O Telegrama - Cap Magellan

Transcrição

O Telegrama - Cap Magellan
Liliana Azevedo
O Telegrama
Do outro lado do rio
Histoire de l’émigration portugaise
vue par la deuxième et troisième génération
Association Cap Magellan
O Telegrama
Do outro lado do rio
Vol 2
Histoire de l’émigration portugaise
vue par la deuxième et troisième génération
3
PREFÁCE
Je voudrais tout d’abord
manifester ma profonde
reconnaissance pour cette
initiative si singulière de Cap
Magellan. Il est peu habituel
de publier des livres avec
des témoignages de jeunes,
surtout quand le thème central en est la vie des parents
et les causes qui les ont
amenés un jour à prendre le
chemin de l’émigration.
Il n’est pas facile de parler de soi-même, de témoigner des passages et des
périodes de nos vies qui
sont souvent cause de malêtre et de souffrance. Plus
encore quand nous parlons
de nos parents, même
quand nous le faisons avec
l’objectif de mettre en avant
leur exemple et de maintenir
vivante la mémoire de leurs
parcours, préoccupés à préserver leur image et leur
dignité. Je peux donc avoir
une idée des contraintes de
tout ordre qu’il aura été
nécessaire de contourner
pour mener à bien ce travail.
J’ai donc accepté avec
beaucoup de plaisir la
demande de préface de cette
ouvrage qui se caractérise
par son caractère précurseur et innovateur, mais
aussi par son importance et
intérêt pour la connaissance
de la problématique des jeunes nés dans des familles de
parents émigrés.
Je laisse aux jeunes qui
ont accepté de collaborer à
ce livre un mot de félicitation, pour leur disponibilité
et leur sens du service, mais
aussi d’encouragement pour
de nouvelles interventions.
Par leur exemple, ils aident
beaucoup d’autres jeunes à
mieux se connaître, à avoir
confiance en soi et à jeter,
ainsi, les bases d’un futur
prometteur.
Aux parents, qui sont les
protagonistes de ce livre, je
veux également leur exprimer ma reconnaissance et
mon estime, restant disponible pour continuer à collaborer à la valorisation
humaine et professionnelle
de leurs enfants. Leur
témoignage maintient vive la
mémoire d’un parcours douloureux, mais dont nous
devons être fiers parce qu’il
symbolise la victoire de la
détermination sur l’adversité. Et aussi parce qu’il
montre les chemins du futur,
basés sur ce qui est une
marque de l’émigration portugaise : travail, caractère,
sérieux, intégration et préservation des valeurs qui
nous distinguent comme
Peuple.
António Monteiro
Ambassadeur du
Portugal en France
PREFÁCIO
Quero antes de mais
manifestar o meu apreço
por esta tão singular iniciativa da Cap Magellan. É
pouco habitual a publicação
de livros com depoimentos
de
jovens,
sobretudo
quando o seu tema central é
a vida dos pais e as causas
que os levaram um dia aos
caminhos da emigração.
Não é fácil falar de nós
próprios, testemunhar sobre
passagens e períodos das
nossas vidas que tantas
vezes são motivo de malestar e de sofrimento.
Menos ainda quando falamos dos nossos pais,
mesmo quando o fazemos
com o objectivo de salientar
o seu exemplo e de manter
viva a memória dos seus
percursos,
preocupados
sempre em preservar a sua
imagem e a sua dignidade.
Posso portanto fazer uma
ideia dos constrangimentos
de toda a ordem que terá
sido necessário contornar
para levar a cabo este trabalho.
Por isso acedi com
muito gosto ao pedido de
prefaciar esta obra que se
caracteriza pelo carácter
precursor e inovador, bem
como pela sua importância e
interesse para o conhecimento da problemática dos
jovens nascidos em famílias
de pais emigrados.
Deixo aos jovens que
aceitaram colaborar neste
livro uma palavra de felicitações pela sua disponibilidade e sentido de serviço,
assim como de encorajamento para novas intervenções. Com o seu exemplo,
estão a ajudar muitos outros
jovens a melhor se conhecerem , a ganharem confiança
em si próprios e a criarem,
assim, as bases de um pro-
missor futuro.
Aos pais, que são os
protagonistas deste livro,
quero igualmente expressarlhes o meu apreço e estima,
mantendo a disponibilidade
para com eles continuar a
colaborar na valorização
humana e profissional dos
seus filhos. O seu testemunho mantém viva a
memória de um percurso
doloroso, mas de que nos
deveremos orgulhar porque
simboliza a vitória da determinação sobre a adversidade. E também porque
aponta os caminhos do
futuro, baseados naquilo
que é a marca da emigração
portuguesa: trabalho, carácter, seriedade, integração e
preservação dos valores que
nos distinguem como Povo.
António Monteiro
Embaixador de
Portugal em França
5
6
TABLES
France
Daniel...........................................................................................
Estelle..........................................................................................
Lévi..............................................................................................
Liliane..........................................................................................
Lionel...........................................................................................
Hermano......................................................................................
Jean Philippe...............................................................................
Marco...........................................................................................
Maria............................................................................................
Marie............................................................................................
Marie Hélène...............................................................................
Nathalie.......................................................................................
Silvia............................................................................................
Sosana........................................................................................
9
10
22
28
30
44
52
56
62
64
66
76
84
86
Suisse
Brigite.......................................................................................... 92
Liliana.......................................................................................... 94
Renata........................................................................................ 106
Susana........................................................................................ 110
Canada
Cristina........................................................................................ 112
7
8
Turismo de Lisboa
Simple
‘histoire que
je vais vous
raconter est celle
de mon père,
Manuel Martins,
60
ans
aujourd’hui.
Durant son enfance, il a
vécu dans le petit village
d’Aldeia do Bispo da
Raia, dans le district de
Sabugal, à une soixantaine de kilomètres de
Guarda. Les activités
économiques s’y résumaient à l’élevage d’animaux de ferme : vaches,
moutons, porcs et poules,
ainsi que la contrebande.
L
témoignage...
Son voyage vers la
France commença le 11
septembre 1964. Avec
une dizaine de personnes
de son village et avec
l’aide d’un «passeur»
payé 20.000 escudos
(environ 100 euros) par
personne, il entama, à
pied, une longue traversée de l’Espagne pour
arriver en France où son
père l’attendait. La traversée dura 11 jours. Elle se
déroula uniquement de
nuit dans les montagnes
et sans aucune lumière,
Les chutes et les égratignures étaient nombreuses, mais il fallait toujours
avancer et ne pas s’arrêter pour ne pas perdre de
temps.
Une fois arrivé en
France, à Saint Denis,
son père le récupéra et
lui trouva un travail avec
lui dans le bâtiment ; ce
qui lui procura par la
même occasion des
papiers.
Lorsqu’il me racontait
cela, mon père avait les
larmes aux yeux, ce qui
“Lorsqu’il me racontait cela, mon père
avait les larmes aux yeux, ce qui m’a
fait comprendre toutes les difficultés
qu’il a dû endurer pour offrir à sa famille
et à ses enfants une vie meilleure.”
Mais cela n’était pas suffisant pour nourrir correctement une famille de 7
personnes. Dès lors, son
père ainsi que deux de
ses soeurs sont partis en
France, comme beaucoup de Portugais à
l’époque, et à l’age de 16
ans, ça allait être son
tour.
tandis que la journée,
tous se cachaient afin
d’éviter de se faire remarquer par les policiers
espagnols
qui
les
auraient immédiatement
conduits
en
prison.
Comme il me le confiait,
le plus dur était le manque de visibilité, le fait de
ne pas savoir où l’on va.
m’a fait comprendre toutes les difficultés qu’il a
dû endurer pour offrir à
sa famille et à ses
enfants une vie meilleure.
Pour cela, nous ne pouvons mes soeurs et moi
que lui en être reconnaissants.
Daniel.
9
10
Minuit,
un soir à Créteil…
L
e moment est
choisi.
Ce
moment, je l'ai
pensé et réfléchi, comme tout
ce que je fais dans ma
vie. Rien ne doit être
laissé au hasard. Ce
moment j'ai voulu le garder, le protéger, le fixer
pour
toujours.
Ce
moment, c'est cette
transmission d'histoire,
transmission de vie. C'est
l'histoire de mes parents.
Cette histoire, je l'enregistre avec mon minidisc. Je ne veux rien perdre de ce moment si
Leur histoire, mon histoire. "Papa, maman,
racontez moi votre histoire".
REC.
Un peu gêné d'abord
par l'enregistreur, il a suffi
de quelques secondes
pour que mon père se
lâche et raconte tout.
Comme si ces moments,
il les revivait, là, à nouveau. Tout lui revient en
tête. C'est incroyable
comme notre mémoire
retient un nombre fou de
détails. Des détails qui,
au fond, ont peu d'impor-
“Cette histoire, je l'enregistre avec mon
mini-disc. Je ne veux rien perdre de ce
moment si intime et si rare, d'une conversation à trois, sur un passé si lointain.”
intime, si rare, d'une
conversation sur un
passé si lointain, douloureux parfois. Ce moment,
c'est ma mémoire. Celle
de mes parents, la
mienne, celle qui m'a
construite inconsciemment. Celle qui a fait ce
que je suis aujourd'hui.
tance. Mais des détails
qui font toute l'histoire.
L'histoire avec un grand
H.
Ma mère écoute,
attentive, sans jamais
oser rien dire. "Comment
as-tu décidé de partir et
tout quitter pour aller en
France,
Papa?"
La
réponse est simple: "Pour
11
“Comme tout homme, j'aspirais à
une vie meilleure, pour moi et pour
mes enfants.”
construire un futur meilleur pour ma famille. "
Mon père est parti en
1964, il avait 29 ans. Il
laissait derrière lui une
femme enceinte de 8
mois et 3 enfants (une
fille et deux garçons). Il
travaillait à l'époque à
Ovar dans le nord du
Portugal, dans une entreprise
de
plastique,
FOPIL, où les salaires
étaient incroyablement
bas. "On n'arrivait pas à
vivre dignement à l'époque au Portugal. Comme
tout homme, j'aspirais à
une vie meilleure, pour
moi et pour mes enfants."
12
me dit-il. C'était l'époque
où de nombreux portugais partaient vers la
France. Il avait un cousin,
lui aussi, là-bas, en
France. Ce fut son
contact, celui qui le
mènerait vers l'autre
pays, celui dont tout le
monde parle, celui où tout
est possible. Il écrivit une
longue lettre à son cousin
pour lui demander s'il
pouvait aller travailler en
France, avoir un contrat
de travail, seul moyen
pour entrer légalement en
France. Son cousin n'a
pu lui trouver ce fameux
contrat. Mais mon père
n'abandonna pas, si ce
n'est pas possible d'y
aller légalement, il irait
comme d'autres, clandestinement, coûte que
coûte. Il ne savait pas
encore quand il partirait
et arriverait en France,
mais que son cousin ne
s'inquiète pas: S'il était
arrêté, il ne dirait pas le
nom de son contact en
France.
18 juin 1964, après
avoir parlé avec un passeur qu'il connaissait à
travers un de ses collègues de travail, il décida
de partir. Durant le
voyage, qui le mena vers
la France, voyage, que
“Ce voyage dura 3 jours. Mon père
partit le 18 juin 1964 du Portugal et
arriva gare d'Austerlitz le 21 juin.”
dis-je, véritable épopée, il
rencontra trois voisins de
son village. Ils partiront
ensemble. Il payera 11
mille escudos (un an de
travail à l'époque) pour
cela. (C'est incroyable
comment ce type de
montant
reste
en
mémoire!). Dans le nord
du Portugal, tous déjeunent
à
Amarante.
Frontière avec l'Espagne:
en face, une rivière, de
l'autre coté on entend les
espagnols. Que faire?
Cette rivière il faut la traverser coûte que coûte,
c'était le début du tunnel
pour un futur meilleur. Ils
le feront. Être recouvert
d'eau jusqu'au cou, pas
de problème! mais il faut
la passer cette fichue
rivière! C'est fait. Son
contact portugais passe
alors tous les clandestins,
dont mon père, à son
contact espagnol, et ils
suivirent tous dans une
DS traversant l'Espagne
en
voiture
jusqu'à
Hendaye. A Hendaye,
direction Paris, en train.
Ce voyage dura 3
jours. Mon père arriva
gare d'Austerlitz le 21 juin
1964. Trois jours, trois
longs jours. Il n'avait qu'à
la main, l'adresse de son
cousin. Il se lance, il faut
trouver un taxi, sans par-
ler la langue, après un
voyage déjà bien éprouvant. De gare d'Austerlitz,
il partit vers Gare de Lyon
pour trouver une file de
Taxi. Un taxi lui parle,
pour mon père c'était la
même chose que de lui
parler en japonais, il ne
comprenait rien. Direction
Bonneuil dans le Val de
Marne (94).
Ma mère, pendant
tous ce temps, est restée
à se morfondre dans son
petit village au Portugal,
São Vicente de Pereira.
Elle ne pouvait rien dire à
personne. Trop dangereux. Personne ne devait
savoir que son mari par-
13
“Mon père n’assistera pas à la naissance de son quatrième enfant. Il
n’aura comme image que les photos
envoyées par ma mère.”
tait clandestinement vers
la France. Elle a attendu
trois long jours avant
d'avoir enfin de ses nouvelles. Enfin, le soulagement, il est bien arrivé.
Elle alla de suite à bicyclette, annoncer la bonne
nouvelle à ma grandmère, la mère de mon
père.
Mon père n’assistera pas
à la naissance de son quatrième enfant. Il n’aura
comme image que des photos envoyées par ma mère.
Mon père, après avoir
pris un taxi alla directe14
ment à l'entreprise qui
allait l'embaucher, à
Bonneuil Première réaction "Mon dieu, on aurait
dit un vrai enfer. C'était
terriblement sale. Tant de
monde à travailler." Sans
argent pour payer le taxi,
il chercha partout son
cousin, qui ne savait pas
de sa venue exacte et lui
prêta les 3000 anciens
francs, pour le taxi.
Enorme!
Petit rappel: Mon père
part le 18 juin du
Portugal, arrive le 21 en
France et commence à
travailler le 24 juin à
Bonneuil, dans une entreprise de fabrication de
poutres de béton et de
brique. Pas de problèmes de chômage en
France à l'époque! Et la
langue dans tout ça, lui
demandais-je. "Comment
as-tu fais pour travailler
sans parler un mot de
français?" Simple, finalement. Il n'y avait pas
besoin de parler beaucoup dans ce genre de
travail, il suffisait de
regarder ce que faisait
l'autre et de le copier.
L'entreprise
disposait
aussi de logement pour
ses
travailleurs.
“Le dimanche, mon père avait
l’oreille collée à son poste radio pour
écouter la retransmission des matchs
de football portugais.”
"Vraiment bien", me dit
mon père. Quatre par
appartement, une cuisine
où il pouvait faire à manger, une douche, du
chauffage pendant la
nuit. Le grand luxe!
Mieux que ce qu'il
connaîtra par la suite.
Il ne retournera au
Portugal qu'un an après
sa venue en France. Un
an! Il ne communiquera
avec ma mère que par
lettre, plusieurs fois par
mois, racontant son quotidien, ma mère lui répondant en y ajoutant, dès
qu'elle le pouvait, des
photos des enfants.
Notamment, des premiers pas du petit dernier, celui qu'il n'a pas vu
naître. Ces premiers pas,
qu'il ne verra qu'en photo.
La première fois qu'il
retourna au pays, il
reviendra
avec
les
fameux
"caramelos"
(caramels mous) achetés dans le train. à la frontière portugaise. Ces
mêmes « caramelos » au
kilo que l'on peut encore
acheter aujourd'hui. Ils
feront la joie de ses
enfants, mes frères et
soeurs. C'était déjà pas si
mal...
En France, il ne vivait
quasiment qu'avec des
portugais. Il se souvient :
"Une fois je suis parti à
Paris, seul, ne parlant
pas la langue, prenant le
métro pour la première
fois afin de régulariser
mes papiers". Tout cela
pour recevoir une Carte
temporaire faite par le
patron d'une durée d'un
an. Sortie : Station
Strasbourg St Denis.
Quand il me le raconte,
15
j'ai la sensation que ce fut
une aventure.
Tous les mois il
envoyait de l'argent à ma
mère. "Mais comment faisais-tu pour lui envoyer?"
lui demandais-je. En fait,
c'était assez simple: par
la banque. Ce que je ne
savais pas, c'est qu'à
l'époque les banques
portugaises allaient à la
sortie des entreprises à la
fin du mois où travaillaient de nombreux portugais, pour avoir de nou-
la retransmission des
matchs de football portugais. Parfois, il allait avec
quelques compagnons
portugais à Champigny
rejoindre
d'autres
Portugais. "Que des
bidonvilles, où habitaient
des familles entières!" me
dit -il, effaré.
En 1971, sept ans
après sa venue en
France, il ira chercher le
reste de sa famille. Une
femme et 5 enfants, avec
en prime, un appartement
France. (Petite information pratique: Pour pouvoir le faire, il fallait que la
Junta de Emigração voit
la maison de mon père
en France, et donne un
avis favorable. Cela prenait au minimum 6 mois,
impossible d'attendre si
longtemps!). Ils décidèrent donc de venir quand
même. Bravant encore
une fois l'interdit. Les
enfants devront passer la
frontière
illégalement.
C'était ainsi. Le contact
pour le faire: un homme
“En 1971, sept ans après sa venue en
France, il ira chercher le reste de sa
famille. Une femme et 5 enfants.”
veaux clients. Rien de
plus simple, au final.
Il reviendra tous les
ans au Portugal pour un
mois de vacances, en
août. De ses venues, naîtra ma soeur, Céleste. Il
fera ça pendant 7 ans. 7
longues années à vivre
seul en France et comme
quasi seule occupation
un travail difficile. " Et le
Week-End tu faisais quoi,
papa?" Le samedi était
consacré à laver le linge
(à la main s'il vous plaît!),
et aussi à écrire à sa
femme, ma mère. Le
dimanche, mon père
avait l’oreille collée à son
poste radio pour écouter
16
enfin convenable pour
loger tout ce petit monde.
Et là, une autre aventure
les attendait.
Mon père avait ses
papiers, ma mère avait
réussi à avoir un passeport de touriste. Et les
enfants? Là était le problème. Mon père voulait
évidemment qu'ils entrent
légalement en France.
Après des démarches
infructueuses pour avoir
un passeport pour chaque
enfant,
le
Gouverneur Civil de
Aveiro estima que mon
père n'avait pas les
conditions nécessaires
pour les accueillir en
qui errait dans Vilar
Formoso, que mon père
avait déjà vu et qui lui
disait qu'il pouvait les
faire passer, moyennant
une somme d'argent.
Evidemment. 500 escudos par enfants. C'était
décidé, ils iront en
France, ainsi.
Le départ est proche.
Mon oncle emmena toute
la petite famille (mon
père, ma mère plus 5
enfants) dans sa Ford
Cortina GT Blanche
jusqu'à Vilar Formoso.
Là, les enfants seront
donc laissés à ce fameux
contact à la frontière portugaise. L'une des mes
17
“Je me rends compte combien ces
quelques heures ont dû être difficiles
pour ma mère. En résumé, elle laissait
ses 5 enfants, à un quasi inconnu.”
soeurs, la plus petite, 2
ans et demie à l'époque,
marchait à peine et était
en pleurs lorsque mes
parents s'en séparèrent.
Mes parents, eux, montent dans le train. Et ne
retrouveront leurs enfants
que quelques heures plus
tard, si tout se passe bien
de l'autre coté de la frontière. Ma mère a les larmes aux yeux en me le
racontant. Elle soupire :
"Ce fut douloureux, terriblement douloureux!" Je
me rends compte combien ces quelques heures
ont dû être difficiles pour
elle. En résumé, elle lais18
sait ses 5 enfants, à un
quasi inconnu. En espérant, en priant, que tout
se passe bien et qu'ils
arriveront à temps pour
continuer le trajet tous
ensembles. A Fontes de
Onoro, première station
après la frontière portugaise, le train s'arrête 45
min comme c'est l'habitude. Les minutes passent et toujours pas d'enfants
à
l'horizon.
L'angoisse.
Quelques
minutes avant le départ
du train, au fond, au loin,
mon père voit enfin ses
enfants sur le quai
accompagnés de ce
fameux
passeur.
Soulagement. Enfin, tous
réunis.
Evidemment
aucun des enfants n'avait
de billets. Ma mère se
souvient. "Le train était
bondé. Il y avait du
monde partout. Comment
a-t-on pu tous tenir là
dedans ! Mes enfants, les
pauvres! Chacun savait
en nous regardant que
les enfants n'avaient pas
de billets. Ils n'étaient pas
les seuls, dans cette
situation". Comme par
magie, lorsque le contrôleur passe dans le
wagon, plus de lumière.
Coupure totale. Comme
“Comme par magie, lorsque le
contrôleur passe dans le wagon, plus
de lumière. Coupure totale.”
par hasard... hum.. oui,
sûrement. Evidemment
quelqu'un avait provoqué
cette coupure afin d'éviter
le contrôle, synonyme de
retour à la case départ ou
pire. Quelques heures
plus tard, la lumière en
plus,
le
contrôleur
repasse. Tout le monde
en choeur dans le wagon
"les contrôleurs sont déjà
passés ici, pas besoin de
vérifier une nouvelle fois."
Tous dans la même
galère. C'est ce que je
pense. Une solidarité qui
permettait à tous d'accé-
der à un peu plus de bonheur, dans cet autre
pays, la France.
Ils arriveront à bon
port à Austerlitz, gare
mythique pour tous les
portugais de France.
Encore une fois, il fallait
trouver un taxi qui accepterait bien de pendre 7
personnes. Oui, j'ai bien
dit 7. Évidemment, lorsque c'était leur tour, le
taxi en les voyant, leur
dit: "ça va pas être possible". La chance viendra
d'un policier tout près, qui
obligera le taxi à prendre
la famille Valente (mon
nom de famille) au complet.
Les voici tous arrivés
à Créteil, appartement
que mon père avait réussi
à louer. Cet appartement,
mes parents l'ont encore
aujourd'hui. Mon père travaillera comme mouleur
en béton à Villeneuve
Saint Georges, jusqu'à sa
retraite. Ma mère, quant à
elle, après de nombreuses années à élever ses
enfants,
travaillera
comme couturière.
De la France, ils n'ont
19
que de bons souvenirs.
Le français, ils le parlent
comme ils le peuvent,
encore aujourd'hui. Leurs
enfants
l'apprendront
bien plus rapidement
qu'eux. Mes parents
auront tout au long de
leur parcours été respectueux de ce pays, la
France, respectueux des
français, de ceux qui les
ont accueillis. Ne jamais
créer de problèmes, s'intégrer au mieux, tel était
leur devise.
Aujourd'hui, je travaille
pour que les clichés tombent enfin. Des français
envers les portugais. Des
portugais envers les émigrés. Une lutte perpétuelle. Une lutte sans fin.
Une lutte qui vaut la peine.
Cette histoire, je l'ai
enregistrée il est vrai,
avec mon mini-disc, j'en
aurais pour toujours, le
son. Mais surtout, je l'aurais toujours en mémoire.
Vous savez, dans ce petit
organe à gauche, sans
“Ils n'étaient partis que pour 4 ans
tout au plus, ils y resteront plus de 35.”
Ils n'étaient partis que
pour 4 ans tout au plus, ils y
resteront plus de 35.
Celle qui raconte cette
histoire, c'est moi, la petite
dernière. La sixième d'une
longue lignée. La seule qui
soit née en France, un certain 8 août 1976. Un peu
née par hasard, pas vraiment prévue au programme! La seule qui a ce
lien si intense et profond
avec le Portugal. Etrange.
Du Portugal, je n'ai que les
souvenirs de vacances, et
ceux que j'ai eu plus tard
en tant que femme. Cette
lutte, ce respect, cette
éducation, je m'en rends
compte aujourd'hui, viennent de cette histoire.
20
lequel on ne peut vivre.
Plus tard, je serai heureuse, j'en suis certaine,
d'avoir gardé cet enregistrement et de pouvoir
encore écouter et réécouter mes parents me
raconter leur Histoire.
STOP.
Ah, j'oubliais, à la fin de
l'enregistrement, mon père
a voulu réécouter sa voix,
son témoignage, comme s'il
voulait confirmer, une fois
de plus, que cette histoire
avait bien eu lieu.
Estelle.
21
Le Portugal
s’est longtemps résumé...
L
e Portugal, à
mes yeux, s’est
longtemps
résumé à l’histoire
de
ma
famille, émigrée dans les
années 60 pour fuir la
misère et la dictature,
cette «longue nuit», pour
reprendre Miguel Torga
dans son journal En franchise intérieure. Cette
bande de terre aux frontières inchangées depuis
Afonso Henriques, et
léchée par le flux et le
reflux de l’Atlantique, je
n’en profitais qu’une fois
l’an, en été, lorsque notre
automobile se chargeait à
ras bord et que nous
«descendions»,
selon
l’expression consacrée,
davantage de ce pays
«périphérique», car c’est
ainsi que le décrivent les
mauvaises langues, lesquelles, doublées d’une
inculture confondante,
s’évertuent
encore
aujourd’hui, et avec une
constance désarmante, à
rouler les «J» et les «R»,
comme si les mondes
hispanique et lusophone
étaient les deux faces
d’une même médaille.
Ces voyages, vécus le
plus souvent sur la banquette arrière de notre
Citroën Pallas, sonnaient
comme la récompense
annuelle offerte à mes
parents, une sucrerie
ponctuant une année de
“Ces voyages, vécus le plus souvent
sur la banquette arrière de notre Citroën
Pallas, sonnaient comme la récompense annuelle offerte à mes parents.”
rendre visite aux nôtres,
qui nous considéraient de
moins en moins comme
portugais. Mais peut-être
nous-mêmes nous éloignions chaque année
22
labeur à l’usine. Une traversée des territoires à
une époque où l’Europe
ouverte et chaleureuse
n’était encore que le rêve
de quelques esprits éclai-
Liliana Azevedo
metteuses. Et pareil à un
comte d’Andersen, je
revois toujours la lourde
bicyclette noire de l’oncle
Manuel – toutes identiques au pays, seule une
plaque de métal figurant
l’interminable patronyme
du propriétaire, permet
de les distinguer - , mais
aussi les yeux sombres et
mélancoliques de ma
tante Madeleine, un peu
plus voûtée à chaque
visite, et emmurée dans
sa longue robe noire,
celle du deuil éternel que
les femmes supportent
après le départ du mari.
Le noir, encore, des taxis
de mon enfance, habillés
d’un peu de vert sur les
toits, une coquetterie,
“Je me souviens de cette interminable attente, à la frontière de Vilar
Formoso”
rés. Je me souviens de
cette
interminable
attente, à la frontière de
Vilar Formoso, et de la
longue procession des
voitures,
pare-chocs
contre pare-chocs, dans
la fournaise estivale. Des
douaniers
espagnols,
zélés, et prompts à vider
les coffres des autos
dans un mouvement de
menton qui trahissait de
vieux réflexes autoritaires, cette même croix que
nous avons porté, nous
aussi, du temps du théoricien de l’Estado Novo.
Mais ces désagréments s’évaporaient dès
lors que surgissaient
devant mes yeux embrumés, plantée au sommet
d’une forêt d’eucalyptus,
notre maison cintrée
d’azulejos. Ma terre,
comme
on
dit
au
Portugal, bordée de
choux et de vignes pro-
sans doute, d’un peuple
qui n’a jamais manqué
d’ironie et de sens de la
dérision. Et cette danse,
toujours, du noir et du
blanc, sur les trottoirs de
nos villes. Figures géométriques, arabesques,
légendes, qui traduisent
si bien l’âme portugaise,
où se mélangent saudade et glorification du
passé, rêves poétiques et
illusions métaphoriques.
A l’image de Lisbonne,
23
Liliana Azevedo
“A l’image de Lisbonne, d’ailleurs,
cette ville toute en contrastes, presque en trompe-l’oeil.”
d’ailleurs, cette ville toute
en contrastes, presque
en
trompe-l’oeil.
Lisbonne métissée, elle
aussi, terre d’arrivées et
de départs, de rires et de
larmes, en perpétuelle
construction et déconstruction. Une cité que
j’aime, car c’est une ville
d’incertitudes. La découvrant depuis le Tage, on
craindrait presque qu’elle
ne s’écroule dans le
fleuve. Tout y est provisoire, cahotique, émiété,
et décrépi. Mais c’est sa
beauté à elle, nue, et
24
incandescente.
Incertitude, encore, du
retour sans cesse promis
et espéré de Dom
Sebastião. Incertitude,
toujours, d’une nouvelle
secousse qui emporterait
la
cité
patiemment
reconstruite par Pombal.
Incertitude, enfin, et
même
mystère,
de
Pessoa et de tous ses
personnages, susceptibles de resurgir à tout
instant dans nos vies,
tant ils nous parlent de
nous, à moins qu’ils
soient
nous-mêmes.
Lisbonne de chair et de
sang, car cette ville est
d’abord mâtinée d’odeurs
et
d’atmosphères,
comme Paris est une
métropole de monuments. La sardine ou la
morue, des couleurs africaines ou brésiliennes, la
gravité et la solennité de
Belem, mais aussi l’insouciance et un art de
vivre vaporeux dans les
dédales de Mouraria ou
de l’Alfama : c’est cela
Lisbonne. Cette cité a sa
propre sueur, sa propre
fragrance, ennivrante.
“Le Portugal m’a changé, car il m’a
révélé mes racines, me les rappelle
en permanence, et l’éloignement
rend plus tangible encore ce sentiment d’appartenance.”
bles, prononcés à tout
bout de champ par n’importe quel portugais,
médecin ou paysan. L’un
de mes préférés est
sapatilhas.
Il
sonne
comme une rafale de
mitraillette. Là se trouve
peut-être l’explication de
mon goût pour les baskets ! Mais aux côtés de
ce Portugal sans âge, je
vois une nation nouvelle
émerger. Fiers de l’héri-
tage laissé par Vasco da
Gama,
Cabral,
ou
Magellan, probablement
sereins dans leurs tombeaux, les Portugais se
nourrissent désormais
d’autres rêves, faits
d’échanges, de projection
dans la modernité, d’appétit, et de volonté de se
manifester au coeur du
monde. Je me souviens
du Nobel de José
Saramago : il y avait foule
Liliana Azevedo
Le
Portugal
m’a
changé, car il m’a révélé
mes racines, me les rappelle en permanence, et
l’éloignement rend plus
tangible encore ce sentiment d’appartenance. La
croix d’Aviz, les pétards
des fêtes de villages rytmées à l’accordéon, ou
les petits pains ronds des
repas, c’est le Portugal
intemporel, enveloppé de
mots : certains, inavoua-
25
Turismo de Portugal/Antonio Sacchetti
“Un souhait, magnifiquement synthétisé par Virgílio Ferreira, lorsqu’il écrivait:
«De ma langue, on voit la mer ».”
autour de moi à l’instant
de la nouvelle, mais je
n’ai pas pu partager ma
joie car je ne sais si j’aurais su exprimer un tel
bonheur. C’est cela le
Portugal nouveau, cette
Splendeur du Portugal,
pour reprendre le titre
d’un livre de Antonio
Lobo Antunes, même s’il
ne s’agit plus aujourd’hui
d’entretenir un quelconque empire. Car j’aimerais que ce rectangle du
bout de l’Europe, dont la
langue est usitée par 200
26
millions d’individus, et qui
a contribué à donner une
géographie à la planète,
s’affirme. Que cette
forme d’expression lui
fasse retrouver une nouvelle centralité, non plus
fondée
sur
les
Découvertes
et
la
conquête de territoires,
mais assise sur d’autres
explorations, celles des
idées et des audaces. Le
Portugal,
solidement
ancré à la démocratie,
doit redevenir un phare
car, plus que d’autres, il a
vocation à être un interlocuteur naturel au sein de
l’Europe, de l’Afrique, de
l’Amérique ou de l’Asie,
en un mot, du monde. Un
peuple possédé par luimême, arrimé à son
Histoire, mais désireux
de s’élancer à nouveau.
Un souhait, en somme,
magnifiquement synthétisé par Virgílio Ferreira,
lorsqu’il écrivait : « De ma
langue, on voit la mer ».
Lévi.
27
Turismo de Lisboa
Si...
“Si grande l’aventure de ta vie.
Dans ces champs, que tu connais
si bien maintenant, tu débuteras
une nouvelle vie.”
28
i jeune, tu
te lances le
grand défi.
Tu arrives en
France
en
mai 1980. Tu avais alors
tout juste 18 ans.
S
là-bas, dans ce pays bien
loin
à
l'époque.
Orpheline, tu travailles
depuis l'âge de 9 ans
pour subsister. Alors
majeure, tu décides de
sauter le pas.
à la frontière franco-espagnole. Comme tous, tu
prétextes un séjour touristique. Mais toi seule as
18 ans. Tu réussis à
poser les pieds en territoire français.
Si déterminée, tu
avais appris que l'on avait
besoin de main-d'oeuvre
Si téméraire, tu parviens à convaincre les
forces de police postées
Si courageuse, les
conditions dans lesquelles on t'accueille ne t'ef-
“Tu nous sauves du dur labeur,
de la clandestinité, de la précarité. Tu nous donnes ce que tu
aurais tant rêvé... “
fraient pas. Une vieille
école récupérée sans
sanitaires, des lits de l'armée réquisitionnés, vous
servent de point de chute.
Trois pièces où jeunes et
vieux, hommes et femmes, tous portugais,
cohabitent.
Si lointain, ce pays.
Mais si proches ces gens
que tu ne comprends pas
encore. Tu apprends une
nouvelle langue, une culture différente. Tu étais
partie de ton Portugal
natal pour un mois. Mais
la routine des saisons et
des récoltes te retiendront en France.
Si grande l'aventure
de ta vie. Dans ces
champs, que tu connais
si bien maintenant, tu
débuteras une nouvelle
vie. Tu rencontres alors
un homme. Le père de
tes trois filles.
Si volontaire, désormais le grand défi de ta
vie est que tes enfants ne
connaissent jamais tes
difficultés. Tu nous sauves du dur labeur, de la
clandestinité, de la précarité. Tu nous donnes ce
que tu avais tant rêvé.
...
Liliana.
29
30
Turismo de Portugal / Estoril & Sintra Golf Coast
ous sommes
le
dimanche 7
décembre
2008 et ce
matin, depuis mon petit
appartement parisien, je
regarde la cérémonie de
sacrement de Cristiano
Ronaldo, troisième joueur
portugais de l’histoire du
football à recevoir le ballon d’or !
Bien entendu, tout est
léger autour de cette nou-
N
d’oreilles à l’appui, un
prototype parfait de notre
société de consommation
où le paraître grignote
sans faire de bruit, chaque jour un peu plus, les
êtres que nous sommes.
Je le regarde donc. Du
bout des pieds, il jongle
avec un ballon tandis que
du bout de son regard, on
le devine jonglant avec
des millions et soudain
cette
pensée
me
vient…c’est un émigré !
“Du bout des pieds, il jongle avec un
ballon tandis que du bout de son
regard on le devine jonglant avec des
millions et soudain cette pensée me
vient…c’est un émigré !”
velle et pourtant, en
regardant cela, tout à
coup je suis pris d’une
mélancolie poignante et
je suis en proie à un
questionnement qui me
désarme !
Je regarde ce petit
bout de bonhomme, qui
est à lui seul, gomina,
muscles
et
boucles
Comme mes parents et
mes grands parents, ce
bellâtre a quitté le
Portugal pour tenter sa
chance à l’étranger.
Donc, c’est un émigré !!
Je l’imagine quittant
sa terre natale, son sourire, ses dents, un jeu de
maillot de football ainsi
qu’un ou deux biceps
31
Liliana Azevedo
“Je suis tout ouïe, je quitte cette réalité pour plonger sans résistance vers
un formidable voyage dans le
temps…”
sous le bras et hop :
«Papa, Maman, je veux
être riche, alors c’est
décidé je vais chercher
du boulot en Angleterre !»
et son père inquiet, de lui
demander
«Mais
Cristiano, tu ne prends
pas ton ballon ??» question à laquelle il a certainement dû répondre nonchalamment «euh…si, si,
donnes le moi, on ne sait
jamais, ça peut servir.»
Et le voilà parti.
Et bien ça a marché…
Aujourd’hui à tout juste
22 ans, Cristiano est
beau, fier, riche et…je
32
l’espère, heureux.
Mais, et pour toi,
papa? Ca s’est passé
comme ça? Je m’interroge. Mon père et ma
mère m’en parlent.
Très vite je comprends que non ! Pour
mes parents et mes
grands parents, les choses ont été un peu différentes. Déjà, parce que
mon grand père était un
tout petit peu moins musclé et qu’il n’avait pas de
contrat avec Nike, aussi
parce qu’il y a plus de
public dans les stades
pour y regarder les
joueurs de football taper
dans le ballon que pour
regarder les ouvriers
poser des parpaings et
installer les gradins et
enfin parce qu’il n’existe
pas, à l’instar du ballon
d’or, de truelle d’or ou de
casque de chantier d’or.
(Notez que si cela avait
été le cas, mon grand
père en aurait certainement eu un.) Mais tout
cela m’intrigue. Je veux
savoir. On me répond
qu’il faudra ajouter plus
de poussière, de doutes
et de larmes, mais qu’au
“Contrairement à ce que l’on peut
croire ce n’est pas un vénal appât du
gain qui pousse des gens dans la
force de l’âge à tout quitter pour tout
reconstruire, c’est l’appel d’un rêve.”
1962, mes grands
parents débarquent sur le
sol français avec la ferme
intention d’y trouver non
pas une vie meilleure
mais de quoi améliorer
leur vie, là-bas, dans leur
pays
d’origine,
au
Portugal. C’est la raison
pour laquelle ils arrivent
seuls, sans leurs enfants,
qu’ils retrouveront très
bientôt et à qui ils offriront
une vie sans encombre.
C’est du moins ce
qu’ils croient et ce qu’ils
gardent en tête à chaque
instant. Contrairement à
ce que l’on peut croire, ce
n’est pas un vénal appât
du gain qui pousse des
gens dans la force de
l’âge à tout quitter pour
tout reconstruire, c’est
l’appel d’un rêve, celui de
donner une vie meilleure
à leur descendance. Mes
grands parents, ces gens
qui ont tourné une page
sur leur passé, font don
de leur présent et hypothèquent leur futur pour
mettre leurs enfants à
l’abri. Et le prix de ce
pari? Se séparer de leurs
deux enfants, dont la vie
dicte toute cette prise de
risque.
C’est étrange, j’écoute
ce récit avec attention,
mais tout me semble terriblement
abstrait.
Imaginez, votre grandmère, cette femme aux
cheveux poivre et sel qui
fait des crêpes mieux que
quiconque
et
vous
raconte des histoires passionnantes d’un temps
qui n’est pas le vôtre.
Imaginez-la donc, jeune
et belle, une longue chevelure brune, des traits
fins, une peau lisse, la
poitrine pointant vers l’infini, les yeux remplis d’un
Marco Martins
final on en ressortirait
beaux, fiers, riches et…
je l’espère heureux.
Je suis tout ouïe, je
quitte cette réalité pour
plonger sans résistance
vers
un
formidable
voyage dans le temps…
voilà d’où je viens:
33
espoir sans limite et un
sourire qui nargue la face
de la planète d’une formidable envie de vivre.
Vous l’avez ? Bien sûr
que non ! Personne ne
peut imaginer sa grandmère
comme
une
femme… Et pourtant
elles le furent toutes !
Chaque mamie a un jour
mis des pantalons pattes
d’ef, ri à gorge déployée,
aimé à en perdre la raison, bu à en tituber et
dansé sur des rythmes
endiablés ! Et chacune
gens qui arrivent dans un
grand pays dont ils ne
parlent pas la langue et
ne maîtrisent pas les us
et coutumes. De jeunes
gens perdus dans l’immensité et l’hostilité d’un
urbanisme en pleine
expansion. Un couple
qui, de leur maison de
campagne, au coeur d’un
village où le temps
avance seconde par
seconde, au rythme du
clocher de l’église, se
retrouve plongé au milieu
de cités dortoirs, de tours,
front et armés des premiers outils qu’ils auront
pu trouver. Pour lui ce
sera un marteau piqueur,
pour elle un plumeau.
Les voilà prêts à assumer une bataille qui s’annonce rude mais une
bataille qu’ils assument
parce que cette vie, c’est
la leur, c’est celle qu’ils
ont choisi. Cela représente déjà une grande
part du seul luxe qu’ils
s’accordent et sur lequel
ils ne feront jamais l’impasse : la dignité !
“Les voilà prêts à assumer une bataille
qui s’annonce rude mais une bataille
qu’ils assument parce que cette vie
c’est la leur, c’est celle qu’ils ont choisi.”
des clubbeuses que nous
voyons aujourd’hui danser la tectonique en devisant sur la médiocrité de
leurs parents seront un
jour des grand-mères
aimantes et appliquées à
faire les meilleures crêpes que le monde eût
porté.
Il est donc extrêmement difficile d’imaginer
de façon concrète l’arrivée de ce couple en terre
inconnue. Et pourtant, sur
place tout a dû être si
concret pour eux.
Voilà donc de jeunes
34
de dizaines d’étages qui
affichent des milliers de
fenêtres s’abattant sur
eux comme autant de
paires d’yeux, à l’affût de
leurs moindres défauts,
dont les gens s’empareront bientôt pour les qualifier et les distinguer des
autres arrivants…
C’est donc en région
parisienne qu’ils s’installent, dans la première
chambre d’hôtel qui veut
bien les accueillir. Une
chambre d’hôtel qu’ils
paieront piécette par piécette à la sueur de leur
Dans cette bataille,
les ennemis vont s’avérer
nombreux et ne seront
pas toujours ceux que
l’on croit. Il faut lutter
contre une politique de
quota qui complique l’accès à l’emploi, il faut lutter
contre le Français moyen
qui, comme le disait si
bien Leluron, n’est pas
raciste puisque son chien
est noir, mais qui s’indigne tout de même,
comme disait Coluche,
de ces Portugais qui viennent voler le pain de
«leurs » arabes…non
mais des fois !
35
Liliana Azevedo
Liliana Azevedo
“L’intégration, l’intégration coûte
que coûte, c’est en cela que réside le
seul graal de ce jeune couple.”
Et puis il faut lutter
contre les Portugais euxmêmes. La solution de
facilité, qui consisterait à
se replier dans un communautarisme dangereux
et stérile. Rester entre
nous uniquement ? Nous
aurions pu le faire là-bas !
Cela nous bloquerait
dans notre quête d’inté36
gration ! Ce serait, d’une
certaine façon, tourner le
dos à ce pays… et pourtant lui, il nous a accueillis ! L’équilibre est d’une
difficulté herculéenne.
Comment trouver un
juste milieu entre cette
communauté qui est la
leur et vers qui ils vont
naturellement, et ce pays
dans lequel il leur faut,
c’est une évidence, s’intégrer à tout prix ?
L’intégration, l’intégration coûte que coûte,
c’est en cela que réside
le seul graal de ce jeune
couple qui, respectueux
et redevable, sait que
quoi qu’on lui fasse subir
ici et quelles que soient
les nouvelles règles du
jeu, il faut s’y plier, car
quelques prérogatives
qui, me dit-on, régissaient
leur comportement quoti-
Est-ce possible ? Tout est
déjà tellement à la hauteur des rêves que nous
“Dire merci, baisser la tête et ne pas
faire d’histoires. (...) Il s’agissait simplement d’une réelle humilité.”
c’est l’hôte qui annonce le
moment de passer à
table. L’invité ne se sert
pas au frigo, ne met pas
les pieds sur la table, dis
merci et aide même à
débarrasser.
Les bases sont simples, elles sont claires.
Une nouvelle vie commence.
Et si aujourd’hui les
choses me paraissent
compliquées ou que parfois, à l’écoute de ce périple, il peut m’arriver d’interpréter certaines parts
de ce récit avec une
réflexion «petit bourgeois» pour eux, à l’époque tout était simplement
limpide.
Il faut travailler et se
réjouir qu’on daigne nous
donner un emploi, sourire
à la vie, se contenter de
ce que l’on a et se donner
les moyens si l’on veut
plus. Dire merci, baisser
la tête et ne pas faire
d’histoires. Ne voyez pas
d’ironie ou un quelconque
second degré dans ces
dien. Il s’agissait simplement d’une réelle humilité.
Et après tout, cela se
comprend. Nous ne blâmons pas aujourd’hui les
manifestants qui lutent
pour leurs droits, arpentant la place de la république à Paris, des slogans
très imaginatifs plein la
bouche et des banderoles très créatives plein les
bras. Mais à l’inverse,
nous ne sommes pas
aptes à comprendre et à
concevoir que des gens,
vivant dans des pays où
la terreur fait pleuvoir des
bombes sur les enfants
de ceux qui prient chaque
jour un ciel sourd, aveugle et muet, étaient si
heureux de trouver en
France, du travail, de l’argent, un système social
développé, qu’ils s’en
émerveillaient
sans
jamais demander leur
reste.
Revendiquer?
Se
plaindre?
Pourquoi
donc!?
Pour avoir mieux ?
nourrissions !! Soyons
discrets et profitons
autant que faire se peut…
Tel était le mot d’ordre.
Et c’est ainsi, que le
rêve devenant réalité,
déversa bientôt de la joie
et du bonheur à outrance
sur une existence qui se
satisfaisait parfaitement
de toutes les difficultés.
Les clichés et la barrière de la langue devinrent des anecdotes et
cela tombait plutôt bien
puisqu’il s’agit là d’un
faux ami, et que le mot
anecdote en portugais
signifie : une blague.
C’est ainsi que les clichés et les imitations vinrent :
« B o n j o u r c h ,
madamch, échcouzé moi
mais jou bien mis lou chat
dehors ma maintenon il é
froid, y pourcontre lou
gâteau dans lou frigo…il
est mortch’ »
«Votre femme de
ménage, on ne comprend
absolument rien, c’est
désagréable, elle cho37
chotte, elle a un cheveu
sur la langue ou quoi ?! »
Et hop, tel le divin enfant,
le voilà né le cliché des
portugais poilus !
De la même façon, on
notera l’histoire de cette
Portugaise originaire du
nord. (D’une région du
Portugal où la prononciation est un peu particulière et où, en sonorité,
les V remplacent les B et
inversement.)
L’histoire donc de
La vie suivait son
cours et le bonheur s’installait peu à peu dans
cette nouvelle vie. Mais
au milieu de tout ce bonheur, vint se glisser un
manque dans l’existence
de mes aïeux. Celui
d’une famille restée à des
milliers de kilomètres
dans un monde où le
téléphone portable, msn
ou facebook n’avaient
pas droit de cité.
La déchirure reprenait
substance s’ils ne sont
pas partagés avec leurs
enfants et, d’autre part,
qu’ils s’éloignent peu à
peu de leur plan originel
qui faisait de ce passage
un moyen et non pas une
fin. Venus pour ne passer
que quelques années
avant de repartir dans
leur pays et retrouver
leurs enfants, les voilà
changeant leur fusil
d’épaule et décidant de
s’installer ici pour y vivre.
Les enfants sont encore
“La déchirure reprenait ses droits
et la blessure se rouvrait. Une
blessure purulente suintant ce
qu’on appellera la « saudade »”
cette femme qui se promenant dans les allées
d’un grand magasin de
hi-fi s’arrêta devant une
télé pour laquelle elle eut
un véritable coup de
coeur s’écriant alors à tue
tête dans le magasin :
«Bite, bite, un bandeur!»
Vous aurez compris
qu’elle appelait un vendeur et qu’elle espérait
que ce dernier vint le plus
vite possible… comme la
langue est parfois trompeuse!
38
ses droits et la blessure
se rouvrait. Une blessure
purulente suintant ce
qu’on appellera la «saudade», une blessure que
l’on pansera à coups de
chansons de Linda de
Suza, emplies de nostalgie, mais une blessure
beaucoup trop profonde
qui ne guérira jamais.
Mais alors que faire et
comment y remédier ?
Au moment même où
c’est ici que s’inscrivent
leurs projets d’avenir, ils
réalisent, d’une part, que
ces projets n’ont pas de
jeunes, ils s’adapteront
facilement, ils décideront
de les faire venir et de
s’installer définitivement
en France.
Cela nous paraît peu
de chose aujourd’hui.
mais il faut bien imaginer
que ce monde là, celui de
la fin des années 60, était
beaucoup moins mobile
que ne l’est le nôtre,
aujourd’hui en 2008. À
cette époque, me dit-on,
le monde était beaucoup
moins connecté, les
pays, les nations et les
peuples se confondaient
et la communication
39
Liliana Azevedo
n’était pas du tout ce
qu’elle est devenue.
Quitter son pays ce
n’était pas rien, c’était
SON pays, SA patrie que
l’on laissait derrière soi,
et prendre la décision de
s’installer définitivement
ailleurs, loin de sa famille,
c’était prendre la décision
ne les revoir qu’une fois
l’an, tout au mieux… n’allez pas vous imaginer
qu’ils pensaient à l’époque revoir leur oncle ou
dictature, la guerre et la
misère, qui n’ayant plus
rien que leur famille, veulent tenter le tout pour le
tout, pour sauver cette
famille et lui offrir un futur
loin du passé qu’ils ont
eu, mais qui, pour ce
faire, doivent couper physiquement les liens qui
les unissent à cette
famille, laissant leurs
enfants derrière eux.
Puis, qui arrivent dans un
pays étranger où ils doi-
comme envie de regarder
le monde droit dans les
yeux et de lui dire : «ce
sont
MES
grands
parents!» les larmes
emplissent mes yeux,
mais je dois me reprendre, l’histoire continue.
1968 mes parents
sont en France.
Sous les pavés, derrière les étudiants, là-bas
au loin, on voit une petite
fille qui rentre de l’école.
“Soudain je suis pris de remords ! J’ai
comme le sentiment d’avoir été protégé
de tout et j’en culpabilise comme si tout
à coup je prenais conscience d’un manque de substance, de vécu, de légitimité.”
leur tante en webcam ou
sur visiophone… c’était
grave comme décision !
Et s’ils se trompaient ? Si
les enfants ne s’adaptaient pas ?
Soudain je suis pris de
remords ! J’ai comme le
sentiment d’avoir été protégé de tout et j’en culpabilise, comme si, tout à
coup,
je
prenais
conscience d’un manque
de substance, de vécu,
de légitimité. Imaginez
ces gens qui ont connu la
40
vent apprendre une nouvelle langue, affronter le
regard de l’autre et
l’âpreté d’un travail qui,
aussi dur soit-il, est salvateur et dont ils sont donc
reconnaissant qu’on le
leur donne… le respect
me gagne, je me fais petit
face à eux, et immense
face au monde ! J’ai
comme envie de leur
demander pardon pour
toute l’ignorance dont j’ai
pu faire preuve et pour
tous les caprices que j’ai
pu
engendrer.
J’ai
Il s’agit de ma mère. Elle
a 10 ans et vit ici depuis
maintenant 4 ans. Quatre
belles années où elle
s’est fait des copines et
des copains. Le déracinement a été minime pour
elle. A 6 ans, on est
encore malléable et finalement pour elle cela
s’est passé aussi simplement que pour notre ami
Ronaldo, un ballon, des
sourires, quelques mois
d’adaptation et hop le
tour était joué ! (faut-il
rappeler que les joueurs
Liliana Azevedo
de football ont souvent
six ans d’âge mental???... tiens, il jongle
toujours là, à la télé…)
elle vit donc une parfaite
petite existence de française, avec de superbes
notes… à cette exception
près que sa mère et son
père parlent portugais à
la maison. Et cet autre
petit détail, que sa mère
est
concierge
d’un
immeuble de Pigalle, ce
qui fait d’elle la chouchoute de toutes les prostituées de cette rue. Et
oui, ce n’est pas courant
d’avoir comme nounou
les femmes de joie rondes et rougies par le froid
sous les quelques centimètres de tissus qui
cachent quelques centimètres de ce qu’elles ne
dévoilent jamais, leur
coeur, de cette rue mythique du vieux Paris des
cartes postales. Soudain,
je me retourne pour éviter
une matraque de CRS et
là, derrière moi, au milieu
des étudiants, je vois
passer un petit bonhomme qui bouscule
Daniel Cohn-Bendit en
plein discours et qui
fonce chez lui, la tête
basse. Il s’agit de mon
“Sa mère est concierge d’un immeuble de Pigalle, ce qui fait d’elle la
chouchoute de toutes les prostituées
de cette rue.”
41
père. Il a 12 ans, il vient
d’arriver et parle déjà très
bien le français grâce au
cours de langue de qualité du collège où il a
entamé ses études là-bas
au Portugal.
Mon père me raconte
qu’il a très vite appris à
parler un français parfait
grâce à ces bonnes
bases. Il insiste énormément sur la langue, l’importance de la maîtriser
et surtout il me dit cette
phrase : « j’ai été français
quand j’ai commencé à
même soyons le plus
intégrés, le plus enracinés possible dans ce
pays.
Mes parents sont arrivés à ces âges où les
liens sont si solides que
l’on ne peut les casser,
quand bien même à une
si longue distance qu’elle
nous mène au-delà des
frontières. Ils sont arrivés
à des âges où l’émigration ne représente pas
beaucoup plus qu’un
déménagement.
Aujourd’hui,
adultes,
qui ont plusieurs décennies d’avance sur ma
génération.
Ils
sont
citoyens du monde !
Riches de multiples cultures et d’une histoire
pleine, ils ne veulent pas
choisir, et je les comprends, car choisir entre
deux c’est abandonner
l’un…
L’émigration, l’exil, le
déracinement, tout me
semble plus concret à
présent. Je fais un raccourci rapide et conclus
“J’ai été français quand j’ai commencé à penser en français. Ça te
parle à toi penser en français ? Moi
quand j’ai résonné en français j’ai su
que j’étais français.”
penser en français. Ça te
parle à toi penser en français? Moi quand j’ai
résonné en français, j’ai
su que j’étais français. »
Mes parents m’ont
toujours parlé en français
et non en portugais.
Aujourd’hui j’ai la chance
de maîtriser les deux langues et je suis riche de
cela, mais ce que je comprends de mon éducation
à travers cet échange
avec mon père, c’est
qu’ils se sont battus pour
que mes frères et moi42
leurs liens sont forts qu’ils
auraient beaucoup de
mal à les casser, mais
ces liens, ils les ont tissés
ici. C’est en retournant au
Portugal qu'on les déracinerait à présent, et pourtant, au fond de leurs
coeurs, leur âme est restée portugaise. Ne seraitce que parce qu’on le leur
rappelle tous les jours.
Pas français ? Pas portugais ? Finalement je crois
que je les envie et je
pense que ce sont eux
qui sont dans le vrai et
avec mon père que finalement, il ne faut y voir
que du positif et se dire
qu’ils en sortent riches de
cette double culture. Je
jette un dernier coup
d’oeil à la télévision où
Ronaldo ne jongle plus, il
sourit. Je quitte la pièce
en lançant à mon père
que je sais à présent que
lui et ma mère sont
beaux, fiers, riches et…
je l’espère, heureux.
Lionel.
Turismo de Lisboa
43
44
A tous ceux
qui ne savent rien
J
e ne sais rien
de leur histoire.
J’ai 42 ans et
je
suis
en
France depuis 1971.
Novembre 1971. Mon
père était arrivé avant. Un
an avant. Maria dos
Anjos, ma mère, Carlos,
mon petit frère et moi
avons pris un train.
J’avais cinq ans. Carlos
peut-être 4, car il est né le
19
novembre
1967.
grands-parents. En fait,
surtout des bribes d’images, de sons, de senteurs, d’amour et de bonheur. Je ne savais pas
que je quittais le Portugal
et j’étais avec ma mère,
mon frère, pour rejoindre
mon père qui était loin.
Je ne sais rien et,
inconsciemment d’abord,
je n’ai rien voulu demander. J’ai entendu des
dizaines, en fait des cen-
“Je ne sais rien et, inconsciemment
d’abord, je n’ai rien voulu demander.”
Sommes-nous arrivés à
Paris, avant ou après son
anniversaire? Où sommes-nous arrivés? À
Austerlitz? Je n’ai aucun
souvenir du voyage. Je
n’ai aucun souvenir de
l’arrivée à destination. Je
me rappelle de pleins de
scènes de la Ville de
Guarda, où mes parents
travaillaient ; d’Alcains où
je suis né ; du petit village
de Carregais, posé sur le
flanc d’une colline boisée,
où ma mère était née et
où nous visitions mes
taines d’histoires racontées parfois plutôt comme
des anecdotes, souvent
par des hommes. Soit, à
la manière des récits de
caserne, ils rigolaient,
maintenant, de moments
qui avaient été vraiment
difficiles, mais dont ils
voulaient garder l’image
d’un chemin initiatique.
Soit ils racontaient, entre
émotion et colère, les
pires moments d’un périple noir, entre sauvagerie, escroquerie et humiliation, là où la majorité
45
Liliana Azevedo
“Je n’ai pas trouvé de document portant les noms de Carlos ou Hermano
pour ce voyage et mon premier passeport a été délivré le 22 janvier 1973 par
le Consulat du Portugal à Versailles.”
de ceux qui étaient
encore protégés des bassesses d’une émigration
clandestine ont perdu
une partie de leur âme,
de leurs croyances, de
leur insouciance, en
enterrant souvent, à 20
ans, leur propre jeunesse.
Ces premiers récits,
liant scènes de familles
au travail des champs ou
des fêtes et romarias à
des faits de guerre, en
Afrique, n’ont pas eu
prise sur moi. J’écoutais,
46
comme distrait, et j’entendais sans vouloir approfondir. Je ne posais pas
de questions et ne cherchais pas à lier ces histoires à celle de mes
parents. J’étais juste
conscient de faire partie
d’une famille noble et
courageuse, qui, comme
d’autres familles nobles
et courageuses, avait fait
un long voyage pour
chercher, parfois dans le
gris de la région parisienne, quelque chose de
mieux que le ciel bleu de
la Beira Interior n’avait
pas pu leur apporter.
Je n’ai pas trouvé de
document portant les
noms de Carlos ou
Hermano pour ce voyage
et mon premier passeport
a été délivré le 22 janvier
1973 par le Consulat du
Portugal à Versailles.
C’est celui que mes
parents présenteront aux
Douanes portugaises de
Vilar Formoso, le 8 août
suivant, pour ce qui a dû
être mon premier retour.
“Il en est pour les premiers mois de
vie en France comme pour ce voyage
que j’imagine préparé dans le secret,
je n’ai pas de version officielle.”
J’ai retrouvé aussi mon
Bulletin Individuel de
Santé, délivré à Alcains
en 1966, et portant mention de mes vaccinations.
La première, le 6 octobre
1966
(anti-variolique).
Mais c’est un très vieux et
très
jauni
Certificat
International
de
Vaccination ou de revaccination contre le choléra
qui me donne indication
des derniers jours passés
au Portugal, avec une
dernière
vaccination
reçue sur le sol portugais
le 11 novembre 1971.
Bizarrement, ce document ouvert pour la première piqûre contre le
choléra le 18 octobre
1971, mentionne le village de ma mère, et non
la ville de Guarda,
comme
étant
mon
adresse. Comme si ma
mère ne voulait pas qu’à
Guarda, on sache qu’un
document international
existait et présageait d’un
départ éminent. Un document obtenu dans un
bourg chez les siens, loin
des yeux soupçonneux
d’une dictature veule et à
bout de souffle, mais suffisamment
organisée
dans la ville des autres.
Il en est pour les premiers mois de vie en
France comme pour ce
voyage que j’imagine préparé dans le secret, je
n’ai pas de version officielle. Je vois les tampons des administrations
françaises sur mon vieux
certificat de vaccination,
avec le sceau de la
Mairie ou le tampon d’un
hôpital, mais je n’ai que
quelques souvenirs du
47
pavillon de domestiques
attenant à une grande
maison bourgeoise, où
ma mère, maîtresse
d’école au Portugal, servait, nettoyait, rangeait,
déclinait à foison le mot
de « sacrifice » tout en
animant son mari, tour à
tour, dans un même parcours complet de pendule, jardinier dans le jardin des autres, puis nettoyant les beaux immeubles des quartiers huppés
- que ses enfants chercheront à habiter plus
pres et dégradées. Je me
rappelle pourtant de mon
école primaire, des journées de fin de semaines
passées souvent en compagnie de mes parents
dans les entreprises où
ils travaillaient en plus,
puis à la messe, parfois
en forêt ou dans les
parcs. Ma mère, en
usine, préparant, dans un
bruit assourdissant de
machines, des millions de
kilomètres de caoutchouc
pour isolation des vitres
des voiture. Mon père,
novembre 2008. Mon
père a maintenant 65 ans
et frappe toujours d’un
pas rageur chaque jour
que Dieu lui donne, beaucoup à Carregais entre
les vignes et les oliviers,
dans ce paradis perdu
qu’ils ont toujours cultivé ;
ma mère aurait eu 69 en
janvier, si l’hôpital de
Castelo Branco avait eu
la bonne idée de la laisser survivre à un mauvais
rhume, et est enterrée
dans le cimetière tout
blanc et paisible de
“Mon père, commençant à 4 heures
du matin, qui se couchait toujours trop
tard pour une nuit toujours trop courte,
happé par cette envie irrésistible de
lutter pour des jours meilleurs,”
tard - avant de finir, en
soirée, gestionnaire de
stocks à ranger les milliards de tonnes de palettes que les hypermarchés
proposaient
déjà.
Tellement loin de son
activité de cadre commercial régional pour un
équipementier international basé à Guarda.
Loin aussi, les premiers déménagements
vers une cité propre et
arrangée, mais encerclée
par des cités moins pro48
commençant à 4 heures
du matin, se couchait toujours trop tard pour une
nuit toujours trop courte,
happé par cette envie
irrésistible de lutter pour
des jours meilleurs, souvent pour les autres
parce que les associations et les syndicats ont
cette posture d’exiger
beaucoup de temps à
certains et une participation toujours très limitée
du plus grand nombre.
Trente-sept ans plus
tard, nous sommes en
Montes da Senhora, sous
une dalle noire où pour la
première fois les noms de
Ribeiro
Carrega
et
Sanches Ruivo se sont
retrouvés gravés dans la
pierre ; Carlos vient de
fêter ses 41 ans, à
Shangai, en route pour
l’Australie, plein de projet
dans la tête et notamment celui de s’installer à
Lisbonne, la trop belle
sirène couchée au bord
du Tage.
Nous serons toujours
quatre, car aucun des
49
trois qui restent ne peut
oublier les trois autres.
Une personne ne meurt
jamais complètement tant
qu’une autre continue de
s’en
souvenir.
Tant
qu’une photo, un film, une
lettre, un nom, continuent
d’être regardés, lus,
susurrés. Tant qu’une
histoire, parmi les millions
de récits possibles de
cette migration portugaise des années 70,
continuera d’être réécrite,
accouchée, toujours dans
la douleur, transpirée ou
mais elle est poignante.
Elle n’est pas avilissante,
bien au contraire, mais
elle porte trop de sentiments. Elle n’est pas nouvelle, mais n’a jamais été
écrite avec les noms que
nous portons, entre les
villes que nous connaissons, sur les choses qui,
jour après jour, ont
façonné nos personnalités, à bien ou à mal.
J’éprouve une grande
tristesse parce que je
crois que trop d’ombres,
de flou, cachent, en réa-
ces ; commencer à ouvrir
la porte de cette pièce
remplie de toutes les
émotions trop longtemps
délaissées et qui se vengeront maintenant de la
pire des façons, en submergeant tout. Au début,
je ne savais pas, comme
aucun enfant ne pouvait
savoir. Adolescent, je
cherchais mes propres
marques et, jeune adulte,
je travaillais à ma propre
tribu. Adulte maintenant,
je suis obligé de répondre
aux questions de mes
“Une personne ne meure jamais
complètement tant qu’une autre continue de se souvenir. Tant qu’une photo,
un film, une lettre, un nom, continuent
d’être regardés, lus, susurrés.”
pleurée et rarement donnée sans combat.
Alors ce premier
témoignage voulait juste
montrer que, comme des
milliers de fils et de filles,
de frères et de soeurs, de
cousins et de cousines, je
ne connais qu’une infime
partie de ce que nos
parents
ont
vécus.
Certains sont morts trop
tôt, d’autres ne voudront
pas tout dire, les derniers
ont commencé de parler.
L’histoire n’est pas triste,
50
lité, de belles vérités
empreintes
d’humanisme. Entendre parfois
parler de l’histoire de mes
parents, qui est un grand
bout de la mienne, me fait
comprendre que tout n’a
pas été dit et que les stéréotypes ont la vie dure.
Ainsi j’accepte ce que
j’ai
toujours
refusé
jusqu’ici : commencer à
poser les vraies questions; commencer à vraiment écouter les réponses ; commencer à en
accepter les conséquen-
enfants. Je n’y échapperai pas. Je sais que cela
va être très dur. J’écris
ces lignes depuis presque trois heures et j’ai
déjà pleuré plus qu’en
douze longs mois.
Je m’y suis préparé.
C’est dans les gênes de
tous les migrants. Et les
nôtres migrent depuis
que le Portugal existe.
Hermano.
51
52
Le Portugal
de mon coeur
M
ême si je
ne suis pas
né sur les
terres lusitaniennes, ma
conception je crois...
c’était là-bas...
Mes
parents
ont
décidé, un beau jour, de
retourner dans leur pays
natal, et à ce moment-là,
c’était bien leur pays et
non le mien. J’avais 8
ans, autant dire que pour
moi, c’était plus une
aventure de Crusoé des
temps modernes qu’un
défi de la vie ! Cette
être la fin de l’histoire est
en fait devenu le début
d’un chemin sinueux parsemé d’embûches...
Mon père s’est mis à
son compte, dans le bâtiment (tiens!), il a embauché les jeunes du village
en manque de travail. Ma
mère, elle, a pris quelques cours de comptabilité et est devenue assistante de luxe... Quant à
mon frère et moi –oui j’ai
oublié de vous dire que
j’ai un frère, quatre ans
plus jeune que moi (et 8
cm de moins, mon cher
“Mes parents ont décidé, un beau
jour, de retourner dans leur pays
natal, et à ce moment-là, c’était bien
leur pays et non le mien.”
aventure a pourtant très
mal commencé, elle a
même failli s’arrêter un
beau matin d’hiver, en
Espagne à Bilbao, lorsque qu’un sale c... a grillé
un feu et nous est rentré
dedans, nous envoyant
en tonneaux sur 100
mètres... Ce qui aurait pu
frère !!!) – tous les
matins, nous avons
appris ce qu’est aller à
l’école par de beaux chemins décorés par les couleurs des saisons, nous
avons appris à réapprendre, car l’éducation nationale portugaise en 1983
était bien différente de
53
celle que nous connaissions en France... Les
souvenirs sont mémorables... la sortie de l’école
se faisait toujours dans la
joie et la bonne humeur,
on improvisait des jeux
en chemin, tantôt on
jouait avec les quelques
poules vagabondes, tantôt on suivait à la trace
une pauvre fourmi qui
emportait des éléments
dix fois plus grands
qu’elle! la vie était belle...
Enfin, en tout cas pour
mon frère et moi...
Car, deux ans après
notre arrivée, c’était de
nouveau le départ de
NOTRE pays, et pour
mes parents, c’était un
pilule était dure à avaler,
et même nous, aussi jeunes, sentions toute la
frustration, la peine et le
découragement de nos
parents... Après tous ces
allers-retours, la vie s’est
stabilisée en France, la
vie a repris son cours,
mes parents ont refait
leur vie (chacun de leur
côté d’ailleurs, à croire
que c’est à la mode).
Aujourd’hui mon frère a
24 ans et se prépare à
être policier (ça peut toujours servir d’en connaître un !) et moi, à 28 ans,
je travaille au sein de la
communauté portugaise,
avec au fond de moi, une
soif de revanche contre le
“Après tous ces allers-retours, la vie
s’est stabilisée en France, la vie a
repris son cours, mes parents ont refait
leur vie chacun de leur côté .”
départ au goût amer,
même s’il ne se faisait
pas dans les conditions
de celui qu’ils vécurent
jeunes “a salto”, bravant
des conditions redoutables dans les Pyrénées
(en ce qui concerne mon
père, il a d’ailleurs perdu
un ami en route...), la
54
destin... Qui sait, un jour
peut-être je reprendrai le
flambeau et irai réussir là
où mes parents ont
échoué...
Car pour eux, l’avenir
n’est plus là-bas, mais
bien ici...
Jean-Philippe.
55
56
Turismo de Portugal / Jose Manuel
De Neves
à Paris
D
e Neves à
Paris. En voiture, en barque, en train
ou encore à
pieds. Une aventure qui
était loin d'être sûre. Voici
l'histoire de cet émigrant
de l'année 1970.
Américo, un homme
de 56 ans, est émigré en
France depuis les années
70. En ce temps-là, l'émigration était très contrôlée. Malgré cela, Américo
a décidé de tenter sa
chance par la voie clandestine. Le passage était
risqué, mais qu'importe, à
quelques jours de ses 18
ans, il sait ce qui l'attend
soldats mourraient. Moi
j'ai préféré fuir mon pays,
et rester en vie. » Les
démarches au Portugal
pour les clandestins
étaient très difficiles à
cause de la PIDE, la
police secrète portugaise,
qui grâce à quelques personnes, s'informaient en
échange d'argent. Tout
était non-dit. « J'en ai
parlé à mon père et il
s'est occupé de tout. Je
ne peux te dire comment
car je ne sais pas. Je sais
juste qu'il a contacté
Berto, un homme de
notre village et qu'il lui a
payé 6 500 escudos pour
me faire passer la fron-
“Le passage était risqué mais qu'importe, à quelques jours de ses 18 ans,
il sait ce qui l'attend s'il reste au pays.”
s'il reste au pays. C'est
avec ses mots que son
histoire
commence.
«C'était la fin mars, je
savais que mes 18 ans
approchaient, et par
conséquent, je devais
aller à l'armée. À cette
époque, on était recruté
et souvent on finissait par
être appelé pour partir en
Afrique où beaucoup de
tière. » Le voyage payé, il
ne reste plus qu'à embarquer et surtout ne pas se
faire prendre. « Il devait
être 5h ou 5h30 du matin
quand mon père m'a
emmené dans la forêt
pour retrouver Berto. Je
suis parti avec lui et un
autre homme de mon village. On est arrivé à
Neves, un village où
57
“On a roulé pas mal de temps avant d'arriver près d'une forêt, qui ne devait pas être
très loin de l'Espagne. Là, la voiture s'est
arrêtée sur le bas côté et a attendu. Elle a
fait des appels de phare, on lui a répondu.”
Berto avait laissé une
Peugeot noire. Nous
sommes entrés dans la
voiture et peu de temps
après, deux autres personnes nous ont rejoints.
Serrés comme des sardines,
la
voiture
a
démarré.» Le voyage
commençait enfin. «On a
roulé pas mal de temps
avant d'arriver près d'une
forêt, qui ne devait pas
58
être
très
loin
de
l'Espagne je présume.
Là, la voiture s'est arrêtée
sur le bas côté et a
attendu. Elle a fait des
appels de phare, on lui a
répondu, et nous sommes sortis de la voiture.
Toujours dans le silence,
un homme est sorti de la
forêt et nous a fait signe
de le suivre. Nous ne
savions pas qui il était ni
pourquoi il était là.
L'essentiel était qu'il nous
emmène à bon port. On a
marché pendant quelques minutes, on a gravi
la montagne et, en
contrebas, il y avait le
fleuve et une barque qui
nous attendait. Je me
rappelle que l'eau était
calme et qu'aucun bruit
n'était perceptible. Nous
avons embarqué, il devait
“Quelques minutes plus tard, nous
étions de l'autre côté du fleuve.
L'aventure en Espagne allait enfin
commencer.”
y avoir pas moins de 15
personnes dans cette
petite barque. Je ne
savais pas du tout où
nous étions. Je me souviens seulement que j'ai
aperçu de fortes lumières, peut-être était-ce la
frontière. Quelques minutes plus tard, nous étions
de l'autre côté du fleuve.»
L'aventure en Espagne
allait enfin commencer. «
Nous avons marché longtemps, nous avons traversé un chemin de fer,
puis des vignes. Nous
étions des moutons, nous
suivions chaque nouvelle
personne que nous rencontrions. Mais, je m'en
rappelle bien de ce passage là, car comme
j'étais le plus jeune, j'étais
un peu paniqué, alors
j'essayais de suivre le
rythme. Je voulais tellement bien faire qu'en suivant de trop près l'un de
ceux qui était avec nous,
il m'a écrasé le pied.
Quelle douleur j'ai eu.
Mais je ne pouvais faire
aucun bruit.» L'Espagne,
une
terre
d'accueil.
«Nous sommes arrivés
sur une petite route au
milieu de la forêt, et là, la
personne
qui
nous
accompagnait nous a
laissés. On se cachait
dans la brousse en
silence. Puis un homme
est apparu, comme toujours d'on ne sait où, et il
nous a fait signe de le
suivre. Sa stratégie était
simple, il marchait 20
mètres devant nous, au
cas où. À un moment, il
s'est volatilisé, mais n'oubliait pas de nous indiquer de suivre le chemin.
Ce chemin qui menait à
une gare espagnole.
J'étais le plus jeune du
groupe, je ne me suis
occupé de rien, je sais
juste que quelqu'un a
acheté les billets à la
gare. Ceux qui étaient de
chez moi, s'occupaient
de moi. D'ailleurs, il se
produisit une chose
étrange, pendant que
nous attendions le train,
l'homme qui nous avait
accompagné jusqu'à la
gare est passé et nous a
compté, nous, évidemment, nous faisions mine
de ne pas le regarder.
Cela toujours dans le
silence. » La voie royale
pour la France s'ouvrait.
« On est rentré dans le
train. On s'est installés,
puis on a essayé de dormir malgré les secousses, car le chemin était
plutôt détérioré. Les uns
contre les autres, on
essayait de dormir pendant le long chemin
jusqu'à Hendaye.» La
porte de la frontière française n'était plus qu'une
étape sur le long chemin
de la liberté. « Arrivés à
Hendaye, c'était chacun
pour sa pomme. Toujours
avec le groupe de mon
village, on s'entre-aidait.
Un premier a passé le
grillage qui séparait
l'Espagne de la France.
Puis l'un d'un côté et un
autre de l'autre, ils m'ont
aidés à basculer en
France. Enfin en France,
nous avons retrouvé
Berto. Il nous a acheté
les billets pour pouvoir
aller à Paris. Et c'est là
que j'ai vu le plus terrible
de mes souvenirs. Une
femme, complètement
blanche, accroupie dans
59
un coin. Je l'ai regardé,
mais évidemment je ne
pouvais rien faire, nous
étions terrifiés, nous n'arrivions même pas à parler, de peur d'être pris.
Cette femme, je m'en
souviendrais toute ma
vie. Elle était là, avec ses
jambes recouvertes de
sang jusqu'à ses bottes.
Je voyais déjà du sang
séché par le froid qu'il faisait. Elle était si pâle,
pleine de sang. Je ne
sais pas ce qu'elle est
devenue. On devait partir
aussi vu le reflet de la
lumière sur l'eau. Je ne
sais pas où nous étions,
mais cela ne devait pas
être loin de la Seine.
Nous avons frappé à sa
porte, il n'était pas là,
mais son beau-frère nous
a ouvert la porte. Là, il
nous a montré un lit, et on
a dormi tous ensemble
dedans. C'était déjà bien
plus confortable que ce
qu'on
avait
eu
jusqu'alors. » L'aventure
se terminait. « Le matin,
ils nous ont donné un
heur d'arriver en France.
Au Portugal, j'ai commencé à travailler à l'âge
de 13 ans et je gagnais 7
escudos par heure. Après
sur les chantiers portugais, je gagnais 48 escudos par jour. C'était déjà
bien pour l'époque. Le
plus terrible à ce moment
là, c'était de garder le
secret jusqu'au dernier
moment. Il y avait une
personne qui dans mon
village me disait toujours
que je n'allais pas tarder
à partir en France. Mais
“Une femme, complètement blanche,
accroupie dans un coin. Je l'ai regardé
mais évidemment je ne pouvais rien
faire, nous étions terrifiés, nous n'arrivions
même pas à parler, de peur d'être pris.”
et on n'avait pas le temps
de porter assistance à
quelqu'un. Je ne suis pas
médecin, mais mon
impression, c'est qu'elle
avait une hémorragie. »
La capitale française était
enfin à portée de vue. «
On a pris le train jusqu'à
Paris, Gare d'Austerlitz.
Puis on est monté dans
un taxi, et on lui a indiqué
l'adresse de Berto à
Paris. Quand nous sommes arrivés chez lui, j'ai
remarqué que c'était un
grand immeuble et j'ai
60
petit déjeuner, et après,
chacun est parti de son
côté. Le groupe se séparait enfin. Berto m'a
accompagné jusque chez
mon frère qui habitait en
France.» Une nouvelle
vie commençait. « J'ai eu
la chance qu'on m'aide à
trouver un travail. À l'époque c'était essentiel. Si tu
avais un contrat de travail, tu pouvais prétendre
à la carte de séjour. »
Une aventure dont il se
souviendra pour toujours.
« Pour moi, c'était le bon-
moi je démentais toujours. Si on découvrait
mes intentions, je n'aurais jamais pu partir. »
Aujourd'hui, Américo
revoit sa situation dans
celle des Africains. « Nos
passeurs étaient comme
ceux qui exercent en
Afrique. Tu payes et
après tu vois s'il est
sérieux et s'il t'aide vraiment. » Quant à ses
parents, Américo sait
qu'ils étaient contents
pour lui. « Ils voulaient
que je sorte du pays, car
“Sa vie est en France, et cela grâce
à 6 500 escudos et à deux jours de
chemin à travers le Portugal,
l'Espagne et la France.”
ils savaient que si je restais, je serais parti en
Afrique. Ils voulaient que
je vive heureux, même si
cela devait m'emmener
en France. »
Liliana Azevedo
Américo ne regrette
pas son choix, il a été, et
est encore aujourd'hui,
heureux en France. Le
Portugal pour lui, c'est
surtout les vacances et le
moment de revoir la
famille. Près de la
retraite, il n'est pas du
tout prêt à repartir. Sa vie
est en France, et cela
grâce à 6 500 escudos et
à deux jours de chemin à
travers
le
Portugal,
l'Espagne et la France.
En cette fin du mois de
mars de 1970, à quelques jours de son 18ème
anniversaire qui est en
début avril. Quelques
jours avant d'être appelé
à aller au service militaire, qui ne réjouissait
personne à l'époque.
Marco.
61
62
Turismo de Lisboa
Lettre
à mon Pays Natal
J
e
te
salue
Portugal,
Au nom de tous
ceux qui un jour
ont dû partir.
Je te salue Portugal,
Dans la langue de
Molière,
Puisqu’elle épouse chaque jour
Dans ma vie celle de
Camões.
Je ne me présente pas,
Car tu me connais, mieux
Et pourquoi cette obsession
De résister à toutes les
tempêtes de la vie ?
Et pourquoi cette obstination tenace
De réussir coûte que
coûte ?
Parce qu’un de tes
enfants, Portugal !
Est plus qu’un navigateur
Accroché à son gouvernail, comme le marin
Du
jolie
poème
Un Portugais à l’étranger
c’est toi tout entier.
que personne.
Je suis faite de ta curiosité,
De ton désir d’aventure,
De ton ambition
Et pourquoi pas
De ton arrogance
Et de ton défi.
Un Portugais est un peu
de tout cela,
En quantité suffisante
pour aller
Au-delà de tes frontières,
Et pouvoir se réjouir de la
« saudade »
Et pouvoir sourire face à
l’adversité.
«Mostrengo»
de
Fernando Pessoa.
Un Portugais à l’étranger
c’est toi toute entier.
Voici la raison
De mon salue journalier.
Voici la raison
De me sentir avec toi à
l’étranger.
Et cette douce «saudade»
Me berce chaque fois que
je m’endors
Et m’encourage à chaque
réveil.
Maria.
63
64
Liliana Azevedo
ci je ne suis pas vraiment française,
Là-bas, je suis fille
d’émigré.
J’ai appris le portugais, j’ai lu les livres
Etudié l’histoire, la géographie
Afin que personne ne
remarque la différence…
I
Chaque
année
des
indélébile…
Pour panser l’absence,
un seul baume : je me
rassasie
De saveurs et d’odeurs
de là-bas. Je lis des vers
et écoute
Des mots chantés dans la
langue de mon Père.
Je voudrais dire aux portugais de là-bas :
Et à l’heure de repartir :
la déchirure.
vacances inoubliables.
Ma montagne rude et
abrupt comme les gens
qui l’habitent.
Les soirs, le ciel est parsemé et illuminé d’étoiles
Et dans le fond, concert
de grillons et sérénade de
grenouilles
Et à l’heure de repartir : la
déchirure.
J’ai entendu chanter
maintes fois «a saudade»,
Elle habite mon coeur,
elle se nourrit de mes
douleurs,
De mes déceptions…et
ce manque, ce souvenir
Mes parents ne sont pas
incultes, ils ont fui pour se
Nourrir et pour ne pas
mourir. Pour offrir, un
meilleur
Futur à leurs enfants, loin
de la dictature et des
tyrans.
Je suis née ici, je suis
riche de deux cultures,
c’est une chance…
Mais je continue malgré
tout à être perdue…
Au Portugal, je ne veux
plus être étiquetée : « fille
d’émigré » !!!
Marie.
65
66
Mes grands-parents
sont des héros, en quelque sorte....
N
ovembre
2008
Je m'appelle MarieHélène, j'ai
22 ans. Ma mère est française,
originaire
de
Champagne. Mon père
est portugais, d'un village
du centre du pays : Mira
de Aire. Mes parents sont
famille est réunie autour
da braseira, bassine en
métal dans laquelle on
mettait des braises pour
se réchauffer. Le chef de
la famille – mon grandpère – vient leur dire au
revoir. À ce moment, mon
père ne comprend pas ce
qui se passe, mais devine
qu'ils ne se verront pas
“Il y a 25 ans, mon père avait 22 ans
et pour lui ça n’a pas été aussi facile.”
séparés, je vis avec ma
mère et mon beau-père,
«à francesa».
Avoir 22 ans au
21ème siècle, franchement, c'est pas trop dur.
On a toute la vie devant
soi et des soucis pas si
dramatiques que ça.
Il y a 25 ans, mon père
avait 22 ans et pour lui ça
n'a pas été aussi facile.
Flashback
En 1961, mon père
naît na Rua da Escola
Velha à Mira de Aire. Il a
un frère qui a 9 ans de
plus que lui. En février
1964, mon père n'a que 3
ans. Un soir, toute la
pendant un long moment.
Je resterai toujours
admirative face à ce courage. Ils sont partis de
rien, tenter leur chance
dans un nouveau pays sur
lequel ils ne savent rien,
dont ils ne parlent pas la
langue non plus. Comme
si, tout tenter pour améliorer leurs conditions de vie
était leur devoir de chefs
de famille.
Ils sont tout un groupe
à «tenter l'aventure» :
rejoindre, à pied, avec
des passeurs, la France.
Pendant des semaines,
ils marcheront, se cacheront, ne mangeront pas à
leur faim… J'ai appris
67
que mon grand-père a
travaillé comme bûcheron dans le Var, avant de
rejoindre
Champigny.
Pendant
quelques
années, d'un coté, ma
grand-mère élevait seule
ses deux garçons, d'un
autre coté, mon grandpère travaillait à longueur
de journée, dormait dans
des bidonvilles et économisait le moindre sou
pour sa famille.
Mira de Aire est une
petite ville dans le centre
du pays et j'ai toujours
pensé que peu de personnes étaient parties
tenter leur chance à
l'étranger. Après tout, la
plupart de mes amis portugais, ici, viennent du
nord du Portugal. Mon
père me contredit : « Il y a
eu et il y a encore énormément d'émigrants à
Mira de Aire, en France,
en Allemagne, au Brésil,
aux
États-Unis,
au
Venezuela etc. »
Décidément, je n'imaginais pas tout ça…
Il continue à racon-
ter… De temps en temps,
son père rentrait à la maison, au Portugal : un été,
pour faire installer l'eau et
l'électricité, une fois pour
Noël, une autre fois avec
une mini-télé en noir et
blanc. Grâce à son travail, la famille de mon
grand-père
devenait
aisée.
«Je
me
rappelle
qu'une année, [mon père]
a eu un accident au travail et il a pu venir passer
Noël avec nous. Il m'a
ramené une petite voiture
Postais de João Vieira, Mira de Aire
“Mon grand-père travaillait à longueur de journée, dormait dans des
bidonvilles et économisait le moindre
sou pour sa famille.”
68
Postais de João Vieira, Mira de Aire
de pompier, du style
«Majorette». Tu n'imagines pas pendant combien
de temps j'ai gardé cette
voiturette ; je n'avais
jamais reçu de cadeaux
pour Noël avant. C'était
ça mon enfance. Du jour
au lendemain, on m'a
envoyé en France.»
1971
Mon oncle a 19 ans, il
doit faire son service militaire, en Guinée Bissau.
Une autre histoire, pas
belle non plus je pense.
Mon père a 10 ans et
c'est décidé, sa mère et
lui partent en France
rejoindre son père.
Et les premières difficultés arrivent. Alors que
ma grand-mère obtient
facilement un passeport
et peut voyager sans pro-
blème, celui de mon père
lui est refusé. On finira
par leur faire comprendre
que c'est pour des raisons militaires.
Raisons militaires? À
10 ans? Je l'interroge.
«Les autorités ne laissaient pas partir les garçons, même de 10 ans,
car ils avaient besoin de
monde pour les guerres
coloniales.»
“C’est donc clandestinement que mon
père rejoindra la France, comme son
père quelques années auparavant.”
69
C'est donc clandestinement que mon père
rejoindra la France,
comme son père quelques années auparavant.
Le voyage
Il part avec un passeur. Le voyage se fait en
train jusqu'à la frontière.
Mon père me raconte
qu'ils doivent descendre
du train un peu avant
d'arriver à Vilar Formoso,
pour éviter les contrôles.
Pour traverser la frontière, il se mélange à un
et leurs enfants et d'autres personnes encore
pendant quelques semaines. Après, ils emménagent dans un pavillon de
Champigny sur Marne,
où vivaient déjà trois
autres hommes, puis
dans un autre appartement « délabré ».
Pendant des années,
mon grand-père travaillait
sur les chantiers, ma
grand-mère faisait des
ménages, mon père allait
à l'école et, petit à petit,
ils ont construit leur vie
sont aujourd'hui encore.
Mais finalement, mon
père n'a pas été privé,
comme je l'aurais imaginer. Pour avoir un peu
d'argent
de
poche,
comme les copains, il a
commencé à travailler
très tôt. D'abord, en servant dans des cafés, les
clients portugais qui partaient travailler. A cette
époque, ses patrons
l'emmenaient en vacances au ski, à la mer etc.
«Les loisirs, je n'ai pas à
me plaindre. Les grands-
“Mes grands-parents n’ont jamais eu
de loisirs. Ils ont 84 ans et je suis sûre
qu’ils ne sont jamais allés au cinéma.”
troupeau de moutons,
sans oublier de donner
une pièce au berger, pour
qu'il retienne les bêtes.
Une fois en Espagne, ils
prennent de nouveau le
train jusqu'à la frontière.
Cette fois, c'est cachés
sous les trains qu'ils passent la frontière.
Une fois arrivés au 21
Rue Paul Sangnier, à
Villiers sur Marne, ils
appellent ma grand-mère
qui les rejoint en train
deux ou trois jours après.
En France
Arrivés en France, ils
ont partagé une maison
avec un oncle, sa femme
70
ici, sûrement sans s'en
apercevoir.
En même temps, ils
faisaient bâtir une maison
au Portugal, qui a d'abord
servi à mon oncle, puis à
mes
grands-parents
quand ils y sont retournés, à l'âge de la retraite.
Curieuse, je demande
à mon père quel rapport il
avait avec l'argent, en
m'attendant
à
une
réponse
classique
comme « chaque sous
comptait, on se serrait la
ceinture, mes parents
étaient très stricts, etc. ».
En fait, non. Certes, mes
grands-parents étaient
plutôt économes et le
parents n'en ont jamais
eu, par contre. Ils ont 84
ans et je suis sûr qu'ils ne
sont jamais allés au
cinéma.». J'en suis persuadée aussi.
Anecdotes
Avec le recul, je me
rends compte que les
seules fois où mon grandpère m'a parlé de sa vie
en France, c'était pour
me raconter des anecdotes. Des problèmes de
compréhension dus à la
barrière de la langue, des
souvenirs de collègues,
etc. Mais finalement, il ne
m'a jamais parlé de tout
71
Postais de João Vieira, Mira de Aire
“Et vous, vous saviez que dans les
années 60’, un groupe de portugais a
réclamé l’indépendance du bidonville de Champigny sur Marne?”
ça, le voyage, le travail
en France, les conditions
de vie... Par pudeur ?
Je demande à mon
père de me raconter des
anecdotes, des faits qui
l'ont marqué.
Et vous, vous saviez
que dans les années 60,
un groupe de Portugais a
réclamé l'indépendance
du
bidonville
de
Champigny sur Marne?
Déclaré territoire portugais, ils contrôlaient les
72
entrées et les sorties et y
avaient symboliquement
planté un drapeau portugais au milieu.
Aujourd'hui, cette histoire peut faire sourire,
mais je la trouve importante ; elle montre leur
persévérance et leur
rage.
Une autre anecdote
me revient. Mon père me
l'avait racontée il y a longtemps. Au moment de
faire ses papiers français,
à la sous-préfecture de
Rosny sous Bois (93),
une salariée propose à
mon père de franciser
son nom, pour qu'il s'intègre plus facilement.
Vieira aurait pu devenir
Vicira. Évidemment, il a
refusé, mais…
Avec le temps
J'espère que mon
grand-père est fier de lui,
de ce qu'il a fait de sa vie.
Il est parti de rien et, en
“Au moment de faire ses papiers français, à la sous-préfecture, une salariée
propose à mon père de franciser son
nom. Vieira aurait pu devenir Vicira.
Évidemment, il a refusé, mais…”
pas lancé d'entreprise ou
autre, mais ils ont réussi,
à leur manière.
Mes grands-parents
sont retournés vivre au
Portugal quand ils ont été
en âge de prendre leur
retraite. Moi, je venais de
naître.
Je
me
rappelle
qu'étant
petite,
ils
venaient me chercher à
Paris pour m'emmener
passer les vacances au
Portugal. Et même si
aujourd'hui, ils ne reviennent plus en France, ils
s'en souviennent encore.
Des personnes qui leur
ont donné du travail ou
un toit au début, des collègues, de certains lieux
Postais de João Vieira, Mira de Aire
quelques années, il a
réussi à changer la situation de sa famille, à faire
venir sa femme et son fils
en France, à ses cotés, à
trouver du travail pour
l'une et une école pour
l'autre. À leur offrir une
vie meilleure.
Ils ne sont pas devenus millionnaires, n'ont
73
Postais de João Vieira, Mira de Aire
“Mais le plus marquant c’est ce
devoir de transmettre ce témoignage au reste de ma famille,
qu’elle soit portugaise ou française que je ressens à présent.”
où ils ont vécus, des
Italiens, des Français ou
des Espagnols qu'ils ont
rencontrés, etc.
Il y a un mois encore,
je ne connaissais pas
toute leur histoire, je n'en
avais qu'une vague idée.
Pour pouvoir rapporter ce
témoignage, j'ai demandé
à mon père, qui vit maintenant au Brésil, de me
raconter son histoire et
74
celle de mes grandsparents.
À force de lire et de
relire les messages qu'il
m'a laissés, de lui poser
des questions, d'imaginer
ces bouts de gens traverser deux, trois, voire quatre ou cinq pays, sans
aucune garantie de réussite, j'ai l'impression de la
connaître par coeur maintenant. Mais, le plus mar-
quant c'est ce devoir, de
transmettre ce témoignage au reste de ma
famille, qu'elle soit portugaise ou française, que je
ressens à présent.
Et surtout, beaucoup
d'émotion, de fierté. Mes
grands-parents sont des
héros,
en
quelque
sorte…
Marie-Hélène.
75
Postais de João Vieira, Mira de Aire
Le saut
vers l’inconnu
L
es histoires de
l'émigration
de
nos
grandsparents et de nos
parents se ressemblent un peu toutes,
du moins les raisons de ce
départ sont similaires, ou
presque. Echapper à un
service militaire trop long,
offrir une meilleure vie aux
siens, partir à la recherche
de «El dourado» tant
espéré. C'est aussi et surtout un drame personnel,
un déchirement, une cassure, une séparation familiale, linguistique, patriotique, car les hommes partaient souvent seuls en
«explorateurs», « tâter le
famille, celle de mes
grands-parents,
commence dans un village
situé dans les montagnes,
à la frontière, entre deux
régions agricoles, celle de
«Beira Alta » et celle de
«Trás-os-Montes». Cette
région est surtout agricole,
huile d'olive, fromage,
amandes et vin - notamment grâce au développement des nombreuses
plantations de raisins de
vin de Porto - rythment les
saisons et sont abondamment récoltés.
Le travail y est donc
saisonnier et les retombées d'argents irréguliè-
“L’histoire de ma famille commence
dans un village situé dans les montagnes, à la frontière entre deux régions
agricoles celle de Beira Alta et Trásos-Montes.”
terrain», trouver du travail
pour ensuite faire venir
leur famille.
L'histoire
76
de
ma
res, les personnes vivent,
pour la plupart, au jour le
jour grâce notamment à
un jardin potager qu'elles
cultivent quotidiennement.
Liliana Azevedo
“Il partit donc à la fin de l’été 1969,
quittant sa famille, son village, son
pays pour une destinée inconnue
avec pour seul bagage un sac.”
Après les travaux agricoles, la grande distraction
des hommes est de se
retrouver entre eux dans
une «tasca» (bar du village), où ils s'abreuvent de
vin jusqu'au soir, les femmes restent à la maison
avec les enfants, s'occupent des quelques animaux domestiques et préparent le repas.
Mon grand-père a émigré de façon tardive, vers
la fin des années 60, en
1969 plus exactement,
après avoir été encouragé
par des hommes du village, et la famille, qui se
trouvaient déjà en France.
Mon grand-père est donc
parti, accompagné de son
beau-frère, qui se trouvait
déjà à Parthenay (dans les
Deux-Sèvres), où il travaillait en tant qu'ouvrier dans
une usine de confection
de brique.
Mon grand-père décida
d'émigrer non pour s'enrichir, mais pour améliorer
la vie quotidienne des
siens, faire quelques aménagements dans la maison - qui était étroite pour
5 personnes, quelques
poules et un âne - et peutêtre un jour avoir de l'argent en banque et ne pas
se contenter de quelques
maigres
économies,
77
cachées sous un matelas
de paille.
Il est donc parti à la fin
de l'été 1969, quittant sa
famille, son village, son
pays, pour une destinée
inconnue, avec pour seul
bagage, un sac, comme
celui qui servait à la
récolte des olives, avec
ses vêtements à l'intérieur
et un petit baluchon contenant du pain et un morceau de fromage.
Nous sommes originai-
res de «Almendra», un village situé à 50km de la
frontière espagnole de
«Vilar Formoso». Mon
grand-père, accompagné
de mon oncle, monta dans
une camionnette jusqu'à la
frontière, où ils furent
déposés à quelques kilomètres du barrage frontalier entre l'Espagne et le
Portugal et où ils attendirent la tombée de la nuit
pour passer la frontière
par les petites montagnes
environnantes. Une fois
en Espagne, il fallait se
rendre à la ville espagnole
la plus proche «Ciudad de
Rodrigo», située à une
quinzaine de kilomètres
de «Vilar à Formoso», afin
de prendre le train jusqu'à
Hendaye. Toujours avec
cette peur au ventre de se
faire prendre et de devoir
rebrousser chemin et certainement être puni par les
autorités portugaises, mon
grand-père a dû se sentir
bien seul dans la nuit
espagnole marchant à tra-
Liliana Azevedo
“Le voyage fut long, la traversée de
l’Espagne périlleuse, jouant à cache à
cache avec les contrôleurs, épuisé,
affamé, le voyage lui parut une éternité.”
78
79
Turismo de Portugal / Pedro Aboim
Turismo de Portugal / Antonio Sacchetti
“Mon grand-père restera en France
jusqu’en 1981, année au cours de
laquelle, un tragique accident a fait
éclaté la famille.”
vers champs.
Une fois dans le train,
les deux compères étaient
aux aguets, car ils circulaient illégalement, clandestinement, sans billets
de train, ni papiers. Le
voyage fut long, la traversée de l'Espagne périlleuse, jouant à cache à
cache avec les «contrôleurs». Épuisé, affamé, le
voyage lui parut une éternité.
Arrivés à Hendaye, ils
descendirent du train, les
80
douaniers français avaient
installé un barrage frontalier à l'intérieur de la gare
et ils devaient le contourner s'ils souhaitaient prendre un 2ème train qui leur
permettrait
de
relier
Hendaye à Poitiers. Grâce
à bien des astuces et, il
est vrai, à une certaine
expérience de son beaufrère, mon grand-père traversa la voie ferrée, loin
des gardes frontières, et
passa dans un trou de
souris. Les clandestins
avaient arraché discrète-
ment un bout de clôture,
arrivaient à s'engouffrer à
travers cette dernière, et à
se retrouver ainsi en
France. Ils arrivèrent à
temps pour prendre le
2ème train qui leur permettrait d'arriver enfin à
destination.
Le voyage fut long et
fastidieux, deux jours de
fatigue, avec pour seul
repas, un bout de pain et
du fromage, mais au-delà
de la souffrance physique,
la souffrance psychologi-
“Régulièrement il envoyait de l’agent
à ma grand-mère restée au Portugal.”
que était encore plus forte,
car sa famille et ses repères lui manquaient terriblement. Il se trouva ainsi
projeté de plein fouet dans
un pays inconnu.
Turismo de Lisboa
Mon grand-père, à son
arrivée, travailla dans
l'usine de briques, où il
partagea pendant un an,
une petite maison sans
eau, ni électricité avec
cinq portugais, tous venus
dans les mêmes condi-
tions.
Régulièrement,
il
envoyait de l'argent à ma
grand-mère, restée au
Portugal, mais contrairement à beaucoup, mon
grand-père, lorsqu'il arriva
à «Almendra», l'été 1970,
ne supporta plus l'idée de
repartir seul et embarqua
dès lors toute sa petite
famille dans ce périple
douloureux. De retour cet
été-là, après une année
de séparation, mon grand-
père réapparut avec, pour
valise, le même sac rempli
de vêtements sales, dans
un état pitoyable, ce qui
traduisait les souffrances
vécues au quotidien par
ces émigrés.
A la fin de l'été, mon
grand-père partit avec sa
femme et ses 3 enfants
sous le bras de la même
façon qu'une année plus
tôt, il avait quitté son village. Cette fois, le voyage
81
fut moins pénible que le
précédent, car il était
entouré par ceux qu'il
aimait tant. Ils ne se sont
pas installés dans les
Deux-Sèvres, mais dans
le Loir et Cher où mon
grand-père
travaillait
comme saisonnier et ma
grand-mère avait trouvé
du travail dans une cantine, à faire le ménage, et
où le propriétaire les
logeaient et les nourrissaient.
Mon grand-père restera en France jusqu'en
1981, année au cours de
laquelle, un tragique accident a fait éclaté la famille.
Lui, qui souhaitait tant ne
plus être jamais séparé
des siens, s'est retrouvé,
bien malgré lui, loin d'eux
à tout jamais. Il ne verra
jamais les travaux entrepris dans sa maison, la
récompense de son dur
labeur, mais il nous appris
une chose : ne jamais
avoir honte de nos origines et toujours se souvenir de nos racines.
Nathalie.
Turismo de Portugal / TURIHAB - Solares de Portugal
“il nous appris une chose, de ne
jamais avoir honte de nos origines
et de toujours se souvenir de nos
racines.”
82
Liliana Azevedo
83
Histoire
C
esaltina
Vicencio est
née le 30 juin
1949 dans un
petit terrain de
campagne au Portugal
appelé
Monte
da
Preguiça.
Cette femme, pleine
de force et de courage, a
eu une vie très dure.
Depuis son enfance,
sa vie n’a été faite que de
pauvreté et misère. Elle
perdit sa maman à l'âge
de 5 ans. Et resta seule
au monde, car son père
l'ignorait.
Cette petite fille a
d’une petite fille.
des vaccins étaient prévus à l'école, cette petite
fille prit son âne et s'enfuit. Une autre fois, elle
s'enfuit de la maison, car
elle voulait mourir et elle
est restée cachée, sans
boire ni manger. Avec la
chaleur, elle changea
d'avis et alla dans un
champs
voler
des
concombres pour s’ôter
la soif. Le propriétaire du
champ l’aperçut, la petite
fille savait que quelqu'un
l'observait, elle commença à courir au milieu
des champs. Toute sa
famille était à sa recher-
qui voudraient bien la
prendre travailler chez
eux. Après de nombreuses recherches, ici et là,
cette petite fille trouva
enfin du travail. Les
temps étaient durs et
l'agriculture lui semblait
difficile.
Son
travail
consistait à récolter et à
semer des pommes de
terre, des tomates... Elle
y est restée jusqu'à l'âge
de 18 ans. Lorsqu’elle eu
10 ans, elle retourna chez
son père, pour lui donner
l'argent qu’elle avait
gagné.
Ce fut là qu'elle ren-
“Depuis son enfance, sa vie n’a été
faite que de pauvreté et misère. “
commencé à travailler à
la maison, à faire ses propres vêtements. Elle s'occupait seule d'une maison, elle avait alors à
peine 5 ans. Son père
n’était pas souvent là, car
il travaillait dans la vente
de poisson. Cette petite
fille allait à l'école, mais à
l’époque, ce n'était pas
comme maintenant. Elle
allait à l'école sur le dos
d'un bourricot. Un jour où
84
che, le propriétaire la
reconnut. Son père, qui
avait pourtant un coeur
de pierre, pleurait toutes
les larmes de son corps
pour retrouver sa petite
fille.
À l'âge de 7 ans, elle
décida d’aller trouver du
travail. Elle prit sa petite
sacoche, qu’elle avait
faite elle-même, et partit.
Elle alla en Algarve à la
recherche d’agriculteurs
contra son amoureux, qui
deviendra plus tard son
mari. En 1969, elle resta
seule car il partit en
France avec d’autres personnes. Ils sont partis à
pied, ont monté et descendu des barrières pour
échapper aux policiers, et
à la PIDE. Avant la révolution du 25 avril, beaucoup
de gens sont partis, ils
voulaient avoir une nouvelle vie. Ils payaient des
passeurs pour pouvoir
passer les frontières.
Quelques mois plus tard,
la jeune fille partit aussi.
Elle partit à pied. Elle
rejoint Bourges, où elle
trouva un travail. Elle ne
parlait pas français. Elle y
signa son premier contrat.
Son patron ne la payait
pas beaucoup, mais lui
Plus tard, ils sont repartis au Portugal, pour se
marier. Puis ils reviendront
à Paris, où ils resteront 10
ans, Cependant, pour des
questions de santé, ils
repartiront au Portugal.
Ils avaient un rêve,
avoir un enfant. Ils ont
essayé, de nombreuses
fois, en vain. Ils ont alors
rage, a eu un petit problème de santé, un petit
noyau au sein. Plus tard,
elle découvrit un kyste à
la tête et un petit problème de coeur. Pour le
moment ce n'est pas
grave, mais avec ces
choses-là, on n’est
jamais assez prudents.
Cette femme, de petite
taille, a une force
incroyable pour surmonter tout ça.
Elle a été accueillie
en France comme si
c’était son pays. Les français et les française l'ont
bien accueillie, ils ont été
et sont très gentils avec
elle, ils lui ont ouvert leur
coeur. Elle a une chance
incroyable, depuis 15 ans
qu’elle travaille chez sa
patronne ; une patronne 5
étoiles. Plus qu'une
“Plus tard, ils sont repartis au
Portugal, pour se marier. “
offrait le logement, et elle
gagnait sa vie avec les
pourboires. Son amoureux
était dans le Cantal, où il
travaillait dans une ferme.
Une fois son contrat terminé, il est allé à Paris où
elle le rejoint.
Arrivée à Paris, elle
chercha immédiatement
du travail. Partout où elle
allait, elle avait cette
chance de trouver facilement du travail, car elle
savait tout faire.
fait un magnifique geste
d'amour en adoptant une
petite fille de 11 jours.
Leur fille a eu un accident au Portugal et
comme les médecins au
Portugal ne pouvait la
guérir, nous sommes
revenus en France en
1992 ; retour à la case de
départ. Cela fait maintenant 15 ans que nous
vivons à Paris.
Un jour, cette maman,
pleine de forces et de cou-
patronne une mère, une
fille, une soeur.
Maman
adore
la
France et la France lui a
apporté beaucoup.
Mais elle n'oubliera
pas ses origines portugaises, même avec la distance, loin des yeux mais
près du coeur malgré
tout. Ses origines, elle en
est fière.
Silvia.
85
Témoignage
d’une luso-descendante
Christian Schu
entre ici et là-bas,
Entre superstitions, histoires
de religion
Et rêve de tutu blanc
…SAUDADE ...
C’est avec ce texte
que démarre mon spectacle en solo intitulé « SÓ
», car j’ai eu la chance de
réaliser mon rêve : devenir danseuse. J’y raconte
les rêves de petite fille et
les désenchantements
qui ont fait partie de mon
parcours…
…Quand une enfant
réclame de faire de la
danse et que le père qui a
seul le droit de décision
“Que se passe t -il dans la tête d’un jeune
homme de 28 ans à peine, père de 2 fillettes,
qui un beau matin de l’année 1967, du jour au
lendemain décide de tenter sa chance en
passant de “l’autre côté”.”
es parents
sont nés làbas,
Moi je suis
née ici,
Mes soeurs sont nées làbas, elles ont grandi ici,
Moi aussi.
La danse m’a été donnée
M
86
dans le foyer tranche
pour un non catégorique,
qu’il faudra attendre le
clash
d’un
divorce
demandé par la mère qui
se devait de remplir son
rôle de femme au foyer,
cette jeune fille qui n’est
87
Christian Schu
88
Christian Schu
plus une enfant tente de
comprendre : Pourquoi ?
Comment ? Quand ?
Et c’est là que toute la
richesse des origines va
pouvoir se révéler, mais
avant de pouvoir l’incorporer, il faudra accepter
le poids d’une éducation
pas toujours facile.
Si je remonte dans le
temps, je peux me
demander ce qui se
passe dans la tête d’un
jeune homme de 28 ans
à peine, père de 2 fillettes, qui un beau matin de
Nasci a 4 de Dezembro de
1969,
Num inverno muito frio,
com muita neve,
Às 18h40, pesava 2.700kg,
não é muito, pois não?
A minha mãe conta
Que o meu pai quando veume ver a primeira vez,
Caiu da mobilette, havia
tanta neve !
A minha mãe conta
Que o bebé nasceu com os
olhos todos encarnados,
A minha mãe conta
Que o seu cabelo era douradinho como a sua aliança,
mais une caravane où
allait vivre la famille pour
quelques mois. Il y avait
plein de portugais dans
cet endroit et quelques
personnes que mon père
connaissait.
De fil en aiguille, mon
père a réussi à trouver de
riches patrons où il restera jusqu’à sa retraite. Il
bosse, il ramène de l’argent à la maison, et 6 ans
après il peut même acheter une maison avec un
jardin ! Tout a l’air d’aller
sauf que ma soeur aînée
“Que la ville où je suis née c’est
Versailles, et ma première maison ce
n’était pas un château mais une caravane où allait vivre la famille pour quelques mois.”
l’année 1967, du jour au
lendemain décide de tenter sa chance en passant
de «l’autre côté», prêt à
affronter le froid, la faim,
la peur…tenter sa chance
pour un meilleur avenir,
motivé par l’argent qu’il
va pouvoir gagner pour
faire «mieux vivre» sa
famille…En faisant quoi ?
Des petits boulots de
maçon bien sûr ! Eh oui,
c’est ainsi que la 3ème
des filles, c'est-à-dire
moi, est conçue et mise
au monde:
A minha mãe conta tanta
coisa…
A minha mãe conta
Que desde as primeiras
horas, já punha o cuzito para
cima assim,
Assim e caia,
A minha mãe conta
Que levantava a cabeça e
que a deixava cair assim,
O que é que eu posso contar
mais ?
Que la ville où je suis
née c’est Versailles, et
ma première maison ce
n’était pas un château
qui est adolescente
aspire à une vie de jeune
fille comme celle de ses
copines qui ont le droit de
sortir et de s’amuser.
Chez nous, l’amusement
n’est pas un critère pour
l’éducation. Mais les critères de notre éducation
semblent être d’une autre
génération
pour
les
enfants que nous sommes. N’oublions pas que
nos parents sont arrivés
dans un pays où ils ont
été déracinés, ils ne parlent pas la langue au
89
départ, ils apprennent le
français au fur et à
mesure, sur le terrain,
leur niveau scolaire ne
leur permet pas de s’intégrer aussi facilement que
nous
le
faisons
aujourd’hui quand nous
voyageons ou allons travailler à l’étranger. Ils
ramènent leur culture en
France et nous, les
enfants, sommes en
totale rupture face à toutes
ces
valeurs.
soeur aînée se marie à
15 jours de ses 16 ans
pour échapper à l’autorité
parentale et mon autre
soeur se retrouve sur le
marché du travail dés sa
majorité. Finalement ma
mère finira par tirer les
conclusions de ce qu’est
une femme libérée à la
française en demandant
le divorce !
Que cherchons-nous
dans la vie ? Que gagnet-on? Que perdons-nous?
Portugal et quand je suis
au Portugal, je peux parler
de la vie en France.
Que dire de plus sur le
pays de mes parents ?
Que j’aime profondément
ce pays, j’aime parler ma
langue maternelle, celle
qui m’a bercée quand
j’étais dans les bras de
ma mère. J’aime ce pays
où j’ai passé tous mes
étés, où j’ai connu toute
ma famille : mes grands
parents, mes oncles, mes
“Mon expérience est unique car je
suis à mon tour ‘passeur’ de cette
double culture qui est d’autant plus
riche qu’elle est intéressante.”
L’éducation laïque de
l’école que nous recevons nous éloigne de ce
que nos parents veulent
inscrire en nous. C’est ce
que je nomme le choc
des cultures !
A 13 de Maio na Cova de Iria,
Apareceu brilhando a virgem
Maria,
Avé, avé, ave-Maria
Avé, avé, ave- Maria
Car il faut bien dire
que ma mère a bien du
mal à nous faire entendre
raison face à toutes ses
croyances religieuses.
Pour ma part, je m’arrête
à la 1ère communion, ma
90
Ce sont les questions que
je me pose encore malgré tout.
S’il est vrai que les
décisions
que
mes
parents ont pris au cour
de leur vie ont été dictées
par ce qui leur semblait le
plus juste ou le plus viable, il est vrai aussi que
l’album de famille est rempli de contrastes. Ma vie
s’est construite grâce à ce
qui m’a été transmis et
mon expérience est unique car je suis à mon tour
‘passeur’ de cette double
culture qui est d’autant
plus riche qu’elle est intéressante. Quand je suis
en France, je raconte le
tantes, mes cousins, mes
cousines…j’aime l’odeur
des vergers, des eucalyptus, la lumière qui traverse le ciel, la mer avec
ses grosses vagues, tant
de souvenirs liés aux
sensations…
Sosana.
Les textes en italique viennent
du spectacle autobiographique de
Sosana Marcelino ‘SÓ’ créé en
2005. Ce spectacle a été soutenu
par le Ministère de la Culture, le
Conseil Régional de Lorraine, le
Conseil Général de Meurthe et
Moselle, la Ville de Nancy. Il a reçu
l’appui de la Fondation Calouste
Gulbenkian, de l’ambassade du
Portugal et de l’Instituto Camoes.
www.sosanamarcelino.com
[email protected]
91
Christian Schu
92
Liliana Azevedo
E
m 1980, a
vida
em
Portugal não
era muito fácil,
sobretudo nas
pequenas aldeias, onde
as pessoas sobreviviam
apenas dos seus próprios
recursos, tais como a
agricultura e a criação de
gado. A oferta de
emprego era mínima e os
salários não eram, de
todo, apelativos. A fome
e o desespero eram cada
vez maiores e a vontade
de encontrar um rumo
para uma vida melhor
também aumentava de
dia para dia. Esta foi a
eleito para iniciar uma
vida nova.
A minha mãe já tinha
uma oferta de emprego
num restaurante, onde
acabou por permanecer
durante
três
anos.
Aprendeu as tarefas relativas ao serviço de mesa,
e também aprendeu a
falar francês.
O meu pai não tinha
qualquer
oferta
de
emprego, no entanto,
assim que chegou à
Suíça, iniciou a sua
busca e não teve dificuldade em encontrar trabalho numa quinta agrícola onde trabalhou
catorze anos.
Apesar de não conhecer o país nem o seu
idioma, o facto da Suíça
ser um país muito bem
organizado a todos os
níveis, fez com que a
integração nesse novo
ambiente fosse bastante
rápida, alcançando deste
modo, o nível de vida
procurado. No período de
tempo em que os meus
pais foram emigrantes
alcançaram os objectivos
pretendidos
quando
deixaram o seu país de
origem,
conseguiram
obter um melhor nível de
vida e, também cresce-
“Após dezassete anos de emigração, os meus pais consideraram que
já tinham alcançado o ideal de vida,
daí decidirem regressar a Portugal
para vivermos junto da nossa família
e na nossa própria habitação.”
razão que levou os meus
pais a procurar um país
onde pudessem encontrar um melhor nível de
vida.
A Suíça, nessa época,
era o país que oferecia
melhores
condições
financeiras, no que diz
respeito aos salários atribuídos, daí ter sido o país
durante três meses. Não
sendo um trabalho que
lhe agradasse, continuou
sempre a procurar algo
na sua área de formação,
que é a carpintaria. Até
que acabou por encontrar
uma vaga disponível
numa carpintaria onde
desempenhou as suas
tarefas ao longo de
ram a nível pessoal.
Após dezassete anos
de emigração, os meus
pais consideraram que já
tinham alcançado o ideal
de vida, daí decidirem
regressar a Portugal para
vivermos junto da nossa
família e na nossa própria
habitação.
Brigite.
93
94
Mémoires d’une famille portugaise…
… mes parents ont émigré en Suisse en 1981…
J
e suis née en
1977.
Mes
parents
habitaient,
depuis
leur
retour
d’Angola, en janvier
1975, chez mes grandsparents
paternels.
Quelque part dans le
nord du Portugal, à une
cinquantaine de Km à
l’est de Porto. Mon grandpère possédait un magasin de meubles. Ma
grand-mère était couturière, elle travaillait à
Mes parents louaient une
petite maison humide. Le
loyer, três contos de reis,
une vraie fortune pour qui
gagnait 6-7 mil escudos
par mois. Ils travaillaient
tous deux dans le secteur
textile, jour et nuit, dimanche inclus. Ma mère travaillait à domicile, sur une
machine
de
tricoter
Passat, elle faisait des
pulls pour enfants pour
l’exportation. Mon père
travaillait dans une usine
textile, jour et nuit, parfois
“1980. J’avais 3 ans. Mes parents louaient
une petite maison humide. Le loyer, 3
contos de reis, une vraie fortune pour qui
gagnait 6-7 mil escudos par mois.”
domicile. Mon père était
l’un des employés de
mon grand-père et touchait un salaire de
misère. Ma mère aidait
aux tâches domestiques
et là où c’était nécessaire.
1980. J’avais 3 ans.
48h de suite. Ma mère
raconte encore souvent
que lorsque j’étais bébé,
mon père passait parfois
une semaine entière sans
me voir, car il n’avait pas
d’heure pour rentrer.
Souvent il l’appelait pour
lui dire qu’il serait là dans
95
“Mon père résume cette période de
leur vie en quatre mots «Pataca
ganha, pataca gasta !»”
une heure ou deux et,
alors que le repas était
sur le feu, il rappelait pour
lui dire qu’il fallait qu’il
reste travailler et qu’il ne
rentrerait que le lendemain soir ! Mon père
résume cette période de
leur vie en quatre mots
«Pataca ganha, pataca
gasta !». Cette année-là,
l’une de mes tantes,
soeur de ma mère, a
réussi à obtenir un
contrat de travail en
Suisse, chez un maraîcher, dans le canton de
96
Vaud. Mon père lui avait
alors dit « si tu me trouves du travail, je pars
aussi ». Il y a quelques
années, il avait déjà
pensé à émigrer, mais
cela n’avait pas été possible, par manque d’argent.
Mon père pris l’avion à
Porto le 1er mars 1981.
Destination Genève. Il est
allé travailler comme
ouvrier maraîcher, à
Pully, petite commune
dans les environs de
Lausanne. Il n’avait
jamais travaillé la terre, ni
sous la neige. Les premiers jours furent très
durs, il se dit « je travaille
deux mois, l’un pour
payer le voyage du retour
et l’autre pour mettre
quelques sous de côté et
je m’en vais». À l’époque,
il gagnait 1100 francs par
mois (ce qui représentait
un peu moins de 30mil
escudos), nourri et logé.
Deux mois, cela a été le
temps nécessaire pour
qu’il s’adapte à la langue
et à la nourriture.
Le 2 mai 1981 ma
“Nous sommes arrivés à Paris, Gare
d’Austerlitz, le lendemain suivant à onze
heures du matin. Dans l’après-midi,
nous avons pris le train pour Lausanne.”
mère a pris l’avion pour
rejoindre mon père. Je
restai chez mes grandsparents paternels pendant les six mois qui suivirent. Je dormais avec
ma grand-mère qui m’apprenait à prier le soir
avant de dormir. Ave
Maria, Cheia de graça, O
Senhor é convosco,
Bendita sois vós entre as
mulheres, E bendito é o
fruto do vosso ventre,
Jesus…
Lundi, 1er mars 1982.
Je pris le train avec mes
parents. Nous sommes
arrivés à Paris, Gare
d’Austerlitz, le lendemain
suivant à onze heures du
matin. Dans l’après-midi,
nous avons pris le train
pour Lausanne, où nous
sommes arrivés le mercredi à 06h du matin.
Pour éviter que la police
ne nous suspecte, ma
mère et moi, d’immigration clandestine, mon
père est allé s’asseoir
dans un autre wagon.
Quand le douanier est
passé, il a regardé ma
mère d’un air interrogateur et lui a demandé si
nous ne connaissions
pas un monsieur qui
voyageait dans un autre
wagon, ce à quoi ma
mère répondit calmement
« non ». Il l’a crue, ou
pas, mais nous a laissé
passer, ouf ! Nous avons
pris le train et non l’avion
car il était très difficile, à
l’époque, de passer la
douane à l’aéroport : il
fallait avoir de l’argent et
une adresse. Si la police
suspectait une tentative
97
d’immigration illégale, il
mettait un cachait «
refusé » sur le passeport
et renvoyait la personne
par l’avion suivant.
Je me souviens de
mon premier jour en
Suisse, mon père me dit,
sur le pas de la porte de
la cuisine, « quand tu rentreras, tu verras une
dame âgée, c’est ma
patronne, dis lui « bonjour ». Mes cinq ans, six,
sept et huit ans se passèrent entre oignons et
carottes, pommes de
saisonniers consécutifs
chez le même employeur.
Selon la loi, mon père ne
pouvait nous avoir avec
lui, ma mère et moi ! En
1983, la loi suisse interdisait encore que des
enfants « sans papier »
fréquentent l’école publique. Ainsi, je fis mes
deux premières années
d’école primaire à l’Ecole
Catholique du Valentin, la
seule qui acceptait de
scolariser des enfants «
clandestins
».
Mes
parents déboursaient à
coin de la ville. Comme je
ne savais pas encore lire,
mon père me fit un support, que je portais autour
du cou, et où il était écrit
« 9 » et « Lutry », qui était
le terminus. Je devais
comparer ce qui figurait
sur le petit bout de carton
avec ce qui était écrit audessus du bus. Un jour,
je devais être âgée de
sept déjà, je décidais
prendre un trajet alternatif. Je savais que si je prenais le bus numéro 8, j’arriverais à la maison par le
“Je me souviens de mon premier
jour en Suisse, mon père me dit, sur le
pas de la porte de la cuisine, « quand
tu rentreras, tu verras une dame âgée,
c’est ma patronne, dis lui « bonjour ».”
terre et tomates, gerberas et roses. Le petit-fils
de la soeur de la
patronne de mes parents,
Thierry, avec qui je jouais
fréquemment, se plaignait « elle parle chinois!
». Toutefois j’appris rapidement à parler français,
en quelques mois à
peine.
Ma mère travaillait au
noir. Le système d’immigration suisse était très
rigide et ne consentait le
regroupement
familial
qu’après quatre contrats
98
l’époque 300 francs par
mois, ce qui rognait une
part substantielle de leur
salaire.
L’école se situait en
plein centre ville de
Lausanne et nous habitions Pully, à cinq Km de
là, je devais donc prendre
le bus pour m’y rendre. A
l’aller, pas de risque de
me tromper car il n’y avait
qu’un seul bus. Par
contre, au retour, j’aurais
pu monter dans un autre
bus, par mégarde, et me
retrouver dans un autre
bord du lac. Tentée par la
promenade, et poussée
par une petite copine,
j’osais tenter l’aventure.
Ce qui me valut une
bonne fessée, car j’arrivais assez en retard sur
l’horaire habituel pour
que mes parents se fassent un sang d’encre ! Ce
n’est que récemment que
je compris les moult instances parentales « ne
parle en aucune circonstance avec un inconnu ! »
et leur manie de la surprotection. Au-delà de la
99
“En fait, mon père a appris à écrire
français en même temps que moi.”
peur de l’enlèvement,
que tous les parents doivent ressentir – d’autant
plus présente dans une
situation comme celle-ci,
où ils n’avaient d’autres
choix que de me laisser
aller à l’école toute seule
dès mes 6 ans, ne pouvant m’y accompagner –
il y avait la question de
notre statut légal précaire.
J’ai eu la chance
d’avoir des parents qui
valorisaient l’éducation et
ont toujours accompagné
de prés ma scolarité, bien
qu’ils ne maîtrisassent
pas le français et qu’ils ne
comprissent pas grand
chose à un système scolaire qui ne ressemblait
100
en rien à celui qu’ils
avaient connu dans leur
enfance. Quand je rentrais de l’école, je mangeais d’abord le ‘quatreheure’, puis j’étais sommée de rejoindre mon
père au fond du jardin
pour lui dire quels étaient
mes devoirs pour le lendemain. Il accompagnait
de très près En fait, il a
appris à écrire français en
même temps que moi,
car il relisait mes devoirs
chaque soir avant le coucher. Lorsque j’avais une
poésie à apprendre par
coeur, il me la faisait
répéter, pendant qu’il
bêchait, et il mettait beaucoup moins de temps à la
mémoriser ! D’ailleurs il
se souvient encore de
quelques-unes, contrairement à moi…
J’ai un petit train en bois
qui ne va pas vite ma foi,
mais il peut aller partout,
même dans les cailloux.
Tchu tchu !
J’ai un beau train à
vapeur, qui fait bien du 10 à
l’heure, mais il faut le
remonter, pour qu’il se mette
a marcher
Tchu tchu !
Je suis un enfant gâté,
j’ai trois trains pour m’amuser, mais le plus joli je crois,
c’est mon petit train en bois
Tchu tchu !
J'ai un petit train électrique qui est tout automatique, mais je n'ose pas y tou-
“Mon père a été le «passeur» de
nombreuses personnes vers la Suisse.”
cher, c'est papa qui le fait
marcher.
L’été et pendant les
vacances scolaires, j’aidais au jardin, j’arrachais
les mauvaises herbes,
j’écossais les petits pois,
je cueillais les framboises
et les cerises, j’arrosais
les plantes de la serre.
Du reste, j’aidais à la cuisine : j‘étais chargée de
laver la salade, d’en faire
la sauce (2 cuillères
d’huile de tournesol, 2
cuillère de vinaigre de
pomme, 1 petite cuillère
de moutarde et une pincée de sel) et de mettre la
table.
L’adaptation de mes
parents à la culture
suisse se fit lentement.
Parmi les nombreuses
histoires que j’ai entendu
mon père raconter maintes fois, je retiens celle-ci
qui illustre bien les hauts
et les bas du processus
d’intégration.
En
semaine, c’était toujours
la patronne qui cuisinait,
un jour elle mit sur la
table un plat qui lui sembla être ‘bacalhau com
natas’, il s’en servit abondamment croyant que,
pour une fois, il allait bien
manger.
Cependant,
lorsqu’il porta la fourchette à sa bouche, il
s’aperçut qu’il s’agissait
en réalité d’un gratin de
pommes de terre avec du
fromage ! et ce fut un
grand sacrifice que de
finir son assiette, car il
n’aimait pas le fromage,
aliment auquel il n’avait
été habitué pendant son
enfance.
Mon père a été le
«passeur» de nombreuses personnes vers la
Suisse, notamment de
tous les frères et soeurs
de ma mère. Il a réussi à
ce que sa patronne
donne du travail à tout le
101
monde, en attendant
qu’ils/elles trouvent un
autre emploi et un appartement. Mes tantes, Ana
et São, sont venues
d’abord, puis mon oncle
Inácio en 1984 et finalement mon autre oncle,
Quim, à peine âgé de 16
ans à l’époque. Il a d’ailleurs été retenu à la gare
de Lausanne et renvoyé
à la frontière. Il a dû rester quelques jours chez
un cousin à Dijon, où
mon père est allé le chercher en voiture, pour le
a fallu faire de nombreux
arrêts car elle ne pouvait
rester longtemps assise.
Au retour, le douanier
nous a obligé à vider la
voiture, suspectant que
nous n’essayions de passer des presuntos, chouriços et vinho. Les douaniers avaient pour habitude de fouiller les
moteurs et les sièges des
voitures des immigrants,
suspects de contrebande
de charcuteries et eaude-vie. En réalité, cette
fois-ci, notre coffre était
j’étais endormie et ma
soeur veillait !
Une fois le Permis B
en poche, l’ambition de
mes parents était de
changer d’emploi et de
louer un appartement à
eux. Bref, gagner un peu
plus d’argent et avoir un
peu plus de confort. Avril
1986, mon père a commencé à travailler comme
chauffeur-maçon et ma
mère comme aide-pâtissière. Nous louions un 3
pièces qui coûtait 1375
francs par mois, ce qui
“Nous achetons notre première voiture, une Ford Sierra blanche. Cette
hiver-là (1984), nous faisons, pour la
première fois, le voyage SuissePortugal en voiture.”
faire passer par une frontière peu surveillée.
Octobre 1984. Mon
père obtient le Permis B
(permis de travail annuel,
qui autorise le regroupement familial et lui donne
la possibilité de changer
d’employeur).
Nous
achetons notre première
voiture, une Ford Sierra
blanche. Cette hiver-là,
nous faisons, pour la première fois, le voyage
Suisse-Portugal en voiture. Ma mère était
enceinte de ma soeur et il
102
plein d’habits de bébé !
Mes parents ont commencé à faire des nettoyages le soir lorsque
ma soeur n’était encore
qu’un bébé. Il leur fallait à
présent subvenir aux
besoins de deux enfants.
Nous étions en 1985.
Mes parents allaient travailler après le dîner et
j’avais pour mission de
veiller sur ma soeur
jusqu’à
leur
retour.
Apparemment c’était plutôt contraire qui se passait… lorsqu’ils rentraient
représentait alors une
somme
considérable.
Mon père a ensuite travaillé en tant que chauffeur-livreur (1987), charpentier
(1988–1990),
aide-concierge (19901993)
et
finalement
concierge professionnel
au service de l’Etat de
Vaud dès 1993, poste
qu’il occupe maintenant
depuis 15 ans. Quant à
ma mère, elle est devenue nettoyeuse professionnelle dans un gymnase (l’équivalent du
103
“Ce qui m’épate, aujourd’hui, lorsque je feuillette les pages de ma
mémoire, c’est l’organisation qui
régnait à la maison.”
lycée en France), qui
l’employait les après-midi
et le soir, et faisait des
ménages chez des particuliers le matin. Le travail
du soir s’est toujours
maintenu. Puis, dès
1987, mes parents ont
commencé à travailler
occasionnellement en fin
de semaine, ils nettoyaient des appartements lorsqu’il y a avait
changement de locataires. Plus ou moins vers la
même époque, ma mère
a accepté de prendre en
charge des enfants –
pour dépanner des amis
ou des gens qu’elle
104
connaissait – les midis et
les matins où elle n’avait
pas de ménages à faire. Il
y eu Marco, Flavio,
Gabriel, Mélanie et d’autres. Certains ont grandi à
la maison. Moi, qui étais
déjà grande, aux dires de
mes parents, je faisais
d’assistante baby-sitter,
je changeais les couches,
donnais à manger ou surveillais tout simplement.
Mais j’étais déjà habituée
à être la grande soeur,
celle qui donne l’exemple, se comporte comme
il faut et aide sa maman.
Ce
qui
m’épate,
aujourd’hui, lorsque je
feuillette les pages de ma
mémoire, c’est l’organisation qui régnait à la maison. Nous avons toujours
pris nos repas ensemble,
les quatre assis à la
même table, midi et soir,
alors que mes parents
cumulaient les emplois,
auxquels s’ajoutaient les
tâches domestiques, les
courses, le suivi scolaire,
etc.
Le dimanche était
quand même le jour du
repos et de la famille.
Typiquement,
nous
allions à la messe portugaise à 11h (nous, c’està-dire, ma mère, ma
“.... j'ai moi-même émigré vingt ans
plus tard. Destination: Lisbonne.”
soeur et moi, mon père
se contentait de nous y
conduire), puis déjeunions avec des amis,
chez eux ou chez nous,
et finalement allions faire
une promenade à pied au
bord du lac, tous ensemble. Enfin, les hommes
devant et les femmes
derrières ou vice-versa...
les hommes discutaient
souvent foot et voitures et
formaient un petit groupe
duquel les femmes se
distanciaient car, tous les
50 mètres, l’une d’elles
faisait une pause, pour
mieux se faire entendre
des autres, je suppose,
avant de continuer à marcher à pas d’escargot.
Qu’est-ce que je m’ennuyais ! L’été c’était
beaucoup plus amusant,
car on faisait souvent des
pique-niques au bord du
lac avec d’autres familles.
Grillades, salades, pastèques et melons.
Depuis ce temps-là,
que de chemin parcouru !
Je me suis naturalisée
suissesse, ai terminé une
licence et un DEA, ai
bossé tous les étés dès
me 14 ans, ici et là, distribution
de
journaux,
supermarchés, aide à
domicile,
nettoyages,
baby-sitting, livraisons,
magasin de sport, etc. Et,
malgré le fait de ne
m’être jamais identifiée à
la culture portugaise qui
m’était proposée, car
alors je ne savais ce
qu’elle renfermait, à part
le rancho, le foot, la
morue, le Porto, Fátima
et Camões…
....j'ai moi-même émigré vingt ans plus tard.
Destination: Lisbonne.
Mais c’est une autre histoire…
Liliana.
105
106
L'émigration
de mes parents
C
e que je
vais raconter
va être imprécis et épars...
Mes parents
ne m'ont jamais beaucoup parlé de leur venue
en Suisse ni de leur vie
d'avant. Ils m'ont souvent
raconté que leur enfance
était très dure parce qu'ils
étaient pauvres et qu'ils
ont du aller travailler chez
des propriétaires terriens
lorsqu’ils n’avaient que
10 ans. Mais, de leur
adolescence ou du commencement de leur vie
d'adulte, ils n'en parlent
mon père 26. Mon père
est le plus jeune d'une
famille de 8 enfants. Il fait
des petits jobs, mais se
rend compte qu'il n'arrive
pas à joindre les deux
bouts et ne voit aucun
avenir dans cette région
très pauvre du Portugal. Il
veut modifier sa vie et
prend la décision de partir vivre et gagner sa vie
dans un autre pays. Il
connaît le frère d'un ami
du village, qui est parti
depuis peu en Suisse, et
se décide à le rejoindre.
Cette personne lui trouve,
avant son arrivée, un tra-
“Je vais toutefois, avec les quelques
phrases que j'ai pu leur soutirer, raconter l'histoire de leur venue en Suisse...”
jamais. Je vais toutefois,
avec les quelques phrases que j'ai pu leur soutirer, raconter l'histoire de
leur venue en Suisse...
Mes parents viennent
de villages voisins d'une
région du nord du
Portugal, ils se sont rencontrés lors d'une fête au
village. Ma mère avait à
cette époque 20 ans et
vail de boulanger (profession que mon père n'avait
jamais exercé) dans un
village de la partie francophone de la Suisse:
Cully. Mon père part donc
pour Cully en 1980 et
habite chez la famille de
l'employeur. Pour mon
père, ces premières
années ont été très
dures, car il ne connais107
sait ni la langue ni ses
droits. Il était donc à la
merci de cette famille qui
l'exploitait passablement
en le sous-payant et en le
faisant travailler sans
relâche. De plus, mon
père ne pouvait se plaindre ou aller chercher du
travail ailleurs, car il
devait rester au moins
cinq ans chez le même
employeur pour pouvoir
obtenir un permis d'établissement. Mais il rencontre d'autres Portugais
dans la même situation et
lie de fortes amitiés.
En arrivant en Suisse
et en ayant un contrat de
travail, mon père avait
obtenu le permis A qui
l'obligeait à retourner
plus éprouvant lors de
son arrivée, mais ensuite
cela lui a permis de rencontrer les personnes du
village et d'améliorer
énormément
son
Français. Chacun gagnait
6 francs suisse de l'heure
et, quelques fois, ils ne
pouvaient manger qu'une
fois par jour! «Pour ma
part, je serais partie
depuis longtemps, mais
que faire lorsqu'on ne
veut plus retourner dans
son pays et qu'on veut à
tout prix un permis en vue
de meilleures conditions?»
Je suis née en 1984
lors du séjour «obligé» de
mes parents au Portugal
et je suis venue toute
et ont dû déménager. Ils
ont trouvé un logement
qui appartenait à l'église
protestante et qui était fait
pour les familles à bas
revenu. C'était, d'après
mes souvenirs, un logement très rudimentaire...
Il n'y avait pas de chauffage et tout était très
vieux. Et je me souviens
qu'on avait un chat qui
venait m'apporter les rats
qu'il trouvait dans l'immeuble. Le fait que mon
père soit boulanger permettait à mes parents de
s'organiser pour ma
garde, sans demander
l'aide de personne (ce qui
était important pour eux).
Mon père travaillait la nuit
et venait le matin me gar-
“Je suis née en 1984 lors du séjour
“obligé” de mes parents au Portugal
et suis venue toute petite en Suisse.”
tous les ans au Portugal
pendant 3 mois. En 1982,
lorsqu'il
rentre
au
Portugal, il se marie avec
ma mère. Elle désire, elle
aussi, partir du Portugal
et part avec mon père travailler dans cette même
famille de boulangers. Ma
mère était à la caisse et
mon père à l'arrière, aux
fourneaux. Le fait que ma
mère fasse un travail qui
l'obligeait à parler avec
les clients était, bien sûr,
108
petite en Suisse. Le
voyage se faisait en train
et durait, à l'époque, une
semaine entière.
À leur retour, ma mère
a reçu beaucoup d'aide
de la part du village. Des
personnes
âgées
offraient des tricots ou
encore des mères de
famille proposaient de me
garder. Avec ma venue,
mes parents ne pouvaient plus habiter dans
la famille de l'employeur
der tandis que ma mère
partait à ce moment-là au
travail.
Dès que mes parents
ont reçu le permis d'établissement, ils ont tout de
suite cherché un autre
emploi. Mon père, aimant
conduire, choisit d'être
chauffeur
dans
une
grande entreprise d'alimentation et ma mère a
été engagée dans cette
même entreprise comme
“Ma mère m'a dit qu'elle n'a jamais
été victime de discrimination ou de
racisme en Suisse tandis que mon
père dit le contraire.”
vendeuse, tout en faisant
quelques heures de
ménage chez des privés.
Ma mère m'a dit
qu'elle n'a jamais été victime de discrimination ou
de racisme en Suisse.
tandis que mon père dit le
contraire. Il ne s'est
jamais réellement intégré
en Suisse et s'est toujours ressenti comme
rejeté, alors que ma mère
pas du tout. En ce qui
concerne le racisme, ma
mère ne dit jamais avoir
été victime, mais moi je
l'ai vu et ressenti à sa
place. Je pense qu'elle
ne connaissait pas les
comportements racistes
et que l'on se moquât
d'elle, parce qu'elle était
différente, lui semblait
tout à fait normal.
Finalement, je me
rends compte que mes
parents, qui aujourd'hui
ne veulent jamais voyager et qui sont très terreà-terre, ont effectué un
bouleversement au début
de leur vie que je n'aurais
certainement jamais eu le
courage de faire.
Renata.
109
110
N
ous sommes arrivés en
août
1986
pour commencer une nouvelle vie tous réunis.
Papa était immigré en
Suisse depuis 5 ans déjà
et, suite à l’arrêt d’études
de mon frère, toute la
famille est venue le
rejoindre.
Nous sommes cinq.
Mes parents connaissaient bien la vie d’immigrés, ils avaient déjà vécu
en Angola, pendant près
de 12 ans, même s’il ne
s’agissait pas vraiment
dû recommencer l’année
scolaire déjà faite au
Portugal et surtout bien
nous accrocher. Pour
mes parents, le fait de ne
pas maîtriser la langue,
surtout pour ma maman,
était dur car elle ne pouvait suivre et aider ses
enfants.
Ayant maintenant plus
de vingt années de vie en
Suisse, je crois que l’on
peut dire que nous sommes intégrés à la vie ici.
Bien que nos droits restent différents de ceux
des habitants de ce pays
qui en ont la nationalité,
forcément. À ce jour,
envisager le retour au
pays. Ce fameux retour
qui nous a bien pourri la
vie pendant les premières
années d’immigration,
nous ne pensions qu’à
ça, alors comment s’intégrer vraiment?
Aujourd’hui notre vie
est ici. Le Portugal est
notre pays d’origine, de
coeur et pour nos
enfants, aussi le pays des
vacances, dans la maison familiale, qui fut à
l’origine de l’immigration
de leurs grands-parents.
Cette
maison
pour
laquelle ils ont émigré !
Mais les mentalités chan-
“Cela n’a pas été facile d’intégrer
leurs trois enfants dans une société
assez différente de celle que nous
connaissions.”
d’une immigration ; ils s’y
sont d’ailleurs rencontrés,
mariés et enfantés leur
premier fils.
Cela n’a pas été facile
d’intégrer leurs trois
enfants dans une société
assez différente de celle
que nous connaissions.
Ma soeur avait fini sa
deuxième année de
«ciclo » et moi j’avais fini
la quatrième primaire.
Arrivées ici nous avons
aucun des membres de
ma famille n’a entamé les
démarches en vue de la
naturalisation. Dès lors,
nous sommes tous de
nationalité
portugaise
avec des enfants de la
même nationalité et, pour
ma part, des enfants de
double nationalité lusosuisse.
Aujourd'hui, la vie ici
est facile, car nous avons
tous décidé de ne plus
gent… Ce qui était important autrefois, ne l’est
plus aujourd’hui.
Rester à proximité les
uns des autres, pour pouvoir s’aider dans les choses quotidiennes, garder
les petits-enfants, les voir
grandir, voilà la priorité
pour
mes
parents
aujourd’hui.
Susana.
111
112
Emigrações...
S
ou da terceira geração
de emigrantes na minha
família.
O
meu pai brinca frequentemente com o facto de nos
termos mudado muitas
vezes. Eu acho que
andámos a caçar fantasmas.
Cresci a ouvir a história do meu avô paterno,
António Santos e a sua
história de emigração.
Ele emigrou duas vezes.
Os meus avós paternos,
Maria do Carmo e
António e os seus três fil-
alguns anos voltaram à
aldeia de Boiças em
Pampilhosa da Serra.
Naquele tempo havia
outros homens na aldeia
que tinham emigrado
para os Estados Unidos.
Depois da quinta filha,
Clotilde, António emigrou
novamente, desta vez
sozinho, para os Estados
Unidos. Sabemos que
viveu e trabalhou nas
minas de carvão de
Beckley, West Virgínia.
Tomou conta da família
financeiramente,
enviando dinheiro a um
comerciante local ao qual
“Cresci a ouvir a história do meu avô
paterno, António Santos e a sua história
de emigração. Ele emigrou duas vezes.”
hos, Palmira, António e
Casmira emigraram para
França por volta de 1920.
Viveram em Versailles
onde António trabalhou
numa fábrica que estava
perto de um teatro. Não
sabemos muito sobre as
suas vidas lá, a não ser o
facto que tiveram uma
filha, Jerménia, enquanto
lá viveram. Passados
bastava Maria do Carmo
pedir o que necessitasse.
Visitou a família em
Portugal pelo menos
duas vezes, trazendo
prendas como pipocas,
cobertores, um relógio de
lareira e um fonógrafo
com uma colecção de
discos. Disse à família
que vivia numa casa cuja
dona era uma mulher ita113
“Os meus avós paternos, Maria do
Carmo e António e os seus três filhos,
Palmira, António e Casmira emigraram para França por volta de 1920. “
liana. A última vez que
visitou a família foi em
1934. A minha avó ficou
grávida do meu pai.
Quando o meu avô soube
do nascimento do seu
último filho, escolheu darlhe o nome de longe,
Reinaldo Santos.
O meu pai cresceu a
ouvir que, quando tinha 2
anos, a senhoria italiana
notificou à minha mãe que
o seu marido tinha morrido
de um ataque do coração.
A senhoria foi suficientemente amável para enviar
a certidão de óbito e para
informar a minha avó que
114
o tinham enterrado em
Beckley. António morreu
com 42 anos, tinha Maria
do Carmo 36. A partir
desse dia, a minha avó
vestiu-se de preto, uma
cor que o meu pai detesta
ainda hoje, visto significar
para ele tanta tristeza e
restrição.
Os
homens
que
regressaram dos Estados
Unidos diziam ao meu pai
o quanto António era
bom. Disseram-lhe que o
pai dele tinha sido bem
sucedido na América porque tinha aprendido a
falar inglês e trabalhava
legalmente,
contrariamente a muitos deles que
tinham sido deportados
por trabalharem ilegalmente.
Um
homem
contou quão maravilhoso
era que o António o
tivesse visitado em São
Francisco. Interrogámonos muitas vezes como é
que ele tinha atravessado
os Estados Unidos, muito
provavelmente durante a
depressão. O meu pai
repete ainda hoje com
orgulho esses fragmentos de informação.
A vida tornou-se muito
difícil para a minha avó
“Apesar de não contarmos esta
como uma das nossas histórias de
emigração, a minha mãe descreve a
sua mudança para Lisboa como a
sua primeira emigração.”
apesar de os seus filhos
mais velhos se terem tornado independentes e
trabalharem fora de casa.
Tinha uma casa adorável
com rosas trepadeiras
cujo cheiro ainda me lembro quando me aproximo
da casa. Mas o meu pai
descreve ter crescido
numa casa muito melancólica com aquele relógio
de lareira ecoando cada
segundo do tempo através daquela grande sala
de jantar.
Em 1949, o meu pai foi
para Lisboa trabalhar, tinha
então 14 anos. Vivia com
as suas irmãs que estavam
agora casadas e tinham filhos. Quando se tornou
adulto, começou a explorar
formas de emigrar para
fora de Portugal para lugares como os Estados
Unidos, Angola e Brasil,
mas não concretizou nenhuma das situações. Em
1959, ele e a minha mãe,
Ilda Marques Almeida,
também ela de Boiças,
casaram em Lisboa.
Apesar de não contarmos
esta como uma das nossas histórias de emigração,
a minha mãe descreve a
sua mudança para Lisboa
como a sua primeira emigração. Ela ficou impressionada pela forma como o
meu pai fez tudo o que
podia para que ela se
adaptasse à vida da cidade
e com a velocidade com
que o fez rapidamente.
Os meus pais descrevem muitas vezes quão
115
“Mas alguma coisa continuava a
empurrar o meu pai e em 1963,
quando eu tinha dois anos – o meu
pai foi para Inglaterra.”
felizes eles eram, tendo
eu nascido em 1961,
tendo-se tornado jovens
adultos independentes e
tendo uma simpática
casinha junto à praia da
Parede, perto de Lisboa.
Mas alguma coisa
continuava a empurrar o
meu pai e em 1963,
quando eu tinha dois
anos – o meu pai foi para
Inglaterra. O plano era
ele começar a vida lá e
nós juntarmo-nos a ele
mais tarde. Agora que
olho para trás, vejo o simbolismo de eu ter a
116
mesma idade que o meu
pai quando o pai dele
morreu.
A minha mãe e eu
regressámos a Boiças
para viver com os meus
avós maternos, Maria do
Céu
Marques
e
Constantino Almeida, e
os três irmãos da minha
mãe, António, Júlio e
Irene. Visto a minha mãe
ser a mais velha, eu era a
única neta e com uma
idade próxima da idade
da minha tia mais nova,
Irene. Até hoje, pensei
em mim como sendo o
quinto filho daquela casa.
As minhas primeiras
recordações são da casa
dos meus avós. A minha
avó paterna vivia apenas
algumas casas mais
longe e eu era livre de
visitar quem eu quisesse.
A vida era o que tinha de
ser para uma criança. Eu
era adorada pelos meus
três avós, pela minha
mãe e os seus irmãos e
irmã. Vivia na antecipação visto estarmos à
espera de ir ter com o
meu pai a Inglaterra.
Mas, para a minha
“A história preferida do meu pai
retrata, penso eu, o início da revolução
sexual dos anos 60, que tinha acabado
de chegar a Inglaterra mas ainda não
tinha atingido Lisboa nessa altura. “
mãe, a história era diferente. Inicialmente o meu
pai enviava-lhe cartas
regularmente. Mas a um
certo momento, as cartas
de repente pararam. A
minha mãe pensou que
algo terrível lhe tinha
acontecido; talvez também ele tivesse morrido.
Mas outras pessoas
metiam-se com ela e
diziam-lhe que talvez ele
tivesse encontrado outra
mulher. Isto continuou
durante meses até que
um dia as cartas não só
retomaram, como todas
as cartas que o meu pai
tinha enviado durante
esse tempo chegaram de
uma só vez. Tinha havido
uma greve dos correios
bastante prolongada em
Inglaterra.
Dado
o
ambiente político em
Portugal, não é surpreendente que uma greve
relativa aos direitos dos
trabalhadores não tenha
sido
noticiada
em
Portugal.
Decorrido um ano, o
meu pai regressou para
levar a minha mãe para
Inglaterra. Deixaram-me
com os meus avós, a
minha tia e dois tios. Eles
foram de carro até
França e provavelmente
fizeram a travessia por
mar até Inglaterra.
Os meus pais contam
histórias de como a cultura era diferente para
eles. Eles trabalhavam
na restauração em clubes privados de golfe. A
história preferida do meu
pai retrata, penso eu, o
início
da
revolução
sexual dos anos 60, que
tinha acabado de chegar
a Inglaterra mas ainda
não tinha atingido Lisboa
nessa altura.
Ele estava a servir às
mesas enquanto a minha
mãe
trabalhava
na
cozinha a lavar copos.
Uma patroa que tinha
abusado do álcool nessa
noite estava a bloquear o
acesso do meu pai às
mesas que ele estava a
servir. Mas ela era muito
amigável e prestável.
Cada vez que o meu pai
passava e pedia licença,
ela respondia "com cer-
teza, querido" e dava-lhe
um beijo. Achando isto
tão engraçado, o meu pai
tentou partilhar o humor
com a minha mãe na
cozinha e disse-lhe para
ver o que acontecia cada
vez que ele pedia licença
aquela mulher. Em breve,
a sala de jantar ecoou
com o barulho de copos
de vinho partidos vindos
da cozinha. O meu pai
diz que os benefícios do
dono do restaurante
podem não ter chegado a
pagar todos os copos que
a minha mãe partiu na
cozinha. Até hoje toda a
gente, excepto a minha
mãe, ri desta história
Os meus pais aprenderam a apreciar novos
cozinhados; natas espessas, rosbife, rábano e
sherry trifle. Quando queriam cozinhar comida tradicional portuguesa, tinham que improvisar com
alguns ingredientes. O
único sítio onde conseguiam encontrar azeite
era nas farmácias, onde
era vendido em pequenas garrafas medicinais.
117
Achavam que os britânicos eram pessoas simpáticas com os seus frequentes "por favor e obrigado" e a sua honestidade nos transportes
públicos. A única coisa
que não lhes parecia ser
tão simpática era a forma
como
os
britânicos
comiam o seu fish and
chips embrulhado em
papel de jornal.
Em 1965, depois de
ter estado em Inglaterra
durante um ano, a minha
mãe regressou a Lisboa,
inteiro até a minha mãe
conseguir adicionar-me
ao passaporte dela. Ela
descreve ter sido tratada
de forma muito rude
pelos funcionários de
Lisboa e ter ficado terrivelmente assustada relativamente ao que podiam
fazer. Era uma época em
que uma pessoa não se
podia queixar.
Aparentemente
as
coisas resolveram-se e
apanhámos o avião para
Manchester na época de
Natal de 1965. Com a
mais cara da cidade. Era
feito de couro de ovelha e
tinha uns olhos lindíssimos. Esse ursinho continua a acompanhar-me
ainda hoje
Há 2 anos que não
vivia com o meu pai e
precisei de algum tempo
para o conhecer novamente. Os meus pais
contam-me quanto preocupados estavam pelo
facto de, cada vez que
tentavam abraçar-se ou
dar-me um beijo, eu
começava a chorar.
“Há 2 anos que não vivia com o
meu pai e precisei de algum tempo
para o conhecer novamente.”
para me levar para
Sheffield, Inglaterra. Ela
conta que ficou muito
assustada quando chegou a Lisboa e viu que eu
não lhe dirigia palavra.
Nessa primeira noite, jantei em silêncio olhando
para ela o tempo todo. As
suas ansiedades foram
rapidamente apaziguadas quando nos fomos
deitar e ela teve que me
ouvir contar todas as
aventuras que tinha
vivido durante a sua
ausência. Tinha tanto
para lhe contar que falei
até o sol se levantar na
manhã seguinte.
Demorou um mês
118
maravilhosa idade de 4
anos, cheguei com a
minha mãe a Sheffield,
onde encontrei uma lindíssima árvore de Natal
que o meu pai tinha
arranjado e decorado
com chocolates cobertos
de uma brilhante folha
fina e o mais lindo
ursinho cor de âmbar no
topo. A árvore parecia
uma fantasia tornada realidade. Lembro-me de
tentar comer os chocolates e achá-los bastante
amargos. O grande prémio era este urso de
peluche que o meu pai
tinha comprado para mim
na loja de brinquedos
Durante os primeiros dias
em Inglaterra, eu não
suportava vê-los tocarem-se. Mas rapidamente
nos tornamos novamente
numa família. Comecei a
escola sem saber uma
palavra de inglês e foi-me
dada uma chave de casa,
visto os meus pais trabalharem. Vivíamos no primeiro andar de uma casa
que era propriedade de
uma família lituana. A história de emigração deles
fizeram-nos apreciar a
sorte que tínhamos de
estar juntos. Era um
casal de idade, tinham
um filho adulto com uns
30 anos. O filho e a mãe
119
“A nossa vida em Inglaterra decorreu
durante os significantes anos 60 em
Sheffield, a menos de 100 km de Liverpool,
onde os Beatles embarcavam para a carreira musical mais famosa do século. “
tinham
chegado
há
pouco tempo a Inglaterra
para viverem com o pai
depois de 30 anos de
separação. Eram muito
bons connosco e tomavam conta de mim
quando regressava da
escola
Nessa altura, sentíamos
verdadeiramente
que tínhamos finalmente
embarcado juntos numa
viagem maravilhosa. Os
medos que vivemos
enquanto família durante
os dois anos de separa120
ção foram tão traumáticos que tiveram impacto
em várias fases das nossas vidas ao longo dos
anos. O efeito daquela
greve dos correios britânicos e o ano de separação de mim foram tão
duros para a minha mãe,
que ainda hoje, com uns
70 anos, tem pesadelos
devido ao medo de nos
perder. Quando a minha
filha tinha 2 anos, o meu
pai, então com uns 60,
reflectiu sobre o passado
e chorou por me ter
deixado em Portugal
quando eu era tão pequenina. Apesar de já ser
uma adulta de meia
idade, estou determinada
em não me separar dos
meus pais outra vez. Mas
estas experiências também teceram laços tão
fortes entre nós os três
que até hoje nenhum
conseguiu separar-se.
A nossa vida em
Inglaterra
decorreu
durante os significantes
anos 60 em Sheffield, a
menos de 100 km de
“Mas precisamente a meio desse
Inverno, os meus pais informaram-me
que íamos para o Canadá. Ainda me
lembro de assumir que só havia dois climas no mundo, Portugal e Inglaterra.”
Liverpool,
onde
os
Beatles
embarcavam
para a carreira musical
mais famosa do século.
Apercebíamo-nos
do
quanto os homens deixavam crescer o seu
cabelo, os casais eram
livres de se beijar na rua
e as mulheres conduziam
carros.
Aprendemos
todos a falar inglês e fizemos
alguns
amigos
maravilhosos para toda a
vida. Vimos e vivemos
num mundo que só podia
ser vivido ali. Tornamo-
nos muito mais liberais e
passámos a aceitar pessoas que eram diferentes
de nós e a aprender com
elas.
Em 1966 aproximadamente, o irmão do meu
pai, António, e a mulher
dele, Maria Emília, vieram ter connosco a
Inglaterra, onde ficaram o
resto das suas vidas e
tiveram duas filhas,
Elisabeth e Anabela, que
nasceram em Shefield.
Por volta de 1967,
tinha feito novos colegas
na escola e gostava
muito do gelo e da neve
dos
Invernos
de
Sheffield. Mas precisamente a meio desse
Inverno, os meus pais
informaram-me
que
íamos para o Canadá.
Ainda me lembro de
assumir que só havia
dois climas no mundo,
Portugal e Inglaterra.
Disse aos meus pais
quão perturbada eu
estava de ter de deixar os
Invernos ingleses porque
eu gostava mesmo muito
121
“No início dos anos 70, tinha eu 13
anos, viajamos até West Virgínia.”.
da neve.
Eu tinha 6 anos
quando chegámos a
Toronto, Canadá, a 5 de
Janeiro de 1968. Fomos
recebidos por uma das
mais importantes tempestades de neve da história de Toronto. Ao sairmos do aeroporto, olhei
pela janela do táxi e vi
que os montes de neve à
beira da estrada eram tão
altos quanto o táxi. Fiquei
de imediato impressionada com os Invernos
canadianos e continuei a
apreciar cada queda de
neve desde então.
Durante muitos anos
falámos em regressar a
Portugal e eu cresci acre122
ditando que um dia
regressaria à vida com os
meus avós e primos. Mas
com o tempo acabámos
por nos instalar. A irmã
da minha mãe, Irene,
veio viver connosco até
casar e começar uma
vida sua. Teve três filhos,
Nelson, David e Sandra,
que preencheram as saudades que sentia dos
meus
primos
em
Portugal. A minha avó
materna, Maria do Céu,
após a morte do meu avô
em 1978, passou o resto
da sua vida viajando para
trás e para a frente entre
a nossa casa e a casa
dela em Portugal.
Com o passar do
tempo,
apercebi-me,
antes dos meus pais, que
não
queria
voltar.
Lembro-me que tinha 11
anos, em 1972, quando
informei os meus pais
que Portugal já não era a
minha casa. A minha
família em Portugal já
não me considerava
como sendo como eles,
enquanto os meus amigos no Canadá consideravam. Em Toronto,
havia muito mais gente
que era imigrante como
eu ou cujos pais e avós
tinham imigrado como
nós. Eu tinha agora uma
nova casa com amigos
que eram a minha família. Eu estava numa
cidade na qual tantos de
nós tinham tido experiências parecidas e sentimentos por países que
podiam ser tão diferentes
uns dos outros.
Mas a verdade é que
eu não percebia porque
tínhamos emigrado. Os
meus pais descreviam ter
uma boa vida em Lisboa,
onde o meu pai tinha um
emprego bom no Casino
do Estoril. A minha mãe
contou muitas vezes
quão maravilhosoa era a
nossa
casinha
na
Parede. Quando íamos
de visita, parecia-me que
os meus primos em
Lisboa tinham vidas mais
privilegiadas do que a
nossa. Eu tinha percebido que deveríamos ter
ficado ricos no Canadá,
mas nunca parecíamos
estar perto de ficar ricos.
Pampilhosa
eram
naquela altura. Visitámos
tudo naquela pequena
cidade, incluindo alguns
cemitérios. O meu pai
correu a lista telefónica à
procura de alguém com o
nome Santos e depois à
procura de nomes portugueses. Não encontrou o
que temia; talvez meios
irmãos, mas encontrou a
sepultura do seu pai. O
padre, num cemitério
católico muito antigo e
repleto, encontrou o
registo do enterro e mostrou-nos a sepultura. Do
registo, aprendemos que
na verdade António
Santos tinha morrido de
apendicite quando o meu
pai tinha apenas 18
meses. Visitámos o
museu da mina de carvão
onde procurámos uma
cara familiar nas fotografias antigas. Foi uma via-
pai, António e outra com
a irmã dele, Clotilde,
quando vieram visitarnos ao Canadá. O meu
pai estava extremamente
orgulhoso por ter sido
capaz de encontrar o
famoso Beckley e a
sepultura do pai dele, não
só por ele, mas pelos
seus irmãos.
De certa forma, isto
constituiu um fim a uma
viagem especial à qual
tínhamos sido destinados
desde a infância do meu
pai. Acredito que emigrámos à procura daquilo
que o meu pai nunca teve
ao crescer – um pai.
Quando a minha avó
morreu e fizeram-se as
partilhas, o meu pai só
quis o relógio de lareira e
o
fonógrafo.
Essas
heranças viajaram de
volta até à América do
“Acredito que emigrámos à procura
daquilo que o meu pai nunca teve ao
crescer – um pai.”
Então, porque tínhamos
nós emigrado?
No início dos anos 70,
tinha eu 13 anos, viajamos até West Virgínia.
Encontrámos Beckley no
meio de montanhas
muito verdes, cobertas
de pinheiros, como as
nossas
serras
de
gem catártica para o meu
pai. Ficou tão comovido
por finalmente ter visitado
o seu pai, que nunca
conheceu e por ter entrevisto a vida que o seu pai
tinha vivido há tanto
tempo. Voltámos ainda
mais duas vezes, uma
vez com o irmão do meu
Norte. Durante anos, o
meu pai não podia suportar ouvir o tic tac do relógio, que permaneceu
silencioso, parado no
tempo. O meu pai só
começou a apreciar o
relógio de lareira após a
visita a Beckley. Hoje
está na lareira dos meus
123
pais marcando o tempo,
sarando todas estas feridas e fazendo descansar
esses fantasmas.
Das poucas vezes
que visitámos Portugal,
costumava pensar que a
tristeza que eu sentia
eram saudades da minha
família. Aprendi que a
tristeza não eram saudades, mas sim o luto pelo
que tínhamos perdido. À
procura de uma relação
com uma família fantasma, perdemos a relação com a nossa família
des, nesta nova casa a
que chamamos Canadá.
Para emigrar é preciso sonhar e viver no
futuro. Primeiro sonhamos e romantizamos o
nosso novo país. Será
óptimo, vamos trabalhar
duro e ficar ricos. Será
um país democrático
onde teremos direitos.
Depois romantizamos o
país que deixamos para
trás. Era uma maravilha,
tínhamos tantos amigos e
família chegados. Só
mundo. Posso não ter
ficado rico em dinheiro,
mas fiquei rico em experiências.”
Começamos agora
um novo capítulo. A
minha
filha,
Jordan
Santos-Sparrow, incorpora muitas gerações de
imigrantes. Ele tem um
passado rico de Portugal,
como tem de muitos
outros países como
Inglaterra,
Alemanha,
Rússia, de onde os antepassados do meu marido
“Começamos agora um novo capítulo. A minha filha, Jordan SantosSparrow, incorpora muitas gerações
de imigrantes.”
real.
Mas, como com todas
as experiências, há tantas
positivas que podemos
colher. Esta viagem permitiu-me um grande
entendimento do que
acontece às famílias e do
que acontece aos indivíduos durante o processo
de emigração. Tenho
muito orgulho no meu trabalho com a grande
comunidade portuguesa
de Toronto e com imigrantes de outras comunidades, fazendo aconselhamento e ajudando imigrantes nas suas dificulda124
relembraremos
os
Verões maravilhosos e
esqueceremos quão frias
as casas eram no
Inverno.
Durante a nossa
última visita a Portugal, a
minha tia Clotilde perguntou ao meu pai “Não
terias tido uma boa vida
se tivesses ficado aqui?”
Ele
respondeu
“Economicamente sim,
mas espiritualmente não.
Nunca teria aprendido
tudo o que aprendi da
experiência que foi viver
em outras partes do
imigraram.
A vida é uma viagem
e nós fomos tão afortunados que a nossa incluiu,
ao mesmo tempo, família
e aventura. Hoje, o
mundo é muito mais
pequeno do que era nas
nossas aventuras familiares. Casa, é onde decidimos instalarmo-nos. Os
fantasmas fazem agora
parte da história e interrogo-me ao que a Jordan
chamará de casa.
Cristina.
125
Témoignages :
Daniel, Estelle, Lévi, Liliana, Lionel, Hermano, Jean-Philippe, Marco, Maria, Marie,
Marie-Hélène, Nathalie, Silvia, Sosana, Brigite, Liliana, Renata, Susana, Cristina.
Crédit Photo :
Liliana Azevedo, Turismo de Portugal, Turismo de Liboa, Postais de João Vieira
“Mira de Aire”, Christian Schu et photographies personnelles des auteurs.
Conception, graphisme et mise en page :
Estelle Valente
Imprimerie :
Quick Biz, artes gráficas e marketing, lda.
Distribution:
Association Cap Magellan
Appui :
DGACCP, Mairie de Paris, Caixa Geral de Depósitos, TAP.
Edition :
Décembre 2008
Association Cap Magellan - www.capmagellan.org
Toute reproduction totale ou partielle des textes est interdite, sans l’autorisation de l’association Cap Magellan.
Livre gratuit. Interdit à la vente.
Le projet de ce livre couve depuis bien longtemps. Et il n’a pas été
simple de réunir ces quelques témoignages qui illustrent l’histoire de
l’émigration portugaise au XXème siècle ! Pas simple que la deuxième,
ou troisième, génération raconte l’histoire de la première. Et pour cause,
ils n’en savent souvent pas grand chose.
L’idée est partie d’une phrase: ‘Papa, maman, racontez-moi votre
histoire’. Votre histoire, notre histoire. Car tout n’est que continuité, votre
passé est présent. Vos décisions ont bouleversé nos vies, la vôtre, la
nôtre. Que de fois nous nous sommes interrogés ‘Pourquoi ?’. Que de
fois, nos questions sont restées sans réponses. Que de fois, vos visages sont restés fermés. Silences. Que de fois, nous ne nous sommes
pas compris. Il est temps d’établir des ponts, de nous confier vos
mémoires, de nous raconter, de vous raconter.
C’est ce qu’ils ont fait, à la demande de Cap Magellan.
Ce livre a eu le mérite de raccourcir les distances qui séparent les
générations, de permettre la parole sur un sujet délicat mais fondateur
pour chacun et chacune de nous : notre histoire de famille. Précisons
que les histoires qu’il est ici donné aux lecteurs et lectrices d’entrevoir
ont été “transpirée[s] ou pleurée[s] mais rarement donnée[s] sans combat”.
Nous remercions tous les jeunes qui ont accepté de prendre la plume
- ou le clavier - pour nous transmettre des bribes de mémoire que leurs
parents leur ont confiées.
Nous rendons hommage à tous les parents qui ont osé prendre leurs
destins en main, défier les frontières et se lancer dans l’inconnu.
Histoires de vie sublimes, de par la hardiesse et la ténacité qu’il leur a
fallu pour vaincre les moments de tristesse et la douleur de la séparation.
Nous remercions la DGACCP qui nous a soutenus et rendu possible
la publication de ce livre.
Association Cap Magellan
Edition
Appui