FERREIRA Marie-Jo, "Identité et immigration : Les Portugais du

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FERREIRA Marie-Jo, "Identité et immigration : Les Portugais du
FERREIRA Marie-Jo, "Identité et immigration : Les Portugais du Brésil, acteurs des
relations luso-brésiliennes, fin 19ème- début 20ème siècle", dans Archéologie du sentiment
en Amérique latine. L’identité entre mémoire et histoire 19e-20e siècles, (Denis Rolland,
coord.), Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 61-76.
Considérée dans le long terme, l’immigration portugaise au Brésil n’a pratiquement
pas cessé du XVIe au XXe. Elle a forgé le cœur de l’identité coloniale ; mais son poinds
relatif a continué à imprégner la construction nationale brésilienne et à la différencier
sensiblement des peuples voisins d’Amérique du sud.
Certes, après trois siècles de colonisation, le Brésil devient indépendant en 1822 et
tous les Portugais du Portugal ne sont plus désormais nécessairement bienvenus. Si toutefois
les deux pays maintiennent globalement des relations cordiales, justifiées essentiellement par
des intérêts économiques et démographiques1, les trajectoires politiques du Portugal et du
Brésil divergent peu à peu au cours du 19e siècle. Sur le plan politique, et en particulier en
politique étrangère, le Portugal et le Brésil ont peu d’intérêts communs. La politique
extérieure du Brésil est principalement tournée vers Buenos-Aires, Londres et Washington, où
se concentrent ses intérêts commerciaux et géopolitiques2. La politique étrangère du Portugal
est quant à elle axée sur trois points : la question coloniale, la recherche de la neutralité dans
le contexte européen et l’établissement de liens politiques cordiaux avec l’Espagne3.
Pourtant, à la fin du 19ème siècle, le gouvernement portugais adopte une nouvelle
stratégie à l’égard du Brésil, en essayant de se rapprocher politiquement de son ancienne
colonie4. Ce projet s’inscrit dans une politique d’efforts du gouvernement portugais pour
1
Les relations luso-brésiliennes au 19ème siècle sont essentiellement dominées par deux questions majeures : le
maintien de flux financiers et commerciaux entre les deux pays et une importante émigration portugaise vers le
Brésil. Sur cette question, on peut se reporter aux chapitres 3 et 4 de Amado Luiz Cervo, José Calvet de
Magalhães, Depois das caravelas. As relações entre Portugal e Brasil 1808-2000, Brasília, Editora Universidade
de Brasília, 2000 (Organização : Dário Moreira de Castro Alves), pp. 129-200.
2
On peut notamment se reporter sur ce sujet au chapitre sur la politique extérieure brésilienne après
l’indépendance dans Amado Luiz Cervo, Clodoaldo Bueno, História da política exterior do Brasil, São Paulo,
Editora Atica, 1991, pp. 13-134.
3
Dans un mémorandum daté du 5 mai 1859 envoyé au Prince Albert d’Angleterre, le roi portugais, Dom Pedro
V, donne une définition générale de la politique extérieure portugaise, sur la base de la neutralité portugaise, de
l’entente avec l’Espagne, sans rupture d’alliance avec l’Angleterre. Pedro Soares, Martinez, História diplomática
do Portugal, Lisboa, Verbo, p. 451.
4
Cette nouvelle stratégie politique se manifeste de différentes façons : l’arbitrage du gouvernement portugais en
faveur du Brésil, en conflit avec l’Angleterre à propos de la souveraineté sur une île au large des côtes
brésiliennes (cet arbitrage portugais est largement décrit dans un dossier aux Archives du ministère des Affaires
étrangères portugais : fichier divers Brésil, “Questão entre o Brasil e a Inglaterra relativamente á soberania da
Ilha da Trindade ” , 2° Piso, Cx 1068, M2, A14 ) ; Le roi portugais Dom Carlos I projette de faire un voyage
officiel au Brésil en 1908, dans le but d’œuvrer à ce rapprochement politique luso-brésilien. Le régicide du roi en
février 1908 met un terme à ce projet. On peut notamment voir sur ce sujet : Rodrigues Cavalheiro, “Dom Carlos
I e o Brasil”, dans Política e História, Lisboa, 1960 (pp. 123-144).
s’affirmer comme puissance coloniale moderne face aux convoitises des nations européennes
sur les colonies portugaises d’Afrique5. En valorisant ses rapports avec son ancienne colonie,
le gouvernement portugais prétend ainsi garantir sa position sur la scène internationale
comme métropole culturelle et coloniale cohérente face à ses concurrents européens6.
Les immigrés portugais au Brésil sont les principaux agents de cette politique de
rapprochement. Plus précisément, au sein de la colonie portugaise, une fraction s’est
organisée pour défendre ses intérêts et agir comme groupe de pression. Cette élite
d’intellectuels et de commerçants se présente comme les représentants des intérêts portugais,
agissant comme interlocuteurs légitimes dans les relations officielles entre le Portugal et le
Brésil.
L’intégration de la colonie portugaise au sein de la société brésilienne
Jusque dans les années 1930, le Brésil constitue la destination préférée d’une
importante émigration portugaise7. Plus d’un million de Portugais seraient partis au Brésil
entre 1889 et 19308. Loin de constituer un bloc monolithique, homogène et uni, la colonie
portugaise au Brésil est caractérisée par de nombreuses divisions économiques, sociales et
politiques.
L’un des facteurs en est le profil structurel de l’émigration portugaise qui a évolué au
cours du 19ème siècle. Après l’indépendance brésilienne, les premières générations d’émigrés
portugais qui arrivent au Brésil sont accueillies pour la plupart dans de bonnes conditions,
souvent recommandées auprès de parents et amis établis à Recife, Bahia ou Rio et, pour une
grande majorité, dirigées vers des emplois liés au commerce. Fin 19ème siècle, l’émigration
portugaise évolue vers une émigration plus massive, majoritairement plus pauvre, sans réseau
d’accueil au Brésil. Les conditions d’intégration et de réussite ne sont évidemment pas les
5
Depuis la fin du 19ème siècle, les colonies portugaises en Afrique sont effectivement l’objet de convoitise des
puissances européennes. Suite à un ultimatum imposé par Londres en janvier 1890, le Portugal a dû renoncer à
un vaste territoire africain reliant l’Angola et le Mozambique et, en 1898, l’Angleterre et l’Allemagne ont signé
une convention prévoyant l’établissement de sphères d’influence sur les territoires coloniaux portugais et
l’annexion postérieure éventuelle de ces territoires. Sur la question de l’ultimatum, on peut notamment se
reporter à Pedro Soares Martinez, História diplomática do Portugal, op. cit., pp. 507-510. Sur le traité de 1898
entre l’Angleterre et l’Allemagne : A.H. Oliveira Marques, Histoire du Portugal et de son empire colonial, Paris,
Ed. Karthala, 1998, p.435.
6
L’Angleterre et l’Allemagne justifient notamment leurs projets de conquête en Afrique en évoquant la
mauvaise gestion des colonies portugaises et l’impossibilité pour le Portugal de civiliser et de valoriser les pays
africains. Voir sur ce sujet : Severiano Teixeira, L’entrée du Portugal dans la grande guerre, Lisboa,
Economica, CPHM, pp. 98-100.
7
Entre 1891 et 1911, l’émigration portugaise vers le Brésil représente environ 93 % de l’émigration portugaise
globale, 71,5 % entre 1912 et 1930. João Evangelista, Um seculo de população portuguesa, Lisboa, I.N.E., 1971,
p. 54.
8
João Evangelista, Um seculo de população portuguesa, Lisboa, op. cit., p. 54.
mêmes pour tous. Il n’y a pas d’homogénéité économique et sociale des Portugais au Brésil
qui, fin 19ème siècle, se distribuent sur une large échelle sociale, de l’ouvrier et du caissier à la
base, au riche commerçant et au banquier à l’autre extrême. Si une large majorité de la
population portugaise au Brésil est une population pauvre et ouvrière, les quelques Portugais
qui réussissent, les “brasileiros”9 entretiennent le rêve et le flux de l’émigration portugaise.
Ces “brasileiros” constituent une élite, qui domine la colonie portugaise et qui joue également
un rôle important dans la vie politique, économique et sociale du Brésil.
Le pouvoir économique de cette élite provient majoritairement du commerce. Dans la
seconde moitié du 19ème siècle, le commerce d’importation, en particulier celui du textile,
permet à ces commerçants portugais d’accumuler des capitaux, réinvestis dans l’immobilier,
la finance ou l’industrie. L’expansion de l’industrie textile à Rio, fin 19ème siècle, a
notamment été possible grâce aux investissements de capitalistes portugais. Les Portugais
sont également pionniers dans l’industrie du tabac au Brésil10.
Cette élite portugaise se caractérise par un fort esprit associatif. Différents facteurs
sont à l’origine de l’important réseau associatif portugais qui se constitue tout au long du
19ème siècle.
La volonté de remédier au manque d’aide consulaire pour assister et protéger les
émigrés portugais pousse à la création d’associations philanthropiques. C’est le cas par
exemple de la Sociedade Portuguesa de Beneficência de Rio, créée en 1840 à l’initiative de
Francisco João Muniz, secrétaire au consulat général du Portugal, et d’un riche commerçant
portugais, José Marcelino Da Rocha. Son objectif est d’aider les résidents portugais au Brésil,
en secourant les indigents, en aidant les immigrés à trouver du travail, en soutenant les
prisonniers, en enterrant les pauvres. Très vite, l’association devient la plus solide et la plus
renommée des associations philanthropiques, servant d’exemple dans d’autres villes du
Brésil. A Beneficência connaît à partir de 1870 une grande expansion, grâce à l’appui d’un
groupe financier dirigé par le banquier portugais, José Dos Reis, président de l’association de
9
Les “Brésiliens” sont au Portugal les émigrés qui ont réussi à faire fortune au Brésil.
Il n’y a pas encore aujourd’hui d’ouvrage général sur l’immigration portugaise au Brésil, en particulier sur sa
place et sa fonction dans la société brésilienne. L’historiographie sur ce thème s’est longtemps limitée à des
ouvrages écrits par des Portugais, il y a plus de 50 ans, dans l’intention de valoriser la présence et l’action de
l’immigration portugaise au Brésil. Aujourd’hui, un certain nombre de chercheurs tente d’y remédier. On peut
notamment noter le travail du brésilien Jorge Alves sur le rôle politique, économique et culturel de l’élite
portugaise à Rio au début du 20ème siècle : Jorge Luís dos Santos Alves, Imigração e xenofobia nas relações
luso-brasileiras, 1890-1930, Rio de Janeiro, Universidade do Estado do Rio de Janeiro, 1999. On peut également
noter le travail très intéressant de Tania Monteiro sur la place de la communauté portugaise dans le commerce de
Bahia au 19ème siècle : Tania Penido Monteiro, Portugueses na Bahia na segunda metade do século XXEmigração e comércio, Porto, Secretaria de Estado das Comunidades Portuguesas-Centro de Estudos, 1985.
10
1871 à 1887. Il contribue notamment à l’agrandissement et à la construction d’hôpitaux de
Rio, faisant de l’association une référence parmi les institutions d’assistance hospitalière de la
capitale fédérale à la fin du 19ème siècle11.
Le second type d’association répond à la volonté de l’élite portugaise de diffuser la
culture portugaise au Brésil, pour maintenir et valoriser son identité culturelle. C’est
notamment le cas du Real Gabinete Português de Leitura, fondé le 10 septembre 1837 dans
une maison particulière. L’association obtient très vite l’appui de membres de la colonie
portugaise et devient une des plus importantes sociétés littéraires de l’Empire, dont la
bibliothèque rivalise, par ses archives et par ses activités, avec la Bibliothèque nationale.
Après avoir maintes fois changé d’adresse, au fur et à mesure de son expansion, l’association
s’installe définitivement en 1880, grâce à des subventions publiques et des donations, dans un
immeuble de style manuélin construit spécialement pour elle. Le Gabinete organise des
sessions littéraires et commémoratives, des congrès et des rencontres artistiques. La
bibliothèque, qui est la plus grande bibliothèque privée de toute l’Amérique Latine au 19ème
siècle, est en libre consultation. L’association entretient des liens très étroits avec l’Académie
brésilienne de Lettres. A ses débuts, entre 1900 et 1904, l’Académie organise ses sessions au
Gabinete, sous la présidence de Machado de Assis, en attendant de trouver son propre lieu.
Aujourd’hui, l’association compte une bibliothèque qui réunit autour de 350 000 volumes et
reçoit quotidiennement plus de 200 lecteurs12.
Outre les associations de type philanthropique et culturel, l’esprit associatif
portugais donne également naissance à des clubs sportifs et artistiques. En 1868, est créé par
exemple le Clube Ginástico Português à Rio, qui développe une intense activité artistique et
sportive13.
Ces associations ont donc un rôle non négligeable dans la vie sociale, culturelle et
sportive de la société brésilienne. Elles pallient le manque d’assistance et d’aide des autorités
11
Pizarro Loureiro, História da Beneficência Portuguesa (1840-1955), Rio de Janeiro, 1960. On peut également
citer la Caixa de Socorros Dom Pedro V, créée en 1863, et qui est l’autre grande association philanthropique de
la colonie portugaise. L’association distribue l’aumône dans les cas les plus urgents, protège les veuves et les
orphelins et assiste médicalement ceux qui en ont besoin. Elle bénéficie, dès le début, d’un solide patrimoine et
poursuit ses activités jusqu’à aujourd’hui. Les membres de l’association sont tous portugais mais son action
s’étend aux autres immigrés ainsi qu’aux Brésiliens. Amado Luiz Cervo, José Calvet de Magalhães, Depois das
caravelas. As relações entre Portugal e Brasil 1808-2000, op. cit., p. 248.
12
Pedro Ferreira da Silva, Fundamentos e Actualidade do Real Gabinete Português de Leitura, Edição
comemorativa do 140° aniversário de Fundação, Rio de Janeiro, Real Gabinete Português de Leitura, 1977. On
peut également citer, parmi ce type d’associations portugaises, le Retiro Literário Português, fondé le 30 juin
1859 ou le Liceu Literário Português, créé le 24 août 1968, qui propose des cours nocturnes gratuits
d’instruction primaire et secondaire sans distinction de classe ni de nationalité : O Lyceu Literário Portuguez
(1868-1884), Rio de Janeiro, 1884.
13
Jorge Luís dos Santos Alves, Imigração e xenofobia nas relações luso-brasileiras, 1890-1930, op. cit. pp. 6970.
consulaires portugaises auprès des ressortissants portugais au Brésil et assument la fonction
de réaliser des échanges culturels entre le Portugal et le Brésil, en l’absence d’une politique
culturelle entre les gouvernements des deux pays. Toutes ces institutions dépendent des
donations et subsides versés par l’élite portugaise, qui crée et fait vivre ces associations,
poursuivant ainsi divers objectifs : manifester son pouvoir à l’intérieur de la colonie
portugaise et donc se présenter comme les représentants légitimes des intérêts portugais face
aux gouvernements portugais et brésilien ; lui assurer au sein de la société portugaise
métropole14 comme au sein de la société brésilienne un certain prestige sociale. Le patronage
et l’exercice de charges de prestige au sein de ces associations permettent à l’élite portugaise
de capitaliser le potentiel social acquis à travers l’accumulation de richesses.
L’élite portugaise est également très présente dans la vie intellectuelle brésilienne,
notamment dans le milieu de la presse. De nombreux journalistes portugais écrivent dans les
principaux journaux brésiliens. Certains titres de la presse brésilienne ont été créés ou sont
dirigés un moment par des Portugais. C’est le cas par exemple du quotidien de Rio, le Jornal
do Commercio. Leonardo Caetano de Araújo (1808-1904) le dirige dans les années 1850.
D’abord employé dans le commerce de détail quand il arrive au Brésil en 1832, il entre au
service du quotidien de Rio en 1840 où il est d’abord d’emballeur de journaux, puis
journaliste avant de devenir directeur du journal. Quelques années plus tard, le Jornal do
Commercio est dirigé par un autre Portugais : António Ferreira Botelho est gérant associé du
quotidien entre 1914 et 1923. Il profite de sa gérance pour installer le siège de la Chambre
portugaise de Commerce et d’Industrie de Rio dans le même immeuble que le journal,
institution commerciale dont Botelho est président à partir de 191415.
Les liens étroits entre le milieu du commerce portugais et la presse de Rio, au début du
20ème siècle, ont été longuement soulignés par le grand spécialiste de la presse brésilienne,
Nelson Werneck Sodré. Pour cet historien, les journaux de la capitale fédérale sont
extrêmement dépendants du commerce portugais de Rio au début du 20ème siècle16. L’histoire
du périodique O Paiz, autre grand journal brésilien fortement marqué par une présence
portugaise, témoigne également de ces liens. O Paiz est fondé et dirigé à ses débuts, en 1884,
14
Sous la monarchie portugaise, la participation à ces institutions permet l’accès à l’anoblissement et aux titres
concédés par les rois du Portugal, s’insérant dans un processus de légitimité sociale de fortunes récentes acquises
par des individus parfois d’origine modeste. Jorge Luís dos Santos Alves, Imigração e xenofobia xenofobia nas
relações luso-brasileiras, 1890-1930, op. cit., p. 107.
15
Jorge Luís dos Santos Alves, Imigração e xenofobia nas relações luso-brasileiras, op. cit., p. 89.
16
Nelson Werneck Sodré, História da Imprensa no Brasil, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 1966, p. 324.
par le portugais João José dos Reis, importante personnalité du milieu commercial et financier
de Rio. En 1902, le journal passe sous la direction d’un autre immigré portugais, exilé
politique après la révolution républicaine de Porto de 1891, João de Sousa Lage (1870-1925).
Par d’obscurs procédés financiers, João Lage devient même propriétaire du journal. Il le
développe de façon spectaculaire, en employant notamment d’excellents professionnels à la
rédaction, permettant au O Paiz de devenir l’un des plus importants périodiques de Rio17.
Parallèlement, João Lage investit dans différentes affaires industrielles. Pour Werneck Sodré,
João Lage profite du contrôle qu’il exerce sur l’un des principaux titres de la presse
brésilienne de l’époque pour développer ses affaires privées :
“João Lage était réellement typique du journaliste corrompu, de l’opinion vendue, en collusion
avec le pouvoir, recevant de ce dernier des avantages matériels en échange de la position du
journal”18.
L’élite de la colonie portugaise au Brésil développe également toute une presse
typiquement portugaise, s’adressant en priorité aux Portugais qui vivent au Brésil. Selon la
liste non exhaustive de Maria Beatriz Nizza da Silva, dans son ouvrage sur les sources de
l’immigration portugaise au Brésil, on dénombre plus de 40 titres à Rio et São Paulo entre
1850 et 195019. Apparaissent également dans les années 1910-1920 des revues “lusobrésiliennes”, destinées à informer des liens passés et présents entre le Portugal et le Brésil et
à encourager les échanges et le rapprochement entre les deux pays. C’est par exemple le cas
de Lusitânia, sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
On ne peut pas parler du milieu intellectuel portugais au Brésil sans évoquer déjà le
journaliste et écrivain, Carlos Malheiro Dias, qui est certainement l’un des intellectuels les
plus importants de la colonie portugaise au Brésil, à la fois parce qu’il est l’un des plus actifs
et des plus écoutés au sein de cette colonie mais aussi parce qu’il est largement reconnu dans
les milieux intellectuels brésiliens. En témoigne ce message de l’ambassadeur brésilien à
Lisbonne en 1922 : “M. Malheiro Dias jouit, par sa valeur personnelle, d’un grand prestige dans les
milieux intellectuels brésiliens”20. Fils de père portugais et de mère brésilienne, Carlos Malheiro
17
Nelson Werneck Sodré, História da Imprensa no Brasil, op. cit., pp. 381-384.
“João Lage tipificou, realmente o jornalista corrupto, de opinião alugada, conluiado com o poder, dele
recebendo benefícios materiais em troca da posição do jornal”, Nelson Werneck Sodré, História da Imprensa
no Brasil, op. cit., p. 381.
19
Maria Beatriz Nizza da Silva, Documentos para a historia da emigração portuguesa no Brasil : 1850-1938,
Rio de Janeiro, Nórdica, 1992, pp. 114-115.
20
“Sr Malheiro Dias goza, pelo alto valor pessoal, de um grande prestígio nos meios intellectuaes brazileiros”.
Archives du ministère des Affaires étrangères brésilien, Correspondências, Missões diplomáticas brasileiras,
(215/1/01), ofício, Lisboa, 21 fév. 1922, A. de Fontoura Xavier.
18
Dias naît à Porto en 1875. Il devient célèbre avec son roman, publié en 1896, A Mulata21,
histoire de perdition et d’amour entre un jeune homme et sa maîtresse, une mulâtresse. Le
roman est considéré de type naturaliste, car Dias y traite de la prostitution et du vice à Rio,
qu’il personnalise dans le rôle de cette jeune métisse, la mulâtre Honorina, “le mauvais sang
de la race noire”. Malgré ses détracteurs, ses talents littéraires lui valent un grand succès au
Portugal comme au Brésil, où il est invité à devenir membre de l’Académie brésilienne de
Lettres en 1907. Monarchiste convaincu, il doit s’exiler au Brésil en 1912, où il mène une
intense activité journalistique, collaborant et dirigeant de nombreuses publications22.
Malgré ses positions politiques souvent radicales23, Carlos Malheiro Dias est considéré
comme le porte-voix de la colonie portugaise dans les années 1910-1920, porte parole d’un
discours sur l’unité de la colonie portugaise et sur la valorisation de la présence portugaise au
Brésil.
Les représentations de l’élite portugaise au Brésil
L’élite portugaise au Brésil s’emploie effectivement à effacer les diversités sociales,
économiques et politiques de la colonie portugaise par l’élaboration d’un discours d’union et
de communion autour de l’affirmation de l’identité nationale portugaise.
Sous l’influence de divers facteurs – une présence importante de Portugais dans le
commerce, l’arrivée massive d’une émigration portugaise paysanne pauvre, un courant
nationaliste brésilien anti-portugais – l’image des Portugais au Brésil est plutôt dévalorisante :
l’image du riche commerçant enrichi sur le dos des Brésiliens alterne avec celle du pauvre
travailleur analphabète inculte et d’une communauté portugaise en perpétuelle dispute
politique.
L’élite portugaise s’efforce de corriger cette image. Elle oppose à l’image de
l’immigré inculte et parasitaire celle d’un travailleur obéissant et apolitique et s’emploie à
démontrer que l’immigré portugais est “honnête, travailleur, sobre, ordonné, tolérant, hardi
et charitable”24 , se distinguant de la légion des exclus sociaux qui déambulent dans les rues
de Rio. Elle véhicule l’idée que le Portugais n’est pas un immigré comme les autres, que les
21
Carlos Malheiro Dias, A Mulata, Lisboa, SE, 1896.
Nelson H Vieira., Brasil e Portugal : a imagem reciproca, Lisboa, Instituto de cultura e Lingua portugues,
1991, p. 150.
23
Carlos Malheiro Dias est lié au mouvement nationaliste catholique intégral Portugais, “Integralismo
Lusitano”, directement influencé par l’Action Française, revendiquant entre autres un régime autoritaire pour le
Portugal.
24
“honesto, trabalhador, sóbrio, ordeiro, tolerante, arrojado e caritativo”. Cité dans Pedro Muralha, Portugal no
Brasil, Lisboa, Tip. Luso-Gráfica, 1927, p. 83.
22
Portugais ne sont pas des étrangers au Brésil, puisque Brésiliens et Portugais sont liés par
l’histoire, la race, la langue et la foi religieuse. L’apport de l’immigration portugaise est donc
mis en valeur comme un élément positif pour le Brésil et le peuple brésilien, qui évite ainsi
une “dénationalisation” de sa culture, menacée par l’immigration de peuples de race, de
langue, de tradition ou de religion différentes.
Le journaliste portugais, Alexandre de Albuquerque, qui travaille au Brésil dans
différents quotidiens et revues, parle même de la fièvre jaune comme facteur de maintien de
l’influence lusitanienne dans la nationalité brésilienne : la maladie aurait agi comme un
obstacle pour la fixation au Brésil de courants migratoires européens, dont les caractéristiques
culturelles et ethniques pouvaient altérer le caractère brésilien. L’immigré portugais,
facilement assimilable dans le creuset brésilien, n’a pas été arrêté par l’épidémie et s’est
répandu dans tout le territoire, permettant au peuple brésilien de conserver les caractéristiques
initiales de son identité en renforçant l’influence lusitanienne de la nationalité brésilienne :
“Le fond de la brésilianité était et est le lusitanisme, mais si le tourbillon migratoire des races
hétérogènes avait alors frappé le Brésil, un tel fond n’aurait pas résisté, aurait été dissous dans
ce tourbillon et la brésilianité, qui est un développement du lusitanisme, aurait aujourd’hui un
caractère bien différent, peut-être indéfini, mais étranger à celui des héros qui, dans le calvaire
de l’histoire, ont préparé la grande nationalité brésilienne pour ses destins immortels”25.
L’exaltation du travail de l’immigré portugais est articulée à la valorisation de l’élite,
mise en valeur dans son action philanthropique et culturelle. L’élite assume le devoir de
conduire et de représenter la masse :
“Aujourd’hui, comme toujours, au sein de la colonie, apparaissent des hommes providentiels et
dévoués, quelques fois obscurs, presque toujours modestes, qui se substituent au pouvoir
infécond de la foule, interprètent leurs aspirations subconscientes, les protègent et défendent
leur patrimoine. Ce furent ces hommes qui fondèrent les grandes œuvres humanitaires et
culturelles de la colonie. Ils ont veillé sur elles, les ont servies, les ont faites grandir et les ont
enrichies avec zèle”26.
25
“O fundo da brasilidade era, e é, o lusitanismo, mas se então o turbilhão migratório das raças heterogenias
tivesse caido sobre o Brasil, tal fundo não resistiria, seria dissolvido nesse turbilhão e a brasilidade que é um
desdobramento do lusitanismo, teria hoje uma característica bem diversa, talvez indefinida, mas diferente da
dos heróis, que no calvário da história, prepararam a grande nacionalidade brasileira para os seus destinos
imortais”. Cité dans Pedro Muralho, Portugal no Brasil, op. cit., p. 225.
26
“Hoje, como sempre, no seio da Côlonia aparecem homens providenciais e abnegados, às vezes obscuros,
quase sempre modestos, que se substituem ao poder infecundo da multidão, interpretam as suas aspirações
subconscientes e lhe tutelam e acautelam o patrimônio. Foram esses homens que fundaram as grandes obras
humanitárias e culturais da colônia. Zelosamente velam por elas, as servem, as engrandecem e as enriquecem”.
Les associations portugaises doivent être le reflet de l’union de la colonie portugaise
autour de la nationalité et de l’identité portugaise qui sont maintenues vivantes dans ces
institutions. Ces associations sont financées et contrôlées par l’élite, qui constitue ainsi le lien
entre la colonie portugaise et sa terre natale et entre la colonie portugaise et son pays adoptif.
L’œuvre philanthropique et culturelle de la colonie portugaise au Brésil représente en
conséquence “la matérialisation d’un Portugal réinventé de l’autre côté de l’Atlantique”27, un
Portugal qui se prolonge au delà de l’Europe, à travers ses immigrés, fils expatriés mais
encore patriotes.
L’élite portugaise au Brésil défend la nation portugaise et valorise la présence et
l’héritage du Portugal et des Portugais dans la construction de la société brésilienne.
L’História da Colonização Portuguesa do Brasil28, œuvre à caractère scientifique,
artistique et littéraire, dont le premier volume sort en 1921, est particulièrement représentatif
de cette stratégie de l’élite portugaise. L’œuvre est dédiée aux commémorations du premier
centenaire de l’indépendance du Brésil. Carlos Malheiro Dias est responsable de la direction
et de la coordination littéraire de la publication, qui est financée en grande partie par
l’industriel portugais Albino Souza Cruz. Selon ce dernier, ce travail aurait été suggéré par la
Chambre portugaise de Commerce et d’Industrie du Pará29. L’intention de l’œuvre est de
glorifier le rôle du Portugal et des Portugais dans la formation de la nation brésilienne. Dans
une conférence sur le projet de cet ouvrage, Carlos Malheiro Dias énonce ses objectifs :
“Il est temps pour le Portugal de venir déposer devant le Tribunal de l’Histoire, en exhibant les
certitudes de ses archives et en revendiquant pour le Brésil l’honneur d’avoir été la première
colonie de l’Amérique dans laquelle s’est créé le sentiment de la patrie ; celle dans laquelle les
Lettres et les Arts se sont développés le plus vite ; celle où les plus grands sacrifices ont été
bravés pour défendre son intégrité (…) L’importance de ce travail austère de sciences
historiques devra assumer, dans les relations entre les deux peuples comme dans l’exaltation de
la conscience nationale brésilienne, une grandeur qui doit dépasser toutes les petites querelles
et tous les sophismes (…) Une race qui a donné en Europe des figures de la stature de
Bartolomeus Dias, de Vasco de Gama (…) et qui a donné en Amérique la descendance
chevaleresque des héros de guerre contre la Hollande, le talent politique du Baron de Rio
Branco, du Maréchal Floriano, le génie de Rui Barbosa, de Gonçalves Dias, d’Euclides da
“Discurso do Sr Carlos Malheiro Dias proferido no lançamento da pedra fundamental em 10.09.33”, dans Liceu
Literário Português : 100 anos de vida a serviçodo ensino e da cultura, Rio de Janeiro, 1968, p. 34.
27
L’expression est de Rui Ramos, “A segunda Fundação (1890-1926)”, dans José Mattoso (dir.), História de
Portugal, Lisboa, Editorial Stampa, 1993-1994, vol. IV, pp. 588-589.
28
Carlos Malheiro Dias (org.), História da Colonização Portuguesa do Brasil, Porto, Litografia Nacional, 1921.
29
Carlos Malheiro Dias (org.), História da Colonização Portuguesa do Brasil, op. cit., p. 2
Cunha, de Machado de Assis, (…) ne mérite pas d’être supplantée dans son domicile
géographique par d’autres races et doit trouver la résistance d’une conscience nationale
orgueilleuse de ses traditions et de ses origines, pour ne pas convertir en une âme hybride et
inconsistante cette âme idéaliste créée depuis l’embryon, au sein maternel racial”30.
Dans l’introduction du premier volume, Albino Souza Cruz exprime la volonté des
responsables de l’œuvre de réaffirmer l’importance de la religion, de la langue et de la
fraternité comme caractéristique des relations luso-brésiliennes et le rôle fondamental des
immigrés portugais dans cette fraternité, car “l’amour inextinguible entre le Portugal et le Brésil
ne pourrait continuer à exister sans la présence de l’immigré portugais”31. La vision de la
colonisation portugaise au Brésil, divulguée par Carlos Malheiro Dias, peut être appréhendée
en trois points basiques :
-
Les Portugais ont improvisé une civilisation dans les Tropiques, en dominant non
seulement la sauvagerie des “indiens sanguinaires” mais aussi la nature tropicale. Les
Portugais ont apporté des soldats, des laboureurs, des semences et des animaux
domestiques au Brésil, amenant ainsi les symboles de la civilisation pour domestiquer la
terre.
-
Le Portugal a apporté le sang, la langue et la religion au Brésil, dominé par la barbarie.
-
Ayant dominé la terre et imposé la civilisation, le Brésil est une preuve évidente des
capacités portugaises, “un superbe trophée de notre gloire”32.
Pour Carlos Malheiro Dias, la colonisation portugaise a donc permis l’établissement d’une
fraternité luso-brésilienne, basée sur l’histoire, la race, la langue et la foi religieuse, fraternité
à laquelle il souhaite dédier l’História da Colonização Portuguesa do Brasil33.
30
“E tempo de Portugal vir depor no Tribunal da História, exibindo as certidões dos seus arquivos e
reivindicando para o Brasil a honra de haver sido a primeira colônia da América em que se gerou o sentimento
da pátria ; aquela em que mais depressa se desenvolveram as letras e as artes ; aquela que maiores sacrifícios
teve de arrostar para defender a sua integridade (…) A importância que este austero trabalho de ciência
histórica deverá assumir, tanto nas relações entre os dois povos, como na exaltação da consciência nacional
brasileira, é de uma magnitude que se sobrepõe a todas as questiúnculas e a todos os sofismas. Uma raça que
produziu na Europa figuras da estatura de Bartolomeus Dias, de Vasco de Gama (…) e que produziu na
América a prole cavalheiresca dos heróis da guerra contra a Holanda, o talento político do Barão do Rio
Branco e do Marechal Floriano, o gênio de Rui Barbosa, de Gonçalves Dias, de Euclides da Cunha, de
Machado de Assis (…) não merece ser suplantada no seu domicílio geográfico por outras raças e deve
encontrar a resistência de uma consciência nacional orgulhosa das suas tradições e das suas origens, por não
convertir em uma alma híbrida e inconsistente aquela alma idealista criada, desde o embrião,no materno seio
racial ”. História da Colonização Portuguesa do Brasil. Conferência realizada pelo eminente escritor Carlos
Malheiro Dias no Gabinete Português de Leitura, Rio de Janeiro, Companhia Litográfica Ferreira Pinto, 1921,
pp. 15-16.
31
“O amor inextinguível entre Brasil e Portugal não poderia subsistir sem a presença do imigrante português”.
Carlos Malheiro Dias (org.), História da Colonização Portuguesa do Brasil, op. cit., pp. 1-2.
32
“um soberbo troféu da nossa glória”.” Carlos Malheiro Dias (org.), História da Colonização Portuguesa do
Brasil, op. cit, p. 5.
Pour donner du crédit à ce discours et développer cette politique de relations
fraternelles luso-brésiliennes, l’élite portugaise au Brésil promeut le rapprochement
intellectuel et culturel entre le Portugal et le Brésil.
Des promoteurs d’une politique culturelle luso-brésilienne
Dans les années 1910-1920 apparaissent des revues destinées à améliorer les
connaissances et les échanges réciproques entre les deux pays. C’est par exemple le cas de la
revue Lusitânia, créé par le journaliste portugais Alexandre de Albuquerque, publiée pour la
première fois le 3 juin 1916 à Rio. Dans l’éditorial du premier numéro, Albuquerque définit
les objectifs de la revue :
“Cette revue a une inspiration très noble : être le lien subtil, par le cœur et par l’esprit, entre le
Portugal et le Brésil. Son but est de commenter, avec tendresse et affection, la vie portugaise et
brésilienne. Nous nous proposons d’observer tous les sujets de l’activité humaine, dans la
science comme dans l’art, dans le commerce comme dans l’industrie, tout ce qui concourra au
développement de la communion luso-brésilienne, à cette époque où la défense des nationalités
et des races, loin des champs de bataille, devient une impérieuse nécessité”34.
La revue Lusitânia, comme l’ensemble des journaux du même type, témoigne d’un
esprit très nationaliste :
“Le Brésil est la meilleure et la plus sûre garantie de la langue portugaise, mais à son tour, le
Portugal est la meilleure garantie du Brésil, parce qu’il continue à le transfuser de son sang
abondant et généreux, l’empêchant d’être dénationalisé au contact perturbateur du tourbillon
migratoire exotique et égaré”35.
Parmi les associations portugaises au Brésil, le Gabinete Português de Leitura
s’efforce réellement de développer les échanges culturels entre le Portugal et le Brésil. Outre
l’accès à la connaissance de la culture portugaise par l’intermédiaire de sa magnifique
33
História da Colonização Portuguesa do Brasil. Conferência realizada pelo eminente escritor Carlos Malheiro
Dias, op. cit., pp. 15-16.
34
“Esta revista tem uma aspiração muito nobre : ser um laço subtil e graçioso, pelo espirito e pelo coração,
entre Portugal e Brasil. O seu fim é comentar, com carinho e com ternura a vida portuguesa e brasileira.
Propomo-nos a observar todos os assuntos da actividade humana, na ciência como no arte, no commercio como
na indústria, tudo que concorra para o desenvolvimento da communhão luso-brasileira, neste momento em que
a defesa das nacionalidades e das raças, forá mesmo dos campos de batalha, se torna uma imperiosa
necesidade ”. Lusitânia, 03/06/1916, éditorial.
35
“O Brasil é a melhor e mais certa garantia da lingua portuguesa, mas por seu turno, Portugal é a maior
garantia do Brasil, porque continua a transfundi-lhe o abundante e generoso sangue, impedindo-lhe a
desnacionalização ao contacto perturbador do exótico e desvairado turbilhão migratório ”. Lusitânia,
03/06/1916, éditorial.
bibliothèque, l’institution organise de nombreuses rencontres artistiques et des congrès
scientifiques36.
Il faut également noter les initiatives individuelles d’intellectuels portugais. L’écrivain
portugais Fran Paxeco (1874-1952) reste pendant plus de 20 ans au Brésil, période pendant
laquelle il a fourni un maximum d’efforts pour développer les relations littéraires entre les
deux pays. On lui doit notamment l’organisation du congrès littéraire luso-brésilien en 190337.
Selon Pedro da Silveira, dans son livre, Os últimos Luso-Brasileiros, les échanges culturels
entre le Portugal et le Brésil se maintiennent au début du 20ème siècle, malgré le fait que les
étudiants brésiliens désertent les universités portugaises au profit des universités françaises38.
La présence et les efforts d’intellectuels portugais au Brésil y contribuent donc en grande
partie. La présence au Brésil d’écrivains portugais, comme Fran Paxeco ou Ferreira de
Castro39 expliquent par exemple qu’on continue à s’intéresser à la littérature portugaise au
Brésil40. La littérature brésilienne reste par contre très peu connue au Portugal au début du
20ème siècle. Dans le but de la faire connaître, l’écrivain et diplomate Alberto de Oliveira,
dans une session à l’Académie des Sciences de Lisbonne, annonce son intention de
recommander aux pouvoirs publics la création d’une chaire d’histoire, de géographie et de
littérature brésilienne dans une des facultés de Lettres du pays41. Autre initiative individuelle,
celle de l’intellectuel portugais Augusto de Lacerda : il organise, dans tout le nord est
brésilien, des conférences sur les relations historiques, politiques, culturelles entre le Portugal
et le Brésil et met en place des commissions chargées d’étudier la possibilité de développer
les liens entre les deux pays42.
Conformément aux analyses de Pierre Milza43, cette élite portugaise au Brésil est la
preuve même du rôle d’agent dynamique des communautés immigrées dans les relations entre
36
Pedro Ferreira da Silva, Fundamentos e Actualidade do Real Gabinete Português de Leitura, op. cit.
Voir sur ce sujet Maria Margarida Maia Gouveia, Sobre as relações culturais entre Portugal e o Brasil nos
fins do seculo XIX : uma carta de Fran Paxeco a Teofilo Braga, Ponta Delgada, Universidade dos Açores, 1983.
38
Pedro Ferreira da Silveira, Os últimos Luso-Brasileiros, Lisboa, Biblioteca Nacional, 1981, pp. 26-27.
39
Ferreira de Castro a notamment écrit les romans Emigrantes (1928) et A Selva (1930).
40
Sur les relations littéraires entre le Portugal et le Brésil, on peut consulter João Alves das Neves, As relações
literárias de Portugal com o Brasil, Lisboa, Instituto de cultura e lingua portuguesa, 1992.
41
Amado Luiz Cervo, José Calvet de Magalhães, Depois das caravelas. As relações entre Portugal e Brasil
1808-2000, op. cit., pp. 358-359.
42
Archives du ministère des Affaires étrangères portugais, Correspondências dos consulados e legações do
Portugal no Brasil, Legação no Rio de Janeiro, Caixa 231, ofício (série A/n°8/res.), 10 fév. 1913, Bernardino
Machado à Antonio Caetano Junior.
43
Pierre Milza, “La migration internationale : un enjeu épistémologique ?”, dans Relations Internationales (54),
été 1988, pp. 131-134 : Pierre Milza souligne le rôle des communautés d’immigrés comme acteurs de la
politique internationale et comme agents dynamiques dans les relations bilatérales entre les pays qui reçoivent et
les pays qui fournissent une main d’œuvre.
37
Etats. Le discours de fraternité luso-brésilienne, largement développé par les intellectuels
portugais du Brésil, domine la rencontre des chefs d’Etat brésilien et portugais en septembre
1922, à l’occasion des commémorations du centenaire de l’indépendance à Rio. Les propos
du président de la République portugaise, reçu à la Chambre des Députés brésiliens, l’illustre
parfaitement :
“Collaborateurs de la même œuvre de civilisation, nous avons tellement travaillé ensemble,
Portugais et Brésiliens, que nous sommes restés frères pour toujours. Nos deux patries sont
comme suspendues au vol d’un destin éternel, pour s’unir sous l’aile de notre tradition
ancestrale, comme deux aigles venus des montagnes de Lusitanie et qui souhaitent sentir
ensemble la chaleur d’un abri commun (…) Le Portugal a découvert, a peuplé et a défendu
contre la convoitise des étrangers le vaste territoire brésilien. Le Brésil indépendant
d’aujourd’hui doit donc remercier le Portugal le fait de lui avoir légué intact ce riche et grand
patrimoine, grâce à des torrents de sang et de larmes. Mais le Portugal doit remercier le Brésil
indépendant actuel d’avoir maintenu et développé son œuvre, le Brésil, la plus grande gloire de
son passé, avec énergie, bravoure, intelligence et amour de la race”44.
Ce discours de fraternité entre l’Etat brésilien et l’Etat portugais, basé sur le sentiment
d’appartenance à une tradition historique et culturelle commune, s’est maintenu tout au long
du 20ème siècle, notamment grâce à l’action des Portugais du Brésil.
44
“Collaboradores da mesma obra de civilização, tão juntos temos trabalhado, Portugueses e Brasileiros, que
para sempre ficámos irmãos. As duas pátrias são como que suspendem o vôo na sequênciade um destino eterno,
para se unirem sob a asa da sua tradição ancestral, como duas águias oriundas dos serros da Lusitânia que
quisessem sentirpor um instante o calor do agasalho comum (…) Portugal descobriu, povoou e defendeu contra
a cobiça dos estranhos o vasto território do Brasil. O Brasil independante de hoje tem pois de agradecer a
Portugal o facto de ele lhe ter legado intacto, à custa de torrentes de sangue e torrentes de lágrimas, tamanho e
tão rico património. Mas Portugal tem que agredecer ao Brasil independente de hoje a energia, a bravura, a
inteligência e o amor da raça com que ele tem sustentado, desenvolvendo a sua obra, o Brasil, que foi a maior
glória do seu grande passado”. Archives du ministère des Affaires étrangères portugais, fichier divers Brésil :
“Viagem ao Brasil de S. Exa o senhor Presidente da República ”(3° Piso, A18, M13 ) – Discours du 20
septembre 1922.

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