, dans le cas de scènes
de nuit, bouger des sources de lumière, la filtrer avec des éléments du décor, comme des stores
vénitiens. L’action des personnages devant être libérée de toute contraintes techniques, il n’est pas
envisageable qu’elle soit limitée par du matériel lumière. De plus la légèreté du dispositif voulu
nous interdit de transporter du matériel lourd.
Ce type de dispositif nécessite un long temps de repérage. Dans un premier temps, je devrais
trouver le lieu et les gens qui seront le cadre de ma fiction. Puis je voudrais passer du temps dans ce
lieu avec ces gens pour m’inspirer de leur vie et en tirer un scénario minimum. Il pourra se faire en
collaboration avec les protagonistes. Il me semble important que ce repérage soit filmé, car ça va
être le matériel propre de ma fiction. Filmer ces repérages me permettra aussi de casser la frontière
entre la vie de ces gens et le moment du tournage, et de les habituer à la présence de la caméra.
Ainsi la démarcation entre la réalité et le tournage sera moins forte.
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ÉTUDE TECHNIQUE ET ECONOMIQUE
Pour les repérages, je filmerai avec une caméra miniDV, pour être le plus mobile et discret possible.
Et le prix du consommable (Cassette mini DV) est peu onéreux.
Pour le tournage, je souhaite filmer avec une caméra HD assez légère, pour avoir un compromis
entre la qualité de l’image et l’encombrement du matériel. Une caméra type EX3me paraît assez
adapter, car elle est légère, les capteurs ! pouces permettent une grande profondeur de champs et
une facilité pour le point, essentiel pour l’improvisation. L’enregistrement sur carte permet un
déchargement rapide et facile des rushes, ainsi qu’one bonne capacité de stockage.
Pour le support de la caméra, je prévois un pied léger vidéo, pour pouvoir faire des plans fixes et
panoramiques, ainsi qu’éventuellement un monopode. Selon la caméra choisie, il sera envisagé une
crosse épaule.
Le son pourra être enregistré sur la caméra, ce qui nous évitera un travail de synchronisation
supplémentaire.
Le matériel lumière se réduira à certains accessoires légers, comme des réflecteurs et diffusions.
L’équipe de tournage sera réduite au minimum. J’envisage trois personne moi y compris :
J’assurerai moi-même le rôle de cadreur. Une personne s’occupera du son, et une autre m’assistera
dans les réglages de la caméra et dans la mise en place d’éventuelle lumière de décors.
Une grande partie du budget sera allouée à la location de la caméra HD et du matériel son. Pour un
tournage de 1 semaine environ, je prévois 400 euros de location caméra et son. Les 200 euros
restants seront utilisés pour la régie et les consommables types cassettes, piles.
LISTE DU MATERIEL EMPLOYE
Repérages :
Caméra MiniDV canonMVX 460
Tournage :
Caméra HD légère type EX3
Accessoires : crosse épaule ?
Matériel son (micro, perche et éventuellement mixette)
Machinerie : Pied vidéo léger. Monopode.
Réflecteurs, diffusions
Verre de contraste
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Post production :
Station de montage de l’UFF et ordinateur personnel
Disque dur externe
PLAN TRAVAIL
Ma PPM se fera dans le cadre d’une mobilité à Rio de Janeiro. J’arriverai là-bas mi-Février. Je
prévois un mois pour trouver le lieu où filmer, puis trois mois de repérage, pour habituer les gens à
ma présence, construire un scénario. Le tournage se fera donc en Juin. Le tournage durerait entre
une et deux semaines. Le montage aura lieu sur les stations de l’UFF où je serais en échange,
jusqu'à début Juillet. La post production se finira à Paris à mon retour en Août jusqu’au rendu en
Novembre.
Prévision de tournage :
Mars à Mai : repérage en mini DV, constitution d’une base de scénario.
Mai : constitution d’une équipe réduite pour un tournage d’une semaine environ en Juin.
Calendrier de la post-production :
Montage image
Sur les stations de l’UFF dès Avril pour les repérages filmés. En Juin pour le tournage de fiction.
Prolongation éventuelle de montage sur mon ordinateur personnel à Paris jusqu’en Octobre.
Mixage et montage son
Par un étudiant son de l’ENSLL à l’école en Octobre
Étalonnage :
Demande d’étalonnage sur le Matrix à l’école fin Octobre début Novembre.
Exports et sorties :
10 jours dans une Adrénaline à l’ENSLL en Novembre.
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NOTE D'INTENTION DE MEMOIRE
L'héritage du cinéma Novo dans les dispositifs cinématographiques contemporains
entre documentaire et fiction
Ce mémoire étudiera des films qui de par leurs dispositifs de tournage questionnent la frontière
entre documentaire et fiction. Le genre documentaire, au sens classique du terme, se définit par
plusieurs caractéristiques : Des acteurs non professionnels (jouant leurs propres rôles), le tournage
en décors et éclairage naturels, l'absence de scénario et de découpage préétabli, et l'équipe de
tournage restreinte et utilisation de matériel léger d'enregistrement et de son. Nous étudierons des
films qui jouent et décalent une ou plusieurs de ces caractéristiques vers le registre de la fiction. Ces
entre deux nous conduirons à réfléchir sur plusieurs notions, celles de l'acteur personnage, la limite
entre le lieu de tournage et le réel, la notion de langage filmique.
Cette recherche se faisant dans le cadre d'une mobilité au Brésil, nous étudierons ces notions sur un
corpus de films Brésiliens, et intégrerons des questionnements propres au contexte historique et
socioculturel de l'histoire du cinéma Brésilien. De par le cinéma Novo, le cinéma brésilien a un
héritage filmique qui questionne les rapports entre le documentaire et la fiction. En effet, ce
mouvement cinématographique Brésilien des années 50/60, reprend le type de dispositif de
tournage initié par le néoréalisme italien se rapprochant du documentaire : Décors naturels, acteurs
non professionnels, figuration jouée par la population, caméra épaule, éclairage le plus souvent
naturel. Ces nouveaux dispositifs de tournage étaient dus à une économie de budget, une envie de
montrer une réalité du pays, souvent socialement très dure, occultée par les films de studio de
l’époque, et par l'arrivée de certaines techniques permettant une plus grande liberté de tournage
(Pellicule plus sensible, Caméra portable...).
Depuis ce mouvement, considérer comme l'âge d'or du cinéma au Brésil, la production et l'invention
cinématographique a sensiblement baissé, voir disparu à certains moments à cause de la dictature et
de crises économiques. Le corpus de ce mémoire sera composé de films brésiliens postérieurs à ce
mouvement, de la fin des années 70 à nos jours, qui mettent en place des dispositifs entre
documentaire et fiction.
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Pourquoi les réalisateurs de ces films ont choisi d'inventer ce type de dispositifs? Sont-ils liés au
contexte particulier du cinéma Brésilien? À l'héritage du cinéma du cinéma novo? En questionnant
le lien documentaire-fiction dans ces films, nous irons donc à la recherche d'un possible lien entre
une nouvelle manière de filmer, et un contexte donné. Nous aborderons ces films par des thèmes
qui semblent les regrouper. À ce titre nous n'excluons pas de prendre comme élément de
comparaison des films européens utilisant le même type de dispositif pour mieux cerner une
éventuelle spécificité brésilienne.
Nous remarquerons que dans les 4 films composant notre corpus provisoire, quelques thèmes se
retrouvent :
Le mélange entre le documentaire-fiction est lié à une impossibilité de tourner dans des conditions
habituelles. Dans «Cabra marcado para morrer», la partie documentaire est apparue en réaction à
l'arrêt de la fiction par le régime dictatorial. Dans «Iracema», le dispositif de fiction ultra légère
était une manière de pouvoir filmer sans se faire remarquer par le gouvernement.
La mise en scène dans de vrais décors avec de vraies personnes a souvent pour but de dénoncer une
réalité sociale tout en racontant une histoire. Le réel n’est pas juste utilisé comme matériau narratif,
mais comme preuve d’une certaine réalité. Dans ces fictions, montrer le réel a une valeur
d’authentification. Les histoires sont souvent des métaphores de situations sociales. Dans Iracema,
les deux personnages incarnent des milieux sociaux du Brésil. Dans les films de Glauber Rocha,
Chaque personnage est une métaphore de quelques choses.
La manière dont les films se déroulent détruit la frontière entre le lieu de tournage et la réalité. Dans
« Serras da desordem », le réalisateur met en scène l’histoire de la vie d’un Indien ayant fuit son
lieu de vie. Il lui fait rejoué son histoire dans les lieux véritable où cela c’est passé. Ce tournage fait
donc revenir cet homme sur les lieux de son passé et le fait retrouver les gens qu’il a rencontrés. Le
film juxtapose les scènes de fiction, et les scènes documentaires de retrouvaille avec les personnes.
Ainsi le film est composé d’une fiction et des événements qu’elle crée. Il en va de même pour
« Cabra marcado para morrer », le tournage de fiction donne lieu à des événements sociaux qui font
partie du film. Ainsi la fiction devient un événement documentaire en soi. De même la frontière
entre la personne et le personnage est questionnée. Ces films mettent en scènes des personnes
jouant un rôle très proche du leur, voir certaines fois leurs propres rôles.
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VI. SCENARIO DE LA PPM
Une journée dans la Baixada
SUJET
Un portrait de jeunes de 19 à 24 ans dans une banlieue décriée de Rio de Janeiro, la Baixada
Fluminense, créant une distance par rapport à ce lieu. Comment se construisent-ils en décalage,
voire en rejet avec leur lieu de vie? Comment les réseaux sociaux interfèrent dans leurs vies?
Chacun de ces jeunes développe sa solution, que ce soit Renato dans la négation de son
appartenance à ce lieu, Carine voulant changer le monde par l’éducation des enfants, Mayara,
rêvant d’aller faire de l’artisanat à Ilha Grande, ou Robert s’investissant dans les réseaux internet.
SYNOPSIS
Une fille de la zone Sud de Rio (centre riche de la ville) vient en banlieue pour rencontrer une amie
vivant là qu’elle s’est faite sur internet. Elle est confrontée à une ambiance qui lui est différente et
surprenante, la Baixada étant un endroit pauvre et excentré du centre de Rio. Elle a pour projet de
faire son mémoire de licence en sciences sociales sur l’usage des réseaux sociaux dans la
jeunesse. Pour ce, elle fera des entretiens filmés des jeunes qu’elle rencontrera là bas. Elle
essaiera ainsi de comprendre la vie de ces jeunes qu’elle trouve au premier abord très différente.
Elle se positionne au début en retrait par rapport à ce qu’elle voit. Elle découvre un lieu totalement
différent. Mais au fur et à mesure qu’elle passe du temps avec ces jeunes, un lien se crée, elle finit
par être proche d’eux. Dans la scène de fin, avec Carine et Robert, elle raconte des potins sur des
images de célébrités, avec Internet ils ont les mêmes références.
DISPOSITIF
Le film fera le portrait de ces jeunes en juxtaposant leurs rencontres avec cette jeune fille, et
entretiens filmés. Ces entretiens ont été préalablement filmés par moi-même en mini DV. Les
retranscriptions de ces entretiens sont en en italique dans le scénario qui suit. Les dialogues écrits
sont juste indicatifs, et ne contiennent que le minimum de narration nécessaire ainsi que le sujet
de la conversation que les acteurs vont devoir aborder.
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SCENARIO
1. CAXIAS, Salon de beauté - JOUR
CARINE est assise, et se fait épiler les sourcils. Elle discute avec
la femme du salon de beauté.
CARINE
Dans peu de temps, je vais accueillir une amie, je ne
l'ai jamais vue, je dois lui faire bonne impression...
FEMME DU SALON
Une amie que tu n'as jamais vue?
CARINE
Une amie d'internet, elle vient du centre de Rio, la
pauvre.
2. RIO, Plage de Botafogo, arrêt de bus - JOUR
Une fille d'une vingtaine d'année attend à l'arrêt de bus, sur la
plage de Botafogo, devant le pain de sucre. La vue est belle, les
personnes sont blanches autour d'elle. Elle prend un bus.
3. RIO, Central(gare de train de banlieue) – JOUR
La
fille
marche
dans
les
rues
derrière
la
central,
remplie
de
vendeurs ambulants. Elle paraît perdue dans ce chaos. Elle arrive
dans
la
central.
AU
fond,
nous
pouvons
voir
la
favela
de
la
Providencia.
4. TRAIN,entre RIO et NOVA IGUACU – JOUR
Elle est debout dans le train, dans la foule, elle a très chaud et
retire son manteau. Le train est rempli. Tout le monde dort. Les
107/118
vendeurs
de
biscuits
et
eau
passent
en
criant.
La
majorité
des
personnes sont noires, elle se démarque de cette atmosphère.
5. NOVA IGUACU, Escalier de la ligne de train.
MAYARA, jeune fille de 20 ans avec un air désabusé marche dans la
foule, dans l'escalier de la ligne de train. C'est grouillant de
monde, les personnes passent sans s'arrêter. Le lieu est gris, très
urbanisé, peu soigné. MAYARA croise LA FILLE, elles se regardent. La
fille demande à MAYARA où se trouve le bus pour aller à CAXIAS.
6. CAXIAS, Arrêt de bus et place.
LA FILLE attend à l'arrêt de bus, devant le terrain vague. CARINE
arrive, elles s'embrassent :
CARINE
Salut,
comment
vas-tu?
Tu
as
trouvé
sans
problème?
J'étais inquiète que tu viennes toute seule jusqu'ici.
Tu es toute petite! Je ne m'y attendais pas. C'est la
première fois que tu viens à la Baixada? Tu as eu
peur?
LA FILLE
C'est vrai que j'ai déjà entendu beaucoup de choses,
que c'était une favela énorme sans mont, que tout le
monde était pauvre, qu'il n'y avait pas d'égout, que
c'était très violent
Elles vont s'asseoir sur la place près de la maison de CARINE
CARINE
Alors parle-moi de cette recherche que tu veux faire
LA FILLE
Je
pense
faire
mon
mémoire
sur
l'utilisation
des
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réseaux internet dans différents milieux sociaux
CARINE
Tu dois absolument rencontrer mon ami ROBERT, il est
très
impliqué
là
dedans,
il
commence
a
avoir
un
Twitter assez connu,Mexicana bêbada. On peut aller le
rencontrer aujourd'hui si tu veux, il travaille au top
shopping de Nova Iguaçu et termine vers 5h
7. CAXIAS, devant une église – JOUR
CARINE et LA FILLE passe devant une église :
CARINE
C'est
l'église
où
j'avais
l'habitude
d'aller
quand
j'étais petite, j'ai dû en sortir à 16 ans parce que
j'étais lesbienne.
8. CAXIAS, dans la rue de maison de Carine – JOUR
Les enfants jouent dans la rue, CARINE va leur faire la morale parce
qu’un des enfants à traité un autre de Pédé.
9. CAXIAS, Dans la maison de Carine – JOUR
LA FILLE et CARINE sont assises à table. LA FILLE demande à CARINE si
elle peut l'interviewer pour son sujet de mémoire. CARINE accepte. La
FILLE commence à filmer.
LA FILLE
Nous nous sommes rencontrées sur internet, tu as déjà
fait beaucoup d'amis comme ça?
CARINE
Oui, parce que je ne peux pas raconter tout ce que je
veux à mes amies d'ici de la Baixada, car elles sont
de
l'église
évangélique,
du
coup
je
me
sens
moins
acceptée.
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LA FILLE
Quelle est ta relation à l'église évangélique?
CARINE
Je les trouve bourrés de préjugés, et faux...
10. CAXIAS, Maison de Carine, IMAGES MINI DV
Images de l'interview de Carine elles parle de l'Eglise évangélique
qui n'accepte pas les homosexuels, de l'éducation des enfants.
11. NOVA IGUACU, dans le jardin de RENATO – JOUR
MAYARA est allongée dans l'herbe, à côté de RENATO, ils fument.
MAYARA
Je veux aller vivre à Ilha grande.
RENATO
Sérieux?? tu t'es décidée?
MAYARA
Je
veux
faire
de
l'artisanat,
travailler
avec
mes
mains. Je suis fatiguée de cette vie de merde, de
béton, je veux vivre dans la brousse, on a tous besoin
de la brousse. J'en ai marre de cette vie de réseaux
sociaux, ça rend les gens jetables, aujourd'hui, tout
est jetable. Maintenant il y a
le monde online et
offline, et si tu n'es pas dans ces réseaux tu es
offline.
RENATO arrose son pied de feijao, et parle des plantes.
MAYARA chante « deixe me ir preciso andar » de Cartola
12. NOVA IGUACU, Via light – JOUR
CARINE
et
LA
FILLE
marchent
sur
la
via
light,
elles
rencontrent
110/118
RENATO par hasard. CARINE laisse LA FILLE avec RENATO et va chercher
ROBERT au top shopping
La fille contemple la via light, avenue énorme, effrayante, avec des
pylônes qui la ponctuent.
RENATO
Nova Iguaçu est bien mieux que Paris, il y a plus de
tour Eiffel.
LA FILLE
Tu aimes cet endroit?
RENATO
Oui j'aime vivre ici, mais j'y suis aussi indifférent,
je pourrais habiter dans n'importe quel lieu.
RENATO
parle
de
son
sentiment
de
ne
pas
appartenir
de
minorité,
aux
groupes
sociaux, aux lieux.
RENATO
J'appartiens
trouvé
la
à
tant
cause
de
ma
vie,
je
mais
ne
je
n'ai
pas
supporte
pas
d 'équipe de football, je n'ai pas d'école de samba...
14. NOVA IGUACU, Top shopping
Plan descriptif du top shopping, centre commercial bondé et bruyant.
Robert vend des vêtements dans la boutique TACO.
15. NOVA IGUACU, Devant le Top shopping – JOUR
Carine, la fille et ROBERT se rencontre devant le shopping
CARINE
Je te présente une amie, elle fait une recherche sur
les réseaux internet, elle voulait te rencontrer.
ROBERT et LA FILLE se saluent, il propose à LA FILLE de venir chez
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lui pour faire une Interview sur son Twitter.
16. MESQUITA, Dans la chambre de Robert, IMAGE MINI DV
ROBERT
est
assis
devant
son
ordinateur,
sa
chambre
est
petite,
remplie de posters au mur, très sombre, la lumière de l'ordinateur
l'éclaire. Il parle de ses activités sur twitter.
ROBERT
Avant j'étais comme ma famille, puis j'ai connu d'autres
personnes et j'ai changé. J'étais quelqu'un de commun, juste un
de plus, j'étais normal, je n'étais pas un être pensant.
Aujourd'hui je fais ce que je veux
Je ne me voyais pas comme quelqu'un de différent. Aujourd'hui je
veux être quelqu'un.
Je ne pense pas à mon futur idéal parce que j'ai peur de me
frustrer, je veux tout être à la fois. Je suis perdu. Ma vie,
c'est ça : passer ma vie sur internet, avant je remplaçais mes
amis par internet.
Twitter c'est une chose de l'ego, d'être accepté. Si je n'écris
pas je n'existe pas. Etre accepté sur internet est beaucoup plus
fort que dans la vie réelle. Si je ne me sens pas accepté dans
la vie réelle je vais me sentir mal, si je ne me sens pas
accepté sur internet j'éteins. Je suis puissant sur internet.
Je trouve la vie chiante, les personnes sont très sérieuses. Ma
chambre est plutôt enfantine. C'est pour sentir que là dehors la
vie peut être mauvaise, mais à l'intérieur ça peut-être bien.
Sur internet je peux choisir, dans la vie non, je suis un de
plus, sur internet je suis Dieu. Internet potentialise les
choses.
C'est vraiment le rêve des gens de la campagne d'être découvert,
mais je veux être découvert.
SI j'utilise internet pour fuir? Je crois que oui, c'est très
adolescent rebelle, parce que je ne m'entends pas bien avec ma
famille, internet pour fuir de la vie réelle. Je trouve que la
vie n'est pas si intéressante que ça.
C'est comme si je parlais sur une scène pour un millions de
personnes. Ici je parle juste à toi, une personne, là je parle à
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10 milles personnes. Si je me sentais plus écouté peut-être que
je n'aurais pas besoin d'internet.
Il a toujours été très chéri, il n'utilise pas internet parce
que il est déjà accepté. Moi non, je me suis toujours senti le
vilain petit canard de la famille. J'aimais la mode et les
tatouages, alors que les hommes doivent aimer le football. Je me
sentais déjà différent.
17. MESQUITA, dans la chambre de ROBERT, IMGEM mini DV puis 5D
CARINE, ROBERT Et LA FILLE sont dans la chambre de ROBERT. CARINE et
ROBERT sont devant l'ordinateur. LA FILLE les filme. Elle demande à
CARINE ce qu'elle fait sur internet. CARINE lui dit que c'est un blog
qu'une amie a fait ou elle met des photos d'hommes connus, CARINE et
ROBERT commentent les photos d'hommes. LA FILLE continue à filmer. A
un moment, elle arrête de filmer et vient commenter les photos de
célébrités avec eux.
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VII. COMPTE-RENDU DU TOURNAGE DE LA PPM
Le tournage c!est organisé en trois jours et demi fin Août 2011. Le matériel image était
composé d!un canon 5D mark II, avec un jeu de lentilles, et trépied à tête fluide et une
crosse épaule. Le son était pris par un micro cardio sur une perche, enregistré sur un
Zoom HN4. L!équipe était formée de l!actrice principale, Cécilia, deux amis formant
l!équipe technique et moi-même. Nous partions tout les matins ensemble du centre de Rio
aller rencontrer les jeunes en banlieue.
L'écriture du Scénario
J!ai écrit le scénario à partir de scène que j!avais déjà vécues ou auxquelles j!avais assisté
dans les mois de repérage, et à partir de scènes que m!ont proposé les jeunes. J!ai choisi
de les situer dans des lieux qui faisaient sens pour moi. La ligne principale du scénario,
cette fille qui vient découvrir la Baixada, était une manière de me donner un alter ego, de
pouvoir remettre en scène la découverte que j!avais eue de ce lieu en tant qu!étrangère.
C!était aussi une manière de resituer cette banlieue par rapport à Rio, montrer son
transport.
Ayant donc écrit le scénario à partir de ma propre expérience, inconsciemment j!imaginais
que Cécilia reproduirait le même rapport aux jeunes que j!avais eu. Je voulais qu!ils lui
racontent ce qu!il m!avait déjà raconté. Mais la présence et le contact de Cécilia avec eux
fut très différent. Je me suis habituée au cours du tournage à ne pas prévoir ce qui allait se
passer, à accepter que l!histoire du film découlerait de la vraie rencontre de Cecilia avec
les jeunes.
Beaucoup de choses ont changé entre ce qui était écrit dans le scénario et ce qui a été
tourné. Car bien des fois, les scènes prévues ne fonctionnaient pas, pour diverses raisons
dont il sera question dans le compte rendu.
Le principal changement fut la fin. Dans le scénario initial, j!avais prévu que la scène de fin
serait Cécilia et les jeunes qui racontent des potins sur des photos de célébrités sur un site
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internet. L!idée étant de montrer la proximité qui s!était développée entre eux, et à partir
d!internet. Mais pendant le tournage de cette scène, le deuxième jour, Cécilia n!était pas
du tout à l!aise, cela faisait forcé. J!ai donc décidé de faire la scène finale le lendemain
avec un autre duo de jeunes, qu!elle n!était pas censée rencontrer dans le scénario initial.
J!espérais qu!ainsi elle serait plus à l!aise.
La direction des personnages :
Pour Cécilia, l!actrice, c!était la première fois qu!elle allait découvrir ces jeunes, ainsi que la
banlieue de Rio, où elle n!était encore jamais allée. Elle se confondait presque avec son
personnage. Les deux seuls éléments de fiction étaient cette recherche qu!elle faisait pour
son mémoire de sciences sociale (en vrai, Cécilia étudiait le théâtre), et le fait qu!elle soit
devenue par internet amie de Carine, une des jeunes de banlieue.
Avant le tournage, j!avais dit à Cécilia qu!elle devait assumer le fait de ne pas connaître la
Baixada, de sortir d!un milieu bourgeois, de la zone sud. Je lui avais donné le scénario, lui
avais dit d!être curieuse, ouverte, d!avoir envie de connaître ces jeunes. Elle devait être
elle-même, tout en abordant des sujets de conversations particuliers. Mon idée de départ
était qu!elle arrive, se sente étrangère, et petit à petit se mette à l!aise et devienne amie
avec ces jeunes.
Filmer cette intimité se créant nécessitait une approche documentaire, une discrétion du
matériel, de l!équipe. Je l!ai ressenti dans le dernier jour. Cecilia était allongée sur l!herbe
avec les deux autres jeunes. Je me suis rendu compte que l!intimité qu!ils partageaient
était très intéressante. Ils parlaient de sujets personnels, de leur phobie sociale, de leurs
hontes. Sujets très peu abordés en se connaissant juste un jour. Mais quand on mettait en
route la caméra, le son, le clap, ils arrêtaient leur conversation et me demandaient ce
qu!ils devaient dire. Ils répétaient automatiquement ce qu!ils venaient de dire. Le clap
coupe complètement l!action, et crée une barrière entre la vie réelle et le moment du
tournage, cette barrière dont le but de ce projet est de l!abolir.
Faire répéter les scènes n!était pas très satisfaisant. Ils perdaient leur naturel très
rapidement. Ils arrivaient directement au but de la conversation. De la même manière,
mon erreur a été de vouloir faire redire au personnage ce qu!ils m!avaient déjà dit, car la
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plupart du temps ils n!étaient pas dans la même énergie, avaient oublié leur propos. La
scène où Mayara fait un discours sur le monde virtuel illustre bien ce problème. Elle avait
une énergie lors des premières images que j!avais fait d!elle avec ma caméra mini DV, qui
n!était plus là un mois après, dans le tournage de fiction. Elle n!avait plus envie de dire la
même chose. Et quand je lui demandais de redire ce qu!elle m!avait dit, elle ne se
rappelait plus, je lui dictais presque les mots.
Le dialogue
Le dialogue se créait avec un thème, une situation. Je demandais à l!un des participants
de commencer avec une phrase
pour déclencher le sujet.
Le dialogue dérivait très
rapidement vers des sujets qui étaient peu en lien avec le sujet du début. Je n!osais pas
assez intervenir, et laissait le dialogue dériver dans l!attente que il puisse revenir à ce qui
m!intéressait, ou découvrir une phrase, une idée intéressante à laquelle je n!avais pas
pensé.
Le problème de ce type de tournage, est qu!il est très dur de demander aux personnages
de dire juste une phrase. Ils ne sont pas naturels. Il faut que les situations ait elle-même
assez de cohérence pour pouvoir prendre le tout. Plus je laisse la spontanéité s!installer
dans les scènes de conversation, plus ma ligne de fiction doit être rigoureuse, simple, et
claire.
Les Repérages son et lumière
À l!origine, mon idée était de faire toutes les rencontres arrivée en un jour. Que ce soit une
journée où elle passe de cet état d!étrangeté à une identification avec ces jeunes. Dès le
premier jour de tournage je me suis rendu compte que ça ne marcherait pas. Ma première
erreur a été les repérages lumière : au Brésil le soleil se couche à 5h de l!après midi, et
commence déjà à décliner dès 3h. Les journées de tournage étant de 9h à 18h, le soleil
changeait sans cesse. A l!origine, je voulais tourner des scènes l!après midi (lumière
latérale) qui devait se passer avant des scènes tournées le lendemain à midi. Dans la
journée de tournage du Lundi, qui était sensée être juste la matinée, on voyait le soleil se
coucher. J!ai donc changée rapidement le scénario pour que finalement l!histoire s!étale
sur trois jours, comment dans la réalité.
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Avant de tourner, j!avais fait la liste des lieux où je voulais tourner. J!étais allée faire des
repérages pour certaines séquences. Premièrement je n!avais pas du tout pensé au son.
J!ai filmé des séquences entières au bord de route avec un bruit de transit énorme,
couvrant parfois les paroles des acteurs. Et j!avais fait une partie de mes repérages une
journée de temps gris. Or il a fait un soleil éclatant les trois jours de tournage. Les mêmes
lieux bien adapté par temps gris devenaient insupportable sous le soleil, et moins
intéressants visuellement.
L!organisation de l!équipe
L!équipe était formée de trois personnes. A l!origine, J!étais seule à la réalisation et au
cadre, Rodrigo était ingénieur du son, et Stéphanie était scripte et faisait le clap. Au bout
du premier jour je me suis rendu compte que l!organisation de l!équipe ne marchait pas. Je
n!arrivais à me concentrer sur rien, n!étais pas habituée à la caméra qui était difficile à
gérer car peu ergonomique et une course de point très courte.
Le deuxième jour, on a donc décidé que Rodrigo ferait l!image, Stéphanie le son, et moi, je
me concentrerais sur la direction et ferais le rapport script. C!était bien mieux pour moi, car
je n!avais pas besoin de me concentrer sur des problèmes techniques. Mais cette nouvelle
répartition créait d!autres problèmes : Stéphanie n!avait jamais fait de son, donc Rodrigo
prenait beaucoup de temps pour lui enseigner et l!assister, et Rodrigo ayant fait peu
d!image, c!est moi qui l!assistais. Dans une période de tournage courte (trois jours et
demi), cela ne nous a pas laissé le temps de s!adapter à notre poste et d!avoir des
habitudes mises en place.
Entre le tournage de fiction et documentaire
Pendant le tournage, on était toujours entre deux types fonctionnement :
- Soit l!on mettait les acteurs en situation, mettait la caméra sur pied, cadrait, je leur
disais ce qu!il fallait faire, on répétait la scène, faisait le clap et tournait.
- Ou bien l!on mettait les acteurs en situation sans leur dire que faire, laissait les
choses arriver, prenait la caméra en crosse épaule et suivait. Dans cette
configuration la on doit toujours être à l!affût et la caméra doit se faire oublier.
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Une solution correspond plus au mode fiction et l!autre au mode documentaire. Passer
d!un fonctionnement à l!autre générait des problèmes de fonctionnement au niveau de
l!équipe. Je n!expliquais pas dans quel mode je voulais cette scène, et souvent l!équipe
me voyait prendre la caméra sans savoir ou je voulais aller.
Les problèmes de sécurité de tournage
Le dernier jour, je voulais tourner des plans dans la ville de Rio, pour filmer le trajet entre
le centre de Rio et la banlieue. Une des scènes prévues était un plan à l!arrêt de bus de la
plage de Botafogo. Pour pouvoir avoir un bon point de vue, nous devions filmer depuis le
terre plein central. Une fois la caméra mise en place, des jeunes à l!air patibulaire se
rapprochaient de nous. On est donc partis rapidement sans avoir tourné le plan. Dans la
séquence d!après prévu cette matinée, à la gare central du Brésil, on a commencé à se
faire encercler par des mendiants, car ils avaient repéré que l!on avait du matériel. Sous
les conseils de mes acolytes brésiliens, nous sommes partis sans demander notre reste.
J!avais entendu que ces lieux étaient dangereux, mais je n!en avais pas tenu compte. Je
me suis rendu compte avec ce tournage que s!intégrer dans le réel nécessitait quelques
précautions que j!avais négligées.
Conclusion
Pour conclure ce compte-rendu, je me rends compte que beaucoup de choses que j!avais
imaginé n!ont pas marché, que la confrontation au réel ne permettait pas de prévoir
exactement ce qui allait se tourner. Et pour cela il est d!autant plus important de très bien
préparer le tournage, d!être très organisé pour s!adapter à toutes les situations. Or,
comme je l!ai mentionné plus haut, j!ai fait une série d!erreurs et d!oublis qui ont rendu
l!organisation du tournage très chaotique. Je pense que ces fictions in situ nécessitent une
grande rigueur d!organisation, le scénario a besoin d!être très logique, d!avoir une ligne
directrice forte simple et claire, car le tournage est chaotique et peut rapidement perdre sa
cohérence. Je suis satisfaite de l!expérience, de certains plans du film, mais dans
l!ensemble je pense que cela reste à un niveau d!expérimentation et que ce n!est pas
abouti.
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